Hors-série TVB 19 - Femmes & migrations

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© Laurianne Ploix

24 heures dans la communauté Awra Amba

A

u nord-ouest du pays, en plein bush, à une petite centaine de kilomètres de Bahir Dar qui borde le lac Tana, Zumra Nuru a créé en 1972 une communauté utopique où femmes et hommes seraient tous égaux. TVB est allé partager 24 heures de la vie de cette communauté. Le soleil sèche la terre des hauts plateaux éthiopiens qui n’ont plus vu la pluie depuis le mois d’octobre. La voiture vient de quitter le béton et s’élance sur un chemin de cailloux et de terre ocre, laissant derrière elle une fumée de poussière qui semble tout recouvrir. Les Amharas qui longent le chemin observent curieux ou indifférents cette traversée brisant le temps. Un panneau en tôle bleu et blanc indique que les prochaines constructions de terre-paille forment la communauté Awra Amba, « les maîtres des collines» en amharique. Une pancarte Guest House trône au-dessus d’un bâtiment qui contient une quinzaine de chambres composées d’une couche et d’une petite étagère moulée dans les murs de terre humide et de paille recouverts de peinture jaune. Une porte faite de tôle et de bois peut se fermer avec un petit cadenas, des dessins aux murs rappellent les couleurs vives des paysages qui nous entourent.

« Un homme ne peut pas naître sans une femme »

De haut en bas. Les ateliers de tissage unisexes qui permettent de faire vivre la communauté. Zumra Nuru et sa fille Aregash dans le centre d’informations du village. La maison de retraite pour les personnes âgées dépendantes, l’école et l’entrée de la communauté Awra Amba. À droite, des femmes s’occupent du bétail de la communauté. © Laurianne Ploix

Délestée de mes bagages, je suis invitée à prendre une boisson rafraîchissante sur la petite place centrale des bâtiments d’hébergement pour touristes. Aida et son père, Asnaske, nous rejoignent vite, c’est lui qui s’occupe d’elle en ce moment, sa femme travaille à la comptabilité de la communauté, lui, guide, ne travaille pas aujourd’hui. Derese, le cuisinier de la communauté, nous emmène grimper la colline la plus proche pour observer le coucher

de soleil. Nous longeons les ateliers de tissage où hommes et femmes travaillent ensemble. Puis nous traversons des champs où femmes et enfants travaillent et gardent le bétail. Des oignons, des mangues, des tomates sont cultivés ici sur des terrasses d’irrigation, du tef (céréale locale) et des vaches nourrissent en partie la communauté. Nous rentrons pour le dîner qui se tient rapidement une fois la nuit tombée, vers 19 h pour les étrangers (2 h de plus qu’en France) ou 1 h de la nuit en heure amharique qui commence lorsque le soleil se lève et que la vie commence (6 h du matin en heure internationale correspond à 1 h de la journée en heure amharique, qui se divise en 2 cycles de 12 heures). Les discussions nous amènent à évoquer l’angle de mon reportage, l’égalité femmes-hommes. Asnake nous raconte que Zumra, le fondateur de la communauté, aurait souvent expliqué l’inégalité des femmes et des hommes par un esprit égoïste et autocentré de l’homme qui, se croyant plus fort que la femme, aurait eu envie de la diriger ; mais que c’est un raisonnement erroné puisqu’un homme ne peut pas naître sans une femme, et ne peut donc pas lui être supérieur. Pour Asnake, qui évoque à plusieurs reprises l’idéologie communiste, nous sommes tous égaux et ne devrions faire aucune différence ni dans les tâches quotidiennes, ni dans nos jugements. C’est l’esprit de la communauté, « nous sommes tous des êtres humains » est une phrase qui revient souvent dans la bouche des membres anglophones rencontrés.

« On ne leur donne pas l’égalité, on reconnaît juste les droits naturels » Le lendemain matin, après un petit-déjeuner pris au rythme cadencé des machines à tisser, une entrevue avec Zumra, le fondateur, est prévue. Sa fille, Aregash, me reçoit dans le centre d’informations construit sur la place du village, elle fera la traduction. Zumra, âgé aujourd’hui de 72 ans, arrive tranquillement dans l’ombre de la maisonnée. Vêtu d’une chemise blanche, il porte un chapeau de laine verte sur la tête ; une écharpe, avec le symbole du village, tombe sur son buste. Tout le monde le connaît et le salue respectueusement sur son chemin. Regard perçant et discours calme mais passionné, le fondateur explique, en appuyant ses arguments


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