VIS A VIE n°5

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© Hanna Lippmann

Rosemary Quinn

Trouver sa voix

Propos recueillis par Walli Höfinger et Christiane Hommelsheim Christiane Hommelsheim : Lors d’un stage auquel je participais, tu as posé la question : « Comment s’épanouir soi-même en pensant aux autres ? ». Pour moi, cette phrase rejoint la question : « Comment créer une collaboration enrichissante ? » Peux-tu dire quelques mots à ce sujet ? Rosemary Quinn : Un des cours que je donne depuis plus de vingt ans à l’Université de New York est un cours d’improvisation pour acteurs. Il est clair pour moi que si un acteur aborde n’importe quel type d’improvisation en essayant uniquement de réagir aux autres, rien ne se passera. Il faut qu’il y ait une intention, un désir, un souhait de chaque personne. Il est aussi clair pour moi que si quelqu’un aborde une improvisation et dit par exemple : « Je sais! Nous sommes tous dans le cabinet du médecin, et je suis celui qui... » ou si quelqu’un essaie de tout gérer, c’est une catastrophe ! Donc il faut toujours un équilibre. Pendant des années, il me semble que dans ce travail d’improvisation, j’ai toujours demandé aux acteurs de conserver une limite floue entre ce qu’ils reçoivent de l’extérieur et ce qui surgit de l’intérieur. Pouvez-vous maintenir l’écoute dans les deux directions simultanément ? Alors seulement cette improvisation a une chance d’être un point de rencontre entre tous les acteurs et d’être une création collective qui n’aurait pas pu venir d’un seul des acteurs. C’est à mon sens la définition de la collaboration. À la fin du collège, je voulais absolument travailler avec des artistes de théâtre qui avaient en quelque sorte défini la collaboration créative dans le théâtre des années 1960 et 1970 aux États-Unis. Mon travail a été vraiment défini par le metteur en scène Joseph Chaikin et le travail du Open Theater, ainsi que par les acteurs ou artistes qui travaillaient ensemble pour créer du théâtre en collaboration.

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C&W : Quel est ton point de vue sur le travail de la voix dans le contexte de la société ? Vois-tu une dimension politique à ce travail, particulièrement aujourd’hui ? Je fais référence à ce que disait Claudia Gäbler du Théatre de la Vie dans une conversation que nous avons eue : « Si chacun trouvait sa voix, nous aurions une révolution. »

et que quelqu’un puisse se dire: « Oh, ça a commencé comme cela, mais je n’avais aucune idée qu’on finirait là... » Et qu’il puisse expérimenter le : « Attends, suis-je ici, maintenant ? » Ou : « Oh, une femme est arrivée, la typique grande blonde, Ok j’ai cerné la personne… Mais maintenant elle m’explique les maths… et je comprends ! ».

RQ : Trouver sa voix est une grande partie de mon travail, c’est une part énorme de mon enseignement. Ce que j’ai fait ces vingt dernières années au Département de Théâtre Expérimental est de définir précisément comment des acteurs et d’autres artistes peuvent trouver leur voix par des spectacles solo, par l’écriture, par la découverte de formes théâtrales, de chemins de théâtre pour faire émerger leur voix.

C&W : Comment des histoires peuvent perturber notre façon de construire trop vite des stéréotypes et comment pouvons-nous écouter ? Si nous pouvions nous assurer que tout le monde écoute, nous n’aurions pas besoin d’une révolution.

C&W : Comment trouver sa voix ? Pour moi, il n’y a pas une grande différence entre trouver sa voix sur la note la plus haute du piano et trouver sa voix en réalisant soudain qu’on est la seule personne de la classe qui a toujours joué ses rôles sur un skateboard et qui, par conséquent, se dit : « Oh, j’ai un style! ». Quel que soit ce style. RQ : Il me semble que, sur le plan social, trouver sa voix est très important, en particulier pour ceux qui sont marginalisés et n’ont pas l’habitude de prendre le temps de trouver leur voix. Ensuite vient la question : qui écoute ? C’est cette question qui m’inquiète le plus sur le plan politique : qui écoute ? Est-ce qu’on sait même comment écouter ? D’une certaine manière, je pense que c’est ce qui m’a attirée vers le travail avec le Roy Hart Theatre. Je n’oublierai jamais comment Marita Günther (membre fondatrice du Roy Hart Theatre et élève d’Alfred Wolfsohn) écoutait, quand elle enseignait. C’était comme si elle m’écoutait moi, devant elle, et parvenait simultanément à écouter ce qui se passait tout autour de nous. Pouvons-nous aider les autres à écouter ? Ce qui est si précieux, c’est de raconter une histoire,

RQ : Je pense que le théâtre est un acte politique, spécialement au 21ème siècle, lorsqu’il y a si peu de raisons de s’asseoir en face d’une autre personne. Donc être dans des endroits avec d’autres humains dans la même pièce, assez près pour qu’on puisse entendre le battement de leur cœur, ça devient une sorte de phénomène. C’est un acte politique quand les gens sont ensemble dans le même temps et le même lieu. C&W : Le fait qu’ils se réunissent ensemble est un acte politique ? RQ : Oui, c’est la première chose qui est interdite dans une société totalitaire, le droit de se réunir - c’est pourquoi j’appelle cela le théâtre ! Avoir cette possibilité devient un acte politique. Y compris dans des lieux où cette possibilité paraît évidente. Je le ressens comme une obligation pour un artiste de théâtre de raconter les histoires que d’autres n’ont pas entendues. Je ne pense pas toujours que je m’en acquitte assez bien, mais j’en ressens l’obligation. C&W : Cela rejoint aussi la question de quel type de théâtre est montré dans quel lieu. Montrer une pièce comme Birdsong, est-ce un acte politique?


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