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TRES TRES TARD DES ARTISTES DECOUVERTES
gnée des artistes qui ont osé tordre le cou aux conventions.
Si Louise Bourgeois [artiste franco-américaine protéiforme, morte en 2010 à l’âge de 98 ans] est parfois considérée comme le symbole de ce phénomène de reconnaissance tardive, les exemples ne manquent pas à l’échelle internationale.
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Paula Rego [peintre britannico-portugaise disparue en 2022, à 87 ans] était connue et reconnue pour son exploitation audacieuse de thématiques délicates.
Alice Neel, portraitiste américaine engagée au regard acéré [1900-1984], n’a eu quant à elle le privilège d’entrer dans la cour des grandes qu’à titre posthume. Une autre révélation “tardive” est mise à l’honneur [jusqu’au 30 avril 2023] au Smak de Gand.
Rose Wylie [88 ans, Royaume-Uni] a d’abord accordé la préséance à son rôle de mère, tout en poursuivant la peinture dans son petit studio du Kent, loin de l’agitation londonienne.

Remarquée à l’âge de 60 ans, elle a rapidement entamé une collaboration avec le célèbre galeriste David Zwirner.
Comme nous le raconte Dirk Snauwaert, directeur du Wiels, le monde de l’art découvre régulièrement de nouveaux univers enchanteurs. “Prenez une artiste comme Luchita Hurtado, dont les œuvres colorées ont été repérées à ses 98 ans [soit deux ans avant la disparition de l’Américano-Vénézuélienne, en 2020]
! Le plus frappant à mes yeux, c’est la sincérité, pure, sans fard, souvent rebelle, qui se dégage de ces œuv- res. C’est ce qui en fait toute la qualité. Les générations plus jeunes admirent ces artistes, car elles s’aperçoivent que l’art des années 1980 et 1990 a été quelque peu compromis par un marché trop avide, guidé par les modes.
Nous sommes clairement en quête de l’authenticité des précurseurs.”
Il poursuit :
“Un phénomène similaire s’observe dans le cinéma, la danse, la littérature, l’architecture : on en revient à des œuvres plus anciennes, jusqu’alors inconnues, qui élargissent notre champ de vision.”
Peut-être cette idée de “pureté” traduit-elle une interprétation un peu trop romantique, tempère Louise Osieka, directrice du centre culturel C-mine, qui souligne un changement de contexte social : “Aujourd’hui, on est sensibles à beaucoup plus de questions, on accorde enfin de l’attention aux groupes opprimés ou méprisés, aux thèmes qu’ils explorent, et à des formes de représentation trop longtemps considérées comme de la sous-culture.”
Philippe Van Cauteren, directeur artistique du Smak, parle pour sa part de rectification historique.
“De nombreuses conventions sont tombées en décadence, le regard masculin a été remis en question, explique-t-il. Beaucoup reconnaissent aujourd’hui que les femmes ont été injustement évincées, ignorées. L’ensemble des œuvres du collectionneur privé gantois Anton Herbert [mort en 2021] ne compte par exemple qu’une seule artiste féminine : cela en dit long.”
“Des artistes comme Rose Wylie symbolisent à merveille le renouveau de la peinture figurative, poursuit Philippe Van Cauteren. La nouvelle génération manquait des points de référence, auxquels elle a désormais accès.
Pour les jeunes, pour qui tout doit aller vite, l’histoire de cette grande artiste, qui a travaillé des années dans le silence de son atelier, est aussi une leçon d’humilité.”
Inès van den Kieboom, peintre virtuose de l’art naïf, est récemment devenue un phénomène de mode.
À 92 ans, elle en a été la première surprise ! [La native d’Ostende] collabore aujourd’hui avec le galeriste Tim Van Laere.
“Par choix, elle a longtemps gardé son travail pour elle, à l’abri des regards, explique ce dernier.
Personnellement, je ne fais aucune distinction en matière d’âge ou de sexe: l’art l’emporte sur le reste.
À ce titre, van den Kieboom fait partie de ces artistes que nous voulons soutenir. Certes, il est évident que ces dernières années les femmes artistes ont été davantage dans la lumière.
Mais leur succès est toujours amplement justifié.
Je connais peu d’artistes qui ne méritent pas leur renommée.”
(suit page 66)
(suit de la page 65)
D’un point de vue historique aussi, le regard que nous portons sur l’art s’est considérablement élargi ces derniers temps, bien que, pour l’heure, “le canon de l’art néerlandais et flamand de 1350 à 1750” [établi en 2021 par 600 conservateurs du monde entier] ne compte toujours que cinq femmes sur cent artistes. Michaelina Wautier, peintre à la cour de Bruxelles, à laquelle The New York Times vient de consacrer un article [à l’occasion d’une rétrospective proposée au musée des Beaux-Arts de Boston, jusqu’au 12 novembre 2023], ne figure pas (encore) dans la liste. Longtemps, cette grande dame du baroque [16041689] n’a été qu’une note de bas de page dans l’histoire de l’art.
Son travail était encore, jusqu’à récemment, attribué à des hommes, et nous savons peu de chose de sa biographie.
“Mais le canon classique de la peinture commence à changer”, se félicite Katlijne Van der Stighelen, professeure à l’université de Louvain, à qui l’on doit les recherches à ce sujet. “Non seulement on fait de nombreuses découvertes, mais on vit aussi un moment de réhabilitation. Il n’est jamais trop tard pour apprécier rétroactivement la contribution unique des femmes au monde l’art.”
Geert Van der Speeten