
8 minute read
III) UNE SYNÉRIGIE DE LA DICHOTOMIE?:
1 - Une opposition entre deux forces ?
Une tendance évidente est observable dans l'histoire de l'architecture. Celle de la nouvelle génération qui critique celle qui la précède pour pouvoir arriver à une connaissance plus juste de cet art. Depuis la Renaissance, un avant-gardisme incessant est présent dans l'histoire. Les modernes qui critiquent le canon Vitruvien, les post-modernes qui critiquent la rigidité rationnelle de ces derniers. Comme on l'a vue dans les parties précédentes, ces critiques architecturales peuvent se réduire à leurs composantes théoriques architecturales et s'interpréter encore pour être réduit à leurs composantes philosophiques et plus précisément ontologiques. On pourrait ainsi se demander : si cette tendance s'agit réellement d'une manifestation d'un fonctionnement inhérent de la nature humaine ? Tournant notre attention une fois de plus à la philosophie qui peut nous apporter des éléments de réponse.
Advertisement
LA DIALECTIQUE : L'ELENCHOS DE SOCRATES ET LA MAÏEUTIQUE DE PLATON:
L'elenchos ou "réfutation" ou "ironie socratique" consiste d'une méthode d'argumentation qui se base sur la mise en question de l'interlocuteur pour lui démontrer qu'il se contredit. Cette méthode permet de "purifier" la personne mise en question de toute fausses connaissances. Permettant ainsi l'avancement de la connaissance vers une vérité. Pourtant, elle ne permet seulement de montrer que l'interlocuteur a tort et ne vient pas à la recherche d'une nouvelle réponse. L'évolution de cette méthode nous mène à la maïeutique de Platon. Cette dernière est une réinterprétation davantage positive de la méthode de Socrates. Aussi connu comme "l'art d'accoucher l'esprit", elle fait un retournement de point de vue sur cette méthode. Au lieu de seulement la voir comme une manière de démontrer que l'interlocuteur a tort, elle est vue comme moyen de faire apparaître la vérité de l'esprit même de ce dernier. Cette méthode ne se réduirais donc pas seulement à la réfutation, mais elle est élever à sa nature positive et productrice de nouvelles pensées. Certes, cette méthode de nos jours, peut-être pas connu par la personne lambda, à sa dimension philosophique, est néanmoins utilisée quotidiennement et dans toutes les domaines d'études scientifiques entreprit. C'est le principe de (thèse, anti-thèse, synthèse, etc...).
Ainsi, si on aborde l'architecture par cette perspective, on peut généraliser et comprendre son histoire comme un long dialogue architecturale qui se fait au cours du temps. Les interlocuteurs qui cherchent alors à se purifier de tout faux discours pour arriver à la vérité. Ce constat n'est pas surprenant. Néanmoins, si on analyse de plus près, elle nous révèle de plusieurs réalités importantes. Premièrement, elle nous révèle de cet état de confrontation constante à l'inconnu. Qui se caractérise par l'être humain qui, cherchant à étendre sa connaissance, tends vers la vérité sans jamais pour autant l'atteindre. On pourrait supposer que l'on a trouvé la réponse, mais elle reste une hypothèse car elle peut-être à tout moment réfutée. Et deuxièmement, que cet état de confrontation relève en réalité d'un état paradoxal.
(Bruno Bérard, Conférence philosophique:qu'est-ce qu'unparadoxe?)
LE PARADOXE :
L'étude de cet état de paradoxe en elle-même pourrait éventuellement nous éclairer la vue sur la contradiction que l'on rencontre. L'étymologie de ce terme remonte au Grec "paradoxos", « παράδοξος » : « contraire à l'opinion commune », de para : « contre », et doxa : « opinion ») en cela, nous comprenons un premier degré de sa signification. Les paradoxes, étymologiquement, sont une réfutation des vérités communément admises. Bruno Berard, philosophe contemporain qui a fait ses recherches sur cette notion de paradoxe nous explicite davantage les caractéristiques. Il nous affirme que le paradoxe consiste en une limite aux savoirs :
(...)leschosesetlesavoirsurleschoses,s'arrêtentauxparadoxes.Lalimite dessavoirshumainn'estpasnouvelle.Onpeutrappelerqueunepreuveest unecroyance!C'estmoinsconnu.C'estmêmeunedoublecroyance.C'est la croyance subjective que le dispositif de la preuve est efficace, suivie de la reconnaissance intersubjectif du bienfondé des procédés de la preuve. Et ça c'est la distance irréductible qu'il y a entre le monde des mots et le mondedeschoses.C'estçaquifaitleparadoxe.Parailleurs,leslimitesde la connaissance scientifique sont désormais bien établies, ce n'était pas le cas au XIX éme siècle avec le scientisme florissant, mais aujourd'hui on distingue même en physique comme en mathématique, Hervé Zwirn la biensignalé,(...)enmathématiquecommeenphysique,onnoteleslimites constructives,leslimitesprédictives,leslimitesontologiques,etleslimites cognitives.Danslarecherchedelaconnaissanceilyalesfortsparadoxes delavéritéetdelaréalité,ouencoredel'objectivitéetdelasubjectivité(...)
Si les paradoxes sont les limites aux savoirs, reste à savoir alors comment on pourrait atteindre une réponse.
LA DICHOTOMIE :
On peut s'intéresser à la notion de dichotomie pour nous éclairer davantage la vue. L'étymologie remonte au Grec "dikhotomia", « division en deux parties égales ». Dans le domaine de la logique c'est une méthode d'analyse qui consiste à diviser un concept en deux concepts contraires qui recouvrent toute l'extension. Bruno Bérard va plus loin dans son analyse est commente :
(...) distinguez raisons et intelligence, (...) tel que la tradition philosophique la fait de tout temps. La raison "ratio" en latin, "dianoia" en grecque, c'est la pensée discursive ou hypothético-déductive. Chez Platon, c'est le premier degré seulement de la connaissance des intelligibles. Les sciences dianoétiques sont définit positivement par le refus du recours aux sens et négativement par l'incapacité de dépasser les hypothèses pour remonter au principes ultimes. C'est pratiquement la même chose chez Aristote, la "dianoia" atteint discursivement son objet et la "noésis" le possède immédiatement par intuition. Cette intuition, c'est la fonction de l'intéligence ou de l'intellect. Le latin "inntelligentia" ou "intellegentia" de "intellegere" - comprendre - indique, un recueillir entre, comme un lire entre les lignes. Chez Platon, c'est le nous, amène de contempler les essences des choses. Ainsi on dispose de deux instances ou de deux facultés, la raison qui combine, qui arrange, qui raisonne, qui calcule. D'ailleurs un livre de raison, c'était un livre de contes. Et l'intellect, par ailleurs, qui comprend. L'une réfléchit, l'autre saisit. De la on oppose une connaissance conceptuelle et discursive à une connaissance immédiate intuitive.
(Bruno Bérard, Conférence philosophique:qu'est-ce qu'unparadoxe?)
Selon Bruno Bernard, il existe alors deux facultés humaines dont: la raison"dianoia" et l'intéligence - "noésis". Il en fait de cette réalisation un élément de réponse pour proposer à la paradoxalité des choses, une modalité paradoxale du connaître et invite l'intéligence - "noésis" ou l'intuition à prendre le dessus pour accéder aux "principes ultimes". Il y a alors là une voie pour la réponse. Laisser l'intuition faire.
2 - Une synérgie de la dichotomie comme réponse ?
Les paragraphes qui suivent sont mes réflexions personnelles face à une difficulté d'avancer que j'ai eu dans mon développement. Une impasse s'est présenté devant moi donc je partage ma propre réflexion.
MA DÉMARCHE ONTOLOGIQUE :
Ce n'est pas seulement par l'analyse objective, dont notre faculté de raisonner nous permet, que l'on arrive à combler l'incertitude à laquelle le monde nous confronte et que l'on veut à tout prix éviter. Si le miracle de la science à bien était vécu depuis la Renaissance, il me semble que la recherche de la science du miracle demeure d'une difficulté aporétique. Certes, la posture de rationalité nous a servies à venir en réponse à des questions d'ordre pragmatiques et nous a servies de pierres d'appui pour la notion de progrès qui nous animait depuis. Mais nous nous situons aujourd'hui dans une époque ou un tournant essentiel d'attitude doit être fait.
Comme vue auparavant, dans le commentaire de Bruno Bérard, nous devons faire cette dichotomie essentielle entre la dianoia et le noésis et devons, comprendre leur complémentarité et davantage renforcer la deuxième qui est en manque. Car l'être n'est pas dogmatisable. Tout essai de rationaliser son essence tombera dans le cercle vicieux corrélationiste du dogme. Si j'annonce cette lutte absurde contre la raison, ce n'est en aucun cas pour annuler sa validité, mais seulement pour dévoiler et avertir de sa face cachée. On doit se rendre compte de cette possibilité piégeante et prendre des mesures actives pour remettre en question notre propre raisonnement. Car comme vue auparavant une attitude de construction dirigée seulement par la raison peut devenir constriction à notre intuition qui cherche à nous dévoiler un nouveau chemin.
MA REPONSE ONTOLOGIQUE :
Quant à la question de l'être en soi, je suis venu à cette conclusion ouverte à être critiquée. La recherche du fondement premier commence par un étonnement initial: qu'est-ce que l'être tel quel ? Cette recherche qui est dite "la science primaire", s'arrête, j'en suis convaincu, à son questionnement initial. Il me semble que l' "être" en tant qu'étant (humain) à sa pure essence n'est rien d'autre qu'un miracle. Un miracle parmi une infinité, qui par son caractère, même le distinguant des autres, sa rationalité, questionne son essence miraculeuse. Si le mot miracle, que l'on évite à tout prix de nos jours, est utilisé ici, ce n'est pas pour faire référence à un mysticisme antan ou guidée par une intention d'obscurantisme. Loin de là, l'étymologie du mot remonte au latin miraculum qui signifie une chose étonnante, qui est un dérivé de mirus rattaché, selon Julius Pokorny à l'indo-européen (s)mei- ("rire"). Et la signification des choses se cachant derrière le langage, c'est pour inciter à tenir une attitude, quant à la question de l'être, d'étonnement jovial. Cette attitude permet à l'être en tant qu'étant (humain) de se détacher de sa faculté de raisonner et de laisser son intuition prendre le dessus quand il est confronté à cette difficulté.
Avec chaque essai de définir l'être, on diverge de son essence premier. Mais ses quelques métaphores ci-dessous pourraient transcrire à quel degré je m'en suis personnellement rapproché :
L'être est la confluence entre une infinité de rivières de pensées.
C'est d'où émanent tous les systèmes de pensées.
C'est vers où ils convergent.
C'est le point nodal d'où l'on peut construire.
C'est vers ce même point nodal où l'on déconstruit.
C'est la vague des pensées en non les pensées en elles-mêmes.
Cette métaphore est une illustration d'un mouvement qui est présent dans l'être. Ce mouvement est une dance entre la raison qui concrétise et l'intuition qui dirige.
SYNÉRGIE DE LA DICHOTOMIE :
À l'image de la vision dichotomique Chaos/Cosmos de Cornelius Castoriadis je propose alors une méthode d'action que je nomme : synergie de la dichotomie. Cela consiste à un vas et viens entre les deux facultés citées auparavant : dianoia/noésis. Quand la raison est confrontée à un paradoxe infranchissable, l'intuition prend le relais et quand l'intuition se perd, la raison redirige. C'est un jeu sans fin.
3 - Qu'es ce que cela incite en architecture
?
Certes, toutes ces réflexions ontologiques sont intéressantes, mais il faut revenir à la réalité pragmatique et s'occuper de la pratique architecturale. Ces considérations ontologiques se traduiraient en architecture par une prise de conscience de l'importance de la nature à première vue "hazardeuse" du terrain auquel l'architecte est confronté. Les informations que l'architecte doit prendre en compte sont de nature variée d'une part, mais d'autre part elles peuvent être contradictoire. L'architecte est donc confronté à des prise de décision subjective qui se traduient à un fort travail de synthèse. Dans l'histoire de l'architecture, quand on est confronté au terrain, il y a eu une forte dépendance sur la création d'un modèle théorique "parfait" à appliquer sur ceci. Certes, une planification et la création d'un programme spécifique sont importantes pour le succès d'un projet, mais quand cette planification et ce programme deviennent rigide ils ne prennent plus en comptes la réalité du terrain. Les réflexions ontologiques de Martin Heidegger, et le travail de Christian Norberg-Schulz, qui révèlent l'importance du Genuis Loci peuvent être la nouvelle approche intéressante. Justement parce qu'avec l'ontologie de Martin Heidegger on peut faire phénomenologiquement varier l'architecture. C'est-à-dire donner plusieurs interprétations. Multiplier les dimensions. L'architecture ne s'agirait pas seulement d'une exploration de fonctions et de formes détachée de son environnement, mais intégrerait aussi d'autres aspects intriquement liées au site. Comme quoi l'architecture suit le site. Prendre en compte ses valeurs, sociales, symbolique, esthétique, historique, environnementale et cetera. Et faire de la phénoménologie relève d'une importance mit sur la subjectivité des choses. D'une manière intéressante, ceci va en parallèle avec les nouvelles pratiques qui sont mises en évolution depuis la fin du siècle dernier. De nouvelles pratiques de co-production (avec les habitants) et d'auto construction sont en développement. Les sciences-sociales qui relève d'une analyse subjective, gagnent de plus en plus d'importance dans l'apport qu'ils peuvent avoir dans le processus d'élaboration du projet architectural.
Personnellement, il me semble que les propositions de Martin Heidegger sont justement que le début de ce détachement qui se fait de la raison comme faculté suprême. Chaque projet à besoin d'une préoccupation objectif comme subjectif, d'un va-et-vient entre la dianoia et noésis. Chaque projet est un mouvement architectural qui relève de la particularité du site, autant dans sa dimension sensible qu'essentiel.
