La différenciation - extrait

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La différenciation, outil de base de la lutte contre l’échec scolaire, est un concept flou qui pose aujourd’hui de nombreuses questions. N’est-ce pas l’école qui est en difficulté ? Ne serait-il pas temps d’abandonner des principes méthodologiques qui ne profitent finalement qu’à ceux qui savent déjà ? Peut-on modifier les pratiques pour obtenir d’autres résultats ? Afin de répondre à ces questions, l’auteur de cet ouvrage commence par définir le concept de différenciation et interroger quelques idées en vogue dans l’enseignement afin d’en analyser le bien-fondé. La différenciation est ensuite analysée au regard des conceptions du rôle de l’école, des disciplines d’enseignement, des productions demandées aux élèves, de l’organisation du travail (en groupe ou individuel) et des processus d’enseignement. Des ensembles de critères d’observation (ECO) de la manière de fonctionner des enfants et les différents types de rétroactions de l’enseignant pour mieux accompagner les apprentissages sont analysés. Les dernières réflexions mettent en évidence que les valeurs données aux différences orientent fortement l’organisation des groupes classes et leur animation. Enfin, plusieurs activités concrètes et détaillées sont proposées en fin d’ouvrage (et en ligne) pour illustrer les propositions théoriques et montrer qu’elles sont pratiquement réalisables.

école

LA DIFFÉRENCIATION Voie royale ou voie sans issue pour les élèves en difficulté ?

Joseph Stordeur

est orthopédagogue de formation, chercheur et formateur indépendant.

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Voie royale ou voie sans issue e l o éc pour les élèves en difficulté ?

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ECONDAIRE

P É D A G O G I E De Boeck ISBN 978-2-8041-9867-1 601421

LA DIFFÉRENCIATION

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P É D A G O G I E

Joseph Stordeur

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FRED & GEORGES

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Une petite histoire pour commencer…

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Des ensembles de critères d’observation (ECO)

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« Genpo, jeune maître de zen de Los Angeles, fut un jour invité dans le cockpit d’un 747 à destination de Hawaï. Il y vit une petite boîte noire. “Cette petite boîte noire, expliqua-t-il après coup, est un ordi‑ nateur que les pilotes appellent Fred. Chaque fois que le 747 dévie de sa trajectoire, Fred, qui sert de navigateur, peut nous dire de combien de degrés a dévié l’avion. Fred communique alors cette information à un autre ordinateur appelé Georges qui dirige le gouvernail. Chaque fois que Fred communique une correction nécessaire à la course, Georges ajuste le gouvernail de l’avion dans la bonne direction.

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“Le 747 dévie presque quatre-vingt-dix pour cent du temps, au cours des cinq heures et demie de vol vers Hawaï. Toutes les quelques secondes, il se produit quelque chose qui ressemble à la conversa‑ tion suivante. Fred dit : ‘Hé, Georges, nous dévions de 10° à bâbord. Corrige.’ Georges répond : ‘Merci, Fred, tout de suite.’ Georges cor‑ rige. Puis Fred dit : ‘Nous dévions de 5° à tribord. Corrige.’ Georges répond : ‘Merci, Fred, tout de suite…’

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“Imaginez, dit Genpo Merzel, comment se déroulerait leur conver‑ sation si Fred et Georges étaient des humains. Il ne faudrait pas longtemps pour que Georges dise quelque chose comme : ‘Merde ! Fred, ferme ta gueule et arrête de me dire quoi faire. Et gna, gna, gna. Toujours en train de me corriger. Toujours en train de me dire quoi faire’, etc. “En apprenant quelque chose de neuf, ou en essayant de transcender nos limites habituelles, nous risquons toujours de dévier de quelques

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degrés, tout comme le 747. La correction, par le feed-back de l’en‑ vironnement ou en provenance d’une autre personne, est une part nécessaire du processus d’apprentissage et de la vie. Et pourtant, nos études ont tendance à ignorer cette évidence. On nous récom‑ pense pour les ‘bonnes’ réponses (pour le temps où nous sommes sur notre trajectoire), mais jamais pour les corrections qu’il nous faut faire constamment. En fait, nous sommes souvent ‘punis’ pour ces corrections, certains les appellent des erreurs. Peut-être vaut-il mieux voir la vie comme une grande erreur, comme l’a suggéré un maître Zen. Alors, nous pourrons laisser Fred et Georges faire leur travail et atterrir la plupart du temps à destination.” »

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Fields R., Taylor P., Weyler R. et Ingrasci R., Pour une spiritualité au quotidien, Montréal, Le Jour, 1990.

I.

CHANGER DE DISCOURS ET DE REPRÉSENTATIONS

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Rappelons qu’on ne voit que ce qu’on connait déjà, même s’il arrive que le hasard permette de voir quelque chose de neuf. Même dans ce cas-là, c’est toujours parce qu’il y avait une question préalable, une curiosité éveillée. Le cerveau fonctionne tout le temps en faisant des hypothèses, des prédictions qu’il vérifie ou non par la confrontation à la réalité. Dans cette confronta‑ tion, le plus souvent, il ne voit (entend, sent) que ce qui confirme ses prédic‑ tions. Ça lui évite de devoir modifier son fonctionnement et sa compréhension de la réalité. Comme le disent très justement Alain Sotto et Varinia Oberto, dans Une mémoire pour la vie, : « Lorsque le réel perçu ne s’accorde pas au schéma, on déforme le réel pour donner du sens à l’ensemble. » C’est en fonc‑ tion de ces schémas que nous traitons le réel. La formation, quelle qu’elle soit, n’a d’autres buts que permettre la construction d’autres schémas pour ­comprendre la réalité de l’école.

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Les ensembles d’indices à observer pour y réagir ou non (évaluation formative), dont nous avons parlé dans la séquence précédente et que nous devons avoir en tête pour la rapidité et la richesse de nos réactions en situation, constituent l’essentiel de notre compétence professionnelle. Nous pouvons nous en servir pour classer les enfants et les y enfermer. C’est ce qui est bien souvent vécu actuellement. Par exemple, on nous parle de visuel ou d’auditif, d’intelligence mathématique ou interpersonnelle, etc., en nous demandant de nous y adapter. Si le fonctionnement neuronal et sa dépendance, en termes de développement, des sollicitations de l’environnement sont pris en compte, alors il est possible d’utiliser l’ensemble de ces critères pour aider au développement global de tous les enfants. Il ne s’agit pas de s’adapter à ce que l’enfant (ou l’adulte) est à un moment donné. Il s’agit d’organiser l’environnement pour que chacun déve‑ loppe le mieux possible, et en sachant que ce ne sera jamais fini, l’ensemble

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DES CRITÈRES LIÉS AUX OPÉRATIONS MENTALES (OBSTACLES PSYCHOLOGIQUES)

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II.

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des caractéristiques jugées intéressantes. Par exemple, il ne s’agit plus de lais‑ ser croire aux enfants qu’ils sont visuels ou auditifs ou kinesthésiques, mais de les solliciter tous sous ces trois aspects parce qu’ils sont nécessaires tous les trois. La bonne démarche de mémorisation comporte obligatoirement les trois aspects : bien voir pour bien découper et mettre dans la mémoire de tra‑ vail ; s’aider de la verbalisation de ce qu’on voit pour créer les liens entre les deux aspects ; et écrire, dessiner ce qu’on vient de mettre dans la mémoire de travail pour tenter de le faire passer dans la mémoire à long terme. Les trois aspects sont toujours en interaction. Bien sûr, pour chacun, en fonction des expériences vécues, il y aura toujours une hiérarchie de facilité d’utilisation entre les trois aspects. Mais l’ensemble des expériences peut modifier cette hié‑ rarchie régulièrement, à n’importe quel moment, le cerveau prenant toujours, spontanément, les voies spécifiques de l’objet sollicitant et qui lui demandent le moins d’énergie. Les situations d’apprentissage peuvent modifier volontai‑ rement ces choix. C’est pour ça que l’enseignant doit changer de représenta‑ tions et de discours à propos de ces caractéristiques.

Voici un ensemble de caractéristiques à observer… sans classer pour enfermer.

Visuel et auditif et kinesthésique (d’après Antoine de La Garanderie)

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1.

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Parmi les critères d’observation de la manière de fonctionner des enfants (et des adultes), on trouve, parce que cela est mis très fort en avant par la « gestion mentale », ce que l’on appelle les visuels, les auditifs et les kinesthé‑ siques. On peut toujours montrer que l’on est plus ceci ou cela. Il faudrait un très grand hasard, statistiquement rare, pour un équilibre parfait entre les trois aspects. Mais l’avantage de l’un des aspects sur un autre, souvent le visuel parce que c’est par la vue que l’on rentre le plus spontanément en contact avec le monde, ne signifie pas que l’on est « visuel ». C’est une question de solli‑ citations pour développer l’ensemble des processus. Tout le monde a besoin des trois pour réussir correctement à l’école. Enfermer un enfant dans un pro‑ cessus parce que celui-ci lui semble à un moment plus facile d’utilisation est un « meurtre intellectuel ». Ce n’est pas l’enfant qui choisit son processus, c’est la « matière » traitée qui sollicite les neurones pertinents, « compétents », dirait Antonio Damasio. Si la perception de la situation par l’enfant ne corres‑ pond pas à ce qui est demandé, il va automatiquement se trouver en difficulté. Penser l’orthographe essentiellement auditivement pose de gros problèmes. Mais penser l’orthographe uniquement visuellement en pose tout autant. Il faut bien solliciter les deux, et même l’aspect kinesthésique parce que la mémoire motrice participe énormément aux automatismes orthographiques. Savoir que ces trois processus sont fondamentaux pour bien écrire peut aider l’enseignant

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2.

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qui observe un enfant qui pratique une écriture phonétique, notamment parce que les premières années primaires ont réalisé de nombreuses études de sons, un par un ! Ces observations, très nombreuses actuellement, peuvent conduire à modifier les pratiques en équipes d’enseignants, mais aussi à insister, en situation, chez chaque enfant sur l’importance de voir les mots dans la tête, et même peut-être d’organiser des activités de mémorisation collective de mots ou de phrases. Ce sont les sollicitations de l’enseignant, pouvant accentuer l’un ou l’autre aspect chez chacun, qui vont permettre un développement de l’en‑ semble des capacités chez tous, et leur donner un vrai pouvoir sur la suite de la scolarité. Chacun doit pouvoir utiliser les neurones correspondant à chacun de ces aspects en fonction des nécessités de la compétence à acquérir.

Concret et abstrait

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Tous les enfants, et même les adultes, doivent manipuler, mais, en même temps, ils doivent exprimer ce qu’ils « manipulent » pour accéder à l’abs‑ traction. Il est clair que l’enfant qui n’a pas les mots et la syntaxe néces‑ saires ne peut y arriver. Cependant, si l’enseignant, par exemple à partir de la manipulation suffisante des images et du matériel adéquat, permet l’accès aux mots et à leurs explicitations, tous les enfants peuvent accéder à l’abstraction. Il faut juste leur donner l’accès aux moyens pertinents. (Voir, par exemple, en annexe, les démarches à propos du vocabulaire.) Il n’est pas juste de croire que certains sont concrets ou abstraits. Pour être efficace, nous sommes, tous, les deux. Qu’à un moment donné de son développement l’enfant soit plus valorisé par l’un ou l’autre aspect qu’il maitrise momentanément mieux ne signifie pas qu’il faille l’y enfermer. Pour bien comprendre une abstraction, il faut pouvoir la « manipuler » et, pour bien manipuler, il faut accéder aux abstractions cor‑ respondantes. C’est ce qui fait la qualité d’un ouvrier. Arrêtons donc d’enfer‑ mer les enfants dans l’un ou l’autre parce que cette sélection nous arrange en fonction de la structure actuelle de notre enseignement. Le devoir d’une éduca‑ tion globale et équilibrée nous oblige à développer les deux aspects chez tous. L’équilibre ne sera jamais atteint, mais il doit être suffisant, à la fin de la scola‑ rité, pour permettre à chacun un vrai choix, et pas, comme souvent, un choix par ce qu’on ne sait pas faire, un choix par l’échec ! Cet aspect des indices d’observation remet en avant l’importance des manipulations avant toute abs‑ traction pour éviter le « verbalisme », c’est-à-dire la répétition des mots sans comprendre (voir, par exemple, la litanie des nombres !). Parallèlement, il met en évidence l’importance d’apprendre les mots et les phrases permettant ­d’exprimer ce que l’on fait (un des aspects de la métacognition).

3.

Séquentiel et simultané Marie-France Legault décrivait ces aspects dans Séquentiel et simultané, vol. 9, n° 5, 1992 : « Le séquentiel procède selon un processus analytique ; il a besoin d’étapes pour fonctionner. Il est centré sur le comment, c’est un procédurier.

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En classe, c’est l’élève qui aime avoir des étapes claires et qui devient vite perdu s’il n’arrive pas à concevoir la procédure à suivre. Le “­comment dire” est le pilier de tout le savoir scolaire. Le “comment faire” est le plus éloigné des apprentissages scolaires. Bon observateur, il est surprenant de débrouillar‑ dise dans la vie quotidienne. Le simultané procède selon un processus synthétique. Il a besoin de percevoir l’ensemble pour fonctionner. Il est centré sur le pourquoi. Il est intéressé par les buts, les objectifs, le sens. Habile à se faire une idée d’ensemble, il saute vite aux conclusions et répugne à suivre des directives. »

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Et elle ajoutait : « Certains organisent et créent à travers le langage, d’autres à travers l’expérience. Savoir organiser et créer à travers le langage est pri‑ mordial pour l’intégration des apprentissages scolaires. C’est la base de la créativité dite logique et objective. Savoir organiser et créer à travers l’expé‑ rience se caractérise par l’aspect non verbal et la pensée créatrice intuitive. La personne qui “fonctionne” de cette manière est habile à profiter du vécu pour ­saisir une situation. »

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Ça parait tellement logique, dit comme ça. Et pourtant, il est absolument néces‑ saire de développer les deux aspects chez tous les enfants. L’enfant qui n’a pas appris à regarder, c’est-à-dire ni à découper la réalité pour la mémoriser ni à en parler, se fie à une intuition globale pour essayer de s’en sortir. Ça marche parfois, surtout si c’est un domaine fréquemment rencontré. Mais la démarche montre, en général, rapidement ses limites. On peut lui apprendre à décou‑ per la réalité pour se l’approprier de manière plus rationnelle. Quant à celui qui découpe spontanément cette réalité, qui voit la « sonnette du vélo avant de voir le vélo », il peut aussi apprendre à percevoir plus globalement la situa‑ tion : voir la toile dans son ensemble, dans son équilibre, dans les sensations provoquées avant de détailler et de s’accrocher à un ou l’autre détail. Étudier, par exemple, les 5, puis les 10, puis les 20 premiers nombres dans leurs inte‑ ractions plutôt qu’un nombre à la fois. Etc.

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L’enseignant doit connaitre et maitriser les deux réalités pour que ses inter‑ ventions régulières pendant les apprentissages favorisent le développement de l’aspect le moins bien maitrisé. Les activités proposées dans Bolle M. et Stordeur J., J’écoute et je parle dès la maternelle et après aux pages 34‑58 participent à ces sollicitations pour séquencer la réalité, capacité reconnue comme indispensable aux apprentissages scolaires.

Tout en parlant de style d’apprentissage, alors qu’il ne s’agit que de manières de fonctionnement à un moment donné, dans un contexte précis, Marie-France Legault donnait un certain nombre de caractéristiques que nous partageons et traduisons en fonction de nos schémas cognitifs. Nous pensons que tout ensei‑ gnant devrait les partager : − Les manières d’aborder la réalité sont complémentaires : pour réussir la plupart des activités humaines, l’apport des deux manières, séquentielle ou simultanée, est nécessaire.

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Cerveau droit et cerveau gauche

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− L es deux attitudes sont d’égale importance : l’utilisation exclusive de l’une des deux manières augmente les risques de difficultés d’apprentissage. − Les manières de rencontrer la réalité s’apprennent. Elles sont donc sous l’influence des sollicitations du milieu. Il est possible, bien qu’au‑ cune recherche actuelle ne le montre ni ne le démontre, que l’une des manières nous soit plus facile d’accès. Cette facilité d’accès peut être due autant au hasard des premières sollicitations qu’à un facteur génétique. Cependant, il parait qu’une personne sur deux développe spontanément le complémentaire de façon naturelle. L’autre moitié des gens augmente significativement son degré d’efficacité en développant consciemment la complémentarité. − Les manières ne prédominent pas l’une sur l’autre ; chaque manière d’appréhender la réalité a tout simplement sa façon propre de traiter l’information. − La manière dominante est durable s’il n’y a pas de sollicitations pertinentes pour développer la complémentaire, d’où l’importance d’en prendre conscience.

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Cette reconnaissance que les différents aspects de traiter la réalité sont néces‑ saires et complémentaires se retrouve dans la théorie des deux cerveaux. Cette dernière dichotomie est remise en cause par toutes les recherches actuelles. Elle était seulement le résultat des premières observations à propos du fonc‑ tionnement neuronal. S’étant affinées, les observations permettent de nuan‑ cer très fort les différences constatées et aussi de mieux justifier la nécessité des deux fonctionnements. Il faut constater que, dès le départ, les chercheurs exprimaient déjà cette nécessité. Ce sont les journalistes qui ont répandu l’idée fausse de deux cerveaux travaillant autrement en fonction des personnes.

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Les comparaisons entre le fonctionnement du cerveau droit et celui du c­ erveau gauche participaient de cet essai de classer les apprenants, tout en recon‑ naissant que c’était leur complémentarité qui donnait à la pensée toutes ses facultés et sa flexibilité. Nous ne pensons pas avec l’un ou l’autre des deux hémisphères. Les deux hémisphères interviennent dans tous les ­processus cognitifs. « Ce qui ressort de la recherche sur les deux hémisphères est que le cerveau est fait pour traiter différemment mais de façon complémentaire l’information. On ne peut pas dire que l’un des traitements soit supérieur à l’autre. L’un et l’autre sont nécessaires pour penser efficacement. Étant donné l’importance de ces deux modes de pensée, on pourrait supposer qu’ils sont l’un et l’autre inclus dans notre système éducatif. Ce n’est malheureusement pas le cas le plus souvent. Le cerveau a deux hémisphères, mais trop souvent le système édu‑ catif fonctionne comme s’il n’en avait qu’un seul. » (Williams L. V., Deux cerveaux pour apprendre. Le gauche et le droit, Les éditions d’organisation, 1986.)

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5.

Réflexivité et impulsivité (d’après Jérôme Kagan)

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L’impulsivité est caractérisée par la tendance à répondre rapidement, quitte à commettre des erreurs et une grande intolérance à l’incertitude. La réflexi‑ vité est la tendance à différer la réponse pour s’assurer au mieux d’une solu‑ tion exacte. L’indécision est préférée au risque d’erreur. Ces deux aspects se situent à chaque extrémité d’un continuum. En fait, ces deux aspects reviennent actuellement très à la mode sous les théories de l’inhibition, une des grandes fonctions exécutives. On peut en trouver une vision détaillée chez Oliver HOUDE, dans Apprendre à résister, en 2014 : « En fait, il y a trois sys‑ tèmes dans le cerveau. L’un est rapide, automatique et intuitif (système 1). L’autre est plus lent, logique et réfléchi (Système 2). Un troisième système, sous-tendu par le cortex préfrontal, permet d’arbitrer, au cas par cas, entre les deux premiers s­ystèmes. C’est ce Système 3 qui assure l’inhibition des auto‑ matismes de pensée (ceux du Système 1) quand l’application de la logique (Système 2) est nécessaire. Chez l’enfant, les deux premiers systèmes se déve‑ loppent en parallèle, car les bébés ont déjà des capacités logiques, mais le troisième système et sa capacité inhibitrice arrivent plus tard. Ce cerveau dit “exécutif” dépend de la maturation du cortex préfrontal. » La tendance d’en faire des caractéristiques du sujet, plutôt que des manières de se comporter momentanées et tributaires des situations, entraine le fait que l’école n’orga‑ nise pas systématiquement leur apprentissage. Elle bouscule celui qui « réflé‑ chit trop » et elle cadenasse celui qui « réfléchit trop peu ». Les deux attitudes peuvent s’apprendre et s’équilibrer sous l’effet de bonnes sollicitations parmi lesquelles toutes les techniques de relaxation et de verbalisation des manières de faire. Voir à ce propos Bolle M. et Stordeur J., Comment développer les fonctions exécutives dans le fondamental ? paru en 2020.

Balayage et centration (d’après Jérôme Bruner)…

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Ces deux caractéristiques sont très proches de ce que nous avons appelé ci-dessus « simultané et séquentiel ».

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La centration est la tendance à se centrer sur une seule chose à la fois, et à clarifier complètement un point avant de passer au suivant. Il s’agit d’un tra‑ vail à dominance intensive. Le balayage est la tendance à considérer plusieurs choses simultanément, en n’examinant chacune que partiellement, quitte à y revenir ultérieurement. C’est un travail à dominance extensive. Les deux aspects doivent être développés chez tous, ne fût-ce que parce que toute activité d’apprentissage devrait commencer par un balayage avant la cen‑ tration sur les points particuliers, le balayage devant participer à la construc‑ tion du sens de l’activité. Passer du balayage à la centration et de la centration au balayage régulièrement est indispensable dans les processus d’apprentis‑ sage. C’est parce que les programmes comme les manuels respectent souvent plus la centration qu’ils engendrent des obstacles aux apprentissages. C’est le cerveau de chacun qui doit découper les situations, pas le programme ou le

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manuel ni l’enseignant. Il est donc important de former tous les enfants à ces deux manières de faire et de les aider à en prendre conscience par le déve‑ loppement de leurs capacités de métacognition.

7.

… et d’autres caractéristiques à creuser

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Nous pourrions ajouter dans cette liste d’observations de base toute une série de caractéristiques inhérentes à toute situation d’apprentissage : − L’enfant cherche-t-il le déjà connu ou l’inconnu ? Cherche-t-il à se rassu‑ rer, notamment par l’analogie ou cherche-t-il le plaisir de la nouveauté ? On peut constater que le cerveau part toujours du connu pour tout le monde. Certains ont tendance à y rester pour une question d’insécurité vécue auparavant. D’autres ont tendance à chercher la nouveauté parce qu’ils ont une grande confiance en eux et en leur environnement. À l’école d’organiser les apprentissages pour favoriser une plus grande mobilisation chez tous. Voir à ce propos Bolle M. et Stordeur J., Comment développer les fonctions exécutives dans le fondamental ?. − L’enfant trouve-t-il plus de plaisir à faire qu’à penser ? De nouveau, les deux sont nécessaires pour faire apprendre. Le « faire » sans les mots pour le « dire » n’assure pas l’apprentissage à long terme. On peut avoir réalisé plein de choses, remplit des dizaines de fiches et n’avoir rien mis dans la mémoire à long terme par manque d’efforts de représentation et de verbalisation. Comme on peut savoir verbaliser le « faire » sans savoir le réaliser parce que les étapes ont été mémorisées par cœur, c’est-à-dire sans représentations. Une fois de plus, c’est l’équilibre des deux aspects qui est la base des apprentissages (voir « Concret et abstrait » ci-dessus). − L’enfant se mobilise-t-il rapidement devant la tâche, maintient-il cette mobilisation longtemps ? Se ménage-t-il en réalisant juste ce qu’il faut ou sait-il doser ses efforts en fonction des situations ?

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Le cerveau a une tendance naturelle à s’économiser parce qu’il est spontanément grand consommateur d’énergie. Apprendre à doser ses efforts est un aspect de la fonction exécutive de base qu’on appelle « la planification » et, comme toutes les fonctions exécutives, elle s’apprend entre la naissance et les débuts de l’âge adulte, à condition d’être bien sollicitée. De nouveau, il ne s’agit pas d’enfermer l’enfant dans un mode de réaction, mais de lui permettre d’apprendre à mieux les planifier. − …

8.

Et les intelligences dites multiples : linguistique, logico-mathématique, visuo-spatiale, kinesthésique, musicale, intrapersonnelle, interpersonnelle, naturaliste ? En aucun cas, contrairement aux autres caractéristiques décrites ci-dessus, il ne s’agit de caractéristique des sujets apprenants. Mais la réalité des modes péda‑ gogiques fait que nous ne pouvons les passer sous silence. Pour ceux qui ne

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connaitrait pas cette théorie, nous empruntons à Steve Masson, dans Activer ses neurones pour mieux apprendre et enseigner paru en 2020, ce qu’il en dit : « Un autre type de rétroaction à éviter implique la théorie des intelligences multiples. Selon cette théorie non fondée qui, de l’aveu même de son auteur, n’est pas compatible avec les données actuelles sur le fonctionnement cogni‑ tif et cérébral, il existerait plusieurs types d’intelligence. Une personne pour‑ rait donc avoir, par exemple, une grande intelligence mathématique, mais une faible intelligence verbale. Cette théorie est encore aujourd’hui souvent utili‑ sée pour apporter du réconfort aux personnes éprouvant de la difficulté. En leur disant qu’ils ont un profil d’intel­ligence plus musicale que verbale ou mathé‑ matique, l’objectif poursuivi de façon consciente ou inconsciente est souvent de dire à une personne qu’elle est intel­ligente, à sa façon, et que ses difficul‑ tés ne lui enlèvent pas sa “valeur” en tant que personne. Même si l’intention est bonne, il faut éviter d’attribuer une intelligence spécifique (verbale, mathé‑ matique ou autre) aux individus. »

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La théorie des intelligences multiples est donc aussi un moyen de classer les enfants avec tous les dégâts d’enfermement que l’on retrouve pour tous les autres critères d’observation pris sans précaution. Elle pourrait être un moyen d’obser‑ vation pour favoriser l’épanouissement de tous les aspects chez tous. Il n’est pas sûr que le projet ait vraiment du sens. Cette théorie satisfait le besoin de clas‑ sement du cerveau. Comme nous l’avons vu précédemment, le classement est un réducteur de complexité et est nécessaire pour une meilleure connaissance du monde. Reste à voir si cette tendance ne doit pas être inhibée quand il s’agit de l’humain ? N’est-ce pas un devoir éthique ? C’est cette tendance non inhi‑ bée qui nous fait classer les races, les genres, les ethnies, les religions… Nous savons tous à quoi a conduit le classement des races : de l’exhibition des Noirs aux expositions universelles de la première moitié du xxe siècle à l’extermination des Juifs et des Tsiganes au milieu de ce même siècle. Les difficultés engendrées par le classement des sexes ne sont pas moindres : du refus de la femme au tra‑ vail en dehors de son foyer avant la guerre 40‑45, au payement moindre à poste égal encore actuellement, en passant par une inégalité flagrante dans les postes dits de responsabilités, de nombreux combats restent à vivre…

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Si l’école s’engouffre dans ce fonctionnement spontané, comment peut-elle espé‑ rer former des adultes tolérants ? Chacun aura appris, par mimétisme de fonction‑ nement, la ségrégation. Elle aura même été mise en avant, soi-disant pour aider l’enfant en lui faisant croire ce qui n’est pas. C’est le cerveau sollicité par l’en‑ vironnement qui « choisit » les neurones sollicités, pas l’individu. On ne pourra donc jamais faire des maths avec une soi-disant intelligence musicale, même s’il est évident que la musique a quelque chose à voir avec les maths. Bien sûr, en termes de langage, on peut toujours dire, comme nos neurones sont spécia‑ lisés, qu’en sollicitant tous les neurones nécessaires pour faire des maths, on développe l’intelligence mathématique. Idem pour n ­ ’importe laquelle des autres « intelligences ». En fait, on sait aujourd’hui que tout le monde a l’ensemble des neurones pour se développer sous les différents points de vue retenus par la

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théorie des « intelligences multiples ». Il suffit de les solliciter tous par un pro‑ gramme correctement pensé. C’est là qu’il est nécessaire de faire des progrès. Et, pour y arriver, il est tout aussi nécessaire de se concentrer sur l’essentiel, comme on dit souvent aujourd’hui, sans vraiment passer à l’acte.

9.

Les fonctions exécutives : ensemble de processus cognitifs de haut niveau permettant de s’adapter rapidement et de manière pertinente aux situations vécues

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Parmi les « objets » d’observation que l’enseignant devrait maitriser se trouvent les manifestations du développement normal des fonctions exécutives : la mobilisation, la planification, la mémoire de travail, la flexibilité cognitive, l’inhibition, la régulation émotionnelle. Nous les avons détaillées dans une publication récente avec la collaboration de Marylène Bolle, formatrice et enseignante en classe de 2e et 3e maternelle : Comment développer les fonctions exécutives dans le fondamental ? (2020).

La mobilisation

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Nous ne faisons ici qu’en rappeler l’essentiel. C’est le bon développement de ces fonctions, inhérentes à toutes démarches d’apprentissage, qui doit être pour‑ suivi par les sollicitations ciblées de l’enseignant. Elles ne seront complètement efficaces qu’à l’âge adulte si et seulement si elles ont été apprises en situation.

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La première de ces fonctions est la mobilisation. Sans la mobilisation person‑ nelle de chaque apprenant, ce dernier ne peut apprendre. Or cette mobilisa‑ tion ne va pas de soi pour de nombreux enfants. Celui qui exprime que « c’est le maitre qui doit m’apprendre », et ils sont plus nombreux qu’on ne le croit généralement, ne se mobilise pas vraiment et n’apprend pas non plus tout en rejetant la faute sur l’enseignant. Celui qui ne perçoit pas la situation prévue par l’enseignant de la même manière que ce dernier ne se mobilise pas non plus sur ce qu’il est censé apprendre. Celui qui ne sait pas encore ce qu’il vient vraiment faire à l’école ou qui pense qu’il doit venir y montrer ce qu’il sait, ne se mobilise pas pour apprendre… Exprimer et répéter souvent les objec‑ tifs de l’activité, en intervention collective, mais surtout individuelle pendant les activités pour bien concerner l’apprenant qui n’a pas tout à fait compris ce qu’il fait là, est une pratique importante pour développer peu à peu l’habi‑ tude de se donner le « projet » de se mobiliser. Pour l’enseignant, être atten‑ tif à tous les indices montrant le degré de mobilisation de chaque apprenant et solliciter chacun en fonction des observations réalisées sont la base d’une vraie ­différenciation réduisant peu à peu les différences. La planification Le même raisonnement est à tenir pour chaque fonction exécutive. La planifica‑ tion s’apprend peu à peu. Laisser les enfants se débrouiller comme ils peuvent sous prétexte que chacun doit construire sa manière est tout bonnement une

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fuite devant ses responsabilités, souvent parce qu’on ne voit pas comment faire soi-même quand l’idée qui nous guide est d’abord le soi-disant respect de l’ori‑ ginalité de l’enfant. L’enfant qui apprend l’organisation de l’espace, la formu‑ lation d’hypothèses à vérifier et l’anticipation en famille a déjà une longueur d’avance par rapport aux autres, et il va la garder par l’entrainement que lui propose normalement l’école. Les autres qu’on laisse chercher tout en leur reprochant régulièrement leur manque de planification vont peu à peu croire qu’ils en sont incapables, et ne plus faire d’effort pour apprendre. La mémoire de travail

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Nous avons déjà parlé, dans les démarches proposées, de la mémoire de travail. Cette fonction est primordiale à l’école. Pourtant, combien de fois n’avons-nous pas entendu : « il ne sait pas mémoriser » ? Ce n’est pas un donné. Il s’agit aussi d’un apprentissage. Mais, tant que le discours domi‑ nant exprimera le fait que chacun mémorise à sa manière et doit trouver sa propre voie, beaucoup d’enfants seront laissés à leur propre sort. Or, il suf‑ fit de passer un peu de temps dans une classe de 1re primaire (C.P.) pour se rendre compte que plus de la moitié des enfants ne se font pas de représen‑ tations volontaires à la lecture d’une phrase. Comme tous les êtres humains, leur cerveau fabrique des représentations, mais elles participent de ce qu’on appelle le vagabondage mental, c’est-à-dire cette tendance à être ailleurs, à penser à d’autres choses que ce qui est traité à ce moment-là. Celui-ci est nor‑ mal, puisqu’il constitue environ 50 % du temps même chez quelqu’un qui veut être attentif. Mais la capacité de construire des images mentales volon‑ taires pour donner du sens au discours de l’enseignant ou au texte lu est un apprentissage qui se fait plus ou moins spontanément dans les familles où l’habitude de parler et de reparler du vécu est fréquente. Ce n’est pas le cas pour beaucoup d’enfants, et l’école maternelle, dans son discours et ses pra‑ tiques habituels, favorise peu cet apprentissage. C’est pourquoi nous avons pro‑ posé un certain nombre de démarches à ce propos dans Bolle M. et Stordeur J., J’écoute et je parle dès la maternelle et après. La formation de représenta‑ tions volontaires est la base de la mémorisation. Cependant, ce n’est pas suf‑ fisant. Il faut aussi apprendre à tous à mémoriser, parce que, si l’emballage que chacun va y mettre peut être différent, la démarche de base est identique. Il faut regarder (écouter, sentir) pour découper la réalité en morceaux acces‑ sibles à une représentation consciente, voir ces morceaux dans la tête tout en les organisant entre eux pour reconstruire ­l’ensemble ; il faut exprimer l’en‑ semble de ces actions pour affermir la mémoire de travail ; il faut répéter plu‑ sieurs fois à partir de ses représentations en construction, et ensuite vérifier la bonne prise d’information (mémorisation) en dessinant, en écrivant, en chan‑ tant ce qui vient d’être mis dans la mémoire de travail. Il faut ensuite répéter régulièrement tout en espaçant progressivement les répétitions pour faire pas‑ ser dans la mémoire à long terme. La démarche doit être répétée souvent et pour tous les contenus avec l’ensemble des enfants. Cependant, en fonction de ce que chacun est, le rythme d’acquisition ne sera jamais le même pour tous

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ni les difficultés d’acquisition de l’ensemble des processus. Pouvoir se rendre compte où se trouve la difficulté pour tel ou tel enfant va permettre à l’ensei‑ gnant des interventions pertinentes ciblées. La différenciation est bien dans le processus d’appren­tissage, pas à côté. La flexibilité cognitive

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L’aspect apparemment très directif des apprentissages que nous proposons pourrait faire croire que les enfants vont manquer d’une autre fonction exécu‑ tive : la flexibilité cognitive. On pourrait le croire si l’on ne retient que l’aspect de la planification de l’apprentissage, pour tous, des outils de la pensée. Nous insistons pourtant tout le temps sur l’importance de la bienveillance qui permet à chacun de trouver normales ses erreurs lors des nombreux essais. Ce climat de bienveillance est fondamental pour la sécurité qu’il apporte, sécurité néces‑ saire aux apprentissages. L’insécurité habituelle, vécue par beaucoup d’enfants dont on respecte extérieurement la spontanéité, les empêche d’oser se lancer dans l’inconnu et donc d’apprendre. Ils se contentent alors d’essayer de redire ou de refaire le mieux possible ce qu’ils croient avoir compris. Ils perdent peu à peu toute flexibilité cognitive. C’est bien le paradoxe, et pas des moindres, que la volonté de respecter la personnalité de l’enfant conduit à en détruire, au niveau de l’école, toute flexibilité. « 5, c’est comme sur le dé, sinon ce n’est pas 5 », « le sujet, ce sont les deux premiers mots de la phrase »…

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Le fait de proposer des situations complexes (à ne pas confondre avec les situa‑ tions de la vie réelle des Québécois), de respecter le rythme de chacun tout en sollicitant collectivement, mais également de manière ciblée pendant les nom‑ breux essais répétés, d’accepter des solutions partielles parfois momentanément erronées, d’accepter positivement des variations de réponses, d’assurer un véri‑ table apprentissage pour tous… ces faits construisent progressivement une plus grande sécurité, un savoir-faire plus grand pour tous et en conséquence une plus grande flexibilité cognitive. Plus un enfant maitrise de choses, plus il peut être « créatif ». Picasso disait : « 99 % de travail, 1 % de créativité. »

L’inhibition

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La cinquième fonction exécutive considérée comme fondamentale est l’inhibi‑ tion. Nous en avons parlé ci-devant sous le titre « Réflexibilité et impulsivité ». La régulation émotionnelle

La dernière des fonctions exécutives que nous retenons et qui gagnerait à être mieux connue en profondeur est la régulation émotionnelle. Pourquoi ? Parce que la réaction la plus fréquente devant une manifestation importante d’émotion, que ce soit de joie ou d’agressivité, est la répression. La demande, bien inscrite dans les réseaux neuronaux par l’éducation reçue, est la modulation ou même la suppres‑ sion expressive. C’est cette exigence de suppression des ­comportements, notam‑ ment agressifs, qui crée le stress et les difficultés inhérentes à celui-ci. Le stress causé par les essais pour freiner son agressivité provoque non seulement des effets

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Des critères qui n’enferment pas !

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négatifs sur l’organisme de l’enfant (ou de l’adulte), mais est aussi contreproductif pour favoriser les apprentissages. Et ce n’est pas parce que les enfants ont parti‑ cipé à un simulacre de démocratie en établissant les lois à respecter eux-mêmes que l’on améliore la situation. On l’aggrave souvent en y ajoutant la culpabilité, puisque l’enfant ne sait pas respecter une loi qu’il a pourtant votée, acceptée ou même proposée lors de l’établissement du règlement. Le problème essentiel de l’apprentissage de la régulation émotionnelle, sauf extrême urgence pour cause de danger, n’est pas dans la centration sur la réponse émotionnelle à moduler. Elle est davantage dans l’attention portée aux situations problèmes et peut comporter plusieurs aspects. On peut apprendre à éviter les situations qui provoquent telle ou telle émotion considérée comme inacceptable dans ses manifestations. Pour cela, il faut en prendre conscience et les verbaliser de manière la plus claire pos‑ sible. Pourquoi prendre son ballon pour jouer à l’école si ça se termine toujours en bagarre ? On peut essayer de modifier la situation. Par exemple, la répartition d’une cour de récréation en aires de jeux spécialisées est un bel essai pour modi‑ fier une situation trop conflictuelle. On peut surtout travailler à l’établissement d’un changement cognitif, c’est-à-dire apprendre à voir autrement la situation pro‑ blématique pour les perceptions du cerveau. Si l’enfant perçoit tout contact avec autrui comme agressif, ce ne sont pas les règles qui vont l’aider à ne plus réagir par une agression en retour. Par contre, l’aider à percevoir les contacts comme normaux quand on joue peut aider son cerveau à ne pas provoquer la réaction. Dédramatiser les erreurs, les considérer comme normales et l’exprimer, cela peut aider un enfant à ne pas se décourager ou ne pas s’énerver devant une situation d’apprentissage. Cette réévaluation cognitive ne peut se réaliser que dans la conti‑ nuation d’une attitude bienveillante et compréhensive de l’enseignant. Tous n’ont pas besoin de la même attention à ce propos. L’enseignant doit différencier ses interventions en fonction de ses observations et, quand c’est possible, en fonc‑ tion de sa connaissance du vécu habituel de l’enfant.

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Nous venons de montrer l’utilisation possible et de manière positive d’un ensemble de caractéristiques que l’enseignant devrait avoir dans son regard d’ob‑ servation des enfants. Ce « regard », cet outil d’observation, n’est jamais complet et suffisant. Il doit être appris comme toute compétence, entretenu et complété tout au long de la vie. Ça devrait être un chapitre essentiel de toute formation d’enseignant : apprendre à regarder ; à faire des hypothèses ; à les vérifier ; à inhiber l’envie d’enfermer l’autre parce que, en tant qu’éducateur, l’objectif n’est pas d’enfermer, mais d’ouvrir ; apprendre non à valoriser ou à refuser les diffé‑ rences, mais à en tenir compte pour les réduire, les modifier. Éduquer, c’est bien changer l’autre pour le rendre plus fort, plus grand à ses yeux.

Déjà en 1993, dans « Styles d’apprentissage et modes de pensée » dans La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui, Jean-Pierre Astolfi décla‑ rait : « On peut, d’une certaine façon, se réjouir sur le plan pédagogique, des difficultés qu’on note à synthétiser les styles cognitifs en un petit nombre 9 • Des ensembles de critères d’observation (ECO) 133

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d’ensembles larges. Cela permet de réfréner la tendance toujours vivace à catégoriser les sujets et à les “mettre en cases”, tendance qui est largement à l’origine du succès des travaux de La Garanderie par exemple, par-delà les intentions de l’auteur. En réalité, il faut éviter que l’intérêt pour la diversité des styles d’apprentissage ne se traduise par un enfermement des personnes. » Nous partageons totalement cet avis plus de 25 ans après.

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À côté de ces critères généraux à propos des opérations mentales, on devrait aussi pouvoir travailler les opérations mentales spécifiques de la maitrise des grandes compétences. On y retrouverait bien sûr les critères généraux, dont nous venons de parler, mais également d’autres opérations plus spécifiques et qui seraient dépendantes des savoirs (les obstacles épistémologiques que nous avons signalés dans le chapitre précédent). La maitrise de ces critères plaide aussi pour l’anima‑ tion de la classe sur la même situation d’apprentissage. Tous les enfants travaillant sur la même situation, il est plus facile pour l’enseignant d’être attentif à tous les obstacles importants inhérents à la situation. Son observation étant plus précise et pertinente, ses interventions pour aider l’apprenant à progresser le seront aussi.

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III. DES CRITÈRES LIÉS AU SAVOIR DE L’APPRENANT (OBSTACLES DIDACTIQUES)

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À côté de l’observation de ces grands domaines psychologiques que l’on retrouve dans de nombreuses publications, il est indispensable de travailler l’observation de ce qui se passe du côté des « nœuds matières ». Ce travail, à réaliser pour toutes les disciplines, devrait être une autre partie importante de la formation des enseignants. Il ne suffit pas de maitriser une matière. Il faut en connaitre les obstacles conceptuels, les pièges et les points fondamentaux. Si les spécia‑ listes des disciplines maitrisent généralement, mais pas toujours consciemment, ces aspects, ce n’est pas le cas pour les généralistes de l’enseignement fonda‑ mental. C’est pourquoi il serait nécessaire d’accentuer la formation à propos des « noyaux » des disciplines, sans les noyer dans l’ensemble des connaissances. Une des voies à la disposition de tous pour prendre conscience de ces nœuds est l’observation des erreurs des apprenants. Elles sont souvent l’objet d’humour facile. Elles devraient être des indices nous aidant à mieux organiser nos appren‑ tissages. Ce travail dépasse l’objet de cet ouvrage. Nous allons juste reprendre quelques exemples dans les écrits à notre disposition pour en donner une idée.

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Des exemples Exemple 1 Odile et Jean Veslin, dans Corriger des copies. Évaluer pour former, en 1992, don‑ naient beaucoup d’exemples. Nous en reprenons un parce que nous le trouvons représentatif de ce que peut apporter l’analyse des erreurs pour aider un apprenant.

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