AM 398 FREE

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MONDE ARABE

« Ena Zeda ! » « Moi aussi ! »

Le mouvement tunisien s’étend au Maroc, au Moyen-Orient aussi. Elles se lĂšvent contre le harcĂšlement et les abus. Et tĂ©moignent publiquement.

CAMEROUN

ABIY AHMED ENTRE GUERRES ET PAIX PRIX NOBEL

L’Éthiopie apparaĂźt comme un concentrĂ© d’Afrique : dĂ©veloppement et pauvretĂ©, violences ethniques et souverainisme, potentiel immense et danger immĂ©diat


LE CAPITAL FEMMES CÔTE D’IVOIRE

Elles sont un facteur clĂ© de l’émergence Un dossier spĂ©cial de 16 pages.

Fatou

Diome : « L’écriture n’est pas une thĂ©rapie ! » ROMAN

PRIX NOBEL

ABIY AHMED

ENTRE GUERRES ET PAIX

Le Premier ministre Ă©thiopien est le chef d’un pays immense, sur un fil.

CINÉMA LADJ LY

« Je ne choisis pas. Je suis français, africain, malien »

STAR OXMO PUCCINO

« J’ai Ă©tĂ© sombre avant de proposer du lumineux »

HARCÈLEMENT EnaZeda Moi aussi #

En Tunisie, elles se lĂšvent contre les abus.

La parole se libĂšre.

Un mouvement qui s’étend au Maroc, au Moyen-Orient


ENQUÊTE SUR UNE RÉVOLUTION EN COURS

DAKAR

JaneAlexander

OluAmoda

ElAnatsui

MahiBineBine

ZoulikhaBouabdelah

MeriemBouderbala

SolyCissé

ViyéDiba

AdelElSiwi

WilliamKentridge

JemsKokoBi

AbdoulayeKonaté

BillKouelany

SirikiKy

MohamedMelehi

VitshoisMwilambweBondo

NennaOkoré

MohammedOmarKhalil

YazidOulab

ChériSamba

KoïŹSĂ©tordji

JosephSumégné

FathiyaTahiri

BarthélémyToguo

FreddyTsimba

Commissaire

Commissaire

OuattaraWatts

FatihaZemmouri

DominiqueZinkpé

Partenaires Panafricains Partenaires Etape

L’AFRIQUE AU CENTRE DU MONDE

Tout part d’un paradoxe et d’une injustice historiques. L’Afrique (16 % de la population mondiale, moins de 6 % de la consommation Ă©nergĂ©tique et 3 % des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre) n’est pas responsable du changement climatique. Elle a peu produit et peu polluĂ© au cours du siĂšcle dernier, contrairement aux puissances occidentales (États-Unis, Europe) et aux puissances Ă©mergentes comme la Chine, l’Inde, le BrĂ©sil
 L’Afrique est « innocente », et pourtant elle est touchĂ©e de plein fouet par le dĂ©rĂšglement : bouleversement des saisons, du cycle des pluies, sĂ©cheresse, montĂ©e du niveau de la mer, mise en danger du littoral
 On demande au continent de s’adapter et de lutter sans, par ailleurs, vraiment mettre sur la table les moyens immenses nĂ©cessaires Ă  cette lutte existentielle : « dĂ©brouillez-vous
 », en quelque sorte. Pourtant, le monde aura besoin de l’Afrique. On le sait, l’équation dĂ©mographique est impitoyable. La population du continent pourrait doubler d’ici Ă  2050 pour atteindre prĂšs de 2,5 milliards d’habitants. Plus de 10 millions de jeunes Africains arriveront chaque annĂ©e sur le marchĂ© de l’emploi, formel ou informel. L’urbanisation massive changera les modĂšles sociĂ©taux en profondeur. L’Afrique aura besoin d’un taux de croissance Ă©levĂ© sur une longue durĂ©e, avec des Ă©conomies fortement crĂ©atrices d’emplois, pour tenir le choc. Mais si nous nous mettons demain Ă  produire et Ă  consommer comme la Chine ou l’Inde d’aujourd’hui, ce sera la fin des objectifs globaux en matiĂšre de hausse des tempĂ©ratures. Pour que, globalement, l’humanitĂ© ait une chance d’assurer une vĂ©ritable transition Ă©cologique, il faut que l’Afrique « leap frog » en matiĂšre de croissance « clean », qu’elle bascule rapidement vers un mode « vert », alternatif. Compte tenu de l’urgence et de l’enjeu planĂ©taire, les financements, les transferts de technologies devraient ĂȘtre assez vite disponibles.

L’Afrique a une formidable carte Ă  jouer, en particulier sur la question des Ă©nergies renouvelables. Les Ă©volutions technologiques, l’attitude des grandes

entreprises mondiales pĂ©troliĂšres, poussĂ©es par une opinion de plus en plus mobilisĂ©e, ont transformĂ© la donne. Les renouvelables sont l’une des clĂ©s du futur, en particulier le solaire, l’éolien, l’hydroĂ©lectricitĂ©, la biomasse
 Dans tous ces domaines, l’Afrique dispose d’un atout majeur grĂące Ă  sa « ceinture du Soleil ». Et Ă  l’exception de quelques-uns, dont notamment l’Afrique du Sud [voir p. 100], la plupart des pays du continent ne sont pas soumis Ă  la nĂ©cessitĂ© d’abandonner le charbon. Notre carte est vierge, blanche, nous pouvons nous accrocher aux technologies de l’avenir. En particulier pour ouvrir l’accĂšs Ă  l’énergie pour l’ensemble du continent. Aujourd’hui, seulement 30 % du milliard et plus d’Africains ont accĂšs Ă  l’électricitĂ©. Et on ne voit pas comment on pourrait parler d’émergence sans Ă©nergie disponible.

L’Afrique reste aussi une puissance fossile. Depuis le dĂ©but des annĂ©es 2000, les dĂ©couvertes gaziĂšres et pĂ©troliĂšres se multiplient, dans le golfe de GuinĂ©e, sur la façade de l’ocĂ©an Indien, dans le bassin du lac Tchad
 PrĂšs d’un tiers des dĂ©couvertes mondiales de pĂ©trole et de gaz entre 2010 et 2015 concerne l’Afrique subsaharienne. Des pays importateurs vont devenir exportateurs. Plus encore que le pĂ©trole, le gaz apparaĂźt comme une formidable opportunitĂ© africaine. Des dĂ©couvertes majeures ont eu lieu au Mozambique (le « nouveau Qatar »), en Tanzanie, au large du SĂ©nĂ©gal et de la Mauritanie, dans le golfe de GuinĂ©e encore
 Pour le moment, ces gisements n’ont pas tous donnĂ© des mises en production. Mais le potentiel est lĂ . Selon certaines estimations, l’Afrique subsaharienne pourrait dĂ©passer la Russie en tant que fournisseur de gaz d’ici Ă  2040.

En restant optimiste, l’Afrique pourrait donc Ă  la fois se lancer dans une incontournable transition Ă©cologique complexe, tout en disposant d’un matelas de sĂ©curitĂ© en matiĂšre d’énergies traditionnelles. À elle de faire valoir son jeu, ses atouts, de se placer au centre de la discussion mondiale sur une question essentielle Ă  l’avenir de tous. ■

PAR ZYAD LIMAM

N°398 NOVEMBRE 2019

3 ÉDITO

114 VINGT QUESTIONS À
 Noumoucounda par Astrid Krivian P.24

L’Afrique au centre du monde par Zyad Limam

6 ON EN PARLE

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN Manifeste fĂ©ministe

20 CE QUE J’AI APPRIS

Muthoni Drummer Queen par Astrid Krivian

23 C’EST COMMENT ? Adresse inconnue par Emmanuelle PontiĂ©

P.40

P.32

TEMPS FORTS

24 Abiy Ahmed : Entre guerres et paix par Cédric Gouverneur

32 HarcÚlement : Une révolution en marche par Frida Dahmani, Cédric Gouverneur et Julie Chaudier

40 Cameroun : Aux origines de la crise anglophone par François Bambou

66 Ladj Ly : « Je ne choisis pas. Je suis français, africain, malien » par Astrid Krivian

72 Fatou Diome : « L’écriture n’est pas une thĂ©rapie » par Astrid Krivian

78 Oxmo Puccino : « J’ai Ă©tĂ© sombre avant de proposer du lumineux » par Astrid Krivian

84 Portfolio : Rencontres de Bamako par Emmanuelle Pontié

BUSINESS

90 Menaces sur la souveraineté numérique par Jean-Michel Meyer

94 Alioune Sarr : « Notre objectif est d’atteindre 3 millions de visiteurs » par Emmanuelle PontiĂ©

Afrique Magazine est interdit de diffusion en AlgĂ©rie depuis mai 2018. Une dĂ©cision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) Ă  exercer une mesure de censure d’un autre temps Le maintien de cette interdiction pĂ©nalise nos lecteurs algĂ©riens avant tout, au moment oĂč le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algĂ©riens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

DÉCOUVERTE

Cîte d’Ivoire : Le capital femmes par Ouakaltio Ouattara, Laure Nesmon et Alexandra Fisch

50 Elles ont du potentiel !

54 Dynamiques et engagées

56 L’économie au dĂ©fi de la paritĂ©

58 Un hîpital d’exception

61 L’école, clĂ© du futur

62 Elles sont la Cîte d’Ivoire

104 MADE IN AFRICA

PARTEZ EN VOYAGE, PRENEZ VOTRE TEMPS

Cap sur la Cîte d’Ivoire

VIVRE MIEUX

110 Cancers : essayer de s’en protĂ©ger

111 La grenade : une mine de bienfaits

112 Contre les virus, boostez votre immunité

113 Dents de lait : Il faut en prendre soin ! par Annick Beaucousin et Julie Gilles

FONDÉ EN 1983 (35e ANNÉE)

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ON EN PARLE

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode et du design

DANSE

MANIFESTE FEMINISTE

Dans cette crĂ©ation solo, la chorĂ©graphe Julie Dossavi s’interroge sur la PLACE DES FEMMES dans la sociĂ©tĂ©, passĂ© un certain Ăąge.

JULIE DOSSAVI a eu 50 ans en 2018. Un cap. Une Ă©tape difficile Ă  franchir dans notre sociĂ©tĂ©, d’autant plus pour une danseuse. Dans son nouveau spectacle au Théùtre d’AngoulĂȘme, pendant une heure, la chorĂ©graphe française d’origine bĂ©ninoise incarne des portraits de femmes modernes, singuliĂšres, Ă©tonnantes, exubĂ©rantes, belles, drĂŽles et libres. Leur point commun : elles ont entre 50 et 80 ans et osent aller au bout de leurs dĂ©sirs, sans tenir compte de leur Ăąge. Parmi elles, Mama Tekno, DJ, qui Ă©volue dans plusieurs styles musicaux, de la techno au rock, en passant par les sons basses des rythmes africains, le chant et mĂȘme le silence. Cette femme est le fil conducteur qui unit tous les personnages de Julie Dossavi par la mĂȘme passion musicale. Pour accompagner son solo sur scĂšne, la danseuse s’est entourĂ©e d’Yvan Talbot et de Maki La Machete, compositeurs d’une partition sur-mesure oscillant entre Ă©lectro, musique africaine et hip-hop. Une bande-son qui se veut pacifique, et dans laquelle la tolĂ©rance, l’acceptation et l’hĂ©donisme tiennent une place centrale. En somme, un vĂ©ritable manifeste pour les femmes dans l’air du temps ! ■ Catherine Faye

MAMA TEKNO de Julie Dossavi, Théùtre d’AngoulĂȘme – ScĂšne nationale, AngoulĂȘme (France), les 5, 6, 7, 12 et 13 novembre 2019. theatre-angouleme.org

La danseuse incarne des personnages ayant tous entre 50 et 80 ans, sur plusieurs styles musicaux, de la techno au rock, en passant par les rythmes africains.

La marque de Nicole Tiangaye propose de multiples accessoires Ă©lĂ©gants, dont des harnais



 et des ceintures faites main et en petite série.

MODE

LA TOUCHE CHOC

Ce sont souvent les dĂ©tails qui font toute la diffĂ©rence dans une tenue, et c’est le cas avec les harnais en wax de LA DAME CHIIC.

SEXY, PROVOCATEUR, MODERNE ET AFRO, c’est le style d’accessoires que Nicole Tiangaye, 32 ans, nĂ©e en RĂ©publique centrafricaine et arrivĂ©e Ă  OrlĂ©ans, en France, Ă  8 ans, a voulu crĂ©er avec sa marque, La Dame chiic : « Je cherchais quelque chose de ce type auprĂšs d’autres crĂ©ateurs afro, mais je n’arrivais pas Ă  trouver. Vu ma passion pour la mode, mon fiancĂ© m’a suggĂ©rĂ© de le faire moi-mĂȘme, et c’est comme ça que je me suis lancĂ©e. » Aujourd’hui, elle a sorti sa troisiĂšme collection, coup de cƓur de l’ancienne miss France Flora Coquerel, de la chanteuse Lynnsha et de la danseuse et chorĂ©graphe BadGyal Cassie, avec laquelle elle a entrepris des collaborations. Le produit phare de la marque est le harnais, un accessoire qui peut se marier avec toutes

sortes de looks, du glamour au punk, en passant par le street style, et qui permet d’ajouter une touche provocante et moderne Ă  n’importe quelle tenue. RĂ©alisĂ©es en wax et en similicuir, les crĂ©ations de Nicole Tiangaye sont faites Ă  la main et en petite sĂ©rie, afin que chacune de ses clientes puisse se sentir unique. Depuis sa deuxiĂšme collection, La Dame chiic propose des bretelles pour homme et enfant, mais aussi des bananes et des ceintures. DerniĂšres nouveautĂ©s en date, des visiĂšres et des porte-jarretelles, qui viennent Ă©largir une gamme d’accessoires faite pour des femmes qui osent. Parce que les vraies fĂ©rues de mode le savent : pour avoir un look qui se dĂ©marque, il faut soigner avant tout les petits dĂ©tails. la-dame-chiic.afrikrea.com/fr ■ Luisa Nannipieri

PortĂ© par un dessin particuliĂšrement soignĂ©, le rĂ©cit s’étale sur plusieurs niveaux de temps.

CINÉ

J’AI PERDU MON CORPS

Le pari osĂ© et rĂ©ussi d’un dessin animĂ© qui a pour hĂ©roĂŻne
 UNE MAIN TRANCHÉE !

NAOUFEL, ENFANT DÉRACINÉ DE SON MAROC

NATAL, a perdu ses parents dans un accident de voiture. Adolescent, il se retrouve hĂ©bergĂ© en France par un oncle qui lui ponctionne un loyer sur son maigre salaire de livreur de pizzas. Jusqu’au jour oĂč Naoufel rencontre Gabrielle. En parallĂšle, on suit la folle Ă©quipĂ©e d’une main coupĂ©e qui s’échappe du rĂ©frigĂ©rateur d’un hĂŽpital et qui part Ă  la recherche du reste de son corps
 Avec tous les obstacles que peut rencontrer sur son chemin une main qui avance au ras du sol avec ses cinq doigts – la course-poursuite avec des rats est mĂ©morable, on n’est clairement pas dans le Ratatouille de Disney. Ces deux morceaux d’histoire finiront par se recoller, sans que le spectateur ne se perde pour autant entre les nombreux flash-back, et ce n’est pas la moindre habiletĂ© du scĂ©nario (inspirĂ© du roman Happy Hand, de Guillaume Laurant). Tout un jeu sur le souvenir s’instaure : mĂ©moire d’un membre amputĂ©, mĂ©moire d’un jeune homme qui, enfant, a enregistrĂ© sur magnĂ©tophone les bruits et les voix autour de lui avant de les oublier.

PortĂ© par un dessin particuliĂšrement soignĂ©, le rĂ©cit, souvent haletant, tisse plusieurs niveaux de temps, entre prĂ©sent et passĂ© plus ou moins lointain, et nous embarque. L’animation recrĂ©e un quotidien trĂšs rĂ©aliste (intĂ©rieur d’appartements, rues, gestes quotidiens, etc.), Ă  la façon des studios japonais dont les dessins animĂ©s visent un public adulte. Le rĂ©sultat est Ă  la fois trĂšs original, puissant et limpide, malgrĂ© la complexitĂ© de sa construction. Ce premier film poĂ©tique – son rĂ©alisateur, JĂ©rĂ©my Clapin, n’avait fait que des courts-mĂ©trages jusque-lĂ  – a d’ailleurs fait chavirer le dernier Festival de Cannes en remportant le Grand prix de la Semaine de la critique. Et des dessins animĂ©s qui gagnent au dĂ©triment de films, on les compte
 sur les doigts d’une main ! ■ Jean-Marie Chazeau J’AI PERDU MON CORPS (France), de JĂ©rĂ©my Clapin. Avec les voix de Hakim Faris, Victoire Du Bois, Bellamine Abdelmalek

NOURA RÊVE

Un suspense sociétal dans la Tunisie post-révolutionnaire.

POUR INCARNER NOURA, UNE BLANCHISSEUSE travaillant dans les sous-sols d’un hĂŽpital, Hend Sabri, star en Égypte, a dĂ» rĂ©apprendre le langage parlĂ© par la rue de son pays d’origine, la Tunisie. Mais aussi apparaĂźtre sans maquillage, elle, l’égĂ©rie de L’OrĂ©al et de Garnier pour les pays arabes, les traits cernĂ©s par la fatigue. Et pour cause : en plus de son travail, Noura doit s’occuper de ses trois enfants, rendre visite en prison Ă  son mari qu’elle dĂ©teste et qu’elle craint, et se cacher pour retrouver rĂ©guliĂšrement son amant. Dans un pays oĂč l’adultĂšre est puni jusqu’à cinq ans de prison, elle cherche Ă  rapidement divorcer pour Ă©pouser l’homme qu’elle aime. ProblĂšme : le mari sort de prison plus tĂŽt que prĂ©vu, veut garder son Ă©pouse, et va se venger d’une façon assez peu rĂ©aliste mais violente. Ce sombre scĂ©nario mĂ©nage un suspense haletant, dans cette banlieue sud de Tunis, Djebel Jelloud, qui offre un dĂ©cor misĂ©reux et pourtant sublimĂ© par la camĂ©ra. Les trois comĂ©diens principaux sont particuliĂšrement convaincants, jusque dans l’ambiguĂŻtĂ© de leur personnage. Cette nouvelle variation du trio vaudevillesque, dans la Tunisie post-rĂ©volutionnaire, est Ă  la fois intense et trĂšs politique. C’est aussi une belle Ă©tude sur le mensonge comme moyen de sauver sa peau. ■ J.-M.C. NOURA RÊVE (Tunisie-Belgique-France), de Hinde Boujemaa. Avec Hend Sabri, Lotfi Abdelli, Hakim Boumsaoudi.

By’Recycl, du pneu au pouf

SOUNDS

À Ă©couter maintenant !

Souad Massi

Oumniya, NaĂŻve/ Believe

DÉJÀ PLUS DE VINGT ANS DE CARRIÈRE pour la voix d’or venue d’Alger. AprĂšs le trĂšs beau El MutakallimĂ»n, dans lequel elle s’appropriait les textes des plus grands poĂštes arabes, Souad Massi revient avec Oumniya (« mon souhait »). Ici, il s’agit avant tout de libertĂ©, sur un fond tissĂ© de chaĂąbi et de folk aux arrangements toujours ciselĂ©s. Cette libertĂ©, c’est celle des femmes, de tout Ăąge et de tout continent, celle des hommes aussi. Un album aussi poĂ©tique qu’engagĂ©. ■ Sophie Rosemont

Acid Arab Jdid, Crammed Discs

FONDÉ PAR LES DJ

HervĂ© Carvalho et Guido Minisky, ce collectif a pour vocation de mixer l’électro façon clubbing avec les mĂ©lodies orientales traditionnelles. Et ça dĂ©pote ! Pour son deuxiĂšme album, Acid Arab s’entoure du groupe fĂ©minin touareg Les Filles de Illighadad, de la chanteuse algĂ©rienne Radia Menel ou encore du Jordanien Hasan Minawi. De « Staifia » Ă  « Malek Ya Zahri », le rythme ne faiblit pas et confirme le titre du disque, Jdid (« frais » en arabe). ■ S.R.

En un an, COUMBA DIAKITÉ, 28 ans, a mis sur pied une entreprise faisant passer les vieux pneus du bord de la route au salon. Dans son atelier, avec l’aide de quatre menuisiers, elle les habille d’une structure en bois pour les transformer en poufs et fauteuils, avant de les vendre Ă  des entreprises, des hĂŽtels et des particuliers. Son projet lui vaut d’ĂȘtre parmi les 54 femmes distinguĂ©es en 2019 par le forum Women in Africa. byrecycl.com ■ L.N.

Hend Sabri incarne une blanchisseuse adultĂšre aux prises avec son mari violent.

TÉLÉ

Roschdy Zem

Cette série politique MADE IN FRANCE a secoué la rentrée du petit écran.

CHEZ LES SAUVAGES

À PEINE ÉLU, UN PRÉSIDENT FRANÇAIS d’origine kabyle se fait tirer dessus par un jeune arabe
 Le premier Ă©pisode de l’ambitieuse sĂ©rie produite par Canal+ donne le ton. Le chef de l’État, c’est Idder Chaouch, jouĂ© par un Roschdy Zem magnĂ©tique, trĂšs Barack Obama. Sa fille vit avec Fouad Nerrouche, un acteur Ă  succĂšs qui a un peu

trop rapidement oubliĂ© sa citĂ© d’origine Ă  Saint-Étienne et se retrouve accusĂ© de complicitĂ© avec le tireur
 qui est son cousin. MĂȘlant soap opera familial, plongĂ©e dans les coulisses du pouvoir, enquĂȘte policiĂšre et suspense, la sĂ©rie s’inspire des romans de Sabri Louatah, par ailleurs crĂ©ateur de cette adaptation. Ces Sauvages vont parfois vite en besogne, mais touchent au but : interroger l’avenir d’un certain vivre ensemble dans une ex-puissance coloniale. Avec une ribambelle d’excellents acteurs arabes, comme on a peu vu dans une production française. ■ J.-M.C. LES SAUVAGES (France), de Sabri Louatah et Rebecca Zlotowski (6 x 52 mm). Avec Roschdy Zem, Dali Benssalah, Farida Rahouadj, Marina FoĂŻs, Amira Casar. Disponible sur Canal+ et Canal+ Afrique

ART CONTEMPORAIN

CRÉATIONS SANS FRONTIÈRES

Pendant trois jours, la foire parisienne ALSO KNOWN AS AFRICA présentera une sélection toujours plus pointue.

POUR SA QUATRIÈME ÉDITION, l’unique foire française d’art contemporain centrĂ©e sur le continent et ses diasporas ne place plus au centre les artistes africains, mais l’Afrique dans sa globalitĂ©. Et cela change tout. En redessinant la carte de l’art contemporain en France, Victoria Mann, fondatrice et directrice du projet, invite Ă  (re)dĂ©couvrir des Afriques qui sont ouvertes sur le monde
 et un monde ouvert sur le continent. Cette annĂ©e, on y verra par exemple Marcelo Brodsky, un artiste argentin qui Ă©tudie dans son travail les systĂšmes Ă©conomiques, sociaux et politiques du Congo. Mais aussi l’Allemande Marion Boehm ou le Congolais Houston Maludi, lequel investira la nef centrale pour une expĂ©rience immersive inĂ©dite. Autant d’artistes qui vont au-delĂ  de leur nationalitĂ© ou leur gĂ©ographie propre, pour s’inspirer des mondes qui les entourent. ■ C.F.

AKAA – ALSO KNOWN AS AFRICA, Carreau du Temple, Paris (France), du 9 au 11 novembre 2019. akaafair.com

Victoria Mann est la fondatrice et directrice de cet événement français unique en son genre.

Congo 1968, Marcelo Brodsky, 2018.

ALBUM

Toujours Natacha Atlas au sommet

En mariant l’anglais et l’arabe sur une musique entre jazz et mĂ©lodies orientales, LA CHANTEUSE arrive Ă  relier tous les styles.

APRÈS LE TRÈS ÉLÉGANT MYRIAD ROAD paru il y a quatre ans, Natacha Atlas revient avec un nouvel opus imaginĂ© aux cĂŽtĂ©s du compositeur, violoniste et directeur musical Samy Bishai. Tous deux sont nĂ©s d’un pĂšre Ă©gyptien et d’une mĂšre britannique et souhaitent marier la musique traditionnelle arabe au jazz. EntourĂ©s de musiciens cinq Ă©toiles (de la pianiste Alcyona Mick au trompettiste Hayden Powell, en passant par le percussionniste Oli Savill et la chanteuse Joss Stone), Atlas et Bishai ont Ă©crit un album qui rappelle toute la richesse des influences de la diva : « Mon hybriditĂ© et ma dualitĂ© entre le Moyen-Orient et l’Europe, dans toutes ses facettes », prĂ©cise-t-elle. De « Out of Time » Ă  « Moonchild », on se laisse porter par cette musique Ă  la fois saisissante et inclassable, organique et synthĂ©tique. ■ S.R.

NATACHA ATLAS, Strange Days, Whirlwind Recordings/Socadisc.

LITTÉRATURE

Hemley Boum

Trois femmes, plusieurs

Cameroun

La

ROMANCIÈRE

aborde avec justesse et

lucidité les questions de la transmission

et DE L’IDENTITÉ.

RIEN NE PRÉDESTINAIT Hemley Boum Ă  une carriĂšre d’écrivaine. NĂ©e en 1973 Ă  Douala, puis diplĂŽmĂ©e d’une maĂźtrise en sciences sociales Ă  l’universitĂ© catholique d’Afrique centrale, Ă  YaoundĂ©, elle poursuit ses Ă©tudes Ă  Lille, en marketing et commerce extĂ©rieur, pour finalement s’installer en banlieue parisienne. D’une grande puissance narrative, ce nouveau roman s’inscrit dans la lignĂ©e de ses prĂ©cĂ©dents ouvrages, parmi lesquels Le Clan des femmes, en 2010, qui traite de la polygamie dans un village africain du dĂ©but du XXe siĂšcle. Ou bien Les Maquisards, dans lequel elle revisite avec passion la lutte pour l’indĂ©pendance du Cameroun, et plus largement la dĂ©colonisation. Un roman puissant et complexe, rĂ©compensĂ© en 2015 par le Grand prix littĂ©raire d’Afrique noire, puis le Prix du livre engagĂ© l’annĂ©e suivante.

HEMLEY BOUM, Les jours viennent et passent, Gallimard, 368 pages, 21 €.

Les jours viennent et passent invitent Ă  une Ă©popĂ©e spatio-temporelle au cours de laquelle on glisse aisĂ©ment du prĂ©sent au passĂ©, des annĂ©es 1950 Ă  nos jours, de Paris Ă  Douala. Au soir de sa vie, Anna se remĂ©more son existence mouvementĂ©e dans un Cameroun en pleine transformation. Sa fille unique, Abi, a fait le choix de vivre en France, oĂč elle tente de dĂ©nouer ses propres conflits, d’accorder sa vie amoureuse et ses responsabilitĂ©s familiales. Puis apparaĂźt Tina, rescapĂ©e des camps terroristes de Boko Haram. Cette toute jeune femme mĂȘle sa voix et sa destinĂ©e Ă  la leur. DerriĂšre les mots de sa protagoniste, Hemley Boum place une fois de plus les mutations de son pays et les questions identitaires au cƓur de ses Ă©crits. « Je me suis longtemps tenue Ă  l’écart de la littĂ©rature africaine, j’y lisais une injonction qui ne me convenait pas. Les auteurs Ă©trangers parlaient Ă  un moi intime, eux convoquaient la couleur de ma peau, ainsi qu’une histoire qui me blessait et m’humiliait », Ă©crit-elle. Si les voix des femmes portent le rĂ©cit, les hommes ne sont toutefois pas en reste : Max, le fils mĂ©tisse d’Abi, reprĂ©sente – avec Tina et ses amis de Douala – une gĂ©nĂ©ration confrontĂ©e au pire, mais habitĂ©e par l’espoir de jours meilleurs. L’ouverture d’une nouvelle Ăšre. À travers trois gĂ©nĂ©rations de femmes, la romanciĂšre embrasse, en un mĂȘme Ă©lan romanesque, Ă  la fois l’histoire contemporaine du Cameroun et l’éternelle histoire du cƓur humain. ■ C.F.

RÉCITS SOLIDAIRES

it pas. Les auteurs Ă©trange g rs oule l ur de ma peau, ainsi miliait », Ă©criit-elle. cit, ils mĂ©tisse d’Abi, ouala – une bitĂ©e ouvelle Ăšre. la romanciĂšre ue, fois et l’éternelle

SEIZE TEXTES INTENSES, Ă©mouvants souvent, intimes parfois, sont rĂ©unis dans ce recueil aussi bouleversant qu’éclairant. LivrĂ©es par des auteurs mĂ©diterranĂ©ens, Ă  l’instar d’Aminata Aidara, Meryem Alaoui, LeĂŻla Slimani ou encore Mahmoud Tawfik, ces courtes fictions francophones ou traduites Ă©voquent les relations entre les pays du Sud et l’Europe, et le destin d’une mer devenue cimetiĂšre. Ils racontent l’espoir d’une autre vie, l’horreur rencontrĂ©e en chemin ou la dĂ©chirure de l’exil, ponctuĂ©s par de fragiles instants de joie ou de douceur. Avec l’intĂ©gralitĂ© de ses bĂ©nĂ©fices reversĂ©s Ă  l’association SOS MĂ©diterranĂ©e, ce livre est une contribution Ă  la mobilisation citoyenne internationale. Depuis 2015, elle porte assistance aux hommes, femmes ou enfants, migrants ou rĂ©fugiĂ©s, qui se retrouvent en danger de mort lorsqu’ils traversent la MĂ©diterranĂ©e. Son bateau, L’Aquarius, dont l’écrivain français Laurent GaudĂ© a Ă©crit qu’il Ă©tait l’Antigone de l’Europe, est aujourd’hui contraint de rester Ă  quai, Ă  Marseille, faute de pavillon. Mais la mobilisation, elle, n’a pas faibli. ■ C.F.

COLLECTIF, MĂ©diterranĂ©e, amĂšre frontiĂšre, Actes Sud, 144 pages, 15 €. Hemley

Hem m He e ley ey Bou Bo o ouum. m

Héros à découvrir

Le Smithsonian’s National Museum of African Art, à Washington, met sur le devant de la scùne LES GRANDS PERSONNAGES du continent.

POUR SA NOUVELLE EXPOSITION ÉVÉNEMENT, « Heroes : Principles of African Greatness », le Smithsonian’s National Museum of African Art a dĂ©cidĂ© de s’intĂ©resser aux grands hĂ©ros du continent. Par leurs combats, leurs luttes et leurs triomphes, ces individus exceptionnels incarnent des valeurs qui mĂ©ritaient d’ĂȘtre cĂ©lĂ©brĂ©es et de traverser les gĂ©nĂ©rations. Dans cette exhibition trĂšs attendue, le musĂ©e national d’art africain de Washington a rassemblĂ© prĂšs de 50 Ɠuvres de 40 artistes de sa collection permanente ayant un lien avec le parcours de personnages qui ont jouĂ© un rĂŽle clĂ© dans les arts et l’histoire de l’Afrique. La scĂ©nographie est novatrice : chaque Ɠuvre est associĂ©e Ă  un individu africain hĂ©roĂŻque, lequel incarne une valeur portĂ©e par l’Ɠuvre en question. Une maniĂšre originale de dĂ©couvrir des hĂ©ros et hĂ©roĂŻnes tantĂŽt connus, tantĂŽt surprenants, mais toujours courageux. ■ C.F. « HEROES : PRINCIPLES OF AFRICAN GREATNESS », National Museum of African Art, Washington (États-Unis), Ă  partir du 16 novembre 2019. africa.si.edu

Ci-dessus : The Nasser Era and Om Kalsoum, Chant Avedissian, 1994. Ci-contre : cette statue igbo, du début-milieu du XXe siÚcle, est associée au célÚbre écrivain nigérian Chinua Achebe.

De gauche Ă  droite, Ben Abarbanel-Wolff, Pat Thomas et Kwame Yeboah.

MUSIQUE

PAT THOMAS & KWASHIBU AREA BAND

Le lĂ©gendaire chanteur ghanĂ©en de highlife revient avec OBIAA!, un Ă©patant D’ÉNERGIEconcentrĂ© ET D’AFROPOP.

PAT THOMAS & KWASHIBU

AREA BAND, Obiaa!, Strut Records.

À LA FOIS AUTHENTIQUE PAR SON CHANT, funk par ses cordes et afrobeat par son dynamisme – sans oublier ses cuivres entĂȘtants –, Obiaa! est le disque qui va Ă©clairer notre hiver, et tous ceux Ă  venir. Car l’on a affaire Ă  Pat Thomas, 72 ans, l’une des plus grandes voix du highlife, un mouvement musical nĂ© Ă  Kumasi, comme lui, haut en swing et en engagement. Les seventies n’auraient pas Ă©tĂ© les mĂȘmes sans cet artiste inspirĂ© et nomade, qui a habitĂ© en Allemagne comme au Canada. Quand on lui demande ce que cela fait d’ĂȘtre une icĂŽne de la musique ghanĂ©enne, il fait preuve de son habituelle humilitĂ© : « Je n’y pense jamais ! Je mĂšne tout simplement ma vie, heureux de pouvoir continuer Ă  faire de la musique. C’est formidable que des personnes dĂ©couvrent encore mes disques du passĂ©, comme ils Ă©coutent les nouveaux. Mais au-delĂ  de ma passion pour la scĂšne, je suis dĂ©vouĂ© Ă  ma famille et je veux ĂȘtre certain de payer mes factures, comme tout le monde ! » Il vient justement d’enregistrer un nouveau disque avec son groupe Kwashibu, composĂ© du multi-instrumentiste Kwame Yeboah et du saxophoniste Ben Abarbanel-Wolff. EnregistrĂ© Ă  Berlin, Obiaa! fait suite Ă  Pat Thomas & Kwashibu Area Band (2015), qui souhaitait dĂ©jĂ  conjuguer l’hĂ©ritage de l’Afrique de jadis aux sonoritĂ©s actuelles. Fort d’une tournĂ©e Ă  guichets fermĂ©s, Pat Thomas ne se fait pas prier quand ses deux compĂšres lui demandent de remettre ça en studio : « Nous avons voulu dĂ©velopper le style Kwashibu, testĂ© et approuvĂ© durant nos concerts, et Kwame a rĂ©ussi Ă  prĂ©server l’esprit des annĂ©es 1970, notamment avec les guitares, tout en lui insufflant du neuf. » Le titre de l’album signifie « Tout le monde ! » et, en effet, il brille par son universalitĂ©. Les messages d’ouverture d’esprit et de bienveillance traversent les chansons, entre « Onfa Nkosi Hwee » et « Odo Ankasa ». Et quand on lui demande quel est son secret de forme, ce qui lui permet une telle Ă©nergie crĂ©ative, Pat Thomas s’exclame : « Je n’en ai aucune idĂ©e ! Mais ça doit ĂȘtre quelque chose en lien avec la nourriture
 [rires] Jouer sur scĂšne devant des foules du monde entier est Ă©lectrisant, car le public aime tellement la musique
 Et le Kwashibu Band est si chaud ! Il y a de quoi me maintenir en forme ! » ■ S.R.

ÉVÉNEMENT

Marrakech, grand format

Le palais El Badi a accueilli une exposition hommage au Libanais Michel Nachef.

Fondées par le directeur artistique Abdellah Oustad, les RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE de Marrakech se sont tenues dans la cité ocre du 14 au 20 octobre derniers.

La deuxiÚme édition de ce festival entiÚrement dévolu au huitiÚme art a fédéré jeunes talents et grands noms venus des quatre coins du monde.

JOURNÉE ENSOLEILLÉE au MusĂ©e Yves Saint Laurent de Marrakech le 14 octobre dernier. Abdellah Oustad, directeur artistique du festival In Situ Ă  Arles, est le crĂ©ateur de cet Ă©vĂ©nement dĂ©diĂ© au huitiĂšme art. « Je souhaite transmettre ma passion Ă  un large public, rendre accessible Ă  tous la culture de l’image et promouvoir la jeune photographie marocaine et africaine », prĂ©cise-t-il en animant une confĂ©rence-dĂ©bat avec Lassana Igo Diarra, dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral des Rencontres de Bamako [voir p. 84]. Au programme de cette deuxiĂšme Ă©dition, 60 photographes provenant d’Afrique et des quatre coins du monde y Ă©taient rĂ©unis, aux cĂŽtĂ©s de dix experts internationaux assurant la lecture de portfolios en tĂȘte Ă  tĂȘte.

Nombre de lieux d’exposition Ă©taient Ă  dĂ©couvrir au fil de dĂ©ambulations marrakchies, comme le riad Denise Masson ou le monumental palais El Badi, dans lequel se sont

tenues trois nuits de projection, prĂ©sentant les sĂ©ries d’AurĂšle Andrews-Benmejdoub et Ali Berrada (Maroc), Nadia Rabhi et Pierryl Peytavi (France), ZoĂ© Aubry (Suisse) ou encore Justin Dingwall (Afrique du Sud). Le palais a Ă©galement accueilli l’exposition hommage Ă  Michel Nachef, « Sahara, nos territoires », sous la direction du commissaire d’exposition, Gilles Magnin : « C’est un tĂ©moignage artistique qui Ă©voque la culture marocaine dans sa diversitĂ©. » Cet Ă©vĂ©nement a pour finalitĂ© de s’imposer comme un rendez-vous majeur au sein du royaume et du continent. Pour Lassana Igo Diarra, le cercle vertueux est lancĂ© : « Il y a dĂ©jĂ  des ponts entre les divers pays : la prochaine biennale photo de Bamako prĂ©sentera des sĂ©ries signĂ©es par le collectif 220, reprĂ©sentĂ© par les jeunes AlgĂ©riens Fethi Sahraoui et Youcef Krache. Quant au Maroc, il dĂ©borde de dynamisme et d’énergie crĂ©ative Ă  suivre. »

Si parmi les photographes, il y a ceux qui visitent le monde et ceux qui s’attachent Ă  leur environnement immĂ©diat, Ishola Akpo est une subtile alliance des deux, incarnant les jeunes pousses du milieu. Porteur d’un brassage culturel et identitaire, destinĂ© Ă  « penser l’avenir du continent dans sa multiplicitĂ© », ce photographe d’origine nigĂ©riane et bĂ©ninoise signe une sĂ©rie singuliĂšre, « Ahwando », rĂ©alisĂ©e sur le site archĂ©ologique d’Agongointo au BĂ©nin (datant du XVIIIe siĂšcle) et prĂ©sentĂ©e lors des nuits de projection. Le photographe ravive la trace des envahisseurs venus du Nigeria en se plaçant dans la peau des traquĂ©s, camouflĂ© dans des feuilles mortes, cachĂ© dans des ahwando (« trous de guerre »). En 2018, il avait consacrĂ© un autre projet, « Daibi », Ă  un dieu imaginaire, alors qu’il Ă©tait Ă  la rĂ©sidence d’artistes Jardin Rouge (fondation Montresso), Ă  Marrakech : tout en s’inspirant de la culture marrakchie et yoruba, il y avait rĂ©alisĂ© une puissante sĂ©rie d’autoportraits sur impression pigmentaire, prĂ©sentĂ©e dans le cadre de l’exposition « IN-DISCIPLINE ». « Me reprĂ©senter dans un espace diffĂ©rent du contexte bĂ©ninois yoruba a Ă©tĂ© trĂšs enrichissant », prĂ©cise-t-il.

Autre surprise : le Japon Ă©tait le pays invitĂ© de cette Ă©dition. Une carte blanche a Ă©tĂ© donnĂ©e Ă  l’artiste japonaise Miki Nitadori, qui a sĂ©lectionnĂ© et prĂ©sentĂ© six de ses pairs de renommĂ©e internationale : Yuji Hamada, Naruki Oshima, Yuki Onodera, Ken Kitano, Kazuyoshi Usui et Risaku Suzuki. Pour Marie Moignard, curatrice et journaliste pour le magazine Diptyk : « Il faut rĂ©unir davantage d’artistes marocains et de la diaspora afin de sĂ©duire le public touristique et local. » Au-delĂ  d’ĂȘtre une plate-forme d’échanges fĂ©dĂ©rant les regards croisĂ©s d’artistes provenant du Maghreb, d’Afrique et d’Asie, ces Rencontres de la photographie de Marrakech devront en effet s’inscrire dans le temps, dans un ancrage plus local, afin de convaincre les partenaires financiers et de susciter un grand attrait pour le public. ■ Fouzia Marouf

Ahwando, Ishola Akpo, 2017.
Autoportrait, AurĂšle Andrews-Benmejdoub, 2019.
Transvest: Iris and Noah, Yuki Onodera, 2009.
De gauche à droite, Abdellah Oustad, Lassana Igo Diarra, Khalid Tamer et Ishola Akpo.

CE QUE J’AI

Muthoni Drummer Queen

CETTE RAPPEUSE ET PERCUSSIONNISTE KENYANE

est également une entrepreneure à succÚs. Dans son dernier album, She, elle se fait la porte-parole des femmes du continent et les célÚbre avec son sens du rythme et sa verve inimitable. propos recueillis par Astrid Krivian

Mon album raconte des histoires de femmes de mon pays, inspirĂ©es par des rĂ©cits que j’ai entendus. Lancer un business, se dĂ©tacher de l’emprise maternelle, faire le deuil d’une relation avec un compagnon
 Elles sont Ă  un moment dĂ©cisif de leur vie oĂč elles font face Ă  des bouleversements. En ayant le courage de rĂ©gler leur situation, elles deviennent leur propre hĂ©roĂŻne, leur sauveuse, et amĂ©liorent leur existence.

J’ai commencĂ© les percussions Ă  10 ans, puis j’ai fait de la batterie. Le rythme est un langage premier, c’est vraiment ce qui fait bouger les gens. Tout peut ĂȘtre une percussion : un seau, une table
 Je fais de la musique parce qu’elle est venue facilement et naturellement vers moi. Je me sens Ă©panouie Ă  en crĂ©er, Ă  en Ă©couter, Ă  en partager. C’est aussi une maniĂšre directe et efficace de transmettre une idĂ©e, un message au monde.

La musique nous fait grandir, nous Ă©lĂšve. Elle est une belle maniĂšre de se connecter aux autres, Ă  l’humanitĂ©.

En concert, l’éclairage, la chorĂ©graphie, les tenues participent Ă  amener l’expĂ©rience Ă  un plus haut niveau, Ă  sortir de l’ordinaire, pour l’artiste comme pour le spectateur. Et, comme dans certaines cĂ©rĂ©monies kenyanes, le maquillage fait partie du rituel de la performance. Je choisis mes vĂȘtements, pas forcĂ©ment parce qu’ils sont sexy, mais parce qu’ils expriment une histoire visuelle forte. De style futuriste, ils sont confectionnĂ©s au Kenya, c’est une façon aussi de prĂ©senter le design, la mode de mon pays.

J’ai initiĂ© deux festivals au Kenya, Africa Nouveau et Blankets and Wine. Cela reprĂ©sente beaucoup de travail, mais il faut crĂ©er des espaces pour mettre en avant de nouvelles idĂ©es. Africa Nouveau fait se croiser la musique, la mode, les films, le culinaire, autour des identitĂ©s, des diasporas, de leurs connexions. En somme, une cĂ©lĂ©bration philosophique de la vie et de l’Afrique, avec ses crĂ©ateurs les plus douĂ©s, Ă  la pointe de la modernitĂ©.

Je suis heureuse d’avoir contribuĂ© Ă  la bande originale de Rafiki, rĂ©alisĂ© par mon amie Wanuri Kahiu [sorti en 2018, le long-mĂ©trage raconte une histoire d’amour entre deux jeunes femmes Ă  Nairobi et a Ă©tĂ© censurĂ© au Kenya, ndlr]. C’est un film trĂšs intĂ©ressant, qui montre les expĂ©riences des personnes LGBTQ dans mon pays natal, les discriminations qu’elles subissent. Ce type d’Ɠuvres est important pour ouvrir un dĂ©bat.

Ma chanson « Million Voice » m’a Ă©tĂ© inspirĂ©e par la situation, ces derniĂšres annĂ©es, des rĂ©fugiĂ©s somaliens, soudanais et rwandais au Kenya. Mais elle embrasse un sujet plus large : la façon dont les peuples qui accueillent ces exilĂ©s les traitent, les perçoivent, interagissent avec eux
 Le but de ce morceau est d’inviter les gens Ă  les considĂ©rer comme des humains avant tout.

En menant une carriĂšre artistique et en dirigeant un business, je contribue au dynamisme Ă©conomique du secteur musical de mon pays, lequel est encore au stade de dĂ©veloppement. Et mĂȘme s’il y a beaucoup Ă  faire, avec mes consƓurs de ma gĂ©nĂ©ration, nous faisons ainsi fait progresser les droits des femmes, leur place, leur statut social. ■

She, Yotanka Records, 2018.
«La musique nous fait grandir, nous Ă©lĂšve. Elle est une belle maniĂšre de se connecter aux autres, à l’humanitĂ©.»

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ADRESSE INCONNUE

On a souvent entendu parler de projets d’adressage dans les capitales africaines. C’est-Ă -dire numĂ©roter les habitations et autres locaux commerciaux, avec un nom de rue bien indiquĂ© en dĂ©but et en fin de voie. Mais, finalement, force est de reconnaĂźtre que
 ça ne marche pas ! Et malgrĂ© quelques efforts (pas terribles), le systĂšme D reprend ses droits. Pour les locaux, qui connaissent par cƓur leur tissu urbain, c’est pas bien grave. Mais, pour les visiteurs, invitĂ©s Ă  dĂźner chez X ou Y, il faut reconnaĂźtre que c’est une joyeuse galĂšre ! Les indications, dĂ©jĂ , montrent qu’on n’est pas sortis de l’auberge. « Alors, c’est au quartier bidule, deuxiĂšme rond-point Ă  gauche, roulez jusqu’au panneau Orange, puis aller Ă  droite jusqu’aux palmiers, et aprĂšs la maison au portail bleu, c’est encore Ă  gauche et Ă  droite, puis tout droit jusqu’à la boulangerie Pain d’or, et
 »

Et lĂ , vous demandez, car vous ĂȘtes paumĂ© !

La notion de « Ă  gauche » ou « Ă  droite » sur la rue X part en cacahuĂštes quand on se rend compte qu’il y a plusieurs rues concernĂ©es, ou que l’enseigne de telle ou telle boutique a changĂ©, que machin a repeint son portail, etc. Alors, Ă©videmment, si vous vous rendez chez un « grand quelqu’un », ministre, DG ou star de la chanson, la mine d’infos, ce sont les gardiens. Eux savent toujours et vous orientent quand vous errez, en tournant trois fois sur le mĂȘme rond-point, hĂ©bĂ©tĂ©. Ils assurent, passent leur journĂ©e Ă  Ă©pier les allĂ©es et venues de X ou Y, et connaissent parfaitement les villas des personnalitĂ©s alentour.

En revanche, si vous avez le malheur d’aller chez un ami pas connu du tout, qui loge dans un quartier modeste oĂč les gardiens ne pullulent pas, c’est plus coton. Et lĂ , y a pas intĂ©rĂȘt Ă  ce qu’on ait rasĂ© les palmiers que l’on vous a indiquĂ©s comme point de repĂšre. Sinon, vous ĂȘtes obligĂ©, neuf fois sur dix, de vous arrĂȘter lĂ  oĂč vous ĂȘtes, en attendant que votre hĂŽte vienne vous chercher
 « Sur le goudron », comme on dit, car, en gĂ©nĂ©ral, c’est la redoutable petite route non bitumĂ©e que vous avez ratĂ©e ! Bref, il paraĂźt que ça coĂ»te super cher de donner des noms et des numĂ©ros aux rues. Et, certes, les constructions anarchiques ne facilitent pas la tĂąche. Sans compter que ce systĂšme « flou », oĂč l’on ne sait pas vraiment officiellement oĂč habitent les gens, arrange pas mal de locataires clandestins et de faux propriĂ©taires. Il n’empĂȘche qu’au-delĂ  du folklore, il serait peut-ĂȘtre temps de se pencher sur le sujet. Car, justement, l’adressage peut ĂȘtre un bon moyen d’assainir les capitales et leur cadastre. Et, accessoirement, de faciliter la vie aux visiteurs perdus ! ■

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