

JaneAlexander
OluAmoda
ElAnatsui
MahiBineBine
ZoulikhaBouabdelah
MeriemBouderbala SolyCissé ViyéDiba
AdelElSiwi
WilliamKentridge
JemsKokoBi
AbdoulayeKonaté
BillKouelany SirikiKy
MohamedMelehi
VitshoisMwilambweBondo
NennaOkoré
MohammedOmarKhalil
YazidOulab
ChériSamba
KofiSétordji
JosephSumégné
FathiyaTahiri
BarthélémyToguo
FreddyTsimba
Commissaire
Commissaire
OuattaraWatts
FatihaZemmouri
DominiqueZinkpé
D’autant plus que la situation n’est pas aussi désespérée qu’il n’y paraît. On ne part pas de rien. Il y a un socle sur lequel s’appuyer, qui témoigne de l’ampleur des efforts entrepris depuis les indépendances. On oublie bien souvent l’état dans lequel la colonisation a laissé les territoires nouvellement indépendants. Idéologiquement et politiquement, l’école était tenue par « les Blancs », et il a fallu dans la plupart des pays créer de toutes pièces une « éducation nationale ». En réalité, aujourd’hui, jamais autant de personnes n’ont su lire et écrire. Le taux d’analphabétisme moyen du continent se situe autour de 15 % – avec de fortes disparités néanmoins, en particulier en Afrique de l’Ouest où le retard est important. Malgré le choc démographique, les pays d’Afrique subsaharienne ont globalement doublé leur capacité d’accueil entre 1999 et 2015. L’accès à l’éducation de base n’est plus un privilège. Les études montrent enfin et surtout que l’Afrique subsaharienne est la région du monde où les rendements de l’éducation est le plus important, le plus mesurable. Chaque année d’enseignement supplémentaire génère des gains financiers nets, des avantages mesurables pour les ménages. L’impact est particulièrement important pour les filles et les étudiants de l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, les familles ont conscience de l’importance stratégique de l’école. En prenant la longue-vue de l’histoire et du temps, ces progrès sont quasi révolutionnaires.
Mais le système reste formidablement sous tension et a besoin de réformes de fond. Le continent progresse vite, mais la démographie rend la bataille particulièrement rude. L’Afrique (en particulier subsaharienne) a encore les taux les plus élevés d’exclusion. Plus d’un cinquième des enfants âgés d’environ 6 à 11 ans ne sont pas scolarisés, suivi par un tiers des enfants d’environ 12 à 14 ans. Près de 60 % des jeunes d’environ 15 à 17 ans sont en dehors du système. Dans cette bataille, les filles sont les principales victimes. Elles sont moins scolarisées, quittent l’école plus souvent que les garçons. Leur intégration beaucoup plus active dans l’école et les études est une urgence continentale. Leur scolarisation est une arme magique pour contrôler la natalité, augmenter les revenus (plus tard) des jeunes couples, consolider les classes moyennes, promouvoir l’égalité de genres dans une société. La formation des maîtres et des enseignants est un autre dossier brûlant. Aujourd’hui, près de la moitié
Ci-contre, une salle de classe au Kenya.
Ci-dessous, lors de Wise 2019, la table ronde d’Afrique Magazine sur l’éducation, avec Graça Machel Mandela et Aïcha Bah Diallo.
des enfants qui sont scolarisés n’auront pas un niveau suffisamment fonctionnel en lecture, écriture et calcul à la sortie. Et par ailleurs, tout en formant mieux les enseignants, en assurant des rémunérations dignes de ce nom, attractives aussi pour aller travailler parfois loin des centres-villes, il faudra recruter. Massivement. On parle de 10 à 15 millions de postes à créer dans les années à venir pour suivre la courbe démographique… Cela étant dit, une fois que l’on a posé la question de l’éducation
de base se pose l’autre versant de l’histoire. L’éducation supérieure est restée le parent pauvre des politiques publiques. Aujourd’hui, 8 à 10 % des jeunes en âge (selon les régions) accèdent à l’éducation tertiaire. La plus faible performance de la planète : manque de budgets, fuite des cerveaux, faiblesse du cursus, rareté des bourses…
L’Afrique fait face à une double urgence. Il lui faut à la fois garantir l’accès universel à l’éducation de base, promouvoir le socle. Tout en rattrapant son retard dans le supérieur, là ou se forment les cadres dont le continent a et aura besoin pour assurer son émergence, là où l’on peut s’accrocher aux révolutions technologiques et digitales qui transforment les modes de produc-
tion et l’économie. Bref, absorber d’un côté des centaines de millions d’enfants. Former de l’autre des dizaines de millions de jeunes. Et plus encore si possible. Les deux étant prioritaires… Cette double mission est impérative sur le plan de l’émergence. Nous la devons à nos enfants, aux générations qui viennent. Partenariat public-privé, utilisation des nouvelles technologies, adaptation de l’école à son milieu naturel, révolution des méthodes et des process, tout est possible. Les pistes sont nombreuses pour relever le gant. Mais pour que cela marche, pour que cela avance, il faut d’abord que la question de l’éducation sorte du tiroir des équilibres budgétaires, pour se retrouver là où elle doit être, au centre du débat politique et sociétal. ■
3 ÉDITO
La bataille de l’éducation par Zyad Limam
8 ON EN PARLE
C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN
L’art du chaos
22 PARCOURS
Lassana Igo Diarra par Fouzia Marouf
25 C’EST COMMENT ?
Dring ! C’est 2020 ! par Emmanuelle Pontié
70 CE QUE J’AI APPRIS
Bintou Dembélé par Astrid Krivian
130 VINGT QUESTIONS À…
Dope Saint Jude par Astrid Krivian
TEMPS FORTS
26 COVER STORY
LES AFROCONQUÉRANTS Ils sont partis d’Afrique pour investir le monde par la rédaction
72 Lula : Pour l’âme du Brésil par Cédric Gouverneur
80 Casablanca version new ! par Julie Chaudier
88 Zainab Fasiki : « J’ai voulu me dessiner comme une résistante » par Fouzia Marouf
P.72 P.8
94 Kamel Ouali : « Je dois tout à la danse » par Astrid Krivian
100 Portfolio : Au nom de la mère… et des femmes de pouvoir par Emmanuelle Pontié
106 Après le franc CFA, vive l’eco ? par Jean-Michel Meyer
112 Erick Yong : « Il est nécessaire de concevoir de nouveaux modèles » par Cédric Gouverneur
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
Niger : L’effet Issoufou par Cherif Ouazani
54 Un miracle au Sahel ?
58 Le pari nucléaire
60 Comment vaincre le péril djihadiste
62 Niamey, la mue
66 De la mine à l’or noir
68 Décryptage : Indices de richesse
120 MADE IN AFRICA
PARTEZ EN VOYAGE, PRENEZ VOTRE TEMPS Au Botswana, l’aventure Chobe
VIVRE MIEUX
126 Ces nouvelles technologies qui révolutionnent la médecine
127 Le sommeil, c’est la vie !
128 Que manger avec du diabète ?
129 Changements de saison : Les impacts sur notre corps par Annick Beaucousin et Julie Gilles
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DOCU
À KINSHASA, plasticiens et performeurs surgissent sans prévenir AU COIN DES RUES. Un film a capté leurs éclats les plus vibrants.
DIX ANS APRÈS le triomphe de musiciens en fauteuils roulants (Benda Bilili !), le cinéaste et photographe français Renaud Barret révèle une autre scène artistique hallucinée au cœur de Kinshasa. Avec ses machettes soudées entre elles, Freddy Tsimba crée une maison. Béni Baras vit dans la rue et transforme ce qu’il y trouve en œuvres d’art. Kongo Astronaut se fabrique des combinaisons spatiales avec les rebuts de matières premières pillées en RDC. Géraldine Tobe apprivoise la fumée noire des lampes à pétrole pour créer des tableaux. D’autres utilisent leur corps : Yas Ilunga se laisse recouvrir de cire brûlante de cierges pour dénoncer l’emprise des églises évangéliques, Strombo Kayumba se transforme en magnifique diable cornu bien plus fréquentable que les démons qui agitent son pays, Flory et Junior s’habillent de câbles et d’interrupteurs que la foule des enfants s’amuse à actionner, dans cette mégalopole soumise aux coupures d’électricité. Et Majestik s’immerge dans une baignoire qui se remplit de sang, allusion aux massacres perpétrés dans l’Est. Le tout rythmé par de l’électro jouée par le collectif Kokoko ! sur des objets de récupération. Dans cette ville saturée de couleurs et de bruits, ces artistes existent encore plus fort. Mais ils sont d’abord les porte-parole d’une colère transfigurée. ■ Jean-Marie Chazeau
SYSTÈME K (France), documentaire de Renaud Barret.
Freddy Tsimba soude des matériaux de récupération pour en faire des œuvres monumentales.
EXPO
L’IMA convie à une plongée spectaculaire dans la vallée d’Al-Ula, en Arabie saoudite, l’une des plus importantes régions archéologiques au monde.
PORTÉE PAR DES VIDÉOS inédites de Yann Arthus-Bertrand, cette exposition à l’Institut du monde arabe a un triple objectif. Si elle vise à mettre en valeur une région à l’histoire millénaire, c’est aussi pour y développer le tourisme – en facilitant notamment la délivrance de visa aux ressortissants de 49 pays –et pour consolider les relations franco-saoudiennes. Situé dans la province de Médine, au nord-ouest du pays, Al-Ula est un lieu au patrimoine naturel et humain exceptionnel : paysages à couper le souffle,
vestiges couvrant 7 000 ans d’histoire (du Paléolithique inférieur à nos jours), mythique voie de chemin de fer du Hijâz immortalisée par Lawrence d’Arabie, bibliothèque à ciel ouvert présentant des traces écrites laissées par les populations antiques, de l’araméen à l’arabe, en passant par le dadanite, le grec ou le romain… Une région exceptionnelle pour une exposition captivante ! ■ C.F. « AL-ULA, MERVEILLE D’ARABIE : L’OASIS AUX 7 000 ANS
D’HISTOIRE », Institut du monde arabe, Paris (France), jusqu’au 19 janvier 2020. imarabe.org/fr
Des pièces uniques ou en petite série qui s’exposent.
COMMERCIALISÉES DEPUIS TROIS ANS, les pièces de la Camerounaise Édith Tialeu ont déjà leur place au musée : elle a créé une collection inspirée des calebasses pour l’exposition du Quai Branly, à Paris, qui célèbre ses 20 ans jusqu’au 26 janvier 2020. Elle y reprend les motifs et les couleurs du nord du Cameroun, alliant tradition africaine et art contemporain. Une approche que l’on retrouve dans ses beaux textiles et que l’on verra bientôt dans du mobilier. Mais aujourd’hui,
l’heure est à la céramique. Ses dernières collections ont été façonnées et décorées à la main par une dizaine d’artisanes, à partir de ses dessins et de l’argile qu’elle a personnellement choisie. « Mali Vibes » est né d’un travail sur Tombouctou et ses couleurs chatoyantes, comme le bleu indigo et le jaune moutarde, et réinterprète les codes du bogolan. « Unik », aux formes plus généreuses, mélange les influences avec un clin d’œil à l’Afrique du Sud. frida-54.com ■ Luisa Nannipieri
Trois jours de scènes musicales pour explorer les univers de ROKIA TRAORÉ.
SELON LA GRANDE ARTISTE MALIENNE, les griots sont la source de l’histoire. Très influencée par Billie Holiday, la musicienne-conteuse, porte-parole du continent et artiste engagée se distingue par un vibrato et un style artistique bien à elle. Dans le cadre d’un programme dédié à l’Afrique qui s’étend jusqu’en mai 2020, la Philharmonie de Paris met à l’honneur cette passeuse durant trois jours. Le premier soir, c’est à un périple imaginaire, au cœur de l’épopée mandingue, qu’elle nous convie, accompagnée de la kora de Ballaké Sissoko, du balafon de Massa Joël Diara, ou encore du violoncelle de Vincent Ségal. Cap ensuite sur Dream Mandé Djata : elle y rendra un vibrant hommage à l’art multiséculaire des griots d’Afrique de l’Ouest, dans le cadre de sa Fondation Passerelle à Bamako, destinée à aider la jeune création musicale et artistique. Enfin, elle reprendra les compositions de son dernier album dans un troisième rendez-vous musical, Né So. Un retour au blues rock mandingue, qui fait sa réputation scénique. Et un appel à une prise de conscience sur la condition humaine. Et l’exil. ■ C.F.
« WEEK-END ROKIA TRAORÉ », Philharmonie de Paris (France), du 4 au 6 janvier 2020. philharmoniedeparis.fr
Les tribulations DRÔLES ET MÉLANCOLIQUES d’un cinéaste reconnu de Nazareth à New York, en passant par Paris.
UN MATIN, ELIA SULEIMAN, dans son propre rôle, surprend dans son jardin de Nazareth, en Israël, un voisin dans son citronnier en train de lui chaparder ses fruits… et qui continue comme si de rien n’était. Dans la rue, le cinéaste palestinien croise une bande armée de gourdins… qui ne court après personne. Bienvenue dans un pays de tension et aux situations absurdes. Le réalisateur, qui promène dans ses films son faux air de Buster Keaton, impassible et sans sourire, se rend à Paris à la recherche de financements pour son nouveau film. « Pas assez palestinien », lui répond un producteur français. Pourtant, le monde semble aussi irrationnel en bord de Seine que dans son Proche-Orient : quelques policiers forment un étonnant ballet sur monoroue à la poursuite d’un voleur, et des chars défilent devant la Banque de France dans un Paris désert. Une ville sans voitures et avec très peu de passants, c’est donc l’occasion de superbes scènes qui
feront rêver plus d’un touriste (et d’un Parisien), seul au monde dans un décor de carte postale. Sa recherche de producteur le mènera à New York, où cette fois l’aberration se situe au détour d’un rayon de supermarché, quand il constate que tout le monde est armé, revolver à la ceinture ou arme de guerre en bandoulière ! Lorsqu’il croise à Manhattan quelques compatriotes exilés, on sent la nostalgie d’un pays qui n’existe toujours pas, avec cette belle réplique qui lui est lancée au comptoir d’un bar : « En général, les Arabes boivent pour oublier, mais vous, les Palestiniens, c’est pour vous souvenir ! » Ce voyage est également un plaisir esthétique grâce à une réalisation aux cadrages impeccables, qui nous partage au mieux cette mélancolie mâtinée d’un humour décalé réjouissant. ■ J.-M.C. IT MUST BE HEAVEN (France, Qatar, Allemagne, Canada, Turquie, Palestine), d’Elia Suleiman. Avec lui-même, Kareem Ghneim, Gael García Bernal.
L’EX-GARDE DES SCEAUX livre des fragments de vie. Au fil de ses nuits.
CHRISTIANE TAUBIRA, Nuit d’épine, Plon, 250 pages, 16,90 €.
L’ÉPINE… c’est la nuit où elle a perdu sa mère. Une nuit déterminante pour celle qui a toujours eu le sommeil léger. Elle a 16 ans. À partir de là, elle a cessé de penser à elle-même. Et depuis, elle est en paix. « La nuit permet tout ! Toutes les audaces, toutes les images, toutes les noces sémantiques, imaginaires, lyriques », écrit l’ancienne ministre de la Justice, née à Cayenne en 1952. Auteure de nombreux ouvrages, Christiane Taubira décrit dans un récit poignant, où s’entremêlent confidences, événements politiques et méditations poétiques, les nuits qui ont marqué son existence. Sélectionnée pour le Grand prix du roman de l’Académie française, elle y raconte son amour des heures tardives et revient sur certains moments décisifs de sa vie. On se promène dans sa belle écriture, colorée, habitée, comme dans un jardin à l’anglaise, picorant ici ou là ses souvenirs d’enfance, ses univers musicaux, littéraires ou oniriques. Les grandes causes pour lesquelles elle s’est battue aussi. « La nuit, c’est le temps des serments inviolables, d’aveux rédempteurs, de déchiffrement des augures limpides ou énigmatiques », confesse encore celle que l’on honore ou que l’on déteste, c’est selon. Femme politique au caractère bien trempé, elle est à l’origine de la loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité et a porté le projet de loi légalisant le mariage homosexuel en 2013. « Aucun citoyen n’a la moindre prérogative sur la liberté de l’autre », affirme-t-elle à qui veut l’entendre. Électron libre, férue de littérature et de jazz, elle s’érige contre toutes les violences, d’une voix ferme et mélodieuse. Très tôt, les livres l’ont sauvée, confie cette passagère de la nuit. Si elle place dans son panthéon personnel Aimé Césaire, Nina Simone ou encore Pablo Neruda, c’est « l’intranquillité » de Fernando Pessoa qui est devenue sa philosophie de vie. Pour ne jamais succomber à l’indifférence. ■ C.F. e p a É d v T p p S « e j ja
POUR LA PREMIÈRE FOIS depuis sa création, en 2014, le prix LVMH pour les jeunes créateurs de mode a été décerné à un designer africain. Son nom est Thebe Magugu : à 26 ans, il est originaire de Kimberley, en Afrique du Sud, où il vit et travaille. S’intéressant au dessin depuis tout petit, il lance en 2015 une marque de prêt-à-porter féminin à son nom, aujourd’hui basée à Johannesbourg.
C’est dans cette ville que Thebe Magugu a étudié le design, la mode et la photographie à la LISOF School of Fashion, l’une des meilleures écoles africaines de ce secteur.
La collection qui a ensorcelé le jury, composé des directeurs artistiques des marques du groupe LVMH – de Maria Grazia Chiuri (Dior) à Nicolas Ghesquière (Louis Vuitton), en passant par Clare Waight Keller (Givenchy) et Marc Jacobs –, s’appelle « Prosopography » et s’inspire du mouvement des Black Sash, un groupe de femmes résistantes qui, à partir de 1955, luttait contre le régime de l’apartheid. L’héritage historico-culturel africain inspire d’une manière générale la marque, qui habille des femmes dynamiques, modernes et classiques à la fois, avec des silhouettes constituées de plusieurs matières. Deux autres lignes signées en 2018 par le créateur, « Home Economics » et « Gender Studies » (respectivement « arts ménagers » et « études de genre »), exploraient la thématique de la force
Le lauréat du prix LVMH entouré de l’ambassadrice de la marque Alicia Vikander (à gauche), et de Delphine Arnault (à droite).
féminine. Le designer apporte également une touche technologique : une micropuce, intégrée dans tous les vêtements, permet d’envoyer directement aux clients via leurs smartphones des informations détaillées sur l’origine des matières, la façon dont ils ont été fabriqués, ainsi que sur les personnes qui ont travaillé dessus et les recherches menées pour les réaliser. Les pièces made in South Africa de Thebe Magugu, qu’il s’agisse de vestes fonctionnelles ou bien d’ensembles complexes, se veulent ainsi une ode aux femmes, un hommage à leur capacité d’être en même temps résiliente et vulnérable. thebemagugu.com ■ L.N.
a imposé sa vision de la culture sur le continent. Nommé délégué général des Rencontres de la photographie en janvier 2019, le fondateur de la galerie Médina incarne une nouvelle Afrique. par Fouzia Marouf
egard droit, chapeau cubain vissé sur la tête et sourire en bannière, Lassana Igo Diarra donne l’image d’un homme satisfait. Bamako… Abidjan… Les noms évocateurs de ces métropoles africaines éveillent des souvenirs heureux à sa mémoire. Né dans la capitale malienne en 1968, il arrive en Côte d’Ivoire en 1974 : « C’était une belle période. J’ai eu la chance de faire partie d’un milieu privilégié, j’étais au lycée international Jean Mermoz, à Abidjan. Très tôt, j’ai été animé par une conscience militante », se souvient-il. Son père est alors essayiste et fonctionnaire à la Banque africaine de développement. En 1985, la famille retourne vivre au Mali. C’est l’avènement des radios libres, et Lassana Igo Diarra, du haut de ses 17 ans, lance à Bamako l’émission ragga-rock Connais-tu mon beau pays ?, qui se déverse chaque semaine dans le flot ininterrompu des ondes : « J’ai fait de la radio durant dix ans, c’était un bon prétexte pour animer des forums passionnants avec la jeunesse. J’avais à cœur d’aborder la vie culturelle d’Afrique subsaharienne », souligne-t-il.
Ambitieux, à l’affût de nouveaux défis, il crée en 1998 Polaris Vibes, une agence de production qui lui permet d’allier sa passion pour la musique et la littérature : « J’étais fasciné par le bon son et la poésie. J’ai lancé un fanzine destiné aux femmes et aux jeunes afin de les sensibiliser à la lecture, car lire est primordial. J’ai été profondément marqué par Amadou Hampâté Bâ, Seydou Badian, Aimé Césaire. La transmission du savoir est fondamentale pour l’éducation et la jeunesse, force de notre société », confie-t-il. Depuis 2001, il conçoit des projets innovants pour les Rencontres africaines de la photographie. Curieux, touche-à-tout, Lassana Igo Diarra s’ouvre au neuvième art en 2003 en lançant les éditions Balani’s, dans le but de produire des bandes dessinées et des ouvrages destinés à la jeunesse. La première réalisation est un conte présenté avec une cassette audio, Les Jumeaux à la recherche de leur père, suivi, en 2006, de La Princesse capricieuse Nommé en 2009 au poste de secrétaire régional Afrique de l’Ouest pour Arterial Network (réseau d’artistes, de chercheurs et d’opérateurs culturels), il fonde Médina, un centre culturel transformé en galerie accueillant des expositions et des cafés littéraires. S’il avoue avoir découvert le panafricanisme par la musique, cet activiste culturel lâche sans ambages : « La musique est un médium accessible à tous, l’art doit se décloisonner ! » Une belle perspective doublée d’une urgence qu’il s’attache à mettre en œuvre dans ses nouvelles fonctions de délégué général de la Biennale de la photographie de Bamako, dont la 12e édition a débuté le 30 novembre et se tiendra jusqu’au 31 janvier 2020. Lassana Igo Diarra insiste sur le fait qu’il est un acteur issu du secteur privé et qu’il a déjà triplé le nombre d’espaces publics qui accueilleront des concerts et des expositions durant la biennale, afin de toucher ses concitoyens grâce au pouvoir de l’image. ■
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PAR EMMANUELLE PONTIÉ
2020. Déjà… On entre dans la deuxième décennie du XXIe siècle… Après les agapes et les festivités de fin d’année (que l’on vous souhaite gaies et douces), il va falloir faire face aux défis d’une nouvelle ère. Avec l’étrange impression qu’ils vont grandissant pour notre continent. Peut-être parce que pas mal d’ambitions, à maintes reprises affichées, n’ont pas encore été réalisées. Peut-être parce que certains fléaux, plusieurs fois épinglés, n’ont pas été éradiqués. Et surtout, parce que le développement, globalement, n’est toujours pas au rendez-vous. La résolution des conflits ou le combat contre la montée des islamismes ? La mise en place pérenne des infrastructures de base, l’accès à l’éducation, à l’eau potable, à l’électricité, à l’emploi ? La redistribution des richesses ou la transformation des matières premières ? Des centaines d’acteurs au développement s’activent, des programmes, des politiques diverses, des projets sont mis en route… Pour un résultat qui se fait encore attendre dans la plupart des pays.
Les manifestations de ras-le-bol se multiplient contre des pouvoirs en place souvent déliquescents, aux méthodes d’un autre âge, contre des systèmes gangrenés par la corruption. Sans effet. On ne peut que s’interroger sur la lenteur des prises de conscience au sujet d’une démographie galopante, que rien n’enrayera, et des besoins croissants qu’elle engendre d’année en année. Ces populations jeunes, qu’il faudra former, nourrir, loger devraient urgemment doper les esprits des puissances actuelles, toujours recroquevillées sur des modèles d’hier. Elles sont mondialisées, surfent sur le Net, voient ce qu’il se passe ailleurs, comparent leurs conditions. Aucune nation africaine n’avancera, ne se développera sans les prendre en compte. Tout le monde le dit, le voit, le sait, mais… concrètement, rien ne bouge vraiment. Étonnant immobilisme sur ce défi, comme sur d’autres. Plusieurs études sur le réchauffement climatique montrent que le continent africain devrait enregistrer des températures de plus en plus record dans les décennies prochaines – même si le continent n’est pas le premier pollueur, loin de là. Ce qui engendrera à coup sûr d’énormes soucis liés à l’agriculture, donc à la nourriture des générations futures. Un climat insupportable, des terres grillées donneront lieu à une nouvelle émigration, climatique cette fois… Tout le monde le sait, le dit, en parle. Et pourtant… Alors, si l’on devait faire un vœu pour 2020, c’est que par un coup de baguette magique, les esprits se réveillent. Et agissent. ■
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