Comprendre, apprendre et mémoriser - extrait

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COMPRENDRE, APPRENDRE, MÉMORISER

dire dire prof prof COMPRENDRE, élève hélève APPRENDRE, MÉMORISER

« Tous les enfants sont capables à condition que leur en soient donnés les moyens », affirmait Henri Bassis. Et pourtant le pourcentage des échecs scolaires ne faiblit pas, malgré toutes les réformes tentées au niveau structurel. Et si le problème essentiel était ailleurs ? La médecine a fait d’énormes progrès quand les médecins ont essayé de comprendre le fonctionnement du corps humain. La pédagogie ne pourrait-elle pas faire des progrès en essayant de comprendre le fonctionnement du cerveau ? • La première partie de cet ouvrage expose quelques données de base à propos du fonctionnement neuronal et propose quelques règles de méthodologie élémentaire qui en découlent. • La seconde partie approfondit quelques domaines spécifiques comme la perception, les représentations, le langage, la lecture, la numération, la motivation… en s’appuyant aussi sur des données de la recherche en neurosciences. • La troisième partie propose quelques démarches en cohérence avec les hypothèses dégagées et qui font la preuve de leur efficacité dans les classes qui les pratiquent au jour le jour. Les neurosciences ne sont peut-être pas, actuellement, à la base de grandes révélations, mais elles permettent de sélectionner les pratiques les plus pertinentes parce qu’elles correspondent mieux aux processus utilisés pour comprendre, apprendre et mémoriser (et notamment de percevoir la différence entre ces trois phénomènes). Elles permettent aussi d’approcher les structures utilisées par notre cerveau pour stocker les compétences maîtrisées aussi bien du point de vue des savoirs que des savoir-faire. C’est à ces deux niveaux, les processus et les structures, que se situe cet ouvrage destiné à tout qui est confronté aux cheminements nécessaires pour « apprendre ».

au service école école Les neurosciences de la pédagogie

COMPRENDRE, APPRENDRE, MÉMORISER Les neurosciences au service de la pédagogie

aternelle rimaire

leçon leçon recevoir recevoir donner donner econdaire

Joseph Stordeur

Orthopédagogue de formation, il est actuellement formateur indépendant et anime de nombreuses formations en Belgique et à l’étranger. Après un travail important à propos de la pédagogie par objectifs, de la pédagogie du projet et de l’auto-socio construction des savoirs, il se concentre actuellement sur les applications concrètes des neurosciences, notamment en maternelle où il passe une journée par semaine depuis septembre 2012.

P É D A G O G I E De Boeck ISBN 978-2-8041-8637-1 572933

vanin.be

P É D A G O G I E

Joseph Stordeur



COMPRENDRE, APPRENDRE, MÉMORISER


enseigner pour

ARCHAMBAULT J. et CHOUINARD R., Vers une gestion éducative de la classe. BOGAERT C. et DELMARLE S., Une autre gestion du temps scolaire. Pour un développement des compétences à l’école maternelle. COUPREMANNE M. (Sous la direction de), Les dynamiques des apprentissages. La continuité au cœur de nos pratiques. De 2 ans ½ à 14 ans DAUVIN M.-T., LAMBERT R., L’apprentissage en questions. S’interroger pour améliorer nos pratiques. DEGALLAIX E. et MEURICE B., Construire des apprentissages au quotidien. Du développement des compétences au projet d’établissement. DE LIÈVRE B. et STAES L., La psychomotricité au service de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte. Notions et applications pédagogiques. DRUART D., JANSSENS A. et WAELPUT M., Cultiver le goût et l’odorat. Prévenir l’obésité enfantine dès 2 ans ½. DRUART D. et WAUTERS A., Laisse-moi jouer… J’apprends ! DRUART D. et WAELPUT M., Coopérer pour prévenir la violence. Jeux et activités d’apprentissage pour les enfants de 2 ans ½ 12 ans. EVRARD T. et AMORY B., Réveille-moi les sciences. Apprendre les sciences de 2 ans ½ à 14 ans. EVRARD T. et AMORY B., Les modèles. Des incontournables pour enseigner les sciences ! Apprendre les sciences de 2 ans ½ à 18 ans. GIASSON J., La lecture. Apprentissage et difficultés. Adapté par G. VANDECASTEELE. GIASSON J., La lecture. De la théorie à la pratique. Adapté par T. ESCOYEZ. GIASSON J., Les textes littéraires à l’école. Adapté par T. ESCOYEZ. GIBUS, Chant’Idées. Écouter, comprendre, exploiter chansons et poèmes de 2 ans ½ à 12 ans. HARLEN W. et JELLY S., Vivre des expériences en sciences avec des élèves du primaire. HEUGHEBAERT S. et MARICQ M., Construire la non-violence. Les besoins fondamentaux de l’enfant de 2 ans ½ à 12 ans. HINDRYCKX G., LENOIR A.-S. et NYSSEN M. Cl., La production écrite en questions. Pistes de réflexion et d’action pour le cycle 5-8 ans. HOHMANN M., WEIKART D. P., BOURGON L. et PROULX M., Partager le plaisir d’apprendre. Guide d’intervention éducative au préscolaire. JAMAER Ch. et STORDEUR J., Oser l’apprentissage... à l’école ! LACOMBE J., Le développement de l’enfant de 0 à 7 ans. Approche théorique et activités corporelles. LELEUX C., Éducation à la citoyenneté - Tome 1. Les valeurs et les normes de 5 à 14 ans. LELEUX C., Éducation à la citoyenneté - Tome 2. Les droits et les devoirs de 5 à 14 ans. LELEUX C., Éducation à la citoyenneté - Tome 3. La coopération et la participation de 5 à 14 ans. LEMOINE A. et SARTIAUX P., Jouer avec les mathématiques. Jeux et activités traditionnels de 2,5 à 8 ans MEURICE B., Accompagner les enseignants du maternel dans leurs missions. MOURAUX D., Entre rondes familles et École carrée… L’enfant devient élève. PIERRET P. et PIERRET-HANNECART M., Des pratiques pour l’école d’aujourd’hui. REY B., CARETTE V., DEFRANCE A. et KAHN S., Les compétences à l’école. Apprentissage et évaluation. SMETS P., Écrire pour apprendre à écrire. Pistes de réflexion et d’actions pour les 8/14 ans. STORDEUR J., Comprendre, apprendre, mémoriser. Les neurosciences au service de la pédagogie. STORDEUR J., Enseigner et/ou apprendre. Pour choisir nos pratiques. TIHON M., Jouer aves les sons. La métaphonologie pour entrer dans la lecture. TERWAGNE S., VANHULLE S. et LAFONTAINE A., Les cercles de lecture. Interagir pour développer ensemble des compétences de lecteurs. TERWAGNE S., VANESSE M., Le récit à l’école maternelle. Lire, jouer, raconter des histoires. WAELPUT M., Aimer lire dès la maternelle. Des situations de vie pour le développement des compétences en lecture de 2 ans ½ à 8 ans. WAUTERS-KRINGS F., (Psycho)motricité. Soutenir, prévenir et compenser.


enseigner pour

COMPRENDRE, APPRENDRE, MÉMORISER Les neurosciences au service de la pédagogie Joseph Stordeur


© Éditions VAN IN, Mont-Saint-Guibert – Wommelgem, 2014, De Boeck publié par VAN IN

Tous droits réservés. En dehors des exceptions définies par la loi, cet ouvrage ne peut être reproduit, enregistré dans un fichier informatisé ou rendu public, même partiellement, par quelque moyen que ce soit, sans l’autorisation écrite de l’éditeur. 1re édition - 3e réimpression 2019 ISBN 978-2-8041-8637-1 D/2014/0074/136 ISSN 1373-0169 Art. 572933/04


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Merci à Christine, Marylène et Annick Merci à Madeleine et Claudine

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« Résister, dans le vrai sens du mot, est un défi pour chacun de nous. Résister, c’est regarder attentivement là où les autres ferment les yeux, c’est rester vigilant, sensible, garder sa conscience aiguisée, avoir la volonté ferme de comprendre, de ne pas se laisser mener. Savoir dire non, savoir tenir bon. Cela suppose aussi la résistance contre la paresse de l’esprit et l’indolence du cœur, la résistance contre la tentation de se cacher, d’éviter les conflits. J’aimerais rappeler le mot de Guenther Eich : Tu es concerné par tout ce qui arrive. »

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Anneliese KNOOP-GRAF, « Témoigner et transmettre », dans Résister, Paris, Éditions Autrement, 1994, p. 201.

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Introduction

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« La vie est une succession d’ambiguïtés et de bravades. On y apprend tous les jours, et tous les jours on efface son ardoise pour un nouvel exercice. En réalité, il n’y a pas de vérité irréfutable, il n’y a que des certitudes. Lorsqu’une s’avère être infondée, on s’en forge une autre et on s’y verrouille contre vents et marées. »

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Yasmina KHADRA, L’équation africaine, Paris, Éditions Julliard, 2011.

Le cadre d’analyse

1 Tous les enfants sont capables ? 2 Travailler à partir des sujets plutôt qu’à partir des contextes et des objets 3 Clarifier les ambiguïtés du discours actuel

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1.

Tous les enfants sont capables ?

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Dans un livre utilisé par la majorité des instituts de formation des enseignants dans les années soixante et septante, Paul A. OSTERRIETH raconte une expérience menée par ULMER en 1939. Bientôt un siècle ! Les résultats obtenus m’ont toujours paru très éclairants pour comprendre l’état de notre enseignement. ULMER voulait mettre en évidence la valeur formative d’une discipline si celle-ci n’est pas seulement enseignée pour elle-même, mais si les principes de sa construction et de son organisation sont mis en évidence. Il travaille dans un domaine particulier qu’est la géométrie. Il forme ainsi trois groupes. Un groupe qui ne va pas faire de géométrie, un groupe qui fait de la géométrie « pour elle-même » et un groupe où la géométrie sera enseignée comme technique de pensée avec mise en évidence et analyse des principes fondamentaux du raisonnement.

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Quand, dans nos classes du fondamental, nous organisons l’observation et la description d’une seule forme géométrique à la fois, c’est-à-dire un jour le rectangle, quelques semaines plus tard le triangle et quelques années plus tard l’hexagone (voir la répartition des matières dans les programmes et les livres), nous enseignons la géométrie pour elle-même. Si nous voulions enseigner la géométrie comme technique de pensée dans cet exemple précis, il serait nécessaire d’aborder toutes les formes géométriques de base à la fois et ainsi « donner du sens » aux caractéristiques retenues comme spécifiques de chaque forme. Pourquoi faut-il préciser que le rectangle est une figure (terme actuellement difficilement accessible pour beaucoup d’enfants) à quatre côtés, si ce n’est parce qu’il existe des figures à trois, cinq, six,… côtés. Pourquoi parler des angles droits si ce n’est parce qu’il y a des formes à quatre côtés mais dont les quatre angles ne sont pas droits ? Cette comparaison (processus de pensée), tellement normale pour l’enseignant et quelques enfants, est inaccessible pour la grande majorité si elle n’est pas organisée et mise en évidence. Pour tous ces enfants, les caractéristiques du rectangle vont être retenues par cœur, comme celle du triangle, du trapèze, etc. Bien sûr, une comparaison sera organisée en fin de parcours et quelques-uns pourront en profiter, avec quelques années de retard ! Pour beaucoup d’autres, l’habitude du « par cœur sans comprendre » sera devenue une procédure tellement ancrée dans leur mode de pensée qu’ils y resteront attachés, d’autant plus que le sentiment d’incompétence construit pendant des années les motivera à l’évitement d’effort, effort que demanderait une réorganisation de leur mode de fonctionnement. On ne peut tout aborder à la fois, mais une vision globale de la problématique est nécessaire pour que les actions demandées aux apprenants prennent du sens. Comment s’y prendre ? Il est bien sûr possible de se centrer sur le rectangle, mais en organisant systématiquement la comparaison avec toutes les formes qui peuvent donner du sens aux caractéristiques retenues. Le vrai travail qui sera effectué par les apprenants, sous la conduite de l’enseignant, sera l’analyse du rectangle en le comparant systématiquement à chacune des autres formes géométriques. Peut-être faudra-t-il, auparavant, organiser la recherche des catégories de critères significatifs dans l’observation d’une figure géométrique. Il s’agit là d’une autre technique de pensée.

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Revenons à l’expérience d’ULMER. Voici une présentation de ses résultats. Gain moyen (second test de raisonnement comparé au premier)

Groupes

Élèves dits moyens

Élèves dits les plus forts

I. Contrôle

5,1

5,1

4,0

II. Géométrie « pour elle-­même »

5

8,3

13,4

III. Géométrie « technique de pensée »

24,2

25,2

30,7

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Élèves dits les plus faibles

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Pour le groupe contrôle n’ayant pas fait de géométrie, le gain en capacité de raisonnement est pratiquement identique chez tous les élèves simplement par le fait de vivre les sollicitations de l’environnement. Tous progressent sous l’influence des expériences de la vie.

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Pour le groupe ayant suivi des cours de géométrie « pour elle-même », les progrès enregistrés sont une illustration flagrante des résultats de l’école actuelle. Seuls les meilleurs progressent de manière assez importante ou, en d’autres termes, seuls les meilleurs profitent des conditions actuelles de l’enseignement. Ils triplent leur progression par rapport au groupe contrôle. Les élèves dits moyens progressent également, peut-être juste assez pour réussir, mais probablement pas assez pour avoir vraiment appris et être à l’aise dans le long terme. Les plus faibles ne profitent absolument pas de l’enseignement. L’air du temps ou l’école buissonnière leur est tout aussi profitable. Pas étonnant qu’ils finissent par l’organiser volontairement dans ce qu’on appelle le décrochage scolaire.

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Si nous observons les résultats du troisième groupe, nous pouvons alors être étonnés que notre enseignement n’ait pas essayé de modifier drastiquement les pratiques de classe. Tous les enfants ont réalisé des progrès au moins cinq fois plus importants que le groupe contrôle, deux fois plus importants que les élèves dits forts dans l’enseignement traditionnel. En fait, l’écart entre les groupes d’enfants a presque disparu. La disparité des résultats dont souffre notre enseignement pourrait donc disparaître ! En travaillant sur les techniques de pensée, serait-il possible de vraiment améliorer les résultats de notre enseignement ? Sauf atteinte neurologique, tous les enfants sont-ils capables ?

Voici déjà quelques années, BLOOM et de nombreux collaborateurs (cités par A. GRISAY) ont aussi essayé de répondre à cette question : Quelles sont les limites empiriques de l’éducabilité des apprenants ? Jusqu’où peut-on faire progresser les élèves lorsqu’on met en œuvre les meilleures conditions d’apprentissage possibles ? Les résultats obtenus par leurs expérimentations vont dans le même sens que ceux décrits ci-dessus dans l’expérience de ULMER. On ne peut attribuer ces résultats à un facteur déterminant précis, les moyens employés ayant été très diversifiés. Cependant, le centre du dispositif de la

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recherche de BLOOM ayant été centré sur le préceptorat, on peut raisonnablement penser que l’explication des techniques de pensée y avait une place privilégiée, notamment lors du dialogue entre les partenaires, même si ce facteur n’a pas été explicitement mis en évidence par BLOOM. Les élèves dits moyens obtiennent des résultats comparables aux 5 % des élèves dits les plus forts. Et les élèves dits faibles obtiennent les mêmes résultats que les 20 % des élèves dits les plus forts. En d’autres termes, cela signifie que tous les élèves sont donc capables de bien réussir.

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Une recherche-action, réalisée dans le cadre d’une convention avec le ministère de l’Enseignement agricole par Alain LIEURY, Anne HELIE, Bernadette FLEURY et Fabien FENOUILLET à propos de la maîtrise du vocabulaire, arrive aussi aux mêmes conclusions. Ils ont sélectionné 24 mots de biologie considérés par les enseignants comme non ou peu connus dans une classe de CM2. Ils ont ensuite organisé un apprentissage multi épisodique, c’est-à-dire basé sur la répétition d’utilisations dans des contextes variés sur un laps de temps court. L’utilisation répétée, dans un laps de temps court, des nouveaux mots à intégrer dans le langage, constitue aussi une technique de pensée, et bien sûr d’apprentissage mémorisation.

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Après seulement huit répétitions, les élèves dits de niveau faible, obtiennent une amélioration du même ordre (29 %) que les meilleurs (24 %). Leurs difficultés peuvent donc être attribuées à l’absence de connaissances antérieures et non à l’insuffisance de capacités de mémorisation sémantique. Si les moyens utilisés sont pertinents par rapport aux conditions nécessaires pour apprendre, tous les enfants sont capables.

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Ces trois exemples sont là pour nous rappeler notre devoir d’éducateur et d’enseignant. Comment s’y prendre pour devenir plus efficace puisque c’est possible ? Vers où nous diriger ?

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La médecine a commencé à faire des progrès très importants, voici quelques siècles, quand les médecins ont pu (ou accepté de) mieux connaître le fonctionnement du corps. Et les recherches continuent. Ne pourrions-nous pas commencer à faire aussi de sérieux progrès si nous essayons déjà d’utiliser les connaissances disponibles à propos du fonctionnement de notre cerveau ? C’est là que voudrait se situer cet ouvrage : confirmer des pratiques, les améliorer et en proposer de nouvelles en s’appuyant sur ces connaissances. C’est une autre voix ou voie parmi les plus suivies actuellement.

2.

Travailler à partir des sujets plutôt qu’à partir des contextes et des objets

Pour comprendre pourquoi nous parlons d’une autre voie, nous pouvons utiliser un outil d’analyse dont nous ne connaissons plus l’origine mais qui nous a déjà rendu de grands services. Le système scolaire, comme d’autres 12

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systèmes, peut être analysé sous trois points de vue : le contexte, l’objet et le sujet. Durant les quarante dernières années que nous connaissons bien pour y avoir un peu tout essayé, les innovations ont porté sur le contexte ou sur l’objet pour l’essentiel. Et quand le sujet a parfois été mis en avant, c’est seulement sous l’angle affectif et avec des hypothèses qui relevaient davantage d’observation extérieure des comportements que de compréhension du fonctionnement des individus. Or il paraît évident que l’observation externe peut être très trompeuse. Tout le monde peut voir le soleil tourner autour de la terre ! Beaucoup d’observations psychologiques sont malheureusement de cet ordre. L’exemple le plus frappant est celui de la motivation que nous travaillerons dans un chapitre. Beaucoup sont convaincus que les enfants ne réussissent pas parce qu’ils ne sont pas motivés. Or, c’est la non réussite répétée qui construit et structure la démotivation.

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Travailler sur les différents contextes des apprentissages est important : le contexte peut être physique (le cadre de vie de la classe avec l’espace pour chacun, les couleurs les plus appropriées, la luminosité, les dimensions des bancs, etc.), sociologique (le milieu familial, culturel, économique,…), affectif (la reconnaissance par les camarades, par l’enseignant, par les parents,…). De nombreux travaux cherchent des explications et des solutions à ces différents niveaux et c’est fondamental. Parmi les innovations proposées depuis quarante ans et centrées sur le contexte, on peut relever notamment la pédagogie du projet, les coins lecture, l’ouverture aux milieux de vie, l’amélioration du mobilier scolaire, l’installation de bibliothèque de classe ou d’école,…

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Mais suffit-il d’un bel hôpital avec des moyens économiques suffisants et un personnel gentil pour bien soigner les malades ? Il fut un temps où par méconnaissance du fonctionnement des sujets, même les plus beaux hôpitaux, bénéficiant pourtant d’un personnel dévoué, n’étaient que des mouroirs. Toute ressemblance avec notre école est-elle si scandaleusement incorrecte ?

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Travailler sur les objets est aussi important. Il faut, comme disent ­certains pédagogues, « didactiser » les objets d’apprentissage. Quels sont les contenus à envisager ? Quelles sont les disciplines importantes ou moins ? Comment transformer le contenu des disciplines pour qu’il soit accessible pour tous ?

Parmi les innovations des dernières années, on peut citer la pédagogie par objectifs et le découpage des matières, la problématique des compétences par rapport aux matières, l’insistance sur la littérature enfantine et l’analyse de la qualité des livres dits pour enfants, l’illustration « plus adéquate » des livres scolaires,… Mais que sait-on de l’adaptation de toutes ces innovations aux besoins des sujets ? Suffit-il d’avoir de beaux et bons outils s’ils sont inadaptés aux types de malades soignés dans l’hôpital et/ou si le personnel ne sait pas vraiment comment s’en servir spécifiquement pour chaque malade ?

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Tout en reconnaissant l’importance fondamentale des deux autres aspects, nous pensons que l’amélioration de l’école ne peut advenir qu’en se centrant sur les sujets sous les deux aspects complémentaires que sont les processus employés pour « apprendre » et les structures avec lesquelles les sujets abordent ces apprentissages. Ce sont les sujets qui sont à la base de l’apprentissage et non les contextes et les objets. Faute de connaissances, nous avons mis « la charrue avant les bœufs » comme le disait un dicton ardennais de mon enfance.

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Travailler sur les processus à utiliser par les sujets pour apprendre, c’est essayer de comprendre d’abord comment fonctionne notre cerveau. Travailler sur les structures, c’est travailler sur la manière dont notre cerveau stocke ses compétences du point de vue des savoirs comme des savoir-faire. C’est à ces deux niveaux que nous allons nous situer dans cet ouvrage.

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« Dieu est subtil, mais Il n’est pas malicieux »

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Le message de la nature nous parvient codé, et il nous revient de le décoder. Le fait étonnant est que notre cerveau soit en mesure de déchiffrer, du moins partiellement, le code cosmique, et que nous puissions ainsi progresser vers une compréhension de plus en plus complète du monde. Nous aurions fort bien pu vivre dans un univers où les régularités seraient si bien dissimulées, les motifs si bien cachés, la mélodie si secrète que déchiffrer le code cosmique eût requis incomparablement plus de capacités mentales que n’en possède le cerveau humain. Nous aurions pu aussi habiter un univers où les régularités seraient si évidentes et transparentes qu’elles nous sauteraient aux yeux et qu’aucun effort mental ne serait nécessaire pour en comprendre le sens.

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Or nous ne vivons ni dans l’un ni dans l’autre de ces cas extrêmes, mais dans un univers intermédiaire où la difficulté du code cosmique semble être mystérieusement ajusté à l’aptitude du cerveau humain à le comprendre. La tâche n’est pas aisée, mais elle n’est pas non plus insurmontable. Elle est assez difficile pour nous poser un sérieux défi, sans être si complexe qu’elle nous découragerait et nous obligerait à baisser les bras. « Dieu est subtil, mais Il n’est pas malicieux », disait Einstein. Subtil, parce que le secret de la mélodie ne nous est pas offert sur un plateau. Pas malicieux, car si nous y mettons du nôtre, le code pourra être déchiffré.

Trinh XUAN THUAN, Le chaos et l’harmonie, Librairie Arthème Fayard, 1998.

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3.

Clarifier les ambiguïtés du discours actuel

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Nous présenterons d’abord les éléments théoriques qui nous servent de base depuis quelques années pour tenter de mieux comprendre les difficultés rencontrées par les sujets de l’école, qu’ils soient apprenants ou enseignants. Nous verrons que les difficultés des uns ne sont que le reflet des difficultés des autres. Des élèves en difficultés se démotivent peu à peu pour leur travail d’apprenant. Mais les enseignants conscients qu’ils n’ont pas en leur possession les outils pertinents pour faire progresser ces élèves se démotivent tout autant et attendent leur pension… avec enthousiasme !

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C’est dans cette première partie que nous détaillerons le fonctionnement neuronal nous permettant de faire la différence entre comprendre, apprendre et mémoriser. Nous y détaillerons aussi les différents systèmes de mémoire et les implications méthodologiques que l’on peut essayer d’en tirer, en nous basant notamment sur ce qui est généralement affirmé autour des règles pour une bonne mémorisation.

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Dans une seconde partie, nous détaillerons quelques problématiques particulières en vue de clarifier notre position, mais également pour assurer des liens suffisants avec l’ensemble des éléments théoriques précédents. C’est ainsi que nous détaillerons les problématiques autour de la perception, des représentations, des structurations, de la maîtrise du vocabulaire, de la lecture, du dénombrement et de la motivation. Ce dernier point sera abordé pour être certain que notre centration sur les aspects cognitifs ne conduise le lecteur à penser que les aspects affectifs ne sont pas considérés comme importants.

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Nous proposerons en troisième partie un ensemble de pratiques à mettre en place pour se construire, comme enseignants et comme élèves, des processus (techniques de pensée) qui permettraient de mieux réussir. Nous les avons choisies parmi de nombreuses autres pour leur caractère exemplaire des pratiques que nous aimerions voir développer. Il ne s’agit pas de solutions « miracles ». La recherche n’est qu’à ses débuts et comme en médecine, elle n’est pas prête de se terminer. À aucun moment, il ne nous sera possible d’avancer des recherches statistiques comme citées ci-dessus. Cependant, les témoignages des centaines d’enseignants avec qui nous travaillons depuis des années, le partage régulier avec quelques-uns d’entre eux et l’enthousiasme manifesté par tous ceux avec qui nous partageons ce savoir dans les formations nous encouragent à croire que la voie proposée est pertinente. Que tous soient ici remerciés, non seulement pour le soutien ainsi apporté, mais surtout pour le courage dont les plus engagés doivent faire preuve pour continuer à chercher alors qu’ils sont en bute aux tracasseries de l’institution qui utilise toujours des outils d’évaluation d’une autre conception basée sur le contexte et l’objet, tout en tenant parfois un discours centré sur le sujet. C’est par ailleurs cette ambiguïté difficile à vivre au quotidien qui est

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le plus grand frein aux changements nécessaires. Notre espoir est que cet écrit participe un peu à la clarification de cette ambiguïté. Une dernière remarque avant de commencer. Comme l’écrivait, voici déjà quelques années, Philippe PERRENOUD, toute proposition de changement « contient, en creux, une critique du système en place. Nul ne peut espérer y échapper entièrement, ni les dirigeants politiques ou administratifs, ni les cadres intermédiaires, ni les enseignants, ni les formateurs d’enseignants, ni les chercheurs, ni même les parents, dont les ambivalences et les angoisses ne sont pas sans effets sur les contradictions des systèmes éducatifs. »

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On peut bien sûr choisir d’atténuer l’analyse, puisqu’il ne s’agit pas de mettre en cause la conscience professionnelle des enseignants. Cependant, si cette tactique paraît raisonnable, elle comporte de nombreuses ambiguïtés. Et Philippe PERRENOUD de poursuivre « On navigue entre deux écueils : si ceux qui proposent un changement “appellent un chat un chat”, ils choquent une partie des enseignants et des parents et sont accusés d’être négatifs, de démobiliser des professionnels déjà aux limites de leurs forces ; s’ils emploient des formules plus neutres, plus personnes ne comprend pourquoi une réforme se justifie… ». Nous avons donc choisi de dire avec force ce que nous croyons en signalant que nous nous voulons avant tout constructif, mais qu’une nouvelle construction ne se justifie qu’à partir d’un constat de manques.

Mais l’intelligence, c’est quoi ?

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C’est comme si, à la naissance, tu avais reçu une grande feuille à dessin et des peintures de toutes les couleurs. Depuis lors, à chaque occasion, tu prends ton pinceau pour y dessiner des formes. C’est ainsi que, peu à peu, tu as fait apparaître, sur ce papier, un paysage et une maison. Puis tu as décidé d’y ajouter des couleurs. Chaque jour, ton dessin devient de plus en plus riche et plus beau. Comme ton intelligence. Chaque fois que tu fais travailler ton cerveau, que tu te poses des questions et que tu observes ce qui l’entoure, tu deviens plus intelligente. En utilisant ton cerveau, tu le rends capable de nouvelles performances. C’est le contraire d’une pile, qui, elle, s’use peu à peu, à mesure qu’on l’utilise. Le cerveau, au contraire, s’use lorsqu’on ne s’en sert pas. C’est merveilleux, non ? Et cela sera sans fin. Car chaque fois que tu obtiens une réponse, que tu comprends un raisonnement nouveau, tu constates que de nouvelles questions se posent, que des raisonnements encore plus subtils doivent être mis au point. Oui, ce sera sans fin. Heureusement. Car la vie serait triste si l’univers n’avait plus de secrets. Par chance, il est si riche que nous n’aurons jamais fini de l’explorer. Albert JACQUARD, extrait de : C’est quoi l’intelligence ?, Éditions du Seuil (Petits Points).

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Apprendre à lire

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Des méthodes d’apprentissage où l’enfant est chercheur à celles où l’enfant est dressé, le choix idéologique est limpide : lui refuser dès le plus jeune âge de penser, lui ôter le désir de questionner, de comprendre, de connaître, lui imposer une obéissance passive. Au-delà de l’apprentissage de la lecture, il s’agit bien d’une volonté d’agir sur les capacités réflexives de toute une jeunesse.

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Catherine CHABRUN

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Le cadre d’analyse

1 Les phases de développement a La phase cognitive

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b La phase de maîtrise

c La phase d’automatisation

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2 Le problème des difficultés en lecture 3 Libérer la parole pour accéder à l’écrit 4 Permettre aux enfants d’inventer leur écriture et leur lecture

5 5Promouvoir les apprentissages dès la maternelle 6 S’adapter au rythme de chaque enfant

7 Comprendre le modèle de la situation 8 Une dernière remarque en conclusion

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Dans les chapitres qui précèdent, plusieurs idées ont été développées concernant l’apprentissage de la lecture. Depuis le début, nous avons décidé de répéter un certain nombre d’idées importantes, non seulement pour qu’elles soient mieux intégrées mais surtout pour mieux faire apparaître les liens entre elles. Nous allons en reprendre un certain nombre dans ce chapitre, parfois succinctement, parfois pour mieux les détailler.

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Comme nous l’avons signalé dans l’introduction, toute situation scolaire peut être analysée sous trois points de vue : le contexte, l’objet (ici, le livre et le texte) et le sujet (le lecteur). Dans ce cadre, nous devons constater que l’essentiel des propositions visant à améliorer l’apprentissage de la lecture depuis une quarantaine d’années relève du contexte des apprentissages ou de l’objet d’apprentissage.

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Par exemple, dans le contexte, on peut citer les nombreuses actions pour créer ou améliorer les bibliothèques d’école ou de classe, la création de coins lecture confortables dans les classes, des collaborations spécifiques avec les familles, la collaboration entre les pensionnaires d’une maison de repos et les enfants d’une classe, etc.

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Dans l’optique de progrès du côté de l’objet, on peut citer l’amélioration de la présentation des livres pour les rendre plus attrayants, mais aussi l’existence d’un cours de littérature enfantine dans presque tous les instituts de formation des enseignants du fondamental pour mieux connaître la richesse des publications destinées à la jeunesse. On peut aussi y citer la plupart des outils appelés « méthode de lecture » comme par exemple « la méthode alpha » pour ne citer que la plus connue parce que la plus commercialisée ou même des programmes qui tentent de répartir « la matière » par semaines ou mois pour une progression soi-disant pertinente dans l’apprentissage des lettres.

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Malgré un grand développement théorique, il est beaucoup plus difficile de rencontrer des innovations concrètes, si ce n’est en ordre très dispersé dans quelques classes, se centrant sur le sujet avec ses structures et ses processus à mettre en œuvre.

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Sans contester l’intérêt des autres innovations, il est pourtant fondamental que c’est grâce à une meilleure connaissance des structures avec lesquelles chaque enfant arrive dans telle ou telle année et avec une maîtrise suffisante des processus à provoquer pour apprendre à lire que l’on pourra améliorer l’apprentissage pour tous les enfants. L’amélioration du contexte et des objets ne sont que des conditions favorables. Mais les mettre en premier lieux comme cela a été fait, c’est mettre « la charrue avant les bœufs ». On peut bien sûr comprendre cette réalité dans le sens où elle est politiquement plus rentable aussi bien pour les politiques que pour les parents et les enseignants qui veulent montrer rapidement qu’ils veulent faire quelque chose pour l’école et les enfants. C’est donc du côté du sujet apprenant qu’il nous faut regarder. C’est de ce côté que pourront venir, peut-être, les hypothèses d’une méthodologie plus efficace.

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Deux aspects peuvent être envisagés : du côté de ce qu’il est (structures cognitives et affectives) et du côté de ce qu’il fait (processus, stratégies,…). Parmi les structures cognitives, on peut déterminer les connaissances sur la langue (habiletés phonologiques, sémantiques, syntaxiques, pragmatiques) et les connaissances sur le monde. Pour les structures affectives, on peut être attentif notamment aux rapports que le sujet entretient avec l’écrit, avec l’apprentissage et bien sûr avec l’école en général. C’est en tenant compte de ces différents aspects qu’il faudrait analyser une situation de lecture. C’est pourquoi, alors que la plupart des tests de lecture évaluent seulement une performance momentanée, ils devraient aussi évaluer des attitudes et des procédures en fonction des objets à lire et des contextes. C’est seulement dans ce cas que les tests deviendraient des auxiliaires intéressants pour l’apprentissage et la formation.

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Ainsi, l’alphabet de formes que préfèrent ces neurones joue-t-il un rôle bien particulier : ces formes élémentaires, qui ressemblent souvent à nos lettres (T, F, Y, O), ont été adoptées par les neurones du cortex temporal inférieur du singe macaque parce qu’elles constituent un répertoire optimal, invariant aux transformations de l’image, et dont la combinatoire permet de représenter une infinité d’objets. Il est probable que d’autres formes viennent s’y ajouter pour leur pertinence biologique. Par exemple, Tanaka a observé que certains neurones codent pour un point noir sur fond blanc, ou l’inverse. Ces neurones pourraient aider à la détection du regard et des visages, une compétence essentielle pour notre espèce. D’autres neurones semblent sensibles à la forme de la main ou des doigts. Dans l’ensemble, toutefois, le cortex temporal inférieur semble privilégier un alphabet de formes géométriquement simples, des invariants mathématiques que l’humanité n’a fait que redécouvrir, bien plus tard, lorsque des générations de scribes ont inventé l’écriture et l’alphabet. Stanislas DEHAENE, Les neurones de la lecture, Paris, Odile Jacob, 2007.

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D’un point de vue pratique, il serait intéressant de se demander comment les enfants acquièrent les structures indispensables pour apprendre à lire. Qu’est-ce qui se passe dans leur vie pour leur permettre de construire ces structures indispensables ? Que pourrait-on faire dès la première maternelle pour permettre à tous les enfants, indépendamment de leur milieu familial, de se construire ces bases ? L’école doit arrêter de ne travailler qu’avec ceux qui sont prêts de par leur expérience de la vie. Cela s’appelle de la sélection. Elle doit commencer à réfléchir sur la manière de compenser les aléas de la vie, sur la manière d’assurer le montage de l’apprentissage et pas seulement l’entraînement à partir de ce que l’on appelle la zone proximale de développement. Comment arrive-ton dans cette zone proximale de développement ? On sait actuellement que les réseaux neuronaux ne se forment que s’ils sont sollicités. Comment solliciter ceux qui sont responsables des structures de base nécessaires à l’apprentissage de la lecture ?

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Si l’on parle de structures déjà présentes pour apprendre à lire, il ne faut pas oublier les processus et stratégies à mettre en œuvre dans n’importe quelle activité, qu’elle soit d’apprentissage ou d’entraînement. Comment l’enfant s’y prend-il pour faire face aux situations à partir de ses structures de base ? Quelles stratégies doit-il mettre en œuvre ? Sont-elles identiques quels que soient son âge, son développement, sa progression dans l’apprentissage de la lecture ?

1.

Les phases de développement

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Essayer de découvrir les processus utilisés par rapport à l’évolution des apprentissages renvoie à une certaine compréhension des phases de développement.

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Le développement du comportement de lecteur peut être décrit selon un certain nombre de stades qu’il faut considérer comme non successifs, et peutêtre même non nécessaires… Car, comme le rappelle A. CLAUSSE, « l’activité mentale ne commence jamais par l’ordre et la clarté. Elle commence dans la confusion, l’approximation, la superficialité. Ce n’est que peu à peu qu’elle débouche sur la synthèse qui organise, met chaque chose à sa place et réalise la compréhension… ».

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Dans leurs recherches, FITTS et POSNER (1967) distinguent trois phases qui correspondent aux trois moments importants dans le cheminement de l’apprentissage : la phase cognitive que l’on pourrait mettre en parallèle avec le temps de contagion de l’apprentissage (compréhension) ; la phase de maîtrise avec la phase d’apprentissage proprement dit (apprentissage) et la phase d’automatisation avec la phase d’entraînement (mémorisation). Cependant, ce parallélisme théorique est trompeur. Car pour tous les processus mis en jeu dans chacune des trois phases, il faut organiser des activités correspondant aux trois temps de l’apprentissage si l’on veut que tous les enfants développent l’ensemble de la compétence « savoir lire ».

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De plus, nous ne devons pas perdre de vue que, comme pour les temps de l’apprentissage, si les phases apparaissent successivement, la transition entre chacune est floue, et les comportements de l’une ne chassent pas nécessairement les comportements de la précédente.

a.

La phase cognitive

C’est la phase pendant laquelle l’enfant tente de découvrir et de déterminer quels sont les comportements pertinents et non pertinents pour réaliser le savoir-faire (ici, la lecture). Cette phase est généralement peu travaillée. D’où les confusions cognitives de beaucoup d’enfants. Elle comprend deux aspects importants dans la compréhension de la tâche de lecture par les enfants :

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−− La compréhension des buts de la lecture. Les enfants ont besoin de comprendre les fonctions de communication de la langue écrite ou « pourquoi les gens lisent-ils et écrivent-ils ? » −− La compréhension des caractéristiques techniques de la lecture. Les enfants ont besoin de comprendre les concepts techniques que nous employons pour parler de l’oral et de l’écrit ou « comment codons-nous le langage par écrit ? »

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Ces deux aspects ne se construisent pas spontanément. Comme pour tout apprentissage, ce sont les expériences vécues qui ouvrent les réseaux neuronaux correspondants. Si certains milieux de vie permettent de construire, en partie, ces deux aspects de la compétence « lire », ce n’est pas le cas pour tous les enfants. C’est pourquoi il est indispensable de proposer, à l’école, des activités permettant de les développer chez tous les élèves.

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Réfléchissons d’abord à propos du développement de la représentation des différents buts de la lecture et arrêtons d’abord de n’en parler que comme source de plaisir. L’enfant en apprentissage peut difficilement n’éprouver que du plaisir devant ses difficultés. S’il peut éprouver du plaisir à écouter lire une histoire, le plaisir est dans l’écoute, pas dans la lecture. Et le plaisir de l’écoute où c’est l’autre qui travaille va devenir un obstacle pour se battre avec les difficultés du code notamment si l’enfant croit qu’il doit aussi avoir du plaisir. Le plaisir n’est qu’un résultat possible de l’activité, il n’en est jamais le but, au risque d’être souvent très déçu. En recentrant la lecture sur ses différentes fonctions, nous penserons à introduire très tôt, dès la première maternelle, l’accès à une grande diversité de documents. Les livres dits pour enfants, tout en restant très importants, ne seront plus qu’une petite partie des écrits mis à la disposition des enfants.

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Aidons donc les enfants à découvrir que la lecture et l’écriture sont utiles, notamment : −− pour communiquer à distance ; −− pour s’informer ; −− comme moyen de participer à la vie du monde ; −− comme mémoire de la vie du groupe ; −− comme moyen de vivre et d’exprimer ses sentiments ; −− comme source d’évasion et de plaisir ; −− … Il est important de travailler sur les représentations progressives que chaque enfant se fait de la lecture et de son apprentissage. De « apprendre à lire pour faire plaisir à Madame, ou pour apprendre ses lettres » à « lire pour s’informer et apprendre le monde », il y a un chemin à réaliser avec chaque enfant à travers des activités de prise de conscience et de modification des représentations. Grâce aux expériences nombreuses de l’environnement familial et scolaire, l’enfant, en exprimant régulièrement le sens de ce qu’il fait, va peu à peu se construire une idée de ce qui est demandé par l’acte de lire. La tâche

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est difficile. C’est pourquoi elle demande une attention très particulière des enseignants, notamment au niveau maternel. Même s’il faut nuancer les affirmations de Piaget à propos de l’égocentrisme du langage enfantin, il nous faut tenir compte du fait qu’une grande partie (la moitié à 6 ans) du langage des enfants de moins de 8 ans n’a pas pour fonction de communiquer avec les autres. Même si ces derniers sont là, l’enfant n’essaie pas de se placer du point de vue de l’interlocuteur, ni pour l’influencer, ni pour lui dire quelque chose (pensons à ce propos aux expériences de communication d’un objet à faire dessiner par un autre). Mais comme pour toutes les autres fonctions, l’enfant n’apprendra à utiliser la langue comme véritable outil de communication que si les sollicitations du milieu le lui permettent, ou même l’y obligent.

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La compréhension des fonctions de la lecture et de l’écriture a une importance cruciale et ne s’acquiert pas aisément. C’est pourquoi, elle est généralement maîtrisée plus rapidement, quand les expériences familiales (lecture, correspondance,…) accompagnent les expériences scolaires. D’où l’observation courante qui montre que l’apprentissage de la lecture est directement sous l’influence du milieu socioculturel et socio-économique. Mais l’école peut compenser, en grande partie, par des pratiques volontairement centrées sur la manipulation et l’utilisation d’une grande variété d’écrits. Varier les écrits en fonction des intentions des auteurs, en fonction des genres, des structures, des contenus, de la lisibilité,… pour développer une relation positive à l’écrit.

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Si l’école veut devenir un lieu de démocratisation, elle doit intégrer l’apprentissage des buts de la lecture et de l’écriture dans le développement du savoir lire et du savoir écrire. « Si un enfant sait que ce qu’il est en train d’écrire va intéresser et amuser d’autres personnes, il apportera plus de soin à sa présentation. » « L’enfant ne devrait pas être amené à penser que prendre des risques n’est pas payant… L’idée qu’un premier jet doive être suivi d’une seconde prestation plus “raffinée” devrait donc être davantage utilisée. » (Extrait du rapport BULLOCK, cité par J. DOWNING et J. FIJALKOW.)

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Il faut donc prévoir un ensemble de démarches pour permettre aux enfants :

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−− d’élaborer une vision globale des différents buts de la lecture ; −− d’identifier les types d’écrit ; −− de prendre en compte le support ; −− de comprendre ce que veut dire lire : rechercher un sens, une information ; −− de dépasser l’idée que la lecture n’est qu’une activité scolaire ; −− de considérer la lecture comme une activité de découverte à domicile ; −− de se construire des images mentales de ce qui est entendu et lu ; −− d’anticiper ce qui pourrait être écrit en utilisant différents indices ; −− de mémoriser les informations recueillies à plus ou moins long terme ; −− de relier entre elles les informations recueillies.

Les activités permettant de s’approprier les buts de la lecture concourent à l’apprentissage des autres aspects de l’acte de lire et notamment à la prise de 128

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conscience de l’existence d’un code et de son fonctionnement. Avec quoi puisje écrire ce que je dis et comment ça fonctionne ? Cependant, il n’est absolument pas sûr que tous les enfants puissent percevoir les aspects techniques de l’utilisation des signes écrits sans activités spécifiques. Notre perception fonctionne essentiellement à partir de ce que l’on connaît déjà. Nous sommes donc spontanément plus enclins à confirmer notre savoir qu’à essayer de voir autre chose, qu’à essayer de voir ce que nous ne connaissons pas. C’est à cause de cette tendance que l’humanité met tant de temps à « voir » ce qui finit par être évident des années plus tard.

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Comme nous l’avons vu précédemment dans le chapitre sur la perception, nous devons apprendre à découper la complexité de la réalité pour ensuite la reconstituer ou la structurer sous une forme assimilable pour notre mémoire sémantique. Dans l’apprentissage de la lecture, l’enfant doit, par découpage et assemblage, apprendre et mémoriser la forme de chaque lettre jusqu’à devenir capable de se servir de ces images bien intégrées dans le découpage des mots en syllabes. Et il s’agit d’apprendre et de mémoriser les vraies syllabes des mots constituant sa langue et non des syllabes de deux lettres, finalement trop peu fréquentes en français. Vu les difficultés de souplesse cognitive (difficultés du processus d’inhibition) que manifestent les jeunes enfants, l’apprentissage des syllabes de deux lettres devient un obstacle à une lecture aisée. L’enfant recherche ce découpage par deux lettres au lieu de se laisser impressionner « statistiquement » par les véritables syllabes de sa langue. Le jour où cette marque statistiquement importante de ses réseaux neuronaux prend le dessus sur le conditionnement de la recherche de syllabe de deux lettres, l’enfant démarre en lecture. C’est le fameux « tilt » reconnu par les titulaires de classe. En fait, il a compris qu’il fallait faire autre chose que ce qu’on a tenté de lui faire apprendre jusque-là. Ne pourraiton pas gagner du temps pour presque tous les enfants ?

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Solliciter leur capacité d’inhibition est plus ardu pour les jeunes enfants que de mémoriser quelques informations nouvelles. Par exemple, il est difficile pour eux d’agir d’une manière inhabituelle ou d’adapter leur comportement en fonction de la situation. En revanche, ils ont moins de difficultés à garder en tête plusieurs éléments d’information différents. C’est tout le contraire pour les adultes, qui rencontrent beaucoup plus de difficultés à augmenter la charge de mémoire de travail qu’à inhiber un comportement. Adèle DIAMOND, « Apprendre à apprendre », dans Les dossiers de la recherche, no 34, février 2009.

Il faut donc prévoir un ensemble de démarches pour permettre aux enfants : −− de prendre conscience de l’existence d’un code ; −− de prendre conscience que la lecture va de gauche à droite ; −− de prendre conscience de la décomposabilité des mots en éléments de différentes dimensions et donc qu’un mot est décomposable en lettres ; Chapitre 5 • Apprendre à lire

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−− de prendre conscience qu’un mot est décomposable en syllabes ; −− de prendre conscience que l’ordre des lettres au sein d’un mot est important ; −− de prendre conscience que les lettres sont dépourvues de signification mais combinables pour donner du sens ; −− de prendre conscience de l’importance de l’orientation des signes graphiques ; −− de prendre conscience que l’écrit est stable, qu’un mot s’écrit toujours de la même manière, que l’on peut donc le relire de la même manière plusieurs fois (même si des mots subissent des variations) ; −− de prendre conscience qu’un son peut s’écrire de différentes manières ; −− de prendre conscience que la longueur d’un mot est sans lien avec les dimensions de l’objet désigné ; −− de prendre des indices dans la silhouette des mots pour les reconnaître ; −− de reconnaître une lettre (+ savoir ce qu’est une lettre) ; −− de reconnaître une syllabe (+ savoir ce qu’est une syllabe) ; −− de reconnaître un mot (+ savoir ce qu’est un mot) ; −− de reconnaître une phrase (+ savoir ce qu’est une phrase – différent d’une ligne) ; −− de reconnaître un paragraphe (+ savoir ce qu’est un paragraphe) ; −− de reconnaître un texte (+ savoir ce qu’est un texte) ; −− de connaître les lettres (toutes les lettres) ; −− de connaître les signes de ponctuation et en connaître le sens ; −− d’utiliser les indices orthographiques ; −− de généraliser les différents types d’écriture ; −− …

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Les messages visuels arrivent ainsi au niveau du cortex cérébral, dans la partie la plus postérieure du globe occipital. À ce niveau, les cellules visuelles deviennent encore plus spécialisées et ont des propriétés qui les rendent aptes à coder certains éléments de l’image oculaire pertinents pour la reconnaissance et la localisation des formes, comme par exemple les contours orientés des objets, la direction du mouvement, la texture d’une surface ou sa couleur, la profondeur. Les cellules qui codent un même attribut sont regroupées dans de petits modules de tissu cérébral. (…) On distingue deux grands trajets qui partent du cortex visuel primaire et se dirigent, l’un vers les régions du lobe temporal spécialisées dans l’identification des formes (contours, couleur), l’autre vers les régions pariétales, spécialisées dans la localisation spatiale des objets et la coordination entre vision et motricité. Michel IMBERT, « Le cerveau visuel », dans Sciences et Avenir, Hors-Série, no 97, 1994.

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b.

La phase de maîtrise C’est la phase pendant laquelle le savoir-faire débutant est pratiqué jusqu’à ce que la maîtrise soit progressivement atteinte. Cette phase est la plus travaillée à l’école, même si ce n’est pas toujours avec les méthodes les plus adéquates, notamment en fonction du fait que la phase cognitive n’a pas été suffisamment prise en compte. La lecture adulte est la résultante de deux compétences essentielles : l’identification de mots et la compréhension.

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L’identification peut se réaliser par deux grandes stratégies : l’adressage et l’assemblage. L’adressage consiste en une identification analogique, globale, iconique. L’assemblage, par contre, est le résultat d’une identification analytique, phonologique et/ou phonographique. Les méthodes dites syllabiques prétendent organiser l’apprentissage essentiellement par assemblage sans souvent se rendre compte de toutes les difficultés mises ainsi dans le cheminement des enfants, et notamment : « Où faut-il couper le mot pour retrouver des morceaux connus ? » Les méthodes globales par contre prétendent organiser l’apprentissage de départ par adressage, sans davantage se rendre compte que s’il y a reconnaissance globale, c’est toujours à partir de détails significatifs.

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Les processus d’adressage fonctionnent essentiellement pour les mots familiers stockés en mémoire parce que souvent perçus. Ils sont obligatoires pour les mots irréguliers (ex : automne,…) et les homophones (sang, cent, sans,…). À partir d’indices (lettres, morceaux de lettre, unités orthographiques, disposition,…), différentes combinaisons de graphèmes de la séquence sont activées dans les réseaux neuronaux. Par exemple, devant le mot sapin pourraient être activés les mots connus comme satin, salin, ravin, sage, salade, sens, etc. L’utilisation des indices successivement perçus permet, dans le contexte du moment, de choisir la bonne solution ou celle considérée comme telle. Plus un mot est connu, plus il est vite perçu. En d’autres termes, un mot peu fréquent a un seuil d’activation plus élevé, c’est-à-dire qu’il faudra plus d’indices pour le reconnaître, donc plus de temps aussi. Ces processus sont très rapides et donc peu perceptibles dans le temps. Il est probable qu’une représentation phonologique de l’hypothèse retenue est nécessaire pour la confirmer. Pour s’en convaincre, il suffit d’essayer de lire un texte comme celui-ci : « Dunepartilestpossibledenseignerefficacementauxapprentislecteursàdécoderm aisdautrepartleslecteursnutilisentpaspourdécoderlesindicesquileurontétéenseignéscestàdirelesrèglesdecorrespondancelettressonsJGiasson ». Au-delà du travail de recherche de mots (preuve que la lecture consiste à reconnaître des mots), c’est la prononciation, au moins mentale (!), qui permet de construire et de garder un sens à l’ensemble. Les processus d’assemblage consistent en une segmentation des mots en petites unités de tailles variables, puis d’une mise en correspondance de

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chaque segment avec des segments phonologiques les plus probables, c’està-dire généralement ceux qui ont la plus grande probabilité d’apparition dans la langue et enfin de l’assemblage des segments phonologiques pour constituer une représentation phonologique globale capable d’être articulée. Mais chacun de ces trois processus pose de gros problèmes, notamment : Comment couper le mot si je ne l’ai pas déjà reconnu ? Comment prononcer les segments retenus quand on sait que les mêmes lettres vont se prononcer différemment en fonction du mot dans lequel elles sont insérées ? Et enfin comment assembler le résultat du travail précédent suffisamment vite pour avoir une lecture courante permettant la compréhension ? Il est fort probable que les enfants qui déchiffrent bien à nos yeux sont ceux qui pratiquent d’abord par adressage à partir d’indices et qui prononcent ensuite de manière découpée les mots qu’ils ont déjà reconnus. Les autres vont garder des mécanismes de prononciation hachée et hésitante en essayant, en fait, de respecter les consignes de découpage et de prononciation de toutes les lettres, et bien sûr la plupart du temps sans comprendre. Car, pour comprendre, il faut pouvoir relire rapidement, par adressage cette fois, ou redire par cœur, si la mémoire est très bonne, l’ensemble des sons sans signification que l’on vient de prononcer.

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SERAFICA et SIGEL (1970 – Journal of Reading Behavior) ont montré en travaillant avec des enfants de la 2e à la 4e année que ceux qui étaient en difficulté en lecture étaient mieux équipés pour la différenciation des symboles graphiques que les lecteurs sans problèmes. L’explication réside probablement dans leur difficulté à discriminer ce qui est indice pertinent de ce qui est détail sans importance. En faisant attention à tout, ils se noient dans la complexité des associations possibles. On peut rapprocher cette étude d’une constatation mise en évidence par Robinson en 1953. Il avait trouvé une relation entre le trait de personnalité « s’occuper de détails sans importance » et les difficultés en lecture.

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Il est aussi important de prendre conscience que les processus d’identification des mots, quelle que soit la stratégie utilisée, se réalisent à deux niveaux. Au niveau de la vision primaire, il s’agit de prendre l’information avec les sens, sens essentiellement visuel dans ce cas. C’est à ce niveau que l’on peut étudier les problèmes de saccades de l’œil, d’empan visuel, de pratique du balayage, de stratégies d’exploration visuelle de la page écrite. Au niveau de la vision secondaire, il s’agit de traiter l’information à différents lieux des réseaux neuronaux. À partir de la perception de traits, de lettres, de syllabes, il faut reconnaître des mots et les comprendre, c’està-dire leur attribuer une signification. En fait, il s’agit de créer et entretenir les liens entre le système de la mémoire perceptive et le système de la mémoire sémantique.

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Tous ces éléments de forme font donc partie de ce que l’on appelle les « propriétés non accidentelles des objets ». On les appelle ainsi parce qu’il est très peu probable qu’on les observe par hasard, sans qu’un objet soit présent. (…) Autrement dit, si l’on observe ces formes sur la rétine, il y a de fortes chances qu’elles indiquent la présence d’un objet structuré.

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Pourquoi le cortex juge-t-il utile de coder ces propriétés non accidentelles ? Parce que leur combinaison, propre à chaque objet, est souvent unique et invariante face aux changements de taille, de point de vue et d’éclairement. (…) On conçoit donc l’intérêt que le système nerveux peut trouver à repérer, le plus efficacement possible, ces invariants de forme.

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… Selon le psychologue californien Irving Biederman, lorsque nous reconnaissons un objet, nous ne récupérons pas son image visuelle détaillée en mémoire. Notre cerveau se contente d’extraire de la rétine une esquisse fondée sur les propriétés non accidentelles et leurs relations topologiques et spatiales. Leur extraction nous permet, dans un premier temps, de reconstituer les formes tridimensionnelles élémentaires constitutives de l’objet – surfaces, cônes, bâtons, etc. – et, dans un second temps, d’assembler ces éléments en une représentation complète de sa forme. L’intérêt d’un tel codage est de bien résister aux rotations, occlusions et autres dégradations de l’image. Stanislas DEHAENE, Les neurones de la lecture, Paris, Odile Jacob, 2007.

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À côté des processus d’identification des mots, la phase de maîtrise doit aussi se centrer sur la compréhension, c’est-à-dire que l’enfant doit faire le lien entre les mots lus et les mots de sa langue orale.

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Comprendre, c’est faire le lien entre ce que je sais (répertoire cognitif dans le cadre du langage oral) et ce que je vois ou ce que j’entends dans l’oralisation mentale ou exprimée. L’enfant doit réaliser que ce qu’il voit ou entend, c’est la même chose que le mot qu’il connaît pour désigner tel ou tel « objet » ou telle situation.

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Le lien identification – compréhension est à la base de toutes les controverses entre partisans des méthodes globales et des méthodes syllabiques. Cette opposition existe ou a existé dans tous les pays, même dans les langues où les relations « lettre – son » sont plus régulières comme l’espagnol ou l’hébreu. Partout, la question fondamentale découlant des conceptions de l’apprentissage en vigueur a dû être posée : faut-il mettre l’accent sur le sens… ou sur le code ? Et les modes pédagogiques ont souvent fait passer les enseignants d’une prédominance à l’autre. Quand on sait que l’essentiel des aspects techniques dépendent du système de la mémoire perceptive et de la coordination du système de la mémoire procédurale non déclarative, que l’aspect compréhension dépend du système de la mémoire sémantique, quand on sait par ailleurs que ces systèmes sont indépendants dans leur localisation, on peut comprendre l’importance de solliciter

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leur interaction le plus tôt possible. À force d’entraînement, des enfants peuvent apprendre à prononcer tout haut les sons correspondants aux écrits, mais sans comprendre.

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L’apprentissage de ces mécanismes fonctionne comme tout autre apprentissage procédural : apprendre à conduire une voiture, apprendre les gestes techniques de la maçonnerie, etc. La répétition, l’entraînement fréquent rendent possible les procédures sans que l’on soit obligé d’y penser. Si dans la conduite automobile, il fallait penser à tous les gestes effectués avant de les réaliser, il y aurait encore bien plus d’accidents. Ne plus penser aux aspects techniques libère de l’énergie pour comprendre le chemin, les panneaux, les aléas de la circulation. De même dans la lecture d’un adulte, celui-ci est libéré des aspects techniques et peut donc davantage consacrer son énergie à la compréhension. Si ce n’est pas le cas, il y a surcharge cognitive et la lecture devient lente et laborieuse comme dans un ordinateur surchargé.

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On peut bien sûr apprendre seulement les aspects techniques. C’est ce qui se passe pour tous les enfants qui n’ont pas été sollicités pour construire les données de la phase cognitive quand on emploie strictement l’une ou l’autre méthode syllabique. Par contre, tous les enfants qui ont bien construit du sens sur les buts de la lecture et qui ont sérieusement commencé à construire la compréhension des aspects techniques vont rapidement dépasser ce qui leur est demandé. Ils vont spontanément assurer, et donc en même temps construire, les liens entre le système de la mémoire procédurale et le système de la mémoire sémantique. Ils vont donc devenir de plus ou moins bons lecteurs en fonction de ce qu’ils auront réussi à établir spontanément comme liens faciles et souples entre les différents systèmes de réseaux neuronaux. En fait, les méthodes syllabiques rendent l’apprentissage plus difficile parce qu’il ne reste plus rien du langage de l’enfant. Le conditionnement ainsi pratiqué conduit au déchiffrement, mais pas à la lecture. Et c’est seulement après deux années, au moment où la lecture dite intelligente (lecture pour la recherche d’informations) sera demandée, que les vrais problèmes commenceront. Mais à ce moment-là, il sera beaucoup plus difficile d’apprendre à lier technique et compréhension, tout comme il est très difficile de taper à la machine avec ses dix doigts quand on a appris avec deux.

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Bien sûr, il ne s’agit pas de dire qu’une méthode globale serait meilleure. La manière dont elle a souvent été pratiquée et son objectif identique aux méthodes syllabiques (associer finalement son et graphe) conduit aux mêmes difficultés pour les enfants n’ayant pas bien vécu la phase cognitive. Et comme en plus, ces enfants ne peuvent pas donner le change parce qu’ils n’ont pas appris le déchiffrement, les méthodes globales sont considérées comme plus mauvaises par tous ceux qui se contentent d’un produit fini apparent. En fait, pour tous les enfants qui se débrouillent bien tout seuls parce qu’ils ont pu se construire l’ensemble des processus de base de la phase cognitive par les sollicitations du milieu de vie, les méthodes globales peuvent être meilleures puisqu’elles ne les obligent pas à apprendre trop vite des mécanismes dont ils n’ont pas besoin. (Voir la phrase de J. GIASSON citée ci-dessous.)

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D’une part, plusieurs recherches ont montré qu’un enseignement explicite du décodage en première année favorise à long terme l’habileté à reconnaître les mots. D’autre part, pendant la dernière décennie, des psycholinguistes, comme E. Smith et K. Goodman, ont souligné le fait que le lecteur habile ne décode pas chaque mot, mais reconnaît plutôt instantanément les mots rencontrés. Le premier paradoxe pourrait donc se formuler ainsi : il est utile d’enseigner aux lecteurs débutants une habileté dont ils n’auront à peu près pas besoin comme lecteurs compétents. Pour résoudre ce paradoxe, il faut en fait établir une distinction entre le décodage et la reconnaissance de mots, plus précisément entre l’identification et la reconnaissance de ce mot. Jocelyne GIASSON, La lecture. De la théorie à la pratique, Bruxelles, De Boeck Éducation, 2013.

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Quand la phase cognitive a été relativement bien vécue, les enfants prennent spontanément, face aux écrits, une tout autre attitude bien exprimée par E. FERREIRO : « On exige de l’apprenti-lecteur, depuis le début, qu’il prononce comme c’est écrit, inversant de fait les relations fondamentales entre parole et écriture : ce ne sont pas les lettres qui “se prononcent” d’une certaine manière ; ce sont les mots qui s’écrivent d’une certaine façon ».

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Quand l’enfant a l’occasion de travailler sur des écrits variés, tout en étant sollicité sur la poursuite de la découverte des aspects techniques, il se construit peu à peu, à son rythme et selon une organisation personnelle, l’ensemble des associations sons – graphes nécessaires. Mais ces associations restent souples parce que systématiquement liées à un contexte et à une compréhension. En d’autres termes, les associations se créent dans leurs diversités à partir des mots rencontrés, et au fur et à mesure de leur développement, elles aident au développement des associations suivantes. L’enfant se construit ce que l’on pourrait appeler des régularités statistiques. La perception de l’enfant n’est jamais passive. Elle est active, dirigée, intentionnelle. La découverte des règles de fonctionnement du code écrit et la mémorisation des associations mots écrits – mots oraux sont des conquêtes et non le résultat d’un enseignement par des méthodes plus ou moins efficaces et contestables.

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La maîtrise des correspondances phonies-graphies est importante si elle arrive à la fin de l’apprentissage, comme le résultat des nombreuses comparaisons organisées sur la langue. C’est pourquoi, il faut développer les processus conceptuels de catégorisations. « L’acte perceptif est le résultat d’un processus de catégorisation, de classification. Tout ce qui est perçu est situé dans une classe de percepts, par laquelle il atteint sa signification. » (André RAFFESTIN) Apprendre à percevoir, c’est apprendre à mettre ensemble ce qui va ensemble, à faire référence à ce que l’on a déjà classé, catégorisé dans sa tête. L’observation des erreurs peut aider à mieux percevoir ces mécanismes de recherche active mis en place par chaque enfant. Car les difficultés à ce niveau ne sont pas toujours liées à un mauvais développement des capacités perceptives

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visuelles. La recherche intelligente, par essais et erreurs, de règles de régularité provoque les erreurs, résultat d’une généralisation trop grande. Comme l’expriment John DOWNING et Jacques FIJALKOW : « L’importance de la réflexion dans les activités perceptives impliquées dans l’apprentissage de la lecture semble être suggérée par le fait que, quand vient la question de l’identification des objets, des activités encore plus complexes sont nécessaires. Le problème de l’identification des objets b et d est que ces lettres contredisent la plupart des expériences antérieures de l’enfant en ce qui concerne l’identification des objets, le fait qu’un objet demeure le même en dépit des différences d’orientation auxquelles il peut être soumis. Ainsi prendre un b pour un d n’est pas une erreur du point de vue de l’élève débutant. Toute son expérience antérieure lui a appris que l’orientation n’est pas pertinente. Par exemple, une chaise demeure une chaise quelle que soit sa direction. Et pourtant, quand il est mis en contact avec la lecture, l’enfant doit résoudre le problème, auquel il ne s’attendait pas, que l’orientation crée une différence, et il doit se rappeler à quelle orientation de telle forme littérale est logiquement lié tel phénomène. Ce n’est qu’un exemple de l’importance de la réflexion dans le processus d’apprentissage de la lecture. »

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Les situations de lecture doivent donc s’envisager comme des processus de résolution de problèmes, avec formulation d’hypothèses suivie de vérifications. L’enfant doit passer du statut d’apprenti stratège en lecture au statut de lecteur utilisant des stratégies.

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Il faut donc prévoir un ensemble de démarches pour permettre aux enfants : −− de chercher comment s’écrivent les mots qu’ils connaissent à l’oral ; −− d’aller spontanément à la recherche des mots connus dans un texte (explorer) ; −− de recourir aux mots affichés en classe, mais plus sûrement aux référents personnels ; −− …

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−− de reconnaître (identifier) immédiatement certains mots ; −− de reconnaître certains mots à partir des régularités construites (déchiffrement) ; −− de reconnaître (identifier) un mot en se basant sur la première syllabe ; −− de reconnaître certains mots à partir du contexte ; −− d’anticiper sur ce qui pourrait être écrit en fonction du contexte ; −− d’anticiper sur ce qui pourrait être écrit en fonction des indices graphiques ; −− d’anticiper le sens en restant attentif aux éléments écrits ; −− d’utiliser les indices typographiques (blancs, ponctuation,…) ; −− de coordonner l’utilisation d’indices variés : lettre, morceau de lettre, mots, blancs, structure spatiale, mémoire de l’oral, pluriel, terminaison des verbes,… ; −− de grouper les mots par groupes de sens, de souffle ; −− De prendre conscience qu’un son peut s’écrire de différentes manières ; −− …

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−− de comprendre (faire des liens) ce qu’ils reconnaissent ou « déchiffrent » ; −− de se construire des images mentales de ce qu’ils lisent (ou de ce qu’on leur lit) ; −− de réagir affectivement par rapport à ce qu’ils ont lu ; −− de se souvenir de ce qu’ils viennent de lire ; −− de résumer ce qu’ils ont lu ; −− d’enrichir le vocabulaire de leur langue orale ; −− de reconnaître dans un texte les informations qu’ils possèdent déjà ; −− de lier les processus d’identification aux processus de compréhension ; −− d’utiliser plusieurs stratégies pour découvrir le sens d’un texte ; −− …

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Mais l’école prétend former à autre chose qu’à seulement affronter les situations scolaires et, dès qu’on sort des exercices hautement codifiés et ritualisés du monde scolaire, les situations ne sont plus porteuses de signaux qui inviteraient à leur appliquer telle ou telle compétence. C’est au sujet d’y lire ce qu’il veut. Selon le sens qu’il donne à la situation, c’est telle ou telle donnée qui lui paraîtra significative, digne d’être prise en compte, et redevable de telle opération qu’il connaît. (….)

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Dès lors, on comprend qu’un élément objectif d’une situation ne suffise nullement à faire mettre en œuvre la capacité logique correspondante, même chez un sujet qui a fait ailleurs la preuve qu’il la possède car, à vrai dire, la situation n’est pas porteuse en elle-même de cet « élément objectif », ou plutôt elle l’est, mais en même temps qu’elle est porteuse d’une infinité d’autres, et c’est le sujet qui sélectionne cet élément et décide de sa pertinence. Bernard REY, Les compétences transversales en question, Paris, ESF éditeur, 1996.

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Parallèlement aux deux aspects fondamentaux de la phase de maîtrise, il apparaît de plus en plus important de travailler un troisième aspect : la prise de conscience de la langue orale et de ses caractéristiques. Cet aspect appelé la « conscience phonologique » a souvent été cité comme un préalable à l’apprentissage de la lecture. Les recherches actuelles mettent pourtant de plus en plus en évidence que c’est la liaison avec les activités écrites (lecture de l’écrit et écriture) qui favorisent, en interactions, cette prise de conscience phonologique. En fait, cette compétence, qui permet lors du déchiffrement de faire la liaison entre ce qui est lu et sa langue orale, doit probablement être progressivement développée dès le début de l’école maternelle. Mais ce sera seulement au moment d’aborder l’écrit que la compétence commencera à se manifester concrètement, c’est-à-dire qu’elle arrivera dans sa zone proximale de développement. Les activités réalisées depuis la première maternelle, en lien avec celles des familles quand

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c’est possible, permettent aux réseaux neuronaux de s’ouvrir peu à peu pour rendre possible des premières réussites manifestant la possibilité d’accéder peu à peu à la maîtrise.

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Il faut donc prévoir un ensemble de démarches pour permettre aux enfants : −− de prendre conscience de l’aspect sonore de la langue parlée. Le développement de la conscience de l’aspect phonologique du langage constitue une des principales conditions à la réussite de l’apprentissage de l’écriture. Il est normal qu’un jeune enfant ait des difficultés à concevoir qu’un message significatif soit décomposable en plusieurs parties. Mais c’est aussi en essayant d’écrire qu’il prendra peu à peu conscience de cet aspect phonologique de la langue. D’où la nécessité d’être mis en position d’inventer son écriture dès la première maternelle. (Voir à ce propos les recherches de E. FERREIRO.) −− de prendre conscience que dans l’oral, il y a des sons. Les compétences de l’enfant ne progressent que sous l’influence de l’environnement. Par exemple, il n’accède à l’analyse explicite de la parole que grâce à l’interaction des familles, des enseignants,… De même, la confrontation au système alphabétique est une condition nécessaire à la prise de conscience phonétique de la parole. (Ce qui ne signifie pas qu’il faut un contact formalisé systématique avec le code alphabétique.) −− de prendre conscience que dans l’oral, dans le continu de la parole, il y a des mots. Il faut prendre conscience qu’un enfant peut employer un mot comme le reflet de l’objet dans une vitre (Théorie de la vitre – Psychologues soviétiques – 1971), c’est-à-dire sans conscience propre de l’existence du mot. C’est en jouant avec les mots qu’il peut développer cette conscience linguistique. −− de prendre conscience de la structure syntaxique du langage. Par exemple, de sentir que dans la phrase : « À la fin du repas, je mangerai une….. », le mot qui manque est un nom féminin. Ou qu’une phrase complète exige, la plupart du temps, un sujet, un verbe et un complément. Etc. −− de comparer l’oral et l’écrit pour découvrir que chaque mot oral a son correspondant écrit. Dans « Le langage par l’oreille et par l’œil », MATTILGLY propose le concept de « conscience linguistique ». La relation du processus de lecture d’une langue aux processus de production verbale et d’écoute de celle-ci est beaucoup plus sinueuse qu’on ne le considère d’ordinaire. Il n’y a pas de parallélisme direct entre lecture et écoute. La production verbale et l’écoute sont des activités linguistiques primaires (il s’agit de prendre conscience de la structure sonore de la langue). La lecture est une activité secondaire (il faut la capacité d’analyser les mots comme des chaînes de phonèmes : la conscience linguistique). Il s’agit donc de processus de comparaison et d’association entre l’oral et l’écrit. −− de situer un son dans un mot. (Se redire le mot, comparer les sons et les situer les uns par rapport aux autres.) −− de situer un mot dans une phrase.

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Ainsi, l’explication du lien entre l’habileté phonémique et la lecture a un effet positif additionnel, à condition que les enfants se trouvent déjà en situation d’apprentissage de la lecture. Puisque l’habileté phonémique a pour fonction de servir dans le cadre d’activité de lecture et d’écriture, il convient non seulement d’instruire l’enfant explicitement sur la structure phonémique de la parole, mais aussi de l’instruire explicitement sur les liens entre l’habileté phonémique et la lecture, dans le contexte de la lecture.

c.

La phase d’automatisation

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José MORAIS, L’art de lire, Paris, Odile Jacob, 1999.

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C’est la phase où il s’agit de s’entraîner pour que les procédures (savoir-faire) de l’acte de lire puissent être utilisées sans s’en préoccuper. C’est la négligence de cette phase qui conduit généralement à l’analphabétisme dit « secondaire ». C’est bien sûr particulièrement vrai pour tous les enfants qui n’ont seulement appris qu’à déchiffrer dans la deuxième phase.

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L’apprentissage de la lecture n’est pas terminé après la première, ni même après la deuxième année primaire. Il doit être poursuivi toute la vie pour que les processus nécessaires à une lecture efficace et rapide deviennent automatiques et le restent. Les savoirs procéduraux enregistrés dans la mémoire procédurale non déclarative exigent un entraînement important pour devenir rapides et efficaces. C’est pourquoi il est absolument indispensable que tous les enseignants, quel que soit le niveau d’âge où ils enseignent ou ont l’intention d’enseigner, suivent une formation approfondie sur l’apprentissage de la lecture.

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Quand les différents processus d’identification et de compréhension ont dépassé un seuil suffisant, il est important de les approfondir en les utilisant plus systématiquement pour répondre à différents projets et développer les compétences correspondant : −− aux possibilités de donner des réponses stratégiques : • l a lecture analyse d’un texte difficile pour créer des liens et une synthèse ; • l a lecture intégrale ajustée au projet : pour le plaisir, pour mémoriser, pour répondre à des questions,… ; • l a lecture sélective de recherche d’informations ; • l ’exploration rapide d’un texte : lire en diagonale pour s’en faire une idée. −− aux possibilités de donner des réponses esthétiques : • r éagir sur le texte. −− aux possibilités de donner des réponses génératrices : • p rolonger l’information. −− aux possibilités de donner des réponses techniques : • maîtriser la lecture à haute voix.

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Des buts de lecture différents nécessitent des techniques de lecture différentes. Même les élèves du secondaire doivent donc toujours apprendre à aller à des vitesses différentes pour différents types de matériaux et/ou des buts de lecture différents.

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C’est dans cette phase que l’on peut parler de la lecture à haute voix. Elle est la plus difficile des lectures. Elle implique une lecture silencieuse préalable à l’oralisation. Elle est donc un bon entraînement car elle développe et active l’anticipation, la prise d’indices et la mémorisation. Elle demande un apprentissage régulier et progressif pour apprendre à lire par groupes de souffle, à respecter les liaisons, à utiliser adéquatement l’intonation,…

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Il faut donc prévoir un ensemble de démarches pour permettre aux enfants : −− de faire des liens avec le contexte ; −− de retenir l’endroit approximatif où se trouve une information dans un texte ; −− de faire plus rapidement des prédictions (anticipation du contenu – avoir des attentes) ; −− de donner un sens à chaque phrase (microsélection) ; −− de réaliser plus rapidement le lien avec leur connaissance ; −− de se construire des images mentales au fur et à mesure de la lecture ; −− d’identifier leur perte de compréhension (et d’essayer de réparer) ; −− de réaliser des inférences à partir de leur schémas de compréhension du monde ; −− de déduire de nouvelles informations (réduire les inconnues – inférence) ; −− de distinguer le vrai du faux, le réel de l’imaginaire,… ; −− de réagir affectivement ; −− de mémoriser les informations ; −− d’identifier les idées principales ; −− de dégager l’organisation générale (la structure) des textes ; −− de faire un résumé ; −− de construire et d’utiliser des tableaux synthèse ; −− d’utiliser les référents et les connecteurs ; −− de mieux utiliser la structure des phrases (cohérence entre phrases et groupes de phrases) ; −− de repérer les modes et les temps ; −− de repérer rapidement les mots indices d’une information cherchée ; −− de mettre en relation les différents types d’informations : sémantiques, syntaxiques, temporelles, logiques et orthographiques.

Cette présentation succincte des processus nécessaires à l’acquisition et à l’entretien de bonnes compétences en lecture devrait bien sûr être suivie des démarches favorables à la construction et à la mémorisation de chacun de ces processus. Celles-ci sont en préparation. Nous en donnerons quelques exemples dans la partie pratique. Mais on peut déjà les trouver dans de nombreuses publications qui commencent à se centrer sur les processus plutôt que sur une répartition matière variée au fil de l’année scolaire.

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2.

Le problème des difficultés en lecture

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Dans la plupart des cas, un enfant qui éprouve des difficultés au cours de l’apprentissage de la lecture n’est ni un « mauvais élève » ni un « malade de la lecture ». Il a seulement besoin de plus de temps et de plus de ressources que d’autres. Car si les stratégies de certains enfants sont plus restreintes et plus statiques, ce n’est pas nécessairement par manque de stimulus, mais bien plus souvent : −− par manque de structuration et de différenciation de leurs expériences de vie ; −− par manque d’habitude et donc d’aptitude à faire des liens et à catégoriser ; −− et par soumission intentionnelle aux demandes supposées des adultes. (D’après LITTLE et SMITH, 1971 – LAUTREY, 1980)

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La plupart des échecs en lecture résultent de la manière dont cet apprentissage est abordé dans de trop nombreuses classes : −− on y confond enseignement et apprentissage ; −− on n’y tient pas compte des différences individuelles ; −− on y fait confiance à des méthodes « sécurisantes » qui sont basées sur la connaissance de la combinatoire ; −− on y est peu attentif aux comportements indispensables à mettre en place pour aborder le sens d’un texte ; −− on n’y tient pas compte des différences socioculturelles ; −− on n’y commence pas l’apprentissage assez tôt ou on le fait très mal (conditionnement).

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L’apprentissage de la lecture doit commencer très tôt et au moins dès la 1re maternelle en proposant aux enfants des activités d’exploration de l’écrit. Les éléments ainsi emmagasinés dans le système d’amorçage de la mémoire perceptive vont servir à la construction ultérieure d’une véritable attitude de lecteur, c’est-à-dire un lecteur en attente de signification, saisissant rapidement les indices lui permettant d’accéder à la compréhension.

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De même, il est important de ne pas vouloir des comportements « corrects » trop vite, car alors la tentation sera grande d’organiser un conditionnement sur des associations techniques de sons et de graphes. L’enfant apprendra à déchiffrer, pas à lire. Plus grave, il aura construit, comme nous l’avons déjà démontré précédemment, un ensemble d’obstacles le mettant en difficulté plus tard. Car comme le disait Jean Foucambert voilà déjà quelques années : « Il n’est pas certain qu’une scolarité réussie se confonde avec la réussite successive de chaque tronçon de scolarité… L’acquisition prématurée des habitudes de déchiffrement, si elle permet d’atteindre rapidement un certain niveau de résultats, freine le développement ultérieur des performances par rapport à ce que l’on obtient lorsqu’on prend le temps de laisser se constituer d’abord les habitudes de lecture. » Il devient donc de plus en plus clair que les apprentissages de base et notamment l’apprentissage de la lecture ne commencent pas en première primaire mais au moins en première maternelle. Cet aspect de la continuité de l’apprentissage doit être mieux pris en compte et recouvre un certain nombre de facettes.

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3.

Libérer la parole pour accéder à l’écrit

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La première est celle du développement du langage. Que constate-t-on ? De nombreux enfants se taisent à l’école alors qu’ils sont très bavards chez eux. Il s’agit donc d’être plus attentif dès le début de l’école maternelle à, au minimum, respecter ce besoin de parler de tous les enfants. Ce serait encore mieux de pouvoir réveiller cette envie quand elle s’est déjà endormie. Pour ce faire, il faut que l’enseignante (ou son homologue masculin) soit d’abord attentive à libérer la parole de chacun plutôt que de vouloir apprendre immédiatement le niveau de langue habituel de l’école. Mais elle va aussi devoir garder comme objectif qu’une fois la parole libérée (au rythme de chacun), elle doit donner les conditions pour apprendre la langue de l’école. Ces deux objectifs demandent au minimum un travail possible par petits groupes (ce qui ne signifie pas en ateliers diversifiés), surtout avec les enfants qui ont besoin d’apprendre. Il n’y a rien de plus inégalitaire que de traiter également tous les enfants. Quand on travaille en groupe, même seulement avec une quinzaine d’enfants, ce sont ceux qui savent le plus qui parlent. Les autres perdent vite l’habitude d’essayer de s’exprimer, surtout s’ils sont corrigés. Et il ne suffit pas d’être dans un bain de langage pour apprendre, il faut aussi y être actif c’est-à-dire y faire des essais en acceptant positivement ses erreurs provisoires. Libérer la parole en mettant chacun à l’aise tout en continuant à proposer, de la part de l’enseignante, la langue officielle. Elle n’est pas « qu’une tenue de soirée pour gens du monde » (Snyders). Elle est la langue du pouvoir sur le monde à laquelle chacun doit pouvoir accéder.

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Bernard DEVANNE nous fait suivre la découverte de l’écriture et de la lecture par des enfants de grande section de maternelle en ZEP. « En produisant des écrits (presque) tous les jours de classe, ces enfants développent une assurance croissante à l’égard de la “chose écrite”, ce qui fait de la page blanche un territoire d’expériences dès le moment de l’accueil (nous l’avons souligné précédemment), alors qu’à l’école élémentaire, elle devient vite “lieu de l’angoisse”, si la production d’écrit n’a pas été apprivoisée de bonne heure ».

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Journal d’une grande section

4.

Permettre aux enfants d’inventer leur écriture et leur lecture

Une deuxième facette est d’assurer la contagion et une partie de « l’apprentissage-montage » de la lecture et de l’écriture. Il ne s’agit pas de faire des lettres ou de faire des exercices systématiques selon des progressions du geste graphique soi-disant bien établies. Reportons ce systématisme à plus tard, s’il est vraiment nécessaire ! Il s’agit de permettre aux enfants d’inventer leur écriture 142

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et leur lecture comme ils ont inventé leur langue. Spontanément, tout enfant joue avec des crayons pour écrire et il sait assez rapidement dire ce qu’il a voulu exprimer par ses dessins, gribouillages, pseudo lettres,… Il suffit souvent de valoriser le travail fait tout en reconnaissant que l’on ne comprend pas encore ce qu’il écrit. Très vite, dans les milieux sollicitants, un enfant prend un livre en mains et raconte une histoire à haute voix. Par le fait même, il nous dit ce qu’il est déjà en train de construire comme sens sur l’acte de lire. C’est à l’enseignant à promouvoir ce genre d’attitudes en écriture et en lecture pour tous les enfants qui sont moins enclins à le faire spontanément par manque de sollicitations adéquates dans leur milieu. C’est là que se situe la base de la lutte contre l’échec scolaire.

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Pour concrétiser, il s’agit d’activités comme associer des publicités avec leur écriture, retrouver des extraits dans des revues très variées, découvrir et ordonner des écrits de la rue, refaire des puzzles de textes comme on fait ceux d’images, écrire des mots croisés en imitation à partir de mots découverts dans une histoire, etc. Les idées ne manquent pas quand on veut mettre les enfants dans un bain actif d’écrits leur permettant, indépendamment de la richesse du milieu familial à cet égard, de construire peu à peu les caractéristiques du langage écrit. On ne s’imagine pas toujours ce que tout enfant doit construire à propos du sens de l’acte de lire parce qu’on reste trop obnubilé sur le sens du contenu lu. Comme déjà signalé ci-dessus, il doit, entre autre, prendre conscience que dans le continu de la parole, il y a des mots, que chaque mot oral a son correspondant écrit, que la langue a une certaine structure syntaxique, que les mots peuvent être décomposés en éléments que sont les lettres et les syllabes, que les lettres sont des dessins orientés (p, d, q, b), que les lettres sont dépourvues de signification mais combinables pour donner du sens, qu’un mot s’écrit toujours de la même manière avec quelques variations en genre et en nombre, que la longueur des mots ne correspond pas à la grandeur des objets représentés,… qu’il faut utiliser plusieurs stratégies pour lire un mot ou une phrase, que lire c’est autre chose que dire des sons à haute voix, etc. C’est seulement en jouant beaucoup avec les mots, les lettres, les écrits en tout genre que l’enfant peut construire activement, individuellement et en interaction avec les autres, tous ces savoirs indispensables à une entrée positive dans l’apprentissage entraînement de la lecture. Bien sûr, les propositions ci-dessus sont valables pour les premières années de l’école primaire quand l’enfant n’a pas réussi, pour quelque motif que ce soit, à construire ces aspects indispensables. On ne peut positivement penser le problème qu’en termes de continuité et non en termes de prérequis, en respectant dans la sollicitation le rythme de développement de chacun. En immergeant les enfants dans un environnement artificiel fait des lettres et de mots, nous réorientons sans doute bon nombre de leurs neurones du cortex temporal inférieur afin qu’ils codent de façon optimale l’écriture. Stanislas DEHAENE, Les neurones de la lecture, Paris, Odile Jacob, 2007.

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5.

Promouvoir les apprentissages dès la maternelle

S’adapter au rythme de chaque enfant

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Si l’on veut vraiment être efficace au niveau maternel sur les aspects ci-dessus, il faut qu’on accepte d’investir davantage le temps où l’enfant est en classe. Il existe trop souvent en maternelle un discours du bonheur communautaire. L’enfant vient à l’école pour se socialiser et être heureux… en jouant. Sans aucunement nier ces deux aspects, il serait temps de repenser un discours un peu plus volontariste par rapport aux apprentissages. Dans le fonctionnement actuel, c’est celui qui est déjà le plus éveillé ou le mieux adapté à l’école qui apprend le plus parce qu’il sait activement investir son espace de liberté pour ses nouvelles conquêtes du savoir. Pour tous les enfants dont la culture est différente de celle de l’école ou dont la passivité apprise a déjà réduit les conditions favorables à leur construction intellectuelle, les espaces de liberté pour le plaisir deviennent des moments de grande perte de temps. Soit par passivité, soit par peur de faire quelque chose qu’on ne peut pas dans ce monde inconnu où les autres ont l’air tellement plus forts, tellement sûrs d’eux. Les encadrer davantage, en leur proposant des activités à partir de ce qu’ils sont, devient absolument indispensable. Mais il faut alors investir davantage le temps en diminuant, quand ce n’est pas en supprimant, les longues heures d’accueil, de collation, de préambules collectifs où deux-trois enfants travaillent, les évaluations collectives interminables, pour les remplacer par des activités bien sûr séduisantes mais exigeantes. Car apprendre, c’est « se lancer sur un chemin à l’issue incertaine (qui) demande un tel héroïsme que l’enfance surtout en est capable et qu’il faut, de plus, la séduire pour l’y engager. » (M. SERRES)

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Il faut également apprendre à porter un autre regard sur les rythmes de développement des enfants. Ils ne sont pas en retard, ils doivent juste bénéficier de conditions différentes que l’école se doit de leur offrir. Un enfant qui marche à quatorze mois ne peut être stigmatisé en retard par rapport à ceux qui marchent à douze mois. Il est dans son rythme de développement et à deux ans, on ne verra plus la différence. C’est cette même attitude qu’il faut construire de 2,5 ans à 8 ans. Un certain nombre de pratiques existent et il est important de les promouvoir. Il ne suffit pas de conscientiser les enseignants aux problèmes. Il leur faut aussi des outils. Dans ce sens, il serait intéressant que les enseignants puissent disposer de livres donnant des idées de démarches qui favorisent le développement de telle ou telle compétence précise dont les enfants ont besoin à tel ou tel moment. Ce serait rendre aux enseignants leur fierté et leur professionnalisme : être capable de proposer volontairement aux enfants les activités les plus favorables à leurs apprentissages en fonction d’un objectif à long terme. Mais s’il s’agit de livres dont il faut…, dont on peut… suivre au jour le jour les activités proposées, indépendamment des cheminements différents des enfants, alors c’est un moyen d’accentuer les inégalités actuelles. Pour un enfant, suivre

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un livre, en voyant d’autres enfants s’en tirer plus ou moins bien alors que lui ne comprend pas encore ce qu’on lui veut, c’est la pire des choses qui puisse lui arriver pour le convaincre de son indignité à accéder à cette culture scolaire qui lui permettrait de réussir. Et quand ils sont plusieurs, ils se consolent mutuellement en dénigrant ce qui est proposé, en s’enfermant dans une culture de l’échec scolaire pour garder une certaine fierté d’eux-mêmes.

7.

Comprendre le modèle de la situation

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Pour terminer ce chapitre, il nous semble important de rappeler l’importance de la construction des représentations mentales dans l’apprentissage et l’entraînement à la lecture.

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Lire, ce n’est pas seulement décoder et identifier une suite de mots à partir de signes sans signification, travail essentiellement confié aux systèmes de la mémoire perceptive (lexicale) et de la mémoire procédurale, mais c’est aussi faire le lien avec leur signification stockée dans le système de la mémoire sémantique. Ce lien n’est possible rapidement que si le lexique mental est suffisamment organisé et si les liens ont été souvent sollicités dès le début de la découverte des mots. Cependant, il ne suffit pas de comprendre chaque mot pour comprendre un texte. Il est aussi indispensable d’accéder aux « modèles de la situation », c’est-à-dire de pouvoir se représenter l’ensemble de la situation à laquelle le texte fait appel. Et ce n’est possible que si des situations similaires ou « utilisables » sont déjà enregistrées dans la mémoire sémantique.

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Car comprendre un texte, c’est reconstruire un monde, c’est évoquer un paysage mental grâce à l’utilisation de l’ensemble des indices donnés par les signes écrits, par le contexte de l’écrit,… mais aussi en faisant appel aux connaissances ordinaires, aux expériences personnelles ainsi qu’à la logique de l’histoire et aux événements de l’histoire qui se sont passés avant.

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En fait les mots, supports graphiques sans signification propre, doivent devenir des déclencheurs de représentations mentales (voir le chapitre sur les représentations).

Une dernière remarque en conclusion

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8.

La complexité des processus en jeu dans l’apprentissage de la lecture demanderait une formation approfondie des enseignants, non seulement en termes de savoir déclaratif comme ceux développés ci-dessus, mais surtout en termes de savoirs procéduraux pour être capables d’observer les enfants au niveau des structures développées et au niveau des processus à développer. Ce n’est pas en enfermant les enseignants dans des méthodes soi-disant bonnes qu’on leur rendra du pouvoir sur leur métier pour qu’ils puissent apprendre à s’adapter aux besoins réels des enfants en fonction de l’évolution de ceux-ci.

Chapitre 5 • Apprendre à lire

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Ce n’est pas non plus en leur fournissant un programme établi sur la progression des contenus à distribuer qu’on valorisera leur métier. Où est l’enfant dans ce genre de conception ?

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Il en est des enseignants comme des enfants que l’on centre sur le sens du contenu, en oubliant d’être attentif à la construction du sens de l’acte. Qu’est-ce que ça veut dire lire ? En quoi ça consiste ? Plus de la moitié des enfants de 1re année primaire n’ont pas vraiment compris en quoi consiste ce qu’on leur demande de faire… même s’ils recherchent un contenu. Ils ne savent pas comment s’y prendre. Ils « font » les lettres « comme Madame dit… », mais en quoi consiste vraiment ce faire ? C’est probablement le nœud le plus important pour lutter contre l’échec scolaire, notamment dans les écoles bénéficiaires de l’encadrement différencié, et on trouve peu de propositions à ce niveau. L’enseignant, qui se centre sur la répartition d’un programme, oublie l’enfant et ses rythmes de développement.

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Pour devenir lecteur, l’enfant n’a pas besoin de maîtriser parfaitement tel outil (par ex. la combinatoire, le stock de mots mémorisés visuellement, la capacité à anticiper, le repérage des supports, etc.) ; mais il en acquiert plusieurs de concert, en même temps qu’il multiplie les occasions et les tentatives de questionner (« comprendre ») des écrits. Les conduites de « chercheur de sens » deviennent de plus en plus efficaces lorsqu’elles s’appuient sur des connaissances en lecture-écriture de plus en plus diversifiées et solides, connaissances qui sont elles-mêmes en partie le produit des expériences d’apprenti-compreneur de l’enfant. Bref, pour apprendre à lire, il faut comprendre la lecture et l’écriture et se doter de divers savoir-faire particuliers tout en multipliant les essais de « lire pour de bon ».

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La majorité des conceptions sur le développement du savoir-lire pourraient être représentées par un fil menant d’une compétence A bien installée à une compétence B entièrement neuve ou par une pelote qu’on déroule peu à peu, de deux ans (voire avant) jusqu’à seize ans (ou plus).

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iti

Nous préférons l’image de la fabrication d’une pièce de tissu : les savoirs sur la langue parlée ou écrite et les habiletés spécifiques en constitueraient la chaîne tandis que les expériences de « lecture vraie » et les explorations de textes écrits pour « faire du sens » en seraient la trame.

Gérard CHAUVEAU et Eliane ROGOVAS-CHAUVEAU, « Les processus interactifs dans le savoir-lire de base », dans Revue Française de Pédagogie, no 90, janvier-février-mars 1990.

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Table des matières

9

1. Tous les enfants sont capables ?..............................................................

10

2. Travailler à partir des sujets plutôt qu’à partir des contextes et des objets......................................................................

12

N

Introduction..............................................................................................

3. Clarifier les ambiguïtés du discours actuel..............................................

15

19

1. Des milliards de neurones aux milliers de connexions............................

20

2. Semblables mais toujours différents........................................................

22

3. Le rôle spécifique des neurones..............................................................

24

2 Comprendre, Apprendre et Mémoriser.............................................

29

1. Les neurones...........................................................................................

30

2. Comprendre............................................................................................

31

3. Apprendre...............................................................................................

33

4. Le rôle des astrocytes..............................................................................

35

5. Mémoriser..............................................................................................

36

6. Comprendre, apprendre, mémoriser.......................................................

37

3 Des hypothèses méthodologiques découlant de la connaissance du fonctionnement neuronal.................

41

1. Tous les enfants peuvent apprendre les compétences de base de l’enseignement fondamental..............................................................

42

2. Un réseau neuronal ne devient fonctionnel que s’il est sollicité adéquatement. .........................................................

42

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1 Réduire le hasard !................................................................................

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Partie 1 – Du côté des savoirs théoriques

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44

4. Une sollicitation importante (au-delà d’un certain seuil) est nécessaire pour commencer à construire des traces mémorielles du savoir compris (apprentissage). .....................................

46

5. Une sollicitation répétée à plus ou moins long terme (évocation personnelle) est indispensable pour consolider les traces en construction (mémoire à long terme). . ...............................

50

6. Les savoirs et savoir-faire se construisent progressivement par essai et erreur jusqu’à devenir automatiques (et plus ou moins inconscients)...............................................................

53

4 Les systèmes de mémoire.......................................................................

57

1. Les mémoires de représentation..............................................................

58

2. La mémoire procédurale.........................................................................

60

3. La mémoire de travail.............................................................................

62

5 Des hypothèses méthodologiques découlant de la connaissance des systèmes de mémoire...............................

65

1. Les lois de fonctionnement de la mémoire perceptive.............................

66

2. Les lois de fonctionnement de la mémoire déclarative............................

70

3. Les lois de fonctionnement de la mémoire procédurale..........................

79

on

s

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N

IN

3. Une connaissance (objet externe) ne peut devenir savoir (objet interne) que si les réseaux neuronaux spécifiques de celle-ci ont été sollicités (compréhension). . ......................................

1 La perception ou la problématique du découpage de la réalité.............................................................................................

85

1. Découper la réalité pour la mettre en mémoire.......................................

87

2. Découper la réalité de l’écrit pour apprendre à lire.................................

88

3. Le découpage de la langue orale.............................................................

90

4. Découper les quantités en quantités perceptibles....................................

91

5. Devenir de bons observateurs.................................................................

93

2 Les représentations................................................................................

95

3 La structuration ou l’organisation sémantique.....................

105

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Partie 2 – Développement de quelques aspects spécifiques

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109

1. La nécessité des classifications................................................................

111

2. Les catégories descriptives générales.......................................................

113

3. Les catégories descriptives dans toutes les disciplines.............................

115

4. La structure des définitions......................................................................

117

5. La structure au service de la mémorisation..............................................

119

6. La formation de circuits privilégiés..........................................................

120

5 Apprendre à lire......................................................................................

123

1. Les phases de développement.................................................................

126

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4 La maîtrise du vocabulaire................................................................

La phase cognitive............................................................................

126

b

La phase de maîtrise.........................................................................

131

c

La phase d’automatisation................................................................

139

2. Le problème des difficultés en lecture.....................................................

141

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N

a

142

4. Permettre aux enfants d’inventer leur écriture et leur lecture..........................................................................................

142

5. Promouvoir les apprentissages dès la maternelle.....................................

144

6. S’adapter au rythme de chaque enfant....................................................

144

s

3. Libérer la parole pour accéder à l’écrit....................................................

145

8. Une dernière remarque en conclusion....................................................

145

6 Comptage et dénombrement...............................................................

147

7 La motivation.........................................................................................

155

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7. Comprendre le modèle de la situation....................................................

Éd

Partie 3 – Illustrations avec quelques pratiques Activités pratiques......................................................................................

163

1. Introduction............................................................................................

164

2. Construire des représentations au fur et à mesure de l’écoute d’une histoire.....................................................

165

3. Reconstituer une histoire à partir des images… après lecture de l’histoire........................................................................

169

4. Découverte des grandes catégories descriptives......................................

172

5. Apprendre un vocabulaire descriptif à partir d’images............................

175

Table des matières

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178

7. Apprendre la technique de mémorisation à partir d’un dessin.................................................................................

184

8. Apprendre à définir.................................................................................

188

9. S’approprier les dénominations (nouveau vocabulaire) à l’oral.................................................................

192

10. Retrouver un « élément » par la définition...............................................

196

11. Écrire un texte documentaire à partir de mots-clés................................................................................

198

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6. Structurer des informations.....................................................................

204

13. Mémoriser des extraits de textes pour améliorer sa langue........................................................................

208

14. Appropriation d’une activité vécue pour garder de vraies traces pour tous........................................................................

210

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N

12. Travailler 6 à 8 mots pour les intégrer dans son répertoire cognitif.....................................................................

215

Pour une plus grande cohérence…................................................................

216

Bibliographie................................................................................................

231

Livres.............................................................................................................

231

Articles..........................................................................................................

233

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Conclusions… Cohérence… ouverture…..........................................

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