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DJIBOUTI GARDER LE CAP

INTERVIEWS

CHANGEMENT CLIMATIQUE L’AFRIQUE AU DEFI

N° 45 3 - JU IN 20 24 L 13888 - 453 S - F: 4,90 € - RD Fr ance 4, 90 € – Af riq ue du Sud 49 ,9 5 ra nd s (t ax es inc l. ) – Alg Ă©rie 32 0 DA – Allem ag ne 6, 90 € – Au trich e 6, 90 € – Be lg iq ue 6, 90 € – Can ada 9, 99 $C DOM 6,90 € – Es pagne 6,90 € – Ét ats -U nis 8,99 $ – Gr Ăšc e 6,90 € – It al ie 6,90 € – Lu xe mb ou rg 6,90 € – Ma ro c 39 DH – Pa ys -B as 6,90 € – Po rt ug al con t. 6,90 € Royaume- Uni 5,50 ÂŁ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998- 9307X0
DÉCOUVERTE
◗ RACHIDA BRAKNI ◗ NABIL AYOUCH ◗ NAWEL BEN KRAÏEM ◗ SABER MANSOURI BUSINESS LITHIUM : CONTRÔLER LE NOUVEL « OR BLANC »
NOUS ÉMETTONS MOINS DE 9 % DES ÉMISSIONS CARBONE DE LA PLANÈTE. ET POURTANT, NOUS EN SOMMES DÉJÀ LES PRINCIPALES VICTIMES. L’HEURE EST À LA MOBILISATION.
Le président Ismaïl Omar Guelleh.
Au coeur des transformations de l’Afrique www.aglgroup.com

CLIMAT, LE CHALLENGE DU SIÈCLE

En moins de deux dĂ©cennies, le changement climatique et ses consĂ©quences sont devenus une question de premiĂšre urgence pour l’Afrique. Nous sommes les plus pauvres, les plus fragiles, les moins dĂ©ve lopp Ă©s, et nou s so mm es pour ta nt lourde me nt impactĂ©s [voir notre dossier pages 32-41].

Nous avons trĂšs peu « contribuĂ© » Ă  ce dĂ©rĂšglement. Les chiffres varient, mais disons que le continent gĂ©nĂšre 3 Ă  9 % des gaz Ă  ef fet de serre. Miroir de notre pauvretĂ©, un milliard et quelques d’Africains « polluent » moins que 20 0 millions d’AmĂ©ricains (11 %), presque trois fois moins que la Chine et son 1,5 milliard d’habitants. Pour tant, le continent se rĂ©chauffe plus vite que la moyenne mondiale (+1,4 °C depuis l’ùre prĂ©industrielle contre +1,1 °C), en impor tant le rĂ©chauf fement des autres Les canicules, fortes pluies, inondations, cyclones tropicaux et sĂ©cheresses persistantes ont dĂ©jĂ  des ef fets dĂ©vastateurs. La montĂ©e des ocĂ©ans et des mers menace de grandes conurbations : Tunis, Casablanca, Dakar, Abidjan- Lagos, Luanda, Maputo Les coĂ»ts des pertes et dommages dus au changement climatique en Afrique sont estimĂ©s entre 290 et 440 milliards de dollars sur la pĂ©riode 2020 -2030.

L’Afrique n’est pas soutenue – loin de lĂ  – Ă  la hauteur du prĂ©judice. Elle est victime d’une injustice climatique majeure Elle contribue peu au changement climatique, elle utilise peu d’énergie carbonĂ©e, elle paie dĂ©jĂ  un e fa ct ure Ă©c onom ique, so ci al e et hu main e disproportionnĂ©e Pour tant, elle est encore trĂšs peu aidĂ©e en matiĂšre de gestion des risques et de transition Ă©conomique. Le financement de l’adaptation au climat ne reprĂ©sente qu’une gout te d’eau dans l’ocĂ©an de ce dont a besoin le continent. Plus de 50 pays africains ont soumis leurs contributions au niveau national Pour mettre ces contributions en Ɠuvre, il faudrait prĂšs de 2 80 0 milliards de dollars avant 2030. On en est loin, trĂšs loin Ce devrait ĂȘtre l’un des sujets principaux de la COP 29 Ă  Bakou, en novembre prochain.

Les consĂ©quences concernent en premier l’agriculture (Ă  laquelle on doit ajouter l’élevage et la pĂȘche), un secteur clĂ© pour la stabilitĂ© sociale et l’économie du continent. L’ensemble fait vivre six Africains sur dix À cause du changement climatique, la croissance de la productivitĂ© agricole a chutĂ©, selon

les Nations unies, de plus d’un tiers depuis 1961 (UN) L’im por ta ti on de prod uit s al im enta ires conna Ăźt un e hausse co nt inue et la fa ct ure pourrait dĂ© passe r les 110 milliards d’euros dĂšs 2025 Les cultures de rente, com me le caca o, so nt au ta nt to uchĂ© es qu e le s cultures vivriĂšres, qui constituent la base de la souverainetĂ© alimentaire de l’Afrique.

Dans ce contexte, on lui demande de rĂ©soudre une impossible Ă©quation, comme par miracle. Elle doit com bi ne r cr oi ssanc e Ă©c onomiqu e et dĂ© mographique avec adaptation au changement climatique. Elle doit dĂ©carboner, alors que son besoin en Ă©nergie est vital si elle doit Ă©merger de l’obscuritĂ© et du sous -dĂ©veloppement. Elle doit devenir un acteur majeur des Ă©nergies renouvelables, sans bĂ©nĂ©ficier, pour le moment, d’un soutien financier et technique massif des pays riches, et tout en ayant Ă  rĂ©pondre Ă  une multitude d’urgences en matiĂšre de santĂ©, d’infrastructures, d’éducation, d’urbanisation
 Il n’y aura pas de solution pour l’humanitĂ©, s’il n’y a pas de solution pour l’Afrique. Si, demain, le continent devait at teindre un niveau de dĂ©veloppement comparable Ă  celui de l’Inde ou du Vietnam, si nous devions tripler notre revenu par habitant et notre niveau de vie – ce qui serait un minimum –, si nous devions fournir de l’énergie Ă  la grande majoritĂ© des Africains, Ă  toutes les entreprises, et pour un coĂ»t raisonnable, et si cet ef fort nĂ©cessaire, urgent, devait se faire sans transition vers des modĂšles renouvelables et durables, alors l’Afrique deviendrait l’une des principales causes du rĂ©chauffement et de la catastrophe globale C’est l’une des donnĂ© es fondamental es du problĂšme : le change me nt clima ti qu e, pa r dĂ© finitio n, n’a pa s de frontiĂšres

Une partie de l’avenir est entre nos mains. Par la bon ne go uver nan ce, par la mob ili sa tio n de no s entreprises, de nos entrepreneurs, de nos crĂ©atifs, de nos ing Ă©nieurs, par le soutien acti f de la puissanc e publique, par la mise en place de projets rĂ©alistes et ba nc ab le s, par la re montĂ© e de l’urge nc e dans le s circuits de financements multilatĂ©raux, les fonds, les fo nd at ion s
 C’es t po ss ib le. C’es t ce rtai ne me nt un fa cteu r de cro is sa nc e et de dĂ©ve lopp em ent. Et de toute façon, nous n’avons pas le choix ■

AF RI QU E MA GA ZINE I 45 3 – JUI N 20 24 3
édito

3 ÉDITO

Cl imat, le défi du siÚcle par Zyad Limam

8 ON EN PARLE

C’EST DE L’ART, DE LA CU LT UR E, DE LA MODE ET DU DESIGN Nouveaux mondes

28 PA RCOURS

Nincemon Fallé par Astr id Kr ivian

31 C’EST COMM EN T ?

Un trafc ou blié par Emmanuelle Pontié

100 CE QU E J’AI APPRIS

Mohamed Abozek ry par Astr id Kr ivian

112 VI VR E MIEUX

Le foie, un pilier de votre santé par Annick Beaucousin

N° 45 3 JU IN 20 24 P.08

114 VI NGT QU ESTIONS À
 AF FA par Astr id Kr ivian

TEMPS FORTS

32 Changement climatiq ue : C’est dĂ©jĂ  demain par CĂ©dr ic Gouver neur

76 Nawel Ben Kraïem : La conscience politique au serv ice de l’ar t par Luisa Nannipieri

82 Nabil Ayouch « C’est un flm miraculeux » par Jean-Mar ie Chazeau

88 Rachida Brakni

« Au nom de Kaddou r et des or ig ines » par Astr id Kr ivian

94 Saber Mansou ri : «Le roman se nou rr it du réel » par Astr id Kr ivian

P.76

Afrique Magazine est interd it de diffusion en AlgĂ©r ie depuis mai 2018. Une dĂ©cision sa ns aucu ne just ifcation. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lect ure) Ă  exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interd iction pĂ©nalise nos lecteu rs algĂ©riens avant tout, au moment oĂč le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos am is algĂ©r iens peuvent nous retrouver su r notre site Internet : www.afriquemagazine.com

6 AF RI QU E MA GA ZINE I 453 – JUI N 20 24
PHOTOS DE COUVERTURE : SHUTTERSTOCK - ABOU HALLOYTA
AY HAM JABRNORA NOOR

DÉCOUVERTE

43 Djibouti : Garder le cap par Zyad Limam, avec Rémy Darras et Emmanuelle Pontié

44 Envers et cont re tous

46 La st ratĂ©gie de l’adaptation

52 Mahamoud Ali Youssouf : « Nous voulons cont ribuer à la paix et à la sécu rité »

56 Doraleh-DP World : Djibouti ne ferme pas la porte Ă  un accord

60 Le projet Damerjog

64 Le futu r en objectif

70 Port folio : Entre terres et mers

BUSINESS

102 Lithiu m : cont rÎler le nouvel « or blanc »

106 Ngone Diop : « Sans l’Afrique, personne ne pourra dĂ©velopper sa transition Ă©nergĂ©tiq ue »

108 Le Sénégal veut faire preuve de souveraineté

109 Commerce for issant entre la Cîte d’Ivoire et le Sahel

110 La Fondation OCP, opérateu r de changements

111 Au Nigeria, la mégaraff nerie

Dangote en exemple par Cédr ic Gouver neur

FONDÉ EN 1983 (40e ANNÉE)

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AF RI QU E MA GA ZINE I 453 – JUI N 20 24 7
DENIS MAKARENKO/SHUTTERST OCKVINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE-REAJOEL_420/SHUTTERST OCK
P.102
P.82 P.43

ON EN PA RL E

C’est ma in te na nt , et c’est de l’ar t, de la cu ltu re , de la mo de , du de si gn et du vo ya ge

NOUVEAUX MONDES

Pa r l’anticipat ion, DI X-HU IT ARTIST ES AR ABES question nent et transg ressent le prĂ©sent.

FASCINANTES, étranges, métaphoriques, visionnaires

Les Ɠuvres contemporaines exposĂ©es Ă  l’IM A proposent un voyage dĂ©centrĂ© au cƓur d’une planĂšte Ă  la dĂ©rive – mondialisation, Ă©cologie, migration, genre, dĂ©colonisation –, afin de penser des univers alternatifs. Plasticiens, photographes, performeurs, vidĂ©astes, tels Sophia Al-Maria, Fatima Al Qadiri ou Hicham Berrada, explorent ainsi les sphĂšres oniriques de la science-fiction et les nouveaux imaginaires arabes. À l’image d’un laboratoire d’hy pothĂšses se dĂ©ployant dans tous les territoires de la crĂ©ation Ici, une photographie oĂč une

voiture volante (et violette) transporte sur son capot un personnage en djellaba Ă  capuche ; lĂ , une vidĂ©o numĂ©rique oĂč une exploratrice avance sur des reliefs inhospitaliers, cernĂ©e de soucoupes mi-porcelaine mi-raie manta. Le fantastique cĂŽtoie le dystopique, le chimĂ©rique joue avec le politique. Et l’on se met Ă  rĂȘver les mondes de demain, avec apprĂ©hension et expectative tout Ă  la fois ■ Catherine Faye « ARABOFUTURS, SCIENCE-FICTION ET NOUVEAUX IMAGINAIRES », IM A, Paris (France), jusqu’au 27 octobre 2024 imarabe.org

8 AF RI QU E MA GA ZINE I 453 – JUI N 20 24
PR OJ EC TI ON S
LARISSA SANSOURAY HAM JABR
La ri ssa Sa nsou r et SÞ re n Lin d, In th e Futu re Th ey Ate From th e Fi nest Po rc elain, 2016, vi déo nu mé ri que, coul eu r, so n. Ay ham Jab r, Da mascu s Unde r Siege -1, 2016

RY TH ME S

SO UN DS

Àécouter maintenant !

Msak i& Tu batsi

Sy nt heti cHeart spar tI I,NoFor mat.

Un an seulementaprÚs la parution du premiervolet de Sy ntheticHearts,Msaki et Tubatsirev iennentavec un second chapitre tout aussiréussi, enregistré à Johannesburg.Entouré du violoncelle maßtrisé de ClémentPetit,leduo ici formépar Msak i(chanteuse dontsont fans DiploouPrinceKaybee) et Tubatsi Mpho Moloi (membredugroupe UrbanVillage) brilletantvocalement quesémantiquement. Hy pnotique.

ROCK ÀLADARIJA

AV EC SWAK EN,LEGROUPE

FR ANCO-M AROCAI N transfor me le coup d’essa i en Ă©lectriq ue conf ir mation.

DÈSLES PR EMIÈRESMESUR ES,lavoixdeYousraMansour nous captiveimmĂ©diatement,Ă©voquantles grandesdivas orientales comme lesicĂŽnesdupunkfĂ©minin britannique façonA ri Up.D’ailleurs,l’album aĂ©tĂ© enregistrĂ©dansles studiosRealWorld de PeterGabriel,dans le Wiltshire. Parson hybriditĂ©sonore, quelquepartentre le rockĂ 180° de LedZeppelin et la transe gnaoua, il respecte le cahier descharges du labelduchanteuranglais.Autourdelachanteuse, celuiqui a cofondĂ©Bab L’Bluz avecelle, le guitariste et joueur de guembrifrançais BriceBottin,ainsi queBrahim Terkemani et JĂ©rĂŽme Bartolome, tous bien dĂ©terminĂ©s Ă ser virses litanies en darija.Ellen’hĂ©sitepas non plus Ă dĂ©noncerles rouagespatriarcaux de la sociĂ©tĂ©marocaine, en abordant de front les problĂšmesdesantĂ© mentale. Un disque loind’ĂȘtre tiĂšde, donc,qui mĂ©ritait cetĂ©crin rock’n’roll hantĂ©donnant raison Ă son titre: en darija,« swaken »signifie ĂȘtre possĂ©dé  ■ Sophie Rosemont BABL’BLUZ, Swaken, Real World.

Flav ia Coel ho

Gin ga,PIA S.

Dans la lettre manuscrite quiaccompagne ce nouvel album, la chanteuse brĂ©silienneexpliquesaquĂȘteincessante d’unemusique toujourssincĂšre,endĂ©pit d’un statut dĂ©sormaisĂ©tabli, et sondĂ©sir de revenir auxsources :delamusique avec laquelle elle agrandi, de la sambaau G-funk,maisaussideson vĂ©cu personnel, adolescenteĂ R io de Janeiro. Avec une bonnedosed’amapiano, on tientun Ginga Ă lafoisdansant et fĂ©dĂ©rateur !

BallakéSissoko &DerekGripper

Ba lla k éS issoko &D er ek

Gr ipper,Platoon.

DĂ©cidĂ©ment fĂ©ru de collaborations, le cĂ©lĂšbre musicien malien fait icidialoguer sa kora avec la guitareduSud-A fricain DerekGripper,etc’est absolument superbe. Les27cordesici rĂ©unies modulent leshumeurs et lesĂ©motions, grĂąceĂ une Ă©coute mutuelle desdeux musiciensetĂ une sensibilitĂ©qui se dĂ©ploie au fils dessepttitressensibles, de «Ninkoy» à« Basle».Unduo presque Ă©v ident, mĂȘme si SissokoetGripper ne parlentpas la mĂȘme langue. ■ S.R

ON EN PA RL E 10 AF RI QU EM AGA ZINE I 45 3–J UIN 20 24
❶ ❷ ❞
DR (5)

SO AP -O PÉ RA

QUAND NOLLYWOOD S’INVITE À BOLLYWOOD !

Pour la prem iĂšre fois, une sĂ©rie nigĂ©riane a Ă©tĂ© tour nĂ©e en Inde. UN MÉTISSAGE COLORÉ, da ns lequel l’argent, la fa mi lle et l’amou r s’affichent comme des va leurs sĂ» res. DA NS CET OR DR E


UNE QUINQUAGÉNAIRE nigĂ©riane richement enturbannĂ©e quitte Lagos pour se faire soigner en Inde, oĂč son frĂšre a fait fortune. Elle ne sait pas que son fils, qui lui cache sa vocation artistique, a gagnĂ© un concours de danse pour tourner un clip Ă  Mumbai
 En six courts Ă©pisodes, cette sĂ©rie raconte, façon tĂ©lĂ©novela chic, les « hasards » qui vont permettre de recoudre des fils familiaux distendus. Du golfe du BĂ©nin aux rives du Gange, le titre, Postcard s, colle bien Ă  la mise en scĂšne, qui n’offre que des images clichĂ©es et lĂ©chĂ©es des deux citĂ©s : autoroutes urbaines sans embouteillages dans la mĂ©galopole africaine ; cliniques rutilantes loin des bidonvilles dans la citĂ© indienne
 Les difficultĂ©s d’intĂ©gration des Africains en Inde sont Ă©voquĂ©es au dĂ©tour des dialogues, mais aussi celles du mĂ©tissage, Ă  travers le couple indo-nigĂ©rian formĂ© par un mĂ©decin et son Ă©pouse yoruba. En apparence progressiste, le scĂ©nario vante

un certain conformisme matĂ©rialiste (« On est riches, mais on n’est pas Elon Musk non plus ! »), voire moral, sur la famille et l’avortement Une femme est pourtant derriĂšre la camĂ©ra : Hamisha Daryani Ahuja, qui est aussi une productrice et actrice nigĂ©riane d’origine indienne. Il y a quatre ans, dans un premier crossover, Namaste Wahala, dĂ©jĂ  pour Netf lix, elle dĂ©crivait une love stor y Ă  Lagos entre un banquier d’origine indienne et une avocate nigĂ©riane. Cette fois, c’est Nollywood qui s’est dĂ©placĂ© Ă  Bollywood, scĂšnes de chant et de danse Ă  la clĂ© (mention spĂ©ciale pour l’entĂȘtante chanson du gĂ©nĂ©rique), en partageant un humour finalement trĂšs british. Car comme le dit l’un des personnages : « On parle la mĂȘme langue, on a eu le mĂȘme colonisateur ! » ■ Jean -Marie Chazeau POSTCARDS (Niger ia), de Hamisha Daryan i Ahuja. Avec Sola Sobowa le, Tobi Ba kre, Richard Mofe-Dam ijo. Su r Net f ix

AF RI QU E MA GA ZINE I 45 3 – JUI N 20 24 11
DR (3)
La ré al isatric e Ha mi sha Da ryani A huja

AL BU M

LASS D’UN PAYS ÀL’AUTRE

AprÚsu npremier al bu mt rÚsprometteu r, le chanteur sénéga la is signe Pa ssepor t,u nd isqueàlafoisGROOV YETCONSCIENT.

DÈS 2022, BumayĂ© imposait son talent. NĂ© en banlieue de Dakar, inspirĂ© par les voix d’Oumou SangarĂ© ou de YandĂ© Codou SĂšne, il asuimporter en France les mĂ©lopĂ©es ouest-africaines et la langue lingala. Produit par Jordan Kouby (qu’on avuaux cĂŽtĂ©s d’Imany, Keziah Jones ou Faada Freddy), ce second album rĂ©ussit une fois encore le mĂ©lange des genres, entre ballades mĂ©lancoliques et afro-pop bien sentie. CĂŽtĂ© collaborations, Lass est entourĂ© du pianiste Roberto Fonseca, qu’il considĂšre «comme un frĂšre»,etdeDavid Walters :« Nous nous sommes rencontrĂ©s lors du projet de Voilaaa avec le producteur Bruno Patchworks, et nous sommes restĂ©s en contact depuis. Nous communiquons et collaborons frĂ©quemment sur divers projets, et notre lien s’est transformĂ© en amitiĂ©. » Loin d’ĂȘtre dĂ©vorĂ© par son ego, il souhaite mettre sa crĂ©ativitĂ© au service de ses convictions, sans en oublier le pouvoir rĂ©parateur. Àcommencerpar le titre mĂȘme de l’album :« Il vise simplement Ă attirer l’attention sur

une injustice majeure entre les continents :certains ont le bon passeport, quand d’autres n’en ont pas.

Aujourd’hui, nous parlons de la mondialisation et de la maniĂšre dont le monde est devenu un petit village planĂ©taire. Les Ă©changes culturels, Ă©conomiques et humains sont cruciaux. Il est incomprĂ©hensible qu’un Africain doive demander l’autorisation de voyager.

Pendant ce temps, les EuropĂ©ens, les AmĂ©ricains ou les Asiatiques n’ont qu’à acheter un billet pour explorer le monde. Les Africains restent confinĂ©s sur le continent. »

Àcesentiment claustrophobique, Lass rĂ©pond par la musique la plus Ă©clectique possible. Le trĂšs beau titre conclusif de Passeport,« Samba », tĂ©moigne de son Ă©ternelle curiositĂ© :« En tant qu’artiste, je ne fixe pas de limites, j’explore toujours. Je m’inspire de nombreux de mes pairs africains, tels que Bembeya Jazz, Orchestra Baobab, Youssou N’Dour ou Salif Keita. Ce bassin diversifiĂ© d’artistes enrichit Ă©normĂ©ment mes horizons musicaux. » ■ S.R.

LASS, Passepor t, Wagram Music/ Chapter TwoRecords

KORIA

Co nc er td onné su rl as cÚne de la plage, àE ssaouira.

ESPRIT FUSION

Pour sa 25e Ă©d it ion, le Fest iva l Gnaoua et musiques du monde va Ă nouveau SECOUER L’ANCI EN NE MOGA DOR.

ESSAOUIR ArĂ©sonne encore desconcertsdeJimmy Page et Robert Plant(LedZeppelin)avecMaĂąlemBrahim El Belkani, de la prestation de Randy Weston avecAbdellahBoulk hair El Gourdou de celledeCarlosSantana avec MaĂąlemMahmoud Guinia. Àl’origine de cesrendez-vous culturelsdevenus cultes, il yalatradition d’uneconfrĂ©rie d’anciensesclavessubsahariens arrivĂ©sauMaroc parles caravanesde la traite nĂ©griĂšre, au cours du XV Ie siĂšcle.Puis,lafougued’une poignĂ©ed’amisqui lance, souslahoulettedeNeila Tazi,unfestivalavant-gardiste, guidĂ© parl’urgence de sauvegarderunpatrimoineancestral menacĂ© de disparition. L’idĂ©e ?Faire fusionnerpassĂ© et prĂ©sent, scĂšne internationale et hĂ©ritage immatĂ©riel.Lasymbiose et l’énergie sont telles qu’elles placentaujourd’hui Essaouirasur la carte mondiale desv illes musicales, au mĂȘme titreque Montreux ou la Nouvelle-OrlĂ©ans. Inscrit surlaliste du patrimoine immatĂ©riel de l’Unesco en 2019,lefestivalfĂȘtecette annĂ©e en grandunquart de siĂšcle de passions musicale,patrimoniale et humaniste. Avec un programmeambitieux ■ C.F.

25E ÉDITION DU FESTIVAL GNAOUA ET MUSIQUES DU MONDE, Essaou ira, du 27 au 29 juin 2024. festival -gnaoua.net

FAUSSES PROMESSES

LI VR E Un textefor tetnécessa ire su rLAQUEST ION desSANS-PA PI ERS.

LA PHOTOENNOIRET BL ANCsur la couverture du livreest en elle-mĂȘmeun actederĂ©sistance. On yvoitune jeunefemme,entre questionnement, colĂšre et dĂ©termination,assisesur descouvertures entassĂ©esaupiedd’une alcĂŽve d’église. Àses cĂŽtĂ©s, un enfant dort.LibrementinspirĂ© desĂ©vĂ©nements de l’église Saint-BernarddelaGoutted’Or, occupĂ©e pardes Ă©trangers «ensituation irrĂ©guliĂšre » du 28 juin au 23 aoĂ»t 1996, le rĂ©cit de Gauz remet surledevantdelascĂšne lesacteurs de cettelutte Dans unelanguequi sonneetrĂ©sonne,l’auteur du remarquĂ© Debout-payĂ© (2014),finaliste du prix internationalBooker, redonne ainsi unevoixaux hommes et auxfemmesqui furent au cƓur de la batailledes «sans-papiers ». ■ C.F.

GAUZ , Les Portes, Le NouvelAttila, 192pages,18,50 €

ON EN PA RL E 14 AF RI QU EM AGA ZINE I 45 3–J UIN 20 24 ASSAOUD -D R-D R-D R
AG EN DA

CI NÉ MA

LA TOILET TE DESMAURES

Pour Ă©v iter d’ĂȘt re EX PU LSÉDEFRA NCE, un jeu ne AlgĂ©rien va travail lerpou rdes pompes fu nĂšbres musu lmanes et renouer avec lesracines qu’i lrejetait


NÉ

ÀSÉTIF,filsdediplomatequi abeaucoupvoyagĂ©, Sofianeest un Ă©tudiant algĂ©rien pastrĂšsintĂ©ressĂ©par sesĂ©tudesenFrance, oĂč il vitavecsafamille. RĂ©sultat :l’universitĂ©nerenouvellepas soninscription,etilest menacĂ© d’expulsion. Pour rester,ilvadevoirtrouver un contratdetravail.Etc’est dans uneentreprise de pompes funĂšbres musulmanes qu’une possibilitĂ©s’offre Ă lui.Pourlejeune homme, Ă©loignĂ©delareligion, venant d’un milieu plutĂŽt aisĂ© et rejetant sesracines, l’apprentissagevaĂȘtredifficile.Bienqu’égocentriqueetunpeu fanfaron,ilva finir pars’intĂ©resser auxautres
 On dĂ©couv re avec luides gestes ritualisĂ©s sur lescorps desdĂ©f unts, rarement montrĂ©sdanslafiction,etonsuitl’évolution de sonpersonnage, longtemps indĂ©chiffrable.LerĂ©alisateur algĂ©ro-brĂ©silien Karim Bensalah semble avoirmis beaucoup de luidanscepremier long-mĂ©trage, dĂ©licat et souventlumineux. S’il forceparfois un peules Ă©vĂ©nements dans le scĂ©nario, sonportraitcomplexe d’un jeunearabe d’aujourd’huiest plutĂŽt rĂ©ussi. ■ J.-M.C

SIXPIEDS SU RTER RE (France),deKar im Bensalah. Avec Ham za Meziani,Kader Affa k, SouadA rsane. En sa lles

AF RI QU EM AGA ZINE I 45 3–J UIN 20 24 15 TA CT PRODUCTION -D R

« ÉTHIOPIE, LA VALLÉE DES STÈLES », MUSÉE FENAILLE, Rodez (France)

Du 15 juin au 3 novembre musee- fenaille.rodezagglo.fr

Le mu sĂ© e Fen aill e d’archĂ© ologi e.

LA MAGIE DES STÈLES ÉTHIOPIENNES

LE

MUSÉE FENA ILLE prĂ©sente des Ɠuvres except ionnel les, issues d’un site un iq ue au monde, qu i fascine les archĂ©ologues depuis plus d’un siĂšcle.

DA NS LA VA LLÉE du Rift Ă©thiopien, sur les contreforts des hauts plateaux du sud-est, s’étend le pays gedeo, patrimoine culturel de l’Unesco depuis septembre 2023. Dans les forĂȘts sacrĂ©es, au-dessus des pentes cultivĂ©es, on pratique encore les rituels traditionnels et, le long des crĂȘtes, se dressent des milliers de monuments mĂ©galithiques vĂ©nĂ©rĂ©s par les Gedeo.

Les chercheurs tentent de percer les secrets de ces mystĂ©rieuses stĂšles phalliques ou anthropomorphes depuis plus d’un siĂšcle À l’occasion d’une nouvelle mission archĂ©ologique française sur place, le musĂ©e Fenaille prĂ©sente « Éthiopie, la vallĂ©e des stĂšles » : plus de 90 piĂšces originales, une sĂ©lection unique de mĂ©galithes provenant du site de Tuto Fela et dix stĂšles monumentales en pierre conser vĂ©es au Weltkulturen Museum de Francfort, exposĂ©es pour la premiĂšre fois dans l’Hexagone Des objets collectĂ©s sur le terrain, croquis, vidĂ©os et entretiens avec les habitants, complĂštent le parcours L’exposition sera dĂ©clinĂ©e dans un deuxiĂšme temps en Éthiopie, en collaboration avec le musĂ©e national d’Addis-Abeba. ■ Lu is a Na nnip ier i

ON EN PA RL E 16 AF RI QU E MA GA ZINE I 453 – JUI N 20 24 A.-L. GOUJONFROEBENIUS INSTITUT, FRANCFOR TDR
EX PO
De ssi n d’Al f Ba yr le, stùle du site de Tu to Fe la , 1936 Site de Se de Me rc ato.

INCESSANTS VA-ET-VIENT

UN E RÉFLEX ION SU R L’EX IL , l’ident itĂ©, les or ig ines, la mĂ©moi re, et le ta ngage entre deux pat ries, deux univers : la France

de la mĂšre, l’AlgĂ©rie du pĂšre.

« PETI TE , SI JE PR ENAIS L’AV ION EN HI VER, je voyais que l’AlgĂ©rie Ă©tait verte et que la France Ă©tait grise. Mais si c’était l’étĂ©, je voyais que la France Ă©tait verte et l’AlgĂ©rie ocre » Aller, venir, part ir, revenir Pour Yasmina Liassine, comme pour beaucoup d’autres, les or igines et les frontiĂšres nour rissent un questionnement sans fin, permanent, laby rint hique. C’est d’ailleurs celui de la cathĂ©drale du SacrĂ©- CƓur d’Alger, matĂ©rialisĂ© par une mosaĂŻque composĂ©e de cinq carrĂ©s datant de 324 aprĂšs J.- C., qui amorce le cheminement de l’auteure. Cette piĂšce unique de l’ar t chrĂ©tien antique est la plus ancienne reprĂ©sentation de l’Église sous forme de laby rint he Le dĂ©dale conduit au cent re, oĂč l’on peut lire dans tous les sens : Sancta Ecclesia (« Sainte Église »). La pr imo-romanciĂšre, qui a signĂ© deux essais sur les mathĂ©matiques voilĂ  quelques annĂ©es, s’est rĂ©appropriĂ© cette image mĂ©taphor ique pour s’engager dans une dĂ©ambulation intime Ă  l’entour de ce qu’elle nomme sa Sancta Al geria : « J’ai pr is conscience de tenir quand mĂȘme une sorte de fil d’Ar iane qui me permet trait, je l’espĂ©rais, non pas de sort ir du laby rint he, car ce laby rint he est ma place et je m’y trouve bien mieu x que dans toutes les rues rectilig nes du monde, mais du moins de m’y promener sans crainte. » Avec une voix sincĂšre et cadencĂ©e, chargĂ©e de parf ums, de sons et de couleurs, cette fille issue d’un mariage franco -algĂ©rois, dans les annĂ©es 1960, avance, er re, se perd, rev ient sur ses pas, scrute ses souvenirs, cherche Ă  comprendre les dissonances entre l’histoire of ficielle et les histoires plur ielles d’une AlgĂ©rie oĂč cohabitent Ă©poques et communautĂ©s, dĂ©cr ypte les liens mĂȘlĂ©s de ce pays avec la France Elle nous entraĂźne dans un entrelacs d’émotions, de sensations et de conf idences, distille histoires de vies, destinĂ©es de femmes, relents de nostalgie, dĂ©noue thĂ©orĂšmes, paradoxes et incohĂ©rences, lit et Ă©crit, « car le dĂ©compte object if du temps passĂ© dans un lieu ne ref lĂšte pas vraiment le reste, le temps passĂ© Ă  rĂȘver, se souvenir, espĂ©rer » Un rĂ©cit fin et vrai Entre ombre et lumiĂšre. ■ C.F.

YASMINA LIASSIN E, L’Oiseau des Français, Sa bi ne Wespieser, 184 pages, 19 €.

AF RI QU E MA GA ZINE I 45 3 – JUI N 20 24 17 RÉ CI T FRANCESCA MANT OV ANIDR

L’Afri à Mi

Tour d’ hor iz DU CONT IN d’ inspirat ion,

rema rq uer lo SA LON DU

LES DESIGNERS les milanaise s’exposent au Salone Satellite, qui offre un vĂ©ritable tremplin Ă  de jeunes crĂ©atifs triĂ©s sur le volet. Cette annĂ©e, la Tunisie a dĂ©barquĂ© en force avec le projet Creative Tunisia et les Ɠuv res de Hassene Jeljeli, qui prĂ©sentait les nouvelles lampes en mĂ©tal ajourĂ© de sa marque JK lighting Faites Ă  partir de feuilles de mĂ©tal rĂ©cupĂ©rĂ©es et artistiquement superposĂ©es, celles-ci diff usent une lumiĂšre changeante et douce, sublimant une matiĂšre nĂ©gligĂ©e. La Marocaine Selma Lazrak, basĂ©e Ă  Munich, a exposĂ© son interprĂ©tation contemporaine des tables basses traditionnelles. Un travail Ă©purĂ© et minimaliste qui Ă©voque, Ă  travers les lignes fines du bois et du travertin, mais aussi un jeu d’ombres et de lumiĂšres, l’architecture du pays dans son essence. My riam Bouraga, quant Ă  elle, a choisi de mettre en valeur le savoir-faire des artisans du Moyen Atlas, qui rĂ©alisent en laine locale les tapis uniques qu’elle dessine

Ta pis Cha nti lly

Drea m, de ch ez

Ma rmouc ha, c i- contre ; la ve rs io n made in Africa du Big Ea sy, pa r Ro n Arad , ci -d es sous

d’art tissĂ©e Ă  l’image d’un tapis de la rĂ©gion de M’rirt, tout en nuances et contrastes doux. Chez l’Égy ptienne Rania Elkalla, ce sont les coquilles de noix et d’Ɠufs qui sont Ă  l’honneur, avec Shell Homage Le bioplastique bariolĂ© est utilisĂ© pour crĂ©er une incroyable variĂ©tĂ© d’objets : des coques de tĂ©lĂ©phones portables, des plateaux et mĂȘme des tables Mais les designers du continent ont aussi leur place chez les grands. Dolce & Gabbana a inclus des Ɠuvres de Thabisa Mjo (A frique du Sud) et Ella Bulley (Ghana) dans le deuxiĂšme volet du projet GenD, qui crĂ©e des ponts entre la tradition italienne et le reste du monde Ă  travers le travail de dix designers. Et Moroso a travaillĂ© avec Ron Arad pour proposer une version Made in Africa de son iconique Big Easy et rev isiter ses assises inspirĂ©es du continent, avec les collections Modou et M’Afrique. Toutes exposĂ©es dans le prestigieux cadre de la galerie Rossana Orlandi. ■ L.N.

EN PA RL E 18 AF RI QU E MA GA ZINE I 453 – JUI N 20 24
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DE SI GN
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AF RI QU E MA GA ZINE I 45 3 – JUI N 20 24 19
Créa ti on de Ra nia E lkalla , avec sa marqu e She ll Ho ma ge. Ta ble ba sse Alc ob a par Se lm a La zrak Un e lamp e de JK lig ht in g.
LOUA Y NASSERLUCA DI MEODRITTETSUTSUJII
Vu e de l’ex positio n Ge nD, vo l. 2, chez Do lc e & Gabb an a.

TOM BUK-SWIEN T Y, La Lionne :Karen Blixen en Afrique, Gaïa Éditions, 912pages,33 €

UNEPASSION AFRICAINE

Un récitcaptiva nt su rlav ie de KA RENBLI XENauKenya,r ichement illustrépar 230photographies.

S’APPU YA NT surune correspondance et desdocuments d’archives inĂ©dits, le journaliste, historienetĂ©crivain danois TomBuk-Swienty livreunportraitsaisissantdel’auteure de La Fermeafricaine (1937), romanautobiographique quiainspirĂ© le film OutofAfrica (1985),de Sydney Pollack. Si nous gardonssurtout en mĂ©moirelafolle passion quilie la future Ă©crivaineĂ l’aristocrate anglaisDenys FinchHatton, incarnĂ©s parMer yl StreepetRobertRedford,ledestinde cette hĂ©roĂŻnedela« vraievie »relĂšvepresque du my the. Celui d’unefemme libreetaventuriĂšre,passionnĂ©eetsanslimites. De sa jeunesse danoise Ă son Ă©mancipation littĂ©raire, sonparcours illustre et questionne une Ă©poque –colonisation, PremiĂšre Guerre mondiale,relations entreles peuples,rapportsĂ l’autre et Ă lanature, etc. –, mais Ă©galementune personnalitĂ© complexemarquĂ©e parlaforce du dĂ©siretlarĂ©sistance Ă laperte et Ă l’échec.Pendant lesdix-sept annĂ©esqu’elle passeau Kenya,mariĂ©epuisdivorcĂ©eaubaron suĂ©doisBrorvon Blixen-Finecke –qui luitransmetuntitre de noblesse, mais aussilasyphilis–, KarenBlixendirige pendant dixans la Karen Coffee Company, une fermedecafĂ©comptant plusieurs centaines d’employĂ©s.Devenue l’une despremiĂšresdirigeantes de grande entreprise au monde, avantde tout perdre,elleconnaĂźt surtoutune grande histoire d’amouravec l’Afriqueorientale britannique :« Un vasteunivers de poĂ©sie s’est ouvert Ă moi et m’alaissĂ©e pĂ©nĂ©trer en lui, ici, et je luiaidonnĂ© mon cƓur.» UnemaniĂšre de trouverunĂ©quilibre dans l’ailleurs,pourcelle queles hautsetles basn’auront cessĂ©detourmenter. ■ C.F.

DANS LESMAILLES DU FILET

Un ouvragedocumenta ire implacable su rlav ie SACR IFIÉEDES EN FA NTSSOL DATS.

EN 2020,A nnePoiret, journaliste et rĂ©alisatrice de filmsdocumentaires, prĂ©pare un reportage surles enfants de l’État islamique. Troisans aprĂšslavictoire de l’Irak,elleveutanalyserl’aprĂšs-guerre, le traumatisme, ce qu’ilreste du conf lit en eux. Parmices «lionceaux du califat», certainsYĂ©zidis sont parquĂ©sdansdes camps de dĂ©placĂ©s.C’est au camp de Kadiaqu’elle recueilleletĂ©moignagedeMahar,kidnappĂ© Ă dix ansauKurdistan irakien. Dans lesrangs de Daech, il connaĂźtl’endoctrinement desĂ©colescoraniques, la violence des centresd’entraĂźnement, l’enferdes combats. Àdouze ans, il se batĂ  Deir ez-Zor,enSyrie, et Ă Mossoul,enIrak. Àtout cela, il asur vĂ©cu. Mais Ă quelprix? Saisissant ■ C.F.

AN NE POIR ET ET LA RS HORN EM AN, Mahar le lionceau,oul’enfanceperdue des jeunes soldatsdeDaech, Delcourt,144 pages, 18,95 €

ON EN PA RL E 20 AF RI QU EM AGA ZINE I 45 3–J UIN 20 24
HI ST OI RE
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L’a ct ric e Nisr in E rrad i incarn e ici u ne ar ti ste incom prise

LO NG -M ÉT RA GE

TRANSE IDENTITAIRE

Une chanteuse ma roca ine, hĂ©ritiĂšre d’une trad it ion Ă  l’odeu r de souf re, rĂȘve de gloi re Ă  Casa blanca. Na bi l Ayouch livre un sa isissa nt PORT RA IT DE FEMME, prĂ©sentĂ© en prem iĂšre mond ia le au Fest ival de Ca nnes.

LA DERNIÈRE IM AGE du film nous cueille. On ne la racontera pas ici, mais la scĂšne finale est Ă  la hauteur des ambitions du nouveau scĂ©nario de Maryam Touzani et Nabil Ayouch : nous faire suivre le parcours d’une artiste venue des marges de la sociĂ©tĂ© et des confins du Maroc. Touda fait partie de ces femmes mal comprises, notamment par les hommes, issues d’une lignĂ©e de chanteuses : les cheikhat ParĂ©es de leurs plus beaux atours, leurs longs cheveux souvent lĂąchĂ©s, elles dĂ©clament des textes d’amour, de rĂ©sistance ou d’initiation, souvent grivois et qui viennent du fond des Ăąges Farouchement indĂ©pendantes, fardĂ©es et portant de lourds bijoux sur leurs robes somptueuses, les cheikhat ont souvent mauvaise rĂ©putation et payent cher leur amour pour ces chants immĂ©moriaux et impudiques Touda, radieuse quand elle chante, au bord de la transe, doit rappeler brutalement Ă  ceux qui prennent ses paroles au premier degrĂ© : « Je suis une chanteuse, pas une pute ! » Le malentendu est aussi artistique : on l’apprĂ©cie pour ses talents de chanteuse – « tout le monde aime Touda », comme le dit un animateur de soirĂ©e, donnant son titre un peu ironique au long-mĂ©trage. Mais elle veut surtout incarner ce cri des cheikhat, la aĂŻta, un appel puissant et rugueux, assez Ă©loignĂ© des chansons taillĂ©es pour les mariages ou les cabarets

C’est alors qu’elle se met en tĂȘte de rejoindre Casablanca, oĂč elle pourra prouver son talent et l’exposer sur les plus grandes scĂšnes. Afin d’incarner un tel personnage, il fallait bien une actrice Ă  poigne, capable de laisser exploser toutes ses Ă©motions. Nisrin Erradi incarnait dans Adam (2020), de Maryam Touzani, une femme perdue, enceinte, qui parvenait Ă  attendrir une veuve un peu revĂȘche, pĂątissiĂšre dans la mĂ©dina Comme dans le cinĂ©ma italien en noir et blanc, elle a la trempe d’une Anna Magnani pour camper une femme du peuple qui ne se laisse pas faire. Mais son personnage est ici sublimĂ© par la mise en scĂšne colorĂ©e de Nabil Ayouch, qui avait su si bien montrer dans Much Loved (2015) le quotidien solidaire de prostituĂ©es de Marrakech confrontĂ©es Ă  l’hy pocrisie morale de la sociĂ©tĂ©. Cette fois-ci, il n’est pas question de rapports tarifĂ©s, ni de soutien entre pairs : Touda est toute seule dans ses rĂȘves, son ambition, et elle se raccroche Ă  l’amour qu’elle porte Ă  son petit garçon pour avancer et porter au sommet un art dĂ©criĂ© qu’elle maĂźtrise avec fougue Sa destinĂ©e nous emporte avec elle, magnifiquement, jusqu’au dernier acte, bouleversant ■ J.-M.C EVERYBODY LOVES TOUDA (Maroc-France), de Nabil Ayouch. Avec Nisrin Erradi, Jalila Talemsi, Abdellatif Chaouqi En salles prochainement

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TRAVEL.

Le voyage en s’habillant

Patrice Kouadio, DESIGN ER

IVOI RI EN nous pa rle de

Ma rrakech Ă  travers ses CA RT ES

POSTAL ES VEST IM EN TA IR ES.

PLONGER DANS MARRAKECH, son architecture, ses couleurs, ses paysages, prendre des Ă©lĂ©ments de la culture ivoirienne et tout mĂ©langer pour donner vie Ă  un style particulier, oĂč chaque piĂšce raconte une histoire. Patrice Kouadio a alliĂ© sa passion pour la mode et pour l’architecture Ă  son histoire personnelle pour donner vie Ă  TRAVEL. en 2023. Un label qui lui a permis de dessiner des vĂȘtements qui lui ressemblent et de partager en mĂȘme temps son amour pour la ville ocre. Telles des cartes postales vestimentaires uniques, ses silhouettes sont conçues pour Ă©voquer des souvenirs de voyage et d’ailleurs. Ivoirien trentenaire

installé au Maroc depuis ses études en ingénierie marketing, Kouadio travaille sur ce projet depuis plusieurs années.

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MOD E PA RL E
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Over sized et confor ta ble s, le s coup es s’ad a pte nt à toutes le s mo rpho lo gi es.

Prenons cet Ă©lĂ©ment dentelĂ©, qui est une sorte de signature de sa marque et de son agence de crĂ©ation et arts visuels, EsthĂšte studio. Ce symbole gĂ©omĂ©trique que l’on retrouve partout Ă  Marrakech, il l’avait remarquĂ© lors de ses flĂąneries estudiantines dans la mĂ©dina, sur le minaret de la Koutoubia. CaptivĂ©, il en a fait le point de dĂ©part de son projet, le transformant en poche de chemise au dĂ©part, et par la suite en en faisant un motif ciselĂ© sur ses boutons chrome et or de quatorze carats. Au fil des saisons et des capsules, rĂ©alisĂ©es en Ă©dition limitĂ©e par une ancienne petite main de Dior, le designer troque la laine bouclette pour le coton kĂ©ria local et pour la soie – des tissus provenant de fins de stocks des grandes marques, qu’il mĂ©lange parfois avec du pagne baoulĂ© ivoirien dĂ©structurĂ©. Il garde, en revanche, toujours l’amour des coupes oversized, souples, dĂ©contractĂ©es et adaptĂ©es Ă  toute morphologie. Dans la derniĂšre collection, « Symphonie de l’étĂ© », ses Traftans (Travel+caftan) s’inspirent du coucher de soleil sur Marrakech, ou de la vue de la ville depuis l’avion. L’ensemble Dot archi-kech reprend le tracĂ© des parcelles cultivĂ©es avec un motif Ă  pois qui est un clin d’Ɠil au point du logo. D’autres piĂšces Ă©largissent la palette au reste du pays, Ă©voquant le ciel d’Essaouira ou les pierres et le sable de la terre d’Agafay. @shop_travel ■ L.N.

mmage s Ă  la vil le oc re, son arc hi te ct ure et ses pa ysag es, le s co ll ecti on s de Koua d io ra conte nt un e hi stoire.

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BALADE AU CAP

TROIS SPOTS oĂč s’arrĂȘter pour savourer la ville dans un environnement culinaire

COSMOPOLITE ET MODERN E.

BOUILLONNA NT, le Cap est l’une des villes les plus vivantes de la scĂšne gastronomique sud-africaine. Un panorama oĂč Vadivelu occupe une place spĂ©ciale Avec le slogan « Indian With Attitude », ce resto Ă  la dĂ©co jungle-contemporaine, inaugurĂ© en 2023 dans la trĂšs trendy Kloof Street, propose des plats 100 % sud-africains et indiens – c’est-Ă -dire les recettes de la diaspora, notamment tamoule, arrivĂ©e dans le pays Ă  la fin du XIXe À la carte, vegan-friendly, de la streetfood, comme les Pop Cones (galettes farcies avec fromage panir, chou mijotĂ© et oignons sautĂ©s) ou les bouchĂ©es de gambas tik ka, mais aussi les curr ys en tout genre. Y compris ceux de Durban, sans crĂšme, lait, yogourt ou beurre Dans le centre-v ille, on peut s’arrĂȘter chez Shuck + Scoop pour goĂ»ter les huĂźtres du Cap, parmi les meilleures au monde, que le chef pluri-primĂ© Rikku O’Donnchu sert accompagnĂ©es de glaces crĂ©meuses au sĂ©same, au chou-f leur ou au yuzu, et autres mets croustillants Une expĂ©rience sensorielle multiple, qui va du sandwich Tempura Oyster Club aux huĂźtres pochĂ©es dans la biĂšre, avec Ɠufs brouillĂ©s aux algues nori et kimchi au concombre. Des combinaisons inĂ©dites dans un lieu

particulier : The Wiggle Room. Il s’agit d’un concessionnaire automobile, qui fait aussi bar, resto et boutique de luxe Loin du front de mer, dans le quartier mĂ©tissĂ© et bohĂ©mien d’Obser vatory, le biologiste reconverti Ă  la food Tapiwa Guzha a ouvert en fĂ©vrier 2020 Tapi Tapi, un cafĂ©-glacier pas comme les autres Pour les ingrĂ©dients, des glaces et des plats avant tout. Et ils sont tous fiĂšrement indigĂšnes : des pousses de bident hĂ©rissĂ©es de rooibos au millet, en passant par le tamarin. Mais aussi pour la dĂ©co, qui cĂ©lĂšbre l’hĂ©ritage africain, et l’ambiance Dans une ville trĂšs blanche et hipster, ce cafĂ©, dont le nom Ă©voque tant les sucreries qu’une joie enfantine Ă  ceux qui parlent le shona, est un lieu oĂč tout le monde peut se sentir Ă  l’aise. vadivelu.co. za/ wiggle.capetown/tapitapi.co. za ■ L.N.

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SP OT S
VADIVELU TAPIWA GUZHA SHUCK + SCOOP

À Accra, sur la terre de David Adjaye

L’ARCH IT ECTE BR ITAN NICO-GHA NÉEN a livrĂ© une rĂ©sidence ar tist iq ue en terre, bois et bĂ©ton qu i ma rq ue son retour su r la scĂšne loca le.

LA RÉSIDENCE ARTISTIQUE Dot.ateliers, constr uite sur le front de mer d’Osu, Ă  Accra, Ă  la demande du GhanĂ©en Amoako Boafo, avait Ă©tĂ© partiellement inaugurĂ©e en fanfare dĂ©but 2023. Le cabinet de David Adjaye, responsable du projet, a rĂ©cemment annoncĂ© avoir apportĂ© les derniĂšres touches au bĂątiment carrĂ© de trois Ă©tages en terre et en bois, ponctuĂ© d’élĂ©ments en bĂ©ton brut Il accueille un espace de cowork ing et une bibliothĂšque, mais aussi un cafĂ© avec jardin, un studio et une galerie d’exposition InstallĂ©e au dernier Ă©tage, cette derniĂšre a Ă©tĂ© recouverte par un toit en dents de scie et des verriĂšres qui l’inondent de lumiĂšre naturelle Chaque ouverture du bĂątiment a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©e pour favoriser la transition intĂ©rieurextĂ©rieur, encadrant des vues de la ville et de l’ocĂ©an, et Ă©clairer doucement les espaces. Pour Adjaye, qui gĂšre toujours la direction ar tistique du cabinet, mais a cĂ©dĂ© la gestion de ses trois agences quelques mois aprĂšs avoir Ă©tĂ© accusĂ© d’agressions sexuelles par des anciennes salariĂ©es (accusations qu’il nie) et avoir perdu plusieurs commandes, ce projet annonce un retour. Un test en terrain sĂ»r – son Ghana natal – avant de livrer en fin d’annĂ©e le chantier du Museum of West Af rican Ar t, Ă  Benin City. dotateliers.space ■ L.N.

AR CH I
DR

Alassane et Do mi niqu e Oua ttara, avec, à ga uc he, Al ly Coul ib aly, gran d ch ancel ie r de l’ordre nat ional, et à droite, Da niell e Be n Ya hm ed, Fran ço is e Rem arck , mi nis tre de la Cu ltu re, et Zyad Li ma m.

ON EN PA RL E 26 AF RI QU E MA GA ZINE I 453 – JUI N 20 24 UN PRIX BÉCHIR BEN YAHMED POUR LE JOURNALISME AN NONCE

À droi te, DBY ann onc e le lancem ent du prix.

Dans le cadre DU SALON DU LIVR E D’ABIDJA N,

un hommage a Ă©tĂ© rendu Ă  BBY, avec l’annonce d’un prix Ă  son nom.

JEUDI 16 MA I. Bienvenue au magnifique

Parc des expositions d’Abidjan, que l’on doit Ă  l’architecte Pierre Fakhoury C’est la semaine du Salon international du livre (SIL A), quatorziĂšme Ă©dition, le plus important de la rĂ©gion, avec une foule de passionnĂ©s, de curieux, d’étudiants et d’écoliers. MalgrĂ© la fragilitĂ© du secteur, l’écrit, le livre, ne se porte pas si mal en CĂŽte d’Ivoire Pour Anges FĂ©lix N’Dakpri, prĂ©sident de l’Association des Ă©diteurs de CĂŽte d’Ivoire (A ssedi) et commissaire gĂ©nĂ©ral du SILA, le secteur bouge, mĂȘme si une grande part des publications relĂšve encore du marchĂ© des livres scolaires. Ce 16 mai, c’est aussi une journĂ©e particuliĂšre pour nous Dans le cadre du SILA, un hommage est rendu Ă  BĂ©chir Ben Yahmed, fondateur de Jeune Af rique, l’homme qui a eu l’intuition improbable et rĂ©volutionnaire de crĂ©er et faire vivre un magazine indĂ©pendant pour tout le continent. Un hommage Ă  celui qui nous a quittĂ©s il y a dĂ©jĂ  trois ans, le 3 mai 2021, le mĂȘme jour que celui de la libertĂ© de la presse, comme dans un remarquable et ultime message. BBY aura Ă©tĂ© un entrepreneur dĂ©terminĂ©, un journaliste convaincu, un militant des Suds, un observateur lucide, sans complexe, de la vie internationale. Cet hommage d’Abidjan, on le doit d’abord Ă  son Ă©pouse

Danielle Ben Yahmed, bien dĂ©cidĂ©e Ă  faire vivre l’Ɠuv re de BBY, Ă  transmettre l’hĂ©ritage aux nouvelles gĂ©nĂ©rations. On le doit au prĂ©sident Alassane Ouattara, et Ă  la PremiĂšre dame

Dominique Ouattara, des amis de BBY et de DBY, qui ont soutenu la dĂ©marche, et qui se sont associĂ©s Ă  la cĂ©rĂ©monie. Cet hommage, on le doit enfin Ă  Ally Coulibaly, grand chancelier de l’ordre national. À Françoise Remarck, ministre de la Culture et de la Francophonie et ses collaborateurs. Et aussi Ă  Anges FĂ©lix N’Dakpri et aux Ă©quipes du SILA Le moment

aura aussi donnĂ© l’occasion au prĂ©sident et Ă  la PremiĂšre dame de visiter les stands du SILA Une visite prĂ©sidentielle chaleureuse, quasiment historique, la premiĂšre depuis prĂšs de vingt ans. Alassane Ouattara et BĂ©chir Ben Yahmed Ă©taient amis de trĂšs longue date, l’un Ă©tant politique, l’autre Ă©tant journaliste et Ă©diteur, ce qui ne manquait pas d’animer leurs conversations et leurs Ă©changes. Et c’était normal de tous se retrouver Ă  Abidjan. Les tĂ©moignages et les discours ont Ă©tĂ© de grande qualitĂ©, sincĂšres, Ă©mouvants, vivants, et drĂŽle parfois, avec l’anecdote nĂ©cessaire. Des amis, des anciens collaborateurs Ă©taient venus d’un peu partout : de Paris, de Tunis, de Conakr y, de Casablanca, de Bamako, de Dakar, d’Abidjan Ă©v idemment, de Librev ille aussi. Des journalistes, des entrepreneurs, des auteurs, des professionnels de la presse sont prĂ©sents dans la salle.

Au-delĂ  de l’hommage, et de la rĂ©union d’amies et d’amis, l’évĂ©nement a permis Ă  Danielle Ben Yahmed d’annoncer un moment fort : la crĂ©ation d’un prix de journalisme BĂ©chir Ben Yahmed L’ambition sera de soutenir et distinguer ceux et celles, en Afrique, qui contribuent activement Ă  ce mĂ©tier si nĂ©cessaire, plus encore aujourd’hui. Le travail est en cours. Il s’agit de mettre en place le conseil de personnalitĂ©s chargĂ©es de finaliser le projet, d’identifier clairement les catĂ©gories primĂ©es. Avec comme objectif l’attribution des prix, l’annĂ©e prochaine, en mai 2025 Et avec certainement d’ici lĂ  une ou deux Ă©tapes intermĂ©diaires. On en reparlera, Ă©v idemment ■ Zyad Limam

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Nincemon Fallé

Lauréat

du prix

EST UNE JEUNE PLUME À SUIVRE

Voix d’Afriques, L’ÉCRIVAIN IVOIRIEN

. Son roman d’apprentissage Ces soleils ardents dĂ©peint avec justesse et maturitĂ© l’entrĂ©e dans l’ñge adulte de deux amis Ă©tudiants Ă  Abidjan, entre aspirations, espoirs et difficultĂ©s. propos re cueillis par Astrid Krivian

En langue guĂ©rĂ©, son prĂ©nom signif ie « le feu n’est pas Ă©teint » : une philosophie qui traverse son premier roman, justement nommĂ© Ces soleils ardents Nincemon FallĂ© narre le parcours de deux jeunes amis, Iro et Thierr y, Ă©tudiants en lettres Ă  l’UniversitĂ© FĂ©lix HouphouĂ«t-Boigny, Ă  Abidjan. AnimĂ©s par la flamme de leurs aspirations, de leurs passions – l’écriture pour l’un, la couture pour l’autre –, dĂ©sireux de se faire une place au soleil, ils font face Ă  la prĂ©caritĂ© Ă©tudiante, aux perspectives d’avenir compromises, aux Ă©preuves personnelles, aux injonctions sociĂ©tales, au poids de l’hĂ©ritage familial. « Je voulais raconter la jeunesse ivoirienne, qui a des ambitions, soif de rĂȘves, mais qui se trouve dans des situations difficiles, compliquĂ©es », dĂ©roule l’auteur Nourris de ses propres doutes, ses hĂ©ros sont inspirĂ©s de ses observations lors de ses Ă©tudes dans cette mĂȘme facultĂ©. Pour eux, rĂ©ussir est la seule option possible. « Ils n’ont pas de soutien familial ; la sociĂ©tĂ© ne se plie pas en quatre pour les aider. Il faut donc prendre des dispositions particuliĂšres. » Le goĂ»t amer de la dĂ©faite laisse vite place Ă  l’espoir. « La rĂ©silience est intrinsĂšque aux Ivoiriens. On trouve une lueur dans l’obscuritĂ©. Mon roman transmet un message d’espoir : malgrĂ© notre situation, on va se battre et s’en sortir. » Ce rĂ©cit d’apprentissage aborde aussi la transmission, le rappor t pĂšre-f ils – comment se constr uire quand le pĂšre est « dĂ©faillant » ? Iro et Thierr y vont s’affranchir de la norme, se libĂ©rer du rĂŽle auquel on veut les assigner. « La sociĂ©tĂ© attend d’un homme qu’il Ă©tudie, travaille, gagne de l’argent, achĂšte une maison, fonde une famille. Refuser ce schĂ©ma, ce canevas, est un travail de dĂ©constr uction difficile, mais nĂ©cessaire, afin de creuser son propre chemin. » Le primo-romancier de 22 ans partage avec son personnage Iro une vision absolue de l’écriture. « Il faut s’y consacrer entiĂšrement, tout donner de soi – ses sentiments, ses Ă©motions », confie-t-il. En grandissant Ă  Yopougon, « la commune populaire de la joie, de la fĂȘte, Ă  Abidjan », il se passionne trĂšs tĂŽt pour le dessin, qu’il pratique, le cinĂ©ma, la BD, la photographie. Les livres ? Un objet prĂ©tentieux Ă  ses yeux. Mais quand son pĂšre et son grand-pĂšre l’incitent Ă  lire, Ă  dĂ©couv rir des auteurs, il y prend goĂ»t. Premier coup de cƓur : le palpitant Les Frasques d’Ébinto, d’Amadou KonĂ©, dĂ©vorĂ© en deux jours. À l’adolescence, il Ă©crit des histoires cour tes publiĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux. La saga L’Amie prodigieu se, d’Elena Ferrante, nourrit son dĂ©sir de dĂ©peindre une amitiĂ© tout en racontant en toile de fond un peuple, une ville. En parallĂšle de ses Ă©tudes de lettres modernes, il passe un BTS en communication visuelle, puis devient graphiste dans une agence de communication C’est le prix littĂ©raire Voix d’Af riques, lancĂ© par les Ă©ditions JC LattĂšs, RFI et la CitĂ© internationale des ar ts, qui le pousse Ă  Ă©crire Ces soleils ardents « Je fonctionne beaucoup Ă  la pression » Pari gagnĂ© : il est le laurĂ©at 2024. « Un rĂȘve Ă©veillĂ© ! », d’autant que l’écrivain sĂ©nĂ©galais Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021, prĂ©sidait le jury « Ses encouragements, ses fĂ©licitations m’ont rĂ©confortĂ© », s’enthousiasme-t-il. Loin de se reposer sur ses lauriers, il planche dĂ©jĂ  sur son prochain roman. ■ Ces soleils ardent s, JC LattĂšs, 306 pages, 20 euros

PA RC OU RS 28 AF RI QU E MA GA ZINE I 453 – JUI N 20 24
«Je

voulais raconter la jeunesse ivoirienne, qui a des ambitions, soif de rĂȘves, mais qui se trouve dans des situations diffciles, compliquĂ©es.»

VÉRONIQUE CARDI

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UN TRAFIC OUBLIÉ

C’es t un fl Ă©a u au quot idien, qu i se dĂ©velop pe, croĂź t et em pire tranquillement d’annĂ©es en annĂ©es. Entre les coups d’État, les guerres, le terrorisme, les sĂ©cheresses et autres actualitĂ©s alarmantes qui frappent le continent, on l’a presque oubliĂ© Pour tant, le trafic de mĂ©dicaments et les contrefaçons explosent en Afrique de l’Ouest, et font environ 50 0 000 victimes par an. Selon un rappor t de l’Of fice des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), entre 19 et 50 % des molĂ©cules qui circulent en Mauritanie, au Mali, au Niger ou au Tchad sont de qualitĂ© infĂ©rieure Ă  la moyenne ou falsifiĂ©es Un chif fre qui grimpe Ă  80 % en GuinĂ©e ou au Burkina Faso, selon d’autres Ă©tudes menĂ©es par la Cedeao.

Ce trafic, selon certaines estimations, serait encore plu s lu cr at if que ce lu i de la dr og ue. Il rapportait dĂ©jĂ  en 2019 autour d’un milliard de dollars. Et d’aprĂšs les experts et enquĂȘteurs, les faux mĂ©dicaments et vaccins se sont multipliĂ©s depuis le Covid -19, palliant pour beaucoup la pĂ©nurie gĂ©nĂ©rale vĂ©cue pendant la pandĂ©mie Ces mĂ©dicaments prolifĂšrent en toute impunitĂ©, faute d’un cadre juridique adaptĂ©, et proviennent de deux circuits qui se complĂštent. Ils peuvent ĂȘtre directement produits dans des usines clandestines de faux installĂ©es au Maroc, au Ghana, au SĂ©nĂ©gal, au Nigeria, ou encore en Inde ou en Chine. Il pe ut au ss i s’ag ir de m Ă©d ic ame nt s dĂ© ro utĂ©s Ă  pl usi eu rs en dr oi ts d’un e ch aĂźn e de pr od ucti on lĂ©gal e. La corruption gĂ©nĂ©ralisĂ©e, depuis l’employĂ© de labo au revendeur sur le marchĂ©, en passant par les transpor teurs et les agents de sĂ©curitĂ©, se charge du reste. On se souvient par exemple qu’en 2022, 70 enfants gambiens mouraient brutalement aprĂšs avoir ingĂ©rĂ© un sirop contre la toux fabriquĂ© en Inde
 Entre les placebos, les mĂ©dicaments pĂ©rimĂ©s et les substances carrĂ©ment toxiques, ce trafic tue en toute impunitĂ©.

En Af rique de l’Es t, cer taines in st it ution s exis tent, traq uent les fi liĂšres, mai s di spos ent en co re de peu de leviers juridiques pour aller plus loin. Et on vient par exemple de faire retirer de la vente au Kenya, en Afrique du Sud ou au Nigeria un sirop pour enfants commercialisĂ© par une marque amĂ©ricaine, pour surdosage en diĂ©thylĂšne glycol, qui peut ĂȘtre toxique, voire mor tel. Mais il est bien rare de voir le sujet des faux mĂ©dicaments et des substances frelatĂ©es clairement mentionnĂ© dans les politiques de santĂ© des pays d’Afrique de l’Ouest On le sait, tout trafic, international de surcroĂźt, est trĂšs difficile Ă  enrayer. Mais celui- ci touche particuliĂšrement notre continent et prospĂšre au vu et au su de tous, presque en silence. Il serait temps d’en faire une prioritĂ©. Aussi. ■

AF RI QU E MA GA ZINE I 45 3 – JUI N 20 24 31
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