AM 404 FREE

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COVID-19

L’AFRIQUE AU FRONT

AVEC : Tidjane Thiam

, Ngozi Okonjo-Iweala , Trevor Manuel, Donald Kaberuka, Vera Songwe , Kako Nubukpo, Radhi Meddeb , Jack Ma ,

Clyde Fakhoury , Nabil Karoui , Rony Brauman, Gaël Darren Maganga, Moussa Seydi , John Nkengasong, Serge Paul Eholié, Francis Akindès, Jean-Jacques Muyembe Tamfum, Hechmi Louzir, Samy Allagui, Nissaf Ben Alaya ,

Ilhem Boutiba Ben Boubaker, les entreprises marocaines et les ouvriers et les ouvrières qui fabriquent des masques , les praticiens de terrain, Maud-Salomé Ekila , Freddy Tsimba , Yassin Adnan

LA FIN D’UNE ILLUSION édito

Début mai.

Nous pensions être invincibles et notre monde, pourtant, est sens dessus dessous.

Un virus parti d’une grande ville industrielle de Chine s’est lancé sur les routes de la globalisation. À cette date, au moment où ces lignes sont écrites, près de 4 millions de personnes ont officiellement été touchées par ce nouveau coronavirus, au nom sèchement scientifique de Sars-CoV-2.

Avec près de 300 000 décès. Surtout, mais pas toujours, des personnes fragiles ou âgées.

Par rapport à 7 milliards d’habitants, cela pourrait presque paraître « gérable ». Et pourtant non, le pouvoir de contagion de l’organisme est tel que si rien n’était fait pour le stopper, près de 70 % de l’humanité serait infectée.

Avec un coût humain « ingérable » justement.

Donc, notre monde sens dessus dessous est pratiquement à l’arrêt, avec des confinements généralisés, des fermetures d’écoles, d’entreprises. C’est la méthode moyenâgeuse, celle que l’on utilisait contre la peste et ses résurgences. Et nous qui avions conquis la terre et les airs, nous voilà ramenés à notre enclos, à notre quartier, à notre village. Les avions majestueux, symboles de notre suprématie, sont cloués au sol. Et nous tous sommes en attente d’un vaccin hypothétique, même si l’on sait que les coronavirus savent très bien éviter les vaccins…

Quelle violente et stupéfiante leçon d’humilité.

Et là, maintenant, on se déconfine tout doucement, comme si nous étions sur « le dos du tigre », avec la mise en place de protocoles sanitaires d’une exigence telle que le retour à « avant », à une vie normale paraît illusoire.

On avance tous comme sur un fil, menacés par ce Covid-19 dont l’on connaît si peu de choses, hébétés devant l’ignorance générale et l’impuissance du politique, assourdis par le bruit et la fureur du débat médical, étourdis par l’injonction à changer de monde et d’habitudes, comme si tout cela pouvait se faire juste en le décidant…

L’Afrique n’est pas épargnée par cette immense tempête. Mais près de trois mois après les premiers cas (en Égypte, début février), elle semble pour le moment écrire cette histoire en dehors du scénario catastrophe promis d’avance. Début mai, le continent comptait environ 44 000 contaminations recensées, soit un peu plus de 1 % du total mondial, alors qu’il concentre 17 % de la population humaine. Le virus progresse, il n’est pas stoppé, mais sa diffusion reste lente. Aucune situation de cluster n’est hors de contrôle. Le taux de mortalité est faible. Les « savants » se perdent en conjectures et en tentatives d’explication. On parle évidemment de la jeunesse de la population, ou du fait que les Africains seraient pour une raison ou pour une autre (?) mieux protégés sur le plan épidémiologique que d’autres populations. Du fait aussi que les mobilités intercontinentales sont limitées, que l’insertion de l’Afrique dans l’économie mondiale reste marginale. Et que donc, d’une certaine manière, le sous-développement nous mettrait partiellement à l’abri du virus. Tout cela est probablement plus ou moins vrai (ou faux), mais on passe à côté d’une partie de l’histoire en cherchant systématiquement des explications externes. L’Afrique a su, aussi, globalement réagir. Avec ses moyens. Ses hommes et ses femmes. Les frontières ont été rapidement fermées. Des procédures souples de confinement ont été mises en place, et, malgré tout, elles ont été relativement respectées. Les populations que l’on décrit complaisamment comme indisciplinées mesurent le danger et se protègent du mieux qu’elles peuvent. Les États développent une réponse, mobilisent leurs forces. En Côte d’Ivoire, des structures hospitalières ad hoc ont été construites en quelques jours. Au Maroc, les masques et même les respirateurs sont sortis des usines locales reconverties. À Djibouti et à l’Île Maurice, on teste massivement. Les chefs d’États mobilisés ont aussi obtenu un allègement du fardeau de la dette. Les « élites » participent aux efforts. Des plans d’accompagnement ont été mis en place pour protéger les entreprises et les populations les

plus fragiles. Il y a un « sens commun » que l’on retrouve rarement en Afrique.

Encore une fois, personne ne sait ce que l’avenir nous réserve, mais là, maintenant, le continent aura montré une véritable capacité de réaction. Et les théoriciens de « l’effet pangolin », avec leur effondrement socio- politicosanitaire historique, en sont pour leurs frais.

Une situation d’autant plus surprenante si l’on prend une contre-image, celle d’un Occident tout-puissant pourtant ravagé par la pandémie. Ce monde « sens dessus dessous » est aussi un monde « à l’envers ». Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France, en Italie, en Espagne, les victimes se comptent par dizaines de milliers. Les économies ont été mises à l’arrêt, entraînant une facture stupéfiante. Les libertés individuelles sont sacrifiées au profit de l’urgence sanitaire. Ces sociétés riches, sophistiquées, « protégées », se sont révélées « pesantes », comme incapables de voir venir le danger, incapables d’appréhender une rupture si massive de sécurité et de certitudes… Le système est apparu comme ayant échoué, avec des bureaucraties dysfonctionnelles et débordées. Ces grandes puissances industrielles auront eu toutes les difficultés à acheter des masques ou à en fabriquer. Des masques… Pareil pour les tests sérologiques. L’impuissance est presque complète. L’Union européenne se fissure dans un « chacun pour soi » suicidaire au bénéfice hypothétique de ceux qui se croient les plus riches, les plus forts aujourd’hui : l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas… Les États-Unis, le cœur de l’« empire », l’hyperpuissance, sont apparus nus, divisés, chaotiques, gouvernés par un président fantasque, cyclothymique et une « administration » inefficace et désarticulée.

La Chine elle-même, la grande success-story des quarante dernières années, ce modèle de l’émergence, se révèle fragile, confirmée dans son autoritarisme, prête à réprimer d’une main de fer toute dissension interne (sur la gestion de la crise et la responsabilité du parti-État) et à rejeter avec dédain toute interpellation externe (à propos des chiffres et de l’origine de la pandémie). Le modèle qui fait sa puissance, l’usine du monde, va être remis en cause par un Occident affaibli mais coriace, bien décidé à reprendre en main la maîtrise de ses lignes de production.

Avec le Covid-19, la hiérarchie du monde est bousculée. Les équilibres anciens vont bouger. Toutes les grandes épidémies ont eu des conséquences. Ce virus va changer notre façon de vivre. Le choc « anthropologique », cette mise en arrêt brutal du système, a été

trop fort. On sent que cette pandémie agit comme une sorte d’alarme, un appel à un changement de logiciel, de paradigme, de redéfinition des priorités. Aux quatre coins du monde, on parle d’un monde nouveau. On sent confusément que l’humain doit se réconcilier avec son environnement. Qu’il doit accepter de composer avec les éléments de la biosphère, qu’il n’est pas toutpuissant, qu’il n’est qu’une entité parmi d’autres. Que son destin est lié à tout le reste du vivant. Que même si le Covid-19 disparaissait par miracle de notre horizon, d’autres virus sont là, tapis, en attente, comme depuis la nuit des temps. Et que même sans les virus, le changement climatique, la pollution, la démographie projettent

une ombre formidable et menaçante sur notre futur. Nous sommes dans le déséquilibre. Il faut retrouver une mesure, nous réinscrire dans le karma de la planète.

Comment changer ? Transformer nos modes de production ? Renoncer à la surexploitation des ressources, à l’énergie carbone, à l’agriculture intensive ? Comment retrouver un équilibre sans rompre l’impératif de développement ? La croissance des quarante dernières années a aussi permis de sortir de la pauvreté des centaines de millions d’êtres humains. Et des centaines de millions d’êtres humains attendent leur tour. En particulier en Afrique. Un repli sur soi, une démondialisation chaotique, une politique de décroissance massive impliquerait le

retour de la précarité, y compris dans les pays riches. Des millions d’emplois, des industries entières risquent le sinistre majeur, ce qui rend surréalistes les différents discours maximalistes sur les bienfaits de ce « retour à la nature », de ce nouveau minimalisme.

Nous ne reviendrons pas comme « avant ». Nous vivons la fin d’une illusion, celle de notre toute-puissance et la fin d’un monde, celui de la fuite en avant permanente. Le profit et la digitalisation ne sont pas une fin en soi. Quelque chose de nouveau est en train d’advenir. Nous devons inventer le futur, trouver cet équilibre impérieux entre les exigences du vivant et les besoins des hommes. Pour ne pas disparaître. ■

À Asilah, au Maroc, durant le confinement, le 23 mars dernier.

P.8

3 ÉDITO

La fin d’une illusion par Zyad Limam

8 ON EN PARLE

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN Santrofi, passion highlife !

22 CE QUE J’AI APPRIS

Moh! Kouyaté par Astrid Krivian

25 C’EST COMMENT ? Jeunes, oui mais… par Emmanuelle Pontié

90 VINGT QUESTIONS À… Christelle Ratri par Astrid Krivian P.13

SPÉCIAL

COVID-19

26 L’AFRIQUE AU FRONT par Zyad Limam

28 LES QUATRE

MOUSQUETAIRES

Tidjane Thiam, le retour à l’Afrique

33 Ngozi Okonjo-Iweala, la dame de fer

34 Donald Kaberuka, la force tranquille

35 Trevor Manuel, une expérience inégalée par Jean-Michel Meyer et Zyad Limam

36 Vera Songwe sonne le tocsin par Jean-Michel Meyer

38 Kako Nubukpo « Une grande leçon pour les dirigeants » par Cédric Gouverneur

40 Radhi Meddeb « Transformons le modèle économique tunisien ! » par Frida Dahmani

44 Clyde Fakhoury «On sous-estime la capacité de réaction de l’Afrique» par Zyad Limam

46 Jack Ma, un ami qui vous veut du bien… par Cédric Gouverneur

52 Nabil Karoui de retour sur le terrain ! par Frida Dahmani

54 Rony Brauman « L’espoir d’une exception africaine » par Anne-Cécile Huprelle

58 Gaël Darren Maganga : « L’homme a amené la jungle en ville » par Astrid Krivian

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis ma i 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

62 À LA BARRE, FACE À LA PANDÉMIE Moussa Seydi, John Nkengasong, Serge Paul Eholié, Francis Akindès et Jean-Jacques Muyembe Tamfum par Cédric Gouverneur

66 Ils sont au contact et témoignent par Emmanuelle Pontié

68 Une équipe tunisienne pour faire face par Frida Dahmani

70 Au Maroc, le miracle des masques par Jean-Michel Meyer

72 Maud-Salomé Ekila « Le danger va au-delà de la maladie » par Anne-Cécile Huprelle

74 Freddy Tsimba La création en résistance par Fouzia Marouf

80 Yassin Adnan «Le Maroc vit un tournant décisif» par Astrid Krivian

VIVRE MIEUX

86 Renforcer son immunité pour mieux résister aux virus

87 Comprendre les douleurs de croissance

88 Mémoire : ses bons amis et… ses ennemis

89 Comment tenir le diabète à distance par Annick Beaucousin et Julie Gilles

FONDÉ

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ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

Dounia Ben Mohamed, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Cédric Gouverneur, Anne-Cécile Huprelle, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.

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Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

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ON EN PARLE

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode et du design

SANTROFI PASSION HIGHLIFE !

MUSIQUE

Révélé sur scène, le groupe ghanéen sort son premier album, un CONDENSÉ D’ÉNERGIE nourri de highlife, d’afrobeat et de traditions caribéennes. Irrésistible.

En ces moments si durs d’épidémie et de distanciation sociale, une belle sélection quand même, pour penser à autre chose, lire, écouter, regarder, s’évader.

DANS LA MYTHOLOGIE des peuples Akan, le santrofi est un magnifique oiseau au plumage coloré. Il est interdit de le mettre en cage car le malheur pourrait s’abattre sur la maison. En revanche, le voir voler dans le ciel est un signe de chance… Il était donc plutôt de bon augure pour ce groupe de se baptiser de ce nom. Ils ont enflammé des festivals anglais, portugais, danois ou finlandais, avant de parfaire ce premier album, qui s’ouvre sur l’enthousiasmant et percussif « Kokrokoo ».

Les huit Ghanéens se sont rencontrés à Accra il y a plusieurs années, en tant que musiciens de studio pour Nana Ampedu, Ebo Taylor, Gyedu-Blay Ambolley, Sarkodie ou encore 2Face Idibia, Richard Bona… Tous les inspirent aujourd’hui dans leurs compositions. « Nous avons décidé de former un collectif et d’écrire nos propres chansons afin de poursuivre l’héritage de la musique highlife », explique le bassiste et producteur Emmanuel Ofori. Tout est groovy, pulsatile, funky et flamboyant, et rappelle où se trouvent les racines de l’afrobeat : dans le highlife. Même si une ballade comme « Mobo » s’avère plus downtempo…

« Aussi rafraîchissant que soit le son highlife, il n’est pas assez connu. La plupart des jeunes ne s’y intéressent pas, car ils le pensent destiné aux générations antérieures.

Sur Alewa, on trouve cependant des rythmes inexploités, de superbes mélodies indigènes et des paroles positives dont le monde a besoin aujourd’hui. Nous voulons être les ambassadeurs de ce genre et le rendre aussi populaire que le reggae, le hip-hop ou le funk ! » précise Ofori. Quant au nom de l’album, il s’agit d’une métaphore se référant à un bonbon ghanéen aux rayures noires et blanches. Un joli symbole de tolérance interraciale… Quand on demande à Ofori s’il a un message à faire passer, il répond simplement : « L’amour, le positivisme, l’unité, la reconnaissance, le karma. » Tout ce dont l’on a besoin en ce moment. ■ Sophie Rosemont

SANTROFI, Alewa, OutHere/L’Autre distribution.

DES GARÇONS ENCORE VERTS

En pleine Normandie, un JEUNE GUINÉEN construit une case… et une belle amitié avec u n petit autochtone.

ALHASSANE, 17 ans, est hébergé par des familles d’accueil dans le nord-ouest de la France, après deux ans d’un éprouvant voyage depuis son pays, la Guinée Conakry. En voix off, il raconte en malinké les geôles libyennes, la traversée de la Méditerranée, les embûches administratives et judiciaires… Mais à l’écran, on ne voit que des champs de lin et de verts pâturages. Un décor bucolique dans lequel Alhassane noue une belle amitié avec Louka, 13 ans. Ils se mettent alors à construire une cabane qui ressemble à une case de la savane africaine. La réalisatrice Ariane Doublet a évité tout ce que l’on a déjà vu dans les films qui évoquent l’expérience des migrants venus d’Afrique subsaharienne. Pas de camps, pas de policiers, pas de juges. Mais un dialogue permanent et tout simple entre ces deux jeunes garçons de cultures bien différentes, qui apprennent à se connaître. Au milieu des vaches, des lapins et des renards, dans ce paysage rural en bord de mer, on croise quelques habitants dont le regard sur ce grand ado noir est particulièrement bienveillant. Alhassane a fui son pays, sa condition, et va pouvoir s’émanciper. Il veut devenir mécanicien. Et français. « Je veux une vie tranquille », dit-il. C’est aussi une belle ambition. ■ Jean-Marie Chazeau

SOUNDS

À écouter maintenant !

Amarula Café Club

Vol.II, Zuma Records

Ici, les origines sont diverses : Sénégal pour Axel, La Réunion pour Yann, Madagascar pour Arnaud, Italie pour Vincent. Ce qui s’entend dans une musique pop mais boostée par des influences rock, afrobeat ou hip-hop. Composé d’instrumentistes et arrangeurs capables de produire leurs propres chansons, ce quatuor basé en banlieue parisienne n’a pas fini de nous faire danser.

Thundercat

GREEN BOYS (France), documentaire d’Ariane Doublet. Disponible sur les plates-formes de VOD.

It Is What It Is, Brainfeeder Records

Pour son quatrième album, Stephen Lee Bruner, alias Thundercat, réussit de nouveau à nous embarquer dans un trip afrofuturiste.

Entre funk, jazz, electronica et hip-hop, It Is What It Is est produit aux côtés de son meilleur ami, Flying Lotus, et invite pléthore de cadors de la scène US actuelle : Childish Gambino, Kamasi Washington, Steve Lacy… Un disque à la fois intime et interstellaire.

Onipa

We No Be Machine, Strut Records

Ce duo londonien formé par K.O.G. (Kweku of Ghana) et Tom Excell (du groupe Nubiyan Twist) a recruté le batteur Finn Booth et le claviériste Dwayne Kilvington pour enregistrer cette mixture d’obédience ghanéenne. Sur un terreau électropop se mêlent synthés, kora, sanza, percussions et guitares soukous. En langue akan, « onipa » signifie « humain ». Ce qui va parfaitement avec la chaleureuse empathie de la musique du groupe. ■ S.R. dd

Le nouvel opus de la saga 007 est finalement prévu pour novembre.

CINÉ

SORTIR PEUT ATTENDRE

Le COVID-19 aura provoqué la fermeture des salles obscures et le report de plusieurs festivals majeurs. Résultat, de nombreux films voient leur programmation décalée à 2021, voire plus loin encore !

LE TITRE DU NOUVEAU JAMES BOND était prémonitoire !

Le nouvel opus de la saga 007, Mourir peut attendre, devait sortir en avril partout dans le monde, mais ce sera finalement le 11 novembre. Il faudra donc patienter avant de voir comment le célèbre agent secret va reprendre du service, après s’être retiré en Jamaïque et avoir été remplacé à Londres par une femme noire et plus jeune (incarnée par la comédienne britannique Lashana Lynch)… Parmi les autres blockbusters déprogrammés, Maverick, la suite de Top Gun, prévue en juin, arrivera finalement en décembre – trente-quatre ans après le premier épisode, nous ne sommes plus à quelques mois près.

Chez Disney, Mulan version live action, prévu fin mars, arrivera sur les écrans avec quatre mois de retard, en juillet. Et pour les héros Marvel, Black Widow sera visible en octobre au lieu d’avril, tandis qu’Eternals a vu sa sortie décalée de novembre 2020 à février 2021. Les reports vont parfois encore plus loin : le nouvel Indiana Jones, calé sur juillet 2021, est désormais très précisément annoncé pour le 27 juillet 2022 !

Côté français, la Gaumont a reporté à la fin de l’été le vrai-faux documentaire Tout simplement noir, de Jean-Pascal Zadi (auteur de Black Snake, la légende du serpent noir) et John Wax, une comédie prenant à rebrousse-poil aussi bien les racistes que les communautaristes…

On guettera également la sortie du nouveau film de Haifaa al-Mansour, la première réalisatrice saoudienne (Wadjda, 2012) : après un film américain (Mary Shelley, 2017), elle a tourné dans son pays The Perfect Candidate, mettant en scène une femme s’engageant en politique. Prévu en avril, le film devrait être dans les salles européennes en août.

Par ailleurs, beaucoup de tournages ont dû être interrompus ou n’ont même pas pu commencer à cause des mesures de confinement à travers la planète… C’est le cas pour celui d’Abderrahmane Sissako : le cinéaste mauritanien, dont la dernière réalisation, Timbuktu, remonte à six ans, devait filmer en avril les premières scènes de La Colline parfumée en Afrique et… en Chine ! ■ J.-M.C.

LITTÉRATURE

LA FORCE DES MOTS

Une sélection d’ouvrages intemporels, à

DÉCOUVRIR

ou à redécouvrir. Le temps du confinement. par Catherine Faye

ROMANS

LE COMTE DE MONTE-CRISTO

Alexandre Dumas, Le Livre de Poche, 2 tomes, 780 p. et 800 p., 7,40 €.

Une vengeance implacable, du château d’If aux salons parisiens, en passant par la Méditerranée des contrebandiers.

LES CHUTES

Joyce Carol Oates, Points, 576 p., 8,50 €

Veuve après sa nuit de noces, Ariah est victime d’une impitoyable malédiction ancrée dans l’Amérique des années 1960.

DE SANG-FROID

Truman Capote, Folio, 512 p., 9,70 €

Inspiré de faits réels, un récit troublant sur le processus qui mena deux marginaux à tuer quatre personnes dans le Kansas.

ORLANDO

Virginia Woolf, Le Livre de Poche, 352 p., 7,70 €

Les aventures insolentes d’un héros protéiforme qui traverse trois siècles, en se réveillant tour à tour homme ou femme.

1984

George Orwell, Gallimard, 384 p., 21 €

Liberté est servitude. Ignorance est puissance. Telles sont les devises du régime de Big Brother. À relire de toute urgence.

BANDES DESSINÉES

ESSAIS

50 IDÉES REÇUES SUR L’ÉTAT DU MONDE

Pascal Boniface, Armand Colin, 144 p., 9,90 €. Les jugements à l’emporte-pièce ne résistent pas à l’examen scrupuleux du géopolitologue.

21 LEÇONS POUR LE XXIE S IÈCLE

Yuval Noah Harari, Albin Michel, 384 p., 23 €

L’auteur de Sapiens propose des réflexions sur les grands défis et les sujets fondamentaux de notre ère.

PHOTOS

AFRICA STATE OF MIND

Ekow Eshun, Thames & Hudson, 272 p., 45 €

Avec plus de 50 artistes, la jeune génération capture en images ce qui fait l’essence de son continent.

LECTURES GRATUITES

DISPONIBLES EN LIGNE

Des nouvelles du monde entier, sur zulma.fr.

Un texte inspirant, tous les trois jours, des éditions 1 001 Nuits, sur fayard.fr.

CORTO MALTESE, LES ÉTHIOPIQUES Hugo Pratt, Casterman, 96 p., 18 €. HABIBI Craig Thompson, Casterman, 672 p., 29 €.

LES PASSAGERS DU VENT François Bourgeon, Delcourt, 240 p., 39,50 €. LE PREMIER HOMME Jacques Ferrandez, Gallimard, 184 p., 24,50 €.

PRÉFÉRENCE SYSTÈME Ugo Bienvenu, Denoël, 168 p., 23 €.

NÉO SOUL

Lubiana nous fait voyager

Elle vient de Bruxelles, joue de la kora malienne et a enregistré en Californie…

C’EST AUPRÈS DE TOUMANI DIABATÉ, l’un des plus grands joueurs de kora malien, que la chanteuse a appris ce merveilleux instrument, peu pratiqué par les femmes car il se transmet de père en fils. Voilà déjà une preuve du caractère bien trempé de Lubiana, née d’une mère belge et d’un père camerounais, en contraste avec le velours qui lui sert de voix. On l’entend tout au long de ses chansons, enregistrées à Los Angeles avec Om’Mas Keith, producteur habitué d’Erykah Badu, Kanye West ou Frank Ocean. Entre pop contemporaine et soul acoustique, son premier EP, Self Love, est à la fois contemplatif et solaire : dotée d’une voix d’or, Lubiana s’y met à nu, revisite ses racines et son éducation, tout en voyant large au présent. À suivre de près. ■ S.R.

LUBIANA, Self Love, 6&7.

DE L’OR EN BARRETTES

L’incroyable et authentique parcours d’une

SELF MADE (États-Unis), série de Nicole Asher. Avec Octavia Spencer, Blair Underwood. Disponible su r Netfl ix.

FILLE D’ESCLAVES

devenue millionnaire dans l’Amérique du début du xxe siècle.

MADAME C.J. WALKER a été la première femme autodidacte multimillionnaire aux États-Unis… et elle était afro-américaine : un exploit en 1910 ! Cette mini-série en quatre épisodes raconte comment cette fille d’esclaves, blanchisseuse, a créé un produit pour les cheveux des femmes noires qui a rencontré un succès fulgurant. Elle l’a d’abord vendu sur les marchés, avant de construire et de diriger une usine pour fabriquer toute une gamme ! Créant ainsi un véritable empire avec son armée de vendeuses et ses succursales. La reconstitution soignée et le charisme d’Octavia Spencer (oscarisée en 2012 pour son rôle dans La Couleur des sentiments) servent l’histoire de cette success-story méconnue. Mais l’on n’en dira pas autant du choix de la musique, anachronique, et des effets de mise en scène dignes d’une telenovela. ■ J.-M.C.

Le Centre cinématographique marocain diffuse sur son site un programme d e  25  longs-métrages.

Le ciné à la maison

L d s T Z p a

EFFET COVID-19 : ironiquement, la fermeture des salles de cinéma entraîne une nouvelle visibilité pour les réalisateurs africains grâce à Internet… Le site lacinetek.com a eu la bonne idée de demander à des cinéastes de lister leurs films favoris : le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, par exemple, propose de visionner une rareté de sa compatriote, Zara Mahamat Yacoub, Dilemme au féminin, entre un Chaplin et un Tarantino. Les festivals prennent également le virage, faute de pouvoir organiser des projections : la plate-forme tunisienne artify.tn a accueilli le deuxième Gabes Cinéma Fen, dédié au cinéma arabe indépendant. Solution choisie aussi par Vues d’Afrique, au Québec, sur tv5unis.ca. Quant au Centre cinématographique marocain, il propose sur son site, ccm.ma, jusqu’à la fin du Ramadan, un programme de 25 films, des Chevaux de Dieu de Nabil Ayouch à Mort à vendre de Faouzi Bensaidi. ■ J.-M.C.

Le charisme d’Octavia Spencer sert l’histoire de cette success-story méconnue.

Nnamdï Aussi hybride qu’inventif

L’Américain nous livre

une musique

entre ACOUSTIQUE ET ORGANIQUE. Formidable.

« BRAT » SIGNIFIE, EN ANGLAIS, « ENFANT GÂTÉ », et en effet Nnamdi Ogbonnaya n’a pas été privé en matière de talents musicaux. Dans ce deuxième album, ce multi-instrumentiste américain d’origine nigériane mêle avec une impressionnante dextérité hip-hop, gospel, folk, mélopées ouestafricaines, funk, électropop… Un titre comme « Gimme Gimme », dont le gimmick est irrésistible, s’impose comme l’un des tubes du printemps : groovy, malin, expérimental mais accessible. Basé à Chicago, Nnamdï a fondé son propre label, Sooper Records, et s’active avec enthousiasme sur la scène locale. Ce qui ne l’empêche guère de se plonger dans une autoanalyse qui se retrouve dans Brat, où il explore ses ressentis d’artiste et d’adulte face au rythme saccadé d’un monde qui tourne souvent beaucoup trop vite. Ainsi, on est saisi par l’émotion de « Flowers To My Demons », servi de guitare sèche et d’autotune, ou par l’intensité de « Everyone I Loved ». ■ S.R. NNAMDÏ, Brat, Sooper Records/Secretly Canadian Distribution.

ÊTRE AU MONDE, ÊTRE DANS LE MONDE

L’AUTO-ÉDITION permet aujourd’hui aux auteurs de se libérer des contraintes éditoriales. Les « repérer » est néanmoins plus compliqué. Mais à la faveur d’un contexte exceptionnel, tel que nous le vivons, il est possible de trouver en ligne des textes inédits de qualité, des auteurs méconnus. En voici deux exemples.

PREMIER ROMAN

ENTRE ACCEPTATION ET RÉSILIENCE

C’EST UN ÉCRIVAIN ÉTONNANT qui nous offre ce court texte, annonciateur de bien d’autres productions. Partis de rien est le premier tome d’une série intitulée « Mon petit livre », et c’est aussi le premier roman de Kabirou Owolabi, qui nous raconte son histoire avec pudeur. Le récit se déroule dans un « pays d’Afrique de l’Ouest » dont on devine qu’il s’agit du Nigeria : on y suit un enfant meurtri par la séparation de ses parents, constamment partagé entre ces deux êtres. D’un côté, puis de l’autre, le petit garçon peine à trouver sa place. La suite n’est qu’une histoire d’acceptation et de résilience. Profond et sobre, le texte de Kabirou Owolabi est d’autant plus marquant qu’il est empreint de poésie. Cet auteur français d’origine africaine était, dit-il, surnommé « Akowé » lorsqu’il était enfant, c’est-à-dire « écrivain » en nigérian. Ses premiers jouets : un papier et un stylo. ■ Anne-Cécile Huprelle

THRILLER

LES NOUVELLES CONSCIENCES

NÉ D’UN PÈRE BÉNINOIS et d’une mère ivoirienne, Olivier Akokpon considère la littérature comme le miroir de nos sociétés. Son thriller est donc un moyen pour lui de dénoncer une humanité en perte de repères, la faute à des dirigeants autocentrés et autoritaires. L’écrivain y parle d’un peuple qui, progressivement, s’enfonce dans la corruption, l’insécurité, la prostitution, la cruauté. Jusqu’à ce que de « nouvelles consciences », aussi « têtues » que leurs dirigeants, renversent la tendance. Les personnages d’Atac et de Taka symbolisent des modèles de vertu auquel l’auteur aspire. ■ A.-C.H.

KABIROU

OWOLABI, Partis de rien, 56 p., format Kindle Amazon 1,49 €

OLIVIER

AKOKPON, La Cité des têtus, 60 p., éditions

E-Dev, format Kindle Amazon

6,79 €.

DÉCRYPTAGE

L’ADN D’UNE RÉVOLUTION

LA CRISE SANITAIRE que nous traversons nous ferait presque oublier qu’il y a un peu plus d’un an, le 22 février 2019, des millions d’Algériens occupaient la rue, demandant la chute du régime politique en place. Le Hirak, mouvement pacifique, fut une révolution d’un genre nouveau. Et c’est ce que nous explique ce livre collectif, réunissant des plumes de journalistes, spécialistes, politologues… À la frontière entre sociologie et ethnologie, l’ouvrage tente de décrypter les raisons profondes du soulèvement. Les auteurs en restituent les multiples facettes : la créativité et l’humour des manifestants, la place essentielle des jeunes et des femmes ou encore la revendication centrale de sublimer la libération nationale de 1962. ■ A.-C.H.

OMAR BENDERRA, FRANÇOIS GÈZE, RAFIK LEBDJAOUI, SALIMA MELLAH, Hirak en Algérie : L’Invention d’un soulèvement, 304 p., La Fabrique, format numérique sur le site de l’éditeur 9,99 € (ou 16 €).

MODE

L’ESTHÉTIQUE NIGÉRIENNE DE LA COULEUR

KENNETH IZE a su séduire la crème de la haute couture avec ses créations.

CE JEUNE STYLISTE d’origine nigérienne a été élevé à Vienne. Âgé de 29 ans à peine, Kenneth Ize a habillé moult top-modèles de renom (Naomi Campbell, Imaan Hammam ou encore Adwoa Aboah) lors de son premier défilé parisien au Palais de Tokyo, fin février, pour sa dernière collection. Déjà connu pour sa marque du même nom lancée en 2016, le finaliste du prix LVMH 2019 a présenté des pièces minimalistes, décontractées et aux couleurs captivantes. Sur ses vestes, on peut facilement compter jusqu’à sept couleurs en tout ! De la mini-jupe fendue au blazer, en passant par le trench ceinturé porté par Naomi Campbell (ci-dessus, au centre), ses silhouettes mêlent crêpe de soie brodée d’Autriche et aso oke, un tissu nigérian tissé à la main par le peuple yoruba, caractérisé par de larges rayures. ■ Luisa Nannipieri

automne-hiver 2020-2021,

Le styliste avec, à sa droite, l’entrepreneur Jack Jefferson et la mannequin Naom i  Campbell.

Défilé
au Palais de Tokyo, à Paris, le 24 février dernier.

PORTRAIT

Kadidja Duparc, l’architecte des ambitions ivoiriennes

PDG de l’agence SKY Architectes, la jeune femme met de l’humain dans le béton. Ses réalisations sont à son image : authentiques, créatives, avec une forte dose de rigueur.

diplôme en architecture. Un double parcours qui l’a amenée à suivre une double carrière : « Rentrée en Côte d’Ivoire en 2002, j’ai créé et géré à la fois une agence d’architecture et une société de communication évènementielle. Contrainte d’interrompre ma double aventure à la suite des événements sociopolitiques de 2010 dans le pays, je me suis recentrée sur mon métier de cœur, riche de mon expérience en marketing et en communication. » Elle dirige aujourd’hui l’agence SKY Architectes, composée d’une vingtaine de collaborateurs : « Notre architecture est holistique, poétique et humaniste, mais fondamentalement pragmatique, réaliste, fonctionnelle, lâche-t-elle avant de nuancer.

J’ai des réticences quant à la notion de touche ou de style, car elle ramène souvent à l’idée qu’on l’impose et que l’on se renouvelle peu dans notre créativité. Je conçois des bâtiments pour des individus uniques, qui ont leurs propres histoires et leurs besoins… »

Une approche qui séduit manifestement. Son entreprise vient de décrocher un appel d’offres pour un projet en cours à Yopougon, à Abidjan : « C’est le premier marché de demi-gros et de détail durable en Afrique de l’Ouest. Il intégrera les principes d’architecture bioclimatique. Cette commune manque d’espaces de loisirs formels, et cette zone qui fonctionnera au-delà des heures d’ouverture du reste du marché sera le poumon et le pôle de vie et d’animation. »

C’est à travers « une architecture du siècle 2.0, consciente et responsable » qu’elle apporte sa pierre à la construction de la Côte d’Ivoire émergente.

PDG DE L’AGENCE SKY Architectes, Kadidja Duparc possède de forts traits de caractère : « Je me définis comme franche, perfectionniste, multitâche et curieuse de la vie ! Je fais partie de ces personnes que tout intéresse. Bien que diplômée en architecture, je reste passionnée par le management, le marketing et la communication. » De fait, la jeune femme est titulaire d’un certificat en gestion publique et management potentiel Afrique, de Sciences Po (Paris), en plus d’un DR

« Nous avons la responsabilité de créer le changement, la responsabilité d’incarner ce changement dans nos agences au travers de nos collaborateurs, de nos productions, la responsabilité de former à ce changement et celle de le transmettre. Car oui, nous sommes aux portes de l’émergence. Et la notion de porte est importante, car il est possible de rester à la porte et de ne jamais réussir à l’ouvrir… » ■ Dounia Ben Mohamed

DESIGN

UNE DOUBLE CULTURE

La Belgo-Congolaise

Fifi Kikangala Omoyi travaille avec des artisans des deux pays pour livrer des créations qui subliment la tradition de la RDC.

ELLE SE RÊVAIT architecte, elle s’est découvert designeuse. Depuis deux ans, Fifi Kikangala Omoyi imagine des objets de décoration par le biais de sa marque Omoy Interior Design. Les banquettes de sa collection Kuba, graphiques et géométriques, sont réalisées en Belgique avec du tapis Kuba, un textile porté par les chefs de la tribu Royal Kuba et tissé à partir de raphia (palmiers) exclusivement dans la région du Kasaï, en République démocratique du Congo. Les broderies « sont un langage à part », assure celle qui envisage de monter une coopérative de tisseuses afin de mieux contrôler la production et les coloris. Avec le lampadaire de sa collection Mbila, c’est encore le palmier qui est le protagoniste, des branches formant les pieds de la lampe. La créatrice se laisse inspirer par ce qui l’entoure, mais vise loin. En attendant de pouvoir bientôt vendre ses créations dans des boutiques à Paris et Londres, elle a un showroom à Kinshasa et espère bien, un jour, faire connaître son nom à New York ou Miami. ■ L.N. omoy-interiordesign.com

ÉVASION

TRÉSORS D’AFRIQUE ET D’AILLEURS À DOMICILE

Nombre D’INSTITUTIONS culturelles proposent du contenu au public, malgré leur fermeture imposée par la crise sanitaire.

L’ART DES FORGERONS

LE MUSÉE DU QUAI BRANLY a fermé ses portes avant la fin de l’exposition « Frapper le fer : L’Art des forgerons africains », pour laquelle 230 œuvres étaient exposées. Toutefois, des vidéos mises en ligne sur la chaîne YouTube du musée parisien nous permettent de nous familiariser avec le sujet. On y voit que le travail du fer est un art traditionnel et un métier très sophistiqué, les techniques se transmettant depuis 2 500 ans. L’âge du fer a révolutionné l’Afrique et a accompagné l’évolution des cultures nigériane, malienne ou congolaise. Dans les champs, les foyers, sur les terrains de guerre ou dans la sphère religieuse, hier et aujourd’hui, ce matériau est un élément fondamental. ■ A.-C.H. youtube.com/playlist?list=PLq_ kZgugXgOErNWV-p4Z69GG96CqJ4YWT

L’exposition « Frapper le fer » démontre que l’âg e  du fer a révolutionné l’Afrique.

LE QUAI BRANLY S’EXPOSE

EN PLUS DE CETTE EXPOSITION événement, il est tout à fait possible de découvrir ou de redécouvrir l’ensemble des collections du musée du quai Branly. Les images de plus de 1 000 œuvres, d’objets d’art et de vie quotidienne sont en effet disponibles en ligne, gratuitement. Leur description et leur usage également. Cela nous permet de passer des statuettes du Pays dogon aux masques d’Afrique de l’Ouest, d’objets camerounais à des sculptures de gardien de reliquaire Kota et Fang, ou encore de la section d’Afrique centrale et australe aux bijoux chrétiens d’Éthiopie. ■ A.-C.H. quaibranly.fr/fr/collections/toutesles-collections/le-plateau-descollections/lafrique

DES CONCERTS CHEZ SOI

PRENDRE LE TEMPS de découvrir des performances musicales légendaires. C’est le cadeau du mythique Montreux Jazz Festival. Annulé comme tous les événements culturels programmés cet été, il propose plus de 50 concerts en streaming, disponibles gratuitement pendant trente jours. L’image et le son sont exceptionnels. De quoi (re)vivre les meilleurs moments des plus grands de la scène internationale : Marvin Gaye, Nina Simone, Ray Charles, Carlos Santana, Patti Smith… Et des jam-sessions à couper le souffle. ■ C.F. montreuxjazzfestival.com/fr/50concerts-en-streaming/

VOYAGE AU CENTRE DE CHEFS-D’ŒUVRE

EN UN MOT : GÉNIAL. Grâce à la réalité virtuelle et à un casque VR, plongez dans un tableau, l’univers d’un peintre, sa psyché, une époque. L’expérience est à la fois fascinante, enrichissante, et permet de mieux comprendre les arcanes de la création. Comme dans un rêve. Immersion dans les mondes fantasmagoriques de Salvador Dalí avec Dreams of Dali (youtube.com/ watch?v=F1eLeIocAcU), promenade autour des énigmatiques Ménines de Diego Vélasquez, voyage dans la troublante Île des morts d’Arnold Böcklin ou encore déambulations dans les dédales des Rêves du Douanier Rousseau, grâce à la série Arte Trips (arte.tv/sites/webproductions/ arte-trips). Tout un art ! ■ C.F.

Les guides de WildEarth proposent des excursions e n  direct deux fois par jour.

UN SAFARI DANS LE SALON

SE BALADER DANS DES RÉSERVES à la limite du célèbre parc national Kruger, dans le nord-est de l’Afrique du Sud, pour observer la vie sauvage de la brousse en compagnie d’un guide qui répond à toutes vos questions. Tout ceci est possible sans bouger de chez soi. Avec une connexion Internet, les LiveSafari de WildEarth, entreprise spécialisée dans les safaris à distance, sont à portée de clic. Née en 2007 d’une idée simple mais efficace – montrer au plus grand nombre le comportement des Big Five en l’absence des humains –, l’expérience attire de plus en plus de spectateurs depuis le début du confinement. Les guides de WildEarth ont établi leur demeure dans le parc et proposent des excursions en direct deux fois par jour, gratuitement. Graham Wallington, PDG de la société, qui fournit ses images aux plus importantes chaînes naturalistes du monde, conseille surtout de s’installer tranquillement dans son canapé et de se laisser conquérir par la force des images. « Il n’y a pas de scénario, chaque jour, c’est une surprise. Une immersion dans la nature qui va vous rendre addicts. » ■ L.N. wildearth.tv/safarilive

À LA DÉCOUVERTE DE S SITES DE L’UNESCO

LORSQUE L’ON RECHERCHE des traces et témoignages de l’histoire africaine, il faut se tourner vers les trésors méconnus de l’Unesco. L’organisation offre des descriptions et représentations de sites remarquables du patrimoine mondial, comme les Palais royaux d’Abomey, au Bénin. Partez sur la carte interactive à la découverte de ses lieux chargés d’histoire. ■ A.-C.H. whc.unesco.org/fr/list/

PROMENADES VIRTUELLES

COMME DANS LA VRAIE VIE, nous voilà propulsés dans des salles où il nous suffit de nous approcher d’une œuvre pour la découvrir. André Magnin, l’un des plus grands promoteurs de l’art contemporain africain sur le marché international, propose sur le site de sa galerie Magnin-A deux visites virtuelles en 3D. La première exposition, « Figures de pouvoir », regroupe le travail d’artistes tels qu’Omar Victor Diop, Chéri Samba, Malick Sidibé ou JP Mika. Dans la seconde, « Way Down South », Nathalie Boutté revisite des portraits d’AfricainsAméricains du fonds de photographies de Rufus W. Holsinger. ■ C.F. magnin-a.com

À PORTÉE DE MAIN

TRÈS ENGAGÉE auprès des artistes contemporains présentés dans ses deux espaces, à Dakar et à Abidjan, la galerie Cécile Fakhoury propose trois expos en ligne : « Toi seulement », déambulation visuelle de Vincent Michéa, de Paris à Dakar en passant par Abidjan ; « Kôguôè » (« la nuit », en baoulé), un voyage dans les mondes intérieurs du jeune artiste ivoirien Bamouin Sinzé ; et « Paraboles d’un règne sauvage », premier solo show du Sénégalais Serigne Ibrahima Dieye, dont le travail évoque la jungle contemporaine et les aberrations de nos sociétés. Comme en écho à l’actualité. ■ C.F. cecilefakhoury.com.

UNITED STATES OF AFRICA

AUX ÉTATS-UNIS, le musée national d’Art africain, à Washington, conserve de très beaux exemples d’objets rituels, comme les masques yaka, associés aux cérémonies de circoncision et de puberté. Les maîtres de l’initiation portaient ce type de masque pour convoquer les esprits et ancêtres masculins, et ainsi promouvoir une nouvelle génération d’hommes. ■ A.-C.H. africa.si.edu

LES BONNES

IDÉE S DE L’IMA

UNE PARTIE de la programmation de l’Institut du monde arabe (IMA) a été lancée en ligne. Dans le cadre de l’opération #LImaALaMaison, une proposition culturelle est ainsi faite chaque jour aux internautes sur les comptes Facebook, Instagram et Twitter de l’institut : musique, danse, spectacles inédits, web-documentaires, ateliers, cinéma… L’IMA nous a par exemple fait revivre l’exposition « Superpositions », de 2011. La diversité géographique et humaine y était célébrée, à travers les images de la photographe Anna Katharina Scheidegger. ■ A.-C.H. imarabe.org/fr

Moh! Kouyaté

LE CHANTEUR ET GUITARISTE GUINÉEN

entend faire rayonner la musique de son pays. Dans l’album de son collectif Guinea Music All Stars, il honore l’âge d’or des plus célèbres orchestres nationaux et convoque la scène actuelle de Conakry. propos recueillis par Astrid Krivian

La Guinée est un pays de musique. Pour faire découvrir au monde la richesse de notre culture, je rassemble ici des artistes de toutes générations : Petit Kandia, Sékouba Bambino, Phaduba, Mory Kanté, Adama Kouyaté… Enfant, j’ai été bercé par les grands guitaristes d’orchestres légendaires : Ousmane Kouyaté, qui accompagna longtemps Salif Keïta, et Sekou Bembeya Diabaté, surnommé « Diamond Fingers », le baobab de la guitare mandingue ! Il fut le premier à lancer ce son moderne électrique en Afrique de l’Ouest.

Je vis grâce à la guitare, je l’emmène partout où je vais. J’ai la chance d’être né dans une famille de djeli, de musiciens : mon grand-père et mon père étaient guitaristes. C’est lui qui m’a initié à cet instrument. Puis, j’ai forgé ma propre voie en écoutant les maîtres guinéens et américains (George Benson, Jimi Hendrix, B. B. King…).

Dans notre culture, la grand-mère joue un rôle éducatif très important. À l’opposé des parents, parfois sévères, elle te soutient dans ton épanouissement. Notre mama chantait et nous racontait des contes. Elle m’a offert un ukulélé, ce qui m’a encouragé dans ma vocation. Elle m’a poussé à chanter pour respecter la tradition des djeli. Elle m’a donné tellement d’amour. Je pense à elle chaque jour. Avant de rentrer sur scène, avec mes musiciens, on implore son nom. Ce rituel me donne la force, et tout se passe bien ensuite.

À mes débuts, j’ai tourné aux États-Unis avec le grand bluesman Corey Harris. Une expérience très forte et enrichissante. Je n’avais jamais voyagé aussi loin. J’ai découvert tant de villes, de scènes, d’artistes fabuleux. La distance sépare les États-Unis et l’Afrique de l’Ouest, mais les liens sont prégnants. Les musiques ont évolué différemment, mais les racines sont les mêmes ! Certains pensaient d’ailleurs que j’étais américain. Dans le Mississippi, je me souviens d’avoir vu des « anciens » : leurs gestes, leurs postures… on aurait dit mes oncles !

La vie de tournée est mon oxygène. Je ne pourrais pas m’en passer ! C’est la liberté, la découverte, la rencontre de l’autre, de grands moments d’excitation. Sur scène, l’échange avec le public me donne des forces pour continuer à croire, à faire ce métier, à partager. C’est puissant et sincère. Je vis entre Paris et l’Afrique, où je me ressource. Cela m’apporte énormément, je prends le positif de chaque culture.

Le continent souffre de voir partir ses jeunes vers l’Europe, au risque de périr en Méditerranée. Ma chanson « Clandestine » alerte sur cette tragédie. Après les Afghans, les Guinéens sont les plus nombreux à demander le droit d’asile à la France [en 2018, ils étaient aussi la première nationalité parmi les mineurs isolés, ndlr]. Ce message doit retentir, notamment auprès des gouvernements, de part et d’autre. J’avertis également la jeunesse que la vie en Europe n’est pas facile, elle est très loin de ce qu’elle s’imagine.

Les jeunes Guinéens vivent une situation très difficile. Ils n’ont pas d’orientation pour l’avenir, c’est la débrouille. Malgré cela, ils font preuve de courage pour réaliser leurs rêves. Cela me donne de l’espoir. Je demande à nos dirigeants et aux personnes de bonne volonté d’investir dans l’éducation afin qu’ils apprennent un métier, un savoir-faire. C’est primordial. ■ Sêwa, Guinea Music All Stars, sortie le 24 mai, Foli Son Productions.

«Les jeunes font preuve de courage pour réaliser leurs rêves. Cela me donne de l’espoir.»

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JEUNES, OUI MAIS…

Un premier constat semble faire l’unanimité : le nouveau coronavirus se répand moins vite en Afrique qu’ailleurs. Dans un contexte où les plus grands virologues tâtonnent encore devant ce fléau tout nouveau, pas mal d’hypothèses sont déjà avancées : le virus n’aimerait pas la chaleur, l’épidémie aurait commencé plus tard sur le continent et les frontières auraient été fermées plus vite, les échanges entre l’Afrique et le reste de la planète seraient moins denses, ou encore les Africains seraient surentraînés aux infections en tout genre… Il y a sûrement un peu de vrai dans tout ça. On peut ajouter des raisons liées aux réalités sociales, comme le fait de ne pas consulter, de ne pas se faire tester et d’échapper aux statistiques officielles, peut-être un peu sous-évaluées. Mais la raison la plus probable, qui tient la route sur le plan scientifique, et presque mathématique, c’est notre courbe des âges : 62  % de la population a moins de 25 ans, avec un âge médian qui tourne autour de 19,5 ans. Excellente nouvelle… Le Covid-19 préfère s’attaquer mortellement aux « anciens », et la vitalité de la jeunesse africaine se présente comme un rempart salutaire. Sûrement, mais il faudrait quand même faire super attention. Parce que les moins de 30 ans sont clairement les moins prudents. Leur protection se résume souvent à un concours de frime avec des masques customisés, qu’ils arborent dans les lieux publics, les bars parfois restés ouverts, ou chez leurs potes, bien collés les uns aux autres, autour d’un plat africain commun ou d’un casier de bières.

Bref, les gestes barrière ne sont pas bien rentrés dans les mœurs, et ils continuent souvent de penser que c’est un virus qui vient d’ailleurs, qui ne les concerne pas, etc. Par ailleurs, selon pas mal de médecins locaux, l’état de santé général laisse souvent à désirer, et même les jeunes pourraient finalement être fragilisés face au Covid-19. Et pâtir, comme tous, d’une prise en charge qui deviendra de plus en plus compliquée au fur et à mesure que les cas augmenteront. Car même lentement, ils augmentent quand même régulièrement.

Enfin, chez nous, les gens âgés ne sont pas « parqués » dans des maisons de retraite comme ailleurs, où la contamination entre eux va bon train. Et tant mieux. Ils vivent dans les familles, mais justement, au contact… des enfants, des ados, de cette jeunesse peut-être « protégée », mais qui peut aussi contaminer les aînés. Pour toutes ces raisons, et surtout l’incertitude sur l’avenir, ce serait bien que les jeunes se responsabilisent un peu plus. Pour les autres, et pour eux. Afin que l’Afrique évite de sombrer dans la crise sanitaire mondiale du Covid. La gifle économique majeure qui en découle la touche déjà de plein fouet. C’est suffisant, non ? ■

AM vous a offert les premières pages de notre parution de Mai

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