Business, culture, art de vivre, institutions, sécurité… Notre classement exclusif des quinze villes les plus attractives du continent.
INTERVIEWS
◗ Jean-Baptiste Bancaud et la radio
◗ Malik LakhdarHamina et le film de son père
◗ Bilguissa Diallo et la tragédie de Conakry +
Au cœur des transformations de l’Afrique
ChezAGL,noussommes fersdesoutenir le football féminin. Contribuer àl'essorducontinent,c’est aussi valoriserles femmes quilefont avancer.Qu’elles soient spor tives,leadersouinnovatrices,elles font bouger leslignes.À traversnotre soutien à la Coupe d’Afrique des Nations féminineCAF TotalEnergies,Maroc 2024, nous célébrons les femmes africaines sur tous lesterrains.
L’IA DOIT PASSER PAR NOUS
La révol u ti o n est en cou rs, in exor able , de m agnitud e civ ilis at ion ne lle . Pl us en co re qu e la révolution industrielle qui bouleversa les économies et les sociétés du XIXe siècle L’IA , l’intelligence ar tificielle, l’enfant ultime et surdoué du World Wide Web, dont on expérimente aujourd’hui la préhistoire technologique, aura des impacts majeurs sur la mani ère dont nous v ivon s et travai ll on s en so ci ét é. Au jo urd’ hu i, l’ou ti l es t im pa rfai t, hé si ta nt. Le s nu an ce s et la cu lt ure lu i échappent. Mais la machine progresse. Et sur les plans quantitatif et analytique, elle est déjà très performante.
L’IA va transformer l’économie globale, bouleverser le marché du travail, les process des entreprises. Elle va transform er les communications, les traductions, le s éc ha ng es en tr e hu ma in s. El le va tr an sf orm er l’ag ri cu lt ure en fo ur ni ss ant de s ou ti ls d’an al ys es au millimètre (sols, climat, intrants, chaîne de valeurs…), t ra ns fo rm er le s pa ra di gm es de la mé de ci ne, avec une capacité de gestion de données inaccessible à l’homme. Elle va impacter les questions de souveraineté nationale, de politique, elle va modifier (elle le fait déjà) la manière de faire la guerre, d’espionner…
L’IA va dominer ce monde en train de naî tre… Les risques sont connus, existentiels : désinformation, manipulation, discrimination, perte de contrôle humain avec des processus automatisés Un futur non maîtrisé est larg ement possible, qui pourrait ressembler à un mélange ef frayant entre Big Brother et Terminator
Le scénario du pire est loin d’être sûr, et la maîtrise de l’outil est probable. Mais le monde de l’IA risque d’ êt re su rtou t un mo nd e en cor e pl us in ég al it ai re In ég al it ai re da ns ch aq ue na ti on , en tr e ce ux qu i auront la capacité de l’utiliser, d’en bénéficier. Et ceux qu i ne l’au ro nt pa s. Et su rtou t in ég al itai re entre le s nations L’IA demande des ressources phénoménales, en mo de s de ca lc ul , en es pa ce s de stoc ka ge, en re ss ou rc es én er gé ti qu es En fi na nc em en ts , do nt l’échelle est un multiple en milliards de dollars.
Selon une étude de l’Université d’Oxford, seule une trentaine de pays abritent les méga -data centers qui forment l’architecture du fameux Cloud, indispensable
au développement de l’IA Les États- Unis et la Chine font la course en tête de très loin Et ils sont aussi les seuls producteurs ou presque des superpuces nécessaires pour faire tourner la machine. L’Europe dispose tout de même d’avantages précieux : la production électrique, les rése aux numériqu es, les comp étences. Les pays du Golfe tentent de s’imposer sur la carte à coups de diza in es de millia rd s de do ll ar s. L’Am érique la tine et surtout l’Afrique sont très loin…
Dans son best-seller Homo Deus (2015), Yuval Noah Harari nous prévient. La révolution numérique et l’es so r de l’IA ne su iv ro nt pa s le mê me sc hé ma qu e ce lu i de la révo lu ti on in du st ri el le du XI X e si èc le : « Les technologies du XXI e siècle pourraient créer une d iv is io n pe rm an en te en tr e de s su pe rp uis sa nc es technologiques et le reste du monde. »
Pour l’Afrique, la prise en compte de l’impact de l’IA est cruciale. Aujourd’hui, le continent, avec ses 54 pays et son 1,4 milliard d’habitants, représente moins de 1 % de la capacité mondiale en data centers Certes, nous utilisons tous les jours un peu plus des applications qui peuvent transformer le quotidien. Mais l’IA n’a pas l e po uvoi r ma gi qu e de ré gl er to ut es le s qu es ti on s du développement. Certes, des grandes entreprises du pr em ie r mon de dé ve lop pe nt de s ca paci té s, e n Af ri qu e du Su d, en Côte d’Ivoi re, au Ke ny a, au Ghana, au Maroc… Mais nous sommes terriblement dépendants et démunis – de moyens de financements, d’ én ergi e… – po ur no us in sc ri re da ns cette co ur se, pour ne pas être que des petits clients définitivement relégués en division deux du monde qui vient. David Solomon, patron de Goldman Sachs, illustre l’enjeu : « L’IA peut faire 95 % du travail en quelques minutes… Les 5 % restants sont désormais ceux qui comptent, car tout le reste est devenu une commodité. »
Nous devons mobiliser les ressources pour pouvoir être un acteur non marginal des 95 %, pour avoir la capacité de stocker la commodité. Mais nous devons su rtou t êt re ca pa bl es d’ut il is er l’ou ti l, de fo rm er no s jeunes, de développer nos propres applications Pour faire partie des 5 %. ■
PA R ZYAD LI MAM
3 ÉDITO
L’IA doit passer pa r nous par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
C’EST DE L’ART, DE LA CU LT UR E, DE LA MODE ET DU DESIGN L’Afrique de retour au MET
26 PA RCOURS
Laura Pr ince par Astr id Kr ivian
29 C’EST COMMEN T ?
Osez l’Afrique ! par Emmanuelle Pont ié
48 CE QU E J’AI APPRIS
Gabr iel Mwènè Okou ndji par Astr id Kr ivian
90 VINGT QU ESTIONS À…
Jenny Paria par Astr id Kr ivian
TEMPS FORTS
30 Best Cities par Zyad Limam
50 Malik Lakhdar-Hamina : « Même dans l’écritu re, le lm n’a pas vieilli » par Jean-Mar ie Chazeau
56 Jean-Mar ie Emébé : « Il faut savoir rester hu mble » par Astr id Kr ivian
62 Bilg uissa Diallo : « J’aime les histoires de vies hu maines » par Astr id Kr ivian
68 Dakar-Djibouti : une mission en cont rechamp par Luisa Nannipieri
76 Jean-Baptiste
Bancaud :
« Je n’ai aucu n doute su r l’avenir de la radio » par Emmanuelle Pont ié
BUSINESS
80 La mer, en danger d’extinction
84 Patr ice Breh mer : « La coopération entre États est essentielle »
86 La Guinée fait pression su r les compag nies minières
87 Côte d’Ivoire : la biomasse à la rescousse
88 Au Sénégal, coup de chaud avec les pétroliers
89 165 milliards de dollars inexploités su r le continent par Cédr ic Gouver neur
C’es t ma in te na nt , et c’es t de l’ar t, de la cu lt ur e, de la mo de , du de si gn et du vo ya ge
L’aile Michael- C.-Rockefeller du MET, consacrée aux ar ts d’Afrique, des Amériques précolombiennes et d’Océanie.
L’AFRIQUE DE RETOUR AU MET
Le célèbre MUSÉE NEW-YORK AIS consacre tout une ai le, rénovée et repensée, à son importante collection d’ar t af rica in, sa ns ou bl ier la création CONT EM PORA IN E.
LE METROPOLITAN MUSEUM OF ART (MET), véritable institution à New York, a rouvert ses galeries consacrées à l’art africain, qui étaient fermées depuis 2021 Situés dans l’aile Michael-C.-Rockefeller, de nouveaux espaces revoient la façon dont est présentée la collection d’œuvres en provenance d’Afrique subsaharienne, s’appuyant sur des recherches contemporaines et des échanges avec un réseau d’experts internationaux. Le projet, imaginé par l’architecte Kulapat Yantrasast, évoque la structure de la grande mosquée de Djenné, au Mali, avec un plafond vertigineux surmonté de cloisons horizontales qui évoquent des nerv ures, et une série de niches latérales. « Ce concept reflète la nécessité de transmettre l’autonomie des centaines de cultures distinctes représentées, et de
mieux les contextualiser historiquement et culturellement », explique l’architecte. La nouvelle exposition permanente présente une sélection de quelque 500 œuvres de la collection, du Moyen Âge à nos jours. Elle comprend aussi de nouvelles acquisitions, notamment des photos emblématiques de Seydou Keïta, Malick Sidibé, Samuel Fosso, Zanele Muholi et David Goldblatt, entre autres L’exposition inaugurale, intitulée « Iba Ndiaye : Entre latitude et longitude », met par ailleurs en lumière le travail du moderniste sénégalais Dans la galerie In-Focus trône son œuvre Taba ski III, dédiée à la fête de l’Aïd al-Adha, en dialogue avec des œuvres de Rembrandt, Goya et Degas, ainsi qu’avec des miniatures islamiques, des sculptures, des textiles et des pièces d’orfèvrerie africaine qui ont inspiré l’artiste. ■ Luisa Nannipieri
SH ADYLEWIS, Brèvehistoire de la Création et de l’estdu Caire, ActesSud, 224pages,22 €.
DANS LESRUES DU CAIRE
Au sein d’unesociété FR ACTU RÉE, le jeuenapparence innocent d’un enfant masq ue uneréa lité TROU BL AN TE.
AU CŒUR D’UN QUARTIER populairedelacapitaleégy ptienne, le jeuneSharifv it dans la ruenuméro30. La maison familiale estlethéâtre d’unev iolencedomestiqueoùlepère, frustrépar sa marginalisationsociale et seséchecspersonnels, règneen maître.Cemicrocosmesuffocant devientrapidementlamétaphore d’un mondehostile et absurde, où s’opposent leshommesetles femmes,les islamistes et lesCoptes, l’État et la société… Faute de pouvoircomprendreounommercette frontièremouvante entreparadis et enfer, l’enfant-narrateur choisitdelaquantifier: lescoups portés àsamère, lesminutes avantqu’elle reprenne connaissance,letemps entreles cris et leslarmes. Nous sommes dans l’Ég ypte postnassérienne, marquéepar lespolitiques d’ouverture(Infitah) de Sadate,puisdeMoubarak, et parles tensions croissantesduesà l’autoritarisme, àlapaupérisation et à la crispation religieuse. Sous la plumedel’auteurde Surleméridien de Greenwich,finaliste du Prix de la littératurearabe 2023,lehuis clos familial prendlaforme d’unefresque sociale. Inspiréesde faitsréels,les tensions communautaires s’yrejouent, tandis que se manifesteune oppression systémique dans unev ille en pleine expansioncapitaliste,encorehantéepar lesfantômesdurégime de Nasser.Danscetroisième roman, ShadyLewis,dontl’écriture s’articule autour descroisements culturelsetpolitiques au sein et au-delàdumonde arabe, exploreune nouvelle fois l’identité copteetses attributs nationauxetreligieux àtravers le prisme des interactions de l’Ég ypte avec le mondeoccidental, notammentle colonialisme et lesmissionnaires américains ■ Catherine Faye
SO UN DS
Àécouter maintenant !
Benjam in Epps
L’Enfant sa cr éd eBel levu e2, Mocabe Nation/RCA /SonyMusic France
Lous andthe Yakuza,Abd
Djazia Satour
El Hour riya,A lwane Mu sic/ Baco Di st ribut ion.
Hi ba Tawaji
Al Malik, Dany Dan… Les collaborations ne manquent passur le nouvel album du rappeurgabonais, dont la voix s’élèvefaceà la violence absurdedes politiciensetle manque d’empathie d’un mondeauquel il souhaite conférer plus de lumière… et de groove !Cedontl’artiste témoignera égalementlorsd’une tournéequi le mènera àLaMaroquineriele23octobre 2025 C’estaveclepianistePierreLucJamain, collaborateur de Feistetd’OxmoPuccino, entreautres, quela musicienne néeàA lger (et Françaised’adoption) aimaginé ce nouvel albumsolo. Au programme, mélodies chatoyantes, clav iers chicsetbendir, cette percussion traditionnelle maghrébine particulièrement prisée desartistesberbères, dont s’accompagne Djazia Satour.Cultivant toujours sesréférencessahraouiesouhawzi, elle signel’undeses plus beauxdisques En interprétant l’«Ave Maria» lors de la réouverturede Notre-Dame de Paris, l’artiste alaisséson public bouche bée. Elle sort un témoignage de sonconcert de 2024 à l’Olympia. Au programme, deschansons en français commeenarabe célébrant l’amour(entreautresdeson pays d’origine, le Liban),des duos avec Lara Fabian, FlorentPagny,Ycare ou encore Matthieu Chedid.Dubeaulive. ■ Sophie Rosemont
Hiba Tawaji :L iveàl’O ly mpia, Mister Ibé/SA LXCO UA ML LC
GERMAINE ACOGNY : L’ESSENCE DE LA DA NSE (A llemag ne, France), de Greta-Marie Becker. En sa lles le 16 ju illet DO CU ME NT AI RE
LA PAPESSE DE LA DANSE
Un long-mét rage il lust re l’éton na nt pa rcou rs de GERM AI NE
ACOGNY, étoi le de la scène chorég raph iq ue internat iona le.
À 80 ANS PASSÉS, crâne lisse et regard saillant, l’icône franco-sénégalaise ondule un corps encore souple au son des percussions sur le sable d’une plage de Toubab Dialao, près de Dakar. Ainsi débute le documentaire de la cinéaste berlinoise Greta-Marie Becker, qui rend compte avec grâce du rayonnement d’une femme d’exception issue du continent africain Béninoise de naissance, ayant grandi dans le Sénégal de Senghor, qui lui fera connaître Maurice Béjart – un excellent choix d’archives télé montre combien elle a compté dans la danse contemporaine occidentale dès les années 1970 –, la chorégraphe et danseuse a modifié le regard porté sur les corps noirs et contribué à rendre visible l’identité des femmes d’Afrique. De nombreux extraits de captations de ses chorégraphies au fil des années montre ce corps qui se meut selon des mouvements venus du fond des âges, adaptés à l’époque moderne, en s’inspirant notamment de l’Américaine
Martha Graham Une « technique Acogny », labellisée et enseignée à l’École des sables, inaugurée il y a vingt ans
en bord de lagune, au Sénégal. Le documentaire y revient régulièrement : Germaine Acogny y vit avec Helmut Vogt, son mari, et en donne toujours l’impulsion pédagogique, même si elle a confié à d’autres le soin de perpétuer son héritage au quotidien. Une école carrefour, où les apprentis danseurs viennent de toute l’Afrique et de tous les continents Le film rend également hommage à l’engagement antiraciste de cette artiste. « Papesse de la danse », entend-on dans le film, mais aussi « Myke Tyson de dos ». C’est qu’elle est d’une grande force d’expression corporelle, mais aussi orale ! Sur scène, elle n’hésite pas, d’ailleurs, à joindre la parole au geste pour mieux dénoncer le regard biaisé du colonisateur Depuis deux ans, elle combat un danger qui menace directement son environnement : le plus grand port de porte-conteneurs du Sénégal, creusé tout près, va couper son école de l’océan. Mais Germaine Acogny a trouvé là un autre objet de lutte à transcender sur sa terre d’Afrique. Une icône de la danse face au ballet des tractopelles ■ Jean -Marie Chazeau
Pa sc oa l Vi an a de Sous a Al me id a Vi eg as Lo pe s Vi lh ete, Antigo ci ru rg iã o cu ra nd ei ro, 1970
DÉCONSTRUIRE LE COLONIALISME
À LISBON NE, un autre rega rd su r l’IM PÉRI ALISME port ugais en Af rique.
COMMENT DÉCONSTRUIRE le caractère falsificateur des my thes coloniaux portugais sur le continent aux XIXe et XXe siècles, et décoloniser l’imaginaire ? C’est la question à laquelle tente de répondre le musée national d’Ethnologie lisboète, fondé en 1965, dix ans avant l’indépendance des colonies, par l’ethnologue Jorge Dias, connu notamment pour son travail de terrain à la fin des années 1950, en Angola et au Mozambique Réalisée dans le cadre des célébrations du cinquantième anniversaire de la révolution des Œillets, qui a entraîné la chute de la dictature salazariste, laquelle dominait le pays depuis 1933, l’exposition donne à voir les œuvres d’art africaines comme preuves matérielles d’une pensée et d’une culture. La scénographie allie des panneaux thématiques, de nature exclusivement documentaire, et une sélection de 139 œuvres, dont celles des artistes contemporains Lívio de Morais, Hilaire Balu Kuyangiko ou Mónica de Miranda. ■ C. F.
Ma sq ue s de l’arch ip el de s Bija gos, en Gu in ée -B is sa u.
SC IE NCE -F IC TI ON
CAPNOIR
Jean-Pasca lZad imet en scèneu ne MISSION
SPAT IA LE 100% AFRICA IN Elancéedepuis
uneCôted ’Ivoired ig ne du Wa ka nda!
IL FA IT PA RTIE desquinzefilms français lespluschers de l’année! Avec l’équivalent du budget des Tuche5 (plus de 17 millions d’euros),Jean-Pascal Zadi aobtenude quoi réaliser son 2001 :L’Odyséedel’espace panafricain, où l’intelligence artificielle estincarnéepar un robotaux alluresdefétiche !Décorsetcostumessontàlahauteur de l’ambition :insuffler un esprit dogon(esthétique, astronomie)àlaconquêtespatialeàtravers unemission d’explorationversune lointaineplanète quipourrait accueillir tous lesA fricains fuyant la Terreàcause du racismeetduchangementclimatique. Jean-PascalZadi incarneunFranco-Ivoirien plus français quebété, entouré d’hommes et de femmes du Niger, du Burk inaFaso, du Sénégal, du Cameroun,d’A lgérie et desA ntilles. Cinq d’entre euxvontmonteràbordduvaisseaulancé du centre spatial Cheikh-A nta-Diop,dirigépar Mme Zokou(ClaudiaTagbo), au cœur d’uneCôted’Ivoirehigh-tech.Onsuitavecplaisir cette
Afriquemoderne,ces péripéties régulièrementcommentées parl’homme et la femmedelarue,les dialoguesmalicieux surlacolonisationoules couleurs de peau –« Je ne dis plus Blancs,jeles appelleLeucodermes.» Dommage quelescénarionefasse qu’esquisser certainespistes(la concurrencedelaNASApeine àconvaincre, le Sud-Africain Musk aurait pourtant pimentél’histoire!). Et quel’alchimie aitdumal àseproduireentre lescomédiens.Jean-Pascal Zadi bouscule adroitementtabousetclichés raciaux, commedanssaprécédenteréalisation pour le grandécran (Tout simplement Noir,2020),maissembleperpétuellement en apesanteur,plusneurasthéniqueque jamais,peutêtre inhibé parcette grosse,bienque courte (1 h20), production àpiloter tout en jouant la comédie! ■ J.-M.C
LE GR AN DDÉPLACEMENT (France, Belg iq ue), de Jean-PascalZadi. Avec lu i-même, Reda Kateb, Lous andthe Ya ku za.Ensal les.
BILGUISSA
DIALLO, Transhumances, Elyzad, 300pages, 21,50 €
RO MA N
EN QUÊTEDESENS
L’un desépisodesles plus sombresdel ’h istoirerécente
DE
LA GU IN ÉE et soni mpact su rles trajectoires de ci nq am is.
LE 28 SEPTEMBR E2009, dans un stadedeConakry,plusde 150personnes sont tuéespar balle, au couteau, àlamachette ou àlabaïonnette, descentaines sont blessées et au moins 109femmesviolées,selon le rapportd’une commission d’enquêteinternationalemandatéepar l’Organisation des Nationsunies.Àpartirdecemassacre, où lesforcesdesécurité guinéennes font preuve d’uneviolenceextrême contre les manifestants venusfaire front contre l’autoritarisme, refusant queDadis Camara se présente àl’électionprésidentielle, BilguissaDiallodéploie le récitdecinqjeunesGuinéensdont lestrajectoiressefracturentbrutalement ce jour-là. EntreParis, DakaretConakry,l’autrice composeune cartographie de l’exil géographique,corporeletintime, tout en interrogeant les possibilités de reconstruction aprèsuntraumatisme collectifet individuel.A nciennejournaliste,aujourd’hui entrepreneuse, elle n’adecesse de questionnerlareprésentationdes identités hybrides et lesproblématiquesque rencontrentles exilés et leur descendance [voirson interviewp. 62-67].Lagalerie de personnagesdeson second roman, représentéepar Adama, Awa, Dalanda, Alassane et Djey na,est ainsimarquée par l’histoire de sespropres parents, d’origineguinéenne et réfugiés politiques.Lechoix du titre, Transhumances,faitégalement référenceaux racinesnomades et pastorales desPeuls,présents dans l’ouvrage, et,de manièreplusample,audéplacement intérieuretàlatransformationpsychique.L’ailleursdevient unepossibilité de résilience,d’avenir et de mémoire. ■ C.F.
AN NE-M AR IE
EDDÉ , Saladin, Flammarion, 768pages, 23,90 €
SALADIN LE MAGNIFIQUE
L’
incroyable
ÉPOPÉE de
Sa lâ ha l-Dî n, souverai n d’un im menseempire.
EN OCCIDENT,Saladin (1137-1193)faitpartiedes rarespersonnalités de l’histoire arabo-musulmane qui, telMahomet,sontconnues du grandpublic.
En Orient,cet habile stratège estune figure my thique.Souverain d’un immenseempire, Salâh al-Dîn (signifiant« rectitudedelareligion»)n’est pourtant pasarabe,maiskurde.C’est donc son arabitélinguistiqueetculturellequ’Anne-Marie Eddé,historienne médiéviste spécialiséedansle Proche-Orientetles croisades, s’estefforcéede mettre en avant. Sans jamais renoncer àtraquer les partsdumythe et de la réalité, elle décrit l’ascensiond’unguerrierinfatigable,dotéd’un grandsenspolitique,qui parvient àétendre sa domination du Nilàl’EuphrateetduYémen jusqu’au nord de la Mésopotamie. Unebiographie richementdocumentée, dans laquelle le lecteur redécouvre l’universimpitoyable descroisades et la richesse du mondemusulmanauMoyen Âge. Une époque tourmentée,oùSaladin s’érigeen défenseurdel’islam,danslerespect desvaleurs du peuple arabe: l’hospitalité, la générosité,la longanimité, l’honneur, le courage. ■ C.F.
DE SI GN
Briser les codes
De haut en ba s : le pres seagr um e BEAK ! ; l’ép lu ch eu r de fr ui ts Atau lfo ; le po rte- œu fs Gb êhanzi n
Le la bel RU PT UR VISION réinvente les objets du quot id ien da ns un st yle icon iq ue et contempora in, en s’appuya nt su r le pat ri moi ne du CONT IN EN T.
LE BÉNINOIS Larr y Tchogninou a vite compris que le design était sa voie. Quand il rentrait de l’école, à Cotonou, il faisait ses devoirs et, à côté, dessinait déjà ses projets.
« C’est quelque chose qui m’amuse toujours », dit-il depuis Chicago, où il vient d’obtenir son diplôme d’architecte et où il travaille en tant que consultant : « Je suis un vrai poly mathe [un savant touche-à-tout, ndlr] Je crois que l’on revient à l’époque de la Renaissance, de De Vinci, où l’on était ingénieur, architecte et designer à la fois » Après avoir rejoint son père en France en 2014, le jeune Larr y s’envole en 2018 pour les États-Unis, où vit sa mère. Il y crée tout de suite sa marque, Ruptur Vision, et commence à produire des objets de tous les jours, revisités sous un prisme très
personnel. Il se fixe des lignes directrices, et se laisse porter par ses envies de couleurs, de folie et de rupture. Son processus créatif démarre d’une histoire, qui se condense en un sy mbole, lequel, par la suite, devient objet. C’est le cas du porte-œufs Gbêhanzin, une structure en forme de W inspirée par l’iconique Béhanzin, ro du Dahomey, et son emblème, l’œuf porté par deux mains. Ou du presse-agrume BE AK !, sinueux comme le cou d’un oiseau Élaboré au bout de trois ans de recherches, il a été fabriqué grâce au savoir-faire des artisans de Cotonou spécialisés dans la fonte d’aluminium. rupturvision.bigcartel.com ■ L.N.
Retisser les fils de la mémoire
ma Be n Aï ss a, Wove n Wi nd ow, « Inti mi té brod ée », 20 24
VR ES
On ze ar tistes issus de la TU NISI E, ou liés au pays, offrent leur rega rd sensi ble et engagé su r le passé, EX PLOR AN T LES MICROH ISTOIR ES q ui échappent au x récits officiels.
L’ABBAYE DE JUMIÈGES, en Normandie, célèbre la scène contemporaine tunisienne avec une expositiondialogue entre des créateurs de différentes générations, qui explorent des temps oubliés à travers des archives, des traces, des rituels, des vestiges, et entre des œuvres contemporaines et les ruines du lieu Le titre « Le temps creuse même le marbre » est un proverbe en dialecte tounsi dont l’équivalent en français serait : « Goutte après goutte, l’eau finit par creuser la pierre » Il fait référence à une somme de petits événements qui, au fur et à mesure, ont des effets considérables. Imaginée par la commissaire Victoria Jonathan, cofondatrice de Doors, une plateforme artistique basée à Paris et à Pékin, l’exposition se veut hybride.
As
S’y mélangent ainsi photos et techniques artisanales. Froisser, coudre, projeter l’image permettent d’explorer son lien à la matière et de révéler ses multiples dimensions
« LE TEMPS CREUSE MÊME LE MARBRE », abbaye de Ju mièges (France), jusqu’au 21 septembre. abbayedejumieges.fr
Les onze artistes invités (Héla Ammar, Ismaïl Bahri, Asma Ben Aïssa, Younès Ben Slimane, Meriem Bouderbala, Rafram Chaddad, Chiraz Chouchane, Férielle DoulainZouari, Farah Khelil, Amira Lamti, Fredj Moussa) travaillent sur l’identité et l’histoire tunisiennes, troublent la perception, questionnent la matérialité du monde Ils explorent les transformations sociales et la transmission, interrogent les liens complexes entre la Tunisie et la France (notamment par un travail sur les corps féminins) ou évoquent la
cohabitation entre le monde naturel et l’artificiel. Des expériences immersives explorent des paysages en mutation, mêlant réalité et my thes, d’autres s’attachent aux résonances mystiques et politiques à travers des œuvres oscillant entre rites d’invocation et expériences sensorielles
En interrogeant les représentations qui façonnent la mémoire collective, ces productions les déconstruisent. Elles suscitent le doute et révèlent des réalités multiples et en mouvement. Une démarche quasi archéologique, qui montre que tout est en constante transformation. À l’image de Carthage, la métisse, ils opposent à la fragmentation du monde la richesse d’une identité fluide ■ L.N.
Fa ra h Kh el il, Feui ll ag e #3, 20 23
Ch iraz Ch ou ch an e, Codex 21-22, 20 25
MILLE ET UNE VIES
Pi er re Loti ch ez lu i, da ns sa « pa go de ja po na is e », pa r Do rn ac, 1893
À ROCH EFORT, l’éblouissante ma ison-musée de PI ER RE LOTI
rouv re en fi n ses portes.
TOUR À TOUR ÉCRI VA IN, marin, dessinateur ou explorateur, l’auteur d’Aziyadé et du Roman d’un spahi est un personnage aux multiples facettes et aux destins pluriels À son image, sa demeure est une formidable succession d’ambiances, d’une salle chinoise à une mosquée ottomane en carreaux de faïence, en passant par un salon turc au plafond en stuc reproduisant ceux de l’Alhambra, à Grenade. Parti sillonner les mers du globe après avoir été reçu à l’École navale en 1867, l’académicien – élu en 1891 face à Émile Zola – n’a eu de cesse de recréer les univers admirés lors de ses périples à travers l’Europe, l’Amérique, l’Asie et l’Afrique, sa demeure charentaise devenant un écrin luxuriant, aujourd’hui totalement restauré Fasciné par l’environnement découvert en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, ce collectionneur fantasque disait avoir « l’âme à moitié arabe », se laissant imprégner par différents aspects culturels qui devinrent son mode de vie. Après ses voyages en Algérie, en Turquie et au Sénégal, il est marqué à jamais par celui qui le mène au Maroc, auquel il consacre son premier récit de voyage. Ce lien affectif définit sa relation à la région arabo-musulmane. L’œuvre de cet éternel romantique, grand admirateur de l’islam et hédoniste à l’excès, ne tarit d’ailleurs pas d’éloges sur les cultures arabes et persanes Ses dernières pérégrinations le mènent en Haute-Ég ypte, du Caire jusqu’à Assouan en remontant vers le Nil. En témoigne La Mort de Philæ, une description perspicace du pays, mais également une critique du colonisateur britannique. Loti l’Africain ? À coup sûr. ■ C.F.
ART HYBRIDE
À Ma rrakech, L’UN IV ERS POP, intim iste et al légorique de HASSAN HA JJAJ.
COLL AGES de bandes d’essai, fragments de portraits, restes photographiques accumulés dans son atelier… Initialement utilisées pour calibrer les tirages finaux, ces pellicules marquées de gammes de couleurs, de notes griffonnées, d’images partielles n’étaient pas destinées à être vues
Le Marocain Hassan Hajjaj, connu pour ses portraits ultracolorisés à la frontière entre pratique documentaire et photographie de mode, les transforme ici en de nouvelles compositions eury thmiques, animées. Intitulée « Dar El Bacha 1447 », d’après l’année islamique en cours, l’exposition célèbre l’inachevé, l’entre-deux, ces moments souvent mis de côté, où réside cependant toute la richesse du geste créatif. Un hommage à l’imperfection à travers des motifs populaires, des références croisées, des clins d’œil aux rencontres et aux inspirateurs – de Malick Sidibé à Andy Warhol. Un regard singulier et poétique, entre street-art, mode, souvenirs et expérimentations, au cœur de l’ancien palais du pacha de Marrakech. ■ C.F.
« DAR EL BACHA 1447 », musée des Con uences Dar El Bacha, Marrakech(Maroc), jusqu’au 12 octobre. MAISON DE PIERRE LOTI, Rochefor t (Fra nce) maisondepierreloti.fr darbacha.com/fr
LES BRÛLURES DE L’HISTOIRE
Ci nq ua nte ans après, la prem ière et un iq ue PA LM E D’OR AFRICA IN E ressor t en sa lles, restau rée et plus capt ivante que ja ma is. Une superproduct ion qu i raconte les qu in ze an nées qu i ont précédé le début de la guer re d’ indépenda nce en ALGÉRI E.
UNE TERRE ARIDE à perte de vue, des couleurs ocre et chaudes en CinémaScope, des centaines de figurants, une musique envoûtante… Ce qui frappe dès les premières séquences du film de Mohammed Lakhdar-Hamina, c’est la force visuelle et le lyrisme assumé de cette superproduction qui a fait couler beaucoup d’encre il y a déjà un demi-siècle [voir l’interview de son fils Malik p. 5055] La (re)découvrir dans une version soigneusement restaurée est d’abord un pur plaisir de spectateur. Cette fresque historique et politique de trois heures, déclinée en six chapitres, suit, de 1939 à 1954, le parcours d’un jeune berger (Yorgo Voyagis) fuyant la misère avec sa famille. Dans une ville bientôt mise en quarantaine pour cause de typhus, il rencontre un fou clairvoyant et charismatique, incarné par le réalisateur lui-même, avant d’être envoyé en Europe pour combattre le nazisme. La violence de la colonisation française est incarnée par quelques personnages (deux policiers, un contremaître, un administrateur), mais les Français d’Algérie, futurs pieds-noirs, sont réduits à de la figuration. Le film se concentre sur les Algériens qui se sont compromis avec le pouvoir colonial et sur ceux qui, à force d’humiliations et d’injustices, vont se révolter violemment. Quinze années cruciales racontées avec toute la puissance de l’image et d’un scénario implacable. Un classique du cinéma mondial. ■ J.-M.C
CHRON IQUE DES ANNÉES DE BR AISE (A lgér ie, 1975), de Mohammed Lakhdar-Hami na Avec lu i-même, Yorgo Voyagis, Chei kh Noureddi ne En sa lles le 6 août
CH EF -D ’Œ UV RE
IN TE RV IE W
YAMÊ en bon chemin
AV EC SON PR EM IER AL BU M, l’ar tiste frança is d’or ig ine ca merounaise bouscu le la pop hexagona le de son invent iv ité.
AM : Pourquoi avoir choisi d’appeler cet album Ébem, très beau terme mbo ?
Yamê : À l’image d’Elowi, mon premier projet, j’avais à cœur que le nom de ce récit initiatique aux allures de conte vienne de mon père
En discutant avec moi de tous ces enjeux, le terme Ébem lui est venu très naturellement : « C’est un lieu sacré où les gens se rencontrent pour apprendre. “Dans l’Ébem” signifie “dans le cercle de la famille” » Hip- hop, soul, musiques africaines, électro… Quelle était votre intention artistique dans cet album très libre, puisant dans nombre d’univers musicaux ?
C’est un album qui voyage entre les genres non pas pour faire un patchwork gratuit, mais parce que c’est ainsi que je ressens la musique :
comme un langage fluide, libre, sans frontière. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant la destination que le chemin Ébem est le récit de ce parcours-là, du mien. Je voulais proposer une œuvre qui ne se laisse pas enfermer dans des cases. J’ai toujours eu un côté un peu geek, fasciné par les technologies, les mondes virtuels, et cette introspection prend parfois des détours numériques, futuristes, presque cybernétiques. Mais le propos reste profondément humain
En quoi la culture camerounaise vous inspire-t- elle ?
Elle fait partie intégrante de ma manière d’être, de créer, de penser
Elle se manifeste par des ry thmes, des langues, des sonorités, mais aussi dans ma façon de raconter, d’improv iser, dans mon rapport au collectif, à l’oralité. Même quand je fais du rap ou que je touche à
des sons très contemporains, il y a toujours quelque chose de cette culture qui transparaît en filigrane, telle une base indélébile
Quand avez-vous su que vous alliez dédier votre vie à la musique ?
Lors du confinement. Je me suis retrouvé face à moi-même, sans les repères habituels, sans les distractions du quotidien. Et j’ai compris que je ne pourrai jamais vraiment me consacrer à une vie uniquement guidée par la sécurité financière
Ce que je voulais, c’était m’exprimer, toucher les gens La musique est devenue une év idence ■ S.R.
YAMÊ, Ébem, Believe. En tour née frança ise et eu ropéen ne cet automne, nota mment à la Ph il ha rmon ie de Pa ris le 22 novembre.
AL BU M Laura Prince RETOUR AUX ESPRITS
Su ite à la promesse inaugu ra le de PE ACE OF MI NE, la chanteuse franco-togolaise revient avec un récit musica l su r ses raci nes : ADJOKO.
PI ANISTE DEPUIS son plus jeune âge [voir « Parcours » p. 2627], elle a été biberonnée à l’afrobeat de Fela Kuti, à la soul de Whitney Houston, aux mélodies de Celia Cruz et au chant de Barbara. Il lui faudra quelques années pour jouer sur scène ses compositions, d’un raffinement hybride puisant dans moult registres musicaux : elle écoute aussi bien du R’n’B que du gospel, sans oublier le jazz en guise de terrain fertile. Pour son second album, Adjoko, Laura Prince convoque les esprits et les traditions de ses ancêtres togolais, mais aussi de Mary Prince, née aux Bermudes en 1788 de parents esclaves, qui a témoigné de sa serv itude dans un récit nécessaire paru en 1831 : The Hi stor y of Mary Prince, a West Indian Slave Adjoko, porté par douze morceaux d’une rare élégance, a été imaginé à Ouidah aux côtés du pianiste ghanéen Victor Dey Jr et du percussionniste béninois Samuel Agossou. ■ S.R.
LAURA PRINCE, Adjoko, Star Prod /Jazz Eleven
À LA CONQUÊTE DU POUVOIR
Une ANALYSE FI NE
du tour na nt religieu x pr is pa r le Brésil sous l’i nf luence de pasteu rs évangéliques. Éd ifiant.
NOMMÉ AU X OSCA RS en 2020, le documentaire
Une démocratie en danger, de Petra Costa, connaît une suite passionnante Après avoir radiographié les mandats des présidents Lula et Dilma Rousseff, la cinéaste brésilienne raconte comment le populiste d’extrême droite Jair Bolsonaro a été porté au pouvoir (et encouragé à y rester après sa défaite) par un puissant mouvement évangélique – passé de 5 à 30 % de l’électorat du pays en moins de quarante ans.
L’enquête alterne entre archives édifiantes et séquences tournées au plus près des principaux acteurs de ce tournant religieux sans précédent dans l’histoire du Brésil. Ainsi, Lula est filmé chez lui au petit déjeuner, expliquant qu’il ne fera jamais campagne dans une église, avant de participer à une réunion de prière évangélique… Bolsonaro est montré aux côtés d’un mentor qui le manipule ouvertement, le charismatique pasteur Silas Malafaia lui expliquant comment garder le pouvoir et contrôler la société parce que « le Brésil appartient à notre seigneur Jésus ». Le film remonte aussi à la genèse de ce mouvement parti des États-Unis en croisade contre le communisme en Amérique latine Et démontre brillamment sa finalité : faire croire qu’il faut passer par le mal pour atteindre le bien. De quoi éclairer le fulgurant essor des églises évangéliques en Afrique au cours des dernières années ■ J.-M.C
APOCALYPSE SOUS LES TROPIQUES (Brésil), de Petra Costa. Su r Net ix.
Lu iz In ác io Lu la da Si lva lo rs d’un évén em ent de ca mp ag ne avec de s di ri ge ants et de s pa rt is an s évan gé li qu es à Sã o Pa ul o, au Brés il, en 20 22
EFFET PAPILLON
Le pr ix El lipse a été remis à EM MA NU EL AGGR EY TI EK U pour ses œuvres textiles, incarnation des effets de la SU RCONSOMM AT ION occidentale au Ghana.
ARTISTE PLUR IDISCIPLINAIRE et ingénieur civil, Emmanuel Aggrey Tieku a remporté la cinquième édition du prix Ellipse, dédiée à la scène artistique émergente ghanéenne. Né en 1994 à Cape Coast, il a été choisi parmi cinq finalistes, sélectionnés à partir de 82 candidatures, par un jury composé de la fondatrice et directrice artistique de la foire AK AA, Victoria Mann, qui l’accueillera à Paris fin octobre, et des experts de la scène locale comme Binta Ata, fondatrice et directrice du Mix Design Hub à Accra, ou Barbara Kokpavo Janv ier, à la tête de la Galler y Soview Inspiré par les tissus que collectionnait sa grand-mère, Aggrey Tieku se sert des textiles abandonnés sur les plages, dans les décharges ou au marché d’occasion de Kantamanto pour créer des œuvres abstraites
originales, entre sculpture et toile. Grâce à des techniques de teinture et d’assemblage, il transforme les vêtements usagés en témoins silencieux de vies passées, interrogeant l’identité, la surconsommation et l’héritage colonial Son installation Heaven Ha s No New Songs II évoque visuellement la thématique de cette édition du prix, « Effet papillon » : telles les ailes de cet insecte, des tissus suspendus incarnent le fil invisible qui relie les entrepôts de mode de luxe aux rues encombrées d’étoffes d’Accra, donnant à voir les conséquences à l’échelle locale des excès de l’industrie textile mondiale Les pièces abandonnées deviennent un raz-de-marée de déchets qui s’infiltrent dans les marchés, les rivières et les fissures d’une capitale submergée. @studiosashman ■ L.N.
Em ma nu el Ag grey Ti eku entouré de se s créa ti on s fa ites d’étof fe s.
Wh ere Do We Go from He re? How to He al a Broken Wo rl d, 20 25
AR T
La ro be Fu le Ga lo re de la co ll ecti on « En ch anté » d’El ol i Wo rl d.
Le cost um e Co nc rete de la co ll ecti on « Sh am el es s » de Fr uc hé
AFRICA FASHION UP : 5 ANS DÉJÀ !
Coup de projecteur su r les LAUR ÉATS de la ci nq uième éd it ion de l’ in it iative consacrée à la jeune CR ÉATION AF RICA IN E contemporai ne, qu i
ont défi lé à Pa ris fi n ju in.
C’EST UN JOYEUX anniversaire que celui d’Africa Fashion Up, qui a clôturé l’événement par un défilé en plein cœur de Paris, le 26 juin dernier. Après un rendez-vous en 2024 dans les jardins du musée du Quai Branly, les six labels lauréats ont cette fois-ci présenté leurs créations sous les voûtes époustouflantes du Bridge, le hangar à bateaux sous le pont Alexandre III, devenu un club emblématique Pour cette édition, Af up a reçu plus de 300 candidatures. Elles ont été passées au crible par 21 jurés d’exception, comme le directeur de l’Istituto Marangoni ou la CEO
d’Elle Côte d’Ivoire Les labels sortis du lot viennent d’Afrique du Sud, du Nigeria, d’Éthiopie et du Cameroun. Eloli World, créé par les sœurs Dibo, Sume et Fese, affectionne les couleurs vibrantes, les textures riches, les détails raffinés et les coupes sculptées. Leur collection « Enchanté » a été conçue pour sublimer les silhouettes et séduire. Fruché, lancé en 2018 à Lagos par l’autodidacte Frank Aghuno, propose des pièces expressives et contemporaines avec des textiles traditionnels Elles célèbrent l’expression de soi sans compromis,
déclinant un manifeste d’héritage, de fierté et d’émancipation Déjà réputée à l’international pour ses coupes versatiles et spectaculaires ainsi que ses imprimés inspirés de l’alphabet amharique, Hawii se positionne à l’intersection de l’héritage éthiopien et de la mode internationale. Sa créatrice, Hawi Midekssa, rêve d’ouvrir une école de mode en Éthiopie pour former les jeunes générations. Excentrique et vivant, le travail du Nigérian Peter Oshobor est inspiré par les liens familiaux et la quête d’une nouvelle vision de la masculinité Sa dernière collection, « Edo Odion », célèbre les sous-cultures esan et etsako en portant une attention particulière au sy mbolisme culturel Enfin, modernisme géométrique et architecture industrielle inspirent la marque Boyde, du Sud-Africain Samkelo Xaba, qui incarne une vision contemporaine du luxe africain minimaliste et épuré, et veille au confort et à la fonctionnalité ■ L.N.
Le to p Pl eate d ill us tre la sign at ure de Ha wii, le s coup es ma rq ué es.
ON EN PA RL E
SP OT S
PRINTEMPS MAGHRÉBIN
La belle saison a amené un vent du sud dans le panorama
GASTRONOMIQU E PA RISIEN : voici où refaire le monde, un plat à la fois.
EN AV RIL DERNIER, la célèbre maison de café marocaine
Bacha Coffee, née en 1910, a inauguré son flagship de trois étages sur les Champs-Élysées On y sert une collection de plus de 200 cafés dans un décor parisien inspiré par l’esthétique du Dar El Bacha de Marrakech, où les tons ocre sont rehaussés par les sols en damiers noir et blanc, les treillis à motifs géométriques et les meubles en bois sculpté. Une boutique et salon de café où savourer une cuisine traditionnelle sublimée par des arômes délicats
Le retour des beaux jours a aussi été marqué par l’ouverture de la terrasse du Dar Mima, le restaurant voulu par Laurent de Gourcuff et Jamel Debbouze, sur le toit de l’IM A. Un jardin méditerranéen suspendu, peuplé d’amandiers
Ba ch a Coffee prop os e de s dé gu stat io ns da ns un ca dre so mptu eu x. Le Da r Mi ma of fre un es pa ce agrém enté de pl ante s d’Or ie nt
El bi met à l’ho nn eu r la ga st ro nom ie ég ypti en ne
et de jasmin, de citronniers et de palmiers, où découv rir le nouveau brunch copieux et oriental serv i tous les weekends Avec œufs à la marocaine, toasts de truite fumée de l’Atlas et pancakes mille trous. Petit bonus le soir, avec des concerts live suiv is de DJ sets jusqu’à tard dans la nuit. En mai, c’est le chef étoilé Omar Dhiab qui a inauguré dans le Xe Elbi, « cœur » en arabe. Une table à son image, entre bar à vins et bistrot ég yptien, avec une touche tunisienne. De l’œuf cocotte revisité avec ragoût de merguez mijoté aux feuilles de vigne en tempura, en passant par des plats de résistance comme la cocotte de langues d’oiseau ou la demi-volaille désossée en sauce molokheya – à base de feuilles de corète potagère –, ici tout se pioche en fonction des envies et de l’appétit. À partager… ou pas. ■ L.N. bachacof fee.com / darmima- restaurant.com restaurantelbi.fr
Kéré offre son mausolée à Sankara
Le célèbre arch itecte bu rk inabè a livré le mémorial de l’ICÔN E PANAFRICA IN E : un projet hautement sy mbol iq ue et très at tendu.
THOM AS SA NK AR A et ses douze camarades, assassinés en 1987, ont enfin un lieu pour reposer dignement. Le mausolée du père de la révolution burk inabè a été inauguré fin mai à Ouagadougou et représente la première phase d’un vaste projet de parc mémoriel dessiné par Francis Kéré « Depuis que Sankara y a été tué, ce site est longtemps resté un lieu de terreur. Il devient aujourd’hui un espace de rencontre, propice au souvenir, au respect et à l’espoir », a déclaré le Prix Pritzker, dont la jeunesse a été marquée par une rencontre avec l’ancien président. La structure du mausolée, couverte d’une large coupole de 34 mètres, s’inspire de la course du Soleil : les treize tombes sont
disposées radialement, chacune surmontée d’une verrière. Toutes les heures, la lumière éclaire directement une tombe différente, invitant à un parcours de recueillement. Chaque sépulcre est marqué par une colonne qui, en se prolongeant à l’extérieur, constitue l’un des treize pilastres d’une arcade abritant les visiteurs et sy mbolise physiquement le vide laissé par les morts. Le travail n’a pas été simple : depuis qu’on lui a confié le projet en 2017, Kéré a vu son œuvre entravée à plusieurs reprises par les revirements politiques et les intérêts partisans. Pour quelqu’un qui rêve de donner aux démocraties africaines « leur nouvelle forme architecturale », la remise de ce chantier est donc tout un sy mbole. ■ L.N.
Laura Prince
LA CHANTEUSE ET MUSICIENNE
française part en quête de ses racines togolaises avec son second disque, chanté en langues mina et éwé : une démarche musicale, spirituelle, intime et historique, aux airs de sa terre d’origine. propos recueillis par Astrid Krivian
Son dernier album, Adjoko (son prénom togolais), est un chemin vers ses racines af ricaines, un parcours initiatique à la rencontre de ses ancêtres et de son héritage Pour le réaliser, la chanteuse, musicienne et compositrice, qui a grandi en France, s’est immergée dans cette terre qu’elle avait seulement foulée quelques fois enfant Entourée du pianiste ghanéen Victor Dey Jr et du percussionniste béninois Samuel Agossou, elle irrigue son jazz lumineux et sa pop délicate de ry thmes traditionnels du Togo et du Bénin. Ses recherches l’ont menée au-delà de la musique, explorant les liens avec l’histoire de l’esclavage. « J’ai appris que notre demeure familiale, à Agbodrafo, village de ma famille paternelle, au Togo, jouxtait la maison des Esclaves. J’étais pétrie de questionnements, de tristesse, de colère, de douleur », confie Laura Prince. Au Bénin, à Ouidah, l’un des principaux ports de déportation lors de la traite transatlantique du XV e au XV IIIe siècle, elle est bouleversée par la porte du Non-retour, d’où embarquaient les esclaves af ricains, par l’arbre de l’Oubli, dont ils devaient faire plusieurs fois le tour pour oublier leurs origines.
Dans la chanson éponyme, elle rend hommage à Mary Prince : esclave affranchie née en 1788 aux Bermudes, elle est la première femme à témoigner de sa serv itude au sein des colonies britanniques dans un livre publié en 1831. Quant au morceau Mawu, il célèbre cette div inité créatrice et féminine liée à la mer, aux éléments dans la religion vaudoue, chez les peuples éwé et mina du Togo et du Bénin. Du point de vue de la chanteuse, cette dimension sacrée de l’existence est une ressource essentielle : « Cette terre a une dimension magique pour moi. Ce que je ressens là-bas est indicible. » À la fois douloureux et réconfor tant, triste et émer veillé, ce voyage vers ses origines l’a profondément enrichie. « Je me suis retrouvée dans une communauté à laquelle je ne pensais pas appartenir. J’ai aussi obtenu mes papiers d’identité togolais, très précieux à mes yeux. Tout cela affirme mon identité, assoit mon lien spirituel avec mes ancêtres. » Elle grandit à Paris dans un foyer bercé de musique, auprès de parents mélomanes qui lui transmettent leurs goûts éclectiques. Sur la platine paternelle crépitent du matin au soir les grandes voix af ricaines, Ray Charles, Maria Callas, Miles Davis, Mozart ou encore de la countr y. Sa mère est férue de chanson française – Charles Aznavour, Édith Piaf –, de pop anglo-sa xonne – Elton John, Whitney Houston. Curieuse et autodidacte, Laura Prince s’exerce dès l’enfance sur un petit sy nthétiseur avec lequel elle reproduit les airs qu’elle entend À 14 ans, elle prend des leçons de piano en jazz et en soul, compose ses premières chansons ; à 20 ans, elle suit des cours de chant de gospel Après le baccalauréat, elle s’ennuie sur les bancs de l’université de Nanterre, dans des études de sociologie et d’ethnomusicologie, trop théoriques à son goût Elle enchaîne les petits boulots, puis quitte un jour son travail pour se consacrer pleinement à la création de son premier album, Peace of Mine, en 2021 « J’ai longtemps cherché ma place. Grâce à la musique, je l’ai enfin trouvée. Elle me permet de m’exprimer, de faire passer des émotions, de m’apaiser. » ■
Adjo ko, Star Prod/ Ja zz El even, 20 25.
«Cette terre a une dimension magique pour moi. Ce que je ressens là-bas est indicible.»
OSEZ L’AFRIQUE !
À l’ap pr oc he de s va ca nc es , no us avon s so uv ent ici vi li pe nd é le s Af ricai ns qu i n’ont pa s le ré fl ex e ni l’envi e de pa rt ir à la dé co uv er te de le ur prop re co nt in ent. Po ur un e fo is , in té re ss on s- no us au x dé si rs de s Oc ci de nt au x, qu i bo ud en t jo ye us em en t le mê me co nt in en t su bs ah ar ie n, so uv en t au mo ti f d’ in sé cu ri té , d’ab se nc e de to urop érateu rs prop os ant de s ci rc ui ts to ut trac és et sa ns su rp ri se, ou de co ût – ça , c’es t un ré el ob stac le – de s bi ll et s d’av io n et de s nu it s d’ hôte l.
Al or s ce rt es , ce tt e an né e, le s am ateu rs de po rtes do go ns sc ul ptée s se pa ss eront d’al le r au Ma li , le s di ng ue s de dé se rt s bl an cs ne ch oi si ro nt pa s le Ni ge r. Em ba rg o au ss i su r Bo bo -D io ul as so au Bu rk in a ou su r le s ré se rves ani ma li èr es ex ce pt io nn el le s de l’ex tr êm e no rd du Ca me ro un . Ma is bo n, l’Af ri qu e es t gran de, et il re ste pl ei n de pl an s sa fe
Po ur le s pe tit s bu dg et s, le Sé né ga l ou le Bé ni n, où de s co mp ag ni es pa s chères op èrent, re st en t de s de st in at io ns de rê ve , en tr e pl ai si rs aq ua ti qu es au to ur de la So mo ne et dé co uver te s cu ltur el le s à pr ix ab or da bl es du cô té de Sa in tLo ui s. La Côte d’Ivoi re et so n of fre mu lt ip le, av ec Gran d- Ba ss am , Sa ss an dra, le s éc o- lo dg es av ec fa un e et flore in cl us es , et le s hôte ls to ut con fo rt d’Ab id ja n, so nt au ss i un su pe r ch oi x. Et po ur to utes le s bo ur ses
Po ur le s pl us ai sé s, l’Af ri qu e re go rg e de sp ot s lu xu eu x. Co mm e en Af ri qu e du Su d, à Jo ha nn es bu rg , au pa rc Kr ug er, à Su n Ci ty La Na mi bi e es t au ss i un e de s de st in at io ns le s pl us be ll es et le s pl us sé cu ri sé es Ou po ur qu oi pa s
Dj ib ou ti et se s fo nd s ma ri ns in croyab le s ? Vo ire le Rw an da et se s ha utes mo ntag ne s, où l’on pe ut tu toye r de s co lo ni es de go ri ll es à do s arge nté en to ute li be rté. Im po ss ib le de ci te r ic i to us le s pa ys où l’on pe ut pa rt ir en vi ll ég ia tu re sa ns gr an d ri sq ue, av ec dé pay se me nt ga ra nt i.
Sa uf exce pt io n, le to ur is me de ma ss e n’ex is te pa s. Il y a en co re de s en droi ts su bl im es , ém ou va nt s, où l’on pe ut se se nt ir se ul au mo nd e. Le so uc i, c’es t qu ’o n ne le sa it pa s… Le s mi ni stères du To ur is me af ri ca in s so nt so uv ent le s mo in s bi en loti s et ne co mm un iq ue nt pa s, ou ma l. Et au -d el à, un e ma uvai se im ag e co ll e à la pe au de l’Af ri qu e en gé né ra l, al ors qu ’e ll e es t com po sé e de pay s to ta le me nt di st in ct s, do nt l’ hi stoi re et l’ac tu al ité n’ont ri en à vo ir
Al or s un pe u de co ur ag e, os ez so rt ir de s se nt ie rs ba tt us , et pa rtez cette an né e sa ns crai nte à la dé co uv er te d’un de s co nt in ents le s pl us pa ss io nn ants du mo nd e. ■
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