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Le capital humain et le monde du travail de demain : quelles sont les spécificités de l’Afrique subsaharienne ?
ENCADRÉ 2.3 (suite)
(compétences permettant la résolution de problèmes complexes, comme l’analyse critique ou la capacité de comprendre des concepts nécessitant un haut degré d’abstraction) et des compétences techniques.
Pour les adultes jeunes et moins jeunes, il ressort de l’évaluation qu’il faut investir dans toutes ces compétences, ainsi que dans les compétences techniques (enseignement et formation techniques et professionnels, programmes d’apprentissage), les compétences spécifiques à un métier (apprentissage sur le lieu de travail, entrepreneuriat numérique, programmes de formation à la gestion des affaires) et les compétences numériques.
Pour les adultes sans aucune instruction, soit parce qu’ils n’ont pas été scolarisés, soit parce qu’ils ont quitté l’école de bonne heure, et pour les adultes qui ont reçu un enseignement de mauvaise qualité et qui ont peu, ou n’ont pas du tout, de compétences de base, l’évaluation suggère qu’il faut leur fournir une seconde chance d’acquérir les compétences de base ainsi que les compétences numériques fondamentales. Compte tenu du caractère particulier de cette catégorie de personnes, il faut agir vite, notamment pour leur apprendre à s’adapter à un monde du travail en évolution. Les programmes proposés ne doivent pas se contenter d’enseigner les compétences de base, mais faire appel à une pédagogie spécifique qui prenne en compte la situation particulière de ces adultes et fasse le lien entre l’apprentissage et les perspectives d’emploi. De tels programmes doivent ainsi permettre d’accroître les chances des participants sur le marché du travail. Les gouvernements doivent mener et coordonner l’action des intervenants dans ce domaine afin de garantir une mise en œuvre efficace des programmes, qui puisse donner les meilleurs résultats dans la population ciblée.
Le capital humain et le monde du travail de demain : quelles sont les spécificités de l’Afrique subsaharienne ?
Le potentiel du capital humain pour le monde du travail de demain en Afrique subsaharienne
La qualité et la composition du capital humain vont jouer un rôle fondamental dans le monde du travail de demain. Des types de compétences particuliers, comme les savoir-être, vont gagner en importance, de même que les compétences supérieures nécessaires à la poursuite de l’innovation. Face à ces impératifs, l’Afrique subsaharienne a un faible niveau de capital humain et il est ainsi d’autant plus important de faire le meilleur usage possible du stock de compétences actuel et de bâtir des fondations plus solides pour préparer l’avenir.
Par rapport aux autres régions du monde, l’Afrique subsaharienne a la plus forte croissance de main-d’œuvre mais le niveau le plus bas de capital humain (graphique 2.1) et la plus grande proportion d’adultes peu qualifiés.
Graphique 2.1 Mauvaises performances des pays subsahariens en termes de capital humain
selon l’ICH de la Banque mondiale
Singapour (1) Rép. de Corée (2) Allemagne (11) États-Unis (24) Seychelles (43) Vietnam (48) Ukraine (50) Chine (46) Maurice (54) Mexique (64) Sri Lanka (74) Brésil (81) Philippines (84) Indonésie (87) Kenya (94) Tunisie (96) Moroc (98) Cambodge (100) Bangladesh (106) Gabon (110) Inde (115) Ghana (116) Sénégal (121) Botswana (119) Bénin (127) Afrique du Sud (126) Malawi (125) Sudan (139) Burundi (138) Ouganda (137) Rép. dém. du Congo (146) Burkina Faso (144) Rwanda (142) Madagascar (140) Mozambique (148) Angola (147) Côte d’Ivoire (149) Nigéria (152) Niger (155) Tchad (157) Moyenne Europe et Asie centrale Moyenne Asie de l'Est et Région pacifique Moyenne Moyen-Orient et Afrique du Nord Moyenne Amérique latine et Caraïbes Moyenne Asie du Sud Moyenne Afrique subsaharienne 0.68 0.67 0.65 0.64 0.63 0.61 0.58 0.56 0.55 0.53 0.52 0.51 0.51 0.49 0.48 0.45 0.44 0.44 0.42 0.42 0.41 0.41 0.41 0.38 0.38 0.38 0.37 0.37 0.37 0.37 0.36 0.36 0.35 0.34 0.32 0.29 0.88 0.84 0.79 0.76
0.71
0.46
0.40
0.61 0.57 0.55
0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 Indice de capital humain Pays d’Afrique subsaharienne Pays du reste du monde Régions du monde
Source : Banque mondiale, 2019. Note : Pour chaque pays, le nombre entre parenthèses indique son rang selon l’indice de capital humain.
De 2017 à 2030, on estime que la main-d’œuvre aura augmenté de 198 millions de personnes en Afrique subsaharienne, 11 millions de jeunes femmes et jeunes hommes devant entrer chaque année sur le marché de l’emploi durant la prochaine décennie. Du fait de la croissance rapide de la population en âge de travailler, le nombre de chômeurs a augmenté de plus de 1 million de 2017 à 2018 (OIT, 2018). Les performances de l’Afrique subsaharienne sont médiocres sur l’échelle de l’indice de capital humain de la Banque mondiale, notamment pour ce qui est de l’accès à un enseignement de qualité, le retard de croissance, et la mortalité maternelle et infantile (Banque mondiale, 2019) – tout cela étant aggravé par un taux de fécondité élevé qui fait que la croissance de revenu par personne n’est pas suffisante pour réduire la pauvreté. Ceci a même contribué à augmenter le nombre de pauvres, de 276 millions de personnes dans les années 1990 à 413 millions en 2015. Le système éducatif des pays subsahariens est en crise : 50 millions d’enfants ne sont pas scolarisés, les élèves apprennent très peu de choses dans les petites classes (graphique 2.2), les taux d’achèvement du secondaire sont bas, et les résultats sont faibles, de larges proportions d’élèves de CE1 étant incapables de lire un seul mot d’un texte (Arias, Evans et Santos, 2019). Un élève sur trois présente un retard de croissance 1, ce qui représente trois fois le taux d’Amérique latine et des Caraïbes. Et si la mortalité maternelle et infantile (moins de 5 ans) diminue, elle est toujours la plus élevée du monde.
Graphique 2.2 Mauvais résultats des élèves dans de nombreux pays subsaharien
Part des élèves de CE1 incapable de lire un seul motdans un texte (en %) 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0
Jordanie CisjordanieTanzanie Liberia Maroc Irak Népal Rép. du Yémen Zambie MaliOuganda GhanaMalawi Afrique subsaharienne Autres régions du monde
Source : Arias, Evans et Santos, 2019.
L’investissement dans le capital humain demeure une priorité en Afrique subsaharienne, afin de mieux préparer la main-d’œuvre aux opportunités des technologies numériques. Les possibilités toujours plus nombreuses qu’elles offrent en matière d’apprentissage et de dispense des soins font que de nombreux emplois, notamment les emplois peu qualifiés dans la production et les services de santé, ne requerront pas nécessairement de hautes compétences cognitives à l’embauche.
Au contraire, les technologies numériques (avec quelques compléments analogiques) peuvent compenser les faibles compétences. Elles peuvent également permettre un déploiement plus équitable et efficace des travailleurs hautement qualifiés et des services haut de gamme dans la santé et l’éducation, notamment dans les pays ayant une grave pénurie de main-d’œuvre dans le secteur du capital humain.
Mettre l’accent sur les emplois formels ? L’Afrique subsaharienne ne peut se permettre d’ignorer le secteur informel peu qualifié
Le RDM 2019 recommande de mettre l’accent sur les emplois formels stables. En Afrique subsaharienne, cependant, le secteur informel est vaste et persistant (graphique 2.3). Il est composé d’un important contingent de personnes aux compétences souvent inadaptées aux emplois formels d’aujourd’hui (graphiques 2.4 et 2.5). La plupart des économies subsahariennes ont un nombre d’emplois limité dans le secteur formel. Pour une grande partie de la main-d’œuvre, travailler dans le secteur informel est le seul moyen de se procurer un revenu en l’absence d’opportunités de travail salarié, comme on le verra de manière plus détaillée au chapitre 3.
L’emploi salarié compte pour moins de 20 % de l’emploi total au Burkina Faso, au Cameroun, en Éthiopie, à Madagascar, en Tanzanie et en Zambie (Adams, Johansson de Silva et Razmara, 2013 ; Benjamin et Mbaye, 2012 ; Böhme et Thiele, 2012 ; Cassim et al., 2016 ; McKenzie et Sakho, 2010).
Malgré une augmentation régulière des emplois salariés en Afrique subsaharienne (graphique 2.3), la forte proportion de travailleurs indépendants persiste (graphique 2.4). Pour améliorer le bien-être de la population à court terme, il faut admettre cette persistance et concentrer les efforts sur des politiques et stratégies de développement des compétences faisant appel aux technologies numériques pour doper la productivité.
Les conditions sont de moins en moins propices à la création d’emplois formels dans les secteurs à forte productivité comme l’industrie et les services échangeables. Les services non-échangeables, souvent associés à un haut degré d’informalité, les emplois mal payés et les tâches peu qualifiées à faible productivité ont connu une croissance relativement rapide et absorbé la main-d’œuvre en surplus ayant quitté le secteur de l’agriculture, aux dépens des
Graphique 2.3 L’emploi salarié en Afrique subsaharienne
90
Part de l'emploi salarié dans l'emploi total (en %) 80
70
60
50
40
30
20
10
0 Burkina FasoÉthiopieTanzanieMadagascarCamerounZambie SénégalOuganda Zimbabwe Gabon Botswana Namibie Maurice Année 1980 ou début des années 1990 Années 2000
Source : Adams, Johansson de Silva et Razmara, 2013.
services échangeables et de l’industrie. Cette tendance va se poursuivre 2. Faire appel aux technologies numériques pour améliorer la productivité de l’énorme quantité de main-d’œuvre travaillant dans ces secteurs doit être une priorité (encadré 2.4).
Le taux annuel de création d’emplois le plus élevé, en Afrique subsaharienne, concerne l’agriculture et les services non-échangeables, qui sont pour la plupart informels et connaissent une faible croissance de la productivité. Presque la moitié de la création d’emplois continue de se faire dans l’agriculture, même si ce secteur, qui connaît la plus faible croissance de la productivité depuis les années 1960, est actuellement en déclin. Dans les services, le taux annuel de création d’emplois le plus faible concerne les services aux entreprises (finances, assurance, immobilier…) et non dans les services commerciaux plus informels (gros et détail).
Graphique 2.4 Le travail indépendant en Afrique subsaharienne
Bénin Mali Niger Éthiopie Tchad Guinée Burkina Faso Togo Ghana Kenya Comores République centrafricaine Rép. dém. du Congo Guinée-Bissau Mozambique Madagascar Cameroun Liberia Rép. du Congo Burundi Malawi Tanzanie Rwanda Botswana Zambie Maurice Lesotho Afrique du Sud
61 61 57.5
51.8 48.4 46.5 46.3 43.8 40.8 38.7 35.6 33.2
27.5 25.4
18.8 17.9 17.7 17.6
11.6
73.6 72.4 71.8 69.7 68.5 66.9
Part du travail indépendant dans l’emploi total (en %)
Source : Banque mondiale, d’après des données de Adams, Johansson de Silva et Razmara, 2013. Note : Dans ce schéma, l’emploi agricole n’est pas compris dans le travail indépendant.
88.7 83.9 83.7
Les services aux entreprises ont de forts besoins en main-d’œuvre qualifiée et en capital, ce qui fait qu’ils peuvent difficilement absorber la main-d’œuvre venant d’autres secteurs. La moyenne annuelle de création d’emplois dans l’industrie demeure relativement basse par rapport aux deux autres secteurs, malgré une croissance plus forte de sa productivité (graphique 2.5) (Mensah et al., 2018).