AM 414 FREE

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CÔTE D’IVOIRE

LES EXIGENCES DE DEMAIN

Un portfolio de 12 pages

INTERVIEW

Abd al Malik : « L’urgence de tisser des liens »

BUSINESS Des emplois pour la jeunesse !

ON EN PARLE 20 pages d’une Afrique en création

AFRICAINS T ET CHANGE T CHANGENT LE MONDE T MONDE

Avec Elon Musk (sud-africain, milliardaire, défricheur), Christian Happi (chasseur de virus), Juliana Rotich (créatrice open source), Roméo Mivekannin (révolutionnaire de l’art), Moncef Slaoui (Monsieur vaccin), Debora Kayembe (universitaire engagée), Mohamed Abid (chasseur d’étoiles) et la très universelle Malika Louback (mannequin).

Elon Musk devant une fusée SpaceX.

L’AFRIQUE FACE À L’URGENCE édito

Pendant que les pays riches s’écharpent pour accéder aux doses vaccinales, pendant que l’Europe se divise sous l’effet de ses égoïsmes, pendant que les Chinois et les Russes tentent d’utiliser leurs technologies vaccinales pour accroître leur influence, pendant que les États-Unis « mettent le paquet » avec une offensive à coups de milliards de dollars, l’Afrique tente de trouver une réponse à la crise du Covid-19. Avec son milliard et quelques d’habitants et ses structures de santé précaires, le continent est en danger, même si l’épidémie semble moins virulente ici qu’ailleurs. Un danger sanitaire pour les Africains eux-mêmes, malgré leur jeunesse et leur apparente résistance. Et vecteur d’un danger plus global pour « les autres ». Certains, cyniques, pourraient « penser » une Afrique devenue territoire endémique du Covid, un peu comme le paludisme, pendant que le reste du monde s’immunise. Un calcul à très courte vue. Le monde moderne n’a plus de frontières infranchissables, et le virus (et ses mutants) peut voyager quel que soit X… En clair, si le monde veut sortir de la crise du Covid, il faut que l’Afrique (et les autres pays pauvres ou émergents) s’en sorte aussi. L’égoïsme des uns sera une condamnation pour tous. Notre sort est lié. Début mars, on est pourtant loin du compte : les trois quarts des vaccinations dans le monde ont été faites dans 10 pays uniquement, lesquels représentent à eux seuls 60 % du PIB mondial…

L’Afrique est en danger aussi parce qu’elle risque de vivre un long Covid économique et social. Avant la crise, c’était le continent jeune, en pleine croissance, en progrès, avec une vision optimiste, positive de l’avenir, pendant que le monde occidental se déprimait dans un vieillissement des âges, des mentalités, des ambitions… Aujourd’hui, un an après, les données ont radicalement changé. Malgré le bazar et les égoïsmes, les pays riches vaccinent. Les variants compliquent tout, mais les perspectives d’immunité collective à fin 2021 deviennent raisonnables.

Ces pays ont les moyens de redémarrer rapidement leur économie. Et de dépenser des centaines de milliards d’euros pour soutenir leurs secteurs productifs. Selon différentes études, l’Afrique, elle, devrait « attendre » jusqu’en 2024 avant de pouvoir bénéficier d’une forme d’immunité collective. Une éternité… Malgré leurs résiliences, les économies et les sociétés du continent seront durablement impactées. Coupées du monde tout d’abord, avec une limitation drastique des échanges et du tourisme. Quatre ans sans suffisamment de moyens budgétaires pour amortir le choc et opérer la relance. Une croissance quasi nulle, qui aurait un effet immédiatement appauvrissant, compte tenu de la démographie. Enfin, les coûts à moyen terme pourraient être dramatiques. On pense en particulier à la déstructuration du secteur scolaire, à la formation des jeunes. Et au recul sur les autres enjeux de santé collective. En tout état de cause, l’Afrique a besoin de 1,5 milliard de doses pour mener la lutte contre la pandémie. Elle doit pouvoir compter sur ses alliés, ses amis et sur le mécanisme Covax, tentative assez stupéfiante et encourageante de solidarité mondiale menée par l’OMS et l’ONG Gavi.

L’Afrique a besoin des autres, mais l’histoire lui a aussi appris à compter sur elle-même. Elle doit mobiliser les peuples, renforcer la lutte quotidienne et les mesures de protection collective, elle doit mobiliser ses ressources, attirer les investisseurs, montrer l’exemple en assurant une solidarité entre nations plus riches et nations plus fragiles. L’Afrique peut aussi apporter au monde son expérience des épidémies et des virus. Elle doit enfin, au-delà du pic de la crise actuelle, s’émanciper, construire progressivement son indépendance médicale et pharmaceutique.

C’est le sens de l’idéogramme chinois du mot « crise ». Il se compose de deux caractères. L’un signifie « danger », l’autre « opportunité », le moment à saisir. ■

N°414 MARS 2021

3 ÉDITO

L’Afrique face à l’urgence par Zyad Limam

6 ON EN PARLE

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN

Ikoqwe, duo de choc

26 PARCOURS

Nyaba Leon Ouedraogo par Fouzia Marouf

29 C’EST COMMENT ?

Test or not test ? par Emmanuelle Pontié

90 VINGT QUESTIONS À…

Céline Banza par Astrid Krivian

TEMPS FORTS

À L’AVANT-GARDE !

32 Elon Musk : L’homme qui voulait sauver le monde (et être riche) par Cédric Gouverneur

40 Moncef Slaoui : Le tsar des vaccins par Cédric Gouverneur

42 Malika Louback : Djibouti style ! par Zyad Limam

44 Christian Happi : Relocaliser la recherche par Cédric Gouverneur

46 Mohamed Abid : Rien n’est impossible par Frida Dahmani

48 Juliana Rotich : La pionnière des TIC en Afrique par Emmanuelle Pontié

50 Roméo Mivekannin : Aux sources d’un art royal par Fouzia Marouf

56 Debora Kayembe : La rectrice d’Édimbourg par Emmanuelle Pontié

58 Côte d’Ivoire : Les exigences de demain par Zyad Limam

70 Abd al Malik : « L’urgence de tisser des liens » par Fouzia Marouf

P.70

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BUSINESS

76 Être jeune et sans emploi, une fatalité ?

80 Ford investit 1 milliard de dollars en Afrique du Sud

81 Lesieur Cristal rêve d’Afrique

82 Le modèle éthiopien fortement fragilisé

84 Afreximbank sort de l’ombre

85 La dette à nouveau une source d’inquiétude par Jean-Michel Meyer

VIVRE MIEUX

86 Être mieux armé contre le Covid-19

87 Détox : La monodiète est-elle une bonne idée ?

88 Décoder les anomalies des ongles

89 Comment combattre le stress par Annick Beaucousin et Julie Gilles

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ON EN PARLE

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

Les deux hommes se mettent en scène dans un duo fictionnel venant d’une autre galaxie, Iko et

Coqwe.

IKOQWE DUO DE CHOC

Le

DJ et producteur Batida et le rappeur angolais Ikonoklasta signent un MANIFESTE SONORE HYBRIDE politique.

IKOQWE, c’est le chef de file de l’électro portugaise Pedro Coquenão, alias Batida (né à Huambo, en Angola, et élevé à Lisbonne), et le rappeur activiste angolais Luaty Beirão, alias Ikonoklasta. Amis de longue date, ils ont déjà collaboré sur deux disques avant de livrer aujourd’hui l’histoire d’un duo fictionnel venant d’une autre galaxie, Coqwe et Iko, qui découvre, stupéfait, le monde fou dans lequel nous évoluons. Le tout sur une trame mariant électro, rap et musiques traditionnelles angolaises. Son (beau) titre ? The Beginning, the Medium, the End and the Infinite. Ici, les deux personnages réagissent « en étant politiques, provocateurs ou simplement complètement stupides », commente Batida. Ce qui fait la richesse des chansons. « En tant qu’artiste, il est vraiment difficile d’éloigner les questions sociales de mes propositions, explique le producteur. Ce n’est pas que je n’aime pas simplement danser, rire et célébrer l’amour. Une piste de danse est déjà une déclaration énorme à ce que nous avons négligé au fil des ans, mettant l’accent

sur la performance plutôt que sur l’expression. Peut-être qu’un jour, je ne pourrai m’exprimer qu’à travers les instruments et la danse… Mais pour l’instant, je continue d’essayer de raconter quelque chose. » Dont acte avec son complice Ikonoklasta, qui a signé une grande partie des paroles, tandis que lui fouillait dans les archives de l’International Library of African Music, y dénichant puis samplant des sons captés en Angola durant les années 1950 par l’ethnomusicologue Hugh Tracey.

Le tout est nourri de featurings conséquents, de Spoek Mathambo à Kamicasio, ce qui les « rapproche le plus d’avoir un groupe parfait » : « Spoek est un ami depuis nos débuts. C’est tellement facile de travailler avec lui. Avec Octa Push, nous avons pris du temps pour finalement nous réunir. Et concernant Celeste/Mariposa, je suis vraiment fier qu’il s’agisse de son premier enregistrement. Au-delà des collaborations, ma relation avec Ikonoklasta est précieuse : c’est comme travailler avec son frère ou son ami d’enfance… » Ensemble, ils rendent hommage non seulement aux possibilités de la planète, mais aussi aux trésors cachés de la culture angolaise. ■ Sophie Rosemont BATIDA APRESENTA IKOQWE, The Begining, the Medium, the End and the Infinite, Crammed Discs.

Dans Kanawa, elle chante l’amour, la tolérance, les traditions.

NAHAWA DOUMBIA

L’HYMNE AU MALI

La CÉLÈBRE CHANTEUSE

s’adresse à la jeunesse dans son quinzième album.

« NE PARS PAS. » C’est ce que signifie le titre de son nouvel opus, Kanawa. À qui la Malienne parle-t-elle ? Certainement pas à celui qu’elle aime : cette féministe dans l’âme a toujours milité pour les droits de ses sœurs. Non, elle parle aux jeunes de son pays, déchiré entre une politique exsangue et des attaques terroristes, où le chômage et la précarité sont indéniables, mais valent toujours mieux que de se retrouver sous une tente, dans le froid, dans un pays étranger et hostile. Dans Kanawa, elle chante aussi l’amour, la tolérance, les traditions et le pouvoir qu’on peut ressentir en affirmant ses convictions. Pour l’accompagner, des cordes maliennes, telles le n’goni et le kamale n’goni, des guitares, des percussions et boîtes à rythmes… Ainsi que sa fille, Doussou Bagayoko, sur « Adjorobena ». Le tout enregistré par son complice de toujours, N’gou Bagayoko, qui trouve le juste équilibre entre sonorités contemporaines et le didadi. ■ S.R. NAHAWA DOUMBIA, Kanawa, Awesome Tapes From Africa.

SOUNDS

À écouter maintenant !

Céline Banza

Praefatio, Bomayé MusikAfrica

C’est en français et en ngbandi que chante cette jeune artiste congolaise [lire p. 90], remarquée depuis quelques saisons pour la douceur pénétrante de son timbre, mais aussi la fermeté de son engagement. Cette ancienne ethnomusicologue cultive un folk acoustique et mélodique qui permet de mettre en avant ses textes. Le glaçant « Sur le pavé », « Legigi No Gbi » ou encore « Na Mileli » parlent d’un monde qui ne tourne pas toujours rond, et « Mbi Ndo Yemo » et « Mbi Gwe » des disparus qui nous manquent.

Gaidaa

Colors Live in NYC, ColorsxStudios

Produite avec la structure Colors, cette poignée de chansons enregistrées en live à New York illustre ce que la soul peut offrir de plus élégant et authentique. Élevée aux Pays-Bas par des parents soudanais amoureux de leur tradition, la jeune Gaidaa est aussi bien influencée par Amy Winehouse que par Jazmine Sullivan et Anderson .Paak, sans oublier ses origines. Un beau mélange servi avec une acoustique qui résonne juste.

Dominique Fils-Aimé

Three Little Words, Modulor

Révélée par le télécrochet canadien La Voix en 2015, la Montréalaise a sorti son premier album plutôt bluesy, Nameless, en 2018. L’année suivante, elle remportait le prix Juno de l’album de jazz vocal avec Stay Tuned! Dans ce troisième opus, Three Little Words, Dominique Fils-Aimé explore un territoire plus soul, parfois titillé par des échos funk, et dénonce le racisme systémique américain. D’une grande élégance. ■ S.R.

REGARDS CROISÉS

« COLORS OF ABSTRACTION 2

» retrace la vitalité de l’art contemporain d’Abidjan à

Casablanca,

via les travaux de trois artistes phares.

UN TOTEM CONSTELLÉ de tonalités pop, des tabourets dentelés d’éclats vifs, symboles d’une génération d’artistes incarnant une néo-esthétique entre l’Afrique et l’Amérique latine : la 193 Gallery poursuit son tour d’art contemporain africain avec un nouveau group show, « Colors of Abstraction 2 ». Cette exposition réunit trois artistes phares, dont l’Ivoirien Jean Servais Somian, designer et sculpteur hors pair qui excelle dans l’art du bois, sa matière de prédilection, en transformant des pirogues en sofas. La Marocaine Ghizlane Agzenai, elle, sublime la création de totems colorés et monumentaux, présentés en 3D en avril dernier via Emerge, projection murale sur l’un des plus hauts immeubles de Casablanca. Enfin, les œuvres de la Brésilienne Valentina Canseco évoquent la fameuse cagette, objet de récupération si présent en Afrique, que cette artiste ravive au cœur de sa géométrie, son trait dynamique faisant écho par touches flashy à la veine urbaine de Ghizlane Agzenai. ■ Fouzia Marouf

« COLORS OF ABSTRACTION 2 », 193 Gallery, Paris (France), jusqu’au 31 mars (les dates peuvent évoluer avec l’actualité). 193gallery.com

Les tabourets Dentelle de Jean Servais.
Matrice 18, de Valentina Canseco.
Totem Naos de Ghizlane Agzenai.

INTERVIEW

Jimmy Jean-Louis, citoyen du monde

Rendu célèbre grâce à la série américaine Heroes, le comédien haïtien basé à Hollywood travaille également sur le continent. À l’affiche du drame nigérian La Convocation, il a en outre remporté le prix du meilleur acteur aux Africa Movie Academy Awards pour son rôle dans le thriller burkinabé Desrances.

AM : Qu’est-ce qui vous a intéressé dans Desrances, dont vous êtes aussi coproducteur ?

Jimmy Jean-Louis : J’aime défendre des histoires méconnues, qui méritent une visibilité internationale. C’est un rôle complexe. Dans un contexte de guerre civile en Côte d’Ivoire, mon personnage est pris dans différents engrenages, jusqu’à plonger dans une certaine folie. Il veut à tout prix avoir un fils pour perpétuer son nom. Interrogeons-nous : pourquoi la transmission du nom se fait-elle par le père, et non par la mère ? Pourquoi les femmes n’ont-elles pas la place à laquelle elles ont droit dans la société ? Et puis, ce héros, haïtien comme moi, est en quête de ses racines. J’ai aussi beaucoup de questions sans réponse à ce sujet. Savoir d’où l’on vient est très important pour mieux se comprendre. Surtout pour les peuples noirs qui ont été déracinés pendant une période. Donc recevoir l’Africa Movie Academy Award du meilleur acteur au sein d’un continent de 1,3 milliard d’habitants est d’une grande importance pour moi. J’appartiens à l’Afrique. Depuis quinze ans, je vais vers elle et collabore avec ses talents. Et si je peux établir un pont entre l’Afrique et les États-Unis, les Caraïbes, et l’Europe, alors… Vous trouvez votre équilibre entre ces trois continents ?

Dans un feuilleton, on connaît très vite son personnage, ça devient une routine. Le pouvoir est entre les mains des producteurs et des studios, un acteur ne peut pas changer un mot de son texte. Grâce au succès planétaire de Heroes, j’ai acquis une notoriété, je recevais des messages du monde entier. C’est touchant. Au cinéma, le travail artistique est beaucoup plus profond. On a le temps et la latitude pour composer son personnage. On échange avec la réalisatrice ou le réalisateur. Comment préparez-vous un nouveau projet ?

Et avez-vous une technique de jeu ?

La Convocation, de Kunle Afolayan, est disponible sur Netflix.

Oui, j’ai tracé ainsi mon chemin. Le septième art va se diriger vers l’Afrique, inéluctablement. C’est le continent le moins exploré, on a deux cents ans de cinéma devant nous ! On ne connaît pas ses pays, ses histoires, ses rois et reines, etc. J’essaie de faire un projet par continent par an. Recommencer une vie dans un pays inconnu est devenu normal pour moi. Découvrir des cultures, des gens, des langues est une expérience excitante. Je m’adapte aux règles du métier, différentes selon les contrées. J’oublie le fonctionnement d’un tournage hollywoodien quand je suis au Nigeria. Quelle est la différence entre un rôle dans un film et un dans une série ?

Je n’ai pas de méthode. J’ai été formé par mon expérience de vie très riche, qui m’a mené de Haïti à mes galères parisiennes, de l’Espagne à l’Italie, de l’Afrique du Sud à l’Angleterre… J’ai été danseur, je sais comment jouer avec le corps, la présence, le regard. Le travail de préparation diffère selon les rôles. Par exemple, pour incarner le personnage historique de Toussaint Louverture dans le téléfilm du même nom, il a fallu me documenter, lire, échanger avec des historiens, apprendre à me battre à l’épée, monter à cheval. Prêter mon visage à ce général et homme politique haïtien représentait un enjeu fort pour moi. Comment fait-on sa place dans l’univers impitoyable de Hollywood ?

Mon parcours a forgé ma force mentale. Je savais ce que je pouvais apporter de différent, ça aide à garder le cap. On commence alors à vous faire confiance, mais c’est un travail très long. Il faut croire en soi-même, persévérer. Et ma rencontre avec Nelson Mandela, à 24 ans, a été déterminante. Nous avons longuement échangé, notamment sur la révolution haïtienne et ses artisans, dont il s’est inspiré. Cela m’a donné la foi pour réaliser mes rêves. Ce n’était pas le refus d’un directeur de casting ou d’un agent qui allait m’intimider. Plus rien ne pouvait m’arrêter. ■ Propos recueillis par Astrid Krivian

DESIGN

Margaux Wong Des bijoux zéro

déchet

Transformer les MATIÈRES

PREMIÈRES disponibles en œuvres d’art à porter, c’est la devise de cette talentueuse designeuse guyanaise basée au Burundi.

L’AMOUR DE LA CRÉATRICE pour les bijoux remonte à la période où elle vivait en Guyane et composait ses créations avec tout ce que la forêt amazonienne avait à offrir. Après avoir suivi son mari au Burundi il y a onze ans, il lui a fallu trois années pour retrouver son inspiration : « Je suis partie voir ce que faisaient les artistes dans la région. C’était intéressant, mais il y avait énormément de plastique et de produits chinois. Je voulais absolument utiliser des matériaux sourcés localement, durables. » Quand elle découvre des objets en corne de vache, elle a un déclic. Aujourd’hui, avec l’aide d’une quarantaine d’artisans dans tout le pays, elle en fait des œuvres d’art à porter, sous la forme de bijoux, masques, ceintures ou pochettes. Sa dernière collection, « Glorious », comprend des créations qui rappellent des armures ou des boucliers et représentent la capacité des humains à surmonter les obstacles. Les bagues et les colliers en forme de feuilles ou racines, en laiton sculpté à la main, rendent hommage à la nature luxuriante du Burundi et à ses paysages. Si la crise sanitaire l’a poussée à repenser son modèle économique, Margaux Wong bénéficie néanmoins du support de l’Ethical Fashion Initiative, un programme qui soutient les designers africains. La marque devrait bientôt débarquer en Europe et développer de nouveaux bijoux en or, argent et pierres précieuses (rigoureusement locales). margauxwong.com ■ Luisa Nannipieri

RIRE

AVEC SANKARA

Le CHE GUEVARA

AFRICAIN est au cœur d’un film burkinabé, qui réussit à jouer avec la mauvaise conscience politique du pays.

APRÈS LE FILM D’ARCHIVES (Capitaine Thomas Sankara, du Suisse Christophe Cupelin, 2014), après l’évocation poétique (Sankara n’est pas mort, de la Française Lucie Viver, 2019), voici une fiction 100 % burkinabée, autour de la célèbre figure africaine de l’anti-impérialisme ! Une comédie qui recourt à quelques archives, mais aussi à des effets spéciaux drolatiques. C’est l’histoire d’un cadre supérieur d’une multinationale qui pille l’or d’un pays imaginaire (la République d’Afrique de l’Ouest, comme dans Un président au maquis, précédente production d’Afrique Films, 2016). Dans sa jeunesse, c’était pourtant un sankariste convaincu, mais alors qu’il négocie une promotion, le voilà confronté au fantôme de l’ancien président burkinabé, qui vient titiller sa mauvaise conscience sur le thème de « l’Afrique aux Africains ». Le rythme n’est pas toujours au rendez-vous, mais l’interprétation et la qualité de la réalisation assurent le spectacle et le rire sur un sujet politique toujours sensible. ■ Jean-Marie Chazeau SANKARA ET MOI (Burkina Faso), de Laurent Goussou-Deboise et Hilaire Thiombiano. Avec Désiré Yaméogo, Claire Tipy.

BANDE DESSINÉE

GUERRIER DE LÉGENDE

INSPIRÉ D’UNE HISTOIRE VRAIE, ce récit raconte la vie de Yussuf, un jeune homme originaire de la tribu des Makua, au Mozambique. Enlevé à la fin du XVIe siècle par des trafiquants portugais et réduit en esclavage, il est racheté par Alessandro Valignano, un jésuite italien, dont il devient le valet et le garde du corps. Après un périple qui le conduit dans l’Empire du soleil levant, il voit sa vie basculer lorsqu’un seigneur de guerre des plus puissants, Oda Nobunaga, fasciné par sa stature, sa puissance et sa clairvoyance, exige son rachat. Rebaptisé Kurusan, littéralement « monsieur noir », il gagne rapidement l’amitié et l’estime de son nouveau maître, qui en fait son homme de confiance et l’élève au rang prestigieux de samouraï. Le scénario de ce premier tome est efficace, le dessin précis et convaincant. Très documenté, il nous plonge dans le Japon de la fin de l’époque Sengoku. ■ Catherine Faye

THIERRY GLORIS ET EMILIANO ZARCONE, Kurusan, le samouraï noir : tome 1, Yasuke, Delcourt, 56 pages, 14,95 €.

ROMAN

EN EAUX TROUBLES

ON POURRAIT PRESQUE entendre sa voix. Posée. Comme si elle prenait le temps de dire. Mot à mot. De choisir soigneusement la parole exacte.

D’en mesurer toute la portée. Son écriture suit la pensée. Elle inspire. Elle expire. Dès les premières lignes de cette nouvelle intrigue sombre et inquiétante, Marie Ndiaye nous aspire, nous prend dans sa toile et nous englue dans les méandres de relations complexes et furieuses. Entre thriller et roman social, son douzième récit explore les angles obscurs d’un triangle infernal : une avocate de seconde classe, une mère qui a tué ses trois enfants pour se venger de son mari, et ce même mari que la femme de loi croit avoir rencontré lorsqu’elle avait 10 ans. Les images troubles de l’enfance télescopent l’horreur de l’infanticide. La confusion des passions et la puissance de la solitude s’interpénètrent. De l’autre côté des frontières morales, nous voilà confrontés aux fragilités, parfois insurmontables, à l’indicible et aux actes ultimes comme seule délivrance. Une plongée brûlante dans l’âme humaine. ■ C.F.

MARIE NDIAYE, La Vengeance m’appartient, Gallimard, 240 pages, 19,50 €.

L’ORDRE DE TUER ?

Le film démontre également comment le régime a usé de toute son influence pour lutter contre les Printemps arabes, et comment il contrôle les opinions de sa population via Twitter, réseau social auquel huit Saoudiens sur dix sont abonnés ! Il a même été jusqu’à hacker le téléphone de Jeff Bezos, le propriétaire du Washington Post et patron d’Amazon, qui diffuse le film… Contrairement à Netflix qui n’a pas voulu prendre le risque. ■ J.-M.C. THE DISSIDENT (États-Unis), de Bryan Fogel. Disponible sur la plupart des plates-formes de VOD. DOCU

Un film édifiant sur les coulisses de la mort du journaliste JAMAL KHASHOGGI, démembré dans l’enceinte du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.

LE 2 OCTOBRE 2018, le journaliste saoudien Jamal Khashoggi entrait dans le consulat de son pays à Istanbul pour ne plus en ressortir. Dix-huit jours plus tard, Riyad finissait par reconnaître qu’il avait été tué dans ses locaux diplomatiques, où il était simplement venu récupérer des papiers pour son remariage. Détail sordide : son corps avait été démembré pour le faire disparaître. Une affaire au retentissement mondial, cachant de lourds secrets : de quoi passionner le réalisateur américain Bryan Fogel. Son précédent documentaire, Icare (2017), sur le dopage de sportifs russes, lui avait valu un Oscar et empêche aujourd’hui Moscou d’envoyer des athlètes aux prochains Jeux olympiques de Tokyo et de Pékin… Dans sa nouvelle enquête, il reprend la même forme, celle du thriller, et les mêmes ingrédients : un lanceur d’alerte (ici, un jeune opposant saoudien réfugié au Québec), des documents inédits (fournis par les services secrets turcs, jusqu’à la bande-son du bruit de la scie à os…) et des témoignages de première main (dont celui de la fiancée du journaliste, Hatice Cengiz, venue l’accompagner à la porte du consulat). Mais

c’est aussi une analyse claire et percutante de la mainmise du prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) sur la pétromonarchie des Saoud, avec des moyens modernes. Jamal Khashoggi n’avait pourtant rien d’un opposant radical : avant d’écrire pour le Washington Post et d’être forcé de quitter son pays et sa famille, il avait cru en la capacité d’ouverture du régime, créant même une chaîne d’information publique… fermée au bout de 24 heures pour avoir donné la parole à des opposants à l’intervention au Yémen.

ADRIAN YOUNGE BLACK LIVES MATTER

JOHNY PITTS, Afropéens : Carnets de voyages au cœur de l’Europe noire, Massot Éditions, 560 pages, 24,90 €

PARCOURS ITINÉRAIRE

D’UN AFROPÉEN

Un OPUS AMBITIEUX, engagé et nécessaire, comme tout ce qu’entreprend le compositeur américain depuis quelques années.

EN 1982, UN JEUNE HOMME NOIR, nommé James Mincey Jr., est tué par des policiers blancs à Los Angeles. Il fait partie des disparus auxquels Adrian Younge rend hommage aujourd’hui, mais pas que… À l’occasion du mois de l’histoire des Noirs aux États-Unis, le compositeur, producteur et directeur du label Jazz Is Dead – dont nous suivons de près les parutions, lesquelles convoquent des figures cultes comme Doug Carn ou Roy Ayers – propose un album solo et pluridisciplinaire : The American Negro. « Ce nouveau projet dissèque les mécanismes cachés d’une forme de racisme aveugle, utilisant la musique comme un médium capable de restaurer la dignité et l’estime de soi des Afro-Américains comme moi », déclare-t-il. L’album, un spoken word raffiné où se croisent jazz et soul, est accompagné de la sortie d’un court-métrage qui revient sur l’assassinat de James Mincey Jr. ainsi que d’une série de podcasts. ■ S.R. ADRIAN YOUNGE, The American Negro, Jazz Is Dead.

EN QUÊTE de son « afropéanisme », l’auteur recueille dans son nouvel ouvrage les témoignages d’Européens issus des diasporas africaines. Et tente de comprendre comment elles composent avec leur identité hybride, leurs influences plurielles, leur expérience sociale sur un continent où subsistent racisme, inégalités, injustices. D’activistes afro-surinamais à Amsterdam à des étudiants de l’Université russe de l’amitié des peuples en banlieue de Moscou, en passant par un ancien militant anti-apartheid près de Stockholm ou un restaurateur soudanais exilé à Berlin, l’auteur établit un lien entre le présent et l’histoire. Sur les pas de l’écrivain jamaïcain Claude McKay à Marseille, il voit en celle-ci la « Mecque afropéenne », lui donnant un profond sentiment d’appartenance. Sa démarche empirique, de connaissance « par la plante des pieds » pour citer le Suisse Nicolas Bouvier, s’étoffe d’éléments historiques et convoque des figures emblématiques (James Baldwin, Frantz Fanon…). Un ouvrage foisonnant, esquisse d’une vaste mosaïque multiculturelle, qui témoigne, en dépit des difficultés, de la créativité et de la résistance de ces Afropéens qui font bouger les lignes du Vieux continent. ■ A.K.

JAZZ

Défilé de mode prêt-à-porter printemps-été 2021 à Paris, le 1er octobre 2020.

HAUTE COUTURE BAYADÈRE

À 30 ans, le Nigérian KENNETH IZE puise dans le patrimoine textile de son pays d’origine pour des coupes contemporaines de luxe.

IL TRAVAILLE avec de l’aso oke du Nigeria, une étoffe à larges rayures multicolores tissée à la main par le peuple yoruba pour confectionner les vêtements traditionnels des grandes occasions, et de la crêpe de soie brodée d’Autriche. Jugeant que l’Afrique a « mieux à montrer » que le wax, le jeune créateur se refuse à travailler ce tissu inspiré du batik indonésien, industrialisé en Europe, puis adopté par le continent, auquel il est aujourd’hui associé. Pour Kenneth Ize, le luxe signifie « quelque chose qui est fait avec soin ». Tout commence par la fabrication : « Quand je fabrique mon propre tissu, c’est là que la magie opère. » En se concentrant sur la réinterprétation de l’artisanat nigérian, il a su créer un univers original dans le monde de la haute couture. Ses coupes audacieuses ont déjà conquis Beyoncé, Naomi Campbell, Donald Glover, Adwoa Aboah ou encore Imaan Hammam, la première à s’élancer, il y a un an, avec une minijupe matelassée à rayures et une veste à fermeture éclair au col en entonnoir, lors de son très remarqué défilé parisien, durant la Fashion Week. Né à Lagos et diplômé de l’université des arts appliqués de Vienne, Kenneth Ize sait ce qu’il veut. Finaliste en 2019 du prestigieux prix LVMH pour les jeunes créateurs de mode, il est désormais basé dans sa ville natale, où il choisit ses couleurs et ses fils sur les marchés. Une palette foisonnante et joyeuse. Mais l’homme partage aussi son temps entre Vienne, Paris et l’Italie. Là où il peut enfin faire connaître au monde entier ses collections bigarrées. Zébrées d’une infinité de lignes. kennethize.net ■ C.F.

AFROBEAT

JOEBOY Une légende en marche

Plus de 500 millions de streams à ce jour, et ce n’est pas fini… Ce NIGÉRIAN DE 23 ANS débarque en force sur la scène pop internationale avec son premier album, Somewhere

Between Beauty & Magic.

AM : Pour commencer, comment allez-vous ?

Joeboy : À merveille. Mon album vient de sortir, la réception correspond à tout ce que je pouvais rêver… J’habite entre Londres et Lagos, mais en ce moment même, je me trouve au Nigeria où, heureusement, nous sommes moins touchés par le coronavirus qu’en Europe. Nous prenons beaucoup de précautions afin de ne pas nous retrouver confinés…

Et c’est ici que vous avez plongé, très tôt, dans le bain de la musique ?

Oui, mon père était claviériste à l’église, ma sœur chantait dans une chorale, et mon grand frère jouait de la guitare, notamment avec I.D. Cabasa. Parfois, après l’école, je les rejoignais en studio. J’ai commencé à écrire et à chanter vers l’âge de 15 ans, et c’est en étant repéré par Mr Eazi, en 2017, que tout a changé. Il m’a introduit et protégé dans cette jungle qu’est l’industrie de la musique.

Somewhere Between Beauty & Magic fait le grand écart entre l’électro-pop européenne et l’afrobeat. En quoi est-ce important de cultiver ce mélange des genres ?

La beauté de la musique, c’est de brasser large, de proposer

les alliances les plus improbables, et néanmoins efficaces, autour de sujets fédérateurs comme l’amour, de proposer des sentiments, une performance, un état d’esprit. J’écoute énormément d’artistes de pays différents, du Portugal à la France, en passant par l’Amérique latine et le Royaume-Uni… Cependant, Lagos reste ma source. C’est là où j’ai grandi, découvert le pouvoir de la musique, où l’on me manifeste beaucoup de soutien et d’amour depuis le début de ma carrière. Grâce à Internet et aux réseaux sociaux, le monde a compris à quel point notre scène est riche, vibrante, accueillante, que des Fireboy et des Omah Lay comptent. C’est à Lagos que se trouvent toutes les racines de mon album.

d’autant que je suis le seul chanteur de l’album, il n’y a pas de featurings… Il y a déjà assez à faire avec toutes les émotions qui me traversent. C’est votre côté Gémeaux, vous qui êtes né un 21 mai ?

JOEBOY, Somewhere Between Beauty & Magic, emPawa Africa/Because Music.

Est-ce pour cette raison que vous avez choisi de faire appel à un producteur différent pour chaque chanson, dont des pointures de l’afrobeat comme E Kelly, Killertunes ou Dëra ? Oui, car j’aime travailler avec des personnes diverses pour conférer un maximum de texture à mes textes,

Oui, je suis une personne ambivalente, qui peut connaître des très hauts et des très bas, être euphorique et surexcitée, puis très calme quelques heures plus tard… Mais sans perdre de vue mon objectif : compter dans le paysage de la pop culture internationale. Que le nom de Joeboy efface la négativité et l’anxiété du monde. Surtout en ce moment, il faut se réapproprier le bonheur que peut apporter la musique. Quel est l’artiste actuel avec qui vous aimeriez faire un duo ?

Aya Nakamura. Je suis son plus grand fan ! Je veux qu’elle sache que j’adore sa voix, son univers, et que l’on pourrait partager un grand moment ensemble… ■ Propos recueillis par Sophie Rosemont

HORS CADRE

Une exposition où les silhouettes monumentales de MAHI BINEBINE se débattent pour exister. Comme u n appel d’air.

L’HUMAIN EST AU CENTRE DE SON ŒUVRE. Qu’il peigne, sculpte, écrive ou s’implique dans des actions sociales, cet artiste total fragmente, dilue et libère l’individu. Le désir, les tourments, les énigmes l’inspirent. La vie l’aspire. Ses personnages s’entremêlent, s’interrogent. Parfois fusionnent. Le monde devenant un prolongement organique, un être à part entière. Au cœur de cette quête d’identités multiples, de délivrance aussi, il explore la condition humaine, dénonce, cherche à comprendre, à réparer. La beauté émotionnelle de ses productions est immédiate. Pour ce plasticien à la joie de vivre communicative, l’art et la mémoire sont indissociables. La création atemporelle. Ses œuvres ont rejoint la collection permanente du musée Guggenheim de New York, de l’Institut du monde arabe, et de nombreuses galeries et collections privées. Quatre-vingt d’entre elles sont exposées dans le nouveau centre d’art contemporain marrakchi. Une ode à la liberté. ■ C.F.

« HORIZON OBLIQUE », Comptoir des Mines Galerie, Marrakech (Maroc), jusqu’au 30 mars 2021 (les dates peuvent évoluer avec l’actualité). comptoirdesminesgalerie.com

ART

LITTÉRATURE

BEYROUK LE FIL DE L’HORIZON

Un drame intime qui est aussi le DRAME DE TOUT UN PAYS. La confrontation entre deux civilisations. Entre deux mondes.

« JE VEUX effacer de ma mémoire le reste, annihiler ce qui fait souffrir, ne retenir que ces images édéniques où tu t’accrochais à moi, ivre sur les plages du bonheur. »

Le dernier livre de Beyrouk est un récit à deux voix, qui va et qui vient, entre l’amour contrarié d’un père et l’égarement de son jeune fils. Deux monologues qui se répondent sans le savoir. Et au cœur desquels se joue une tragédie humaine et sociale, que le désir fou du premier pour la mère du second n’a pu absoudre. Car la femme qui relie ces deux êtres incarne ce que l’un et l’autre ne seront jamais : des citadins nantis, issus d’une lignée privilégiée.

Le père demeure le descendant d’une tribu bédouine, un homme du désert. Le fils, hybride, est un errant à l’identité fluctuante, enfant des faubourgs misérables de Nouakchott. Aimer l’impossible est-il un crime ? Que reste-t-il lorsque l’évidence, les injustices, le mensonge détruisent les passions et l’espoir ? Et que s’est-il passé pour que ce père ait été jeté en prison ? L’auteur du Tambour des larmes (prix Ahmadou Kourouma 2016) et du troublant Je suis seul explore une nouvelle fois les contradictions d’une Mauritanie complexe, où l’hérédité et le poids du passé imprègnent invariablement les rapports sociaux. Où la tradition et la modernité se télescopent dans un pays de sable, fleuri ici et là de concentrations urbaines grouillantes. De cette confusion émergent l’exclusion, l’enfermement, la solitude. Des thèmes chers à Beyrouk. Car c’est peut-être là, au plus profond de la claustration, que naît la pensée. Les deux personnages de son roman sont des parias.

BEYROUK, Parias, Sabine Wespieser éditeur, 184 pages, 18 €.

Leur introspection révèle une société en pleine mutation. Chante un amour familial, même désespéré. Conseiller culturel à la présidence de son pays et défenseur acharné de la liberté de la presse et d’opinion, Beyrouk est né dans une tribu dont l’espace de nomadisme et de commerce allait du sud du Maroc à Tombouctou, au Mali. Il n’a de cesse d’interroger les habitudes ancestrales bédouines, le déterminisme, le rapport entre les hommes et les femmes, le silence des dunes, l’envie d’un ailleurs. Un adage nomade dit : « L’horizon est ma demeure. » Il préfigure la parution concomitante d’un autre récit poignant de l’auteur, aux éditions Elyzad, en Tunisie : Le Silence des horizons. ■ C.F.

MODE

LE PAGNE GUINÉEN DE SITA INDIGO

Cette jeune marque de prêt-à-porter propose des pièces basiques et essentielles qui mettent en valeur ce TISSU TRADITIONNEL.

RIEN DANS LA VIE ne prédestinait Nasita Fofana à évoluer professionnellement dans la mode, sauf un rêve d’enfant. Née en France de parents guinéens, elle passe par Sciences Po, puis suit un master en droit des affaires, et devient consultante en stratégie pour un cabinet parisien. C’est dans le cadre de cette activité qu’elle remet les pieds en Guinée, où elle s’est déjà rendue quelques fois pour tourisme. Elle commence alors à s’impliquer dans la vie locale, et son travail auprès du gouvernement la sensibilise à la nécessité de créer de nouvelles occasions d’emploi dans le pays. Alors qu’elle tombe sur un artisan qui vend du pagne indigo sur le marché, elle est frappée par le potentiel de ce tissu ancestral et authentique et, en quelques mois, décide de lancer son entreprise.

La marque Sita Indigo voit ainsi le jour en mars 2019 et compte déjà deux collections de pièces basiques et modernes qui revisitent ce pagne, tissé et teint dans des coopératives artisanales guinéennes. Chaque région, chaque artisan, a sa spécialité : que ce soit tisser, dessiner et attacher

les motifs au tissu, ou bien le teindre avec une formule secrète, transmise de génération en génération. Obtenue grâce à la fermentation des feuilles d’indigotier, cette teinture bleu violacé ne pollue pas les sols, préserve la santé des teinturiers et ne consomme que très peu d’eau et d’énergie.

En plus de veiller attentivement au processus de production, fondamental pour revaloriser un tissu souvent décrié et sous-estimé, la designeuse cherche constamment à améliorer la qualité de fabrication de ses tops, robes ou pantalons. Elle envisage pour cela de délocaliser dans des usines modernes du Maghreb ses ateliers de confection de Dakar. L’objectif est de pouvoir produire en série des pièces qui se portent au quotidien. Des modèles dernière tendance où le vrai protagoniste, ce qui en fait l’originalité, est toujours le pagne tissé. Même dans sa version lépi blanc (non teint), où l’indigo foncé est utilisé pour les motifs ou les rayures. sitaindigo.com ■ L.N.

Ci-contre, la créatrice Nasita Fofana.

LÉGENDES Un hommage poignant aux DIVAS DE L’ÂGE

ASTRES DIVINS

D’OR

de la chanson et du cinéma arabes.

ELLES ONT VENDU des centaines de millions de disques, réuni des millions de spectateurs, tourné pour les plus grands. D’Oum Kalthoum à Warda al-Jazairia, d’Asmahan à Fayrouz, de Leila Mourad à Samia Gamal, en passant par Souad Hosni ou Sabah, sans oublier la toute jeune Dalida, ces chanteuses et actrices de légende symbolisent une véritable révolution artistique. Et plus encore un basculement sociétal en incarnant une nouvelle image des femmes. L’exposition met ainsi en lumière, à travers ces divas intemporelles, puissantes et adulées, l’histoire sociale des femmes arabes, la naissance du féminisme au sein de sociétés patriarcales, et leur participation au panarabisme et aux luttes d’indépendance. Le voyage que propose l’Institut du monde arabe est un concentré de trésors visuels et sonores : extraits de films ou de concerts mythiques, photographies et enregistrements inédits, affiches, robes de scène somptueuses, objets personnels ou encore interviews rares. L’exposition, qui rend hommage à ces divas à la voix d’or, aux productions cinématographiques de Nilwood (l’âge d’or égyptien), sans oublier les artistes d’aujourd’hui, est éblouissante. ■ C.F. « DIVAS : D’OUM KALTHOUM À DALIDA », Institut du monde arabe, Paris (France), jusqu’au 25 juillet (les dates peuvent évoluer avec l’actualité). imarabe.org

Affiche du film libanais La Fille de Gardien (Bint al-harass), réalisé par Henry Barakat, avec Fayrouz, en 1968.
Oum Kalthoum à Rabat, en 1968, photographié par Farouk Ibrahim.

À LILLE ET LYON, LA CUISINE AFRO EST MÉTISSÉE

Avec la crise sanitaire, les restaurants se RÉINVENTENT, misant sur des menus gastronomiques qui mélangent saveurs du continent et d’ailleurs.

LES

DEUX FRÈRES d’origine camerounaise Tonton Freddy et Tonton Gaudrey ont récemment ouvert un nouveau restaurant à Lille : Les Tontons Afro. Si leur premier coup d’essai, l’éphémère Burger Afro, avait eu un franc succès, cette table pousse plus loin le concept de cuisine afro métissée. Crise sanitaire oblige, l’incontournable Mafé burger et les Jerk Chicken Wings, des ailes de poulet marinées dans un mélange d’épices jamaïcaines, ont laissé la place à des menus thématiques à retrouver tous les week-ends en click and collect. Après la Saint-Valentin et l’afro-brunch, les deux frérots concoctent d’autres surprises, à découvrir sur leurs réseaux sociaux !

et ci-contre,

Plus au sud, à Lyon, c’est le chef Mathieu Filidori qui pousse le renouveau afro-culinaire avec son Cocody FoodSide. Un concept innovant, développé par ce jeune cuisinier d’origines ivoirienne, bretonne, corse et sarde, adepte de la cuisine de feeling : il prépare ses menus

découverte (un différent chaque semaine) dans son labo à domicile, avant de les livrer tous chauds avec son side-car. Tout, du suprême de volaille fumée au Konro, accompagné d’une purée de patates douces à la vanille de Madagascar, au carpaccio d’ananas à la passion épicée, est cuisiné avec des ingrédients de qualité et dressé pour étonner les clients. Étant donné le soin qu’il met à préparer chaque plat, le service se réserve la veille pour le lendemain. ■ L.N. lestontonsafro.fr / cocody-foodside.fr

CROWDFUNDING

Ensemble pour le cinéma africain

AU PAYS DE DJIBRIL DIOP MAMBÉTY, un collectif mené par le cinéaste franco-sénégalais Alain Gomis donne un nouvel élan à l’industrie et à la création audiovisuelle du continent. Le Centre Yennenga propose ainsi des formations en postproduction, soit tout ce qui se fait après le tournage (montage, étalonnage – le travail sur la couleur –, mixage audio…), encore très coûteuse car souvent réalisée en Europe. C’est aussi un lieu de rencontres et de diffusion. Déjà financé à 90 % (Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle, ville de Dakar, Agence française du développement…), il a néanmoins besoin de dons et a donc lancé en ligne une campagne de crowdfunding jusqu’au 31 mars. À noter qu’une première promotion est attendue dès cette année. ■ J.-M.C. LE CENTRE YENNENGA, Dakar (Sénégal). Financement participatif sur fiatope.com

Ci-dessus, le chef Mathieu Filidori livre les repas de son établissement lyonnais, Cocody FoodSide, avec son side-car.
Ci-dessus
Les Tontons Afro proposent du click and collect à Lille.

La structure est enveloppée pa r  un e  maille continue blanche, inspirée par les moucharabiehs.

KÉNITRA ACCUEILLE l’une des cinq nouvelles gares TGV de la première ligne à grande vitesse du Maroc (et d’Afrique). Sa réalisation a été confiée à l’architecte originaire de Fès, Omar Kobbité, qui, avec Silvio d’Ascia, a voulu en faire un bâtiment remarquable, redessinant la ville. Véritable « pont habité », la gare chamboule les conventions qui veulent que le chemin de fer soit une ligne de démarcation du tissu urbain. La structure, en forme de L, comprend une passerelle aérienne chevauchant les voies ferrées et devient une artère passante bordée de boutiques. Dotés d’un double accès, les commerces séparent les espaces publics de ceux dédiés aux voyageurs.

KÉNITRA

Le Marocain a livré un bâtiment qui fait office de nouveau POINT DE REPÈRE dans la ville.

La gare est enveloppée par une maille continue blanche, inspirée par les moucharabiehs, qui est à la fois structure, couverture, filtre solaire et élément emblématique du bâtiment. Parfois pleines, parfois habillées de cellules photovoltaïques, parfois évidées, les ouvertures triangulaires éclairent l’intérieur et projettent leur ombre à l’extérieur, en laissant entrer dans le grand hall et ses patios une brise rafraîchissante. La façade est aussi animée par de grandes arches à géométrie variable, lesquelles sont comme des portes ouvertes sur la ville historique, au nord, et invitent à rejoindre le nouveau campus universitaire et la forêt, au sud. ■ L.N.

ON EN PARLE

LES VÉRITABLESEYCHELLES,PARADIS ACCESSIBLE

Alors qu’il est le premier pays à accueillir les VOYAGEURS VACCINÉS contre le Covid-19, l’archipel s’apprête à enlever toutes les restrictions aux frontières.

RELANCER LE TOURISME est un défi majeur pour nombre de pays, comme les Seychelles, où le secteur est prépondérant dans l’économie locale. C’est pourquoi l’archipel a été le premier pays à ouvrir ses frontières à toute personne ayant été vaccinée contre le Covid-19, peu importe sa provenance, dès fin janvier. Entre-temps, le gouvernement a lancé une campagne de vaccination, qui devrait permettre d’immuniser la majorité de la population adulte avant la mi-mars. À partir de cette date, les Seychelles entameront alors la deuxième phase de leur plan de relance. Fini les restrictions à l’arrivée, il suffira de présenter un test PCR de moins de 72 heures pour pouvoir mettre les pieds sur le sable fin des 115 îles de ce coin paradisiaque de l’océan Indien.

Véritables joyaux, les Seychelles sont une destination magique, capable de charmer tous les touristes, même les plus exigeants : resorts de luxe sur des îles privées ou guests house pour voyager autrement, plages blanches à perte de vue et atolls où se prélasser pour se détendre, ou encore parcs naturels marins et forêts quasiment intactes, pour y croiser

des poissons tropicaux et autres animaux dans leur habitat naturel. Comme sur la petite île Curieuse, où des centaines de tortues géantes se déplacent librement. Mais on peut aussi choisir d’arpenter les sentiers de randonnée ou de tester, en solo ou en compagnie, un large éventail de sports nautiques. Parmi les endroits les plus célèbres du pays, on peut citer la plage Anse Source d’Argent, sur l’île de La Digue : parsemée d’impressionnantes roches granitiques, elle baigne dans des eaux limpides et peu profondes qui invitent à la détente. Autre étape incontournable, l’île de Praslin, où l’on peut admirer le coucher du soleil sur la mer et découvrir la Vallée de Mai, une réserve naturelle inscrite au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. Enfin, pour une approche insolite et découvrir les criques secrètes de l’archipel, l’idéal est de réserver une excursion en bateau. C’est l’occasion, à ne pas rater, de se laisser bercer par les courants dans une intimité totale, avant de revenir sur terre pour déguster les savoureuses spécialités créoles locales. ■ L.N.

La plage de Grand Anse, au sud de l’île de La Digue.

LES BONNES ADRESSES

L’Escale Resort Marina & Spa, à Victoria, sur l’île de Mahé : l’une des nouvelles adresses luxueuses de l’île, entre mer et montagne.

Le marché Sir Selwyn Selwyn Clarke, à Victoria : un vrai bazar joyeux et bruyant, où se côtoient locaux et touristes.

Les Lauriers, sur l’île de Praslin : une guest house familiale composée de petits bungalows, tout près de la très belle plage Côte d’Or. À tester, la cuisine créole du restaurant, parmi les meilleures tables de l’archipel.

Café des arts, à Baie Sainte-Anne, sur l’île de Praslin : un restaurant de fruits de mer dans un cadre sophistiqué et romantique.

Coco Rouge, à Baie Sainte-Anne : un restaurant qui propose de la cuisine créole sur le pouce à des prix gourmands.

Le spa du Hilton Seychelles Labriz Resort & Spa, sur l’île de Silhouette : un lieu pour un moment de pure détente, entouré par une végétation luxuriante.

Ci-dessus, l’Escale Resort Marina & Spa.

Ci-dessous, le Hilton Seychelles Labriz Resort & Spa.

Nyaba Leon Ouedraogo

LES PHOTOS DE CE PORTRAITISTE BURKINABÉ

montrent une esthétique contemporaine de l’Afrique.

Son œuvre L’Homme et la Matière a été sélectionnée pour illustrer l’affiche du prix Pictet en 2021. par Fouzia Marouf

Affable, l’œil vif, Nyaba Leon Ouedraogo se confie sur les portraits de sa série colorée Le Visible et l’Invisible, offrant un spectacle intrigant dans l’antre de la 193 Gallery, à Paris, lors de l’exposition « Colors of Africa », en octobre dernier. Les tonalités pop sont autant de stigmates qui étayent la réflexion de l’interprétation du masque en Afrique : « J’ai réalisé ces photographies à Ouagadougou durant le confinement, j’avais une forte envie de couleur, c’était une période insaisissable. Le masque est un ultime signe de dialogue et de transformation, qui convoque le passé et le présent. Il unit l’identité africaine et des forces en perpétuel mouvement », précise-t-il.

Réalisés en studio, à la façon des précurseurs comme Seydoux Keïta ou Malick

Sidibé, ses travaux marquent une rupture nette avec l’art du portrait des anciens. Né au Burkina Faso en 1978, mais imprégné d’une double culture, il vit et travaille entre Ouagadougou et Paris. En 2008, cet autodidacte sillonne le Ghana, à l’affût de collecteurs de cuivre. Sa série L’Enfer du cuivre – présentée à la Biennale de Bamako en 2011 – retrace l’exploitation d’une jeunesse en quête de travail mais exposée à des intoxications chimiques.

En 2010, il met le cap sur le Burkina pour y photographier des casseurs de pierre, car sa « matière première reste l’humain, [s]a source d’inspiration incessante » : « Je suis en questionnement constant, mon regard interroge les problématiques et les enjeux contemporains du continent », assène-t-il. Poussant plus loin les limites de son art, il signe The Phantoms of Congo River, entre 2011 et 2013 : il s’inspire du roman culte de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, pour raviver les esprits du fleuve propice aux croyances et partage le quotidien des riverains durant plusieurs mois au bord du Congo. « En photographiant ces corps dénudés, je voulais aborder la représentation du corps noir, car on le regarde sous le prisme du fantasme. J’essaie de le traiter avec pudeur, en racontant la vie de cette jeune génération qui s’est réapproprié les rives. C’est un véritable espace social où l’on fait de nouvelles rencontres, la jeunesse y exprime sa sexualité », avance-t-il. Nyaba Leon Ouedraogo continue de naviguer dans les interstices mystiques de l’Afrique et signe, en 2015, Les Dévoreuses d’âmes, série de diptyques à la veine documentaire présentée au Musée du quai Branly : une œuvre énigmatique, ouverte aux croyances mystiques. En 2019, son inclination pour l’humain l’amène à un retour aux sources : avec sa série Théâtre populaire, il rend hommage au lieu du même nom créé à Ouagadougou par Thomas Sankara. « Saisir ce lieu mythique est un acte poétique et politique. Il n’y a pas de société sans culture », déclare-t-il. Celle-ci a été exposée lors de la foire en ligne 1-54 New York en 2020, avec la galerie Afikaris. Cette année, sa photo L’Homme et la Matière illustrera l’affiche du prestigieux prix Pictet pour un autre regard sur la condition humaine. ■

L’Homme et  la Matière, 2020.
«Il n’y a pas de société sans culture.»

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TEST OR NOT TEST ?

Voyage en Afrique, depuis Paris, au moment où les restrictions de déplacement font rage. Avec un vrai motif, dûment attesté par trois ou quatre documents. Et le fameux test PCR négatif, exigé par tous les pays. Normal, avec cette épidémie de Covid-19 qui ne faiblit pas, c’est évidemment le plus important.

Pourtant, ce Graal perd sacrément de sa valeur au retour. Car certains infirmiers et toubibs africains ont trouvé là un joyeux motif de s’enrichir. Une fois que vous êtes sur le continent, on vous informe tout de suite qu’obtenir le résultat d’un test dans les 72 heures –  le délai maximum exigé par la France pour entrer sur son territoire – est presque impossible. Ce qui est évidemment faux. Mais ainsi, afin de verrouiller votre retour, vous êtes pratiquement obligé de vous mettre en cheville avec un personnel de santé qui, moyennant quelque 20 000 ou 30 000 francs  CFA d’encouragement, vous garantit la sortie du résultat dans les temps. En général, ça marche. Surtout si vous lui promettez de lui envoyer des clients supplémentaires s’il est « réglo ». À la limite, on peut se dire que le graissage de patoune, c’est de bonne guerre, vu les salaires minables du monde médical local.

Ce qui est plus inquiétant, c’est la grosse dérive du système. L’infirmier vous demandera si vous voulez vraiment faire le test. Sousentendu, il peut vous sortir un négatif sans l’épreuve du coton-tige dans le nez. Mieux, il vous demande ce qu’il doit faire si, par hasard, votre test est positif. « Je vous sors un négatif, si vous voulez voyager ?» Et là, on se dit que l’on n’est pas sorti de l’auberge ! Il y a donc des vrais positifs qui voyagent et propagent le virus à qui mieux mieux. Les États ont beau installer les systèmes les plus verrouillés, à grand renfort de nouvelles technologies, y a rien à faire, l’ingéniosité et l’inconscience de l’être humain sont sans limites… Et je précise qu’il ne serait pas juste de ne brocarder que l’Afrique, bien sûr. Tous les pays « pauvres » ont mis en place les mêmes détournements du processus. On me dit aussi que les tests s’achètent sur Internet, donc dans le monde entier. Y compris des faux positifs, pour ceux qui veulent rester en vacances au soleil deux semaines de plus, en famille ou dans le bel hôtel payé par sa boîte. Bref, espérons que l’on trouve vite des martingales pour lutter contre ces trafics. Dans l’attente que le monde entier soit vacciné… C’est-à-dire, sans être trop pessimiste, à la saint-glinglin ! D’ici là, essayons de s’imposer de vrais tests. Je vous assure que ce sera mieux pour tous. ■

AM vous a offert les premières pages de notre parution de Mars.
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