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AFFAIRES JURIDIQUES REVENUS MUNICIPAUX Les redevances réglementaires comme solution
from GRAND DOSSIER ÉLECTIONS QUÉBEC 2022 – Coup d’oeil sur les priorités du milieu municipal - sept 2022
by UMQ
DIVERSIFICATION DES REVENUS MUNICIPAUX
Comment les redevances réglementaires font partie de la solution
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La dépendance des municipalités à l’impôt foncier préoccupe le milieu municipal depuis plusieurs années. En effet, ce sont toujours près de 70% des revenus des municipalités qui en proviennent 1 . Dans un contexte où les perspectives de croissance des revenus provenant de l’impôt foncier sont limitées, les responsabilités municipales sont grandissantes et la flambée des prix causée par l’inflation se poursuit, les municipalités doivent explorer de nouvelles sources de revenus.
Au cours des dernières années, le milieu municipal a réalisé plusieurs gains permettant une meilleure diversification de ses revenus. Le partage de l’équivalent de la croissance d’un point de la TVQ, obtenu dans le cadre du Partenariat 2020-2024, ou plus souvent appelé « entente Québecmunicipalités », est certainement l’élément le plus connu, puisqu’il permet le transfert de sommes non négligeables à l’ensemble des municipalités québécoises. De plus, on estime qu’il y aura une hausse des montants obtenus par ces transferts au cours des prochaines années.
Toutefois, il existe d’autres outils, moins connus, mais tout aussi intéressants, qui font partie des pouvoirs des municipalités, comme le pouvoir général de taxation et le pouvoir général de redevance réglementaire. Ceux-ci se sont récemment ajoutés aux sources de revenus traditionnelles, telles que la taxe foncière générale et la tarification. La redevance réglementaire est particulièrement intéressante, puisqu’elle permet de générer des revenus appréciables, de pérenniser des services publics et des infrastructures et d’orienter les choix de la population pour, par exemple, encourager des comportements écoresponsables. Elle peut s’appliquer à plusieurs domaines différents et à une multitude d’acteurs. Il s’agit donc d’un réel instrument de diversification des revenus municipaux.
Bien que le pouvoir général de redevance réglementaire ne soit apparu formellement dans la Loi sur les cités et villes (LCV) et le Code municipal (C.M.) que très récemment avec l’entrée en vigueur du PL 122 2, cet outil existe dans la législation municipale depuis les années 2000 3. Le premier régime de redevance réglementaire a été introduit en 2008 dans la Loi sur les compétences municipales, relativement aux carrières et sablières 4 . L’année suivante, la Ville de Montréal a obtenu le pouvoir général de redevance dans sa Charte 5. La Ville de Québec l’a également obtenu en 2016 6. Puis, un régime de redevances réglementaires visant toutes les municipalités a été introduit dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, soit la redevance de développement. 7
Me STEFANIE WLODARCZYK
Conseillère juridique en droit municipal swlodarczyk@umq.qc.ca
SAMUEL ROY
Conseiller aux politiques Fiscalité, finances et infrastructures sroy@umq.qc.ca
Suivant l’introduction du pouvoir général de redevance réglementaire en 2017, peu de municipalités désiraient être les premières à mettre en place des régimes de redevances puisqu’il s’agissait d’un outil méconnu au Québec. Pourtant, la redevance réglementaire est utilisée à travers le monde et elle a passé le test devant le plus haut tribunal du pays. Né en 1993 8, ce concept jurisprudentiel a été peaufiné par la Cour suprême du Canada dans les années suivantes. En adoptant les articles 500.6 et ss. LCV et 1000.6 et ss. C.M., le législateur québécois a essentiellement codifié le concept jurisprudentiel de la redevance réglementaire validé par la Cour suprême.
Selon ces articles, le régime doit être adopté par un règlement qui met en place un fonds qui sera renfloué par les revenus produits par la redevance. Les revenus ne peuvent donc pas être versés dans le fonds général de la municipalité. Le fonds doit contribuer au financement d’un régime de réglementation relevant d’une compétence municipale et les raisons pour lesquelles les sommes peuvent être utilisées doivent être expressément identifiées. Il est essentiel qu’il y ait un lien entre les personnes de qui l’on exige la redevance et le régime réglementaire – les personnes visées par la redevance doivent soit tirer un bénéfice du régime ou exercer une activité qui crée le besoin du régime.
Il existe des exceptions à l’application du régime de redevance. D’une part, certaines personnes ne peuvent être visées par la redevance, notamment l’État et ses mandataires, les centres de services scolaires et établissements publics au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux. D’autre part, la LCV et le C.M. prévoient aussi des limites quant aux éléments qui peuvent faire l’objet d’une redevance. En effet, les champs de taxation du gouvernement provincial, tels que les revenus, les successions, les boissons alcoolisées et les ressources naturelles, ainsi que les champs qui posent un enjeu constitutionnel, sont exclus 9. Les municipalités conservent cependant le droit de prévoir une redevance à l’égard de trois champs de taxation du gouvernement provincial : les biens et les services, la présence ou la résidence d’un particulier sur le territoire de la municipalité et l’utilisation d’un chemin public et le matériel placé sous, sur ou au-dessus d’un chemin public pour fournir un service public 10 .
La possibilité de prévoir une redevance relative à ces éléments élargit de façon importante les options pour les municipalités. C’est pourquoi certaines d’entre elles ont décidé notamment de percevoir des redevances sur les produits en plastique à usage unique 11 et sur les services d’hébergement et de restauration touristiques 12 . D’un point de vue économique et fiscal, la redevance réglementaire présente plusieurs avantages. Elle permet la prise en charge d’externalités négatives (par exemple, pollution, risque d’incendie accru, dégradation prématurée des infrastructures) et de financer des régimes réglementaires qui visent à en réduire les répercussions. De plus, l’utilisation de la redevance réglementaire permet de déplacer le fardeau des payeurs de taxes foncières vers ceux qui bénéficient d’un régime réglementaire, donc d’appliquer le principe d’utilisateur-payeur ou de pollueurpayeur. Dans ce cas, les bénéficiaires du régime réglementaire ont tout intérêt à modifier leurs comportements afin de réduire les coûts qui seront associés au régime. Cela a pour effet d’améliorer la santé financière de la municipalité et dans certains cas, d’améliorer la qualité de vie des citoyennes et citoyens.
Un autre avantage de la redevance réglementaire est qu’elle échappe au contrôle constitutionnel interdisant aux gouvernements autres que le palier fédéral d’imposer une taxe indirecte. Bien que la redevance réglementaire soit un prélèvement pécuniaire, elle n’a pas les attributs d’une taxe 13 . Il faut donc la distinguer d’une taxe. Rappelons que la redevance vise à financer un régime et non pas à renflouer le budget général de la municipalité. Lorsque le prélèvement d’une redevance s’inscrit dans le cadre d’un régime réglementaire et qu’il y a un lien entre ce prélèvement et le régime réglementaire, la règle selon laquelle seul le gouvernement fédéral peut imposer une taxe indirecte ne s’applique pas. Ainsi, une redevance réglementaire dont le coût serait vraisemblablement assumé par un tiers ne serait pas invalide en raison de son caractère indirect. Les redevances réglementaires gagnent en popularité. De plus en plus de municipalités commencent à s’en prévaloir ou en considèrent la possibilité. Il s’agit d’un outil flexible qui peut être adapté à la réalité des municipalités ainsi qu’à leurs objectifs, que ce soit de réduire leur dépendance à l’impôt foncier, de mieux financer et pérenniser certains services ou d’inciter leurs résidents à adopter des comportements plus écoresponsables. Le milieu municipal a donc tout intérêt à exploiter davantage cet outil moderne et souple !
1. Tedds, L. M. Who pays for municipal governments?
Pursuing the user tax model. (2020). Dans Heaman, E.
A. et Tough, D. (eds.), Who Pays for Canada? Taxes and
Fairness (pp. 183–200). Montréal et Kingston :
McGill-Queen’s University Press. 2. Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs,
L.Q. 2017, c. 13. 3. Girard, François. «Les redevances règlementaires : de concept jurisprudentiel à législation», dans Barreau du Québec, Service de la formation continue,
Développements récents en droit municipal (2010), vol. 317, Montréal (QC), Y. Blais, 2019, 127, et Prémont,
Marie-Claude et Tremblay-Racicot, Fanny. «Le pouvoir de redevance règlementaire des municipalités du
Québec : un outil propice au développement urbain durable et à l’équité fiscale», Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, 49 (2/3, 2019), p. 315-407. 4. Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière municipale, L.Q. 2008, c. 18. 5. Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal, L.Q. 2009, c. 26. 6. Loi accordant le statut de capitale nationale à la Ville de
Québec et augmentant à ce titre son autonomie et ses pouvoirs, L.Q. 2016, c. 31. 7. Article 145.21, alinéa 2 LAU, introduit par la Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière municipale concernant notamment le financement politique, L.Q. 2016, c. 17, a. 2. 8. Allard Contractors Ltd. c. Coquitlam (District), [1993] 4 R.C.S. 371, dans Girard, précité, note 2. 9. Fournier, Axel. «Les nouveaux pouvoirs de taxation des municipalités», dans Barreau du Québec, Service de la formation continue, Développements récents en droit municipal (2019), vol. 456, Montréal (QC), Y. Blais, 2019, 103. 10. Article 500.1, alinéa 2, paragraphes 1o, 7o et 13o LCV et article 1000.1, alinéa 2, paragraphes 1o, 7o et 13o C.M., dans Fournier, précité note 9. 11. Ville de Prévost : https://www.ville.prevost.qc.ca/ storage/app/media/Guichet%20citoyen/
Informations/Reglementation/2022/779codifi%C3%A9.pdf 12. Ville de Percé : https://ville.perce.qc.ca/redevancereglementaire/ 13. Fournier, précité note 8 et Prémont et Tremblay-
Racicot, précité note 2.