HS TVB 25 Biodiversité

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Revue participative de solutions

Nº 25 MARS 2022

HORS-SÉRIE - BIODIVERSITÉ

Réensauvagement, Protection des espèces, Avis d'experts de l'UICN et du CNRS Actions locales et nationales

Journal associatif et sans publicité déposé au dépot légal de la Bnf. Achevé d’imprimer en mars 2022. Ne pas jeter sur la voie publique - Numéro ISSN : 2495 - 9847 - Numéro CPPAP : 0624 G 93965.

PRIX LIBRE


Le Tout Va Bien Le magazine TVB est l’un des principaux outils de l’association Tout Va Bien qui a pour objet social la diffusion de solutions et de connaissances à impact positif sur l’environnement, la société et le vivre-ensemble. Inspiré du journalisme de solutions, TVB a créé en 2016 le principe de l’initiative au kilomètre. En relayant les démarches inspirantes d’acteurs locaux, de manière participative avec tous les citoyens, l’association espère stimuler les envies d’agir à côté de chez soi. Nous partageons également des intiatives inspirantes venues d'ailleurs et des avis d'experts permettant de comprendre les enjeux. L'association développe également des actions socio-culturelles d'éducation populaire, essentiellement autour de l'éducation aux médias. Nos actions permettent souvent d'apprendre en faisant, de découvrir des outils pour créer et vérifier l'information.

Édito Nous fêtons cette semaine le printemps, la renaissance, la vie qui reprend ses droits et nous avions envie, à cette occasion, de célébrer le vivant et la biodiversité. Une première partie est consacrée à la compréheion de la biodiversité et de ses enjeux. La seconde partie vous montre comment agir, individuellement avec l'infographie, ou avec des initiatives existantes à Lyon, Marseille, dans le Rhin et le Jura. Nous espérons vous apporter une bouffée d'inspiration pour renouer avec la nature, avec plus de photos que d'habitude, et une ode au vivant et à la beauté, plus que jamais nécessaire. Retrouvez-nous aussi fin avril pour découvrir encore plus de solutions avec notre événement autour de la Fresque de la biodiversité. Belle lecture et joyeux printemps. Laurianne Ploix

SOMMAIRE

Comprendre la biodiversité 4&5 6

La liste rouge de l’UICN, baromètre de l’état de santé des espèces et outils d’action

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Cadre mondial pour la biodiversité : le projet post-2020

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Béatrice Kremer-Cochet : « La France possède tous les atouts pour être le pays du réensauvegement »

Les solutions existantes 10 & 11 À Lyon, les semences reprennent vie 12

Le centre Athénas soigne et relâche la faune sauvage

13

Ramsar biodiversité : protéger la faune des zones humides

14 & 15 En Méditérrannée, des nurseries pour la sauvegarde de la bioiversité 16 & 17 RézoTopia, des îlots de biodiversité sur les toits du Grand Lyon 18 & 19 20

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Laurent Godet du CNRS : « Il faut apprendre à vivre en harmonie avec la nature »

Directrion de Publication Laurianne Ploix

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Secrétariat de rédaction Clément Navoret Comité de rédaction Raphaëlle Vivent Élodie Horn Marie Albessard Mise en page Clara Barge et Laurianne Ploix

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COMPRENDRE LA BIODIVERSITÉ ET SES ENJEUX


BIODIVERSITÉ

Comprendre

« Il faut apprendre à vivre en harmonie avec la nature »

L

aurent Godet, directeur de recherche au CNRS et biogéographe en biologie de la conservation, nous explique ce qu’est la biodiversité, les menaces qui pèsent sur elle et les solutions pour la protéger.

TVB : Lorsque l’on parle de « biodiversité », qu’est-ce que cela veut dire ? LG : La biodiversité, c’est la diversité du vivant à toutes les échelles. On a souvent tendance à la voir comme la diversité des espèces, mais on parle bien de diversité des gènes jusqu’aux écosystèmes, à toutes les échelles de temps, d’espace et incluant les interactions entre les différentes composantes du vivant. On sait qu’aujourd’hui on a décrit environ 2 millions d’espèces, toutes confondues : bactéries, champignons, plantes, animaux, etc. On pense qu’il y en a probablement 10 millions sur terre. 10 000 espèces environ sont décrites chaque année, mais ce qui est dingue c’est que certaines disparaissent avant même qu’on les décrive !

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TVB : On dit que l’on vit la 6e crise d’extinction du vivant. Qu’est-ce que cela signifie et en quoi cette crise est-elle différente des précédentes ? LG : On sait que la terre a 4,5 milliards d’années et que le vivant est apparu il y a 3,5 à 3,6 milliards d’années. Depuis son apparition, on estime que 4 milliards d’espèces se sont succédées sur terre et que 99 % d’entre elles ont disparu à un moment ou à un autre. L’extinction d’espèces est un phénomène commun, qui s’équilibre avec l’apparition de nouvelles. L’histoire du vivant a été ponctuée de cinq grandes crises : l’ordovicien, le dévonien, le permien, le trias et le crétacé. La définition d’une crise, c’est un épisode plutôt bref à l’échelle des temps géologiques (quelques dizaines de millions d’années, voire moins), durant laquelle les trois quarts des espèces ou plus disparaissent à l’échelle de toute la planète. Aujourd’hui, l’originalité de la 6e crise que nous vivons, c’est qu’elle est très rapide et essentiellement due aux humains et à leurs activités. Elle touche beaucoup les mammifères et les oiseaux mais on s’aperçoit qu’elle touche aussi énormément de groupes taxonomiques* et qu’il y a une chute d’abondance, y compris chez les espèces communes.


BIODIVERSITÉ

Comprendre TVB : Justement, on parle souvent des espèces emblématiques mais près de nous, certaines sont-elles en danger ?

TVB : Quelles sont les causes de cette crise d’extinction et quelles menaces pèsent sur la biodiversité ? LG : Les causes sont quasi exclusivement anthropiques (liées à l’homme et ses activités). Ce qui est paradoxal, c’est qu’on les connaît mais cette crise se poursuit. Parmi les causes les plus connues, le réchauffement climatique très rapide et violent, particulièrement préjudiciable aux espèces vivant dans les hautes latitudes (pôles nord et sud) et en altitude. Une autre cause est la disparition et la fragmentation des habitats naturels. Ensuite, il y a les invasions biologiques, cause d’extinctions massives, surtout dans les milieux insulaires. L’homme arrive, introduit des espèces comme le chat, le rat, la souris… qui supplantent celles endémiques (les espèces propres au territoire, initialement présentes). Les autres facteurs sont la surexploitation du vivant et la pollution, essentiellement l’utilisation massive de pesticides liées à l’agriculture, qui a notamment causé une hécatombe chez les insectes dans les campagnes européennes.

TVB : Quelles solutions émergent pour protéger la biodiversité ? LG : Je pense qu’il y a 4 fronts qui doivent être menés ensemble. Si la crise se poursuit, c’est qu’on continue d’augmenter les pressions : il faut lutter contre le réchauffement climatique et l’érosion de la biodiversité.

© L. Godet

LG : Oui, les oiseaux communs des campagnes subissent des chutes d’abondance de l’ordre d’un tiers chez beaucoup d’espèces associées au milieu agricole, dont certaines très communes comme l’alouette des champs, la tourterelle des bois, etc. Certaines espèces qui nichaient en France ont disparu, comme la pie-grièche à poitrine rose ou la grande outarde. Le phoque moine qui se reproduisait autour de Marseille et en Corse a été victime de la chasse. On a perdu des mammifères et des oiseaux très récemment et si on remonte un peu plus, on avait des élans en France jusqu’au Xe siècle, des aurochs jusqu’au XIIe siècle…

Il faut arrêter de consommer de l’espace inutilement (rocades, ronds-points, etc.) qui coupent les habitats. Si on veut stopper les invasions biologiques, il faut réguler les échanges liés à la mondialisation. Il faut aussi arrêter le prélèvement d’espèces menacées car certaines, bien qu’inscrites sur la liste rouge de l’UICN, sont autorisées à la chasse ! Sur les 64 espèces d’oiseaux chassées, 20 y figurent. Il faut également continuer, étendre et renforcer les mesures qui ont fait leurs preuves comme les aires protégées et la protection d’espèces. Enfin, il faut apprendre à vivre en harmonie avec la nature, la laisser déborder dans les espaces dans lesquels on vit et réapprendre à vivre avec les espèces qui reviennent spontanément, comme le loup.

TVB : Et au niveau des citoyens ? LG : C’est la question qu’on se pose sans cesse ! Je ne suis pas contre les petits gestes écocitoyens du quotidien, ce n’est pas inutile. Je ne crois pas à une réponse qui viendrait des politiques. Je crois à une échelle intermédiaire entre les deux, au fait d’investir les collectifs qui nous environnent et de faire bouger les choses dans les structures dans lesquelles on est déjà : dans son travail, son lieu de vie, sa commune… Je pense qu’il faut créer ou stimuler des micro-foyers de résistance. * La taxonomie ou taxinomie est une branche des sciences naturelles qui a pour objet l’étude de la diversité du monde vivant. Cette activité consiste à décrire et circonscrire en termes d’espèces les organismes vivants et à les organiser en catégories hiérarchisées appelées taxons.

Marie Albessard

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Comprendre

La liste rouge de l’UICN : baromètre de l’état de santé des espèces

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epuis sa création en 1964, la liste rouge dressée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) – aidée d’un cortège de scientifiques et naturalistes spécialistes des espèces – est une référence en matière d’état de santé des espèces. Malgré un bilan de plus en plus critique, la liste rouge permet d’impulser et d’orienter des actions de conservation et de protection.

« La liste rouge mesure le risque d’extinction des espèces dans le monde. À chaque nouvelle actualisation, on voit la confirmation de la gravité de la situation » se désole Florian Kirchner, responsable du programme « Espèces » au sein du comité français de l’UICN. Sur les 138 374 espèces recensées, 38 543 sont menacées d’extinction, à tous les niveaux. 41 % des amphibiens, 14 % des oiseaux, 26 % des mammifères et « Lorsqu’on agit à temps et de la bonne façon, 34 % des conifères, on peut restaurer des situations favorables » entre autres, le sont au niveau mondial. Florian Kirchner de l’UICN Chaque année, l’UICN évalue de nouvelles espèces et en réévalue une partie. 10 000 experts participent à l’élaboration de cette liste, « souvent des scientifiques ou des naturalistes chevronnés sur le terrain, indique Florian Kirchner. Nous avons besoin de données scientifiques et de l’expertise des personnes ». Les critères étudiés pour catégoriser les espèces « en danger critique », « en danger » ou « vulnérable » sont les suivants : taille de la population, aire de répartition géographique, degré de peuplement et fragmentation de la répartition.

Recenser les espèces menacées pour mettre en place des mesures adaptées Le congrès mondial de la nature de Marseille de septembre 2021 a été l’occasion de communiquer l’actualisation de cette liste. Parmi les changements, le dragon de Komodo – plus grand lézard du monde et espèce endémique d’Indonésie - passe de « vulnérable » à « en danger ». « Malgré la protection de son habitat (le HS TVB #25 - P.6

parc national de Komodo, NDLR), le dragon de Komodo est menacé par le changement climatique. Du fait de la hausse des températures et de l’élévation du niveau de la mer, des projections montrent une réduction de son lieu de vie. » Également réexaminée, la situation des raies et requins s’aggrave, avec 37 % des espèces menacées en raison d’une surpêche et de l’absence d’entente entre les États sur les quotas, selon l’expert de l’UICN.

Le thon rouge sort de la liste des espèces menacées « Malgré tout, il y a chaque année de bonnes nouvelles, qui sont pour nous d’importantes bulles d’espoir car elles font suite à des actions pertinentes. Ça montre que lorsqu’on agit à temps et de la bonne façon, on peut restaurer des situations favorables », dit-il encore. Par exemple, le thon rouge, dont l’effondrement de s stocks avait conduit à l’inte rdiction de sa pêche . « Heureusement qu’on a fait cela à temps car ils ont retrouvé de la vigueur au point que 4 des 7 espèces les plus exploitées commercialement voient leur situation s’améliorer », précise encore Florian Kirchner. Plus qu’un outil scientifique et d’alerte, la liste rouge sert surtout à orienter les actions de protection, « autant des politiques publiques que les stratégies des associations, insiste Florian Kirchner. La liste rouge est utilisée par tous les acteurs de la préservation de la nature pour orienter l’action ». Marie Albessard


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Comprendre

Cadre mondial pour la biodiversité : le projet post-2020

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a convention de l’ONU sur la diversité biologique a présenté le 12 juillet 2021 son projet de cadre mondial pour la biodiversité pour l’après-2020. Il fixe plusieurs grands objectifs sur lesquels les États devront s’entendre lors de la COP15 Biodiversité, qui doit se tenir à Kuming en Chine, au printemps 2022. Mais certaines associations écologiques craignent que le texte n’aille pas assez loin.

néfastes pour la biodiversité ou l’augmentation d’au moins 200 milliards de dollars par an des financements en faveur de la biodiversité, en priorité ceux destinés aux pays émergents. S’il doit encore être signé par les 196 pays participant à la COP15 Biodiversité au printemps prochain, ce texte a été qualifié d’ « ambitieux » par plusieurs associations écologistes.

Ne pas répéter les échecs des objectifs d’Aichi

« Le nouveau projet marque une étape importante dans les efforts mondiaux nécessaires et urgents pour protéger la nature », écrit ainsi « L’avenir de l’humanité dépend l’ONG Campaign for nature de nos efforts collectifs ». Face dans un communiqué. à l’ampleur de l’effondrement L’ONG WWF estime, elle, que de la biodiversité et les le projet contient de nommenaces que cette situation breux éléments nécessaires, fait peser sur l’humanité, le permettant « d’inverser secrétaire général de l’ONU, efficacement la perte de la Antonio Guterres, a réitéré nature ». « Pour autant, nous le 30 août dernier son appel sommes déçus du fait que, à une action internationale globalement, l’ambition et immédiate. Coordonner une l’urgence caractérisant le série de mesures ambiteuses, projet de cadre sont en deçà c’est justement l’objectif du de celles qui s’imposent », cadre mondial post-2020, tempère l’association dans dont un projet a été élaboré son communiqué. WWF par la convention de l’ONU craint notamment que se sur la diversité biologique : le répète l’échec des objectifs projet CDB. Le texte prévoit 10 d’Aichi, une pemière tenétapes à franchir et 21 cibles* à tative d’action mondiale atteindre d’ici 2030 pour lutter coordonnée par la CBD et contre les causes de la chute de signée par 200 pays. Ainsi, la biodiversité et « permettre la au cours de la décennie reconstitution des écosystèmes 2010-2020, aucun des 20 naturels au cours des vingt objectifs fixés n’a été atteint. années suivantes ». Objectif Pour éviter une telle situa« D’ici à 2050, la biodiversité est appréciée, final : « vivre en harmonie avec tion en 2030, WWF propose conservée, restaurée et utilisée de manière la nature » à l’horizon 2050. plusieurs pistes, comme judicieuse, ce qui permet de maintenir les services l’adoption d’un « puissant écosystémiques, de préserver la santé de la planète 30 % d’espaces protégés mécanisme de mise en et de procurer des avantages essentiels à tous » oeuvre » des actions, pour Parmi ces propositions, on Projet de la CBD obliger les États à rendre trouve la protection et la des comptes. « Nous ne nous conservation « d’au moins 30 % attendons pas à un échec » des espaces terrestres et des espaces maritimes au niveau à Kuming, a pour sa part déclaré la secrétaire générale mondial par le biais de systèmes d’aires protégées efficaces », de la CBD Elisabeth Maruma Mrema lors des premières dont 10 % en protection stricte à l’échelle de la planète. Autre négociations à Rome en février 2021, assurant que les objectif : une lutte drastique contre la pollution, avec la erreurs du passé avaient été apprises. réduction des pertes d’engrais dans l’environnement « d’au moins 50 % » et les pertes de pesticides d’ « au moins deux * Retrouvez tous les objectifs sur le site de la Convention de tiers » ainsi qu’un abaissement des émissions de gaz à effet l’ONU sur la diversité biologique : www.cbd.int de serre d’au moins 10 gigatonnes d’équivalent de CO2 par an. La convention pour la diversité biologique (CDB) propose Raphaëlle Vivent également des mesures financières, comme la réduction d’au moins 500 milliards de dollars par an des subventions HS TVB #25 - P.7


BIODIVERSITÉ

Comprendre

L’Europe réensauvagée :

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éatrice Kremer-Cochet et Gilbert Cochet, en couple à la ville, sont aussi tous deux naturalistes de profession. Ayant fait émerger la notion anglo-saxonne de « rewilding », la traduisant par « réensauvegement » en français, les deux chercheurs démontrent que l’Homme a tout intérêt à laisser la place à la Nature.

TVB : Une de s pre mière s e xpérie nce s de rewilding concerne le parc de Yellowstone en Amérique du Nord et date des années 1990, pouvez-vous nous en dire plus sur ces prémices ? BKC : Le concept de rewilding est effectivement originaire d’Amérique du Nord. Yellowstone est un des exemples de projet de réensauvagement qui a été mené dans les années 1990, avec une louve qui s’appelait Pluie. En la suivant pendant deux ans, ils réalisent qu’elle parcourt de grandes distances et que les parcs protégés sont trop petits. Un programme en cours permettra de relier Yellowstone au Canada, via un corridor protégé. C’est à ce moment-là que le rewilding a été pensé. Quand nous avons commencé à nous y intéresser, il n’y avait pas encore de traduction française pour ce dispositif et nous avons opté pour le « réensauvagement ».

TVB : En quoi consiste exactement ce concept de « réensauvagement » ?

TVB : Comment se déroule un réensauvagement passif ? BKC : C’est une forme de résilience de la nature qui est possible lorsqu’il reste des « poches », c’est à dire une

TVB : Comment pourrait-on concrètement endiguer cette surexploitation ? GC : Depuis quelques années, en France, contrairement à ce que l’on pourrait croire, 60 000 hectares sont rendus à la forêt chaque année et on assiste à une reprise des droits de la nature. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, avec la crise des énergies fossiles, on risque d’assister à un retour en arrière. C’est l’exploitation des énergies fossiles qui a permis de baisser l’exploitation forestière, puisque le bois a été remplacé massivement par le plastique, fabriqué à base de pétrole. Comme nous sommes en pleine crise de ces ressources, puisque l’on réalise qu’elles sont limitées, il devrait y avoir un devoir de mémoire écologique pour ne pas assister à un nouveau recul. Sans ce devoir de mémoire, on risque d’assister à un retour de l’utilisation massive du bois.

TVB : Quelle solution pourrait être envisagée pour protéger ces zones et la biodiversité ? BKC : Nous sommes un pays peu peuplé, nous avons la potentialité de créer des zones protégées en France mais nous avons du mal à nous occuper de la nature. Pourtant nous sommes le pays d’Europe qui a la possibilité d’avoir l’écosystème le plus varié, puisque tous les paysages sont représentés, du niveau de la mer au plus haut sommet d’Europe, mais aussi tous les climats. Nous pourrions être le pays du réensauvagement, surtout que durant les confinements successifs, il y a eu une prise de conscience du besoin de nature et de l’émerveillement qu’elle procurait. Cela a été une véritable révolution de voir des animaux sauvages revenir dans nos villes. Selon Edward Wilson, un biologiste américain, pour enrayer la 6e extinction de masse, il faudrait restituer 50 % de notre planète à la Nature. En France, 1 % de notre territoire est en libre évolution en étant complètement protégé, notamment au cœur des parcs naturels. Une marge de progression est complètement possible. Élodie Horn

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© G. Cochet

GC : Le loup a été réintroduit à Yellowstone en 1992 et cela a eu un impact global sur la biodiversité. La présence du loup a dispersé les wapitis, ce qui a permis de régénérer l’écosystème en entier. Une nouvelle faune ainsi qu’une nouvelle flore ont été créées. Cela a attiré les castors, les oiseaux et a eu un impact sur la rivière. Le rewilding consiste vraiment à faire confiance à la nature, alors qu’on a plutôt tendance à considérer qu’il faut tout gérer. Un réensauvagement peut donc être actif, comme dans le cas de Yellowstone où le loup a été réintroduit, mais peut aussi être passif, ce qui a été le cas du loup en Europe.

réserve d’individus, comme c’était le cas du loup en Espagne, en Italie et en Allemagne. Ce dernier s’est reproduit et est parti à la reconquête de ses anciens territoires qui en avaient été autrefois vidés. Le loup, une fois de retour en Europe de l’ouest, découvre des territoires riches en espaces. La même chose s’est déroulée avec des espèces forestières. Alors que la France était recouverte de forêts il y a quelques siècles, en 1950, il ne restait plus que 12 % du territoire qui en était pourvu, la faute à un besoin de gestion, de jardinage. En voyageant en Europe de l’est et à l’étranger, nous avons découvert une exploitation et un rapport à la nature différents.

© B. Kremer-Cochet

« La France possède tous les atouts »


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AGIR LES SOLUTIONS EXISTANTES


BIODIVERSITÉ

Agir

À Lyon, les semences reprennent vie

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jn partant à la recherche des semences nées dans la région lyonnaise, un groupe de scientifiques a retrouvé une partie de la biodiversité horticole qui a failli disparaître. Des jardins et des expérimentations sont en cours pour faire fructifier des semences retrouvées aux quatre coins du globe.

Lyon n’est pas qu’une terre de football ou de gastronomie, la capitale des Gaules s’est aussi illustrée au XIXe siècle comme le deuxième centre horticole d’Europe. La Monstrueuse de Lyon, le cardon vert de Vaulx-enVelin ou encore la Gloire des Rosomanes, ont toutes en commun d’être des variétés conçues localement. Il s’agit respectivement d’une variété de tomate rouge et charnue, d’un légume doté de longues tiges vertes, consommé essentiellement en gratin et de la plus ancienne variété de rose connue dans la région, qui en aurait abrité jusqu’à 3000 espèces. Elles ont aussi pour particularité de représenter l’incroyable richesse du bassin horticole lyonnais qui a pourtant failli disparaître. C’est sans compter sur le travail du CRBA, le Centre de Ressources de Botanique Appliquée, créé en 2008 par Stéphane Crozat et Sabrina Novak, en découvrant l’importance de ce patrimoine. « Le CRBA a été fondé suite au travail de recherches de Stéphane Crozat. Ethnobotaniste de formation, de 2003 à 2008, il est chargé d’études au CNRS et travaille sur un projet de recensement horticole de la région lyonnaise.

Pour voir les réactions et la résistance des semences, le jardin est cultivé sans intrants faisant le bonheur de la biodiversité alentour. © E. Horn

HS TVB #25 - P.10

Il réalise qu’une grande partie des semences locales ont disparu. En faisant un véritable travail d’enquêteur, il remonte jusqu’à l’Institut Vavilov, la quatrième plus grande banque de semences mondiale à SaintPétersbourg, qui abrite de nombreuses semences locales », précise Sabrina Novak, directrice adjointe du CRBA.

Des recherches sur la résistance des semences Ce travail titanesque de recensement a été réalisé au XIXe siècle par Nikolaï Vavilov, un botaniste russe qui parcourut la planète afin de répertorier ces espèces de son vivant. De la même façon, des expéditions sont par la suite organisées par le CRBA pour ramener les fameuses semences jusque sur leur terre d’origine. « Nous avons commencé par faire des inventaires du passé. Nous avons retrouvé des variétés russes, mais aussi de Colombie, d’Angleterre et beaucoup de variétés de la région que l’on pensait perdues. Aujourd’hui nous faisons des tests pour vérifier la résilience de ces semences et savoir lesquelles pourraient être intéressantes, notamment dans le cadre de l’adaptation au réchauffement climatique. Nous testons des techniques du passé pour envisager le futur », indique Sabrina Novak. Un jardin nommé Melchior doté de 3 hectares et demi et situé sur la commune de Charly, dans la Métropole de Lyon, accueille depuis la pandémie un jardin expérimental.

Le CRBA qui ne comptait que deux membres au départ, s’est depuis agrandi et 11 personnes sont désormais employées par le centre. © E. Horn


BIODIVERSITÉ

Agir Des culture de blés, d’orges et d’épeautre ont été semées au jardin Melchior dans l’idée de sélectionner les semences les plus intéressantes. © E. Horn

Des semences ramenées de ces différents pays sont testées, aussi bien des légumes, des céréales que des fruitiers. L’ambition du CRBA est désormais de les faire fructifier. Ne pouvant les commercialiser, elle collabore avec des producteurs de la région pour les expérimenter en fonction de leurs besoins et ne garder que celles qui pourraient être intéressantes en nos latitudes. Une façon de remédier à l’érosion de la biodiversité semencière et de l’adapter aux besoins futurs. Élodie Horn

Le Centre de Ressources de Botanique Appliquée (CRBA) a été cofondé par Sabrina Novak et Stéphane Crozat sous forme associative, en 2008. © E. Horn

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Agir

Ce circaète a eu les plumes abîmées par des ectoparasites, après avoir passé plusieurs semaines au sol. L’équipe du centre Athenas lui installe des plumes d’un animal similaire. © M. Albessard

Le centre Athenas soigne et relâche la faune sauvage

À

L’Etoile ( Jura), le centre de soins Athenas recueille les animaux sauvages blessés qui leur sont lapportés par des particuliers : rapaces, oiseaux, hérissons, tortues… et le lynx boréal, dont la population vit essentiellement dans le massif du Jura. Seul centre de France habilité à les recevoir, son action a déjà permis de soigner et relâcher une vingtaine de spécimens de cette espèce protégée.

Ce jour-là, dans l’infirmerie du centre Athenas, c’est l’effervescence. Tous s’activent autour d’un circaète Jean-Le-Blanc endormi. L’animal, amené par un particulier, est en pleine « greffe de plumes » : des plumes ont été prélevées sur un animal similaire mort et lui sont installées pour remplacer celles abîmées. « Il est resté plusieurs semaines au sol suite à une blessure et ses plumes ont été abîmées par des ectoparasites. C’est un animal qui migre jusqu’en Afrique subsaharienne donc il a besoin d’un plumage en bon état pour parcourir de longues distances », explique Gilles Moyne, co-créateur du centre. Cette manipulation, les salariés la mènent couramment car elle permet de relâcher les animaux plus vite dans la nature. Créé en 1987, le centre de soins Athenas ne cesse de recevoir de plus en plus d’animaux sauvages blessés. Cet été, il en a accueilli 2 600 ! Parmi lesquels des martinets, buses, hérissons, tortues, cigognes, rapaces, chats forestiers… et le lynx boréal, habitant du massif du Jura.

Des blessures dues aux interactions plus nombreuses avec l’homme « L’emprise de l’homme sur le milieu naturel augmente de façon constante et impacte de plus en plus les espèces. Le hérisson, par exemple, se réfugie dans les zones péri-urbaines car les zones agricoles sont devenues peu accueillantes », ajoute Gilles Moyne. HS TVB #25 - P.12

Les animaux sont victimes d’un environnement devenu inhospitalier, de l’impact des pesticides, de blessures dues à des interactions avec des animaux domestiques, de collisions routières ou de l’action de l’homme. C’est le cas du lynx, souvent accidenté ou victime d’actes de braconnage (c’est pourtant un animal protégé). « En 2020, nous avons trouvé deux cadavres mais on sait que le bilan est plus lourd, car on recueille aussi de jeunes lynx affamés. Or, une mère lynx n’abandonne jamais ses enfants avant qu’ils ne soient autonomes, explique Gilles Moyne. C’est un problème culturel, une partie des chasseurs n’accepte pas l’idée qu’ils convoitent les mêmes proies qu’eux ».

Sauver les animaux sauvages et les étudier Seul grand félin présent en France, le lynx avait disparu à la fin du XXe siècle avant de réapparaître à partir des années 1970, suite à des programmes de réintroduction. Il fait à présent l’objet d’un plan national d’actions. Le centre Athenas a déjà accueilli 70 spécimens ( jusqu’en septembre 2021), dont 22 ont été relâchés dans leur milieu naturel, équipés de balises. « Nous ne sommes pas juste une infirmerie, nous voulons être un acteur de la conservation, contribuer à la connaissance des espèces » ajoute le co-fondateur. Avec parfois de belles histoires, à l’image d’une femelle qui, ayant perdu un croc dans un choc avec une voiture, avait peu de chances de survie à l’extérieur. La mobilisation d’une cohorte de professionnels (vétérinaire, dentiste, prothésiste…) a permis au félin d’être relâché avec un croc en chrome cobalt (une première !) et d’avoir, depuis, une portée de petits. Marie Albessard


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Agir

Ramsar biodiversité : protéger la faune des zones humides

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ans la région du Rhin supérieur, des associations françaises et allemandes ont collaboré pour développer puis pérenniser les effectifs de six espèces d’animaux menacées ainsi que leur habitat. Une action transfrontalière qui a porté ses fruits.

Immenses réservoirs de biodiversité, les zones humides sont parmi les plus impactées par le réchauffement climatique. Plus d’un tiers d’entre elles ont ainsi disparu entre 1970 et 2015 à l’échelle mondiale, selon un rapport de la Convention internationale sur les zones humides. Dans le Rhin supérieur, entre la région Grand Est et le BadeWurtemberg en Allemagne, un projet transfrontalier a vu le jour en 2016 pour protéger et pérenniser les espèces de cette grande zone humide, fragilisée au fil des décennies par l’artificialisation des sols et l’agriculture intensive. « Le projet est né avec l’idée que les espèces ne connaissent pas de frontières », explique Alexandre Gonçalves, chargé de mission environnement au sein de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) Alsace, l’association porteuse du projet.

Six espèces « parapluie » Lors de la première phase du projet, intitulé Ramsar Rhinature, la LPO et son équivalent allemand, la NABU, ont étudié une soixantaine d’espèces menacées pour mettre en place un plan d’action. Pour la deuxième phase de Ramsar biodiversité, démarrée en 2019 et financée pour moitié par l’Union européenne, les associations se sont concentrées sur six espèces dites « parapluie ». « Il s’agit d’espèces qui ont de fortes exigences écologiques. Ainsi, en les protégeant, en « ouvrant le parapluie », ce sont de nombreuses autres espèces qui sont également protégées », précise Alexandre Gonçalves. Sont concernés par le programme : quatre oiseaux, le Râle d’eau, le Vanneau huppé, la Chevêche d’Athéna et le Stern pierregarin, une grenouille, la Rainette verte, et une chauve-souris, le Murin de Bechstein. Ces espèces sont également « chacunes représentatives d’un biotope particulier (agricole, prairial, humide, pionnier, forestier, aquatique) et révélatrices de la bonne santé de ce milieu », détaille la LPO. Sur 2 900 hectares des deux côtés du Rhin, ainsi qu’en Suisse pour la Rainette verte, plusieurs

© R. Vivent

mesures de protection ont été mises en place, notamment pour recréer des conditions favorables à la reproduction.

Des résultats «très satisfaisants” Chaque espèce a pu bénéficier d’un programme spécifique. « Le Vanneau huppé, par exemple, fait son nid à même le sol, dans une végétation peu dense, et se nourrit d’insectes trouvés au bord de petits cours d’eau et de mares. Pour lui, nous avons donc créé de grandes dépressions humides où il peut se nourrir et faire son nid au sein des zones agricoles ou des prairies ». Parmi les autres mesures, on trouve la création de nichoirs et de mares, l’installation de radeaux flottants sur le Rhin ou le terrassement de digues… Des actions qui ont porté leur fruit, assure le chargé de mission environnement, même si le travail de recensement des associations a été perturbé par la pandémie de Covid-19 et les confinements. « Concernant le Vanneau huppé, certains se sont installés près des dépressions, on les a observé, et avec eux, plusieurs autres espèces, comme le crapaud vert, qui est une espèce endémique du Grand Est ». Et alors que le programme a pris fin le 31 décembre, le retour des espèces parapluie a été constaté dans la majorité des sites aménagés. « Les résultats sont très satisfaisants. On a pu faire revenir tout un écosystème sur les sites », confirme Alexandre Gonçalves. Raphaëlle Vivent

La Convention internationale de Ramsar Signé en 1971 à Ramsar, en Iran, ce traité international prône la conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides. En y adhérant, les pays membres s’engagent à : - Assurer l’utilisation rationnelle de leurs zones humides ; - Inscrire des sites sur la Liste de Ramsar des zones humides d’importance et veiller à leur conservation ; - Coopérer pour les zones humides transfrontalières et autres intérêts communs. Aujourd’hui, 170 pays ont adhéré au traité et 2 424 sites ont été HS TVB #25 - P.11 inscrits sur la Liste de Ramsar, ce qui représente plus de 254 millions d’hectares protégés.


BIODIVERSITÉ

Agir

En Méditerranée, des nurseries pour la sauvegarde de la biodiversité

A

u grand port maritime de Marseille, Ecocéan a installé des nurseries à poissons et son laboratoire de recherches, où leurs différentes méthodes de préservation d’espèces marines sont expérimentées. À la clé, un même objectif : permettre à une majorité de spécimens d’atteindre leur taille refuge et de maximiser leurs chances de survie.

d’atteindre leur « taille refuge », c’est à dire une taille d’au moins 7 cm de long qui leur permet de multiplier leurs chances de survie », souligne Sabrina Palmieri. La mer Méditerranée et sa biodiversité sont largement menacées, touchées de plein fouet par la pollution plastique, le réchauffement climatique et la surpêche. Avec une chute de moitié des populations de vertébrés des écosystèmes marins du bassin méditerranéen, la Méditerranée qui abrite 28 % d’espèces endémiques, a vu sa biodiversité complètement s’effondrer. La première population concernée ? Les poissons. La Méditerranée s’est vidée de 52 % de ses espèces en l’espace de 30 années.

Un abri dans une zone artificialisée

Les biohuts marseillaises sont installées sur le port. L’objectif : devenir un abri pour les plus jeunes espèces et leur permettre d’atteindre leur taille refuge. © E. Horn

À douze heures tapantes, le soleil est à son zénith, rendant l’eau translucide aux abords du port maritime de Marseille. La clarté de la Méditerranée en cette chaude journée d’août, permet de distinguer clairement des bancs de poissons d’une quarantaine de centimètres de long en train de nager non loin des rochers du bord. « Ce sont des prédateurs », indique Sabrina Palmieri, responsable marketing et communication d’Ecocean, une SAS montpelliéraine spécialisée dans l’élevage et la réintroduction d’espèces marines, dont une partie des locaux sont installés à Marseille. Deux méthodes principales ont été élaborées par la société créée en 2003 pour ce faire, grâce à l’installation de « biohut » et dernièrement, la création d’une ferme d’élevage. Ce sont ces fameuses « biohuts », ou petites maisons à poissons, qui attirent par ailleurs les plus gros. Leur intérêt ? À cause de leur taille, ces derniers ne peuvent justement pas y accéder. Bien à l’abri, les poissons et autres espèces marines peuvent s’y réfugier et grandir en toute sécurité. « Grâce aux biohuts, ces espèces ont bien plus de chances HS TVB #25 - P.14

Pour favoriser la restauration de la biodiversité, Ecocéan équipe de nurseries à poissons des zones artificialisées, dont une majorité des ports de Méditerranée. Alors que de l’extérieur, on distingue uniquement la structure imposante de la biohut, qui pèse en moyenne 30 kg, à l’intérieur, c’est un écosystème entier qui se développe et qui permet de favoriser le taux de survie des larves, d’où l’image de la nurserie. « Ici, il s’agit d’une biohut « digue » installée dans les enrochements. Les biohuts sont des petites maisons à poissons et ce que l’on voit n’est que la partie visible du dispositif. Tout est rempli de coquilles d’huîtres et de nourriture. À l’intérieur, les poissons trouvent le gîte et le couvert. Ces nurseries sont installées dans des zones artificialisées et non pas dans des Calanques parce qu’ici ils n’ont plus d’habitat naturels pour se réfugier. Pourtant, ils sont tout aussi nombreux dans des zones artificialisées que naturelles. En moyenne, on retrouve une vingtaine d’espèces dans un port », indique Sabrina Palmieri. Pour réaliser ces habitats, Ecocéan essaie au maximum de récupérer localement de quoi les construire, comme des biodéchets issus de la production de cannes de Provence.


« Nous utilisons aussi des noix de coco, ce n’est évidemment pas local, mais ce que nous avons trouvé de plus solide et d’efficace comme matériaux naturels pour rester immergés plusieurs années. Au départ nous utilisions des moules mais ils se détérioraient trop vite. En moyenne, on les voit s’abîmer au bout de cinq ans », ajoute Sabrina Palmieri. Aujourd’hui 32 ports sont équipés de ce dispositif, la majorité sur le pourtour méditerranéen, mais aussi deux en Bretagne. Lors de recensements d’espèces dans ces habitats qui sont organisés chaque année à deux reprises, jusqu’à 250 espèces ont pu être répertoriées, avec une moyenne d’une centaine d’espèces sur les 32 biohuts observées.

Une ferme d’élevage de larves en renfort À quelques encablures des biohuts du port, à l’intérieur d’un petit bâtiment qui abrite désormais le centre de recherches d’Ecocéan, s’active Pierre Usaï. En formation de technicien spécialisé en aquaculture, il effectue son stage au sein d’Ecocéan. À l’expérience des nurseries, la SAS a ajouté une ferme d’élevage de larves. Dans le local tout en longueur, des aquariums où l’on distingue de tout petits poissons, souvent encore transparents et de plus grands bacs se succèdent. Pierre est en train d’effectuer le nourrissage des larves pêchées pour certaines, seulement quelques semaines auparavant. Pêchées par des pêcheurs artisanaux des environs, eux-même sensibilisés à la question environnementale, leur rôle est de ne garder que les plus petits spécimens. L’objectif est le même que les biohuts : permettre à un maximum d’espèces d’atteindre leur taille refuge. « Nous pouvons avoir jusqu’à 5 000 poissons en même temps dans la ferme. Lorsque nous les pêchons, ils mesurent de 7 mm à 1 cm. Au bout de 6 à 7 mois, nous pourrons les relâcher, ce qui leur permettra d’atteindre 60 % de chances de survie supplémentaires », précise Pierre, tout en réhydratant des œufs d’artémias destinés à nourrir les rougets, âgés de 2 à 3 semaines. Pour que

Les biohuts ne sont pas installées dans des zones artificialisées par hasard, cela permet aux poissons de trouver un abri dans des secteurs où ils sont particulièrement en danger. © E. Horn

les poissons ne s’habituent pas à la présence humaine et restent à l’état sauvage durant toute la période d’élevage, les heures de nourrissage sont régulièrement modifiés et les poissons ne sont pas tagués. De la même façon que les poissons dans les biohuts, une fois suffisamment grands, ils seront par la suite remis à l’eau afin de réintégrer le cycle naturel. Le premier projet de réintroduction de poissons d’Ecocéan, « Biorestore », avait été réalisé de 2013 à 2015. Ils étaient alors bagués. Certains pêcheurs ont retrouvé ou observé, bien après 2015 des poissons qui faisaient partie du projet, encore bien vivants en mer. Élodie Horn

Pierre nourrit les larves de poissons et les bébés poissons dans la ferme d'élevage d'Ecocéan avant de les remettre dans leur espace naturel, suffisamment gros pour survivre. © E. Horn

Sabrina Palmieri développe la partie médiation et événementiels d’Ecocéan en présentant le projet aux enfants, afin de sensibiliser les plus jeunes au sujet de la biodiversité. © E. Horn

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RézoTopia, des îlots de biodiversité sur les toits du Grand Lyon

N

des aménagements à base de végétaux qui nécessitent peu d’entretien comme les vivaces ou les aromatiques, combinés à des aménagements qui serviront de refuges à la faune, comme des nichoirs à oiseaux, pour les martinets et les hirondelles, ou des hôtels à abeilles, etc.

TVB : Qu’est-ce que RézoTopia ?

TVB : À quoi faut-il penser pour que l’installation soit un réel refuge pour la biodiversité ?

DMV : Il s’agit du dernier programme d’Atelier CAPACITES. Lancé en 2019 , il a été mis en application à partir de 2020-2021, avec un peu de retard lié à la situation sanitaire. L’idée est de créer un réseau d’îlots de biodiversité en toitures, à l’échelle de la métropole de Lyon. On a déjà 3 îlots réalisés : un sur le toit de l’IUT Lyon 3, un sur la terrasse de la MJC Confluence et une petite friche sur le CCO ; et on a en a beaucoup « dans les cartons », notamment un sur le toit de la Maison pour tous des Rancy, et sur le Lycée professionnel SaintMarc. On est aussi en discussion avec un Ehpad, avec des promoteurs et les acteurs publics de la métropole pour multiplier les lieux d’implantation de nos îlots-jardins. On est aussi à l’écoute d’initiatives de particuliers qui voudraient faire un projet sur leur toit, notamment dans les copropriétés.

DMV : L’acte de plantation n’est finalement pas le plus important. Les études en amont et les enjeux de gouvernance en aval sont des enjeux de pérennisation bien plus essentiels. En amont, des études d’urbanisme sont réalisées, nous analysons la portance de la toiture, mais aussi des études de faisabilité financière ou végétale. Il faut que cela corresponde à des enjeux de biodiversité en ville et que ce soit réalisable en fonction des acteurs en place. Il faut également penser à la gouvernance après les installations : qui va s’occuper et entretenir les aménagements. Notre travail est surtout d’accompagner ces groupes projets sur l’autonomie et la gestion des sites. On est en assistance mais le post-projet devrait être autonome. Nous souhaitons que cela s’inscrive dans la durée, de faire des ateliers participatifs, etc. Le but à long terme est d’avoir un suivi scientifique des aménagements, de voir comment cela fonctionne et éventuellement les adapter. Nous avons des protocoles scientifiques pour suivre l’évolution et avoir des retours d’expérience de ces installations. Les premiers retours sont positifs et montrent un impact réel favorable au développement de la biodiversité.

lous avons rencontré David-Marie Vailhé, urbaniste de formation et cofondateur d’Atelier CAPACITES qui porte le programme RézoTopia : un réseau d’îlots de biodiversité en toitures. Le but : favoriser le retour de la biodiversité en ville, végétaliser l’urbain, et créer des espaces de rencontres écologiques, sociales, pédagogiques et scientifiques, puisque ces nouveaux espaces seront étudiés de près.

TVB : De quoi sont constitués ces îlots de biodiversité ? DMV : Nous raisonnons biodiversité, donc ce n’est pas de la végétalisation, ni de la mousse végétale. Nous faisons HS TVB #25 - P.16

À la MJC Confluence, on a fait un atelier plantation avec les usagers de la MJC et dans un second temps on a installé 2 hôtels à insectes et des bois morts que l’on met à même les plantations pour héberger d’autres insectes. Parfois, c’est très simple, et pourtant cela porte un réel intérêt pour la faune et pour la flore, un petit écosystème de biodiversité en toiture.


BIODIVERSITÉ

Les trames de couleur

Agir

TVB : Comment faire pour installer un îlot sur son toit ? Faut-il qu’il ait des particularités ? DMV : On est plutôt sur de la toiture terrasse, c’est pour ça qu’on n’est pas sur de la végétalisation qui se fait partout. Nous, nous sommes sur des surfaces planes et accessibles pour pouvoir étudier l’îlot et s’assurer que le projet réponde à une pertinence écologique et sociale. Ensuite, pour les personnes qui souhaitent installer un aménagement, nous avons un questionnaire préalable pour connaître au mieux le site (point d’eau sur place, garde-corps, accès, etc.) et qui questionne également les souhaits. Suite à ces éléments, une réunion de cadrage vient affiner la réalisation du devis. Le but à long terme est que RézoTopia soit autonome financièrement pour créer de l’emploi et couvrir les dépenses de l’association, dont la fourniture des plantations et des semences de qualité et libres de droits. Depuis octobre 2021, une chargée de projet a été embauchée. Enfin, sur toute surface où on peut mettre de la biodiversité, aujourd’hui, on peut et on doit le faire aux vues de l’urgence climatique, cela permet d’agir en faveur de la résilience et conforter la biodiversité de demain. Il ne faut pas avoir peur d’aménager un toit, quel qu’il soit, même 20 m² on y va ! Et il existe des centaines d’hectares sur du foncier en toiture. On a tellement détruit la biodiversité qu’il faut la refaire. On aimerait créer des corridors de biodiversité, des trames vertes et bleues, mais aussi désormais les noires et les brunes (voir encadré). Toute action, quelle qu’elle soit, qui va dans le sens de la biodiversité, il faut la lancer pour qu’on gagne en densité et cohérence.

TVB : Quels sont, selon vous, les enjeux actuels de la biodiversité en ville ? DMV : C’est l’enjeu de pouvoir garantir un cadre de vie de qualité et sain pour le vivant (humains et animaux). Ce n’est pas qu’un enjeu des grandes agglomérations mais de tous les territoires anthropisés, c’est garantir que la vie ait lieu. La disparition du vivant se produit en ville mais aussi à la campagne, notamment à cause des pesticides qui voient les abeilles être aujourd’hui plus nombreuses en ville qu’à la campagne. La biodiversité, c’est ce qui nous permet de vivre, déjà, et de la voir disparaître, c’est nous voir nous disparaître avec. Il faut revenir à notre condition de vivant, cesser de piller nos ressources, revenir au naturel et cesser de croire en la solution miracle de la biodiversité de synthèse.

La trame verte et bleue vise à enrayer la perte de biodiversité, en préservant et en restaurant des réseaux de milieux naturels qui permettent aux espèces de circuler et d’interagir. Ces réseaux d’échanges, appelés continuités écologiques, sont constitués de réservoirs de biodiversité reliés les uns aux autres par des corridors écologiques. La trame verte et bleue inclut une composante verte qui fait référence aux milieux naturels et semi-naturels terrestres et une composante bleue qui fait référence aux réseaux aquatiques et humides (fleuves, rivières, canaux, étangs, milieux humides…). Elle fait le lien entre des îlots parfois isolés, fragmentés ou éloignés, comme les parcs nationaux ,naturels, les réserves naturelles, les espaces Natura 2000, etc. La trame brune est une expression inventée sur le modèle de la Trame Verte et Bleue, appliquée à la continuité des sols. Il s'agit également d'un modèle d'éco-urbanisme. La trame noire consiste en un corridor écologique exempt de pollution lumineuse. Source : ecologie.gouv

compensation écologique, très développée en urbanisme, ne me semble pas du tout pertinente. La préservation du vivant passe aussi par revoir nos sociétés, notre développement humain et notre rapport à la nature. Cette dernière doit être considérée comme un écosystème auquel nous sommes interconnectés. Nous avons besoin de la nature et elle n’a pas besoin de nous, alors qu’on souhaite la soumettre à nos actions. Nous devons sortir de ces rapports de domination et avoir des rapports plus sains avec la nature, tout en travaillant sur l’éducation de toutes et tous, et en mettant plus de cohérence dans les politiques locales. Laurianne Ploix

Projet Sur les Toits du Monde Dans le cadre du dispositif européen MINDCHANGERS, l’équipe d’Atelier CAPACITES et de la Maison des Solidarités locales et internationales ont conçu le programme d’actions « Sur les Toits du Monde » afin de sensibiliser les jeunes aux enjeux du climat et de la biodiversité en ville. Des actions en faveur de la biodiversité en ville et la création d'une exposition photo dédiée aux toitures végétalisées du monde entier sera réalisée.

TVB : Quelles solutions avons-nous pour préserver la biodiversité ? DMV : Pour les déchets : le mieux c’est de ne pas en créer. Pour la biodiversité, même principe : la meilleure solution, c’est de ne pas y toucher. Il nous faut arrêter de considérer la nature comme un support. La mesure de HS TVB #25 - P.17


Quelles actions individuelles par Raphaëlle Vivent

CHEZ MOI (JARDIN, BALCON, ...) J’abandonne les produits phytosanitaires, très nocifs. À la place, je cherche des solutions naturelles pour que le jardin se régule seul.

Stop à la tondeuse ! Je laisse une partie de mon jardin en friche toute l’année pour protéger les populations d’insectes. Je peux aussi abandonner le gazon et passer à une pelouse rustique.

Je privilégie des haies avec des espèces variées. Elles sont un habitat privilégié pour de nombreux oiseaux et insectes. Je plante des espèces locales et variées dans mon jardin ou sur mon balcon. Elles permettent d’éviter les produits chimiques, la prolifération d’espèces invasives et de limiter les apports en eau.

Je creuse une mare ou j’aménage un point d’eau. Cela attirera de nombreuses espèces comme les grenouilles ou les libellules et servira à abreuver les oiseaux.

Je crée des refuges naturels, des micro-habitats favorables. Nichoirs, hôtels à insectes, jardinière de fleurs nourricières, ou simple pot de terre retourné… Certains peuvent s’installer sur des petites surface : un rebord de fenêtre ou un balcon.

J’utilise l’éclairage extérieur avec parcimonie. Ils engendrent une pollution lumineuse qui a de nombreux effets dévastateurs sur la biodiversité (insectes, oiseaux, et autres). J’oriente donc mes éclairages extérieurs vers le bas et je les éteins quand je ne suis pas dehors.

Attention aux chats. Ils sont de grands prédateurs pour de nombreux animaux et la situation est préoccupante à certains endroits notamment dans les outre-mer. Je le fais stériliser pour éviter la prolifération et je favorise les jeux à l’intérieur.

20 millions

de chats domestiques en France

Source : Office français de la biodiversité


pour préserver la biodiversité ? À L’EXTÉRIEUR (DANS LA NATURE, EN VOYAGE) En mer, en forêt ou en montagne, notre passage doit rester le plus discret possible pour ne pas perturber la biodiversité. Je laisse les animaux où ils sont et j’évite de me promener dans les endroits sensibles : zone humide, dunes littorales ou falaises. Je surveille également mon chien. Je signale les animaux blessés ou en difficulté à un des 31 centre de secours à la faune sauvage (Union Française des Centres de Sauvegarde, www.ufcs.fr) Je ne ramène pas d’espèce vivante de voyage, et je ne relâche pas d’animaux exotiques ni ne vide mon aquarium dans la nature. A la pêche, je respecte les tailles, les saisons et les quantités de capure. Je privilégie les méthodes de pêche douce. Et avant37% de partir, je prends soin de bien remettre en place les rochers que j’ai pu déplacer. Ils sont 29% essentiels à la biodiversité.

Je protège les coraux

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des coraux mondiaux sont en danger En snorkeling et en plongée, je reste à distance des coraux et je ne m’accroche pas à eux, même pour les photographier, car l’écrasement des parties vivantes peut suffire à tuer une colonie. Si j’utilise un bateau, je ne jette pas l’ancre à proximité des récifs et des herbiers. Je vérifie également la composition de ma crème solaire.

DES ACTIONS PLUS GLOBALES

J’incite mes élus à aménager des espaces pour la biodiversité En créant des parcs, des jardins, des chemins de balade et autres zones de jeux ou de détente, en végétalisant les espaces publics existants.

J’incite mon entreprise à devenir une “entreprise engagée pour la nature” Je participe à un programme de sciences participatives, une façon de mettre en relation spécialistes et amateurs pour qu’ensemble ils préservent la biodiversité. Plus d’info : open-sciences-participatives.org

Je crée un refuge APSAS sur mon terrain pour y interdire la pratique de la chasse. Plus d’info : apsas-nature.org

J’incite ma commune à réaliser un Atlas communal de la biodiversité (ABC) et à devenir un “Territoire engagé pour la nature” Il s’agit d’un inventaire cartographié des espèces animales comme végétales présentes dans la commune. Cette carte permet de mieux visualiser et donc de comprendre plus facilement les enjeux auxquels la commune devra faire face. On peut alors définir des recommandations et agir.

1 300 communes ont commencé leur ABC


Restons en contact Événement

Vous avez une question, une remarque, une envie, écrivez-nous à contact@toutvabienlejournal.org

Fresque de la Biodiversité Le 25 avril de 18h30 à 21h30 à la Maison des solidarités

Vous souhaitez nous soumettre un sujet, une idée, chercher des solutions avec nous, écrivez-nous à comiteredac@toutvabienlejournal.org Vous souhaitez organiser un atelier Decrypt’info, Crée ton journal ou un ciné-débat avec nous, écrivez-nous à actionssocioculturelles@toutvabienlejournal.org Vous avez envie d’organiser un événement pour découvrir des solutions avec nous, nous distribuer ou devenir partenaire, écrivez-nous à partenariats@toutvabienlejournal.org

À l’occasion de la sortie de ce hors-série, TVB a le plaisir de vous inviter à une soirée pour : - récupérer ce magazine au format papier ; - jouer à la fresque de la Biodiversité avec l’asso qui l'a créée ; - échanger avec les porteurs du projet Toits du Monde de Rézotopia et de la MSLI, avec l’asso Fresque de la Biodiversité, et la rédaction de TVB. Entrée gratuite limitée à 30 personnes. Inscription obligatoire sur http://toutvabienlejournal. org/nos-evenements/ Rdv à partir de 18h20 au 215 rue Vendôme à Lyon 3 (métro Place Guichard).

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