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L’ENTRETIEN

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NOS ALLIÉS

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L’ENTRETIEN

Ensemble, contre vents et marées

Guido A. Zäch contemple avec satisfaction l’œuvre de sa vie qui n’aurait jamais vu le jour sans son épouse, Edith Zäch, ni sa collaboratrice de longue date, Silvia Buscher. Entretien à trois voix.

Entretien avec Urs Styger, Evelyn Schmid et Nadja Venetz, retranscrit par Nadja Venetz

Début juin, nous nous sommes entretenus avec les époux Zäch et Silvia Buscher sur le travail accompli par Guido A. Zäch. L’accent n’a pas été mis sur l’histoire du Groupe suisse pour paraplégiques qu’il a fondé et qui a déjà été relatée à maintes reprises, mais sur Guido A. Zäch en tant que personne et sur les gens qui l’ont accompagné tout au long de sa vie.

Bienvenue à l’ASP! À quoi vous font spontanément penser ces locaux?

Guido A. Zäch: J’ai acheté ce bâtiment en 1991 entre une visite à la clinique et mon repas de midi. À cette époque, l’ASP était encore à Kriens et je voulais absolument la rapatrier à Nottwil, au plus près du CSP qui s’était ouvert en 1990.

Vous nous avez dit au téléphone que vous n’aviez guère quitté la maison pendant le confinement. Comment avez-vous vécu cette période particulière?

Guido A. Zäch: J’étais emballé par cette retraite forcée. Je n’avais jamais été aussi longtemps à la maison. Edith Zäch: Nous avons eu de la chance. Nous avions emménagé dans notre nouvel appartement deux semaines avant le confinement et nous avons pu en profiter pleinement. Nos enfants faisaient nos courses, mais nous n’avions aucun contact personnel avec eux. C’était très bizarre.

Guido, tu as dit que tu n’avais jamais autant été à la maison?

Guido A. Zäch: Tout au long de ma vie, le travail a joué un rôle essentiel. Silvia Buscher et moi faisions régulièrement des semaines de 80 heures à la clinique. À cela s’ajoutait aussi tout le travail de relations publiques. Je donnais des conférences hebdomadaires dans toute la Suisse afin de présenter notre travail et d’acquérir des

bienfaiteurs pour la fondation. Silvia Buscher m’a trimballé à travers le pays avec le projecteur de diapos dans les bagages. Cela représente un total de plus de 2 millions de kilomètres. Silvia Buscher: En général, les conférences commençaient à 20h00 et duraient jusqu’à 22h00. Ensuite, Guido répondait aux questions jusqu’à minuit. Et après, il voulait rentrer à la clinique pour voir si tout allait bien. On n’avait pas encore de téléphones portables. S’il voulait appeler la clinique, je devais savoir à quelle station-service de l’autoroute m’arrêter pour trouver une cabine téléphonique encore ouverte à minuit. Edith Zäch: Je peux vous confirmer qu’ils sont très souvent rentrés à la maison après minuit. Puis à 7h00 du matin, Silvia se tenait à nouveau devant la porte avec la voiture pour venir chercher Guido. Je suis admirative. Silvia Buscher: Dans la voiture, Guido ne pouvait pas m’échapper (rires). Ce n’est pas une critique, Guido s’investissait toute la journée dans la clinique, mais le bureau, ce n’était pas son truc. Pendant ces trajets, nous discutions des points à l’ordre du jour, tenions des réunions de rédaction et traitions les affaires en cours.

N’était-ce pas un peu au détriment de la vie privée?

Guido A. Zäch: Absolument. C’est d’ailleurs la raison de mon divorce. En 1962, j’ai épousé ma première femme Claire, avec laquelle j’ai eu trois enfants. À la longue, je n’étais pas assez à la maison pour elle. Mais c’est elle qui a largement contribué à ma réussite professionnelle ultérieure et à la prospérité de la famille. Edith Zäch: Sans vouloir faire de comparaison, je pense que cela a été plus facile pour moi. Guido était déjà médecin-chef quand nous nous sommes rencontrés. Je savais dès le départ que le travail était sa priorité absolue. Et j’étais convaincue à 100% qu’il s’engageait pour une cause juste et importante. Ce n’était pas un boulot quelconque qui me privait de mon conjoint. Silvia Buscher: Bien sûr, nous travaillions énormément, mais je n’ai jamais considéré cela comme un sacrifice. Je trouvais que chaque heure était essentielle. C’était et c’est toujours une chance extraordinaire de se charger d’une tâche aussi exigeante.

Les débuts Silvia Buscher et Guido A. Zäch dans les années 70

Guido et Edith, vous avez eu deux enfants ensemble. Comment ont-ils vécu cela?

Guido A. Zäch: Nous nous sommes mariés en 1989, Myriam est née en 1990, et Yasmin deux ans plus tard. Depuis leur naissance, elles allaient et venaient au Centre des paraplégiques. Je tenais à ce que les enfants sachent où je travaillais, où j’étais quand je ne pouvais pas être à la maison. Edith Zäch: Non seulement elles savaient où il était, mais elles y avaient leur place. Cela fait une différence. Nous allions à la piscine et avions des contacts avec les collaborateurs. Nous n’étions pas juste en visite. Des amitiés durables se sont forgées. Nos filles ont grandi à Nottwil. Le CSP était comme un second foyer où elles étaient chaleureusement accueillies. Elles ressentaient l’estime du personnel et des patients. Être les enfants du patron, ce n’est pas si mal (rires). Si Guido était invité à un événement, nous en faisions une sortie familiale et nous joignions l’utile à l’agréable. Nottwil a toujours été notre sujet de conversation numéro 1, même à table chez nous, à Zofingen.

Guido, par ton engagement, tu as radicalement changé la vie des paraplégiques en Suisse. Quelle a été la part de ces deux femmes dans l’œuvre de ta vie?

Guido A. Zäch: À la clinique, il me fallait un «Cerbère» pour garder ma porte, sinon j’aurais été submergé. J’en suis très reconnaissant à Silvia. Elle s’est occupée de la planification et de la coordination, et gère toujours mes rendez-vous. Je pouvais, et c’est encore le cas, totalement compter sur elle. Silvia a débuté chez moi à Bâle le 2 août 1970 comme cheffe du laboratoire de développement au service d’hématologie, car elle était spécialiste d’une nouvelle méthode de mesure d’acide folique. Cela fait donc 50 ans que nous travaillons ensemble. Par ailleurs, je n’aurais jamais pu accomplir tout cela sans savoir que ma famille allait bien. Ma femme s’occupait du ménage et des enfants. La famille m’apportait le soutien dont j’avais besoin. Ces deux femmes ont donc chacune une grande importance. Silvia Buscher: C’est aussi grâce aux qualités humaines de Guido que notre relation de travail a duré si longtemps. Guido a, et tous ceux qui le connaissent en font l’expérience, une présence incroyable lors des contacts personnels. Lorsqu’il vous parle, vous avez toute son attention. Il était comme cela avec les patients, mais aussi avec les collaborateurs. Il respectait tout le monde, exigeait beaucoup mais savait aussi encourager. Guido vivait sa relation en famille avec la même intensité. J’en ai souvent été témoin. Si l’un de ses enfants avait un problème, de santé, à l’école ou autre, Guido rentrait chez lui. Edith Zäch: Par une froide nuit d’hiver, notre chat a été renversé par une voiture. Nous savions qu’il était gravement blessé, mais nous n’arrivions pas à le trouver. Guido assistait à la session d’hiver à Berne comme membre du Conseil national. Je l’ai appelé vers 20h00 pour lui expliquer la situation. Une heure plus tard, Guido était devant la porte. Ce genre de moments est une belle compensation. Quand il s’agissait d’une urgence, tu étais là. Toujours.

Vous avez aussi vécu de nombreux moments difficiles. Toi, Guido, tu as été la cible d’hostilités. Comment avez-vous vécu cela?

Silvia Buscher: J’en ai beaucoup souffert, mais il était hors de question de ne pas affronter cela ensemble. Edith Zäch: Je me souviens d’un certain journaliste qui vous critiquait constamment et faisait des allégations insidieuses.

Il est évident que ces flèches empoisonnées nous touchent personnellement. Cela n’a pas été facile. Aujourd’hui, quand j’apprends que quelqu’un se fait descendre dans la presse, tous mes voyants passent au rouge. La plupart de ces histoires devraient être considérées avec plus de différenciation que ne le font les médias. C’est ce que j’ai retenu et j’en suis heureuse. Guido A. Zäch: Nous avions une tâche commune, un objectif et nous nous engagions pour une cause juste. Tout le monde savait que cela ne marcherait que si nous unissions nos forces. Nous nous sommes concentrés sur l’objectif de l’égalité des chances pour les personnes handicapées. Cela a permis de beaucoup relativiser. Malgré toute cette tourmente, nous savions qu’il ne fallait pas perdre de vue cet objectif. Restait à savoir si l’on pouvait opposer suffisamment de résistance pour en venir à bout. Avec les membres directs de ma famille et mes collaborateurs les plus proches, dont Silvia Buscher, nous avons fait front. C’est incroyable ce que l’homme peut supporter et endurer. Je suis convaincu que dans la vie, il faut aller jusqu’au bout de ses limites, d’un point de vue physique, mental et psychologique. Ce n’est qu’en accomplissant de grandes choses dans les circonstances les plus difficiles qu’on peut savoir ce qu’on a dans le ventre. Silvia Buscher: Cette épreuve et ces temps difficiles ont contribué à nous rapprocher encore plus.

Guido, tu vas avoir 85 ans le 1er octobre. Tu es officiellement à la retraite depuis 12 ans. Ton travail, c’était toute ta vie. En quoi ton quotidien a-t-il changé?

Guido A. Zäch: La réponse est simple. Au cours de ma vie professionnelle, je n’ai jamais dormi plus de quatre heures, à présent je dors cinq à six heures. Je dormais déjà peu pendant mes études. Mais je n’ai aucun mérite particulier, je n’ai simplement pas besoin de plus (rires). À part cela, je suis toujours très occupé. Je continue à entretenir de nombreux contacts, à donner des conférences pour la fondation

Ses enfants Yasmin, Flavia, Silvia, Stéphanie, Riccardo, Isabelle, Myriam (d. g. à d.)

et à prodiguer des conseils. Et j’ai beaucoup de passe-temps. Ce sont toujours les mêmes: timbres, pièces de monnaie, cartes postales, cartes de la Fête nationale et art. Nous avons désormais une belle collection d’art tunisien. Ma femme s’y intéresse aussi beaucoup. En outre, je me suis mis à classer les archives. C’est un travail de titan que de trier par ordre chronologique tout ce qui est important. Agnes Jenowein de la FSP nous aide à conserver l’essentiel pour l’avenir. Une grande part de ce qui se passait à l’époque est à peine imaginable aujourd’hui.

Quel effet cela fait-il de te replonger dans tous ces souvenirs?

Guido A. Zäch: J’ai redécouvert beaucoup de choses, et même saisi de nouvelles corrélations. J’ai une bonne mémoire et je peux garder des dizaines de chiffres et de dates en tête, mais j’ai lu des déclarations de personnes dans un certain contexte chronologique qui m’ont époustouflé. Pour certaines d’entre elles, il n’est pas étonnant de voir comment les projets ont fini. Ces corrélations apparaissent avec un recul de plusieurs décennies. Il s’en est passé des choses ces 50 dernières années. Je ne peux qu’être satisfait d’avoir pour l’essentiel réalisé ma vision de la rééducation globale des paralysés médullaires en termes d’égalité des chances. Mais nous ne devons rien lâcher, sinon nous risquons de rater le coche. Edith Zäch: Lorsque j’avais en main les albums photos des événements communs ou d’anciens numéros de «Paraplégie», de nombreux souvenirs surgissaient. C’était bien d’avoir pu construire une relation avec tous ces gens. Tout cela montre à quel point ce travail a été précieux.

Que souhaitez-vous pour l’avenir?

Guido A. Zäch: Je souhaite que ma famille, mes enfants et petits-enfants, et tous ceux qui m’ont aidé à accomplir tout cela se portent bien. Et pour moi, je souhaite garder toute ma tête et pouvoir ensuite quitter ce monde en un claquement de doigts (rires). Servir et disparaître. Edith Zäch: Mais pas tout de suite! Pour moi, la santé de tous nos proches est ce qui m’importe le plus. Nous allons devenir grands-parents. Ce sera la première fois pour moi. Guido a déjà huit petits-enfants. Je souhaite donc que nous puissions en profiter le plus longtemps possible. Et que l’œuvre de la vie de Guido se poursuive dans son esprit. Silvia Buscher: Je me joins à toi, que mes proches soient en bonne santé et que la vision de l’égalité des chances pour les personnes atteintes de paralysie médullaire continue à se réaliser dans l’esprit de Guido A. Zäch.

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