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UNE CURIOSITÉ SANS LIMITES

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LOISIRS

LOISIRS

UNE CURIOSITÉ SANS LIMITES

La soif de performance

Walter Eberle explore ses limites sportives depuis des années et s’étonne toujours des résultats et des performances qu’il parvient à atteindre.

Gabi Bucher

Né en 1962, Walter Eberle a grandi dans une ferme. Incapable de tenir en place, il partait souvent en VTT ou en randonnée. Lorsqu’il vit son premier parapente, il se dit que ce serait la solution idéale pour éviter de se coltiner les descentes. Le parapente devint sa passion – et la main du destin. Lors d’un vol, il se trouva pris dans un courant descendant. L’atterrissage d’urgence à flanc de coteau fut trop brutal. Il se fractura une vertèbre et un fragment d’os endommagea sa moelle épinière. «J’ai tout de suite su ce qu’il en était.» Un couple de promeneurs passait en amont au même moment. Il gesticula, appela et ils lui firent signe en retour. «J’ai dû hurler pour leur expliquer que je ne voulais pas juste les saluer.»

Quand toute la volonté du monde ne suffit pas

S’ensuivirent une opération d’urgence à l’hôpital de Coire et quatre mois de rééducation à Balgrist. Comme il s’agissait d’une paraplégie incomplète, Walter espérait rentrer chez lui sur ses jambes grâce à une pensée positive et à une volonté de fer. «Il m’a fallu un certain temps pour saisir que

Inséparables: Une équipe qui gagne – Walti et son handbike cela ne se ferait pas», raconte-t-il. Heureusement, son employeur au Liechtenstein lui proposa un poste de bureau, «ce qui réglait déjà la question de mon emploi. Le retour à la vie ‹normale› fut plus difficile que je ne l’imaginais. J’ai eu besoin de temps pour retrouver mes repères.»

Un «triathlon» pas tout à fait ordinaire Homme d’action, Walter avait besoin de relever des défis même en fauteuil roulant. «J’ai testé presque tous les sports», confiet-il. Dont le handbike, mais après dix minutes, il décréta que ce n’était pas pour lui. «Mes bras ont bien failli se détacher», se souvient-il. Le handbike est toutefois devenu un engin de sport avec lequel il est pratiquement entré en symbiose. «Après dix ans de sport de compétition dans l’équipe nationale, j’ai eu envie de quelque chose de nouveau.» Les longues distances l’attiraient, comme les gigathlons et les marathons à vélo, où un premier travail d’intégration était souvent indispensable. Il rêvait de triathlon. Puis certains cyclistes de sa région se mirent à s’entraîner pour le «Swissultra», une compétition d’ultratriathlon. Intéressé, il se renseigna sur les conditions: un quintuple Ironman avec 3,8km de natation, 180km de cyclisme, 42,3km de course à pied pendant cinq jours d’affilée. «Ce n’était pas forcément une longue distance», dit-il en souriant, «mais pourquoi ne pas essayer? Tout se passait pratiquement devant chez moi. L’organisateur a adapté l’itinéraire pour que je puisse l’effectuer en fauteuil roulant de course, alors je me suis inscrit.» Toutefois, au cours de l’entraînement de natation, il se rendit compte qu’il avait un peu présumé de ses forces. Lors de sa première

sortie en combinaison néoprène, il fut totalement épuisé au bout de 50 mètres. «La position dans l’eau était complètement différente, mes jambes étaient bien trop hautes, j’ai paniqué.» Or grâce à un coach en natation, des poids et des coussins d’air fixés à sa combinaison, il réussit finalement à parcourir la distance de 3,8km dans la limite des deux heures imparties. En handbike, il savait de quoi il était capable car il avait déjà participé à des courses longue distance en Scandinavie. Le fauteuil roulant de course, en revanche, était un mal nécessaire. «Une position inconfortable, je m’y sentais comme dans une coquille de noix.»

Une histoire de ouf

Walter s’était fixé comme objectif de tenir au moins une journée, le reste ne serait que du bonus. Il avait engagé ses soignants pour trois jours. Il prit donc le départ, comme seul et unique sportif en fauteuil roulant. Il ignorait comment son corps allait réagir, comment cela aller se passer, notamment pour le cathétérisme. Mais cela fonctionna. Même s’il fermait à peine l’œil de la nuit, les journées s’enchaînaient. Il dut prendre de nouveaux soignants pour les deux derniers jours. «Le quatrième jour, j’étais tellement épuisé que je faillis m’endormir en nageant.» Le cinquième jour, après une bonne nuit de sommeil, tout allait mieux. «Aujourd’hui encore, je n’arrive pas à croire comment j’ai fait», dit-il, «une histoire de ouf!»

L’année suivante, Walter fit le Tortour avec Bert Marti, le tour de Suisse sans s’arrêter, 1000 kilomètres, 13000 mètres d’altitude, 55 heures de route. «Une sorte de relais, 50 kilomètres moi, 50 kilomètres Bert, deux heures de repos dans le «car-dortoir», le véhicule d’accompagnement, pendant que l’autre roulait et ce, deux jours et demi non-stop.» La vitesse avec laquelle le corps se régénère ne finit pas de l’étonner.

Repousser les limites, expérimenter les possibilités de son corps, de son endurance, c’est une idée fixe chez Walter. Il n’arrête pas de se demander s’il peut aller encore plus loin. «C’était aussi impressionnant de voir comme mon corps réagissait bien. J’avais pris un rendez-vous préventif avec

Walti adore tester ses limites

ma kinésithérapeute après le Tortour, mais elle m’a dit que mes muscles étaient mous comme du beurre.» Effectuer de longues distances et des mouvements harmonieux à une fréquence cardiaque moyenne a permis de détendre les muscles et de lubrifier les articulations. «Ce corps bien entraîné est une expérience géniale.» Au printemps, un court programme de remise en forme suffit pour le préparer à relever de nouveaux défis. «D’autant que je n’ai plus de problèmes d’épaule depuis», assure-t-il.

De cinq à dix

L’année dernière, l’organisateur de «Swissultra» lui a demandé s’il reviendrait. Mais cette fois-ci, l’épreuve durerait dix jours. «J’en avais en fait terminé avec le triathlon et j’espérais secrètement que mon employeur et mes soignants ne donneraient pas leur accord. Mais ils l’ont fait, et j’étais curieux de voir si je pouvais y arriver.» Il s’était promis de tenir au moins six jours et il s’est accroché. «À partir du septième jour, la pression avait disparu, je pouvais rouler en toute liberté et j’ai senti monter l’euphorie. J’ai atteint un bon rythme de croisière, j’aurais pu mettre un régulateur de vitesse.» Ses supporters l’accompagnaient sur de courtes distances, il appréciait l’atmosphère du matin et du soir, sentait les changements de vent, affrontait les éclairs et le tonnerre. «Et plus ça durait longtemps, plus j’allais vite. Le dixième tour a même été mon plus rapide!» Bien sûr, il y eut aussi les émotions, incroyables, inimaginables. Huit semaines après, il était encore sur un petit nuage. Vraiment impressionnant.

Et c’est ainsi que Walter teste ses limites et élabore des projets. Certains voient le jour, d’autres non. Un projet d’envergure est la conquête des plus hauts cols alpins d’Europe à vélo. «À plus de 2800m, le défi de l’oxygène vient encore ajouter à la difficulté.» En attendant, il profite des belles journées, fait des excursions à vélo d’une semaine avec son filleul, lors desquelles il transporte fauteuil roulant, tente et bagages sur son handbike. «La Suisse et l’Europe sont tellement belles», s’enthou-

siasme-t-il, «et camper quelque part en été, se rafraîchir dans un lac le soir, c’est merveilleux.» Mais parfois, il est ravi quand il pleut deux ou trois jours. «Car quand il fait beau, il faut que je sorte.»

Quand Walter raconte ses performances, ses yeux s’illuminent. Il est fasciné par les «incroyables pouvoirs du corps humain». Mais il garde toujours sa santé à l’esprit. On sent que tout cela lui apporte une profonde satisfaction et on n’a jamais l’impression qu’il veut prouver quelque chose. C’est juste cette curiosité sans limites pour ses capacités presque aussi illimitées.

Giro Suisse Le prochain défi de Walter Eberle: www.girosuisse.ch

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