Elles sont smart, elles sont chic, elles incarnent le style Afrique
Interviews
• Alpha Blondy
• Marguerite Abouet
• Malek Bensmaïl
• Jean-Pierre Elong-Mbassi
Portrait
Patrick Talon, l’homme qui voulait changer le Bénin
Côte d’Ivoire CAP SUR L’ÉMERGENCE
Un dossier spécial de 16 pages
Cameroun
OBJECTIF PRÉSIDENTIELLE !
LE CHOC LAGOS
Plus de 20 millions d’habitants aujourd’hui. Et au moins 40 millions en 2050…
Plongée dans la méga cité africaine, impitoyable, créative, vibrante, violente, prometteuse et désespérante.
par Zyad Limam
LA FIN D’UNE ÈRE ?
Nous avons vu venir des signes avant-coureurs, puis des tendances lourdes de changements et de bouleversements. Une montée en puissance des périls. Une fatigue du multilatéralisme érigé comme la norme intangible depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les retombées profondes et déstabilisatrices de la mondialisation, de la globalisation, de la digitalisation, la grande angoisse des classes moyennes occidentales menacées dans leurs privilèges, la montée des émergents, la compétition pour le travail à l’échelle du globe, la disparition de centaines de millions d’emplois par le développement des intelligences artificielles. Il y a eu les nouvelles grandes vagues migratoires, un phénomène vieux comme le monde, mais amplifié en cette période de l’Histoire par cette immense anxiété des « sociétés riches ». Il y a eu aussi l’apparition sur la scène mondiale de l’islamisme politique ultra, du terrorisme planétaire avec ses attaques spectaculaires et meurtrières au cœur de l’Occident (World Trade Center en 2001, Madrid en 2004, Londres en 2005, Paris en janvier 2015 et en novembre 2015…). Le monde dans lequel nous vivions avec certaines certitudes s’est déréglé. Aux défis posés, la première réponse qui s’est imposée comme un feu de brousse a été et demeure le repli, la fermeture, l’identité, le populisme, le renouveau des mots « frontière », « barrière », « mur », « exclusion »… Le feu de brousse s’est traduit par de sombres évolutions politiques : le renouveau des extrêmes droites et des conservateurs ultra, la défaite des libéraux en Europe de l’Est (Hongrie, Pologne, Tchéquie, etc.), l’influence des nationalistes hindous en Inde depuis 2014, la consolidation du pouvoir de la droite ultra en Israël depuis 2009, la montée de l’Erdoganisme autoritaire en Turquie, la séduction
du Poutinisme sur certaines élites occidentales, la défaite des libéraux en Italie et l’accession d’un parti d’extrême droite et d’un parti populiste au pouvoir (2018). Et puis, surtout évidemment, les séismes qui ont touché le cœur même de « l’empire », l’épicentre de l’Occident : le Brexit, référendum suicidaire pour le Royaume-Uni (juin 2016) et l’élection de Donald Trump aux États-Unis (novembre 2016)… L’arrivée au sommet du pouvoir américain d’un milliardaire sans beaucoup de principes, ni de foi, ni de loi, entraîne des évolutions qui le dépassent probablement : remise en cause de l’ordre établi depuis plus de 70 ans et du libre-échange ; recentrage de l’Amérique sur elle-même, pays-continent surpuissant, protégé ou isolé par deux océans géants ; affaiblissement des alliances atlantiques, affaiblissement de l’Europe en mal de projet et de leadership fort (Angela Merkel en fin de course, focalisée sur l’Allemagne, Macron peut-être mais l’épreuve du pouvoir est rude) ; réaffirmation de la différence et de l’autoritarisme russe ; résurgence de la Chine dans son rôle historique de « l’empire du Milieu », résurgence fragilisée par la dépendance, l’addiction même du géant au commerce international…
Dans un entretien avec Edward Luce du Financial Time (édition du 21-22 juillet 2018), Henry Kissinger, 95 ans, presque bon pied et certainement bon œil, résume la situation : « I think Trump may be one of those figures in history who appears from time to time to mark the end of an era and to force it to give up its old pretences. It doesn’t necessarily means that he know this, or that he is considereing any great alternative. It could just be an accident… ». « Je pense que Trump est peut-être l’une de ses figures de l’Histoire qui apparaissent de temps à autre pour marquer la fin d’une ère, l’obliger à renoncer à ses vieilles prétentions. Cela ne veut pas forcément dire
ÉDITO
que Trump en soit lui-même conscient, ou qu’il considère de grandes alternatives. Ça peut être juste un accident… ». Dans de nombreuses sociétés occidentales et nonoccidentales, ces évolutions et ces ruptures se sont traduites par un raidissement, un durcissement des « guerres culturelles », une résurgence des « valeurs conservatrices » devant l’ordre « libéral ». Sur les mœurs, sur la diversité, sur la parité, sur les relations femmes-hommes, sur Dieu et la religion, sur la liberté collective et la liberté individuelle, sur la place des étrangers, sur l’immigration devenue le bouc émissaire efficace contre tous les maux de l’époque… L’essence même de la démocratie est contestée. Les populistes proposent des solutions « simples », de « l’ordre », des « principes ». Ils rassurent avec des mots, des slogans, des actes symboliques (on ne laissera pas les bateaux de migrants accoster…). Comme si on pouvait échapper à la complexité du monde. Ils attaquent plus ou moins frontalement les piliers de la démocratie libérale, un système faible, aux mains des « élites », contre « le vrai peuple »... Une étude publiée par The Economist Intelligence Unit souligne qu’en 2017, 89 pays étaient en régression démocratique et seulement 27 en progression. Selon Freedom House, en 2006, 46 % de la population mondiale vivait dans des pays avec une compétition politique, des libertés publique garanties, et des médias indépendants. En 2018, la proportion serait tombée à 39 %. La vague affecte principalement les démocraties récentes, naissantes, où les institutions sont plus fragiles, où la tentation autoritaire trouve moins de résistances. Dans les démocraties établies du vieux monde, les contre-pouvoirs, les traditions sont plus fortes. La solidité des institutions se révèle essentielle : la presse et la justice en particulier. Mais même là, dans les sondages effectués aux États-Unis, en France, de moins en moins de jeunes pensent que vivre en démocratie est « essentiel »... Dans cette ébauche de nouveau monde, apparaît une sorte de « chacun pour soi » généralisé. De l’individu à l’État. C’est la stupéfiante contradiction de notre temps, de ce nœud historique particulier. Au moment où la technologie rend les distances obsolètes ; ou moment où quiconque à un bout du monde peut voir et comprendre ce qui se passe ailleurs ; au moment où nous avons le plus besoin de penser globalement, de nous affranchir de nos frontières pour faire face aux défis de l’humanité, la tentation du repli et du déni apparaît comme la plus forte, comme un spasme du monde ancien qui se refuse à partir. Comment lutter « chacun pour soi » face à l’immense menace du dérèglement climatique ? Comment agir séparément face à la pression démographique qui monte d’Afrique ? Comment réguler les migrations modernes avec chacun son douanier ou son policier ? Comment
réorganiser le commerce mondial, clé de la croissance pour tous, en décrétant unilatéralement, taxe et barrières ?…
L’histoire récente l’a montré : le nationalisme, c’est la guerre ; l’autoritarisme, le populisme ne règlent rien, leurs échec est programmé, mais entre-temps, les dégâts peuvent être immenses. On pense aussi à ce thème récurrent dans la science-fiction, celui d’une future humanité à deux vitesses. Exemple, Elysium, film de 2013, métaphore troublante des temps modernes, avec Matt Damon et Jodie Foster. En 2154, il existe deux catégories d’humains : ceux privilégiés et riches, qui vivent sur une station spatiale parfaite avec pratiquement la garantie de la vie éternelle. Et la masse des autres, parqués sur la Terre, surpeuplée, ruinée, aux prises avec toutes les violences…
2 mai 2016, Carmel, dans l’Indiana. Donald Trump, en campagne, sera élu président des États-Unis six mois plus tard.
Nous n’en sommes pas encore là. Et en 2018, il faut mener la bataille pour plus de démocratie, et pour une réforme graduelle du système, sans le détruire, en préservant les acquis. En s’adaptant. En répondant de manière constructive aux anxiétés qui génèrent réellement la protestation plus que les idéologies. S’attaquer aux formidables inégalités induites par la mondialisation et la globalisation. Les élites tant décriées par les « Trumpistes » et les « populistes » ont un rôle majeur, essentiel à jouer. Elles ont massivement bénéficié des années écoulées, elles se sont enrichies. Il est temps pour elles de proposer des solutions concrètes pour changer le monde positivement.
Prenons l’Afrique. Le continent a d’immenses promesses à offrir. La démocratie est une priorité des
peuples. La transparence et la bonne gouvernance également. L’intégration ou la volonté d’intégration y sont des valeurs montantes. Un espace global, interconnecté, nouveau est en train de se créer. Mais ceux qui en tirent le plus de bénéfices, les capitaux, les capitales et les entrepreneurs déjà établis, doivent agir vers beaucoup plus de « bien commun » : décentraliser le progrès vers l’intérieur et les régions, investir dans les industries écologiques et climatiques, soutenir les jeunes, pousser la formation et l’éducation, financer les start-up… Le pire n’est pas une fatalité. Trump et le trumpisme pourraient n’être qu’un accident passager. Un monde meilleur est possible. À condition d’y croire, d’agir, de se battre, de s’investir. ■
SOMMAIRE
Août-septembre n° 383-384
3 ÉDITO
La fin d’une ère ? par Zyad Limam
ON EN PARLE
8 Livres : spécial rentrée littéraire par Catherine Faye
12 Musique : Kiddy Smile, trouble-fête (et fier de l’être) par Sophie Rosemont
14 Écrans : Spike Lee infiltre le Ku Klux Klan par Jean-Marie Chazeau
16 Agenda : Le meilleur de la culture
TEMPS FORTS
22 Le choc Lagos par Christophe Langevin et Zyad Limam
34 Jean-Pierre Elong-Mbassi : « Nous devons inventer un nouveau modèle » par Zyad Limam
40 Politique : le Cameroun dans tous ses états par Emmanuelle Pontié
48 Alpha Blondy : « Dansons pour célébrer une nouvelle Afrique ! » par Astrid Krivian
18 PARCOURS
Amou Tati par Fouzia Marouf
21 C’EST COMMENT ? Vacances à l’africaine par Emmanuelle Pontié
56 CE QUE J’AI APPRIS
Slimane Dazi par Astrid Krivian
122 20 QUESTIONS À...
Eugène Ébodé par Christophe Langevin
58 Diplomatie : le Maroc poursuit son projet Afrique par Julie Chaudier
64 Patrice Talon, l’homme qui voulait changer le Bénin… par Delphine Bousquet
90 Marguerite Abouet : « Nous avons nos propres histoires à raconter » par Christophe Langevin
98 10 it girls à suivre par Fouzia Marouf
106 Malek Bensmaïl : « C’est le film de l’Algérie » par Fouzia Marouf
DÉCOUVERTE
Côte d’Ivoire : objectif émergence ! par Dounia Ben Mohamed
74 Résilience, croissance et ambitions
78 La transformation est en marche
84 Une terre d’innovation et d’entrepreneuriat
86 Investissements : les Américains arrivent !
87 L’Observatoire de la solidarité, outil de cohésion sociale
88 Le chemin vers demain par Zyad Limam
MADE IN AFRICA
112 Escapades : Joburg, capitale de la hype par Vincent Garrigues
114 Carrefours : Moor’’s au sommet de la vague par Luisa Nannipieri
116 Fashion : au Rwanda, l’union fait la force par Luisa Nannipierit
PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com
Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
François Bambou, Dounia Ben Mohamed, Jessica Binois, Delphine Bousquet, Julie Chaudier, Jean-Marie Chazeau, Catherine Faye, Vincent Garrigues, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Christophe Langevin, Fouzia Marouf, Victor Masson, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.
VIVRE MIEUX
Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.
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déliquescence de ses facultés mentales. Est-ce un personnage symbiotique qu’il nous livre dans ce texte empreint d’interrogations complexes et universelles sur le déclin, la mort et la transmission ? En 2003, alors qu’il reçoit le prix Nobel de Littérature à Stockholm, c’est à sa mère qu’il dédie son œuvre : « Et pour qui au fond faisons-nous les choses qui mènent à des prix Nobel, sinon pour nos mères… Maman ! Maman ! », s’exclame-t-il devant l’assistance. De fait, Coetzee semble s’être inventé un alter ego fictif en la personne d’Elizabeth Costello. Et si son style « n’applique jamais la même recette à deux ouvrages, ce qui contribue à la grande variété de son œuvre », selon le jury, c’est en orfèvre qu’il distille dorénavant les mots.
J. M. CoetzeeUne histoire sans fin
Le PRIX NOBEL de littérature sud-africain s’interroge cette fois-ci sur la NATURE profonde de notre humanité.
par Catherine Faye
UNE FOIS ENCORE, John Maxwell Coetzee nous offre une leçon de littérature où l’épure de la langue rythme un texte dépouillé de sentimentalité. Et plein d’émotion. En sept tableaux, le Sud-Africain naturalisé Australien en 2006, cisèle un magnifique portrait de femme – une certaine Elizabeth Costello, déjà croisée au fil de son œuvre. On y découvre une romancière au soir de sa vie. Au fil des jours, elle constate la
À 78 ans, cet homme à l’allure austère, sourire imperceptible à la commissure des lèvres, n’a de cesse de tisser une œuvre romanesque ardente. Plutôt qu’écrivain sud-africain, il se définit comme un auteur occidental né au Cap, en 1940, dans une famille afrikaner calviniste de langue anglaise. Ce bâtisseur d’histoires trouve son inspiration dans la réalité politique et sociale de son temps et de son pays natal. Mais il se veut avant tout un écrivain expérimental. Depuis la parution de son premier roman, Terres de crépuscule (Dusklands), en 1974, il explore les méandres de la violence, la honte, l’aliénation, la désagrégation de la vie morale. « Difficile d’oublier le ténébreux et quasi insoutenable Disgrâce (1999). Coetzee y met en scène un pays malade, violent, scindé en deux communautés irréconciliables. L’une assoiffée de mener à son terme atroce la vengeance qu’appellent des décennies d’humiliation et de spoliation, l’autre accablée d’une culpabilité et d’une honte inexpiables. Alors que son engagement anti-apartheid transparaît dans son œuvre, ce livre suscite en son temps une vive polémique opposant l’auteur au gouvernement noir sud-africain. Serait-ce la cause de son exil en Australie ? Quoi qu’il en soit, l’œuvre étincelante et viscérale de ce lauréat du prix Femina étranger et par deux fois du Booker Prize, s’inscrit en dehors de l’histoire ou de toute réflexion dialectique, dans la lignée d’un Faulkner ou d’un Nabokov. Et plonge dans l’intimité des individus. À en couper le souffle. ■
JERRY BAUER
PARLE ON EN
révolution
APRÈS LE
PRINTEMPS…
« APRÈS AVOIR tiré en l’air, ils ont commencé à nous viser. J’ai couru vers la première rue et me suis dirigée vers l’autre côté pour voir où ils en étaient et chercher mes amis. » Le Caire, 2011. Des centaines de milliers d’Égyptiens manifestent aux cris de « pain, justice et vérité ». Dans la foulée du « printemps arabe » commencé en Tunisie, ils réclament la policier ALGÉRIE, ANNÉE 1994
PARU en novembre en Algérie aux éditions Barzakh, ce polar plein d’émotion sort dans la collection Rivages noirs pour la rentrée littéraire. Crimes, enquêtes, vengeance, lutte antiterroriste, escadrons de la mort et services secrets, les ingrédients habituels des romans de « l’un des journalistes et auteurs algériens les plus observateurs de ma génération », selon les termes de Kamel Daoud, sont
« J’AI COURU VERS LE NIL », Alaa El Aswany, Actes Sud, 432 p. 23 €
démission du président Moubarak au pouvoir depuis trente ans. À travers les péripéties politiques et intimes d’une palette de personnages liés par
les événements, Alaa El Aswany nous livre ici le roman de la révolution égyptienne. « Tous étaient terrorisés. Personne n’était préparé à cette violence. »
Du chauffeur au haut gradé, de la domestique musulmane au bourgeois copte, qu’ils soient dissidents ou fidèles au régime, tous incarnent une facette de ce point de rupture historique. Un roman magistral, à ce jour interdit de publication en Égypte. ■ C.F.
bien là. 1994, un titre en clin d’œil à George Orwell. Mais surtout, l’année où tout bascule pour quatre lycéens algérois et un tableau des plus sombres de l’histoire de l’Algérie
postindépendance. Le pays est à feu et à sang lorsque ces adolescents décident de former un groupe clandestin de lutte antiterroriste. Un troisième roman puissant. ■ C.F.
« JE SUIS QUELQU’UN » Aminata Aidara, Gallimard/ Continents noirs, 368 p. 21,50 €.
premier roman SECRET DE FAMILLE
« JE SUIS quelqu’un qui a posé peu de questions jusque-là. Même petite, ça a toujours été comme ça. » Un secret hante les membres d’une famille éclatée entre la France et le Sénégal. Mais un jour de juin, le silence se rompt. Dans ce premier roman écrit à plusieurs voix – à travers récit, journal intime, lettres et e-mails –, Aminata Aidara, 34 ans, nous embarque dans une quête de vérité, de Dakar à Paris, entre tourment et rédemption. À tour de rôle, les personnages démêlent les ficelles d’histoires enchevêtrées au fil du temps. Avec à la clé ce mystère : « Je suis quelqu’un qui a vu un enfant un jour, un nourrisson qui a disparu. » ■ C.F.
récit
DANS LA TÊTE D’UN TERRORISTE
DANS ce nouveau roman, l’auteur de la trilogie Les Hirondelles de Kaboul, L’Attentat et Les Sirènes de Bagdad nous livre une approche inédite du terrorisme. Vendredi 13 novembre 2015, tandis que les Bleus électrisent le Stade de France, aux terrasses des brasseries parisiennes, on trinque aux retrouvailles et aux rencontres heureuses. Une ceinture d’explosifs autour de la taille, Khalil attend de passer à l’acte. « Tandis que je me dirigeais vers mon destin, j’avais le sentiment que mon âme et mon corps étaient en froid l’un avec l’autre. »
culte
TOUJOURS
ACTUEL
UN CHEF-D’ŒUVRE – et l’un des tout premiers romans écrit par un emblème de la littérature afroaméricaine. Première femme noire diplômée d’anthropologie, puis l’une des figures du
« MAIS LEURS YEUX DARDAIENT SUR DIEU », Zora Neale Hurston, Zulma, 336 p., 21 €.
Avec un réalisme et une justesse époustouflants, l’écrivain algérien propose une plongée vertigineuse dans l’esprit d’un kamikaze qu’il suit jusque dans ses derniers retranchements. Magnifique, l’épigraphe porte le lecteur de bout en bout : « Pour accéder à la postérité, nul besoin d’être un héros ou un génie – il suffit de planter un arbre. » ■ C.F.
LITT É RAIRE SPÉC I AL RENTRÉE
collectif
DEVOIR DE MÉMOIRE
PUBLICITAIRE
mouvement de la Renaissance de Harlem, Zora Neale Hurston est aujourd’hui considérée comme « l’un des plus grands écrivains de notre époque », selon
Toni Morrison. Paru en 1937, Their Eyes Were Watching God est aussi percutant aujourd’hui que lors de sa parution aux États-Unis en 1937. C’est l’une des œuvres de la littérature afro-américaine les plus encensées, étudié dans tous les lycées américains, adapté par Oprah Winfrey pour la télévision. À redécouvrir dans une traduction magistrale ■ C.F.
beau livre
LE MONDE DE NATIONAL GEOGRAPHIC
« RÊV’EVOLUTION », Damana
Jets d’encre, 164 p., 16 €.
ivoiro-togolaise, l’initiatrice de cet ouvrage s’est installée au Togo en 2011, suite à la crise postélectorale ivoirienne. Panafricaine dans l’âme, elle a fait appel à des « jeunes gens issus de différents secteurs d’activité et qui ont l’espoir d’une Afrique meilleure, débarrassée, une bonne fois pour toutes, de tous ces maux qui la lézardent depuis fort longtemps, parce qu’ils ont compris que c’est unis, qu’ils pourront accomplir davantage que leurs prédécesseurs ». Dans ce premier tome, les plumes d’une vingtaine de nationalités africaines se délient. Contes épiques, réflexions, poésie, passages économiques ou politiques s’entrelacent pour qu’une prise de conscience générale se fasse. Un devoir de mémoire collectif. Entre rêve et révolution. ■ C.F.
À BORD d’un avion des années 50 au-dessus des volcans d’Ouganda pris dans la brume, les yeux levés vers les scintillants gratte-ciel du Zimbabwe ou encore perdus dans les labyrinthiques ruelles et souks des quartiers historiques d’Algérie, c’est un périple à travers le continent africain, jalonné de clichés anciens en noir en blanc, d’autochromes et de photos numériques, sans oublier le Kodachrome à son apogée. Du Caire au Cap, 125 ans de photographie de voyage, à travers 200 images captivantes puisées dans les archives historiques du National Geographic, parmi lesquelles une quarantaine d’inédites. ■ C.F.
« NATIONAL GEOGRAPHIC.
LE TOUR DU MONDE EN 125 ANS. L’AFRIQUE, », Joe Yogerst, Reuel Golden, Taschen, 312 p., 50 €.
« KHALIL, », Yasmina Khadra, Julliard, 264 p. 19 €.
Milcah,
« SOUS LES BRANCHES DE L’UDALA », Chinelo Okparanta, Belfond, 384 p., 22 €.
tabou
UNE HISTOIRE INTERDITE
SUBVERSIVE et décomplexée, l’auteur nigériane, lauréate du prestigieux Caine Prize 2013 avec America, aborde encore une fois dans ce roman saisissant (paru en anglais en 2015) un thème souvent tabou en Afrique, l’homosexualité féminine. Ijeoma tombe
saga SINGULIÈRE
SIRÈNE
C’EST l’histoire d’une femme singulière, Siréna Pérole, 27 ans, retrouvée morte chez elle, apparemment victime d’une mauvaise chute. Nous sommes en 1980. Un 14 juillet. « Celle-là était morte, mais une populace dissipée attendait le feu d’artifice en piaffant. Si on tardait à la divertir, ça pouvait déborder en un rien de temps, pareil à du lait sur le feu. » Avec son talent de conteuse caribéenne,
amoureuse d’Amina. Mais nous sommes au Biafra, en 1970, la guerre civile fait rage, et deux femmes qui s’aiment sont des criminelles. D’une écriture franche et inventive, l’écrivaine entremêle le personnel et le politique pour nous dépeindre une oppression bien particulière, celle du sexe et du genre. ■ C.F.
« LE PARFUM DES SIRÈNES », Gisèle Pineau, Mercure de France, 256 p. 18,80 €
Gisèle Pineau revient sur le destin de « La Sirène », au charme envoûtant. Un récit saturé d’odeurs et de parfums, au cœur d’une incroyable saga familiale. ■ C.F.
« NE M’APPELLE PAS CAPITAINE », Lyonel Trouillot, Actes Sud, 160 p. 17,50 €
« LA VÉRITÉ
SORT DE LA BOUCHE DU CHEVAL », Meryem Alaoui, Gallimard, 272 p., 21 €.
« LA GENTILLE ET LA MÉCHANTE», Djeynab Hane Diallo, éditions Tabala, 59 p., 5 000 FCFA.
livres
dialogue CONFIDENCES À PORT-AU-PRINCE
C’EST une conversation inattendue entre un vieil expert en arts martiaux vivant en solitaire dans un quartier pourri et une jeune bourgeoise de 20 ans, dans un monde dominé par les préjugés et les écarts sociaux. Encore une fois, le romancier, poète et intellectuel engagé haïtien choisit pour décor Port-au-Prince. Entre confidences de l’un et monologue de l’autre, Lyonel Trouillot amène à l’introspection, dans une langue sans détour. Incisive. Il y évoque le pouvoir du langage et des mots. Leur force, leurs sous-entendus, leur beauté, leurs limites. À l’aune du comportement humain… ■ C.F.
Maroc LA MARCHEUSE
DÈS LES PREMIÈRES LIGNES, ce roman, en lice pour le Prix du Roman Fnac 2018, claque et saisit. Dans une langue sobre et directe, l’auteur décrit la vie quotidienne dans un Maroc populaire où chacun fait face aux difficultés à force de vitalité et de débrouillardise. Au cœur de cette histoire, Jmiaa, prostituée de Casablanca. Femme au fort caractère et à l’esprit vif, elle vit seule avec sa fille. Mais voici qu’arrive une jeune femme, Chadlia, dite « Bouche de cheval » qui veut réaliser son premier film sur la vie de ce quartier de Casa. Elle cherche une actrice… ■ C.F.
conte jeunesse
LUMIÈRE CONTRE
TÉNÈBRES !
UNE GENTILLE FÉE fait régner le bonheur dans un village, auprès des vieux et enfants, qui coulent des jours de rêve. Mais c’est sans compter avec la sorcière Ténèbre, hideuse avec ses cheveux noirs et sales, son visage vert, qui rôde dans les parages. Un combat acharné s’engage entre les deux femmes, et la fée Lumière, qu’on se rassure, finira par l’emporter. Un joli conte à morale, qui fait peur à souhait, avec des pages d’explication et de notes interactive pour les petits. Un vrai petit succès de librairie en Côte d’Ivoire, pour le premier ouvrage signé par une ancienne collaboratrice d’AM ■ E.P.
Kiddy Smile Trouble-fête (et fier de l’être)
Originaire du Cameroun, il a grandi en banlieue parisienne. Son 1er album, One Trick Pony, nourri de HOUSE et de nuits blanches, réveille la PLANÈTE POP.
par Sophie Rosemont
C’EST le nouveau talent que la planète pop s’arrache. Figure de proue du voguing parisien (danse et mouvement d’émancipation issu de la communauté LGBT noire américaine, né à New York dans les années 70), musicien sensible, et acteur déjà convaincant (actuellement dans Climax de Gaspar Noé), PierreÉdouard Hache alias Kiddy Smile n’avait pourtant aucune fée pour se pencher sur son berceau. D’origine camerounaise, il a grandi dans le 78, où il voit naître ses appétences artistiques : « On dansait tous dans mon quartier quand j’étais petit, mais je ne pensais pas avoir particulièrement de talent. C’est un animateur qui m’a encouragé à m’y lancer. La danse m’a permis de voir un autre avenir que les deux options qui m’étaient proposées : soit être bon à l’école et faire médecine, soit rester dans le cliché du gars de la cité qui ne bouge pas de son quartier. » Aujourd’hui sort donc son premier album, One Trick Pony. Avant tout nourris de house, musique qui le transporte dans toutes ses nuits blanches, les dix morceaux
de la playlist ont été enregistrés entre Paris, New York et Los Angeles. Quant au message à faire passer, il est très clair : « J’accorde beaucoup d’importance aux représentations. Petit, j’avais l’impression que mon histoire n’était pas racontée. Par exemple, après la douche, je dois me passer de la crème sur tout le corps car je suis noir, et que ma peau peut s’assécher très vite. J’étais le seul dans les vestiaires à le faire ! Comment se construire quand on nous montre des hommes qui ne nous ressemblent pas ? Le premier Noir que j’ai vu capable d’être considéré comme gendre idéal, c’était Harry Roselmack. (…) Ne pas se sentir représenté, c’est se sentir isolé. Je voulais faire un album dans lequel les gens se reconnaissent. » C’est sans doute pour cette raison que le président Emmanuel Macron l’a invité à se produire dans le cadre institutionnel de l’Élysée pour la fête de la musique. Et qu’on souhaite à Kiddy Smile de continuer à (nous faire) danser tout en balayant les notions de genre d’un revers de main haut levée. ■
« ONE TRICK PONY », Kiddy Smile, IDOL
reggae funk
FRÈRES COMPLICES
Winston McAnnuff et Fixi nous entraînent sur les routes jamaïcaines.
DEPUIS leur première rencontre, en 2007, sur un disque du groupe Java, le Jamaïcain Winston McAnuff, également connu sous le nom d’Electric Dread, et le Français Fixi, ont vu leur amitié croître jusqu’à un album en duo, A New Day (2013). Son excellente réception les a encouragés à remettre ça avec Big Brothers. Pas d’auto-congratulation virile au programme mais un partage de connaissances existentielles. On y chante l’amour, la solidarité, la fraternité, les voyages et les bonnes surprises, on y entend de la soul, du funk et même du cha-cha-cha. Même si les dix morceaux de cet album diablement énergique nous conduisent, encore et toujours, sur les routes accueillantes du reggae… ■ S.R. « BIG BROTHERS », Winston McAnuff & Fixi, Chapter Two/Wagram.
crazy R’n’B
LE CHIEN FOU DE LA SOUL À 76 ans, SWAMP DOGG n’est toujours pas décidé à se calmer !
« JE SUIS peut-être le seul à le penser. Mais je pense que Swamp Dogg est un trésor national », affirme-t-il. D’abord connu dans les années 50 et 60 comme un soul man sudiste sous le nom de Little Jerry, il officie depuis plusieurs décennies à bord d’un bateau ivre de soul psyché et barrée. Synthétiseurs, boîtes à rythmes et AutoTune : ici, Swamp Dogg a confié la production de ses morceaux à Justin Iver alias Bon Iver et Ryan Olson (Gayngs). Et c’est à la fois froid et émotionnel, exigeant et ultra accessible… sans oublier un peu d’humour comme le prouve le titre Sex With Your Ex. Très fort. ■ S.R.
« LOVE, LOSS AND AUTO-TUNE », Swamp Dogg, Joyful Noise.
pop
musique PARLE ON EN
KRISTEL, LE ROCK TROPICAL
IMPOSSIBLE de ne pas évoquer Skin, la charismatique leadeuse de Skunk Anansie, en entendant le timbre rugueux de cette chanteuse (et bassiste !) de 23 ans. C’est à Tana, Madagascar, qu’elle a fondé son propre groupe, constitué de son mari à la batterie, et de son frère à la guitare. Tout en triturant ses cordes, elle s’investit dans des morceaux d’inspiration rock et tropicale, où il s’agit avant tout de s’affirmer. Comme femme artiste, mais aussi en tant que citoyenne d’une île qu’elle voudrait plus sûre d’elle… Fan de Jaco Pastorius, sans doute impressionnée par des Beth Ditto, Kristel n’a pas froid aux yeux. Ce que l’on pourra voir en concert à Paris en septembre. De quoi être sérieusement décoiffé… ■ S.R.
« IRONY », Kristel, Libertalia-Music.
dance
« JOY COMES IN SPIRIT », Vicktor Taiwò, Innovative Leisure.
VICKTOR TAIWÒ, TOUT EN DOUCEUR
ON AVAIT remarqué cet Anglo-Nigérien en première partie d’Ibeyi, et on était sous le charme de son R’n’B aussi chic que synthétique. À 26 ans, Vicktor Taiwò, qui, enfant, chantait dans la chorale de son église londonienne et jouait de la batterie, sort aujourd’hui son 1er album. Il déploie ici un arc-en-ciel de soul attitude et d’émotions sous influences diverses : Thom Yorke pour les expérimentations, James Blake pour la passion des sons électroniques, D’Angelo pour la grâce groovy. Si le son est profondément contemporain, les thèmes, eux, sont tous empreints de nostalgie : Taiwò revient entre autres sur le désir fou de vivre de sa musique, envers et contre tout. ■ S.R.
Adam Driver, partenaire de John David Washington dans BlacKkKlansman .
Spike Leeinfiltre le Ku Klux Klan
Le réalisateur militant revient avec un NOUVEAU
FILM
très politique, au cœur du tristement célèbre mouvement suprémaciste blanc. par Jean-Marie Chazeau
SPIKE LEE lui-même ne connaissait pas cette histoire édifiante quand les producteurs de Get Out, le succès surprise d’Hollywood l’an dernier, sont venus lui proposer de l’adapter au cinéma : l’infiltration d’un policier noir au plus près des dirigeants du Ku Klux Klan, le tristement célèbre groupe raciste blanc des USA ! En 1979, à Colorado Springs, pour prévenir leurs actions violentes, l’inspecteur Ron Stallworth a eu en effet l’idée de se faire passer pour un Blanc (au téléphone) afin de gagner la confiance des responsables locaux du KKK, et de les approcher, en envoyant d’abord un collègue blanc les rencontrer, se faisant passer pour lui. À plusieurs reprises, le subterfuge manque d’être découvert, c’est l’un des suspenses du film. Avec un humour tranchant, Spike Lee souligne ainsi la dangerosité et surtout la bêtise de ces suprémacistes blancs derrière leurs cagoules et leurs croix enflammées… Il nous embarque dans un film au look très années 70, jusqu’au générique final qui est, lui, pour le coup très actuel car il reprend les images d’actualité des affrontements de Charlotteville l’an dernier, avec la
« BLACKKKLANSMAN » (États-Unis) de Spike Lee Avec John David Washington, Adam Driver, Laura Harrier.
mort d’une militante anti-raciste lors d’un rassemblement d’extrême droite. Donald Trump avait alors déclaré qu’ « il y a des gens bien des deux côtés »… Pour incarner l’inspecteur Stallworth, Spike Lee a fait appel à John David Washington, fils de Denzel Washington (Malcolm X ). Et au milieu de ce récit jouissif, une séquence forte : celle où le vétéran noir d’Hollywood, Harry Belafonte, 91 ans, raconte à des jeunes le terrible lynchage de Jesse Washington en 1916, martyre de l’histoire afro-américaine. Dans Miracle à Santa Anna qui sort enfin dans les salles en France, dix ans après les États-Unis (pour de sombres histoires de distribution), Spike Lee illustrait un autre chapitre historique : la participation de GI’s noirs américains à la libération de l’Italie en 1944. À cette occasion, il nous avait expliqué comment ses ancêtres « ont été volés en Afrique » (AM n°277, octobre 2008) au temps de la traite négrière, sa branche paternelle provenant de l’actuel Cameroun. Dix ans après, BlacKkKlansman s’ouvre d’ailleurs sur un extrait d’Autant en emporte le vent, la grande fresque hollywoodienne sur le Sud esclavagiste… ■
DAVID LEE
série
Black Jesus
FACE au Black Panther de Marvel, le concurrent DC Comics dégaine Black Lightning, un allié de Batman et de Superman, créé sur le papier en 1977. Surnommé « Black Jesus », il tient son superpouvoir de l’électricité qu’il absorbe et redirige contre des policiers racistes ou les membres d’un gang mafieux dirigé par… un Noir albinos (le rappeur Krondon). Le jeu de Cress Williams, qui l’incarne, est un peu neurasthénique : il faut dire que le héros s’était débranché depuis neuf ans afin de préserver sa vie de famille. La série illustre habilement les difficultés de la communauté afro-américaine aux États-Unis. Une 2e saison est en route. ■ J.-M.C.
« BLACK LIGHTNING »,
Avec Cress Williams, Christine Adams. Saison 1 (13 épisodes) disponible sur Netflix.
comédie
documentaire
Whitney Houston for ever
NOVEMBRE 1994, 200 000 Sud-Africains acclament la première star internationale à se produire depuis la fin de l’apartheid : Whitney Houston, femme superbe à la voix puissante. Avec son record de 200 millions d’albums vendus, elle aura aussi touché massivement la middle class blanche américaine : là aussi une première, peu appréciée par une partie de la communauté noire qui la surnommera « Whitney White ». L’alcool et la drogue la précipiteront vers une mort pathétique (en 2012 à 48 ans), mais le cinéaste britannique Kevin Macdonald (Marley, Le Dernier roi d’Écosse) dépasse le trash et la chronique people. Son enquête, qui mêle archives et témoignages de très proches, décrypte un destin unique, sur fond de questions raciales et de harcèlement sexuel, toujours plus actuelles. ■ J.-M.C. « WHITNEY » (États-Unis) de Kevin Macdonald. En salles le 5 septembre 2018.
Mama Adjani
AVEC Michel Sardou et Booba pour la bande-son, le ton est donné : voici une comédie française déjantée, l’histoire d’un jeune de banlieue (Karim Leklou en faux nigaud) qui veut renoncer aux trafics pour devenir le distributeur officiel des glaces à l’eau Mister Freeze au Maroc ! C’est sans compter sur sa mère possessive et voleuse incarnée par une Isabelle Adjani survoltée en mama maghrébine, son beau-père ex-taulard et largué (Vincent Cassel), une bonne copine ambitieuse (Oulaya Amamra, révélée dans Divines) et deux potes tous deux baptisés Mohamed, qui vont s’embarquer avec lui dans un gros coup en Espagne, sur la route du cannabis. L’épopée de ces bras cassés à Benidorm file à toute allure, flirtant avec le meilleur Tarantino. ■ J.-M.C.
« LE MONDE EST À TOI » (France) de Romain Gavras. Avec Karim Leklou, Isabelle Adjani, Oulaya Amamra, Vincent Cassel.
Nafessa Williams joue Thunder, superhéroïne, étudiante et activiste pour les droits des homosexuels.
musique
L’AFRIQUE
SWINGUE À PARIS
La nouvelle édition de JAZZ À LA VILLETTE annonce un programme somptueux. Une pluie d’étoiles à partir de fin août.
STARS INTERNATIONALES du jazz, de la soul, du hip-hop ou de la world music, explorateurs, nouveaux talents ou libres penseurs invitent à 12 jours de fête et une vision sans frontières du jazz et de la Great Black Music. Dès la soirée d’ouverture, cette nouvelle édition célèbre le dynamisme créatif de l’Afrique. Avec le retour de l’inventeur d’une afro-pop qui a fait le tour du monde et l’une des plus grandes voix du continent africain : le Malien Salif Keïta. Le duo Tshegue, entre rumba congolaise et punk-funk, l’une des révélations de l’année, oscille entre le chant magnétique de Faty Sy Savanet et les percussions épileptiques de Nicolas « Dakou » Dacunha. Quant au collectif phénomène venu d’Afrique du Sud, BCUC (Bantu Continua Uhuru Consciousness), il donne un immense coup de pied dans la fourmilière des musiques traditionnelles, avec sept musiciens qui partagent la scène du saxophoniste et chanteur nigérian Femi Kuti, l’héritier naturel du maître de l’afrobeat, Fela Kuti. Sans compter la participation du chanteur virtuose et oudiste Dhafer Youssef : un voyage singulier, entre sa Tunisie natale et un jazz affûté. ■ Catherine Faye JAZZ À LA VILLETTE, Paris, du 30 août au 9 septembre. jazzalavillette.com
spectacles
La chanteuse Sira Niamé se produira aux Francophonies en Limousin le 29 septembre.
LE QUÉBEC À L’HONNEUR
Pour ses 35 ans, la nouvelle édition du FESTIVAL DES FRANCOPHONIES mettra en avant la richesse de la scène artistique montréalaise.
Sons of Kemet jouera à la Grande Halle de La Villette le 4 septembre.
CRÉÉ À LIMOGES EN 1984, le Festival des francophonies en Limousin fête ses 35 ans. 35 ans de création et de partage entre artistes du monde entier, unis par la même langue. Au total, 25 spectacles seront proposés aux festivaliers, réunissant théâtre, musique, danse et autres arts, ainsi que de nombreuses lectures et rencontres. Québec sera mis à l’honneur cette année ; de nombreux acteurs culturels d’outreAtlantique sont attendus afin de partager les richesses de la scène montréalaise. Cette édition signe par ailleurs le départ de sa directrice, Marie-Agnès Sevestre, qui chapeautait depuis 2006 cette ambition de fédérer les talents francophones, de Pondichéry à Yaoundé, en passant par Beyrouth. Le Burkinabé Hassane Kassi Kouyaté, descendant d’une famille de griots, acteur et metteur en scène, lui succédera dès 2019. Fier de sa diversité et de sa pluridisciplinarité, le festival puise sa force dans la liberté qu’il offre à ses intervenants et, comme le zèbre à quatre têtes qui le représente depuis sa création, se veut un symbole de métissage. ■ Victor Masson FESTIVAL DES FRANCOPHONIES EN LIMOUSIN, Limoges, du 26 septembre au 6 octobre. lesfrancophonies.fr
créateurs
La 11e édition se déroulera du 21 au 24 novembre prochains.
Le Fima, la mode entre les dunes
C’est Dakhla au MAROC qui accueillera les 20 ans du festival.
ALORS qu’il fête ses 20 ans, le Fima (festival international de la mode africaine), lancé au Niger en 1998 par le styliste Alphadi – à l’époque président de la jeune fédération africaine des créateurs –, se tiendra à Dakhla pour sa 11e édition, du 21 au 24 novembre. Fidèle partenaire depuis sa création, le Maroc a soutenu le festival, conscient de sa portée économique et de son rôle fédérateur pour l’Afrique. Si le projet semblait fou à l’époque, la première édition avait en effet marqué les annales en se déroulant dans le désert de Tiguidit, au Niger. Ce rendez-vous inédit réunissait stylistes africains et occidentaux, chacun présentant huit modèles inspirés du continent au son du Tendé, un instrument traditionnel touareg, sur un podium en forme de croix d’Agadez : Azzedine Alaïa, Krizia, Kenzo ou encore Yves Saint Laurent. Dakhla et sa région offriront à cette édition un espace digne de célébrer la créativité artistique africaine tout en consolidant la coopération Sud-Sud, avec des colloques, des ateliers, et un défilé de 20 stylistes africains et 5 d’autres continents. ■ Fouzia Marouf FIMA, Dakhla, du 21 au 24 novembre. fima-africa.com
arts
DES RITES ET DES CHANTS
INITIÉ par la Maison des cultures du monde, le Festival de l’imaginaire capitalise sur la diversité artistique, présentant les pratiques de rites ou cérémonies du monde entier à travers le chant, la musique, etc. Des compagnies relevant aussi du théâtre et de la danse seront réunies pour fêter cet événement d’ampleur. Tables rondes, conférences et expositions fleuriront à Paris – au musée du quai Branly et au Théâtre de la Ville par exemple – et dans toute la France – comme à Vitré, en Bretagne, avec le 7e colloque international de l’ethnopôle CFPCI (Centre français du patrimoine culturel immatériel). ■ F.M. FESTIVAL DE L’IMAGINAIRE, France, du 29 septembre au 29 novembre. festivaldelimaginaire.com
photographie À LA CROISÉE
DES MONDES
Les 49e Rencontres d’Arles s’intéressent à l’Amérique de Trump.
L’AFFICHE de ces nouvelles Rencontres est une photo de l’Américain William Wegman, célèbre pour ses braques de Weimar, chiens racés portant haut les habits et les habitudes des humains. Un clin d’œil plein de sous-entendus pour cette 49e édition, où trois grands axes se dessinent : l’Amérique, Mai 68 et l’humanité. Avec plus de 30 expositions, la programmation voyage à travers nos sociétés, passées et présentes, et leurs dérives. On peut y voir de grands noms, tels Robert Frank, Raymond Depardon ou le Palestinien Taysir Batniji. La série « Minuit à la croisée des chemins », de Christina de Middel et Bruno Morais, propose une vision mondialiste du continent américain, par le prisme de la religion ancestrale et des racines profondes de la spiritualité africaine ayant traversé l’océan Atlantique. Le Suisse René Burri, fasciné par les pyramides depuis son premier voyage en Égypte en 1958, qui a adopté la forme triangulaire dont il peuple ses images, est aussi exposé. De même que l’Algérien Adel Abdessemed, qui situe le monde animal, un univers désormais exogène, dans le milieu urbain. ■ C.F. LES RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE, Arles, jusqu’au 23 septembre. rencontres-arles.com
Cristina de Middel & Bruno Morais, Sans titre Bénin, 2016.
PARCOURS
par Fouzia Marouf
Amou Tati
MORDANTE, DÉJANTÉE
, la comédienne, qui a grandi entre la France et la Côte d’Ivoire, cultive l’humour sur scène à travers des tranches de vie inspirées de sa double culture. Mais on la retrouve aussi au cinéma ou encore à la télévision… Tout aussi truculente !
F
emme noire, le célèbre poème de Léopold Sédar Senghor, retentit sur la scène du Marrakech du Rire par une belle nuit étoilée, fin juin. Front haut, regard déterminé, pieds nus, la fiévreuse Amou Tati, humoriste qui représente les couleurs de la France et de la Côte d’Ivoire lors du gala Afrika, surprend le public alors qu’elle joue une scène de drague : lasse de subir les avances appuyées d’un compatriote dans une rue à Paris, elle retire sa perruque afro pour freiner l’élan du macho. Un geste inattendu, qui en dit long sur le tempérament de feu de cette artiste, bercée par le multiculturalisme dès sa prime enfance. « J’ai adoré la Côte d’Ivoire. L’Afrique, c’est la vie et ses paroles imagées », confie-t-elle. Déjà, la veille, Tatiana Rojo alias Amou Tati, avait suscité une émotion palpable, oscillant entre rires et larmes lors de son one-woman-show sur la scène de l’Institut français de la Cité ocre, où ses portraits de femmes inspirées de son enfance africaine, ont tour à tour amusé, surpris, ému, les spectateurs. Née au Havre, de mère ivoirienne et de père gabonais, elle arrive très jeune à San-Pedro en 1986 : « Ma mère a quasiment été expulsée, suite à la mort de mon père. Mais elle nous a dit, à mes trois sœurs et à moi, que nous partions en vacances en Côte d’Ivoire. C’était son pays natal, elle s’y est révélée drôle, pleine de vitalité, alors que nous étions devenues pauvres », se souvient-elle. Passionnée de théâtre et de poésie, la jeune fille dévore les classiques, accueillie gracieusement à la bibliothèque de l’école de la mission française : « L’accès était payant, mais ma foi pour la lecture a conquis celle qui se trouvait à l’entrée. » Adoptée par la terre ivoirienne, pétrie de curiosité, elle réapprend la vie : douée pour puiser l’eau alors qu’aucune de ses sœurs n’y parvient, intrépide pour se battre après les cours, observatrice redoublant de questions sur son nouvel environnement. Aujourd’hui, Amou Tati a conscience de sa forte capacité d’adaptation et de la fascination qu’elle a d’emblée nourrie à l’égard de l’Afrique, mais aussi des contradictions qu’elle incarnait, car « je parlais comme une petite Française en étant noire comme charbon », s’amuse-t-elle.
2009 marque son premier one-woman-show, Amou Tati à l’état brut. Suit en 2013 un deuxième spectacle, mis en scène par Éric Checco, au succès retentissant au Festival d’Avignon, La Dame de fer. Un hommage à sa mère, « mon héroïne », courageuse face à l’adversité, qui explique à ses filles : « On sèche son linge là où le soleil brille, le cacao ne pousse pas à Genève et pourtant là-bas, ils sont tous chocolatiers ! » Dans la galerie de personnages authentiques qui gravitent autour de cette mère africaine autoritaire, l’humoriste révèle un Québécois écolo et un Français bobo égocentrique, qui ne sont autres que son ex-mari et celui de sa sœur… Auteur et comédienne, revenue à Paris à 18 ans, Amou Tati est nominée meilleure actrice au Festival du film de Montréal en 2014 pour son rôle dans Danbé, la tête haute de Bourlem Guerdjou. Elle est aussi chroniqueuse vedette sur Canal+ Afrique, incarnant avec énergie la truculente Madame Zouzoua. En 2016, alors qu’elle reçoit un appel lui annonçant qu’elle est couronnée du Prix d’excellence pour les arts vivants en Côte d’Ivoire, elle croit à une blague ! Mais ce qui la touche profondément, ce sont les mots d’une Ivoirienne sans papiers, qui à la fin de son show, lui avoue : « Vous m’avez ramenée au pays, merci. » Après un rôle remarqué dans La Vie de château de Modi Barry et Cédric Ido, on la retrouvera dans la suite de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? et Les Bonnes Intentions avec Agnès Jaoui. Pour l’amour du rire. ■
La Dame de fer, son one-woman-show, a tourné en Europe et en Afrique.
par Emmanuelle Pontié
VACANCES À L’AFRICAINE
Et hop ! C’est les vacances ! J’entends déjà mes amis africains fortunés préparer leurs valises pour un hôtel stéréotypé à Dubaï, un cottage pluvieux dans la banlieue de Londres ou un appart-hôtel parisien en pleine pollution. Oui, oui, je suis d’accord, c’est bien d’aller voir ailleurs. Mais franchement, pourquoi les statistiques du tourisme intérieur en Afrique stagnent-elles à ce point autour de zéro ? Je ne parle pas d’un week-end à Assinie pour les Abidjanais ou au Badalodge pour les Bamakois. Je parle de vraies vacances, d’une semaine, d’un mois, à la découverte d’une région de votre propre pays qui ne serait pas celle de votre village natal, ou d’une terre toute voisine, à une ou deux heures d’avion. En Afrique centrale, on peut choisir d’aller au Loango National Park au Gabon et observer les baleines qui jouent dans l’eau ou les buffles qui déambulent sur la plage. Ou encore foncer grignoter des écrevisses grillées sur la côte de Kribi, admirer les chutes d’Ekom ou rêvasser au domaine de Petpenoun, devant son lac et ses montagnes, au Cameroun. En Afrique de l’Ouest, embarquez sur le Bou El Mogdad pour une croisière sur les rives de Saint-Louis du Sénégal, après avoir admiré les maisons anciennes et les galeries d’artistes du cru. Ou découvrez les plages de sable blanc sauvages à quelque 30 minutes de bateau du port de Lagos. Et encore la civilisation des Dogons au Mali, l’architecture de Bobo-Dioulasso au Burkina, la réserve d’éléphants et d’hippos de Fazao à Lomé, le village sur pilotis de Ganvié au Bénin… La liste est infinie. Et quoi qu’on en dise, les alentours de tous ces sites ou lieux à découvrir sont assez balisés, avec location de voitures, guides et campements bien tenus. J’entends déjà le sempiternel refrain : « Ouais, mais ça,
on connaît ! » Ben justement, c’est pas vrai. Penser qu’un Gabonais ne découvrira rien au Cameroun ou qu’un Béninois s’ennuiera à mourir au Sénégal, c’est un leurre. Un préjugé qui a la vie dure. Chaque fois que l’un d’entre eux est allé chez le voisin, il en est revenu avec des étoiles plein les yeux, racontant jusqu’au bout de la nuit ce qu’il y a découvert, ce qui l’a étonné. Dans le même temps, on apprend qu’il n’y a pas que le shopping dans la vie, que les malls de Johannesburg ou de Casablanca ont beau regorger de prix attractifs sur les marques de luxe, on peut parfois changer de braquet, d’idée, de destination, d’envie… Bref, révolutionner son mode de villégiature et, accessoirement, contribuer à vendre les destinations africaines, les faire vivre, exister. Bonnes vacances à tous ! ■
Pourquoi les statistiques du tourisme intérieur en Afrique stagnentelles à ce point autour de zéro ?
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