AM 417 FREE

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LUMUMBA

HEROÏSME ET TRAGEDIE T

Assassinée le 17 janvier 1961, cette figure de l’indépendance du Congo est entrée dans l’histoire. Au moment où ses reliques doivent retourner à Kinshasa, lumière sur le destin singulier d’un homme qui se voulait libre.

DÉBAT

L’AFRIQUE ET SES HOMMES FORTS

POUVOIRS ET DÉMOCRATIE

AUJOURD’HUI

BUSINESS

L’URGENCE D’UNE REVOLUTION VERTE

INTERVIEWS

• Akhenaton

• Barthélémy Toguo

• Souleymane Bachir Diagne

LA SEULE ROUTE POSSIBLE

Quand j’étais jeune homme, je rêvais de paix en Terre sainte, entre Israël et les Palestiniens. L’an 2000 me semblait un horizon raisonnable et symbolique. Je rêvais de Jérusalem, ville ouverte, capitale de deux États souverains. Les images des accords d’Oslo (13 s eptembre 1993), Rabin et Arafat sur les pelouses de la Maison-Blanche, se serrant la main autour de Bill Clinton, auront eu autant d’effets sur ma génération que celles de la libération de Mandela (11 février 1990) sortant en plein soleil de sa prison sud-africaine.

Je suis allé à Jérusalem en juin 2008, journaliste accompagnant Nicolas Sarkozy, alors président de la République française. Et pendant que certains fumaient le cigare sur les belles terrasses ombragées du fameux hôtel King David, j’avais pu mesurer la violence physique du conflit. Un taxi palestinien m’avait emmené le long du mur, cette balafre de ciment et de barbelés qui isole les territoires occupés. J’avais pu voir les colonies, à l’horizon, qui mangent chaque jour un peu plus les terres palestiniennes, j’avais pu croiser une multitude de soldats de Tsahal armés comme des porte-avions à tous les carrefours de la partie arabe. Et changer de monde aussi en changeant de quartier, en passant de l’est à l’ouest de la ville (avec sa culture ultraorthodoxe). Mesurer à quel point l’étroitesse des lieux, du pays, l’entrechoc des nationalismes, des mémoires, et des dieux impliquait dans la psyché des uns et des autres.

Les années ont passé, j’ai vieilli, l’an 2000 est déjà loin, et le drame est resté aussi prégnant, intolérable, avec son cortège de tragédies humaines. La société israélienne a basculé fortement à droite, dans le « sionisme religieux », le mot « paix » est sorti du vocabulaire politique. Les années Netanyahou auront été marquées par le torpillage de toutes les options diplomatiques, la marginalisation accrue des Arabes d’Israël (21 % de la population), le maintien d’une politique dure d’occupation en Cisjordanie (plus de 3 millions de personnes) et à Jérusalem-Est (350 000 Palestiniens). Et le développement sans limite des colonies (400 000 colons installés en Cisjordanie). La bande de Gaza, officiellement évacuée

en 2005 après la seconde intifada, maintenue en réalité sous le statut de prison à ciel ouvert depuis 2007 et la prise du pouvoir par le Hamas, compte 2 millions d’habitants (pour la plupart descendants des réfugiés de 1948) qui vivent dans des conditions subhumaines. Le territoire aura connu quatre guerres dévastatrices entre 2008 et 2021, la toute dernière en mai dernier, roquettes contre bombardements massifs, stupéfiants.

Au fil du temps, l’autorité palestinienne s’est décrédibilisée face à l’intransigeance israélienne, au faible soutien international, et aussi par sa propre incurie. Le Hamas est monté en puissance, mais la radicalisation « hors système » d’une jeunesse palestinienne aussi, en Israël comme dans les territoires. En Israël, la démocratie s’affaiblit chaque jour un peu plus sous le poids des fortes pressions religieuses, identitaires, et via le coût moral et politique de l’occupation. La démographie, très vivace côté palestinien, menace les « équilibres » à moyen terme. Toute comme l’évolution des opinions publiques internationales, en particulier dans les communautés juives libérales aux États-Unis et en Europe. La solution à deux États apparaît comme morte face aux réalités du terrain. La solution à un État, égalitaire, « one man, one vote », apparaît, elle, comme une illusion très lointaine face aux gouffres béants entre communautés. L’expression « apartheid » se substitue petit à petit au mot « statu quo » dans le langage d’une partie des organisations de défense de droits de l’homme. Nous sommes en 2021, au temps du Covid, du réchauffement climatique. Et ici, entre Tel Aviv, Haïfa, Jérusalem, Ramallah, Gaza…, se joue aussi une partie de notre avenir commun. Une Israël-Palestine sur le chemin du seul dialogue possible, le dialogue politique (« on ne fait pas la paix avec ses amis »), transformerait les données stratégiques (on pense à l’Iran et l’Arabie saoudite) et ouvrirait un immense champ des possibles, pour Israël, la Palestine, les juifs, les Arabes, la région, le reste du monde.

L’autre route, c’est celle de la violence, du deuil et de la catastrophe. ■

N°417 JUIN 2021

3 ÉDITO

La seule route possible par Zyad Limam

6 ON EN PARLE

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN

L’Afrique électrique de Mdou Moctar

26 PARCOURS

Ghizlane Agzenaï par Fouzia Marouf

29 C’EST COMMENT ?

L’éruption des oubliés par Emmanuelle Pontié

74 CE QUE J’AI APPRIS

Natacha Atlas par Astrid Krivian

90 VINGT QUESTIONS À… Conti Bilong par Astrid Krivian

TEMPS FORTS

30 Patrice Lumumba : « Le leader qui aurait pu… » par Cédric Gouverneur

38 Covid-19 : Vaccinons maintenant ! Et vite ! par Cédric Gouverneur

46 L’Afrique et ses hommes forts par Zyad Limam

52 « Providentiels », aux quatre coins du monde par Dominique Sanchez

56 Barthélémy Toguo : « Je crois aux utopies » par Astrid Krivian

64 Akhenaton : « Récolter ce que l’on sème » par Astrid Krivian

70 Souleymane Bachir Diagne : « Je suis en fi n parvenu à dire “je” » par Fouzia Marouf

P.06

P.46

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

P.56

BUSINESS

76 L’urgence d’une révolution verte

80 Les rois de la croissance post-Covid

81 Au service du luxe africain

82 Kenya : La population dit stop à l’endettement

84 Des vaccins « made in Africa » en vue

85 Des affaires en dents de scie pour Yerim Sow par Jean-Michel Meyer

VIVRE MIEUX

86 Déprime, anxiété… Faut-il recourir aux médicaments ?

87 Apprendre à respirer

88 Chassez la mauvaise haleine !

89 Énurésie nocturne : Comment réagir ? par Annick Beaucousin et Julie Gilles

FONDÉ EN 1983 (37e ANNÉE)

31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE

Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

Zyad Limam

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com

Assisté de Laurence Limousin llimousin@afriquemagazine.com

RÉDACTION

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Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com

Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com

Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com

ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

Jean-Marie Chazeau, Catherine Faye, Virginie Gazon, Glez, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont, Dominique Sanchez.

VIVRE MIEUX

Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

P.64

VENTES

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ON EN PARLE

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

BLUES ROCK

L’AFRIQUE ÉLECTRIQUE DE MDOU MOCTAR

Avec son nouvel album enthousiasmant, le GUITARISTE ET COMPOSITEUR
TOUAREG de 35 a ns confirme qu’il fait partie des artistes sahéliens à suivre.

« L’AFRIQUE EST VICTIME de tant de crimes / Si nous nous taisons, ce sera notre fin », affirme-t-il dans son nouvel album. Mdou Moctar sait de quoi il parle, lui, le natif d’Agadez, village perdu au cœur du désert nigérien. Lui, l’un des jeunes héritiers du patrimoine touareg, qui a grandi en écoutant aussi bien la musique traditionnelle que le hard rock d’Eddie Van Halen. Et sa musique, il l’incarne en tamasheq (langue touarègue).

En 2015, Moctar illuminait le premier film touareg, Akounak Tedalat Taha Tazoughai (« Pluie de couleur bleue avec un peu de rouge » en français), remake décalé du Purple Rain de Prince réalisé par Christopher Kirkley. Il s’agissait de retracer le parcours de ce jeune guitariste passionné qui affrontait bien des obstacles pour vivre de sa musique. De quoi se faire connaître au-delà des frontières et, en 2019, sortir un premier album studio, Ilana : The Creator. Enregistré avec son groupe de scène (le bassiste Mikey Coltun, le guitariste rythmique Ahmoudou Madassane et le batteur Souleymane Ibrahim), il démontre la fièvre rock

MOCTAR, Afrique victime, Matador.

dont il est capable. Depuis, même des créateurs de mode comme Virgil Abloh ne jurent que par lui. Aujourd’hui, Afrique Victime enfonce le clou de ses velléités punk, loin d’être incompatibles avec l’électrique contagieuse qui résonne lors des fêtes de mariages d’Agadez. Entre morceaux sous tension (« Chismiten », «Asdikte Akal ») et ballades brillant par la simplicité de leurs mélodies (« Ya Habibti », « Tala Tannam »), il bénéficie de l’expertise sonore de Mikey Coltun, à la production, et d’Ahmoudou Madassane, qui a également lancé le premier groupe révolutionnaire rock touareg, Les Filles de Illighadad. Guère étonnant si Moctar se range du côté de l’égalité des sexes ici. Il raconte l’amour, la célébration, son admiration pour le grand Abdallah ag Oumbadougou, la religion mais aussi la révolte, les stigmates coloniaux. Un besoin irrépressible de liberté habite cet album qui, contrairement à ce que son nom indique, clame haut et fort la puissance sacrée du continent africain. ■ Sophie Rosemont

MDOU
Le musicien (en noir) entouré de son groupe.

Wish you were here, de Mary Sibande, 2010.

NOUVEAUX MONDES

Pour la SAISON AFRICA2020, Bordeaux expose des œuvres tressées de récits intimes et collectifs.

EN PRÉAMBULE, habillée de bleu et de blanc, une sculpture à taille humaine dévide une pelote de laine rouge. Témoignage vibrant sur les décennies d’apartheid, l’impressionnante servante, modelée sur l’artiste sud-africaine Mary Sibande, déroule l’histoire de son pays à travers son propre récit. Le fil conducteur de l’exposition est bien celui de la mémoire. Un fil au bout duquel, de création en création, surgit enfin une autre vérité. Passeuse, tisseuse et rassembleuse, voilà les rôles que chacune des 14 artistes exposées, du continent et de la diaspora, endosse avec brio. Ainsi, venues du Zimbabwe, d’Algérie ou du Ghana, elles se font toutes l’écho d’une phrase de Nina Simone, inscrite en exergue : « Le devoir d’un artiste, en ce qui me concerne, est de refléter l’époque. […] Et à ce moment crucial de votre vie, où tout est si désespéré, où chaque jour est une question de survie, je ne pense pas que vous puissiez vous empêcher d’être impliqué. Les jeunes, noirs et blancs, le savent. » ■ Catherine Faye « MEMORIA : RÉCITS D’UNE AUTRE HISTOIRE », Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA, Bordeaux (France), jusqu’au 20 novembre. fracnouvelleaquitaine-meca.fr

SOUNDS

À écouter maintenant !

Anaiis

Juno, Dr. Martens Presents

Afin de partager son expérience en tant que femme noire, plaçant au cœur des débats les problèmes de santé mentale qui peuvent en découler, la chanteuse franco-sénégalaise Anaiis lance un projet en trois étapes via Dr. Martens Presents, une plate-forme destinée à soutenir les talents émergents : d’abord, la sortie du single « Juno », puis un guide personnel sous forme de jeu de cartes, et pour finir des rencontres avec la photographe Charlotte Abramow, l’actrice Déborah Lukumuena et la réalisatrice Néhémie Lemal.

Kamel El Harrachi

Nouara, Kamiyad

Son père, Dahmane El Harrachi, est celui qui a offert « Ya Rayah » au monde. Depuis les années 1990, Kamel s’évertue à entretenir la flamme du chaâbi algérien, tout en travaillant comme éducateur dans un institut médico-psychologique… et en partant de temps à autre en tournée internationale ! Aujourd’hui, il fait une déclaration d’amour à son pays natal en reprenant le corpus de son père, mais aussi deux de ses délicates compositions.

Pat Kalla & Le Super Mojo

Hymne à la vie, Heavenly Sweetness

Au micro, Pat Kalla, la voix lyonnaise d’origine camerounaise de Voilààà ou de Conte & Soul. À la production et aux beats, le DJ Guts. Et aux instruments, le Super Mojo, qui mixe l’highlife, l’afrobeat, le funk et la cumbia. Côté attitude, un engagement qui ne perd jamais le sourire et le groove de mots swingués. En témoigne cet Hymne à la vie à l’énergie contagieuse, qui tombe pile au bon moment… ■ S.R.

Extrait de Mélas de Saturne, de Josefa Ntjam et Sean Hart, 2020.

Le chef et journaliste

Stephen Satterfield nous entraîne de l’Afrique aux États-Unis.

DOCU

LA TRAVERSÉE DU GOMBO

Du BÉNIN AU TEXAS, une série gourmande explore les racines de la soul food et montre combien celle-ci est loin de se réduire au fried chicken…

CRÉDITER LES NOIRS de leur apport à la cuisine américaine : c’est l’ambition d’un percutant et délicieux docu-série inspiré d’un livre de l’historienne Jessica B. Harris. Dans le premier épisode (sur quatre), entièrement tourné au Bénin, on la retrouve au milieu du marché Dantokpa, à Cotonou, interrogée par celui qui nous guide dans ce voyage, le charismatique chef et journaliste Stephen Satterfield. Une plante sur les étals symbolise le lien entre les continents africain et américain : le gombo (aussi appelé okra), présent dans bien des soupes et des ragoûts des deux côtés de l’océan, a fait le voyage dans les cales des bateaux négriers… Une émouvante séquence à la Porte du non-retour, à Ouidah, rend hommage aux souffrances des ancêtres, fil rouge de toute la série. C’est aussi l’occasion de voir comment des chefs béninois, comme Valérie Vinakpon Gbaguidi, modernisent la cuisine traditionnelle et remettent au goût du jour des plats qui tendent à disparaître. La transmission est l’idée-force de ces rencontres avec

des cuisiniers, des blogueurs, des historiens, ou de simples jardiniers. Aux États-Unis, les Afro-Américains se réapproprient le riz de Caroline du Sud (celui-là même que leurs ancêtres esclaves étaient forcés de cultiver) et les bas morceaux du cochon ou du bœuf (délaissés à l’époque par les maîtres) dans des plats accommodés avec talent par leurs aïeux. On y apprend que les chefs des premiers présidents étaient noirs ou encore qu’un esclave affranchi a fait fortune en faisant aimer les huîtres aux New-Yorkais… Des séquences de repas ponctuent cette odyssée, et en faisant ressurgir les fantômes d’un passé douloureux, amènent les convives au bord des larmes. La cuisine est affaire de goût et de sensibilité. Mais aussi de mémoire. Jusque dans cet agneau mijoté à Houston, avec cacahuètes rôties et sauce arachide : une recette sénégalaise en plein Texas. ■ Jean-Marie Chazeau

LA PART DU LION : COMMENT LA CUISINE AFRO-AMÉRICAINE

A CHANGÉ LES ÉTATS-UNIS (États-Unis), de Roger Ross Williams. Sur Netflix.

Le deuxième épisode (sur quatre) se déroule en Caroline du Sud, où de nombreux esclaves furent déportés.

POÉSIE

À L’ÉPREUVE DE LA VIE

Un recueil écrit au scalpel. Pour dire l’Afrique, ses maux, mais aussi la vigueur de sa culture et de ses identités. CE N’EST PAS UN HASARD si le poète et journaliste mauritanien Bios Diallo, grand défenseur de la culture et des mots, dédie son recueil à sa mère, Sané. « Maman, le feu c’était sous ton regard vigilant / La hache à éviter, la justesse de tes mains. » Comme si son chant et sa voix s’écrivaient au fil d’une vie, de l’enfance à l’âge adulte, de l’innocence à la connaissance, au sang et au tourment. Dans ce troisième recueil de poésies, l’auteur des Pleurs de l’arc-en-ciel et des Os de la terre émaille ses vers de propos engagés, puisés à l’encre de l’actualité : l’immigration à risques, l’intolérance, les conflits identitaires et religieux, ou encore l’invasion djihadiste de la ville sainte de Tombouctou, au Mali. Imagés et intenses, ses poèmes tissent une cartographie d’un monde malmené, mais où « l’amour / sans couleur ni races » sculpte l’espérance. ■ C.F.

BIOS DIALLO, La Saigne, Obsidiane, 64 pages, 10 €

ENQUÊTE

UNE VIE EN MORCEAUX

Entre biographie, enquête historique et récit journalistique, ce livre inclassable explore les mystères entourant la disparition d’une femme.

QUE CACHE LE SUICIDE d’une jeune écrivaine de 27 ans ? Surtout lorsqu’il survient après la réception d’une lettre de l’éditeur nationalisé Al-Dâr al-Qawmiyya lui notifiant son refus de publier son premier et unique roman, L’Amour et le Silence. Nous sommes en 1963, au Caire. Le livre sera finalement publié en 1967, puis tombera dans l’oubli. C’est ce mystère, ultime liberté enchevêtrée de détresse profonde, que l’une des plus belles voix poétiques égyptiennes contemporaines a voulu explorer, après avoir découvert l’ouvrage de la défunte chez un bouquiniste. Une quête captivante, de proche en proche, à la fois historique et intellectuelle, poétique et intime. Dans laquelle la lauréate du prestigieux Sheikh Zayed Book Award cherche à démêler l’écheveau d’une identité complexe et émouvante. Au fil de découvertes parfois contradictoires. Et de révélations ambiguës. ■ C.F.

IMAN MERSAL, Sur les traces d’Enayat Zayyat, Actes Sud, 288 pages, 22 €

BLK JKS AFROPUNK VIBRATIONS

Le QUATUOR SUD-AFRICAIN revient avec un irrésistible album qui réinvente entièrement le style de leurs débuts.

TV ON THE RADIO et Spoek Mathambo en sont fans, et ce n’est pas sans raison ! Au milieu des années 2000, BLK JKS devenait le fer de lance du mouvement afropunk sud-africain. Son premier album, After Robots (2009), lui vaut de tourner dans le monde entier, avant de faire une pause jusqu’en 2018, où le groupe décide de remettre ça avec le fils du trompettiste Hugh Masekela, Selema. Après des mois passés à jammer au Soweto Theatre Orchestra Pit, une large poignée de chansons se volatilise à cause d’un cambriolage.

Qu’à cela ne tienne, BLK JKS retourne en studio un an plus tard et enregistre ce qui deviendra Abantu/Before Humans, un mélange audacieux de cuivres et de guitares volontiers électriques sur un terreau rock’n’roll, qui n’en oublie pas néanmoins ses racines africaines. Galvanisant ! ■ S.R. BLK JKS, Abantu/Before Humans, Glitterbeat/Modulor.

MUSIQUE

Dawn Richard Princesse créole

Avec Second Line, la chanteuse native de la Nouvelle-Orléans explore une électro-soul futuriste.

LA BOUNCE MUSIC de la Nouvelle-Orléans, dont elle est native, la house, la techno, le R’n’B sudiste, le footwork… Celle qui jongle avec les styles a été remarquée en Europe dans Dirty Money, le groupe formé avec Sean Combs (alias Puff Daddy). Dawn Richard possède non seulement une voix qui balance sévèrement, mais aussi une plume d’autrice-compositrice avertie. Ce cinquième album solo peut en témoigner, explorant son patrimoine créole, comme on l’entend dans les interventions de sa mère, qui raconte son quotidien

en Louisiane. Entre « Boomerang » et « Bussifame », la musique est percussive, synthétique, taillée pour le dancefloor occupé par le personnage dans lequel se glisse l’artiste, King Creole. Quant à son titre, il fait référence à la « deuxième ligne » de musiciens et danseurs, qui, dans les parades en Louisiane, improvisent sur les rythmiques, et au sein de laquelle tout le monde est bienvenu. ■

DAWN RICHARD,

Line: An Electro Revival, Merge Records.

Second

PORTRAIT

BINETOU SYLLA, LE RYTHME EN HÉRITAGE

À 33 a ns, la productrice est à la tête de SYLLART RECORDS, un label de musiques africaines et a fro-latines.

NÉE EN FRANCE en 1988, bercée par les rythmes du continent, elle a assisté aux enregistrements studio d’illustres artistes : fondé à Paris en 1981 par son père, Ibrahima Sylla, le label pionnier Syllart Records a notamment propulsé sur la scène mondiale Salif Keïta, Ismaël Lô, Youssou N’Dour, Baaba Maal. À la mort de son père en 2013, la jeune femme en reprend les rênes. Avant de relancer la production de nouveaux talents, elle œuvre actuellement à valoriser le patrimoine du prestigieux catalogue, à accompagner les artistes dans la mue digitale. Un travail d’archiviste pour cette titulaire d’un master en histoire de l’Afrique : son mémoire portait sur le lien entre les élites précoloniales et coloniales au Mali, au début de la colonisation. Avec Rhoda Tchokokam, Célia Potiron et Christiano Soglo, elle forme le collectif Piment et signe l’ouvrage Le Dérangeur, dans le sillage de leur émission radio. Conciliant rigueur scientifique et ton sarcastique, cet abécédaire traite avec pertinence des questions liées à la condition des populations noires en France, puisant dans l’histoire, les sciences sociales ou la pop culture. Un apport précieux, qui suscite débat et réflexion. ■ Astrid Krivian COLLECTIF, Le Dérangeur : Petit lexique en voie de décolonisation, Hors d’atteintes, 144 pages, 16 €

CINÉMA

PASSER LE MUR

Un

THRILLER

SOCIAL

et familial nous plonge au cœur de l ’« apartheid » israélien.

ALORS QUE LE CONFLIT israélo-palestinien fait aujourd’hui un retour brutal dans l’actualité, le cinéma nous rappelle combien la vie au quotidien est difficile depuis longtemps pour les habitants de Cisjordanie. Surtout lorsqu’il faut passer les checkpoints pour traverser le mur protégeant l’État hébreu…

Ce premier long-métrage, très prenant, nous entraîne à la suite d’un père de famille appelé à rejoindre en urgence sa femme et ses enfants, qui résident (pour le travail et l’école) à 200 mètres, côté israélien. Leurs deux appartements se faisant face de part et d’autre de la haute muraille de béton. Faute d’autorisation, il entreprend un long périple à suspens pour contourner l’obstacle. Ali Suliman, comédien palestinien vu chez Ridley Scott et son compatriote Elia Suleiman, incarne avec subtilité ce papa poule dont la colère rentrée et l’empathie forcent le respect. ■ J.-M.C.

200 MÈTRES (Palestine), d’Ameen Nayfeh. Avec Ali Suliman, Anna Unterberger, Lana Zreik. En salles.

« TRILOGIE MAROCAINE

1950-2020 », Museo Reina Sofia, Madrid (Espagne), jusqu’au 27 septembre. museoreinasofia.es

RÉTROSPECTIVE

À L’HEURE MAROCAINE

Les SEPT DERNIÈRES

DÉCENNIES d’effervescence culturelle du royaume chérifien sont mises à l’honneur à Madrid.

QUATORZE KILOMÈTRES à peine séparent le Maroc de l’Espagne. Cette proximité, des deux côtés de la rive méditerranéenne, et le passé historique qui relie les deux pays sous-tendent la rétrospective présentée dans l’un des plus beaux musées de la capitale espagnole, le Reina Sofía. Avec plus de 200 œuvres, des pionniers de la modernité aux artistes contemporains engagés, elle propose une relecture de l’histoire de l’art marocain, de l’indépendance à nos jours, en mettant l’accent sur trois centres culturels urbains : Tétouan, Casablanca et Tanger. Ce qui frappe d’abord, c’est la diversité et le dynamisme de la scène artistique marocaine. De Mohamed Abouelouakar à Latifa Toujani, en passant par Farid Belkahia ou Mohamed Kacimi, chaque plasticien nourrit un dialogue visuel fécond. La dernière période, qui s’étend de 2000 à 2020, montre le travail d’une génération de jeunes artistes qui rompent avec le passé sur les plans formel, technique, symbolique et politique de l’art. ■ C.F.

De haut en bas, des œuvres de Yassine Balbzioui, Mohamed Larbi Rahhali, Ahmed Amrani et Randa Maroufi.

Ses œuvres sont constituées de douilles collectées dans l es zones de conflit.

« MABELE ELEKI LOLA ! LA TERRE, PLUS BELLE QUE LE PARADIS », AfricaMuseum, Tervuren (Belgique), jusqu’au 15 août. africamuseum.be

SCULPTURE

DÉSIRS D’HUMANITÉ

Les créations de FREDDY TSIMBA participent à une rencontre inattendue, entre passé et présent.

ICI, UN HOMME SE TIENT LA TÊTE entre les mains. Là, une mère tend son sein à son enfant séparé d’elle par un épais grillage. Les œuvres si particulières de Freddy Tsimba heurtent et émeuvent. Elles nous disent l’histoire mouvementée de son pays, la République démocratique du Congo. Celle du monde aussi. Connu pour ses sculptures composées de douilles collectées dans les zones de conflit, le plasticien engagé élabore son œuvre à partir de bouts de ferraille, de capsules, de clés, de cuillères. Les objets abandonnés se faisant ainsi l’écho des rebuts et des blessures. Et offrant une réinterprétation de l’univers qui nous entoure. Dans cette exposition, 22 de ses sculptures et installations sont présentées face à 30 pièces sélectionnées dans les collections de l’ex-musée du Congo belge, intimement lié à l’histoire de la colonisation du pays par la Belgique : photographies historiques, peinture occidentale, armes, masques, sculptures traditionnelles. Un dialogue inédit, imaginé par l’écrivain kino-congolais In Koli Jean Bofane, commissaire de l’exposition. ■ C.F.

MANSIA MALAYKADR (3)

LITTÉRATURE

Double peine

Fiction très documentée, le douzième roman de l’écrivaine belge BESSORA met en lumière un fait historique méconnu.

LE 8 SEPTEMBRE 1948, un paquebot jette l’ancre au Cap. À bord, 83 garçons et filles, âgés de 2 à 14 ans. Ils ont été choisis dans des orphelinats allemands par la Dietse Kinderfonds, une organisation de bienfaisance sud-africaine imprégnée d’idéologie nazie, pour permettre à des familles boers d’adopter des enfants au sang pur, de race blanche et de religion protestante. En un mot, des descendants d’Aryens. Nourrissant ainsi le fantasme de « régénérer le sang des Afrikaners ». Trois ans plus tard, le Premier ministre Daniel François Malan, lui-même père adoptif d’une petite Allemande, fait voter une loi prévoyant d’éradiquer toute trace des véritables origines. Lorsque Bessora découvre cette histoire dans le documentaire 1948 : Du sang blanc pour l’Afrique du Sud (2011), de Régine Dura, son sang ne fait qu’un tour. Bouleversée par l’un des protagonistes interviewés, Peter Ammermann, elle se lance dans une quête éperdue pour le retrouver, car, dans ses yeux d’octogénaire, elle a vu l’enfant portant le poids d’une double culpabilité. Celle d’avoir été un emblème du nazisme et un instrument de l’apartheid, sans qu’on ne lui ait rien demandé. À partir de ses confessions, sa trame se dessine, les jumeaux fictifs de son roman (Wolf et Barbara) se faisant l’écho de la narration de Peter. Dans ce récit de la culpabilité et de la résilience, l’auteure, fille d’une Suissesse et d’un diplomate gabonais, témoigne une nouvelle fois des thèmes qui l’occupent : la complexité des chemins de l’identité, l’enchevêtrement des cultures, l’exclusion, l’endoctrinement. C’est précisément un voyage en Afrique du Sud, en 1994, peu de temps après l’élection de Mandela à la présidence, qui la décide, à 26 ans, à changer radicalement de vie et à se lancer dans des études d’anthropologie, parallèlement à une carrière d’écrivain. Après de nombreux romans, dont Les Taches d’encre (prix Félix Fénéon 2001) et Cueillez-moi jolis Messieurs… (Grand prix littéraire d’Afrique noire 2007), cette histoire terrible et vraie est un choc littéraire. ■ C.F. BESSORA, Les Orphelins, JC Lattès, 250 pages, 20 €

LADY DAY DANS

L’ŒIL DU CYCLONE

Un biopic sur BILLIE HOLIDAY qui propose un nouveau regard : celui du FBI…

EN

DÉNONÇANT

LE LYNCHAGE DES NOIRS aux États-Unis

dans « Strange Fruit » en 1939, la diva du jazz Billie Holiday s’est attiré des ennuis : le FBI, craignant des émeutes raciales, a fait pression sur elle pendant des années afin de la dissuader de reprendre sa chanson sur scène. Jusqu’à introduire dans son entourage l’un de ses agents afro-américains… qui finira par devenir son amant ! Le rôle de l’infiltré est d’abord de la faire tomber pour drogue, ce qui n’est pas compliqué tant la cocaïne circule autour de l’artiste, souvent alcoolisée. Lady Day, comme on la surnomme, va affronter le racisme, faire de la prison, être interdite dans certaines salles, mais continuera crânement à faire vibrer sa voix unique.

FESTIVAL

La part du féminin

BILLIE HOLIDAY, UNE AFFAIRE D’ÉTAT (États-Unis), de Lee Daniels. Avec Andra Day, Trevante Rhodes, Garrett Hedlund. En salles.

Cinquante ans après Diana Ross (dans Lady Sings the Blues), la chanteuse Andra Day, dont c’est la première apparition au cinéma, incarne avec justesse son idole de toujours, dont elle recrée le timbre (elle a transformé sa voix et a perdu 18 kg pour le rôle). Elle campe une Billie Holiday loin de son image de victime pour en faire une femme qui, bien que très marquée par son enfance (violée à 10 ans, forcée à se prostituer très jeune) et entraînée vers le fond par ses addictions, est sûre de ses désirs, de ses convictions et de son art. Lee Daniels (réalisateur du Majordome en 2013) lui rend justice dans cette épopée à la fois sombre et sensuelle. ■ J.-M.C.

ILS ET ELLES SONT DE RETOUR sur la scène de l’Institut du monde arabe. Musiciens, danseurs, écrivains, militants, penseurs se retrouvent durant tout le mois de juin pour un programme de 26 événements. Pour cette édition, les chanteuses tunisiennes sont à l’honneur. Le 9 juin, Emel Mathlouthi, l’interprète de « Kelmti Horra », présentera The Tunis Diaries, son dernier album, écrit durant son confinement. Le 12 juin, Dorsaf Hamdani interprétera des œuvres d’Oum Kalthoum, de Fairouz et d’Asmahan. Et le 13 juin, ce sera au tour d’Abir Nasraoui de rendre hommage aux chanteuses tunisiennes Habiba Msika, Saliha et Oulaya. Outre ces témoignages à la gloire des divas arabes, d’autres concerts, des soirées dédiées aux jeunes artistes du Maghreb, un forum sur le thème « Exister ! Être LGBTQ+ dans le monde arabe », des rencontres littéraires ou encore des spectacles de danse montreront la singularité et la richesse de la création contemporaine arabe. ■ C.F. ARABOFOLIES, Institut du monde arabe, Paris (France), du 5 au 30 juin. imarabe.org

DRAME

ESSAI

MUSIQUE DE L’ÂME

Un dialogue intérieur sur la création littéraire par l’essayiste martiniquais, théoricien de la créolité.

IL A GARDÉ le sourire de l’enfance. Et c’est avec ce même naturel que l’ardent défenseur de la « littérature monde » interroge son travail d’écrivain, sa mémoire intime et les mystères de la création. Un récit sensible et fertile, où les fondamentaux de son œuvre sous-tendent sa réflexion. « L’écrire, c’est une métamorphose. C’est mobiliser un état poétique dans la langue : danser son écriture, chanter son écriture, sentir son écriture, crier son

ROMAN

LE MONDE À L’ENVERS

La destinée d’un village aux prises avec une compagnie pétrolière, à travers plusieurs voix qui s’entremêlent.

IMPLACABLE et foisonnant. Le second roman de l’auteure du retentissant Voici venir les rêveurs, dans lequel elle relatait l’histoire d’émigrés camerounais partis comme elle s’installer à New York, déploie une fresque redoutable sur les dégâts du capitalisme à outrance, les conséquences des modes de vie énergivores sur des populations qu’ils appauvrissent et tuent, et les fantômes de la colonisation. Dans un style jubilatoire, elle nous raconte la mainmise d’une compagnie pétrolière sur une bourgade africaine, l’écrasement de l’un au profit

Le Conteur, la nuit et le panier, Seuil, 272 pages, 19 €

écriture », confie-t-il dans ce texte pétri de l’histoire des Antilles, de l’esclavagisme et de la colonisation. De tout le terreau de son imaginaire. Sans chercher de réponse, il explore les recoins du processus littéraire, au fil d’un cheminement semé d’embûches, assailli d’émotions, traversé par l’énigme de la transmission, orale et écrite. L’acte créateur devenant une plongée dans l’inconnu. Un vertige. ■ C.F.

IMBOLO MBUE, Puissions-nous vivre longtemps, Belfond, 432 pages, 23 €

de l’autre, sans tomber dans un manichéisme primaire. Si l’Américano-Camerounaise s’inscrit dans la lignée de Toni Morrison et de Gabriel Garcia Marquez, avec ce sentiment d’éclatement entre deux cultures, c’est ici chez Frantz Fanon qu’elle puise toute la force d’un récit où l’injustice, la révolte et la résistance trouvent leur éclat dans des personnages puissants. ■ C.F.

Extrait du projet photographique d’Ismail Zaidy.

VIVRE LE DÉSERT

Imaginée par 10 a rtistes originaires de sept pays traversés par LE SAHARA, cette expo interroge les fantasmes et la réalité.

LE CENTRE DE CRÉATION MAGASINS GÉNÉRAUX, installé à Pantin, près de Paris, dédie sa troisième saison culturelle au désert du Sahara. Avec une exposition originale mettant en scène 10 artistes âgés de 22 à 35 ans, un festival étalé entre juillet et septembre, ainsi que des ateliers et des performances dans le cadre de la Saison Africa2020, « Hotel Sahara » aborde une partie des défis auxquels doivent faire face les populations sahariennes : la question de l’eau, la réalité géopolitique, le rôle des femmes ou celui du tourisme, la place de la musique et de la création ou encore la problématique des déplacements. Tant de sujets que les jeunes artistes émergents ont creusé lors d’une résidence d’une semaine à côté des dunes, dans le sud-est du Maroc. Originaires de la Tunisie, de l’Algérie, du Maroc, de l’Égypte, de la Libye, du Mali ou encore du Soudan, ils restituent sous une multitude de formes leurs expériences du désert, la relation qu’ils entretiennent avec celui-ci et les réalités humaines qu’ils y ont vécues. ■ Luisa Nannipieri

« HOTEL SAHARA », Magasins généraux, Pantin (France), du 12 juin au 2 octobre. magasinsgeneraux.com

SAISON

ZANELE MUHOLI, Somnyama

Ngonyama : Salut à toi, lionne noire !, Delpire and Co, 212 pages, 72 €

PHOTOS Avec sa série d’autoportraits, la militante sud-africaine

UNE IMAGE VAUT

MILLE MOTS

ZANELE MUHOLI, engagée auprès des communautés LGBTQ+, frappe fort.

Ci-dessus, ZaKi, Kyoto, 2017.

ELLE SE BAT CONTRE LES PRÉJUGÉS à coups de clichés. Des portraits en noir et blanc, charbonneux, cireux. Où une paire d’yeux au blanc immaculé, quasi exorbités, captive le spectateur. Comme si elle transperçait la photographie. Un regard qui semble traduire les mots de l’écrivaine afro-américaine Maya Angelou : « Il n’est pire souffrance que de garder en soi une histoire jamais racontée. » Celle que nous narre, au fil de son œuvre audacieuse, l’activiste sud-africaine, engagée de longue date contre l’homophobie et la haine raciale, met en scène une diversité d’identités, comme celles qui la définissent : noire, lesbienne, zouloue… Après avoir longtemps photographié ses semblables, au sein des communautés noires lesbiennes, gays, bi, trans ou intersexes, Zanele Muholi s’était lancée en 2017 dans une série d’autoportraits, 365 en tout, qui questionnent la représentation du corps noir, l’injustice et la place de la femme noire dans la société d’aujourd’hui. Récemment consacrée à la Tate Modern, à Londres, et bientôt à la Maison européenne de la photographie, à Paris, elle publie aujourd’hui sa première monographie en français. À bientôt 50 ans, cette guerrière affirme plus que jamais sa force et sa liberté. Et son talent crève les yeux. ■ C.F.

Ci-contre, Ntozakhe II, Parktown, Johannesbourg, 2016.

Ci-dessous, Phindile I, Paris, 2014.

David Numwami Bienvenue

dans un autre monde !

Remarqué sur scène aux côtés de Charlotte Gainsbourg, ce multi-instrumentiste d’origine rwandaise est l’un des MEILLEURS ESPOIRS de la scène bruxelloise.

C’EST UNE POP MÂTINÉE DE R’N’B épuré que nous propose David Numwami, que l’on suit avec intérêt depuis quelques années en espérant qu’il se lance pour de bon en solo. Notre vœu est exaucé avec ce premier EP, Numwami World, lequel nous invite à découvrir le charme de sa musique, qu’il a écrit et composé seul, après de nombreuses aventures en collectif, avec le groupe Le Colisée, qui a fait la joie de la scène bruxelloise, ou des collaborations avec Charlotte Gainsbourg, pour sa tournée, et Sébastien Tellier. Né en 1994 au Rwanda, l’artiste a perdu une grande partie de sa famille durant le génocide, mais a trouvé refuge avec sa mère et ses sœurs en Belgique. C’est là qu’il a étudié, de longues années, la guitare… Des morceaux faussement légers mais réellement addictifs, comme « Beats! », « Hello » ou « Thema », où l’on entend son attachement à ses origines, font de David Numwami l’artiste à écouter en boucle cet été. ■ S.R.

DAVID NUMWAMI, Numwami World, Ffamily/Believe.

Dihandju et José-Manuel Garcia ont créé leur marque en 2018.

MODE

LE WAX VERSION SPORT

Avec une gamme de produits homme et femme confortables et colorés, CONGAÑA conjugue streetwear et identité africaine.

POUR FAIRE DU SPORT, il faut du temps, de l’énergie et surtout des vêtements dans lesquels se sentir vraiment à l’aise. La demande de tenues pratiques et stylées étant en forte croissance, de nouvelles marques allient désormais passion sportive et mise en valeur de l’identité africaine. C’est le cas chez Congaña, une société née en 2018 d’une idée de la Congolaise Francisca Eluki Dihandju et de son compagnon d’origine espagnol (et kinésithérapeute) José-Manuel Garcia. À l’époque, l’entrepreneure, qui étudiait encore, avait remarqué que ses connaissances s’entraînaient avec des vêtements classiques, toujours dans les mêmes nuances, et que les femmes bataillaient avec des ensembles transparents ou de mauvaise qualité. Des problèmes que Congaña a vite réglés. Celle qui se targue d’avoir été la première à lancer le concept du wax sportif en France veille à proposer des ensembles vibrants et confortables, à partir de matériaux nobles pour éviter toute démangeaison, et taillés pour toutes les morphologies

et toutes les poches. Les brassières sont spécialement conçues pour protéger et soutenir jusqu’aux fortes poitrines, et les joggings, leggings ou shorts sont gainants et couvrants. Certaines pièces sont disponibles en version full wax ou avec de simples insertions inspirées du kente ou du bogolan. « L’imprimé peut-être très discret, ce qui permet d’utiliser nos leggins pour faire du sport comme pour aller au travail », détaille la designeuse, le but de Congaña étant de proposer des tenues que tout le monde peut porter pour faire du sport mais aussi pour se détendre sur son canapé. Très attachés à la durabilité de leurs produits et à la relation avec la clientèle – laquelle peut choisir les motifs à imprimer sur les nouvelles collections via des sondages sur les réseaux, et même proposer des améliorations –, les deux créateurs testent tous les modèles en condition réelle. Une approche gagnante, qui leur a permis de se faire une place dans le secteur en faisant l’éloge de la mixité et de l’acceptation de l’autre. congana.com ■ L.N.

DESIGN

DESTINATION BOTSWANA

Le Xigera Safari Lodge a rassemblé durant deux ans une COLLECTION DE PIÈCES UNIQUES afin de valoriser le savoir-faire du continent.

LE DELTA DE L’OKAVANGO, dans le nord du Botswana, est la destination rêvée des mordus des Big Five. Depuis la récente inauguration du Xigera Safari Lodge, il attire également les passionnés de design. Les propriétaires ont travaillé durant deux ans à la création d’une collection hors norme de pièces uniques entièrement réalisées par des designers et des artisans du continent. Avec le soutien et la supervision de la galerie d’art Southern Guild, environ 80 créateurs, cabinets et ONG ont créé des sculptures, des textiles et du mobilier pour décorer les 12 suites de l’hôtel et les espaces communs. C’est

la première fois qu’un organisme privé s’engage dans un projet à cette échelle, dans le seul but de mettre en valeur le design africain de qualité. Difficile de choisir une seule œuvre parmi celles, merveilleuses, de Peter Mabeo, Porky Hefer ou encore Zizipho Poswa. Il y a la sculpture géante de Conrad Hicks, installée au-dessus d’un brasero, qui crée un effet théâtral dans la nuit du delta. Et les lampes, tabourets ou couverts en argile noire signés Chuma Maweni que l’on retrouve aux quatre coins du lodge. Mais la collection est si originale que chacun peut aisément y trouver son objet fétiche. xigera.com ■ L.N.

SPOTS

À VOS TERRASSES !

Deux adresses pour retrouver le plaisir d’une cu isine africaine EN PLEIN AIR.

LE SOLEIL ET LA RÉOUVERTURE des terrasses des restaurants donnent envie d’aller (re)découvrir de bonnes vieilles adresses. Comme Afrik’n’Fusion, le « fast&good » lancé par trois jeunes d’origine sénégalaise en 2011. En plus de sortir quelques tables devant deux de ses restos parisiens et d’aménager de grandes terrasses à Cergy et Villetaneuse, la franchise a développé un nouveau concept : Afrik’n’Bowl, soit des « bokés » chauds ou froids, à composer ou déjà préparés. Tel le Joola, à base de fonio parfumé au miel de Casamance, crevettes poêlées au niététou, tomates cerises, gombo, poivrons, mangue et sauce aux feuilles de bissap. Ou le Saint Louis, avec riz rouge, lieu noir mariné, carottes, aubergines africaines, patates douces et bouillon de légumes.

45 pe rsonnes peuvent profiter des tables en extérieur du BMK Folie-Bamako. Ci-dessous, le Bamakool Lamb.

Chez Afrik’n’Bowl (ci-dessous), on peut préparer son boké soi-même.

Autre cantine spécialiste de la cuisine d’Afrique de l’Ouest à avoir fait des petits l’année dernière, BMK Paris-Bamako, qui a désormais une adresse dans le 11e arrondissement parisien : BMK Folie-Bamako. Les 45 places en terrasse sous les arbres de la rue Jean-Pierre Timbaud vont à coup sûr attirer les foules. On y déguste des plats traditionnels

de toutes les régions du continent et des créations originales sublimées par des épices rares, comme le Smoky Mafé, du poulet fumé avec sa délicieuse pâte d’arachides et des légumes frais, ou le Bamakool Lamb, de l’agneau mariné accompagné de bananes plantains frites et d’une salade. Et bien sûr, le Bamako Fried Chicken, un incontournable ! ■ L.N. afriknbowl.fr / bmkparis.com

Le meilleur maître, c’est la nature

Pour

ce campus technologique sur le lac Turkana, FRANCIS

inspiré des termitières du Kenya.

KERÉ s’est

L’IDÉE DE CRÉER un campus technologique près du lac Turkana, au Kenya, remonte à 2019, quand l’architecte burkinabé Francis Kéré rencontre à Munich Ludwig Bayern, le fondateur de l’ONG Learning Lions, engagée pour l’autonomisation des jeunes adultes dans les zones rurales appauvries d’Afrique de l’Est. Deux ans plus tard, le Startup Lions Campus est une réalité qui change le visage de l’une des régions les plus pauvres – mais aussi l’une des plus belles – du Kenya. Le charme naturel du site et sa morphologie unique sont valorisés par le projet, qui a été construit sur deux niveaux, suivant la pente du terrain, et doté de vastes terrasses avec une vue imprenable sur le lac. Dans quelques années, elles seront ombragées par des pergolas végétalisées et deviendront d’agréables lieux de réunion et d’échange de plein air. La forme des bâtiments, qui hébergent une école, des espaces de coworking ainsi qu’un incubateur de start-up, rappelle les monticules imposants construits par les colonies de termites de la région. Points de repère dans le paysage, les trois hautes tours de ventilation ont également un rôle fonctionnel : avec leurs fentes dans les parties basses de l’édifice, elles permettent de refroidir naturellement les espaces de travail, tout en empêchant à la poussière de rentrer et d’endommager les équipements informatiques. Des hébergements pour le personnel du campus et un restaurant verront le jour dans la deuxième phase du projet. kerearchitecture.com ■ L.N.

30 danseurs étaient présents su r  l a  prestigieuse scène parisienne.

DANSE

BAROQUE HIP-HOP

Retour sur l’arrivée du krump et du voguing à l ’OPÉRA BASTILLE dans ce docu énergisant.

LA CHORÉGRAPHE BINTOU DEMBÉLÉ et 30 danseurs de musiques urbaines se sont retrouvés il y a deux ans sur la prestigieuse scène parisienne, dans un chef-d’œuvre de la musique baroque : Les Indes galantes, opéra-ballet créé en 1735 par Jean-Philippe Rameau. Le krump et le voguing avaient remplacé la marche et le menuet, par la volonté du metteur en scène Clément Cogitore. Les répétitions sont racontées à travers le regard des danseurs, jusqu’au triomphe devant le public. Un parcours sans faute où des jeunes aux racines multiples, athlétiques et pleins de verve finissent par faire corps avec un monde a priori opposé et conservateur. Ce documentaire capte avec brio cet instant où la diversité a pris la Bastille et lui a sans doute fait faire un saut générationnel. ■ J.-M.C.

INDES GALANTES (France), de Philippe Béziat. En salles.

INTERVIEW

Nawel Ben Kraïem, la poétesse chanteuse

Dans son premier recueil de poèmes, J’abrite un secret, la Tunisienne explore avec finesse et i ntensité ses questionnements existentiels, son regard sur le monde, entre lyrisme et révolte sociale. Elle le défendra sur scène au Festival d’Avignon, au t héâtre Le Verbe fou, du 11 au 18 juillet.

AM : Quelle est la genèse de votre recueil ?

Nawel Ben Kraïem : J’écris de la poésie depuis toujours. Les points de départ de mes morceaux sont souvent des textes libres et poétiques, que je retravaille avec les contraintes formelles de la chanson : confrontation à une mélodie, recherche d’un refrain, arrangements… Lors d’une période de repos vocal après une tournée, il y a deux ans, j’ai vécu un temps de silence, d’arrêt.

J’ai été attentive à cette matière artistique dans mes carnets, sans vouloir la confronter à la dynamique collective de la musique, ses outils technologiques.

J’ai conçu mon recueil comme un chemin de vie, un itinéraire, où trois temps se dégagent.

D’abord, celui de l’enfance, de l’adolescence, avec des émotions liées à la sphère familiale. Puis se déploient la question du chemin, le voyage, les ressources que l’on trouve en route, l’écriture, le regard qui se déplace, la maternité. Enfin, la troisième partie est plus politique, à travers le passage du « je » au « nous », d’une colère intime à une colère consciente. C’est important de concilier le « je » et le « nous » ?

Que vous apporte la poésie par rapport à la musique ?

Le silence. J’aime l’énergie collégiale dans la musique, mais ce travail d’écriture solitaire m’apporte beaucoup, me confronte à moi-même, m’apaise. Et dans sa forme même, la poésie est aussi silence : elle laisse la place à des hors-champ, des non-dits, à une pudeur qui me correspond. Elle donne la place à l’autre : celui qui écoute, lit, a l’espace pour projeter. C’était une phase d’élaboration riche de penser à comment les mots vont danser sur les pages du recueil, respirer aussi. Et puis, l’industrie musicale est très concurrentielle. La poésie est une niche constituée d’amateurs, telle une famille, d’âme à âme, où l’on ne m’attend pas avec des chiffres. Ça me touche et me plaît. Quels auteurs constituent votre « poéthèque » ?

J’abrite un secret, éditions Bruno Doucey, 104 pages, 14 €.

Oui. Ma démarche artistique est mue par une forme de poésie sociale. Elle parle du rapport entre les humains, de leur solitude, des drames parfois, mais porte un regard lucide et grave sur le système profondément injuste qui les régit. Je le mesure peut-être du fait de mon vécu intime de femme, arabe, qui a grandi en Tunisie, puis en France. J’ai éprouvé ces injustices, ce passage d’un monde à l’autre, d’un système à l’autre. Je ressens une colère, une nécessité de dénoncer ce système qui peut abîmer, carencer, écraser. Mais j’ai énormément d’empathie, d’amour, de bienveillance pour les humains. Même pour ceux qui nous font parfois du mal : souvent malmenés par cet ordre déshumanisé, les hommes se malmènent entre eux.

Enfant, Prévert m’a illuminée par sa sincérité, sa simplicité, sa profondeur. Adolescente, l’album L’École du micro d’argent de IAM racontait les injustices que je percevais, faisait écho à ma conscience de classe, mon hybridité – issue d’une famille modeste du Sud, fréquentant des élèves aisés au lycée français… J’aimais leur talent à trouver les bonnes images, le bruit des mots que l’on a envie de retenir, de dire, tout en posant un regard profond sur le monde. Puis, j’ai été très touchée par les poétesses de l’intime, telle Sylvia Plath, et plus militantes, comme Audre Lorde, Adrienne Rich. Et j’ai eu un coup de cœur pour Souad Labbize. Dans votre poème « J’ai perdu mes carnets », vous écrivez : « Le souffle raturé / Je suis seule près des mots. » Une image qui figure votre état lors de l’écriture ?

Oui. Souvent, mes créations prennent source dans une anxiété, une colère, une solitude, le besoin de retrouver mon souffle, une quête d’apaisement, de lumière. Cette mise à nu dans le geste poétique invite l’autre : nous avons tous des zones de vulnérabilité, auxquelles nous pouvons survivre. ■ Propos recueillis par Astrid Krivian

Ghizlane Agzenaï

AVEC SES TABLEAUX COLORÉS, LA PLASTICIENNE

et street artist originaire du royaume chérifien signe des œuvres intrigantes et vivantes qui fleurissent diverses expositions collectives dans l’Hexagone. par Fouzia Marouf

Regard profond, gestes gracieux, Ghizlane Agzenaï retrace en détail la genèse des pièces aux tonalités vives qui ornent la 193 Gallery. Elles ont été réalisées lors d’une résidence en Normandie. Pensés au sein d’une riche palette de tons et de formes, le jaune et le rose éclatants dialoguent avec les autres couleurs, au fil de ses œuvres qui lui ont permis d’imposer son style audacieux sur la scène du street art dans le royaume chérifien et en Europe. La plasticienne propose d’un tableau à l’autre des compositions colorées et joyeuses en quête d’un langage universel. Autant d’œuvres déclinées en collages papier, toiles et puzzles en bois, qu’elle appelle « totems », faisant écho à son esprit bienveillant : « Je suis traversée par une philosophie de vie positive que je souhaite communiquer à travers mes œuvres », précise-t-elle. Artiste cosmopolite, née à Tanger en 1988, elle grandit à Casablanca où son œil pour les arts visuels s’aiguise dès sa prime enfance. « J’ai toujours été fascinée par l’univers des comics, les films de science-fiction. Je voulais créer de l’art urbain, car il est accessible à tous », confie-t-elle. Après de brillantes études de commerce et une classe préparatoire à Paris, elle met le cap sur Mexico en 2009, où elle vit durant un an, puis s’installe en 2011 à Londres pour y travailler dans une banque. Autodidacte, toujours animée d’un fort désir de création, elle ne quitte jamais son carnet de croquis et se forme seule à la peinture de retour dans la métropole casablancaise. Déterminée, passionnée, elle pose ses valises à Berlin en 2016, afin d’y côtoyer des artistes urbains. Elle se tourne vers l’abstraction géométrique à la suite d’une rencontre déterminante : un duo de street artists qui l’invitent à créer dans leur studio durant près d’un an. « J’ai affiné mon style au cœur d’une effervescence incroyable, grâce à des artistes extraordinaires au contact facile. J’ai adoré l’énergie communicative de Berlin », se souvient-elle. Ghizlane Agzenaï instille dès lors de nouvelles perspectives aux lignes de l’abstraction. Ses « totems » peints à l’aérosol sont découpés au laser et poncés avec soin. Forgés par un ébéniste, imbriqués dans un harmonieux jeu de couleurs pop, ils forment un captivant puzzle.

Quant à ses toiles monumentales, elles font vibrer la couleur dans l’espace urbain. Entre 2018 et 2019, l’artiste trace les contours d’une abstraction exigeante en habillant différents murs à Rabat, lors du festival Jidar au musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain, ou encore à Barcelone, Vigo et Paris. La richesse de son empreinte l’amène à réécrire une narration de la peinture abstraite.

En avril 2020, elle crée la surprise en réalisant une performance en 3D, Emerge, projetée sur l’un des plus hauts immeubles de Casablanca. Suit en novembre l’exposition personnelle « Emerge Reloaded » à la Galerie 38. En 2021, fin mai, Ghizlane Agzenaï a participé à la Menart Fair, dans la maison de ventes parisienne Cornette de Saint Cyr. Du 10 au 13 juin, elle sera exposée à l’Urban Art Fair, à Paris, ainsi qu’au sein de l’exposition collective « Colors of Abstraction 2 », qui rouvrira ses portes à l’issue du confinement. La peinture est un médium qui permet à cette humaniste de parler au plus grand nombre. ■

«Je suis traversée par une dephilosophie vie positive.»

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L’ÉRUPTION DES OUBLIÉS

Goma. Capitale du Nord-Kivu. RDC. Déjà, juste ces quelques mots, ça commence mal… Si on faisait un sondage mondial pour demander où ça se trouve, peu de gens seraient capables d’y répondre. En Afrique, on connaît bien. Depuis des années, Goma et ses environs sont le sinistre et incessant théâtre de conflits, violences, viols et déplacements de populations. Dans l’indifférence quasi générale. Fin mai, cerise sur le gâteau, le volcan Nyiragongo a fait irruption dans le paysage miséreux de la région. Dans la petite ville de Buhene, entre 900 et 2 50 0 habitations ont été englouties sous la langue de lave rocheuse du monstre géologique en éruption. Et près de 400 000 personnes ont dû quitter précipitamment la capitale régionale, baluchon sur le dos, vers des camps de réfugiés… que l’on promet d’aménager. En RDC et au Rwanda aussi. La Croix-Rouge et quelques ONG alertent, prédisent un drame humanitaire sans précédent. Le volcan semble se calmer. Peut-être pour un temps seulement. Personne ne peut le dire. Car les séismes continuent. Les autorités locales tentent de rassurer. Maladroitement et dans l’impuissance la plus totale. Et surtout, il est saisissant que les médias internationaux n’aient passé que quelques belles images de l’éruption, presque esthétiques… Point. Mieux, avons-nous entendu parler d’une aide d’urgence venue de l’extérieur ? D’équipes de vulcanologues dépêchées sur place pour prévoir, planifier la suite ? De sous, d’avions, de grues ? Pas moi. Ça viendra peut-être.

Mais il est saisissant de constater que certaines régions de la planète n’intéressent pas grand-monde. Et que la compassion est bien diversement ressentie et exprimée. Au fil des intérêts, peut-être… Plusieurs facteurs doivent expliquer cela, certes. Mais le résultat est là. Rude. Disons que naître à Goma aujourd’hui (et il y a malheureusement bien d’autres parties « hostiles » dans le monde), c’est s’exposer à un quotidien sans pitié, entre les fléaux de toutes sortes qui s’abattent sur ce bout de terre, de la folie des hommes qui tuent et qui violent jusqu’à la malédiction naturelle d’une montagne qui crache le feu en toute liberté, affranchie des radars de surveillance.

Ce billet d’humeur prêchera sûrement dans le désert, mais l’impuissance générale n’empêche pas d’avoir une pensée pour le peuple oublié du Nord-Kivu ■

AM vous a offert les premières pages de notre parution de Juin

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