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3.2 Des services accroissant l’inclusion financière des agriculteurs
meilleures opportunités d’arbitrage découlant d’une plus forte intégration des marchés des intrants et des extrants aux niveaux local, national et mondial ; une coordination plus efficace ; des appariements d’entreprises). Ainsi, une étude quasi expérimentale menée par Annan et Sanoh (2018) – qui a tiré parti de l’introduction exogène de la réforme nationale d’enregistrement obligatoire des cartes SIM en 2013 au Niger – a révélé qu’un ménage dont l’activité requiert l’utilisation de technologies mobiles et qui se retrouve dans un environnement sans activité mobile en raison de la désactivation des cartes SIM, avait à peu près 33,1 points de pourcentage de chance en moins de s’engager dans des activités professionnelles non agricoles. Les technologies numériques telles que les paiements numériques et l’administration électronique ouvrent des voies d’inclusion financière (encadré 3.2).
ENCADRÉ 3.2
Des services accroissant l’inclusion financière des agriculteurs
Parmi les innovations destinées à accroître l’inclusion financière des petits agriculteurs, on trouve par exemple : • Arifu. Arifu est une plateforme numérique personnalisée et un marché éducatif répondant aux besoins des agriculteurs et leur offrant un accès à l’information. Elle propose une formation interactive en connaissances financières de base afin d’augmenter l’adoption et l’utilisation de nouveaux produits d’épargne et d’emprunt chez les populations rurales. Les agriculteurs de zones rurales n’ont souvent pas connaissance des avantages du crédit, de l’épargne et de l’assurance, ni du processus pour en faire la demande. • Apollo Agriculture. Le client Apollo type est un agriculteur rural qui vit en un lieu reculé et subvient aux besoins d’une famille de cinq à sept personnes en faisant pousser du maïs ou d’autres cultures sur environ un hectare de terres. Apollo
Agriculture dresse des profils de crédit pour les petits agriculteurs non bancarisés, grâce à des modèles d’apprentissage automatique traitant de grands volumes de données de clients, notamment les données satellite relatives aux champs des clients.
Ces données satellite permettent de déduire des caractéristiques, telles que le niveau de production, le type de culture et la présence de bétail, et intègre ces informations dans un modèle d’évaluation du crédit. Apollo Agriculture a également conçu des processus numériques automatisés pour chaque étape du cycle de vie du client, de l’acquisition du client au recouvrement des remboursements en passant par la formation. Combinées, ces innovations permettent de fournir des outils agricoles efficaces aux petits agriculteurs ruraux reculés.
Source : Kim et al., à paraître.
La croissance impressionnante de l’inclusion financière en Afrique subsaharienne observée au cours de la dernière décennie a été soutenue principalement par l’argent mobile et les services bancaires sans agence. L’argent mobile permet la réalisation de transactions entre pairs et entre appareils mobiles, ainsi que la conservation de l’argent et de cartes de crédit et de débit (Diniz, de Albuquerque et Cernev, 2011). Cette technologie est perçue comme un fondement de l’inclusion financière des personnes qui n’ont pas accès aux services financiers formels, tels l’épargne, le crédit et l’assurance (par exemple, Comninos et al., 2009).
À mesure que l’argent mobile se généralise, au-delà des agents, pour inclure les distributeurs automatiques de billets, les cartes bancaires et les plateformes en ligne destinées aux transactions de dépôt et de retrait, une forme d’interaction pourrait s’opérer entre l’utilisation de l’argent mobile et l’accès ultérieur à un compte bancaire. D’autres données détaillées sur le rôle que joue l’accès numérique dans l’inclusion financière en Afrique figurent dans SFI (2018). Plus précisément, en collaboration avec quatorze institutions microfinancières, banques, opérateurs de réseaux mobiles et fournisseurs de services de paiement présents sur le continent, une initiative conjointe de la Société financière internationale et de la fondation Mastercard pour le soutien de la croissance de la finance numérique en Afrique s’est traduite par 7,2 millions de nouveaux utilisateurs de services financiers numériques (soit une augmentation de 250 % de la base initiale), 45 000 nouveaux agents bancaires et des transactions mensuelles s’élevant à 300 millions de dollars (SFI, 2018). Il convient de souligner que les transactions numériques laissent une empreinte fournissant des informations qui peuvent faire apparaître les entreprises sur les écrans radar des créditeurs et des organismes de réglementation. Concernant les créditeurs, une telle visibilité peut contribuer à élargir l’accès au crédit et accroître l’inclusion financière. Quant aux organismes de régulation, cela peut étendre la zone grise dans laquelle les entreprises ne se conforment pas entièrement aux réglementations et à la fiscalité, car certains aspects de leurs transactions peuvent être surveillés ou réglementés. Ces effets ambivalents invitent à élaborer des réglementations adaptées et impartiales qui favorisent les gains mais réduisent les coûts perçus de la numérisation.
Les gains d’efficacité s’obtiennent grâce à un accès aux connaissances et à l’accroissement de la productivité des entreprises et des exploitations agricoles qui en résulte (par exemple, de meilleures décisions d’investissement, de plus faibles coûts de production et une meilleure qualité grâce à des conseils de vulgarisation agricole sur les engrais et graines les plus appropriés aux conditions météorologiques et du sol prédominantes, l’accès à une meilleure technique de plantation, de récolte et une meilleure connaissance des processus opérationnels, ainsi qu’un apprentissage continu grâce à des logiciels de gestion d’entreprise et d’autres outils de productivité). Par exemple, Cole et Fernando (2016) ont mené un essai contrôlé randomisé afin d’examiner les effets d’un service de
conseil agricole par téléphone mobile fourni aux agriculteurs sur la productivité agricole en Inde. L’offre de conseils agricoles a aidé à modifier les pratiques et à augmenter les récoltes de cumin (28 %) et de coton (8,6 %) d’un sous-groupe recevant des rappels. Elle produit également des effets favorables sur les pairs, car les agriculteurs témoins acquièrent de meilleures pratiques au contact des sujets étudiés et subissent moins de pertes dues aux attaques de nuisibles. De même, Kirui, Okello et Nyikal (2012) utilisent la technique de l’appariement sur score de propension afin d’évaluer l’impact des technologies d’argent mobile sur les ménages des zones rurales au Kenya. Selon leurs résultats, les services de transferts mobiles augmentent sensiblement la consommation annuelle d’intrants par les exploitations agricoles des ménages, de 42 dollars ; la commercialisation agricole, de 37 % ; et les revenus, de 224 dollars.
Il ne fait aucun doute que les technologies d’argent mobile contribuent à atténuer les déficiences du marché agricole, stimulent la production et améliorent le bien-être, en particulier dans les zones rurales. Un examen détaillé de l’évaluation de l’impact de la numérisation sur les moyens de subsistance des agriculteurs en Afrique subsaharienne figure dans Clark et al. (2015). Les gains d’efficacité obtenus grâce à la numérisation peuvent être abordés sous l’angle du développement du capital humain et du bien-être. Vasilaky et al. (2016) analysent l’effet de la formation au moyen de vidéos sur le taux d’adoption d’une nouvelle technologie agricole par les individus. Ils observent une plus forte probabilité d’adoption après des formations vidéo personnalisées qu’après une formation standard (une augmentation de 50 % entre le groupe étudié et les groupes témoins).
Les gains d’innovation s’obtiennent par la mise en place de nouveaux processus et produits, parmi lesquels l’accès à moindre coût aux clients et aux services, au moyen de plateformes numériques au niveau des chaînes d’approvisionnement, de la logistique et des services financiers (par exemple, une gestion améliorée de la chaîne d’approvisionnement ; une meilleure qualité des produits, notamment sur le plan de la sécurité alimentaire et de la traçabilité ; et des paiements électroniques plus rapides, plus sûrs et vérifiables permettant des paiements plus sécurisés, ainsi qu’un accès aux produits d’épargne, de crédit et d’assurance pour ceux qui étaient auparavant non bancarisés) (Deichmann, Goyal et Mishra, 2016)10 .
L’innovation résultant de la numérisation tire avantage des opportunités de générer des revenus plus importants dans un environnement de capacité excédentaire en créant plus d’emplois au lieu d’en détruire (Spiezia et Vivarelli, 2000), ce qui permet une augmentation nette globale de la création d’emplois. Par exemple, alors que les plateformes de commerce en ligne gagnent du terrain dans nombre de pays africains (telles que Jumia, Nuria, Kilimall et Lynk au Kenya), les centres commerciaux physiques occupés principalement par des supermarchés et des échoppes de petits commerçants continuent de prospérer dans les grandes et moyennes villes. Bien que les clients continuent à se rendre
dans les magasins, les commerçants atteignent à présent plus de clients à travers les plateformes de commerce en ligne et leur livrent les produits achetés. Ce changement génère également de plus grandes opportunités pour les individus qui rejoignent le secteur de la distribution et bénéficient des services de livraison porte à porte. Les écosystèmes d’innovation ont déjà un impact sur les productions agricoles au Kenya et au Nigeria, où les petits agriculteurs tirent divers avantages en exploitant les innovations des technologies agricoles disruptives (voir encadré 3.3). De manière générale, l’écosystème d’innovation de ces pays améliore la transparence du marché, accroît la productivité des exploitations agricoles et rend possible une logistique efficace.
Défis et risques
L’adoption des technologies numériques s’accompagne d’un certain nombre de défis et de risques qui pourraient entraver la capacité des pays à atteindre les résultats évoqués dans les sections précédentes. Ces défis et risques concernent l’absence d’actifs correspondants nécessaires, de nouveaux risques sur le marché du travail et des défis en matière d’économie politique.
Outre l’infrastructure numérique requise, l’utilisation croissante des technologies numériques exige une infrastructure mobilisant du capital physique, comme l’électricité, le transport et la logistique ; du capital humain, notamment des compétences et niveaux de connaissances numériques ; et le soutien d’une infrastructure institutionnelle, nécessaire aussi pour l’environnement des affaires au sens large. L’utilisation généralisée des cartes d’identité électroniques non seulement augmenterait les avantages, mais pourrait aussi faciliter la formalisation. Malheureusement, beaucoup de pays rencontrent encore des difficultés liées à la qualité des connexions mobiles et de l’infrastructure des télécommunications. Les risques d’aggravation de la fracture en matière d’accès à l’internet à haut débit demeurent d’actualité (fractures entre urbain et rural, villes principales et secondaires, fractures au sein des villes, entre les sexes, jeunes et vieux, et autres). Dans beaucoup de pays africains, d’autres dimensions de l’infrastructure institutionnelle fondamentale de soutien sont également insuffisantes. Par exemple, des décennies de conflit et un développement fragile en république démocratique du Congo ont généré des difficultés infrastructurelles telles que l’absence de documents nationaux d’identité et de procédures légales d’endossement de garanties traditionnelles. Ces difficultés ont limité le développement du secteur financier. Les obstacles à la numérisation sont de plus grande ampleur dans les zones rurales et parmi les agriculteurs. Une difficulté majeure de la numérisation de la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire (plus grand producteur de cacao au monde) consiste en ce que de nombreux agriculteurs n’ont pas de document d’identité valide. Selon la SFI (2018), à peine plus de la moitié de la population ivoirienne dispose d’un acte de naissance ou d’un autre justificatif d’identité, ce qui constitue un facteur limitant pour les agriculteurs qui souhaitent ouvrir un compte bancaire ou mobile.