

ENTRETIEN
FATMA SAID

Plus de 60 % des Africains ont moins de 25 ans. Ils pourraient être près de 80 0 millions d’ic i 2050. Les exigences qu’impose cette démographie sur les systèmes politiques et économiques sont immenses.
PAR ZYAD LIMAM
On le sait, en quarante ans, la Chine est passée d’un immense empire pauvre au statut de première économie du monde. C’est une performance unique dans l’histoire de l’humanité. Sur la période, le pays a affiché une croissance moyenne de 10 % par an. Et son PIB global a été multiplié par 38. En 1981, la Chine avait exporté pour 25 milliards de dollars. Aujourd’hui, ses exportations atteignent près de 3 000 milliards.
La patrie de « l’économie socialiste de marché » n’est plus le sous-traitant industriel mondial se contentant de fabriquer à la chaîne des téléviseurs ou des frigidaires. L’économie se sophistique et investit tous les domaines du futur, intelligence artificielle, data processing, téléphonie en 5G, espace, recherche scientifique… La Chine déploie son influence à travers le monde, en Asie, en Afrique, en Amérique latine, et aussi en Europe, où elle a pris pied dans des ports italiens et grecs. Les nouvelles routes de la soie, projet pharaonique de sécurisation de son commerce, se dessinent sur la carte, en rappelant au monde que dans le passé, la Chine a longtemps été la première puissance. L’histoire se régénère après la décadence de l’empire, et le siècle des humiliations (qui court à partir de la perte de Hong Kong jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale).
Contrairement aux États-Unis, la Chine n’a pas été animée par une volonté d’expansion militaire, d’impérialisme par la force. Elle n’a mené directement aucune guerre externe depuis 1945. Et la puissante Armée de libération du peuple sert avant tout à « défendre la patrie ». L’obsession historique reste le maintien à tout prix de l’unité du pays, le centralisme, le renforcement d’une identité homogène, la généralisation de la culture Han, celle du peuple chinois « historique ». Pour éviter le spectre de l’implosion et de la décadence. C’est tout le sens du verrouillage démocratique et le rôle du parti dit communiste, dans un pays qui compte par ailleurs le plus grand nombre de milliardaires au monde.
À bien des égards, la Chine peut savourer son triomphe. Sa victoire, certes relative, contre le Covid-19 a conforté son sentiment d’être dans le bon chemin, à la différence des pays occidentaux, « faibles et désorganisés ». Devant la session de l’Assemblée nationale populaire début mars, Xi Jinping, le timonier actuel, aurait confié : « La Chine peut maintenant regarder le monde dans les yeux. » L’avenir serait donc en Orient, dans une Asie au centre de laquelle se trouve une Chine toute puissante, qui compte sur son poids, son économie, ses ressources technologiques, ses moyens financiers pour asseoir une domination durable.
Cette ambition s’accompagne d’un net durcissement « externe ». Aux Américains, aux Occidentaux, le message est clair : « Vous n’avez pas de leçons à nous donner, notre système est plus efficace, et il séduit aux quatre coins de la planète. » Beijing assume ses ambitions en mer de Chine, en essayant de faire plier le droit international. Hong Kong la rebelle a été mise au pas, au mépris des traités, après les grandes manifestations pro-démocratie de 2019 et 2020. Enfin, la répression insensée, inacceptable, des Ouïgours dans le Xinjiang souligne jusqu’où la « Chine centrale » est prête à aller pour asseoir « l’unité ». Tout aussi grave est la situation concernant Taïwan. La Chine ne renonce pas à la réunification. Une grande partie de la légitimité du Parti repose sur cet incontournable objectif historique. Ici, dans le détroit de Formose, la guerre n’est pas exclue.
Le monde, les États-Unis et l’Europe en premier lieu vont devoir apprendre à vivre, négocier, composer avec cette « super China ». Mais la Chine devra aussi apprendre à vivre avec le monde. La puissance passe par le soft power, par l’échange, le débat, la séduction du mode de vie, le voyage. Enfermée dans ses certitudes et ses frontières (depuis la crise du Covid), la Chine ne pourra être grande qu’en s’ouvrant réellement à « l’autre », à la « diversité », à « l’altérité » ■
N°415 AVRIL 2021
3 ÉDITO
Une nouvelle Chine par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN
Delgres, la force de l’âme créole
24 PARCOURS
Jean Servais Somian par Fouzia Marouf
27 C’EST COMMENT ?
Vaccins et complotisme par Emmanuelle Pontié
46 CE QUE J’AI APPRIS
Marc Cheb Sun par Astrid Krivian
72 LE DOCUMENT
Les amours de Bob et Pascaline par Emmanuelle Pontié
90 VINGT QUESTIONS À…
Boukary par Astrid Krivian
TEMPS FORTS
28 Le défi jeune par Zyad Limam, Frida Dahmani, Cédric Gouverneur
38 Hambak, son destin et la suite par Zyad Limam
48 Et si c’était la fi n de l’Éthiopie ? par Cédric Gouverneur
56 Sam Mangwana : « Ma vie a commencé à 60 ans » par Astrid Krivian
62 Fatma Said : « Je me sens vivante sur scène » par Astrid Krivian
68 Stéphane Bak, étoile montante par Sophie Rosemont
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
77 À qui profite la 5G ?
80 L’industrie africaine du voyage à l’agonie
81 Tidjane Thiam rattrapé par le business
82 Les fi nances de l’Algérie à bout de souffle
84 Les matières premières retrouvent des couleurs
85 Le streaming musical pousse le volume par Jean-Michel Meyer
VIVRE MIEUX
86 Les allergies alimentaires de plus en plus nombreuses
87 Votre langue : Attention à son aspect
88 Surveiller la croissance des enfants
89 Que faire en cas de sécheresse oculaire ? par Annick Beaucousin et Julie Gilles
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C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage
En 2018, Mo Jodi, premier album du groupe, plaçait le créole au centre de la SCÈNE BLUES internationale. Aujourd’hui, le trio est de retour avec le f iévreux 4 E D MATEN, qui rend hommage au x t ravailleurs. Interview de son leader.
DELGRES, 4 Ed Maten, Pias.
De gauche à droite, Rafgee, Pascal Danaë et Baptiste Brondy.
AM : Que s’est-il passé depuis le succès inattendu de Mo Jodi ?
En ces moments si durs d’épidémie et de distanciation sociale, une belle sélection quand même, pour penser à autre chose, lire, écouter, regarder, s’évader.
Pascal Danaë : L’accueil réservé à ce besoin viscéral de faire ce blues créole, c’était merveilleux. D’autant plus que l’on a pu beaucoup tourner, partager avec le public. On a enregistré 4 Ed Maten en janvier 2020, et d’un seul coup, tout s’est arrêté alors que l’on allait partir en tournée en Louisiane. Nous vivons ce sentiment assez étrange que le départ de la course n’est jamais donné ! Heureusement, nous avons eu le temps, juste avant le confinement, de partir aux studios ICP, à Bruxelles. Après avoir enregistré Mo Jodi à la Frette Studios, où l’ambition était de capter notre son live, nous avons eu envie de nous amuser davantage avec les possibilités techniques d’un studio. Sans remettre en cause l’authenticité live de Delgres. L’ouverture de l’album, « 4 Ed Maten » (« 4 heures du matin » en créole), donne son nom à l’album…
C’est l’heure à laquelle se réveillait mon père quand il est arrivé en France, en 1958. Il devait décharger des caisses dans des wagons dans le centre de triage d’Argenteuil. L’hiver, il fourrait du papier journal dans ses chaussures pour avoir chaud… Cette chanson, c’est un hommage au travail qu’il a abattu pour nourrir sa famille. Lui et tous les autres ouvriers d’hier et d’aujourd’hui, toutes nationalités confondues. Delgres, groupe engagé ?
Nous souhaitons fédérer autour de valeurs universelles, les causes pour lesquelles s’est sacrifié Louis Delgrès [chef militaire anti-esclavagiste guadeloupéen (1766-1802), ndlr]. Il y a toujours un combat à mener contre l’aliénation liée au travail, pour ces valeurs importantes d’humanisme, qui sont toujours menacées. Il ne faut pas se perdre dans des polémiques, et continuer à vivre ensemble. Baptiste Brondy, Rafgee et moi-même sommes réunis autour de ce désir de prosodie blues créole, et l’amour pour nos modèles musicaux comme Johnny Lee Hooker, Skip James et Muddy Waters. À la source de votre musique, il y a aussi l’Afrique…
Delgres raconte l’odyssée de ces personnes parties d’Afrique qui ont dû se reconstruire sur une île antillaise. Qui, au début du XIXe siècle, ont été déportées dans les États sudistes à la suite de la défaite de Louis Delgres face à Napoléon. Des siècles plus tard, d’autres ont dû repartir se reconstruire en France… Mais la source, c’est l’Afrique. C’est formidable de voir à quel point les Antillais, à travers le monde, restent africains, dans la nourriture, la gestuelle… Je suis un fan absolu de la musique mandingue, et j’ai eu la chance de travailler avec Bako Dagnon ou Sidiki Diabaté. Je suis aussi passionné par des groupes comme Konono N°1. Quand j’entends du blues, je ne suis pas à Chicago, mais au nord du Mali. Mon premier contact avec la musique africaine, c’était le 45 tours de Franco qu’écoutaient mes parents. Lorsque je l’écoute aujourd’hui, les larmes peuvent me monter aux yeux… ■
Propos recueillis par Sophie Rosemont
À écouter maintenant !
Yelli Yelli
La Violence est mécanique, Cry Baby
« Je frappe le ciel de ma voix », chante-t-elle dans « Tassusmi ».
Les acteurs de l’époque côtoient la jeune génération. Ci-contre, Teyana Taylor et Wesley Snipes. Et ci-dessus, Kiki Layne et Eddie Murphy.
La SUITE DU FILM CULTE de John
Landis se déroule sur le continent.
PLUS DE TRENTE ANS après avoir rencontré sa reine dans le Queens, le prince Akeem, devenu roi et papa de trois filles, repart à New York chercher un fils certes illégitime, mais seul à même de lui succéder un jour. Cette suite du film culte de John Landis se passe essentiellement en Afrique, au Zamunda (aux faux airs du royaume secret de Wakanda, dans Black Panther) : costumiers et décorateurs s’en sont visiblement donné à cœur joie. La plupart des acteurs de l’époque reprennent du service, avec une jeune génération et un scénario qui font la part belle aux femmes. Sans oublier, bien sûr, Eddie Murphy qui règne sur la distribution (il interprète aussi plusieurs rôles secondaires, comme en 1988). La version française se retrouve hélas privée de sa voix mythique, le comédien franco-mauritanien Med Hondo étant décédé en 2019. ■ Jean-Marie Chazeau UN PRINCE À NEW YORK 2 (États-Unis), de Craig Brewer. Avec Eddie Murphy, Jermaine Fowler, Wesley Snipes, Leslie Jones. Disponible sur Amazon Prime Video.
Depuis quelques années, Yelli Yelli explore les racines algériennes de sa mère kabyle, tout en mariant le folk à l’air du temps. Nouvelle démonstration avec cet album, La Violence est mécanique, coréalisé par DJ Chloé et Piers Faccini. Coup de cœur !
Youssoupha
Neptune Terminus, Believe
Gaël Faye, Jok’Air, Dinos, Lefa… Les invités ne manquent pas dans cet album attendu depuis trois ans par les nombreux fans du rappeur français. Mais il ne s’agit pas de faire diversion. Au contraire, le propos est plus affirmé que jamais chez Youssoupha. À commencer par celui de la pochette, sur laquelle son fils lève le poing en l’air. Prendre la parole et la garder, sans oublier les beats hip-hop qui l’animent.
Sarah Maison
Soleils, Muzul Productions/Modulor
Le soleil donne l’air intelligent, c’est bien connu. Il rend plus beau aussi, et d’autant plus s’il se décline au pluriel, comme le titre du nouvel EP de la chanteuse
Sarah Maison. Elle y cultive toujours son jardin de folk orientalisant, avec une grâce et un allant contagieux… Sans oublier une richesse imagée qui fait de chaque chanson un véritable court-métrage. ■ S.R.
C’est le ROMAN D’UNE VIE. Celle d’une femme lumineuse, confrontée aux regards d’une France coloniale. Une vie que l’art et les amitiés sélectives subliment enfin.
LORSQUE L’AUTEUR met en scène, en 2013, l’icône pacifiste du mouvement afro-américain des droits civiques, Rosa Parks, dans La Rose dans le bus jaune, il a déjà fait la connaissance d’une autre femme hors du commun, dans la vie réelle. Rencontrée à Perpignan au début des années 2000, Madeleine Petrasch, dite Mado, sera l’héroïne de l’un de ses futurs romans. Il en est convaincu. La voici, à plus de 80 ans, au cœur d’un récit de guerre, d’exil, de renaissance et d’épanouissement. À partir des différents témoignages qu’il a pu recueillir, le romancier camerounais retrace son destin singulier. Celui d’une enfant d’Afrique, née à Édéa d’un père suédois et d’une mère camerounaise, confiée à une famille de colons français, brinquebalée au gré des bousculades de l’histoire, exilée en France, mariée au très aimant Marcel, et devenue citoyenne de la capitale de la cerise, Céret, ville frontalière de l’Espagne. La cité catalane est notamment connue pour son musée d’art moderne, fruit des passages et des séjours des plus grands artistes du XXe siècle – Matisse, Chagall, Soutine pour n’en citer que quelques-uns. Et surtout Picasso, ébloui par la beauté et les « hanches de flamme » de Mado, amie secrète et égérie de nombre de ces artistes de renom. Brûlant était le regard de Picasso mêle subtilement l’intime et l’histoire. Au fil du récit sont évoqués la colonisation, les luttes pour l’indépendance du Cameroun, le rôle du continent lors la Seconde Guerre mondiale, l’Afrique-Équatoriale française comme enjeu pour le général de Gaulle (qui a besoin d’une base arrière pour conduire la résistance), ou encore le premier Congrès international des écrivains et artistes noirs, à Paris, en 1956. Ce dixième roman est foisonnant. Il porte le flambeau de la résilience et de l’altérité. Habité par son héroïne, l’auteur de Souveraine Magnifique (Grand prix littéraire d’Afrique noire 2015) et du Balcon de Dieu (2019) se glisse dans la vie d’une femme hors du commun, au fil d’une narration jubilatoire. ■ Catherine Faye
EUGÈNE ÉBODÉ, Brûlant était le regard de Picasso, Gallimard, 256 pages, 20 €.
L’acteur français est méconnaissable dans ce rôle.
TAHAR RAHIM se met dans la peau
de Charles Sobhraj, un serial killer franco-vietnamien qui s’en prenait à des hippies parcourant l’Asie…
IL ÉCHAPPAIT à la police comme il manipulait ses victimes : tel un serpent, dont la morsure a été mortelle pour une quinzaine de touristes occidentaux débarquant en Thaïlande, en Inde ou encore au Népal en plein mouvement hippie. Dépouillés de leurs dollars et de leurs traveller chèques, ils ont été tués dans des conditions abominables. Charles Sobhraj a défrayé la chronique dans les années 1970, et sans la ténacité d’un diplomate néerlandais, Herman Knippenberg, et d’une jeune Française, Nadine Gires, il ne serait pas en prison aujourd’hui… L’immersion dans cette époque est particulièrement réussie, grâce à des images d’archives des rues de Bangkok ou de Paris, parfaitement intégrées au récit, et à une bande-son très « flower power ». Le choix de Tahar Rahim pour incarner ce métis natif de Saïgon pourrait surprendre, mais il est très convaincant dans un rôle qu’on ne lui connaissait pas. Glaçant, il sait également très bien faire passer la soif de revanche d’un homme rejeté par la bourgeoisie blanche parisienne qu’il a fui. Dans cette série de la BBC, diffusée par Netflix, la comédienne britannique Jenna Coleman, qui joue sa complice, est tout
Le couple Knippenberg, incarné par Ellie Bamber et Billy Howle.
aussi excellente, à une nuance près, assez gênante : dans la VO, lorsqu’elle parle français, c’est avec un accent calamiteux qui la rend parfois incompréhensible, et sans une once d’intonation québécoise, alors qu’elle incarne une Canadienne francophone. Plutôt perturbant, même si le montage et la reconstitution des événements sont suffisamment habiles pour nous tenir en haleine. À voir donc en version française, Tahar Rahim assurant dans les deux cas ! ■ J.-M.C.
LE SERPENT (Royaume-Uni), de Richard Warlow et Toby Finlay. Avec Tahar Rahim, Jenna Coleman, Billy Howle. Disponible sur Net fl ix.
KAHINA
BAHLOUL, Mon islam, ma liberté, Albin Michel, 208 pages, 18,90 €.
Kahina Bahloul prend la parole pour inviter à SE R ÉAPPROPRIER son islam. Et le rendre à sa vocation universelle.
« JE SUIS NÉE EN 1979, l’année où l’ayatollah Khomeiny a pris le pouvoir en Iran, où une œuvre du grand mystique andalou Ibn Arabî fut interdite à la vente en Égypte, où la mosquée de La Mecque connut la prise d’otages la plus sanglante de son histoire. » Fille d’un père kabyle issu d’une famille de marabouts et d’une mère française d’origines juive et catholique, la première imame de France nous livre sa vision d’un islam ouvert, affranchi des peurs et des scléroses, et témoigne de son parcours. Courageuse et déterminée, cette femme de dialogue et de paix s’est fait remarquer à la suite des attentats de 2015 par ses prises de position pour déconstruire le fondamentalisme islamiste. En 2019, elle cofonde la mosquée Fatima, libérale, d’inspiration soufie, ouverte aux femmes voilées ou non, mais aussi aux non-musulmans. Ses initiatives lui valent de violentes attaques et lui attirent des insultes sexistes et antisémites. Qu’à cela ne tienne, Kahina Bahloul se veut comme un symbole du renouveau de l’islam. Et de tolérance. ■ C.F.
LES PHOTOS de l’artiste subliment la vie quotidienne du Sénégal. Wallbeuti (« l’envers du décor » en wolof) rassemble ses portraits réalisés près de Dakar et à Ndindy, pendant les travaux des champs des agriculteurs de la confrérie soufie Baye Fall. Plaçant son objectif derrière une toile de tente traditionnelle, il inverse les règles du studio : « La toile ne sert pas de fond, mais de filtre, de mise en relation » entre lui et le sujet. Ce procédé estompe les contours, diffuse la lumière, les couleurs, confère une dimension onirique aux présences en mouvement. Les entailles dans le tissu, les accros des coutures rayent l’image et figurent le passage du temps, le grain crépitant d’un vieux film, les traces d’une mémoire. Ces clichés évoquent parfois une peinture, un pastel, une sanguine… Né à Tokyo en 1979, le photographe dispose de peu d’images de son enfance au Sénégal. Une façon symbolique de se constituer des archives intimes. ■ Astrid Krivian
MABEYE DEME W
MABEYE DEME, Wallbeuti, l’envers du décor, autoédition, 112 pages, 40 €.
Inspiré de faits réels, un huis clos dans une chambre du Caire, où les langues se délient.
FAIRE L’AMOUR, dormir, se raconter des histoires… Pendant deux nuits et deux jours, Amal et Omar se laissent emporter dans un maelstrom de sexe et de confidences. Elle, jeune Américaine d’origine égyptienne, vient de sortir d’un an de prison pour appartenance à une ONG visant à déstabiliser le pouvoir, et doit quitter le pays. Lui est chauffeur de taxi. Ils se sont rencontrés à une fête et ne se reverront pas. Entre somnolence et exaltation des corps, ils se livrent l’un à l’autre et dénoncent des affaires survenues après la révolution de 2011. Viol d’une militante par les forces de sécurité, tragique histoire d’amour entre un sympathisant des Frères musulmans et son petit ami, corruption, terrorisme. Un roman politique coup de poing qui mêle fiction et réalité. ■ C.F. EZZEDINE FISHERE, Toutes ces foutaises, Éditions Joëlle Losfeld, 288 pages, 22 €
Une exploration de L’EFFACEMENT PROGRESSIF des modes de vie traditionnels, des déplacements réels ou imaginaires et des effets de la globalisation.
AVEC « ZONE FRANCHE », l’Institut des cultures d’Islam (ICI) est quartier général de la Saison Africa2020. Fruit d’une rencontre entre trois structures artistiques situées au Cameroun, au Maroc et en France, l’événement culturel explore le mouvement des voyageurs, des marchandises et des imaginaires par-delà les limites matérielles ou invisibles. L’exposition, associée à une programmation pluridisciplinaire (concerts, spectacles vivants, films), est une cocréation entre Doual’art, centre d’art qui soutient la production artistique contemporaine au Cameroun, Think Tanger, plate-forme culturelle qui explore et expérimente les multiples enjeux
sociaux et spatiaux de l’urbanisation de la ville marocaine, et l’ICI, dont l’objectif est de faire connaître la diversité des cultures d’Islam et leur dynamisme dans la création contemporaine.
Cette aventure collective met en scène un concept de nomadisme transposé à tous ceux qui traversent les frontières, humains ou objets. Elle se visite en ligne à cette adresse : institut-cultures-islam.org. ■ C.F.
« ZONE FRANCHE », Institut des cultures d’Islam, Paris (France), jusqu’au 1er août 2021 (les dates peuvent évoluer en fonction de l’actualité).
Avec son album KEYBOARD FANTASIES, le musicien afro-américain confirme, à 77 a ns, qu’il n’y a pas d’âge pour être
(re)découvert.
DES SYNTHÉTISEURS Atari ST et Yamaha DX7, une boîte à rythmes Roland TR-707, des mélodies promptes à la contemplation… Cet album, magnifique recueil de morceaux ambient d’une grande sensibilité spirituelle à la croisée de multiples cultures, date de 1986, mais jusqu’en 2015, personne ou presque n’en parlait ni ne l’écoutait. Il aura fallu que Beverly Glenn-Copeland entame sérieusement sa septième décennie pour que l’on s’intéresse à son travail, grâce au coup de fil d’un collectionneur de disques japonais qui lui demande s’il lui reste quelques exemplaires de Keyboard Fantasies. En effet, il a de quoi faire sur les 150 disques environ qu’il avait pressés à l’époque. Un documentaire et un nouvel album plus tard, l’artiste joue devant un public de plus en plus jeune, qu’il impressionne par son parcours. Assigné femme à sa naissance en 1944, à Philadelphie, dans une famille de musiciens passionnés, il fait partie de la première promotion d’étudiants noirs admis à l’Université McGill, à Montréal. Il a 17 ans, et son arrivée au Canada lui permet d’être enfin lui-même : Glenn. Il rencontre son épouse Elizabeth, qui partage toujours sa vie, puis sort un disque de folk jazzy en 1970. Sans grand succès. Quand le même sort est réservé à Keyboard Fantasies, Glenn-Copeland préfère se consacrer à d’autres projets. Jusqu’à la (re)découverte, il y a cinq ans, de son corpus. « Il y a trois défis dans ma vie. Le premier est d’être noir dans une culture blanche. Le deuxième est d’être trans dans une culture hétéronormative. Le troisième est d’être un artiste dans une culture commerciale », résume-t-il. Ces obstacles infranchissables auraient pu avoir raison de sa santé mentale et psychique. Mais impossible n’est pas Copeland, qui profite aujourd’hui de la réédition en CD et vinyle de Keyboard Fantasies avec, excusez du peu, un texte écrit par la popstar suédoise Robyn. ■ S.R.
Cinquante œuvres du plasticien camerounais BARTHÉLÉMY TOGUO explorent les dysfonctionnements du monde pour mieux les dénoncer dans cette exposition du Quai Branly qui lui est entièrement consacrée.
Purification, 2010.
« DÉSIR D’HUMANITÉ : LES UNIVERS DE BARTHÉLÉMY TOGUO », Musée du quai Branly, Paris (France), jusqu’au 5 décembre 2021 (les dates peuvent évoluer en fonction de l’actualité). quaibranly.fr
CRÂNES TRAVERSÉS d’anthuriums vert chlorophylle, masque anthropomorphe, silhouette éclaboussée d’encre rouge, installations monumentales ou encore créatures hybrides… Provocantes et tout à la fois éloquentes, les œuvres du sémillant artiste multidisciplinaire interrogent les grands bouleversements de notre monde et les incertitudes de son avenir. Mises en résonance avec des pièces d’art ancien africain, elles vont et viennent d’une intimité ultrasensible aux remous du collectif : guerres, immigration, désastres écologiques, corruption. La dimension politique est manifeste. Le propos humaniste. Figure originale et centrale de la scène artistique internationale, ce globe-trotter et fondateur de la Bandjoun Station, premier centre culturel du Cameroun, n’a de cesse d’éveiller les consciences. ■ C.F.
INITIATIVE
L’entrepreneuse
promeut les RICHESSES CULTURELLES du continent et de ses diasporas avec ses Nooru Box.
« LA FORCE DU BAOBAB EST DANS SES RACINES » dit l’adage congolais, cité dans son recueil L’Afrique en 200 proverbes (éditions First). Cette philosophie éclaire le parcours professionnel de l’entrepreneuse d’origine ivoirienne, née à Paris. Diplômée d’une licence d’arts plastiques, d’un double master en coopération internationale et formée en modélisme-toilisme, Virginie Ehonian partage dès 2011 ses coups de cœur artistiques parmi les scènes africaines et diasporiques sur son blog africanlinks.net. En 2016, prolongeant sa démarche, elle lance en ligne les Nooru (« lumière » en swahili) Box : des coffrets cadeaux proposant une sélection d’objets culturels issus des cultures africaines, caribéennes, afro-américaines. Art contemporain, littérature, musique, artisanat, photographie, cosmétique, gastronomie, mode… La Nooru Box puise dans la nouveauté comme dans l’histoire et s’adresse aux connaisseurs comme aux néophytes. Un fil conducteur compose chaque édition (« Sweet Black Words », « Pause », « Life & Style »...) et offre un dialogue interculturel inédit. Son logo ? Un Adinkra (symbole visuel créé par les Akans) symbolisant à la fois l’unité, le commerce entre les peuples, la prospérité. C’est tout ce qu’on lui souhaite. noorubox.com ■ A.K.
et autodidactes, des artistes souiris s’installent dans la ville ocre.
EST-CE LE VENT qui souffle continuellement sur l’ancienne Mogador, la musique spirituelle hypnotique gnaoua ou les transes sacrées qui les inspirent ? C’est dans cet univers si particulier que les artistes d’Essaouira puisent leur profusion de formes, de couleurs, de personnages, de paysages. Un monde singulier aux influences multiples, notamment le soufisme, l’animisme et les rituels importés par la diaspora noire, dans lesquels la transe et la magie jouent un grand rôle. La coexistence des cultures arabes, juives, berbères et subsahariennes aussi. Leurs créations sont tout à la fois instinctives et réfléchies, naïves et approfondies. Des chorégraphies picturales de Mohamed Tabal, initié très jeune au culte gnaoua, aux résurgences oniriques de Regraguia Benhila, figure de proue féminine de ce mouvement pictural informel, en passant par les nuages peuplés de personnages et de créatures imaginaires planant au-dessus de la médina et de ses remparts d’Abdelkader Bentajar, chaque œuvre raconte une histoire ■ C.F. « OUTSIDERS/INSIDERS ? ARTISTES D’ESSAOUIRA DES COLLECTIONS FONDATION ALLIANCES ET FUNDACIÓN YANNICK Y BEN JAKOBER », Musée d’art contemporain africain Al Maaden, Marrakech (Maroc), jusqu’au 25 juillet 2021 (les dates peuvent évoluer en fonction de l’actualité). macaal.org Abdelmalek Berhiss, 1996.
PHÉNOMÈNE
En revenant aux racines de la PEINTURE, le Ghanéen est devenu le deuxième artiste africain le plus coté en un rien de temps.
IL PEINT LES VISAGES AU DOIGT. Une technique singulière. Devenu rapidement le deuxième artiste africain le plus coté – après son compatriote El Anatsui –, le peintre ghanéen réinvente les personnes de son entourage sur des grands formats. Des portraits en pied, à la fois curieux, intimistes et pleins de délicatesse. Cet héritier du maître autrichien Egon Schiele pose un regard nouveau sur les corps et les identités noires issues de la diaspora. Le résultat est troublant. D’un simple mouvement, il insuffle une énergie singulière, où le masculin se mêle au féminin, le textile aux courbes du corps. Sa notoriété, il la doit à Kehinde Wiley, portraitiste officiel de Barack Obama, le premier à le repérer sur Instagram, en 2018, et à lui acheter une œuvre. Dès lors, tout s’enchaîne. Après le palais Albertina (Vienne) et le musée Rubell (Miami), le musée Guggenheim (New York) puis le musée d’Art du comté de Los Angeles font rentrer l’une de ses œuvres dans leurs collections. Kim Jones, directeur artistique de Dior Homme, s’enthousiasme pour son style. Inspirée du travail du peintre, la nouvelle collection de la maison de luxe française est portée uniquement par des mannequins noirs. En février 2020, l’une de ses toiles est vendue aux enchères pour 880 971 dollars (13 fois son estimation). En décembre, c’est à plus de 1 million qu’un de ses tableaux s’envole chez Christie’s. Pourtant, à 38 ans, l’artiste garde la tête sur les épaules. Cette année, il doit ouvrir à Accra une résidence d’artistes dessinée par l’architecte star britannico-ghanéen David Adjaye. Un lieu conçu comme un contre-pied au marché. Car Amoako Boafo a un rêve : « Je veux que la jeune génération ait d’autres choix que de quitter le continent. » ■ C.F.
Ses œuvres ont inspiré la collection masculine printemps-été 2021 de Dior.
VARIÉTÉ
MUSICIEN FRANÇAIS
parcourt les territoires sonores africains et s’offre même un duo avec la légende angolaise Bonga.
IL AVAIT ÉTÉ RÉCOMPENSÉ par un coup de cœur de l’Académie Charles Cros avec son précédent album, Le Chant des rameurs, qui reliait la musique mandingue et la chanson française. Avec Lua, il explore l’Afrique lusophone. La curiosité est l’un des meilleurs défauts de Gabriel Saglio, auteur-compositeur, multi-instrumentiste et chanteur accompli qui, après avoir grandi dans une famille de musiciens militants, sillonne les routes depuis le début des années 2000 avec son groupe Les Vieilles Pies. Lua, qui signifie « lune » en portugais, est pourtant d’une énergie toute solaire, piochant des rythmes du côté du Cap-Vert, de la Guinée-Bissau ou de l’Angola. Avec, toujours, des guitares Cavaquinho… Saglio réalise aussi un rêve d’enfant en enregistrant un duo éponyme avec Bonga, que l’on ne présente plus. ■ S.R. GABRIEL SAGLIO, Lua, LVP-Absilone/Socadisc.
Ni tout à fait homme, ni tout à fait animal, le seigneur de la jungle renaît dans une bande dessinée de haut vol.
IL Y EN AURA EU des adaptations du roman d’Edgar Rice Burroughs, Tarzan, seigneur de la jungle, paru aux États-Unis en 1912 et publié pour la première fois en France en 1926 sous le titre Tarzan chez les singes. L’enfant sauvage archétypal élevé par des manganis (espèce fictive de grands singes) dans la jungle africaine est l’un des personnages de fiction les plus connus au monde. L’impact culturel à sa sortie est tel que Burroughs se lance sans attendre dans l’exploitation de Tarzan sous forme de bandes dessinées, de films et de produits dérivés. L’homme singe s’élève au rang de star internationale. Le voici remis à l’honneur dans une adaptation illustrée et fidèle du premier roman. Les dessins sont saisissants. Le travail sur la couleur de grande envergure. Il n’y a pratiquement pas de texte jusqu’à la moitié de l’album, où le fils d’aristocrates anglais, recueilli et élevé par une guenon appelée Kala, découvre qu’il est John Clayton III, Lord Greystoke. Et homme. Captivant. ■ C.F. CHRISTOPHE BEC, STEVAN SUBIC, Tarzan : Tome 1, Seigneur de la jungle, Soleil, 84 pages, 17,95 €.
Une exploration de l’amour sous toutes ses formes. Entre l’Alsace, la Vallée de la Roya et le Sénégal natal de l’autrice.
« COMBIEN SOMBRES devaient être les profondeurs qui le contraignaient à tant lutter pour garder la légèreté de flotter sur les jours ? » Encore une fois, l’autrice du Ventre de l’Atlantique (2003) et des Veilleurs de Sangomar (2019) distille cette langue si particulière. Un concentré de poésie et d’humour, de mots qui consolent. Cette fois-ci, elle renoue avec le genre de la nouvelle, met en scène des hommes, des femmes, que la vie n’a pas épargnés. Un amoureux transi, un ancien boxeur, un voisin handicapé. Des êtres qui avancent, envers et contre tout. « Vivre, c’est avoir le pied marin. » Cet enseignement de son grand-père, pêcheur sur l’île de Niodor, la guide. Inlassablement. Des paroles en héritage et un apprentissage de toute une vie. Comme l’écriture, toujours recommencée. C’est là qu’elle se sent plus vivante que jamais. ■ C.F.
FATOU DIOME, De quoi aimer vivre, Albin Michel, 240 pages, 17,90 €
MOKODU FALL
MODE
C’est une première : des designers afro-italiens ont pu montrer leurs créations sur les passerelles de la haute couture durant la FASHION WEEK DE MILAN.
POUR LA PREMIÈRE FOIS, cinq stylistes afro-italiens ont pu montrer leur talent, fin février, sur la scène prestigieuse (en mode virtuel) de la Fashion Week de Milan. Les designers font tous partie du collectif Black Lives Matter in Italian Fashion, dirigé par Michelle Francine Ngonmo, laquelle s’engage depuis sept ans pour une meilleure prise en compte des designers africains dans le monde très select de la mode transalpine. Chacun d’entre eux possède son propre style et raconte son histoire à travers ses créations.
Joy Ijeoma Meribe, Nigériane arrivée à Parme en 2003, a lancé sa marque en 2017 avec l’objectif d’habiller des femmes élégantes et joyeuses. Sa dernière collection a été réalisée avec Andrès Caballero, spécialiste de la soie. Elle y joue avec les couleurs, les imprimés et des inserts précieux qui ornent jupes, chemises ou vestes raffinées. Chez la Burundaise Fabiola Manirakiza (Frida-Kiza), c’est l’art italien qui est source d’inspiration. La collection capsule automne-hiver 2021 de cette styliste installée dans le centre du pays depuis trente ans
comprend tailleurs en laine, chemisiers, minirobes et pyjamas imprimés avec un motif réinterprétant la peinture Le Printemps de Botticelli.
Karim Daoudi, lui, est né au Maroc et a grandi à San Mauro Pascoli, une ville de fabrication de chaussures dans le nord de l’Italie. Pour cette collection, il a choisi une palette de verts, fuchsia, noirs et blancs qui évoquent les couleurs brillantes de la jungle et se déclinent en bottes, bottines et sandales au look audacieux.
La couleur est également protagoniste de la ligne signée Mokodu Fall, artiste sénégalais basé à Rome. Ses costumes, robes fourreau, combinaisons ou vestes évasées peints à la main proposent un look unique, original et personnalisable.
La dernière de ces cinq magnifiques, la Camerounaise Claudia Gisèle Ntsama, joue aussi avec l’art contemporain, mais se laisse guider par son amour pour la mode japonaise. Ses créations, réalisées en chanvre, attirent les regards avec leurs volumes intrigants et envoûtants. ■ Luisa Nannipieri
CLAUDIA GISÈLE
INSTALLÉ DEPUIS 2016 à côté de la Bibliothèque nationale de France et en itinérance à La Défense de mars à décembre, le foodtruck New Soul Food propose une cuisine afropéenne. Fin 2019, l’équipe menée par le chef Rudy Lainé a ensuite ouvert quai de Valmy le restaurant Le Maquis, avec ses plats de street food inédits, inspirés d’Afrique et des Caraïbes, disponibles en livraison et en click and collect. En 2020, Rudy Lainé a signé un partenariat avec l’enseigne Monoprix et vient d’installer un stand AfroTruck dans l’un de leurs magasins du 9e arrondissement. Au menu : des apéros à base de rhum arrangé aromatisé et de chips de plantain, et des plats, comme l’AfroKankan (côtelettes d’agneau aux épices) ou du poulet braisé aux herbes, au curry ou bien encore au poivre de Penja. Côté dessert, le tout nouveau Bamichoco (sans gluten) nous fait saliver : une mousse au chocolat noir de Côte d’Ivoire, avec cacahuètes grillées de Douala sur un lit de caramel et un biscuit chocolat-manioc. Quelques mètres plus loin, près du métro Colonel Fabien, on tombe sur l’iconique vitrine du Gumbo Yaya, véritable institution de la cuisine soul de la capitale. Ici, l’âme vibre
Gumbo Yaya est une institution de la cuisine soul de la capitale.
plutôt au son de la food du sud des États-Unis, une cuisine très populaire dont les origines remontent à la période esclavagiste. La spécialité de la maison est le Chicken and Waffles : du poulet frit roulé deux fois avec du lait fermenté, servi avec deux gaufres arrosées de sirop d’étable, comme le veut la tradition. À déguster avec des frites ou des mac and cheese (petits estomacs, passez votre chemin). ■ L.N. newsoulfood.fr / @gumbo_yaya_paris
Le célèbre CAMPUS international universitaire de Paris s’agrandit avec le pavillon Habib Bourguiba.
DEPUIS OCTOBRE DERNIER, la Tunisie peut compter sur deux pavillons dans le parc de la Cité internationale universitaire de Paris. Après la maison édifiée en 1953 par Jean Sebag, ce nouveau bâtiment à l’allure contemporaine et à la façade emblématique a été livré par le cabinet Explorations Architecture. Le défi était de construire une structure où formes, espaces, motifs et lumières concourent à témoigner de la culture et de la vitalité de la Tunisie. Situé en haut du terrain à l’est de la Cité actuelle, le pavillon Habib Bourguiba a été le premier bâtiment construit dans le cadre du développement du campus. Bien visible depuis le périphérique, il comprend 200 chambres, un auditorium, un salon de thé ouvert sur le parc et une salle de lecture. Le tout réalisé dans un espace contraint, obligeant les architectes à jouer avec les plans pour libérer du volume pour les espaces communs. Réalisée en collaboration avec l’artiste tunisien Shoof, la façade est un écran protecteur qui évoque la calligraphie arabo-musulmane et la tradition du moucharabieh. Un bel exemple de comment une approche abstraite peut évoquer la culture du pays de la même façon – sinon mieux – que le recours à des éléments architecturaux spécifiques. ■ L.N.
TOURISME
FAUNE SAUVAGE ET NATURE à perte de vue : l’après-pandémie pourrait faire la part belle à ces excursions si particulières.
APRÈS TOUS CES MOIS DE COUVRE-FEU et de confinement, les beaux jours marqueront-ils le retour des vacances en pleine nature à l’étranger ? C’est le pari des opérateurs touristiques, qui misent sur un nouvel engouement pour les safaris, une fois les restrictions de voyage assouplies. À vrai dire, les circuits organisés n’ont jamais cessé d’attirer les touristes, même si, fin janvier, la France a interdit les voyages en dehors de l’Union européenne, sauf en cas de nécessité. Les frontières du Kenya, de la Tanzanie et de la Namibie, par exemple, étant restées ouvertes, plusieurs agences ont pu y envoyer des clients en petit comité. Que ce soit au Botswana, au Zimbabwe ou encore au Malawi, l’Afrique australe est
la destination rêvée pour ceux qui souhaitent programmer un voyage l’esprit tranquille. Ces destinations offrent la liberté, les grands espaces, et la possibilité d’être proche de la nature et de ne pas se retrouver les uns sur les autres. Ici, on vit dehors, entourés par des paysages insolites et à quelques pas d’une faune sauvage et d’une nature préservée. Les opérateurs spécialisés ont déjà prévu d’adapter leur offre à une demande qui souhaite conjuguer aventure et sécurité sanitaire, sélectionnant pour leur séjour de petits campements ou lodges qui peuvent même être privatisés.
Chez Safaris à la carte, par exemple, on conseille un circuit privatif entre la Zambie et le Malawi, deux
Les frontières de la Tanzanie sont restées ouvertes.
destinations encore peu connues. Après un safari animalier dans le Parc national de South Luangwa, l’un des plus beaux d’Afrique pour sa faune et sa flore, place au relax lors d’un séjour balnéaire original sur les magnifiques plages de sable blanc du lac Malawi (à partir de 2895 euros).
De son côté, Nomade Aventure renouvelle ses classiques en Namibie et Tanzanie, veillant à proposer des parcours en pleine nature, loin de toute concentration de population, en très petits groupes ou en individuel. Comme le circuit De la Namibie à Victoria Falls ou le Safari des grands parcs, avec des départs programmés dès la mi-mai. ■ L.N. safaris-a-la-carte.com / nomade-aventure.com
Mawimbi Bush Camp (Zambie) : situé sur les berges de la rivière Kafue. C’est le point de départ de plusieurs safaris en canoë et une façon insolite d’explorer l’Afrique au fil de l’eau.
Lodge Onguma Fort (Namibie) : à deux pas de l’extraordinaire biodiversité de l’immense lac salé asséché d’Etosha. Unique de par son architecture et son emplacement, il propose des hébergements qui vont du luxe absolu au camp de brousse.
À SAVOIR : En Namibie, Zambie et Tanzanie, entre autres, les frontières sont ouvertes aux voyageurs internationaux. Une fois que la France aura autorisé les voyages hors Europe, il suffira de présenter un test PCR à l’aller et au retour pour s’y rendre. Les agences de voyages proposent dans la plupart des cas des assurances adaptées à la situation sanitaire, avec prise en charge des frais de séjour supplémentaires en cas de test positif avant le vol de retour.
propose une esthétique contemporaine de l’Afrique au confluent des couleurs. Passé maître dans l’art de façonner le cocotier, il présente ses œuvres surprenantes lors de l’exposition « Colors of Abstraction 2 » à la 193 Gallery, qui rouvrira dès la fin du confinement parisien. par Fouzia Marouf
Large sourire, œil pétillant, Jean Servais Somian se délie avec passion face à ses meubles sculptures dentelés de jaune vif, d’éclats rouges qui fleurissent l’espace de la 193 Gallery, illuminée par ses pièces uniques façonnées à la main. Le designer incarne avec brio l’alliance entre l’art et la matière fusionnant avec la couleur. Exigeant, créatif, né en Côte d’Ivoire en 1971, il transforme, triture le bois de cocotier, d’ébène et d’amazaque : les anciennes pirogues sont sublimées en méridiennes, les troncs de cocotiers magnifiés en miroirs. « J’ai eu un coup de foudre pour le cocotier. Cette plante issue de mon pays, insoupçonnée, qu’on ne voyait plus. Elle est tendre, dure. Il faut redoubler de temps et d’attention pour la sculpter, puis attendre deux mois pour qu’elle sèche au grand air », confie-t-il. Poète, cet originaire de Grand-Bassam appelle ses œuvres aux lignes épurées des « demoiselles », comme ce bar vertical, Demoiselle à trous colorés, qui trône dans l’antre de la galerie.
S’il insuffle au fil des saisons toute son ampleur et sa plénitude au bois, sa matière de prédilection, l’artiste fait ses premières armes à 16 ans au centre d’ébénisterie de l’artisan libanais Georges Ghandour, à Abidjan, puis au centre artisanal de Grand-Bassam. Esthète en quête d’une ligne atypique, il met ensuite le cap sur Lausanne, en Suisse, où il se passionne pour le design au sein de l’agence Daniel Beck : sa patte artistique puisera sa source entre la sculpture et le design. Toujours fidèle au cocotier, qui le fascine, il crée, ponce, vernit chaque pièce, fruit d’un travail de cinq mois, car « il est important de lui insuffler une seconde vie ». Passé maître dans l’art de raviver le bois, il expose en 2002 ses œuvres à la Biennale internationale du design de Saint-Étienne, en France, à côté de Philippe Starck. Dès le lendemain, son art hybride est en une du journal local et, à sa grande surprise, fait l’unanimité : « Conquis, le journaliste du New York Times a acquis une centaine de pièces ! » se souvient-il. Ses séries font fureur. En 2013, il est lauréat du prix Archibat, décerné lors du salon du design d’Abidjan. En 2018, il ouvre son show-room à Grand-Bassam. Là, au sein de son atelier, tel un alchimiste inspiré par la force de la nature, avec son geste puissant, radical, obstiné, il ravive les couleurs primaires qu’il introduit au cœur du bois. Outre la clientèle locale, séduite par ses créations à fleur d’art et d’artisanat, le designer a aussi conquis le Sénégal et l’Afrique du Sud : « Le continent doit créer pour lui et pour le monde », souligne-t-il.
Incarnant un entre-deux, ce citoyen du monde vivant entre la France et la Côte d’Ivoire expose avec aisance ses créations originales en solo show et en group show aux États-Unis, en Amérique latine, en Europe et en Afrique dans de prestigieux espaces : galeries, musées, fondations à Genève, Cologne, Dakar, Alger, Aix-la-Chapelle. Et ses pièces font partie des grandes collections à travers le monde : celles de Matthias & Gervanne Leridon et du roi Mohammed VI du Maroc. Porteur d’ancestralité, très attaché à la culture africaine, il forme à Grand-Bassam les enfants de Ghandour. Cet artiste novateur est aujourd’hui un passeur d’art et de transmission. ■
«Le continent doit créer luipour et pour le monde.»
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PAR EMMANUELLE PONTIÉ
C’est la guerre ! Celle des vaccins contre le Covid-19… Les États-Unis, l’Europe, la Chine, la Russie fabriquent les produits, livrent ou ne livrent pas les doses à X ou à Y, et il n’y en a jamais assez pour tous. En Occident, depuis janvier dernier, c’est la course. Les campagnes vaccinales doivent aller vite, enrayer les seconde et troisième vagues de coronavirus qui émergent un peu partout. Et chacun cherche sa dose. Grâce, entre autres, au programme Covax, le dispositif d’accès mondial pour un vaccin contre le Covid-19 – auquel participent 172 pays dans le monde –, l’Afrique a commencé à recevoir des petits lots du précieux sérum au cours des dernières semaines. Et certains États ont commencé à piquer : le Rwanda, la Côte d’Ivoire, le Maroc, le Ghana…
À l’heure où l’on n’a plus trop vraiment d’autre choix que de s’immuniser collectivement pour que cette pandémie régresse – y compris si on est contre les vaccins en général –, il est assez sidérant d’entendre de-ci de-là dans les quartiers des capitales africaines, des croyances et rumeurs toutes aussi folingues les unes que les autres… À Douala, on croit dur comme fer que l’hydrochloroquine, qui se vend partout, y compris dans les marchés informels, est un pare-Covid bien meilleur que le vaccin, confondant allègrement traitement et prévention… À Dakar, on pense que ce vaccin fabriqué par « les Blancs » est un moyen d’injecter le virus aux Africains, pour contrôler la démographie… À Libreville, plus fort, on injecterait des puces et des nanoparticules activées par la 5G, dans le but de… on ne sait pas trop ! On entend encore de-ci de-là que les Africains serviraient de test, et on ressort le vieux slogan « Nous ne sommes pas des cobayes ».
À ces colporteurs – sur la Toile d’abord bien sûr – d’inepties en tout genre, il faudrait rappeler que dans quelques mois, si le monde se vaccine au nord et pas au sud, des millions d’Africains risquent d’être bloqués chez eux, exclus de la reprise, d’un retour à une vie meilleure. Et il faut arrêter à chaque fois de se tromper de combat. Il vaudrait mieux descendre dans la rue pour prendre enfin un train en marche, exiger que les vaccins soient généralisés, distribués à tous, et vite. Qu’ils aient été fabriqués par des Occidentaux, des Africains ou des Asiatiques est définitivement un faux débat. C’est bien connu, complotisme et obscurantisme vont de pair. Hélas. ■
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