AM 428 FREE

Page 1


J’ai été recruté et formé dans mon pays.

ALIM KAMATE, AGENT TRANSIT

OFFRIR plus À LA JEUNESSE AFRICAINE

Avec 21 000 collaborateurs sur le continent Africain, Bolloré Transport & Logistics a fait de l’emploi local une priorité. Grâce à une politique RH forte en matière de relation écoles, d’accueil de stagiaires et d’alternants et de formation continue du personnel, 99% de nos collaborateurs sont employés dans leur pays.

NOUS FAISONS BIEN plus QUE DU TRANSPORT ET DE LA LOGISTIQUE

LA FRANCE FRACTURÉE

Emmanuel Macron…

Tout de même, quel stupéfiant personnage. Un Rastignac des temps modernes, ambitieux, courageux, à la fois sincère et cynique, un pur produit de la méritocratie, capable de jongler à l’infini avec les concepts, un homme sans parti, jamais élu, et qui a pris de court tout le système politique français en 2017 pour devenir le plus jeune président de l’histoire de la République. Un chef sans véritable idéologie, adepte du « en même temps », penchant souvent à droite, plus rarement à gauche, écologique par idéal, sans l’être vraiment dans la pratique. Un chef qui se veut dans l’action, loin des saveurs et des délices de la politique politicienne, comme l’aimaient un Jacques Chirac ou un François Mitterrand… Un président décidé à rompre avec le poids de l’histoire, en particulier dans sa relation avec l’Afrique, à changer de génération, quitte à froisser les ego et les susceptibilités. Quitte aussi à beaucoup promettre (le discours de Ouagadougou), sans véritablement parvenir à inverser la donne. Un chef d’État finalement peu expérimenté qui affrontera au cours qu’un quinquennat brutal des crises majeures, systémiques, qui auraient pu l’emporter : celle des Gilets jaunes, véritablement soulèvement du peuple d’en bas, celle de la pandémie de Covid-19, celle enfin de la guerre, avec l’invasion de l’Ukraine et la menace aux portes du pays…

Et puis, la France ne l’aime pas, ce Rastignac justement, trop jeune, trop souriant, trop brillant, trop sûr de lui, « arrogant » donc. Ici, c’est le pays de l’égalité, fortement inscrite dans les gènes, depuis la Révolution de 1789. On n’aime pas ce qui dépasse, et ce qui se distingue. La France est rétive, éruptive, complexe, difficile à gouverner.

Et voilà pourtant que ce président au bout du rouleau, impopulaire, que l’on dit apolitique, est réélu, plutôt confortablement (58 %), repoussant à lui tout seul, et une fois encore, le danger d’une prise de pouvoir par le Rassemblement national

de Marine Le Pen, explosif mélange entre l’extrême droite et la mayonnaise populiste… L’homme est habile, on ne demeure pas au pouvoir par hasard, il a du talent, mais la tâche qui l’attend pourrait paraître insurmontable.

Pour toute une partie de l’opinion, la France est un pays fini, en voie de déclassement, un pays envahi, un pays ultralibéral, limite antisocial. La vérité ou les vérités relatives ne changent rien à cette analyse à la hache. Oui, vivre en France, ce n’est pas le bonheur pour tous, ce n’est pas le monde idéal. Personne ne sous-estime le besoin de modernisation et de mise à niveau de pans entiers du système, l’éducation, la santé, la justice, la sécurité sociale, les retraites. Mais personne n’est d’accord sur la méthode et les objectifs. Et tout le monde finit par oublier, que même affaibli, ce système reste l’un de plus généreux et les plus efficaces au monde. La redistribution fonctionne tant bien que mal et, là encore, mieux que presque partout ailleurs, mais l’anxiété est générale. Les revenus de la très grande majorité des Français sont fragiles avec un salaire médian modeste (un peu en dessous de 2 000 euros), ce qui rend inabordable pour la plupart de vivre dans les grands centres urbains dynamiques. La question du pouvoir d’achat est posée pour une grande partie des classes moyennes et populaires. Question devenue d’autant plus urgente que la guerre en Ukraine provoque des secousses sismiques sur les marchés de l’énergie, de l’alimentation, de certaines matières premières stratégiques pour l’automobile, la construction… Le défi écologique bouleverse une jeunesse qui se demande dans quel monde brûlé elle vivra. La mondialisation a provoqué une délocalisation massive des emplois industriels. Cette même mondialisation accentue les fractures territoriales, avec des villes à l’avant-garde de la technologie, de l’innovation et des services, et d’autres qui dépérissent dans des territoires de seconde division, entourées de campagnes qui se dépeuplent…

L’incessante polémique sur l’immigration, largement factice et instrumentalisée par l’extrême droite, cache en réalité un débat autrement plus critique, celui d’un pays fracturé, qui perd son unicité, son sens du vivre-ensemble, son identité partagée. La France, « ce vieux pays d’un vieux continent », comme disait Dominique de Villepin, est en plein bouleversement, et la désorientation est générale. Pour reprendre le travail remarquable de Jérôme Fourquet*, paru en 2019, nous faisons face à « l’archipel français », où les habitants vivent sous un même drapeau, mais comme s’ils étaient sur des îles différentes, déconnectées les unes des autres, séparées par la mer. Les grandes matrices traditionnelles du vivre-ensemble ont explosé : la culture catholique tout d’abord, le cadre communiste/ouvriériste ensuite, les médias rassembleurs (comme les grandes chaînes de télévision)… Le cartésianisme scientifique et la démocratie représentative sont affaiblis par le relativisme, les théories du complot, les réseaux sociaux, les simplifications à outrance.

La destruction de ces matrices traditionnelles laisse place à l’individualisme, au particularisme, couplé à l’esprit de clan, à des groupes aux intérêts divergents. Avec des forces particulièrement structurantes : la sécession des élites et celle des populations immigrées. Les élites vivent dans un monde à part géographique, intellectuel et philosophique. Elles créent une grande partie de la richesse, elles se désolidarisent sans véritablement s’en rendre compte. Gentrification et carrés VIP s’imposent un peu partout. La rupture avec les classes populaires est consommée. On ne porte plus les mêmes prénoms, comme le souligne le travail de Jérôme Fourquet. Quant à la population immigrée d’origine arabo-musulmane (mais pas que), elle opère un formidable repli sur soi, conservateur et religieux. Elle tente de construire un Fort Knox culturel et identitaire. Les jeunes se marient de plus en plus entre eux. On sort de moins en moins de son quartier, ou des villes et régions où l’on peut se retrouver nombreux…

La politique elle-même s’adapte à ces fractures. Les grands partis ne sont plus représentatifs des intérêts des électeurs. De nouvelles grilles s’appliquent et s’affrontent dans un formidable chacun pour soi : « gagnant » ou « perdant », mondialisation ou souverainisme, Europe ou nation, grande ville ou périphérie, urbain ou rural, jeune ou retraité, etc.

Voilà le paysage. Avec un Emmanuel Macron, président réélu d’une nation sens dessus dessous, d’un pays profondément divisé, constitué d’archipels antagonistes, avec une extrême droite et une gauche populiste à des niveaux records. Il va falloir pour lui et pour tous, se réinventer, retrouver un chemin commun, un minimum de vivre-ensemble.

Peut-être faudrait-il alors justement rappeler quelques-unes des vérités ou des vérités relatives françaises. Rappeler que si la France est à bout de souffle, (elle n’est pas la seule), elle reste une grande nation. Elle a des ressources.

La France de 2022, avec ses 67 millions d’habitants, reste l’un des 10 pays les plus riches du monde (entre la 5 e et la 7e place selon les calculs, à la même hauteur que l’Inde et son 1,3 m illiard d’habitants…).

C’est l’une des toutes premières puissances militaires, nucléaires et diplomatiques (près de 160 ambassades, juste derrière les États-Unis et la Chine). Elle dispose d’un

réseau d’infrastructures quasiment inégalé. C’est l’un des pays les plus créatifs, l’un des tout premiers en matière d’investissement direct étranger. La France, c’est aussi un formidable soft power culturel, qui rayonne aux quatre coins du monde. Son PIB par habitant s’élève tout de même à près de 45 000 dollars par an (28e rang mondial). C’est la nation (avec le Danemark) qui consacre le plus de budget à la protection sociale. Ses dépenses publiques sociales représentent 31 % de son PIB (pas si mal pour un système supposé ultralibéral…). Lors de la pandémie de Covid-19, les mécanismes massifs de chômage partiel et d’aide aux entreprises ont protégé des millions de personnes et d’emplois… Le chômage baisse. Ah oui, et l’équipe de foot est championne du monde en titre. Et Paris accueillera les Jeux olympiques en 2024. Et plus de 50  m illions de visiteurs étrangers viennent chaque année profiter des plaisirs de cette triste contrée… Et Paris est l’une des toutes « premières » capitales globales, au même titre que Londres ou New York.

Et enfin, last but not least, on y fait encore beaucoup de bébés, ce qui reste un formidable signe de vitalité et de confiance dans l’avenir !

Et puis, sur l’immigration, ce triste serpent de mer de la pensée d’extrême droite, soyons clairs : la France a toujours été un pays d’immigration. Plus peutêtre que tout autre pays européen. Les Français, y compris les plus blancs « d’entre eux », sont le produit d’un immense brassage de gènes, de cultures et d’identités. Selon des études qui se recoupent, on peut estimer que deux personnes sur cinq sont issues de l’immigration sur trois générations. Disons 40 % des Français. Les immigrés, au sens légal et statistique, censés selon certains nous envahir de l’intérieur ou de l’extérieur, représentent aujourd’hui un peu moins de 10 % de la population. On est loin de la submersion. La France est la France, et qu’on le veuille ou non, elle est diverse, multiple, complexe, métissée. Ça devrait être une force. ■

*L’Archipel français : Naissance d’une nation multiple et divisée, Seuil, 2019

Le président Emmanuel Macron au Champ-de-Mars, à Paris, le soir de sa victoire, le 24 a vril dernier.

N°428 MAI 2022

3 ÉDITO

La France fracturée par Zyad Limam

8 ON EN PARLE

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN À Dakar, une biennale tout feu tout flamme

26 PARCOURS

Samira Sedira par Astrid Krivian

29 C’EST COMMENT ?

Non au palu ! par Emmanuelle Pontié

44 CE QUE J’AI APPRIS

Hassane Kassi Kouyaté par Astrid Krivian

74 LE DOCUMENT

Mobutu, le Machiavel du grand fleuve par Cédric Gouverneur

90 VINGT QUESTIONS À…

Abdoulaye Nderguet par Astrid Krivian

TEMPS FORTS

30 VOYAGE DANS L’AUTRE FRANCE par Cédric Gouverneur

34 Le vote de la colère par Emmanuelle Pontié

36 Ugo Palheta : « L’extrême droite a gagné la bataille des idées » par Astrid Krivian

40 Fatou Diome : Les complexes coloniaux dont certains ne guérissent pas… par Astrid Krivian

46 Il est encore temps ! par Cédric Gouverneur

56 Sénégal : La démocratie Zoom par Hussein Ba

62 Croque-moi la liberté par Emmanuelle Pontié et Catherine Faye

68 Tierno Monénembo : « Mettre des mots sur la douleur » par Astrid Krivian

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

BUSINESS

78 Le lithium et autres nouveaux trésors africains

82 Sidzanbnoma Nadia Denise Ouedraogo : « Nous allons assister à un retour du protectionnisme »

84 Le Groupe OCP s’implique en Côte d’Ivoire

85 Les prix alimentaires sous tension par Cédric Gouverneur

VIVRE MIEUX

86 Myopie : Une épidémie mondiale sans virus ni contagion

87 Du sport pour doper sa fertilité

88 Les bienfaits des méthodes corps-esprit

89 Diabète : Du nouveau côté prévention par Annick Beaucousin et Julie Gilles

FONDÉ EN 1983 (38e ANNÉE)

31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE

Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

Zyad Limam

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com

Assisté de Laurence Limousin llimousin@afriquemagazine.com

RÉDACTION

Emmanuelle Pontié

DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com

Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com

La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2022. P.56 P.62 P.68 P.74

Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com

Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com

ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

Hussein Ba, Jean-Marie Chazeau, Catherine Faye, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.

VIVRE MIEUX

Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin, Julie Gilles. VENTES

EXPORT Laurent Boin

TÉL. : (33) 6 87 31 88 65

FRANCE Destination Media

66, rue des Cévennes - 75015 Paris

TÉL. : (33) 1 56 82 12 00

ABONNEMENTS

TBS GROUP/Afrique Magazine 235 avenue Le Jour Se Lève 92100 Boulogne-Billancourt

Tél. : (33) 1 40 94 22 22

Fax : (33) 1 40 94 22 32 afriquemagazine@cometcom.fr

COMMUNICATION ET PUBLICITÉ regie@afriquemagazine.com

AM International

31, rue Poussin - 75016 Paris

Tél. : (33) 1 53 84 41 81

Fax : (33) 1 53 84 41 93

AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR

31, rue Poussin - 75016 Paris. SAS au capital de 768 20 0 euros.

PRÉSIDENT : Zyad Limam.

Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet.

Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz

Commission paritaire : 0224 D 85602. Dépôt légal : mai 2022.

ON EN PARLE

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

Le Musée des civilisations noires sera l’un des sites de l’événement.

C’EST L’UN DES ÉVÉNEMENTS culturels les plus attendus de l’année : la 14e édition de la biennale de l’art africain contemporain de Dakar, initialement prévue en 2020, s’ouvre ce 19 mai avec un programme élargi et revu. Entre l’exposition internationale, intitulée « I Ndaffa #/Forger/Out of the Fire », et un off plus foisonnant que jamais, avec plus de 200 lieux impliqués, les visiteurs auront la possibilité de découvrir des œuvres d’art aux quatre coins du Sénégal. Les 59 artistes de la sélection officielle, originaires de 28 pays d’Afrique et de la diaspora, présenteront des travaux sur le thème de la forge, du feu pour imaginer un nouveau monde, alors que le off se veut une fête créative hors norme, après deux ans de pandémie. Dessins, installations, peintures, photographies, sculptures, sons, vidéos et œuvres textiles, mais aussi rencontres professionnelles, visites pédagogiques, hommages et projets spéciaux : les initiatives culturelles animeront particulièrement la vie de la capitale, où l’enthousiasme est palpable. Le projet « Doxantu » (« promenade » en wolof) investit par exemple la corniche ouest avec des œuvres monumentales. Une façon de toucher un public plus large et de littéralement faire sortir l’art dans la rue. ■ Luisa Nannipieri

BIENNALE DE L’ART AFRICAIN CONTEMPORAIN, Dakar (Sénégal), du 19 mai au 21 juin. biennaledakar.org

Ibeyi

LA MUSIQUE

OU LA VIE !

Le R’n’B

des

jumelles

franco-cubaines est CHAMANIQUE… Nouvelle démonstration avec Spell 31.

ELLES SONT NÉES SOUS UNE BONNE ÉTOILE, celle d’une mère aimante, Maya, et d’un père icone de la musique cubaine et membre du Buena Vista Social Club, Anga Diaz. Lorsque celui-ci disparaît prématurément, elles sont seulement âgées de 11 ans. Pour le garder auprès d’elles, elles décident alors d’approfondir les instruments qu’elles étudient déjà. Si Naomi excelle au cajon, Lisa-Kaindé, elle, impressionne par sa voix céleste. Lorsque sort leur premier album, Ibeyi, en 2015, c’est une révélation. Aujourd’hui, Spell 31 confirme leur osmose artistique, vibrant d’une pop inclassable, entre hip-hop, soul et R’n’B, convoquant leurs ancêtres africains et cubains, acceptant l’omniprésence des morts mais aussi la puissance de l’amour – y compris celui qui lie viscéralement ces jumelles, dont le métissage originel ne cesse de nourrir leur art. Mais elles n’en oublient pas pour autant de nous faire danser ! ■ Sophie Rosemont IBEYI, Spell 31, XL Recordings.

ESSAI

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ

Pour Fatou Diome, il est urgent de faire face aux menaces identitaires et de porter haut les valeurs citoyennes.

lELLE LES APPELLE les serpents à sonnette. Les loups. Ceux qui, depuis des années, lui envoient des lettres anonymes. Qui sont allés jusqu’à lui faire livrer chez elle un cercueil gravé à son nom. Tous ceux qui menacent le vivre-ensemble, et pour qui la question identitaire rime avec séparer et non pas rassembler. Cinq ans après Marianne porte plainte !, déclaration d’amour à la France et coup de colère face aux incohérences du pays des droits de l’homme, l’écrivaine franco-sénégalaise revient avec un autre essai engagé [voir son interview pp. 40-43].

À l’orée de la nouvelle élection présidentielle, elle fustige les identitaires étriqués et les opportunistes victimaires. Ces voix redoutables qui monopolisent le débat politique. « De la droite décomplexée, dit-elle, nous sommes passés, sans intermède, à l’extrême droite sans complexes. »

Si les loups rôdent désormais aux portes du pouvoir, il est plus que jamais urgent de défendre haut et fort les valeurs républicaines. ■ Catherine Faye

FATOU DIOME, Marianne face aux faussaires, Albin Michel, 198 pages, 14 €.

SAGA HISTORIQUE

LE DESSOUS DES CARTES

Le deuxième volet de la trilogie de Gilbert Sinoué, dont le héros principal demeure toujours le Maroc.

APRÈS 32 ROMANS historiques sur la région du Moyen-Orient, l’écrivain et scénariste égyptien, de langue française, consacre une trilogie à l’histoire du Maroc depuis les Berbères. Un an après la parution du premier volume, L’Île du Couchant, couvrant la période de 1672 à 1727, le deuxième volet nous emmène de 1808 à 1912, dans la région du « Bec de canard ». De fait, ce territoire, qui marque la frontière de l’Afrique centrale, excite la convoitise des puissances coloniales. Notamment la France, qui, depuis Napoléon, cherche à étendre sa suprématie sur le royaume. Dans ce livre en forme d’épopée va donc se dérouler une formidable partie d’échecs. Une fresque historique très documentée et enlevée, grâce au talent de conteur et de passeur d’intrigues de l’auteur du Livre de saphir (1996). ■ C.F. GILBERT SINOUÉ, Le Bec de canard, Gallimard, 320 pages, 21 €.

SOUL

MÉMOIRES

BÉCHIR BEN YAHMED, UN AN DÉJÀ

Le FONDATEUR DE JEUNE AFRIQUE nous a quittés le 3 mai 2021. Il nous laisse, entre autres, une passionnante autobiographie parue en octobre dernier.

IL EST PARTI le jour de la liberté de la presse, à l’aube, victime du Covid-19, et il avait 93 ans. Tout au long de la dernière décennie de sa vie, BBY a travaillé sur ses mémoires, soucieux de transmettre, de raconter, et de maîtriser aussi son propre récit, son aventure de journaliste, de patron de presse audacieux et parfois aventureux, d’homme politique également, de tracer son roman personnel, celui d’un homme toujours en quête de liberté d’action. BBY était entier, il ne louvoyait pas, il assumait réussite et échec, d’où le titre de ses mémoires, J’assume. On y retrouve un Béchir Ben Yahmed tel qu’en lui-même, subjectif dans certains de ses choix, mais fortement lucide et objectif sur les affaires de l’Afrique ou du monde, avec ce regard unique, cette capacité à décrypter les lignes de force. On est à la fois dans le récit, l’autobiographie, la grande fresque historique. On replonge

dans l’enthousiasme du soleil des indépendances (avec un récit particulièrement riche sur la Tunisie), on retrouve la fresque de l’Afrique contemporaine avec ses grandeurs et ses désillusions, on se confronte aux conflits d’Orient, aux enjeux géopolitiques de la planète. Au fil des pages, on rencontre Habib Bourguiba, Houphouët-Boigny, Che Guevara, Lumumba, Senghor, Foccart (avec cette relation si particulière entre deux destins a priori opposés), Alassane Ouattara (un véritable ami), François Mitterrand, Omar Bongo… Le texte nous quitte sur une réflexion intime sur l’identité, la spiritualité, la foi et la fin du chemin. Un livre passionnant, l’histoire d’une vie à part, et la fresque du temps qui passe. ■ Zyad Limam BÉCHIR BEN YAHMED, J’assume : Les Mémoires du fondateur de Jeune Afrique, éditions du Rocher, 528 pages, 24,90 €

MUSIQUE

Coco Em NAIROBI DANCING

Avec son premier EP, l’hypnotique Kilumi, la productrice s’annonce comme l’une des nouvelles valeurs sûres de la

SCÈNE ÉLECTRO KENYANE.

C’EST AUTOUR du tambour que la kilumi, danse traditionnelle kenyane du peuple kamba, s’articule. Et c’est autour des beats que Coco Em construit sa musique. Y résonne d’ailleurs la voix de la chanteuse Ndunge Wa Kalele. « Chaque fois que je l’écoutais chanter, je me sentais connectée à mon peuple. J’ai été étonnée lorsque ma mère m’a appris que les solistes étaient traditionnellement des femmes », confie celle qui fut remarquée sur la scène des Trans Musicales de Rennes ou des Nuits d’Afrique de Montréal. Depuis 2016, elle s’illustre en tant que DJ, s’étant fait connaître sur Facebook et ayant acheté son matériel sur eBay. Fort de sept pistes appelant autant à la danse qu’à la contemplation, Kilumi mixe avec habileté trap et house, sur un terrain sonore africain. Du côté des invités, on compte MC Sharon, Wuod Baba, Sisian & Kasiva, ou encore Ndunge Wa Kalele… L’attachement de Coco Em à Nairobi n’est pas feint. Elle y a d’ailleurs créé le collectif féminin Sim Sima : « Je voulais proposer un espace sûr pour les producteurs, particulièrement les femmes qui commencent leur parcours musical, afin de partager leur création

auprès des professionnels de l’industrie. Au moment de la pandémie, j’ai décidé de déplacer les activités de Sim Sima en ligne et d’en développer davantage le concept afin d’y inclure l’enseignement de la musique électronique. » Depuis, elle a réussi à obtenir un financement de Music In Africa et a organisé ses premiers ateliers avec d’autres musiciennes. Tout en travaillant sur ce premier EP, qui inaugure le début d’une carrière discographique soumise à de multiples (et excitantes) variations : « Il initie mon voyage dans la production musicale, l’exploration de ce que je suis et de qui je veux être en tant qu’artiste. » ■ S.R.

COCO EM, Kilumi, InFiné.

OUMOU SANGARÉ, Timbuktu, World Circuit.

VOIX

OUMOU SANGARÉ

LA DIVA EST DE RETOUR

Son FORMIDABLE NOUVEL ALBUM

marie la tradition ouest-africaine avec les paradigmes folk et blues. Imparable !

C’EST ENTRE LE MALI, LA FRANCE ET LES ÉTATS-UNIS que le nouvel album de la plus belle voix de Bamako a été confectionné. Et il résonne au gré de la variété des décors, entre instrumentation traditionnelle d’Afrique de l’Ouest – le kamele n’goni en tête, joué par son complice Mamadou Sidibé – et la guitare slide chère au blues. Qu’est-ce qu’être une femme dans un monde soumis à d’incessants bouleversements, des guerres aux pandémies ? Comment rester la tête haute face au joug masculin ? À 54 ans, célébrée par Beyoncé et Aya Nakamura, forte de trois décennies de carrière, la reine du Wassoulou n’a plus rien à prouver du point de vue artistique, mais ne se repose pas pour autant sur ses lauriers et persiste à interroger les failles de nos sociétés. Ses chansons aux rythmiques envoûtantes et aux mélodies ourlées d’or, telles « Sarama », « Kêlê Magni » ou « Wassulu Don », redonnent foi en ces temps troubles. ■ S.R.

SOUNDS

À écouter maintenant !

Higher Self, Yotanka ❶

Dope Saint Jude

Née et élevée au Cap, désormais installée à Londres, Dope Saint Jude s’illustre dans le rap queer depuis une dizaine d’années, et, après avoir œuvré en collectif, se produit désormais en solo. Ce nouvel EP, le réussi Higher Self, exprime son amour pour son pays, ses origines, ses valeurs, et la manière dont elle a décidé de mener sa vie. Sans se soucier des contraintes patriarcales, et avec un groove du tonnerre !

❷ Leyla McCalla

Breaking The Thermometer, Anti-/Pias

Comme elle nous l’a toujours prouvé en musique, la folkeuse new-yorkaise n’oublie pas qu’elle est l’enfant d’un couple de migrants et activistes haïtiens : sur le terreau sonore afro-caribéen de ce nouvel album, on entend de l’anglais mais aussi du kreyòl. Si Breaking The Thermometer est intimiste, Leyla McCalla s’entoure de la chanteuse Mélissa Laveaux, du bassiste Pete Olynciw, du batteur Shawn Myers ou encore du guitariste Nahum Johnson Zdybel. Superbe.

Ablaye Cissoko & Cyrille Brotto

Instant, Ma Case/Absilone

Quand la kora du chanteur sénégalais Ablaye Cissoko rencontre l’accordéon du multi-instrumentiste français Cyrille Brotto, il en résulte Instant. Loin de toute esbroufe, l’album résonne juste et longtemps, grâce à ses 10 titres passionnants. Chacun des musiciens témoigne de longues années d’expérience musicale, mais aussi d’une foi dans l’art comme dans les cieux. ■ S.R.

LE TEMPS DE L’ESPOIR

Dans un Mali tout juste décolonisé, l’histoire d’une jeunesse qui croyait aux vertus du socialisme… ET DU TWIST.

« QUAND UN RÉALISATEUR comme lui vient faire ce film, tu comprends que c’est un film que les Africains eux-mêmes auraient dû faire… » constate, admiratif, le Sénégalais Demba Dièye, assistant réalisateur de Robert Guédiguian dans le bonus du DVD de Twist à Bamako (sorti en salles début janvier). Le cinéaste français à l’accent marseillais et homme de gauche revendiqué y explique qu’il « reste foncièrement universaliste » et peut donc s’identifier au héros de son film, un jeune Malien des années 1960. Samba, fils d’un riche commerçant de la capitale, est un militant convaincu du régime socialiste qui s’installe au départ des Français. Son idéal révolutionnaire est contrarié par les intérêts économiques de sa famille, le pouvoir des chefs de village très conservateurs, mais aussi par l’attirance pour les musiques occidentales : Claude François et Les Chats sauvages font danser la jeunesse du Bamako de 1962, habillée à la mode de Paris et de Londres, et immortalisée par les photographies de Malick Sidibé. Une joie de vivre fidèlement recréée… au Sénégal, car il était impossible pour une production française de tourner au Mali pour des raisons de sécurité. Mais les trois villes choisies (Thiès, Podor et Saint-Louis) pour figurer la capitale de l’époque font illusion grâce au travail conjoint

des équipes françaises et sénégalaises (le film est coproduit par Karoninka, d’Angèle Diabang). Le long-métrage est parfois démonstratif, l’histoire d’amour qui se greffe aux débats politiques un peu artificielle et l’allusion finale aux migrants d’aujourd’hui un peu déroutante, mais il montre avec talent et humanisme tous les espoirs d’une génération à l’heure des indépendances africaines. ■ Jean-Marie Chazeau TWIST À BAMAKO (France-Sénégal), de Robert Guédiguian. Avec Stéphane Bak, Alicia Da Luz Gomes, Issaka Sawadogo. En DVD.

Alicia Da Luz Gomes et Stéphane Bak incarnent de jeunes Bamakois de 1962.

CINÉMA

COUP DE FOUDRE À KINSHASA

Pour son premier rôle sur grand écran, DADJU S’OFFRE UN RETOUR

TRIOMPHAL au pays de ses origines et une love story un peu lisse…

DADJU TÊTE D’AFFICHE au cinéma dans son propre rôle : ce maître du R’n’B francophone a trouvé en Nils Tavernier le réalisateur à même de lui façonner son Coup de foudre à Notting Hill version kinoise. Le fils de Bertrand Tavernier – toujours très engagé au Sénégal, où il avait assisté enfant au tournage du chef-d’œuvre anticolonialiste de son père, Coup de torchon (1981) – s’est glissé dans les rues de Kinshasa pour capter l’authentique ferveur suscitée par le chanteur franco-congolais à chacune de ses apparitions. Sans lésiner non plus sur les images de drones montrant les artères de la capitale de la République démocratique du Congo. Il faut dire que la réalisation épouse à la fois les codes du clip, de la comédie romantique et de la télénovela. L’argument est d’ailleurs assez mince : un chanteur célèbre s’éprend d’une jeune fille désirée par un autre homme, puissant promoteur immobilier vivant dans une luxueuse villa. La confrontation entre les deux ne sera pas centrale pour autant. Le film s’applique d’ailleurs à déconstruire les clichés virilistes, même s’il s’essaye un peu poussivement à la course-poursuite en voitures (sur pistes,

La réalisation épouse à la fois les codes du clip, de la comédie romantique et de la télénovela.

pas dans Kinshasa, dommage !). Il met ainsi en valeur les femmes : Ima, étudiante environnementaliste studieuse, qui préfère s’occuper des arbres que de faire du shopping, incarnée par Karidja Touré – l’une des adolescentes dans Bande de filles (2014), de Céline Sciamma –, et la propre mère de Dadju (la seule à s’exprimer en lingala), responsable d’une association qui vient en aide aux femmes victimes de violences sexuelles, soutenue de longue date par le chanteur. Dommage que ces aspects féministes mais aussi écologiques soient si peu exploités par le scénario. Les seconds rôles peinent en outre à exister. Mais les fans ne seront pas déçus, certains aspects documentaires permettant d’approcher l’intimité du chanteur, en répétition, en concert. Et l’image donnée de l’Afrique est résolument moderne : des femmes volontaires, des hommes qui connaissent le succès, et une morale romantique en diable, qui n’est plus l’apanage des pays riches, montrant que l’argent ne peut pas tout acheter… ■ J.-M.C. IMA (France), de Nils Tavernier. Avec Dadju, Karidja Touré, Djimo. En salles.

LITTÉRATURE

Sulaiman Addonia Le champ des possibles

Dans ce roman à contre-courant, l’Érythréen célèbre L’AMOUR SOUS TOUTES SES FORMES. Un feu, et un espoir, dans l’insupportable réalité.

ON DIT QUE LES PLUS BELLES FLEURS jaillissent des décombres. L’amour et la sensualité parfois aussi. En temps de guerre, ils prennent des formes inespérées, défiant le chaos. C’est cette volupté sans chaînes qu’explore l’auteur des Amants de la mer Rouge (2009), l’histoire d’un amour interdit en Arabie saoudite, traduit dans plus de 20 langues. Dans son second roman, fruit de dix ans d’exploration de l’être et d’un détricotage subtil des tabous et des codes, l’Érythréen, qui a passé sa jeunesse dans un camp de réfugiés au Soudan, défie les zones de retranchement et d’épanouissement de la condition humaine. À l’aune des lascives Baigneuses, du peintre Edgar Degas, et de textes fondateurs de Tayeb Salih, Georges Bataille ou Pier Paolo Pasolini, qui l’ont inspiré pour l’écriture de ce récit, ses personnages ont leur propre idée de la sexualité et de ce que le désir signifie pour eux. Principalement, la farouche Saba, son frère muet, Hagos, deux jeunes réfugiés qui ont fui leur pays en guerre, et Jamal, dont les paroles étourdissantes résonnent encore en refermant le livre : « Je veux atteindre l’orgasme en mangeant ton orgasme. »

SULAIMAN ADDONIA,

Le silence est ma langue natale, La Croisée, 272 pages, 20 €

En chamboulant les codes du masculin, du féminin, de la sexualité même, chacun réenchante, à sa manière, la réalité d’un camp de réfugiés. Une « symphonie aux notes humaines complexes, composée par des gens ordinaires », selon les propres termes de l’auteur. Mais au-delà de questionner la nudité, l’intimité ou la liberté des corps, Sulaiman Addonia, qui vit aujourd’hui à Bruxelles – où il a créé le festival littéraire Asmara-Addis (In Exile) –, va encore plus loin : il redécouvre la puissance du silence. Un langage universel et un espace défriché, sans identité, ni religion, ni morale, peut-être le lieu le plus vrai pour se trouver enfin. Le seul moyen de libérer son esprit et d’y accueillir le voyage le plus sincère vers soi et vers les autres. ■ C.F.

SÉRIE

LA COUR EN COULEURS

Golda Rosheuvel (au centre) incarne la reine Charlotte d’Angleterre, aïeule d’Elizabeth  II.

Nouveau carton d’audience pour La Chronique des Bridgerton, saga en costumes pimentée d’un CASTING MULTIETHNIQUE…

L’UN DES PLUS GROS SUCCÈS de Netflix de cette année est aussi celui de la puissante productrice afro-américaine Shonda Rhimes, créatrice de Grey’s Anatomy. La seconde saison de cette adaptation d’une série de livres sentimentaux, situés dans l’Angleterre d’il y a deux cents ans, confirme son talent pour insuffler de la couleur jusque dans les livres d’histoire. Dans cette chronique pop et sexy des mariages arrangés de l’aristocratie britannique, la réalité historique est bousculée pour coller aux représentations du XXIe siècle, mais avec un fond authentique. Ainsi, la reine Charlotte d’Angleterre est incarnée par une actrice noire (Golda Rosheuvel), mais cette aïeule d’Elizabeth II avait bien une ascendance africaine, via une branche de la famille royale portugaise ! Un métissage rare à Londres à cette époque, que cette version télévisée démultiplie avec des acteurs noirs portant costumes et perruques. Et dans ces nouveaux épisodes (au nombre de huit), ce sont deux sœurs indiennes tout juste arrivées de Bombay qui attirent les convoitises… ■ J.-M.C.

LA CHRONIQUE DES BRIDGERTON (saison 2),de Chris Van Dusen. Avec Jonathan Bailey, Simone Ashley, Golda Rosheuvel. Sur Net flix.

MODE

Dans sa dernière collection, l’incontournable cuir – qui se décline en végan et en végéta l  – rencontre le denim, la dentelle et le mohair.

INIYE TOKYO JAMES LE RÉSILIENT

Le designer, en lice pour le PRIX

LVM H 2022, se fait un devoir de produire ses créations à Lagos.

TOUT JUSTE NOMMÉ parmi les finalistes du prix LVMH 2022, Iniye Tokyo James n’en est pas à sa première collection, ni à son premier défilé sur les passerelles de la haute couture. Avec sa marque Tokyo James, lancée en 2015 à Lagos, il s’est déjà fait remarquer à Londres et à Milan, où il a notamment présenté sa dernière ligne, « Resilience ». Un nom rendant hommage aux efforts accomplis pour propulser son style sur la scène internationale et se faire une place dans l’industrie de la mode. Le designer, qui est né à Londres et y a grandi, avant de partir à Lagos, a dû faire face, entre autres, aux préjugés du milieu lorsqu’il a choisi d’implanter son atelier au Nigeria : « Pour moi, c’était une façon de rendre quelque chose à la communauté, mais aussi l’occasion de changer la perception des produits qui arrivent d’Afrique. Inverser la narration. » Ses créations, de grand impact visuel, retravaillent les coupes traditionnelles du streetwear de luxe pour en faire des silhouettes audacieuses. Inspiré par le « vibrant sens de la mode » de sa famille nigériane et par la variété des styles dans

les rues londoniennes, il imagine ses pièces comme des « terrains de jeu où se rejoignent des mondes différents ». Elles célèbrent la singularité des individus et mettent en valeur ce qui nous unit en tant qu’êtres humains. Dans cette collection, où l’incontournable cuir – qui se décline en végan et en végétal – rencontre le denim, la dentelle et le mohair, le styliste appuie sa philosophie à travers le motif de la grenouille (« opolo », en yoruba). L’animal est un symbole de résilience et une métaphore de l’humanité : « Chaque pays a sa grenouille, même l’Arctique. Elles sont toutes différentes, mais c’est la même espèce. » Les couleurs brillantes de la collection évoquent également les grenouilles, et les détails ruchés rappellent la peau rugueuse de certains crapauds. Des looks associés à des accessoires inattendus, comme les lunettes Puffer, en faux cuir orange, bleu ou encore vert citron, ou le sac Ata Rodo, inspiré du piment nigérian. ■ L.N. tokyojames.co.uk

Le styliste Iniye Tokyo James.

« L’AUTRE HISTOIRE : L’ART DU MODERNISME MAROCAIN », Cobra Museum, Amstelveen (Pays-Bas), jusqu’au 18 septembre. cobra-museum.nl

Ci-contre, Imaan in Da Shop, Hassan Hajjaj, 2020. Ci-dessous, Composition, Mohamed Chebaa, 1974.

L’ENVERS DU DÉCOR

Au pays de Rembrandt, une autre manière d’explorer L’ART MODERNE MAROCAIN, ses réalités, sa sensibilité et ses quêtes.

L’ÉMERGENCE DU MODERNISME MAROCAIN coïncide avec celle du mouvement Cobra, dans l’Europe de l’après-guerre. Ce n’est donc pas un hasard si le musée d’art moderne néerlandais expose une centaine d’œuvres de plasticiens majeurs de la scène marocaine, dont 44 issues de la collection du Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain, à Rabat, complétées par des œuvres d’artistes contemporains du royaume et d’Europe. Des œuvres incontournables de pionniers, tels que Chaïbia Talal ou Jilali Gharbaoui, qui témoignent d’une créativité libre et sensible. Plus encore, c’est l’énergie inventive et engagée qui saisit. À l’aune du dynamisme des artistes Cobra, pour qui la spontanéité et l’aventure collective prenaient le dessus, loin des normes et des conventions de l’Occident. Imaginée et conçue par l’écrivain, journaliste et poète maroco-néerlandais Abdelkader Benali, l’exposition nous raconte l’histoire de l’art marocain moderne, de l’indépendance en 1956 à nos jours. Ici, les clichés de Fatima Zohra Serri entrent en résonance avec les œuvres d’Amina Rezki ou les odalisques de Lalla Essaydi. Là, Wafae Ahalouch explore des symboles plus enfouis, invoque la baraka. Partout, le Maroc se dessine. Au fil des œuvres. ■ C.F.

EXPO
« Untitled #11 » de la série The Tree House, Khalil Nemmaoui, 2010.

AFROBEAT

PIERRE KWENDERS Entre Kinshasa et Montréal

Le DJ ET MUSICIEN QUÉBÉCOIS d’origine congolaise revient avec un album sexy et entraînant.

CHEZ AFRIQUE MAGAZINE, on suit de près le parcours de cet originaire de Kinshasa, qui a quitté sa ville natale pour Montréal en 2001. Sous l’influence de la fameuse « sagacité » de Douk Saga, il a construit un corpus musical remarquablement cohérent, entre acoustique et synthétique, pop occidentale et vision afro, soul et funk, pop et rumba congolaise. Depuis 2014, il œuvre au sein de Moonshine, un collectif pluridisciplinaire qu’il a fondé. Avec José Louis and the Paradox of Love, il interroge la question amoureuse et la quête existentielle en anglais, en français, en lingala, en tshiluba et en kikongo. Rien que ça ! Avec des titres comme « Kilimanjaro », « Coupé » ou « Papa Wemba », Pierre Kwenders nous fait rêver, danser, réveille nos désirs et notre joie d’être au monde. Oui, la musique adoucit les mœurs, et la qualité des invités le confirme d’autant plus : Sônge, Win Butler d’Arcade Fire, Ngabo, King Britt… ■ S.R.

PIERRE KWENDERS, José Louis and the Paradox of Love, Arts & Craft.

DESIGN

GIKOMBA STYLE

Suave Kenya transforme les vêtements destinés à engorger les décharges du pays en ACCESSOIRES COOL et colorés.

CETTE MARQUE DE SACS et d’accessoires uniques, réalisés à partir de tissus de seconde main, est très appréciée par les jeunes Kényans à la mode. Elle naît à Nairobi en 2013, dans un petit atelier du centre-ville, sur une idée de Mohamed Awale, qui n’a alors que 24 ans et sort à peine de l’université. C’est justement pendant ses études que le jeune entrepreneur, passionné par le concept d’upcycling, commence à customiser ses propres sacs. Client régulier du marché de Gikomba, l’un des plus importants marchés informels d’Afrique de l’Est, il y puise l’inspiration et les matières premières pour créer des accessoires colorés et contemporains à des prix accessibles. Aujourd’hui, il a développé un réseau de marchands et de tanneurs de confiance, qui lui fournissent des vêtements en denim, en cuir ou encore en kitenge imprimé, sélectionnés parmi les tonnes d’habits d’occasion qui arrivent chaque jour dans le pays et qu’ils n’arrivent pas à écouler. Déconstruits puis retravaillés, ces tissus se transforment en sacs de voyage, en pochettes, en sacs à bandoulière ou encore en porte-documents chics et décontractés. ■ L.N. suavekenya.com

Chaque sac est unique et réalisé à partir de tissus de seconde main.

GALERIE

DÉAMBULATIONS URBAINES

Un voyage tant visuel que méditatif au cœur de l’ART CONTEMPORAIN IVOIRIEN.

DES AVATARS AUX APPARENCES SPECTRALES d’Ezan Franck aux œuvres recyclées à base de tongs d’Aristide Kouamé, en passant par les photographies documentaires ultrasensibles de Ly Lagazelle, cette exposition collective à la 193 Gallery met à l’honneur la scène ivoirienne. Au fil d’une sélection d’œuvres de huit artistes, elle explore la vie de la capitale économique de la Côte d’Ivoire, Abidjan (« Babi », en langage populaire), que les locaux surnomment « la ville douce ». Une vie urbaine, débordante de beautés et de contradictions, où l’humain côtoie la poésie et l’effervescence. S’interroge et se cherche. Au sous-sol de la galerie, Peintre Obou a d’ailleurs conçu sa ville : une installation immersive représentant les façades des habitations anarchiques du quartier Liberté. Une allégorie. Mais à Babi, il y a aussi la nature, omniprésente, à préserver. En déambulant dans la forêt de meubles de Jean Servais Somian, dans un parcours presque spirituel, on découvre ainsi des fragments de vie en refuge, portés par la brise poétique d’Ana Zulma. Alors, peu à peu, le voyage se fait introspectif. Et joyeux. ■ C.F.

« BABI EST DOUX », 193 Gallery, Paris (France), jusqu’au 28 mai. 193gallery.com

Au mur, des œuvres d’Ana Zulma, alliances de photographie et de dessin.
Le Plateau, Peintre Obou, 2021.
Ci-contre, Chocos de Babi, Cédric Tchinan Kouassi, 2021.

LES INFLUENCES NIPPONES S’INVITENT À TABLE

DEUX ADRESSES pour voyager sans quitter l’Afrique.

INSTALLÉ À DAKAR depuis 2016, Le Beluga propose une cuisine fusion d’inspirations péruvienne et japonaise dans une ambiance chaleureuse et cosmopolite. À la carte, on retrouve poissons, crustacés, fruits et légumes frais déclinés d’après des recettes qui mélangent des influences européennes, africaines et asiatiques. Comme les tiraditos, les sashimis péruviens, ou le cheviche, cette spécialité de poisson cru mariné très aimé en Amérique latine, savamment revisités par le chef. Pour une expérience plus conviviale, la maison conseille de poser plats et entrées au centre de la table et de partager tataki de thon aux truffes, risotto de morue noire et autre cassolette de fruits de mer.

Atmosphère plus zen chez Iloli, à Casablanca. Dans ce restaurant épuré, harmonieux et ultracontemporain, on met à l’honneur le savoir-faire nippon, reprenant le concept du comptoir ouvert sur la cuisine pour observer l’art des chefs. Et l’on crée des recettes innovantes et authentiques avec ce que le Maroc offre de meilleur. Voici donc le sushi de sardine : le chef le sert avec du gingembre, surprenant une clientèle habituée à le griller au charbon de bois. À côté des plats aux saveurs méditerranéennes, Iloli

Le Beluga, installé à Dakar depuis 2016, propose une cuisine fusion d’inspirations péruvienne et japonaise.

Ci-dessous et ci-contre, l’Iloli, basé à Casablanca, avec son comptoir pour observer l’art des chefs.

propose des classiques nippons, comme les tempuras ou le ramen fait maison – des nouilles jusqu’au bouillon et aux toppings –, et applique les méthodes de cuisson japonaises aux produits locaux. La chair tendre et fondante du bar grillé façon Masta (le nom du chef) se dévore avec toutes ses écailles, devenues très croustillantes. Un vrai régal. ■ L.N. groupelaparrilla.com/beluga / iloli-restaurant.com

LE CAP-VERT EN UNE MAISON

Un projet qui invite locaux et touristes à renouer avec la nature et la culture de L’ARCHIPEL.

LA CASA D’POÇO est un nouvel espace multifonctionnel de cinq étages, situé dans le quartier historique de Mindelo, ville principale de l’île São Vicente, au Cap-Vert. Le cabinet berlinois Heim Balp Architekten, qui a signé le projet, rend hommage à la nature et à la culture de l’archipel avec un bâtiment hybride, que ce soit au niveau de l’architecture ou des usages, capable de « favoriser un profond sentiment d’appartenance, de fierté et de communauté ».

La façade côté rue mélange par exemple la pierre, incontournable sur l’île, à des finitions et panneaux en bois d’acajou. Visuellement plus chaleureux, les brise-soleil sont aussi un clin d’œil à la culture de l’accueil de São Vicente, cœur battant du carnaval cap-verdien. Quant à la façade postérieure avec ses balcons en cascade, elle évoque les sommets luxuriants de l’île voisine de Santo Antão – principalement cultivés en terrasses – et permet de stocker l’eau de pluie vers une citerne, en prévision de la saison sèche. Pensé pour un usage mixte et mutualisé, le bâtiment accueille une salle d’exposition, mais aussi des logements privés pour les Capverdiens et des chambres d’hôtes pour les touristes. La cuisine collective et les bancs installés dans la cour intérieure invitent à la rencontre : à l’abri de la chaleur, on y partage un moment de détente et d’interconnexion culturelle. ■ L.N. heimbalp.com

Samira Sedira

L’AUTRICE ET COMÉDIENNE FRANCO-ALGÉRIENNE

signe un quatrième ouvrage saisissant, Des gens comme eux. Inspiré d’un effroyable fait divers, il a reçu le prix Eugène Dabit du roman populiste 2021, qui soutient la littérature engagée. par Astrid Krivian

La voix est posée, le phrasé savamment rythmé, les mots ciselés. Dans l’effervescence du festival Le Livre à Metz, temps fort de la scène littéraire, Samira Sedira captive l’auditoire. Elle lit un extrait de son dernier roman, Des Gens comme eux, librement inspiré de l’affaire Flactif, tuerie d’une famille survenue en Haute-Savoie, en France, en 2003. Une plongée dans la complexité de l’âme humaine pour tenter de comprendre les rouages menant à la barbarie. « Le rôle d’un auteur est d’éclairer les ténèbres, d’offrir un peu de compréhension de l’humanité », détaille l’écrivaine. Ce fait divers, « rupture dans l’ordre des choses », concentre à ses yeux tensions sociales, raciales, jalousie, rapports de force. « Aucun article n’a mentionné la dimension raciste du crime, pourtant vérifiée par la suite. Ce couple aisé, mixte, qui affichait leur forte assise sociale, était un objet désirable, envié, détesté. » Née en Algérie en 1964, arrivée en France à quatre mois, Samira Sedira grandit à la Seyne-sur-Mer, en Provence. L’écriture est une « vieille compagne » pour elle. Avec ses sœurs, elle dévore les livres, et noircit ses cahiers d’histoires qu’elle invente : « Adolescentes, éduquées selon la tradition, on sortait peu. On s’évadait par la lecture. » Après le bac, sur les bancs de la faculté des langues où elle s’ennuie ferme, elle découvre la magie du théâtre au sein de la troupe universitaire. À travers le jeu, l’étincelle jaillit : elle qui peine à exister dans une famille nombreuse est enfin regardée. Sous les feux de la rampe, elle se sent puissante. La scène libère ses émotions muselées, legs de ses parents immigrés relégués au silence. Diplômée de l’École supérieure d’art dramatique de Saint-Étienne, elle incarne les grands textes (Beckett, Koltès, Shakespeare, tragédies grecques…) sur les tréteaux de France pendant vingt ans. Jusqu’au jour où tout s’arrête. Le téléphone ne sonne plus. « C’est la cruauté du métier : il vous enlève soudainement tout ce qu’il vous a donné. » L’indépendance chevillée au corps, elle fait alors des ménages pour subsister. Elle passe de la lumière à l’ombre, de la visibilité de l’actrice admirée à l’invisibilité de l’agente d’entretien. « J’ai alors compris que l’on est défini par notre travail, notre statut social. Je n’étais plus qu’un corps, pétri de douleurs, de fatigue. »

Des Gens comme eux, éditions du Rouergue, 14 4  pages, 16,5 0  €.

C’est pourtant cette épreuve qui lui ouvre les portes de la littérature et de ses origines. Faisant surgir une mémoire enfouie, l’exil de ses parents algériens, cela lui permet de comprendre en profondeur leur vécu, leur condition. « En endossant leur costume social, je me sentais plus proche d’eux. » Son père, ouvrier, arrivé seul en France dans les années 1950, logé dans des habitats insalubres, et sa mère, venue le rejoindre, déchirée par la plaie vive du déracinement. Tous deux enjoints à raser les murs. Elle prend alors la plume et signe L’Odeur des planches (2013), interprété ensuite sur scène par Sandrine Bonnaire. « J’écris parce qu’on nous a tellement demandé de nous taire. C’est un geste de restauration. Je veux dire mon envie d’exister, dans mon pays, la France, et faire résonner le silence de mes parents. » ■

«J’écris parce qu’on nous a tellement demandé de nous taire. C’est un geste de restauration.»

TÉL. : (33) 1 40 94 22 22 – FAX : (33) 1 40 94 22 32 – E-MAIL : afriquemagazine@cometcom.fr

Je choisis mon tarif :

❏ FRANCE (1 AN)  : 39 €

❏ ÉTRANGER (1 AN)  : 49 €

Je choisis mon règlement (en euros uniquement) à l’ordre de AMI par :

❏ Chèque bancaire ou postal

❏ Carte bancaire n° Expirant le Date et signature obligatoire

COMMENT ?

NON AU PALU !

Le 25 avril, c’était la journée mondiale de lutte contre le paludisme. L’occasion de faire le point sur un fléau majeur qui frappe en priorité le continent africain depuis des décennies, avec un lot de chiffres effarants, que l’on avait presque oubliés pendant les années Covid.

Mais ce fut surtout l’occasion de constater plusieurs embellies qui s’annoncent. Enfin. Depuis 2019, plus de 1 million d’enfants au Ghana, au Kenya et au Malawi ont reçu une ou plusieurs doses du premier vaccin antipaludique au monde : le RTS,S (ou Mosquirix). Il devrait rapidement être utilisé chez davantage de petits. L’Organisation mondiale de la santé estime que, déployé à grande échelle, le liquide pourrait sauver la vie de 40 000 à 80 000 enfants supplémentaires chaque année. Autre progrès majeur : la généralisation en Afrique depuis quelques années des campagnes de chimioprévention du paludisme saisonnier, ciblant les petits âgés de 3 à 59 mois, a permis de protéger 11,8 millions d’entre eux. Enfin, la distribution de moustiquaires imprégnées et les opérations de pulvérisation d’insecticides à effet rémanent se sont intensifiées. Car on dénombrait encore 241  millions de cas de paludisme dans le monde en 2020, ainsi que 627 000 décès. Et 95 % des cas et 96 % des décès ont eu lieu en Afrique. Principalement chez les enfants.

Alors, certes, on se doute que Big Pharma s’investit avec moins d’entrain dans la recherche de solutions pour les patients issus de zones « pauvres ». Mais tout de même, on peut se demander comment de tels chiffres peuvent encore exister. Chaque pays d’Afrique accueille, depuis des décennies, des dons de moustiquaires traitées, à grand renfort de cérémonies de remerciement… Les vaccins, pour la plupart, sont mis à disposition par des organisations humanitaires mondiales, du type Gavi ou autres. C’est bien. Mais il faudrait peut-être que les gouvernements des pays concernés mettent la priorité absolue sur la question, primordiale, du palu, augmentent les budgets de leur ministère de la Santé, investissent eux-mêmes dans la recherche, prévoient des lignes budgétaires dédiées pour acheter, distribuer, soigner… Cette maladie (due à un moustique !) peut facilement être éradiquée, tous les spécialistes le disent. En République centrafricaine, la malaria est toujours, et encore, la première cause de décès chez les enfants de moins de 5 ans. Il faut que ça s’arrête. Sans une volonté politique locale forte, le combat piétine et les progrès avancent à pas de fourmi. Alors, oui, il y a enfin un vaccin. De l’espoir. Mais il faut aller plus vite. Au nom des enfants d’Afrique. ■

AM vous a offert les premières pages de notre parution de Mai

Profitez de nos offres d'abonnements pour accéder à la totalité de nos magazines et bien plus encore

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.