AFRICA RADIO & GONDWANA CITY PRODUCTIONS présentent
UNE ÉMISSION PRÉSENTÉE PAR WILLY DUMBO DU LUNDI AU VENDREDI SUR : AFRICA RADIO
11H10 TU
N°401 FÉVRIER 2020
3 ÉDITO
Colonialisme sans fard par Zyad Limam
8 ON EN PARLE
C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN
Les Amazones déménagent !
22 CE QUE J’AI APPRIS
Manou Gallo par Astrid Krivian
25 C’EST COMMENT ?
Gourmandise coupable par Emmanuelle Pontié
34 PARCOURS
Aliou Diack par Fouzia Marouf
106 VINGT QUESTIONS À…
Habib Farroukh par Fouzia Marouf
P.26
TEMPS FORTS
26 Le mystère Kaïs Saïed par Frida Dahmani et Zyad Limam
36 Nos milliardaires par Jean-Michel Meyer, Cédric Gouverneur et Zyad Limam
56 Faure Gnassingbé en reconquête par Emmanuelle Pontié
62 Mahi Binebine : « Rendre justice à ces femmes libres, fortes et fragiles » par Astrid Krivian
70 Manèle Labidi et son divan tunisois par Astrid Krivian
76 Elie Kuame : « En Côte d’Ivoire, nous avons l’habitude de marier les in fluences » par Dounia Ben Mohamed
BUSINESS
82 Le Maroc cherche son nouveau modèle de développement par Jean-Michel Meyer
86 Samir Abdelkrim : « Les innovateurs africains réenchantent le numérique » par Astrid Krivian
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis ma i 2018. Une décision sans aucune justi fication. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode et du design
MUSIQUE
LES AMAZONES DEMENAGENT !
De gauche à droite, Fafa Ruffino, Mamani Keïta, Niariu et Kandy Guira.
La commissaire d’exposition sénégalaise
N’Goné Fall.
ÉVÉNEMENT
PLACE AUX FORCES VIVES
Dédiée aux 54 États du continent, la Saison Africa2020 donnera la parole aux leaders de demain et aux innovations.
SOUNDS
À écouter maintenant !
Deleyaman
Sentinel, TTO Records
On entend du doudouk, du cymbalum et du bouzouki dans le huitième album de Deleyaman, le groupe fondé par Aret Madilian. Avec des morceaux aussi poétiques qu’« Exil », «The Valley » ou « Slaves », le contemplatif Sentinel manie l’anglais autant que le français. Il témoigne surtout de l’aisance avec laquelle ces musiciens conjuguent la diversité de leurs influences, entre Orient et Occident.
Bai Kamara Jr. & The Voodoo Sniffers
Salone, M.I.G
MONTRER CE QUE L’AFRIQUE a à dire et à proposer. La montrer dans sa modernité. C’est l’ambition de la prochaine saison organisée par l’Institut français et initiée par Emmanuel Macron lors de son discours de Ouagadougou, en 2017 : « C’est en Afrique, continent central, global, incontournable […], que se jouera une partie du basculement du monde. » Africa2020 se déroulera sur tout le territoire français (métropole et territoires ultramarins) du 1er juin à mi-décembre 2020, avec plus d’une centaine de projets. « Une grande fête », selon les termes de la commissaire d’exposition, N’Goné Fall, bien décidée à faire bouger les lignes et les schémas traditionnels. Projet hors normes, avec une programmation artistique, musicale, technologique, économique, gastronomique, historique… Un kaléidoscope à la taille de l’Afrique, destiné à dépasser les clichés et les perceptions négatives, à venir toucher la réalité plus complexe et plus foisonnante du continent. Et comme le souligne Pierre Buhler, le président de l’Institut français : « On n’a jamais vu ça ! » En attendant, c’est le célèbre photographe Omar Victor Diop qui signe les visuels d’Africa2020 (ci-contre).
À vos agendas, et préparez-vous une année « afro » ! ■ Catherine Faye « SAISON AFRICA2020 » , France, du 1er juin à mi-décembre 2020. pro.institutfrancais.com/fr/offre/africa-2020
Fils d’un ambassadeur de la Sierra Leone en Belgique, Bai Kamara Jr. cultive ses racines africaines grâce à un blues d’une authenticité épatante. Avec Salone, il propose une quinzaine de titres aussi chics qu’entraînants (portés par ses efficaces Voodoo Sniffers), à la fois ouverts sur les traditions de ses ancêtres et sur l’héritage de John Lee Hooker et du Delta blues.
Ayo
Royal, 3ème Bureau/Wagram
C’est un retour aux sources folk option jazzy que nous offre la chanteuse avec Royal. À la production, le guitariste Freddy Koella (Bob Dylan, Willy Deville). Bientôt quadra, Ayo nous touche en plein cœur avec sa verve artistique affirmée et ses compositions, telles que « Rest Assured » ou « Beautiful », ainsi que des reprises de Maxime Le Forestier, Lhasa ou Abbey Lincoln. Superbe. ■ S.R.
DÉLICE
BONNE PÂTE
Dans la médina de Casablanca, une veuve et sa fille vont RÉAPPRENDRE À SOURIRE grâce à une future mère célibataire.
ABLA EST UNE VEUVE qui vend des gâteaux par la fenêtre de son échoppe. Derrière un visage fermé (implacable Lubna Azabal), elle cache son chagrin et élève strictement sa fille de 8 ans. Un jour, Samia, jeune femme célibataire enceinte et SDF, lui demande travail et hébergement… Pas de grands rebondissements à attendre, mais un film d’atmosphère qui capte notre attention par l’intensité du jeu des comédiennes, malgré un cadre assez étroit : on ne sort que très peu de cette sombre maison de la médina de Casablanca, qui finit pourtant par être chaleureuse et familière… et qui sent bon le miel et la fleur d’oranger ! C’est le premier long-métrage de Maryam Touzani, qui a coécrit et joué dans Razzia (2017), de son mari Nabil Ayouch, également producteur de ce film très maternel. ■ Jean-Marie Chazeau ADAM (Maroc), de Maryam Touzani. Avec Lubna Azabal, Nisrin Erradi, Douae Belkhaouda.
QUI CROIRE ?
DESTIN ÉLAN DE VIE
« J’ÉTAIS UNE FILLE autrefois, c’est fini. » Dès les premiers mots de ce récit saisissant, la lecture se fait haletante. On plonge dans le monologue de Maryam, la narratrice, comme au cœur des ténèbres, à l’aune du roman éponyme de Joseph Conrad. Un voyage furieux, éprouvant, celui d’une des lycéennes enlevées par le mouvement djihadiste insurrectionnel Boko Haram en 2014, et dont plus d’une centaine sont encore à ce jour portées disparues. Prix spécial du jury Femina 2019 pour couronner soixante ans de création littéraire, l’Irlandaise Edna O’Brien, à près de 90 ans, s’est glissée dans la peau de l’une de ces jeunes captives, après avoir effectué deux voyages au Nigeria pour y recueillir le témoignage de rescapées. Un roman porté par un souffle d’espoir. Une course effrénée. Pour sortir du cauchemar. Une fois de plus, l’écrivaine éprise de justice raconte le destin d’une jeune fille bravant l’obscurantisme.
À la conquête de sa liberté. ■ C.F. Edna O’Brien, Girl, Sabine Wespieser Éditeur, 256 pages, 21 €
EN TOUCHANT AUX CROYANCES RELIGIEUSES, le nouveau thriller de Netflix n’a peur de rien… Après une tempête de sable qui engloutit Daech aux portes de Damas, un prêcheur aux allures de Jésus entraîne des réfugiés musulmans jusqu’à la frontière israélienne. Quel est cet homme que la CIA et le Shin Beth surveillent de près ? Le mystère est entretenu sur 10 épisodes, qui touchent à des thèmes hautement sensibles et dans lesquels on parle aussi bien arabe qu’hébreu ou anglais. Ce nouveau messie est incarné par un acteur belge au charisme impressionnant : Mehdi Dehbi. ■ J.-M.C. MESSIAH (États-Unis), de Michael Petroni. Avec Mehdi Dehbi, Michelle Monaghan, Tomer Sisley.
Nisrin Erradi et Lubna Azabal.
CONTE
LE FILS MAUDIT
Une MÈRE porte par avance le deuil de son enfant, appelé à mourir le jour de ses 20 ans…
MIEUX QU’UNE NOUVELLE VARIATION sur l’opposition entre tradition et modernité dans l’Afrique d’aujourd’hui, ce film venu du Soudan (d’où les projets sont rares) a la force d’une parabole esthétiquement très réussie. Dans un village du centre désertique du pays, un chef religieux annonce à des parents que leur fils tout juste né mourra en atteignant l’âge de 20 ans. Assommé, le père part travailler à l’étranger, et la mère se retrouve à élever seule son enfant, rayant sur un mur sombre chaque jour qui la sépare de l’issue fatale. Le garçon grandit dans la soumission à Dieu, apprenant le Coran par cœur, tandis que sa mère, écrasée par la malédiction, porte déjà son deuil. À 19 ans, il croise un personnage désabusé qui l’encourage à s’émanciper pour vivre par lui-même. Y parviendrat-il ? Cette tension crée un certain suspense dans ce conte rural magnifiquement mis en image. ■ J.-M.C. TU MOURRAS À 20 ANS (Soudan), d’Amjad Abu Alala. Avec Mustafa Shehata, Islam Mubarak, Mahmoud Elsaraj.
QUÈTE D’IDENTITÉ
Les vivants et les morts
« UN JOUR de mai 1991, le 24, la mère de Constance avait disparu. Sept jours plus tard, le 31, c’était le père de Ruben, Jean-Martial, qui n’était plus là. » Constance et Ruben ont alors 9 ans. Ils habitent l’un en face de l’autre. Et sont inséparables. Leur monde bascule. Pour son troisième livre, Anne-Sophie Stefanini nous convie de nouveau en Afrique, à Yaoundé cette fois-ci, sur les traces de la mère de Constance, volatilisée il y a près de trente ans. Catherine, c’est le prénom du personnage central de chacun de ses romans, femme kaléidoscope, presque une ombre, qui
ROMAN
FLASH-BACK
ANNE-SOPHIE
STEFANINI, Cette inconnue, Gallimard, 216 pages, 18 €.
nous prend par la main et nous plonge avec elle dans les labyrinthes de l’histoire et de l’identité. Dans Cette inconnue, nous errons avec Constance et Ruben, devenus adultes, en quête de vérité et d’indices sur la disparition de leurs parents. La nuit camerounaise dévoile alors peu à peu l’âme d’un pays, la force et la fragilité du militantisme. Les mystères du lien aussi. ■ C.F.
POUR SES CLIENTS, elle s’appelle Tequila Leila. Enfin, elle s’appelait. Car cette jeune prostituée vient d’être brutalement assassinée dans une rue d’Istanbul, « qui est, qui a toujours été une ville féminine », précise en exergue de son dernier roman l’écrivaine turque et féministe engagée. Et ce n’est pas un hasard si elle cite ces quelques mots d’Albert Einstein avant de commencer son récit : « La distinction entre passé, présent et avenir n’a d’autre valeur que celle d’une illusion. » Car pour amorcer le retour sur la courte vie de son héroïne, Elif Shafak a imaginé qu’après la mort biologique, l’esprit fonctionnait encore quelques instants. Dix minutes et trente-huit secondes exactement. Juste le temps pour Tequila Leila de se remémorer ce qui lui a fait quitter l’Anatolie. Elle, une jeune fille de bonne famille, échouée dans les quartiers les plus malfamés de la capitale. Elle, une étoile filante. ■ C.F.
ELIF SHAFAK, 10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange, Flammarion, 400 pages, 22 €
DRAME
LA VIERGE DES MILLE COLLINES
Quarante ans avant le génocide, la vie d’un institut catholique de jeunes filles au Rwanda…
Une subtile adaptation du roman autobiographique de SCHOLASTIQUE MUKASONGA.
DANS UNE MONTAGNE proche de Kigali, non loin d’un institut catholique, une Vierge de Lourdes surplombe un petit torrent… De près, on peut voir que le visage et les mains de cette statue de Marie sont noirs. Une couche de peinture marron – une sorte de blackface postcolonial – a rendu cette incarnation de plâtre plus proche des jeunes filles appelées à constituer l’élite de la nation rwandaise. Mais pour certaines élèves, il faudrait aller plus loin et lui donner un « nez majoritaire », celui de l’ethnie hutu. Nous sommes en 1973, et c’est dans ce genre d’établissement que la romancière Scholastique Mukasonga a étudié, les Tutsis y étant admis grâce à des quotas… Une « tolérance » qui allait s’arrêter cette année-là, dans le sang. Le réalisateur franco-afghan Atiq Rahimi (qui avait révélé Golshifteh Farahani dans Syngué Sabour, en 2013) a choisi d’éclairer le quotidien de cet internat d’excellence avec une palette de couleurs et de lumières douces, abusant parfois de quelques ralentis
soulignant le mouvement des étoffes des uniformes. Mais c’est de cette atmosphère ouatée et ordonnée qu’émergent peu à peu les indices d’une détestation de la minorité tutsie. Les comédiennes qui incarnent les jeunes étudiantes sont bluffantes : non professionnelles, radieuses, elles nous font ressentir l’évolution de leurs personnages dans cet univers clos et pourtant perméable à la transmission de la haine. Parfois, les meilleures intentions contribuent au drame, comme ce personnage d’Européen (Pascal Gregorry), qui adule et survalorise l’ethnie tutsie, descendante des pharaons noirs. C’est l’une des clés du génocide à venir données par ce récit à la fois onirique et sobre, aux airs de tragédie antique, où la violence et le sacré se rejoignent pour le plus grand malheur des humains. ■ J.-M.C. NOTRE-DAME DU NIL (France-Belgique-Rwanda), d’Atiq Rahimi. Avec Santa Amanda Mugabekazi, Albina Sydney Kirenga, Angel Uwamahoro.
DOCU
La série raconte en trois épisodes cent cinquante ans de combat contre la domination.
LES SECRETS D’HISTOIRE DE KARIM MISKÉ
Le CINÉASTE ENGAGÉ ravive la mémoire et le passé colonial de l’Afrique à l’Asie.
IL A CHOISI de dire la complexité humaine, les questionnements qui l’assaillent dans le tumulte de l’Occident et de l’Afrique. Karim Miské, écrivain et documentariste, est fasciné par l’histoire des peuples depuis qu’on lui a offert, à ses 13 ans, Massacres coloniaux d’Yves Benot, qui marque son éveil politique. Né en 1964, à Abidjan, d’un père mauritanien diplomate, Ahmed Baba Miské, et d’une mère française assistante sociale, il confie : « Mes parents se sont rencontrés en Mauritanie lors de la libération. Mon père s’est battu pour l’indépendance du pays et a été emprisonné. » Il signe son premier roman, Arab jazz, en 2012, mêlant ses influences littéraires et son univers musical, puis enchaîne en 2014 avec N’appartenir. Aujourd’hui, il coréalise avec Marc Ball Décolonisations, série percutante (coproduite par RTS Sénégal et Arte France) de trois volets qui prend le contre-pied de l’histoire officielle des colonisateurs. Cette fresque inverse le regard pour raconter du point de vue des colonisés cent cinquante ans de combat contre la domination de l’Afrique à l’Asie. Une avant-première s’est tenue à Nouakchott le 29 décembre dernier. Et une prochaine projection aura lieu à Dakar fin février, car « c’est important de le présenter au Sénégal, qui a coproduit ce projet et a été colonisé, afin que tous les publics se l’approprient », précise Karim Miské.
Le premier épisode retrace l’apprentissage sous la résistance, de la révolte des Cipayes en 1857 à l’étonnante République du Rif, mise sur pied par Abdelkrim el-Khattabi. On suit les parcours poignants de l’anthropologue haïtien Anténor Firmin, de la militante kényane Mary Nyanjiru et du tirailleur sénégalais Lamine Senghor, devenu communiste et anticolonialiste. L’émotion est palpable dans le deuxième volet, qui aborde l’affrontement, avec l’écrivain algérien Kateb Yacine – son petit-neveu, l’acteur et cinéaste Reda Kateb, narre d’ailleurs la série – et le combat de la poétesse indienne Sarojini Naidu. Enfin, le dernier épisode s’étend des indépendances à l’ère de la post-colonie, de 1956 à 2013. « C’est un sujet politique délicat, mais j’ai eu une vraie liberté pour le traiter, et les partages des internautes fusent », précise le cinéaste. ■ Fouzia Marouf
DÉCOLONISATIONS, de Karim Miské, Marc Ball et Pierre Singaravélou Disponible sur arte.tv jusqu’au 5 mai. Un livre sortira aussi aux éditions du Seuil en octobre 2020.
FOLK
Bongeziwe Mabandla Hors frontières
Fort d’un son remarquablement confectionné, LE SUDAFRICAIN s’impose définitivement avec son troisième album, Iimini.
APRÈS AVOIR GRANDI À TSOLO, en Afrique du Sud, Bongeziwe Mabandla a suivi des cours de comédie à Johannesbourg, avant de se consacrer avec ferveur à la musique. Son nouveau-né, Iimini, a été annoncé avec le single « Jikeleza », sur lequel le xhosa s’allie à une mélodie éthérée et à une production ultra-contemporaine. La suite ne déçoit pas : le troisième album de l’artiste, qui travaille une nouvelle fois en collaboration avec le Mozambicain Tiago Correia-Paulo, brille par sa capacité à s’affranchir des frontières tout en honorant sa terre natale. S’ouvrant sur la douceur acoustique de « Mini Esadibana Ngayo », Iimini convoque également des beats plus synthétiques dans « Masiziyekelele ». Notre coup de cœur ? Un duo avec Sonlittle, « Ukwahlukana (#027)», entre organique et électronique. Évoquant la douleur et l’incompréhension suscitées par les ruptures amoureuses, ce nouvel opus est à la fois intime et universel. ■ S.R.
BONGEZIWE
MABANDA, Iimini, Universal
INTERVIEW
Patson :
« La base de tout développement, c’est la culture »
L’humoriste franco-ivoirien s’est fait connaître lors de la première saison du Jamel Comedy Club. Il vient de f inir de jouer Docteur Patson, rirothérapeute à Paris, et nous confie ses projets, ambitieux, pour mettre en valeur la r ichesse culturelle puisée dans ses racines.
Avec « yes papa c’est kdo », «on est ensemble » ou encore « jeu de jambes », Patson a popularisé des expressions de la rue ivoirienne dans le stand up français. De son vrai nom Patrice Kouassi, Patson, 45 ans, est né à Adiaké, dans le sud-est de la Côte d’Ivoire. L’humoriste, acteur, producteur, formateur et animateur de radio n’a pas de frontière. S’il a grandi en France, il est très attaché à ses racines africaines. Véritable touche-à-tout, il a par exemple enregistré, en 2007, le titre « C’est dans la joie » avec le rappeur Mokobé et est apparu au cinéma aux côtés de Christian Clavier dans Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu ? en 2018. AM : Vous venez de jouer à l’Apollo Théâtre, à Paris, et vous vous préparez désormais à la nouvelle édition du festival Afrique du rire, qui débute en février 2020. Patson : Oui, et j’en suis très heureux ! Nous serons en tournée au Maroc, au Sénégal, au Mali, mais aussi au Togo, au Bénin, et bien sûr en Côte d’Ivoire. Le festival est placé sous le haut patronage de sa majesté le roi du Maroc Mohammed VI. Il ne s’agit pas d’un simple plateau, mais d’un riche échange de 2 heures entre humoristes du continent. Nous allons lancer des castings auprès d’artistes débutants, les aider à monter sur scène avec nous. La jeunesse africaine a du talent et bouge, il faut la motiver et lui donner un coup de pouce.
Vous vous présentez comme une sorte de trait d’union entre la France et le continent.
J’ai eu la chance de grandir dans plusieurs cultures. J’ai des parents adoptifs blancs, des Français. Grâce à eux, j’ai pu avoir une éducation. Mais j’ai avant tout ma culture africaine, tout ce que mes ancêtres m’ont apporté. À travers mes filles à moitié marocaines, je connais bien la culture maghrébine… J’ai tout cela en moi, je mélange tout. Cela se ressent dans mon écriture, je prends des mots de l’argot, de la rue, que je mélange avec de vielles expressions françaises… Justement, comment définir le style Patson ?
Au début, on me traitait de « blédard » car je joue avec l’accent – que je n’ai pas du tout en réalité. On me renvoyait à mes origines, comme si je débarquais, alors que j’ai grandi en France. Comme si cette culture africaine était totalement étrangère. Aujourd’hui, l’afro trap par exemple est devenu incontournable dans la culture populaire française. Et c’est logique ! C’est le métissage qui s’impose. Avec l’humour, on raconte l’évolution de la société. Je prends cela très au sérieux. Dans mon spectacle, je jouais un rirothérapeute, un docteur qui veut soigner à travers le rire. Et j’y crois fortement ! Pour cela, j’étudie les neurosciences, la sociologie… On aurait pu vous définir comme un artiste « communautaire », mais c’est tout le contraire.
Pour draguer mon public, j’ai commencé par ma communauté ivoirienne et africaine, car c’est ma base, ma force, mon soubassement. Après, j’ai ouvert sur les autres communautés, les Maghrébins, les Antillais… Et avec le film Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu ?, j’ai pu toucher un public plus large. Dans tout ce que je fais, je veux garder mon style. Cette culture africaine est ma signature. Je pars bientôt aux États-Unis pour apprendre l’anglais. Mon spectacle est d’ailleurs déjà traduit. Je suis très bien en France, mais je cherche à enrichir mon style déjà métissé pour toucher les Africains anglophones.
Vous vous rendez souvent en Côte d’Ivoire, comment voyez-vous le pays évoluer ?
Je veux que l’on avance dans la fraternité, que tout le monde pose la balle à terre et que l’on fasse grandir le pays. De l’extérieur, on juge mal la Côte d’Ivoire. C’est l’un des rares territoires aussi métissés : il y a des Libanais, des Marocains, des Tunisiens, des Béninois, des Togolais, des Congolais… Dans ma propre famille, il y a des musulmans, des catholiques, des bouddhistes, des athées, des juifs, des Européens, des Asiatiques… Nous sommes tellement mélangés que l’on est obligés de vivre ensemble. Il faut que le continent avance comme cela. Je sais que c’est ce qu’il va se passer. ■ Propos recueillis par Mérième Alaoui
Le musée des Civilisations noires a accueilli cette nouvelle étape.
Les Amants du fort de Romainville du Congolais
Freddy Tsimba, 2018.
Des pièces de l’école de Dakar.
COULISSES
Prête-moi ton rêve
L’exposition panafricaine itinérante a poursuivi sa route à Dakar.
APRÈS AVOIR RÉUNI des artistes africains en résidence à Casablanca, au Maroc, en juin dernier, l’exposition événement a fait une première halte parmi les six prévues : Dakar. Elle était accueillie du 6 décembre 2019 au 28 janvier 2020 par le musée des Civilisations noires (MCN), qui vient de fêter son premier anniversaire : l’endroit, monumental avec ses 14 000 m2 de superficie, exposait 33 artistes contemporains cotés à l’international mais dont l’art est souvent méconnu sur le continent. Pour Hamady Bocoum, le directeur du MCN, « le Maroc s’est approché du sud, et la mission du musée est d’attirer tous les publics en les amenant à la critique et à la réflexion ». Le vernissage a fédéré la profession, les collectionneurs et des scolaires, qui ont pu approcher les pièces majeures de l’école de Dakar (1965-1985) – renouveau artistique né à l’aube de l’indépendance – et de William Kentridge, Soly Cissé, Barthélémy Toguo, Abdoulaye Konaté, Freddy Tsimba, Jems Koko Bi, Brahim El Anatsui ou encore Angèle Etoundi Essamba. Les séries conceptuelles en noir et blanc de cette photographe camerounaise mettent en lumière les femmes noires, à la manière des peintres flamands.
De gauche à droite, le secrétaire général de la FDCCA Fihr Kettani, le ministre de la Culture
Abdoulaye Diop et le plasticien malien Abdoulaye Konaté.
« Notre but est de rapprocher l’art africain de son premier public et de donner corps à sa mémoire », précisait Yacouba Konaté, commissaire général ivoirien de l’exposition. Selon Fihr Kettani, secrétaire général de la Fondation pour le développement de la culture africaine contemporaine (FDCCA), organisatrice de l’événement : « L’un des objectifs de ce projet est de sensibiliser la jeunesse aux œuvres du continent. C’est une vraie reconnaissance, qui nous motive à poursuivre nos efforts. »
Le collectionneur suisse David Brolliet, lui, a prêté Nada (2016), une vidéo de l’artiste marocain Mounir Fatmi : « “Prête-moi ton rêve” pose un acte historique en donnant à voir l’art africain sur le continent hors du circuit européen, où celui-ci est en vogue. Et cela correspond à ma philosophie : la vidéo de Fatmi jouxte celle de Kentridge. » Cette déambulation pluridisciplinaire a suscité l’engouement des acteurs locaux. Olivia Marsaud, responsable de la galerie dakaroise Le Manège, indiquait : « On a besoin de ce beau projet panafricain qui incarne un panorama des grandes œuvres au sein de cet incroyable espace muséal ouvert à tous. »
Quant à Océane Harati, directrice de Oh Gallery, elle considère que l’art est un soft power : « Je salue un tel projet. Le marché sénégalais est particulier, les galeries pionnières ont lancé des artistes avec peu de clients. Or, notre art doit être valorisé en Afrique afin que les collectionneurs locaux s’adressent directement à nous. »
La vitalité de la jeune scène du pays a été confiée à Malick Ndiaye, historien d’art et commissaire de l’exposition carte blanche « Fent Bokk » (« créer en partage », en wolof), qui avait réuni au musée Théodore Monod une sélection d’artistes, dont Alun Be, Aliou Diack et Kiné Aw. La troisième étape de « Prête-moi ton rêve » aura lieu à Abidjan, en Côte d’Ivoire, du 12 mars au 19 avril 2020, pour une nouvelle mise en place. ■ F.M. pretemoitonreve.com
, d’Angèle Etoundi Essamba, 2019.
De gauche à droite : Fihr Kettani, Gérard Sénac (PDG d’Eiffage Sénégal), Yacouba Konaté (commissaire général), Abdoulaye Diop (ministre de la Culture), Taleh Berrada (ambassadeur du Maroc au Sénégal), Ismail Azennar (SG adjoint de la FDCCA), Mohamed Chaoui (galeriste), Alioune Badiane (DGA d’Eiffage Sénégal), Hamady Bocoum (directeur du MCN), Siriki Ky (sculpteur burkinabé) et Abdoulaye Konaté.
Cocon
Malick Ndiaye, commissaire de l’exposition carte blanche « Fent Bokk », et la Camerounaise Angèle Etoundi Essamba.
« Beaucoup pensent que je suis américaine, mais ma musique africainesonne . »
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PAR EMMANUELLE PONTIÉ
GOURMANDISE COUPABLE
Tout le monde le subit, mais personne ne s’en émeut vraiment. Le phénomène s’est banalisé depuis des années. Les circuits de paiement en Afrique, publics en tête, sont de plus en plus longs, complexes, retardés par des tracasseries administratives et une foire orchestrée aux justificatifs et autres blancs-seings. L’idée, officiellement, c’est de sécuriser l’argent de l’État, d’éviter les détournements et les mains baladeuses dans les caisses. Très bien, et bravo pour le souci de moralisation du système…
Mais la multiplication des étapes et des interventions sur les dossiers génère une hausse des opportunités de bakchich pour faire avancer la chaîne. Chaque petit fonctionnaire dépositaire d’un tampon magique est tenté de le monnayer. Et les sociétés, étranglées par des retards abyssaux… monnayent. On prévoit d’ailleurs le truc avant même que la facture ne soit établie. On sait d’avance que l’on va passer à la moulinette. Et l’augmentation des vérifications d’origine des fonds et de leur circulation, à la suite des montées des terrorismes dans le monde, retarde un peu plus le Schmilblick, engraissant encore plus de monde et étranglant encore plus de petites sociétés qui réalisent des marchés sur place. Même les banques et le privé, donc, s’y mettent. Envoyez un virement en Afrique, et votre débiteur le recevra parfois sur son compte une semaine plus tard, après avoir dû justifier de l’origine des fonds en répondant à des demandes de preuves de plus en plus compliquées, voire surréalistes. Bref, complexifier les circuits à outrance arrange beaucoup de monde, arrondit les fins de mois de pas mal de gens. Mais d’un point de vue plus global, ces blocages exponentiels creusent la dette intérieure, forcent des centaines de petites sociétés à baisser le rideau quand elles comprennent, au bout d’années entières, que le Trésor a enterré définitivement leurs factures (parfois pour le rerouter sur un autre compte). Nous savons que les salaires de la fonction publique sont bas, insuffisants pour nourrir une famille. Nous savons aussi que le flou savamment organisé bénéficie bien sûr aux ponctions encore plus gourmandes, plus « haut placées ». Mais si les appétits, à tous les niveaux, continuent de grandir à cette vitesse, du plus haut au plus bas de l’échelle sociale, nos pays se dessinent un avenir bien compromis, avec une économie vouée à l’enlisement. C’est mathématique… et vraiment dommage pour les générations futures. Il faudrait peut-être y penser sérieusement, et voir un peu plus loin que son petit intérêt perso immédiat. ■