I-l’origine de l’architecture islamique
a) Un peu d’histoire
La première mosquée est la maison du prophète Mohamed, inspirée du plan de la synagogue juive. Le plan est simple : une cour carrée de 50 mètres de côté, entourée d’une ceinture de brique crue et un portique couvert côté sud. Le programme de mosquée étant très simple, cela a conduit à une liberté de création et une infinité de variations. Il n’y a pas de préceptes coraniques, ou de hadiths sur la question. Le muezzin effectue l’appel à la prière depuis le minaret. On retrouve également le mihrab, le minbar (siège depuis lequel l’imam prononce le discours du vendredi), les salles d’ablution (anciennement une fontaine dans la cour), les salles de prière. Il est nécessaire de rappeler que les mosquées, au départ, n’étaient pas dotées de minarets. Le minaret est arrivé plusieurs années après, s’inspirant notamment du clocher des églises.
L’architecture islamique ne s’arrête pas à l’édification de mosquées. Les écoles coraniques, les universités, les bibliothèques, les palais, … peuvent tous être qualifiés d’architectures islamiques.
Les califes, successeurs du prophète Mohamed, ont participé à l’expansion de l’Islam à travers le monde. De nombreuses dynasties naquirent, se succédèrent dans le temps. Les Omeyyades, Abbassides, Timourides, Safavides, Ottomans, Fatimides, Mérinides, Saadiens, Nasrides, Mamelouks, Moghols, … De l’Arabie, l’Islam s’est étendu pendant quatorze siècles sur de nombreux territoires : Syrie, Palestine, Egypte, Iran, Maghreb, Turquie, Espagne, Bulgarie, Inde, …
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d’étude / K.Younsi
Umayma Bellahcen / 2020-2021
L3
Rapport
Parties couvertes Minbar Cour Appartement du prophète Parties couvertes Omeyyades Abbassides Timourides Safavides Ottomans 750 Fatimides Mérinides Saadiens Nasrides Mamelouks Moghols 661 909 1244 1517 1511 1370 1206 1501 1232 1526
Succession des dnasties régnant sur tout ou partie de l’empire musulman
Lorsque l’on fait un petit tour du monde des mosquées, on remarque une chose, c’est que les mosquées ne se ressemblent pas. La mosquée Kutubiyya à Marrakech et la mosquée du vendredi à Ispahan n’ont rien à voir ! Chacune se distingue grâce aux codes architecturaux locaux. Chaque culture et peuple entretient une relation propre avec les mosquées de son pays. Il n’y pas UNE architecture islamique, mais bien DES architectureS islamiqueS.
En Chine par exemple, la religion a su s’intégrer dans le paysage chinois, sans imposer une culture étrangère propre aux fidèles. Cette mosquée a été construite en reprenant les codes architecturaux des pagodes chinoises traditionnelles. Mais comment la dissocier d’une pagode justement ? L’objectif n’est pas non plus de se fondre complètement dans le paysage, refusant toute distinction de la fonction de l’édifice. Il y a donc un équilibre à trouver entre intégration et reconnaissance.
On retrouve souvent le code architectural des minarets, coupoles, arcades, surtout dans les pays arabo-musulmans. Les mosquées occidentales reprennent souvent ces formes pour la construction de leurs mosquées, étant donné l’absence de références locales.
Aujourd’hui, de nombreux pays européens comprennent une minorité de personnes de confession musulmane. Cette minorité tend à croître, propulsant l’Islam à la place de deuxième religion, après la chrétienté ou le catholicisme, notamment en France
Umayma
/ 2020-2021 / L3 / Rapport d’étude / K.Younsi
Bellahcen
b) à l’echelle universelle
arcades dôme coupole minaret
Mosquée Xhin chan, chine
a) faits et statistiques
La France est le pays d’Europe qui compte le plus de personnes de confession musulmane, environ 6 millions (soit 9% de la population totale), pour 2500 mosquées, soit une mosquée pour 2300 pratiquants. Cette moyenne ne représente pas vraiment la réalité, dans le sens où certaines villes comportent sûrement un nombre suffisant de mosquées, alors que d’autres non. Les villes de taille petite à moyenne sont celles qui souffrent le plus du manque de mosquées.
Beaucoup de mosquées sont non comptabilisées car cachées dans des bâtiments. Sans signes distinctifs, les mosquées ne sont pas reconnaissables et il est donc difficile de les recenser.
Beaucoup de mosquées que j’ai vu en France (celle de Canteleu, la Grande mosquée de Rouen (Rive Gauche), la Grande mosquée de Paris, …) sont fortement inspirées du style que l’on retrouve dans les pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie, …). On les remarque avec des minarets à base carrée notamment. Comment l’immigration des populations maghrébines vers la France a influencé la construction de mosquées en France ? La mosquée dans les pays musulmans exprime une certaine richesse et prestige traduits dans les dimensions, le décor et parement, formes, prouesses architecturales et structurelles. Un édifice cultuel doit-il être monumental pour être lisible ? Que-ce qui fait la lisibilité d’une mosquée ? L’édification d’une mosquée dans les pays musulmans n’a pas seulement pour but d’offrir aux fidèles un lieu de prière, mais également de montrer la richesse et le pouvoir du pays, un peu comme une propagande. En France, ce n’est pas le cas. La mosquée répond au besoin primaire des pratiquants qui ont besoin d’un espace pour prier en communauté.
À quoi est due l’inégalité de superficie entre un lieu cultuel chrétien et musulman ? 60% des lieux de culte musulmans ne dépassent pas les 100m². Pour avoir un ordre d’idée, un logement T4 possède en superficie moyenne de 100m². Comment expliquer le manque de surface dédié aux mosquées ? On compte environ 2500 mosquées et salles de prière en France, contre 45 000 églises catholiques. Le catholicisme est présent en France depuis des centaines d’années, avant l’islam. La comparaison est complexe à faire, car le nombre d’églises semble suffisant. On peut le constater en regardant le nombre d’églises désaffectées car plus utilisées. C’est également le cas pour les synagogues ou pagodes dont le nombre reste assez faible, environ 300. Cette problématique de nombre et superficie serait liée à l’aspect minoritaire de la religion en question.
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d’étude / K.Younsi II- l’architecture islamique en France
Umayma Bellahcen / 2020-2021
Rapport
répartition du nombre de mosquées dans l’hexagone
Environ 20% des mosquées en France ont un minaret. Les deux premières mosquées construites en métropole sont celle de Paris et de Fréjus. De 1930 à 1981, aucune mosquée ne sera construite en France. De 1981 à 2000, 4 nouvelles mosquées vont être construites dans l’hexagone : Mantes-la-Jolie, Evry, Lyon, Farébersviller. Elles ont toutes un minaret et sont construites dans un style maghrébin. Les constructions sont longues et génératrices de tensions. À partir de 2000, le rythme de construction va s’accélérer, et la présence de minaret ne sera pas toujours systématique. Les problèmes financiers, les avis et préjugés des habitants et des élus locaux, un contexte hostile au minaret, … voici quelques raisons pouvant expliquer la non acceptation du minaret dans l’espace public. Dans les premières années, il y a eu un désir de visibilité, de démonstration de culture de la part des musulmans de France, pour la majorité immigrée. Se rapprochant d’une volonté de laisser une trace de passage, un héritage aux générations suivantes, issues de l’immigration.
“ A quand des mosquées inscrites dans une modernité saine et assumée ?” Cette question n’est pas la mienne, mais elle m’a interpelée. Il est vrai que les mosquées en France se ressemblent et se répètent. L’architecture évolue avec le temps, selon les besoins et les contraintes. Pourquoi l’architecture des mosquées n’aurait-elle pas droit à la modernité ? Que-ce qui empêche un peu de fantaisie et d’expression artistique cohérente avec la visée de l’édifice ?
Umayma Bellahcen / 2020-2021 / L3 / Rapport d’étude / K.Younsi
b) esthétique architecturale des mosquées en france
c) étude de cas
Nous allons nous intéresser à deux mosquées, la mosquée Omar Ibn-Alkhatib à Dreux et la mosquée Al-Mouhssinine à Canteleu. Ce sont deux mosquées que j’ai pu fréquenter, qui sont intéressantes à étudier car l’une reprend les formes architecturales des mosquées maghrébines, et l’autre est plus sobre, sans signes distinctifs particuliers.
Dreux est une ville comptant un grand nombre de personnes étrangères, issues de l’immigration. Beaucoup de personnes ayant migré vers la France lors des années 1960 à 1980, lorsque la France avait besoin de main d’œuvre (chantiers ferroviaires, électrification, bâtiments, agriculture, industries, automobile, mécanique, pharmaceutique). Ces migrations se sont faites suite à la signature de contrats professionnels avant même la migration. Ces personnes se sont installées en France, y ont fondé leur famille et y vivent de manière définitive. On retrouve aujourd’hui des personnes de la troisième voire quatrième génération issue de l’immigration. On compte donc beaucoup de personnes d’origine étrangère âgées, retraitées ou approchant la retraite. Ces personnes souhaitent laisser une trace, transmettre quelque chose de l’histoire migratoire. Les pays d’origine sont principalement ceux d’Afrique (Maghreb, Afrique subsaharienne), ainsi que l’Asie ou la péninsule ibérique pour une minorité (Turquie, Moyen-Orient, Portugal …). En 1954, 1,5% de la population drouaise est étrangère, en 1975 la proportion monte à 15%, et en 1982, un drouais sur cinq est étranger, soit 6600 étrangers sur 33 000. Dans les années 1970, Dreux est devenue une ville dortoir de la région parisienne, suite à la politique de décentralisation. Le quartier des Bâtes, où se trouve la mosquée qui nous intéresse, se situe sur le plateau nord-ouest de Dreux. Le quartier est enclavé par la voie RN12 et la voie ferroviaire, comme les autres quartiers situés sur les plateaux, dissociés du cœur ancien.
Pour Rouen, c’est sensiblement la même chose. La période d’après-guerre a fait croître le besoin de main d’œuvre, qui a conclu à un appel important de travailleurs étrangers. Différents secteurs sont alors en plein essor (pétrole, métallurgie, construction navale, chimie, textile, construction, industries, …). Une grande part des immigrés est constituée de maghrébins. Les travailleurs venaient souvent seuls, lorsque les politiques migratoires se sont durcies, les flux migratoires ont baissé. Des regroupements familiaux ont eu lieu, et les populations maghrébines, turques, sud-africaines sont restées dans la région rouennaise.
Le passé colonialiste de la France lui impose une certaine responsabilité vis-à-vis des populations venant des pays anciennement colonisés. C’est en 1982 que la première mosquée de Rouen voit le jour, la mosquée Al-Kawthar. Ancien bistrot reconverti, nous sommes encore une fois face à la question de la reconversion que l’on approfondira plus bas. Avec une capacité d’accueil de 1000 fidèles, les dimensions de la mosquée se montrent inférieures aux besoins réels de la population musulmane rouennaise. L’agglomération rouennaise comporte également un nombre important de mosquées. À Canteleu, nous trouvons deux mosquées, l’une maghrébine, et l’autre turque. La plus fréquentée est la maghrébine. C’est sur elle que nous allons nous concentrer pour cette étude. La mosquée dite turque n’est fréquentée que par des habitants d’origine turque. Il serait plus juste de l’appeler centre communautaire turque. J’ai choisi la mosquée Al-Mouhssinine car elle reprend les symboles des mosquées maghrébines, et que c’est de cette mosquée dont m’avait parlé mon maître de stage.
Umayma Bellahcen / 2020-2021 / L3 / Rapport d’étude / K.Younsi
mosquées de Dreux mosquées de canteleu
La mosquée des bâtes quant à elle est un épicentre du quartier. Une majorité des habitants de ce quartier sont de confession musulmane. Concernant l’intégration de la mosquée dans son contexte, on peut dire que la mosquée se distingue dû à son placement par rapport aux bâtiments voisins, à ses dimensions. Mais la morphologie et l’esthétique architecturale de la mosquée ne rendent pas sa reconnaissance en tant que telle immédiate.
La place principale du programme est logiquement occupée par la fonction cultuelle. Chaque salle de prière occupe environ les deux tiers de la surface de l’étage. Dans ce cas les fonctions culturelles et autres espaces de partage ont vraiment un statut “annexe”, comme ajoutés en plus car il en faut et que c’est demandé dans le programme. Comment réussir à programmer une mosquée intégrant culte et culture, sans que l’un n’empiète sur l’autre ? Les espaces ici se côtoient, se juxtaposent, mais n’ont pas de réel lien. Pour accéder aux salles de classe par exemple, nous sommes obligés de passer par la salle de prière, ce qui pourrait être évitable. Sachant que toute personne non musulmane ne peut pas entrer dans une salle de prière, comment quelqu’un de non musulman ferait-il s’il voulait participer aux cours ?
Umayma
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/ L3 / Rapport d’étude / K.Younsi
Bellahcen
2020-2021
plan du rez-de-chaussée, dreux
plan du premier étage, dreux
Dans le cas de la mosquée de Canteleu, il y a un élément très intéressant à souligner. Les espaces culturels sont ceux donnant sur l’espace public (cf. Entretien avec Aadil Jalal Mansour). Ainsi, tout le monde peut y aller, sans avoir à passer par les espaces dédiés au culte. Les salles de prières sont plus reculées, pour en préserver l’intimité, ponctuant le parcours du fidèle qui vient accomplir sa prière. C’est un plan qui fonctionne très bien, y étant déjà allée. Cela me rappelle la partition publique/privée qu’on trouvait dans les logements du XIXe siècle. Ce qui est donné à tout le monde, croyant ou non, est le plus accessible et mis en avant.
Qu’en est-il pour la morphologie architecturale ? La mosquée de Canteleu est reconnaissable en tant que telle grâce à son minaret, ses arcades, ses dimensions, … Elle représente l’image de la mosquée telle que je l’imagine et telle que l’imagine la plupart des habitants de Canteleu. Mais cela s’explique par nos origines. En effet, la seule référence de mosquée que nous avons est la mosquée maghrébine, au minaret de base carrée, aux arcades, … cette forme est parlante pour nous. Dans un sondage que j’ai réalisé, j’ai demandé à chacun de donner la fonction de chacune de ces mosquées à partir d’une photo prise depuis la rue. La mosquée de Canteleu a été identifiée par tous les sondés.
La façon dont les mosquées se sont construites en France a donné une image erronée de ce que pouvait être une mosquée, dans sa forme, mais aussi dans sa fonction. Les communautés musulmanes, immigrées, à majorité maghrébine ont apporté leur culture, sans la traduire à l’environnement dans lequel ils s’installent. L’interdiction du minaret, que beaucoup considèrent comme une contrainte, devrait au contraire être admise comme un challenge. Celui de concevoir la mosquée de France, voire même d’Europe (cf entretien avec Joël Privot). Imposer une référence étrangère dans un pays qui a du mal à l’accepter est-elle la solution ?
Pour la mosquée des Bâtes, la reconnaissance est un peu plus difficile. En effet, peu d’éléments forts permettent de la distinguer. Parmi les sondés, une majorité de ceux qui l’ont reconnu la connaissent et la fréquentent. Et là je me demande, comment sommes-nous censés savoir que c’est une mosquée ? Est-ce qu’une mosquée doit se distinguer, ou bien se fondre dans le paysage urbain ? Pour beaucoup, la distinction et la reconnaissance est nécessaire. Il faut alors réussir à trouver le moyen de reconnaissance, sans choquer ou provoquer. Il y a un processus long à effectuer, qui a d’ailleurs commencé dans certains pays, notamment aux Emirats Arabes Unis, pionniers dans la question de renouvellement de la mosquée.
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/ L3 / Rapport d’étude / K.Younsi
Umayma Bellahcen
2020-2021
plan du rez-de-chaussée, canteleu
mosquée de dreux
plan du 1er étage, canteleu
Le passé colonialiste de la France lui impose une certaine responsabilité vis-à-vis des populations venant des pays anciennement colonisés. C’est en 1982 que la première mosquée de Rouen voit le jour, la mosquée Al-Kawthar. Ancien bistrot reconverti, nous sommes encore une fois face à la question de la reconversion que l’on approfondira plus bas. Avec une capacité d’accueil de 1000 fidèles, les dimensions de la mosquée se montrent inférieures aux besoins réels de la population musulmane rouennaise. L’agglomération rouennaise comporte également un nombre important de mosquées. À Canteleu, nous trouvons deux mosquées, l’une maghrébine, et l’autre turque. La plus fréquentée est la maghrébine. C’est sur elle que nous allons nous concentrer pour cette étude. La mosquée dite turque n’est fréquentée que par des habitants d’origine turque. Il serait plus juste de l’appeler centre communautaire turque. J’ai choisi la mosquée Al-Mouhssinine car elle reprend les symboles des mosquées maghrébines, et que c’est de cette mosquée dont m’avait parlé mon maître de stage.
La mosquée des bâtes quant à elle est un épicentre du quartier. Une majorité des habitants de ce quartier sont de confession musulmane. Concernant l’intégration de la mosquée dans son contexte, on peut dire que la mosquée se distingue dû à son placement par rapport aux bâtiments voisins, à ses dimensions. Mais la morphologie et l’esthétique architecturale de la mosquée ne rendent pas sa reconnaissance en tant que telle immédiate.
La place principale du programme est logiquement occupée par la fonction cultuelle. Chaque salle de prière occupe environ les deux tiers de la surface de l’étage. Dans ce cas les fonctions culturelles et autres espaces de partage ont vraiment un statut “annexe”, comme ajoutés en plus car il en faut et que c’est demandé dans le programme. Comment réussir à programmer une mosquée intégrant culte et culture, sans que l’un n’empiète sur l’autre ? Les espaces ici se côtoient, se juxtaposent, mais n’ont pas de réel lien. Pour accéder aux salles de classe par exemple, nous sommes obligés de passer par la salle de prière, ce qui pourrait être évitable. Sachant que toute personne non musulmane ne peut pas entrer dans une salle de prière, comment quelqu’un de non musulman ferait-il s’il voulait participer aux cours ?
Umayma Bellahcen / 2020-2021 / L3 / Rapport d’étude / K.Younsi
mosquée de canteleu
De nombreux exemples dans l’Histoire évoquent des conversions d’églises ou de basiliques en mosquées. La basilique Sainte Sophie, la mosquée de Cordoue. Ces exemples marquent l’expansion du pouvoir arabo-musulman à une certaine époque, qui a laissé des traces encore visibles aujourd’hui.
Christoph Büchel est un artiste qui a transformé l’église Santa Maria della Misericordia, abandonnée, déconsacrée et fermée depuis 40 ans en mosquée pour la 56e biennale de Venise. Ce qu’il faut savoir, c’est que jusque-là Venise ne comportait aucune mosquée, alors qu’elle comptait plus de 15 000 croyants … Le titre que l’artiste a donné à son œuvre est : “The Mosque : the first mosque in the historic city of Venice”. Les autorités s’inquiétaient du fait que cette “œuvre d’art” se transforme en lieu de culte. Il a donc été décidé que la nouvelle mosquée ferme à 18 heures, et ainsi que les deux dernières prières ne puissent pas être faite en son sein. Cette “œuvre” a fait beaucoup parler d’elle. Cela remet également en cause la liberté de l’expression artistique quant aux sujets sensibles. La mosquée a été définitivement fermée par la suite car “les installations artistiques ne doivent pas devenir réalité”. Malheureusement, la réalité est qu’aucun espace n’est dédié aux musulmans pour prier. Cette œuvre aurait pu être le début d’une ère ou l’islam et sa pratique sont acceptées dans l’espace public vénitien, où aucun espace n’est dédié à cette communauté. Pourquoi refuser l’expression de leur culte ? Pourquoi cette volonté de l’invisibiliser ? Qui cible-t-on par cette invisibilisation ? Que ce que l’artiste a voulu transmettre comme message ? Serait-ce sa manière à lui de pointer du doigt le problème qu’ont les musulmans à pratiquer leur culte dans des lieux dédiés ? Peut-on parler d’islamophobie à ce stade ? Ou bien est-ce un terme disproportionné pour les circonstances ?
Umayma Bellahcen / 2020-2021 / L3 / Rapport d’étude / K.Younsi iii- la reconversion
a) quand une oeuvre d’art devient la réalité qu’elle dénonce
Le diocèse de Bourge, propriétaire de l’église de Saint-Eloi à Vierzon, a souhaité vendre cette propriété pour des intérêts financiers en 2013. Une association musulmane s’est présentée pour acheter l’édifice afin de le transformer en mosquée. La population locale a exprimé son désaccord, et l’opération n’a pas pu être réalisée. En quoi la transformation d’une église en mosquée est une opération délicate ? Que ce que cela signifie pour les populations locales ? Certaines églises ont été transformées en logements, commerces, … Que ce que cela a provoqué comme réaction ? Si les édifices sont vacants, inutilisés, ils peuvent être reconvertis. Cela permet une économie de construction. Les églises sont souvent bien placées, et cela peut donc profiter aux nouvelles mosquées.
Quel est le processus de transformation d’une église en mosquée ? La suppression et l’effacement des signes reliés au culte précédent a un coût. Si nous devions par exemple transformer la cathédrale Notre-Dame de Rouen en mosquée, le coût serait exorbitant. Il faudrait retirer toutes les statues, sculptures, iconographies, tours, flèches, cloches, … et ensuite réaménager le lieu pour que le culte musulman puisse être praticable. Les transformations d’églises en mosquées est donc possible, cela s’est fait quelques fois, mais reste un sujet sensible en France.
Une autre idée a émergé dernièrement, celle de lieux bicultuels. Imaginez un édifice abritant à la fois une église et une mosquée ! Les églises aujourd’hui très peu utilisées et fréquentées pourraient accueillir en leur sein une salle de prière. Utopie ou idée réaliste ? À mon sens, cela me semble faisable, mais les contraintes sont tout de même considérables : iconographie proscrite pour la mosquée, pas de possibilité d’extension d’un espace vers l’autre, avis très mitigé de la part des acteurs concernés, ...
Umayma Bellahcen / 2020-2021 / L3 / Rapport d’étude / K.Younsi
b) convertir des églises en mosquées
iv- la mosquée de France, ouverte à
tous et pour tous : polyfonctionnalité et multifonctionnalité
Le projet d’une mosquée est à étudier selon deux aspects fondamentaux : l’aspect centrifuge, le programme, donc ce qu’il se passe à l’intérieur ; d’autre part, l’inscription de l’édifice dans le contexte bâti. Chaque édifice se doit selon moi d’exprimer sa fonction. Il est difficile de donner à voir sans laisser voir. Il y a une intimité à protéger à l’intérieur (la salle de prière notamment), qui peut être contradictoire avec la volonté de rendre le plus possible visible une mosquée. Lorsque la mosquée comprend dans son programme des fonctions culturelles, celles-ci se chargent d’être visibles et lisibles, pour mieux “cacher” les fonctions intimes à préserver. Les fonctions culturelles ont aussi pour objectif de mieux intégrer la mosquée dans la ville. La question de la poly fonctionnalité devient alors très intéressante et complétement justifiée. La mosquée deviendrait alors plus “légitime” et serait mieux acceptée. Son existence serait en quelque sorte plus “naturelle”. Parler de la notion de poly ou multi fonctionnalité a émergé suite à la lecture d’un projet de fin d’étude d’une étudiante à l’ENSA de Marseille. Elle y évoque de nombreuses fonctions pouvant cohabiter avec la salle de prière : salle de jeux, salle de musique, bibliothèque, … Un programme de mosquée doit être choisi et étudié de manière pertinente. Il ne faut pas oublier le caractère sacré premier du lieu, avec lequel certaines fonctions semblent évidemment incompatibles.
a- que-ce que la polyfonctionnalité ?
La poly fonctionnalité a en quelque sorte toujours existé. Elle consiste à comprendre dans un même programme plusieurs fonctions qui cohabitent entre elles.
La mosquée, outre a la fonction de salle de prière, faisait office d’université, d’école, lieu de pouvoir, de justice, … Puis l’évolution de l’architecture des mosquées a participé à l’éclatement de ces fonctions. La mixité fonctionnelle tend à revenir dans les nouveaux projets de mosquées. Les fonctions sont quelque peu différentes de ce que l’on pouvait retrouver autrefois, allant plus avec les besoins de la société d’aujourd’hui. Mais cette multifonctionnalité amène à un enferment des populations musulmanes d’origine étrangère. Plus les projets seront complets et moins les fidèles s’ouvriront au monde qui les entoure, accentuant la distinction et la séparation entre les 2 sphères. Ces lieux s’apparenteraient plus à des centres communautaires.
Umayma Bellahcen / 2020-2021 / L3 / Rapport d’étude / K.Younsi
b) dans quel but ?
Tout de même, les fonctions annexes enrichissent les relations sociales. Ces dernières, en étant ouvertes à tous, croyants ou non, pourraient casser cette barrière culturelle. Par exemple, une mosquée associée à un musée s’intégrera mieux dans le secteur où elle s’implante car elle s’adressera à un nombre plus important de personnes, même non fidèles.
Étant donné qu’une mosquée n’est pas utilisée de la même façon selon heures, les jours, les périodes. Le vendredi, la mosquée est beaucoup plus fréquentée que les autres jours de la semaine. Les prières sur les morts accueillent également plus de fidèles, les soirées du ramadan également. La temporalité influe donc sur la fréquentation de la mosquée, qui sera plus ou moins importante. Cette variable impose donc une flexibilité des espaces pour supporter une forte fréquentation quand cela est nécessaire. Les salles de prière devraient avoir un potentiel d’extension, lorsque cela est nécessaire, que ce soit une extension intérieure ou sur l’extérieur. Le plan programmatique de la mosquée doit donc permettre cette extension, en associant notamment des espaces réservés à d’autres fonctions en lien direct avec la salle de prière.
L’islam est une religion universelle, son architecture doit exprimer cette universalité, et non pas simplement copier-coller les formes des pays d’origines des populations musulmanes. Cela cause en quelque sorte les réactions hostiles des opposants. Cela s’apparenterait à une certaine incompréhension de la part des populations locales, qui ne comprennent pas pourquoi de tels édifices viennent s’installer près de chez eux. Il y a donc un langage adéquat et compréhensible à trouver, pour exprimer la mosquée dans l’espace urbain européen. On ne peut pertinemment pas venir construire des répliques de mosquées qu’on trouverait ailleurs. Le contexte, le site, l’histoire du lieu où l’on s’installe sont primordiales dans n’importe quel projet architectural, pas seulement les mosquées. Ces dernières ne font donc évidemment pas exception à la règle.
Umayma Bellahcen / 2020-2021 / L3 / Rapport d’étude / K.Younsi
c) cas concrets
Les deux exemples que j’ai présentés et décrit précédemment (la mosquée de Canteleu et de Dreux) illustrent ce point de deux manières différentes. Celle de Dreux, où le plan ne traduit pas une tentative réelle de faire cohabiter les deux fonctions culturelle et culturelle. C’est une traduction littérale, sans réelle recherche à mon sens. Elle répond aux besoins primaires de la mosquée (salles de prière et salles de classe). La morphologie est basique, ne permettant pas une réelle reconnaissance de celle-ci. Dans un sondage que j’ai proposé, je demandais aux sondés de deviner la fonction de la mosquée. Environ la moitié n’ont pas donné la bonne réponse. Contrairement à celle de Canteleu, où le plan est le résultat d’une recherche intéressante, distinguant le culte du culturel, sans pour autant les séparer. La morphologie architecturale cependant reprend la référence classique des mosquées maghrébines.
C’est là où je me demande à qui s’adresse réellement la mosquée ? Si c’est au plus grand nombre de personnes d’origines différentes, pourquoi valoriser une seule culture à travers l’architecture de l’édifice ? Ne serait-ce pas une façon maladroite de cibler une population, en excluant inconsciemment les autres ? Arriverons-nous à produire des modèles de mosquées dans le futur ouvertes à tous, construites dans un langage expressif et cohérent avec leur milieu ?
Tous les projets de mosquées récents cherchent à inclure l’aspect culturel dans leur programme, pour garantir une meilleure intégration dans l’espace urbain. Ainsi, on ne réserve pas la mosquée seulement à ceux qui viennent y prier, mais également à toute personne voulant venir au musée, à la bibliothèque, écouter une conférence dans l’auditorium, ... Je trouve ce concept extrêmement intéressant ! Le projet des architectes Daniel Andersson et Flügel Christiane à Dubaï propose une organisation verticale, où chaque étage correspond à une affectation (salle de prière, ablutions, auditorium, médiathèque, commerce, …) L’idée de la verticalité est justifiée par la volonté de mieux intégrer la mosquée dans la ville, surtout quand celle-ci est dense (Paris, New-York, Shangaï, …) et marquée par la verticalité (gratte-ciels). Il serait très intéressant d’apporter ce modèle en France pour amener une nouvelle réflexion. Les salles de prières sont sur plusieurs niveaux, pour que chacun puisse voir l’imam pendant la prière. Ce projet s’intègre à la fois grâce à son programme généreux, et à sa morphologie architecturale.
Umayma Bellahcen / 2020-2021 / L3 / Rapport d’étude / K.Younsi
v- le futur de la mosquée de France, voire occidentale
Le projet de la mosquée de Strasbourg a été très médiatisé, le concours a reçu plusieurs réponses. Une des participantes est la célèbre architecte Zaha Hadid, dont la proposition n’a pas été retenue. Le lauréat fut Paolo Portoghesi. Sa proposition reprenait des références de pays arabes : minarets, coupoles. Il est vrai que cette proposition était plus reconnaissable que celle de Zaha Hadid. Zaha propose une forme de calligraphie arabe, une manière poétique de symboliser l’islam à travers la langue arabe, par laquelle il fut diffusé. Cependant cet édifice pourrait être aussi une proposition pour un musée, un palais, une salle d’exposition, … Cette proposition tente de trouver une nouvelle expression architecturale propre à la France, voire même à l’Europe, mais n’est pas suffisamment claire, on ne comprend pas que c’est une mosquée. Mais elle a l’avantage de s’ouvrir à tous, de n’exclure aucune culture, tout musulman y est le bienvenu. La ville de Strasbourg a peut-être manqué l’occasion d’innover à ce sujet, et être pionnière dans la construction du modèle de la mosquée occidentale ?
En choisissant la deuxième proposition de Paolo, n’y aurait-il pas une peur du nouveau, de se jeter dans le vide ? L’acceptation de la population est cruciale, construire une mosquée plus “classique” a l’avantage de cocher la case sécurité. Cette proposition, contraiement à celle de Zaha Hadid, a l’avantage d’être suffisamment claire et reconnaissable. Elle correspond en tous points à la mosquée dans l’imaginaire de la majorité. À l’origine, le projet prévoyait plusieurs minarets, et plus du double de la surface finalement construite. Peut-être que si le projet de Zaha Hadid avait été validé, il aurait entièrement construit, car il n’expose aucun signe “provocateur” comme peut être considéré le minaret.
L’image de la mosquée avec minaret est encore trop encrée dans l’imaginaire de la majorité pour réussir à faire table rase. Parmi les sondés, beaucoup ont trouvé le projet de Zaha Hadid trop flou, pas assez représentatif de la mosquée, ce qui ne semble pas insensé. Mais si cette morphologie devenait plus utilisée dans le monde occidental, les gens y seraient sûrement plus familiers et auront un avis complètement différent dans un futur proche, ou peut-être pas … Le temps est finalement un facteur presque obligatoire dans ce processus.
Umayma Bellahcen / 2020-2021 / L3 / Rapport d’étude / K.Younsi
a) le projet de la mosquée de strasbourg,la question de la lisibilité et de l’intégration
C’est là que pourrait intervenir une forme de démarche participative, comme me l’avait expliqué l’architecte Joël Privot lors de notre entretien téléphonique.
Tout d’abord, que ce qu’une démarche participative ? C’est un concept né en Angleterre à la fin du XXe siècle, qui vise à mener de manière transversale, avec plusieurs acteurs un projet architectural et/ou urbain. Ce concept permet de se réapproprier l’espace urbain pour concevoir un espace collectif. Cette démarche donne plus de place aux avis et propositions des futurs usagers. Au final, une forme d’engagement se créé, vis-à-vis d’un projet qui se construit dans un consensus commun, où chacun est acteur. Prenons pour exemple le projet d’une nouvelle mosquée dans un quartier qui n’en compte pas. Les fidèles qui voulaient cette mosquée seront appelés à participer à l’élaboration du projet. Leur contribution sera précieuse de par leur connaissance du territoire, de ses habitants, du potentiel du site, de ses éventuels inconvénients, … Les habitants du quartier seront également invités à participer à la construction du projet. Le projet sera mieux accepté car la population se sentirait plus concernée.
Mais ne serait-ce pas une utopie au final ? Ce genre de démarches reste encore peu appliqué. Mais il serait intéressant de la mettre au service de projets sensibles, comme une mosquée. Sans oublier que la mosquée intègre également des fonctions culturelles, ce ne sont plus simplement les fidèles qui seront concernés, mais bien l’ensemble de la population. Les nouvelles mosquées font l’effort de s’ouvrir à un maximum de personnes, qui se doivent d’être acteurs dans l’élaboration des projets.
Cette démarche rejoint la théorie du lien social, développée par Hirschi. Renforcer le lien des personnes externes (riverains, opposants, médias, …) pourrait amener un attachement aux mosquées. Plus nombreux seront les acteurs et participants actifs au sein du projet, moins nombreux seront les opposants. Le dialogue semble alors indispensable, une démarche participative, réunissant tous les acteurs, pour aboutir sur un projet pour tous, dans le but de trouver un consensus commun.
Umayma Bellahcen / 2020-2021 / L3 / Rapport d’étude / K.Younsi
b) innovation dans le processus de projet : la démarche participative
Il y a un réel besoin de renouvellement pour tous les pays, même ceux où les mosquées “plus classiques” sont majoritaires depuis des siècles. Dubaï est pionnière dans la tentative de répondre à cette question. Beaucoup de concours sont lancés, et les réponses sont parfois étonnantes, mais innovantes. C’est difficile de se détacher du modèle classique, et imaginer une nouvelle morphologie pour les mosquées.
Ce projet de mosquée, dont le volume cubique principal s’incline, reprend la figure du fidèle qui se prosterne, vers la Mecque. Cette métaphore est une idée intéressante de morphologie pouvant permettre la reconnaissance d’une mosquée. Le minaret à l’angle permettra l’annonce de l’appel à la prière, ce n’est donc pas qu’un élément symbolique. Ce projet est prévu pour la ville de Kayseri en Turquie, pays musulman, donc un contexte différent de celui de la France. Cependant, cette mosquée reprend le vocabulaire de l’architecture dite canard, ou objet. Cette architecture traduit son affectation par le biais de sa morphologie et de son esthétique externe. Le but est donc d’expliciter la fonction de l’édifice. Ce concept a été théorisé par Robert Venturi. L’architecture canard serait-elle une solution pour la lisibilité de la mosquée dans l’espace public ? Comment figurer une mosquée ? Par une métaphore comme le projet présenté ci-dessus ? D’une manière poétique comme le fait Zaha Hadid ? Le champ des possibles est ouvert pour cette question, il n’y a pas une bonne réponse, mais plutôt une infinité de propositions intéressantes.
Le processus de patrimonialisation des mosquées est une finalité. Il faudrait alors pouvoir figer des projets intéressants, qui ont compris l’enjeu d’insertion dans le contexte européen, sur tous les niveaux. Ces édifices deviendraient ainsi des références, qui serviraient aux nouveaux projets. Aucune proposition ne perdurera dans le temps car les besoins changent en même temps que la population évolue. Il y a un éternel besoin de renouveau, un éternel recommencement, sans pour autant faire table rase des expériences précédentes. Celles-ci servent à mieux appréhender le futur, mieux le comprendre, apprendre des potentielles erreurs, se nourrir des propositions qui ont fonctionné et contribué à un réel pas en avant.
Umayma Bellahcen / 2020-2021 / L3 / Rapport d’étude / K.Younsi
c) quelques projets aux idées intéréssantes
Pour conclure, j’aimerai tout d’abord parler de tout le processus de recherche, de lecture, d’écriture, de questionnements que j’ai suivi durant toute l’année pour aboutir à ce résultat. Cette phase était très captivante et motivante. J’étais partie avec beaucoup d’aprioris, des connaissances en amont, qui se sont avérées faibles et insuffisantes pour traiter les questions correctement. Chaque question en amenait une autre, ouvrait à de nouvelles interrogations qui elles-mêmes menaient à de nouvelles recherches, lectures, … J’ai énormément appris sur ce sujet qui continue toujours de m’intéresser autant, voire plus qu’au début.
Les heures de rapport d’étude m’ont permis de prendre du temps pour écrire, temps que je ne pouvais pas avoir auparavant. J’ai appris à formuler des questions complètes, ouvertes, chose que j’avais plus de mal à faire auparavant.
J’ai pu prendre contact avec des architectes également intéressés par la question que je traite. Je tiens à les remercier pour leurs précieuses aides.
Umayma Bellahcen / 2020-2021 / L3 / Rapport d’étude / K.Younsi conclusion