U N I T E D S TAT E S OF LA BAMBINA
U N I T E D S TAT E S OF LA BAMBINA
SOPHIA EL MOKHTAR
CARGO * NEW YORK * PERFORMA * LOS ANGELES
CARGO
Texte 244 : Rubik’s Cube des océans Voilà, j’y suis. Putain ce que c’est beau. Attends, permets-moi la vulgarité, t’as vu le truc que c’est ? Avec la multitude de containers empilés, On dirait une sorte de Rubik’s Cube des océans. Ça donne du fun à cette usine flottante. Et regarde-moi les flancs, les courbes parfaites, Mon œil voudrait percer le mystère D’une telle perfection mathématique permettant À ce galbe phallique d’exister. Mais pas le temps de contempler Ce colosse de bleu et de rouge peint, Et de rouille hurlant, Je suis attendue par le troisième point de sécurité, Le mec m’appelle, il a pas que ça à faire. On bosse là ! Il me faut emprunter le fameux escalier, Présenté dans la doc’ préparatoire au voyage Comme une épreuve physique Du fait de son étroitesse et de sa raideur D’autant qu’on est censé porter nos bagages. Mais en réalité, on ne porte pas nos bagages, Et ce n’est pas si raide et si étroit que ça, Par contre il est nulle part mentionné Que la rampe est piégée De multiples grosses crottes d’un mazout gras et épais Bousilleur de manteaux. Le Cma Cgm Tosca Port-Saint-Louis-du-Rhône Le 7 février 2019, à 10h
Texte 245 : erratum, enfin precisum plutôt ! Le cargo partira demain matin entre 4h et 8h, Voire midi, voire même après demain, Ou le 11, ou peut-être le 12, ou le 13. Ce serait drôle si mon séjour se passait uniquement à quai. Puis, aux alentours du 23 février Je descendrais les escaliers mazoutés Parée d’une de mes robes à paillettes Oui je les ai prises, et presque toutes Et de ma perruque de La Speakerine Qui ne speake pas vraiment Puis j’irais à l’aéroport de Marseille Maintenant que je n’ai plus peur de l’avion Pour m’envoler vers ma destination. Si vous percevez un ton moqueur dans ces mots, Vous avez tout faux ! Ne pensez pas que je regrette Mon choix de voyager en cargo. Bien au contraire, je suis d’ores-et-déjà accro. J’aime l’ambiance, j’aime voir le travail, Le son des machines, Le bruit de l’acier qui se frotte à l’acier, Choc de tôles, tensions de câbles, Crissements, roulements perpétuellement rouleurs, J’aime sentir les vibrations des moteurs, Et puis il y a cette odeur légère de cambouis Jusque dans les cabines, J’aime entendre du philippin résonner dans l’escalier, J’aime l’esprit des marins qui ont un peu Du militaire, un peu du sauveteur, Un peu du serviteur et du patron à la fois, J’aime ces hommes* qui travaillent. *pas une seule femme sur ce cargo, sauf moi. Bons Baisers de ma cabine du cargo Cma Cgm Tosca Port-Saint-Louis-du-Rhône Le 8 février 2019
Texte 246 : La Spezia Mon ami le chef cuisinier Hervé m’a fait découvrir hier son plaisir personnel, soit celui de faire le tour du bateau en marche rapide. Je te raconte pas la balade sublime que c’est, entre mer et machines, entre air et vapeurs mazoutées, entre immensité infinie et immensité limitée du cargo, les contrastes sont tels que je dois avouer avoir versé quelques larmes, lorsque j’ai refait la balade toute seule. Tu sais quand t’es face à du too much, trop plein d’extrêmes émotionnels, je me demande si cela ne révèle pas que mon cerveau, alors que ce voyage est programmé depuis un an pile, n’y croit pas encore alors même que j’y suis. Donc mon ami Hervé vient de me faire découvrir le carré des équipiers, et il m’y a même invitée pour dîner. Non mais c’est grandiose, hier j’étais au bar dans la Recreation Room du Commandant avec les cinq principaux chefs des différents domaines pour trinquer au Champagne, c’est la coutume de Bienvenue, et ce soir ce sera à la bière avec les équipiers. Toujours pas de meuf dans les parages, si ce n’est en photo noir et blanc, nue à quatre pattes, vue de dessus, le cul prenant la majorité des proportions de la photo. Je pense que ce soir, pour le dîner, soit l’écran sera éteint, soit il y aura un bouquet de fleurs, ou peut-être un beau point de vue du cargo, ou deux chatons empaillés souriant au photographe, ou alors pour me faire honneur, une photo noir et blanc, d’un homme nu à quatre pattes dont le cul prendra la majorité des proportions de la photo. Bons baisers du Cma Cgm Tosca ! Mer Méditerranée Le 10 février 2019
Texte 247 : La no-Spezia Je n’avais pas prévu de quitter le cargo lors des escales, craignant de ne pas pouvoir remonter pour quelque raison que ce soit, comme par exemple la perte de mes papiers d’identité ou autre (le « ou autre » est comique ici, c’est le genre de truc inconscient que tu ne veux pas voir en face parce que c’est laid. Et tu vois là, je vais pas nommer, je vais laisser planer ce truc trouble). Bref, le fait que je n’envisage pas de profiter de l’escale magnifique qu’est La Spezia, avec notamment, ses beaux jardins qui longent le front de mer, divinement décrits par Lyes, le Chef Mécanicien, qui me conseillait aussi le restaurant La Pia, véritable institution locale dans le centre historique, choquait mes hôtes. Ils ne comprenaient pas mes craintes, me taquinant un peu. Hervé le chef cuisinier lui aussi me conseillait vivement de profiter de cette escale. Alors, je me motivai. Mon cerveau voulait. Mon corps stressait. Et je ne décrirai pas la façon qu’à mon corps de stresser, juste préciser qu’en fonction de l’enjeu cela peut durer des heures. 11:30, je descends enfin pour récupérer mon passeport au Pont A, je donne mon numéro de téléphone pour que l’on puisse me joindre si le cargo doit partir plus tôt que prévu, je signe le document qui stipule que je suis sortie, je descends l’escalier mazouté, je demande la navette nécessaire à quitter le port, le mec me dit qu’elle arrive dans cinq minutes. On ne m’avait pas prévenue que la navette était policière, mais bon je fais signe au « chauffeur » que je m’installe à l’arrière. Je suis une grande actrice entre Sarah Bernardt et Louis de Funés. Il fait la moue. Voilà ! Ceci n’est pas une navette. Le monsieur n’est pas un chauffeur. Et je ne vais pas pouvoir visiter La Spezia. Il fait mine de regarder ses papiers composés de tableaux et de noms. Il me dit qu’il n’a pas mon nom, qu’il a les noms de toutes les personnes du bateau, mais pas le mien et que cela pose un problème surtout pour remonter sur le bateau. Je n’ai même pas l’occasion de lui présenter mon passeport et ma pièce d’identité, il me parle du service de l’immigration, je ne vois pas ce que ça fait là.
Alors là je lui dis tout net, que je ne prends pas le risque de ne pas pouvoir remonter sur le cargo, je le remercie et lui souhaite une bonne journée. Il me dit : - À moins que vous soyez de la famille d’un des membres du Cargo ? Mes yeux font une grande vague qui part de la poignée de porte du van de la police, jusqu’au ciel, pour s’écraser sur le tableau de bord : Et non, je ne suis de la famille d’aucun des marins ! Et je repars guillerette et plombée à la fois, vers mon cargo. En remontant, je croise un groupe de marins philippins, s’apprêtant à profiter de l’escale comme il se doit. Leurs épaules dansent. Ils s’étonnent de me voir remonter et me demandent pourquoi j’ai changé d’avis. J’explique que la police ne m’a pas autorisée à sortir du port. Les philippins sont habituellement sobres en expressions du visage, mais là, ils tombent tous leur mâchoire au sol, avec un sourire exprimant l’incompréhension. Ils croient à une blague. Ils voulaient absolument m’aider pour que je puisse sortir, mais je leur explique que je ne préfère pas tenter le diable, l’Italie n’étant pas ma destination finale pour ce voyage. C’est pourtant l’Union Européenne me dit l’un des marins philippins, hébété. Baci dal porto mercantile di La Spezia, che non potrò lasciare ! La Spezia Le 11 février 2019
Texte 248 : la plante verte Totalement happée par la beauté du travail sur le cargo. Il y a la main qui balaye des écrans grand-format, la main qui tapote sur les grosses touches de l’ordinateur de bord géant, la main qui enserre des énormes téléphones semblant dire fuck à leur flamboyante descendance, la main qui joue du talky-walky appareil qui trouve enfin ici une utilité incontestable. Tous ces petits gestes entraînent des mouvements immenses du cargo, lui-même colosse de l’amplitude de la Tour Eiffel, et voilà que s’effectue sans faillir, sans à-coups, un demi tour sur place fluide dans le port de marchandises étroit de Gênes. Pas droit à l’erreur à quelques mètres près, puis « garage » entre deux autres cargos, encore à quelques mètres près, et tout cela en trente minutes. Puis il y a le corps dans son entier autonome dans ses actions, chaque officier semble être dans sa bulle soudant des tôles entre elles, courant dans les escaliers pour rejoindre la salle des machines dans un bleu de travail cambouisé, cuisinant un menu mûrement réfléchi, ou surveillant une manœuvre en extérieur, et chaque marin de quelque grade que ce soit est à la fois autonome sans être jamais coupé du collectif. C’est assez fascinant, de voir à l’œuvre vingt-cinq individus en totale autonomie et à la fois connectés les uns aux autres. « Être dans le même bateau » prend ici, sur le Cma Cgm Tosca en tout cas, tout son sens. Ce qui participe de ce sentiment de solidarité est probablement le fait que chaque marin a, en cas d’un problème, une fonction supplémentaire. Par exemple, en cas d’incendie, le cuisinier Hervé, doit aider le pompier à s’habiller. Chaque membre d’équipage est ainsi connecté à un autre par une fonction fictive, mais pouvant advenir. Et puis sur la passerelle, endroit extraordinaire, il y a ce langage codé, à base de chiffres majoritairement, chiffres que l’on se donne et se confirme : - Four-ten ! Déclame le Commandant. - Four-ten, Sir. Confirme son officier dont je ne connais pas encore la fonction précise. La passerelle est pour le moment l’endroit le plus fascinant du cargo mais je n’ai pas encore tout visité, avec sa vision panoramique, son ambiance décontractée malgré les enjeux, son style « salle de commande de centrale nucléaire des années 80 » (le cargo date de 2005),
ses courants d’air dans lesquels s’engouffre le Chief Officer (Capitaine en second, je crois) traversant l’espace de bâbord à tribord dans un fox trot quasi parfait, ses plantes qui lui donnent un air chaleureux de véranda de mamie, et ses communications codifiées entre les officiers qui exotisent l’ensemble. Sur la passerelle, je me mets de côté pour ne pas déranger, et je mets même mon cerveau en veille, enfin je mets la partie qui concerne la communication, et le relationnel, en veille. Et ça marche. Mais le Commandant a toujours une information capitale à m’annoncer, alors même qu’il est en train de gérer l’entrée au port, il vient me chercher, il me sort de cet état végétatif de plante verte que j’apprécie assez (l’état de plante verte), car je me suis préparée à ça, préférant m’imposer cette posture radicale, donc ici dite de la « plante verte » pour être sûre de ne pas gêner. Se mettre dans un état de plante verte est assez reposant, sauf si l’on vous en sort systématiquement. Là, c’est dur. Mais je n’en veux pas une seconde au Commandant ou aux autres officiers, c’est à moi que j’en veux. Être à ce point extrémiste dans quelque situation que ce soit, est fatigant. Ne pourrais-je pas, simplement me faire confiance, et me dire « cool, ‘tain, tranquille meuf, fais tes trucs, de contemplation, de réflexions silencieuses, d’observation des signes incompréhensibles et de prises de vue photographiques, sois-en sûre, tu ne gêneras personne » comme ça, quand le Commandant te dit « le pilote de Gênes sera à bord à 17h demain » ben tu comprends direct de quoi il est question. Cela te rappelle que le bateau pilote, dépose un agent à bord qui grimpe sur le cargo via une échelle pour atteindre ensuite rapidement la passerelle, puis ça te révèle que les manœuvres seront faites en plein jour (un bon point pour les photos), puis ça t’apprend qu’il y a encore un peu plus de retard. Mais comme t’es en mode « plante verte », tu comprends rien. Baci Baci di Genova mi amici ! Gênes Manœuvres de 14h30 à 15h30 12 février 2019
Texte 249 : un temps de curé Ce soir j’ai envie de boire un peu plus que de raison. Quand un texte commence comme ça, soyez assuré-e que ce qui suit sera fait du meilleur suc de moi-même. Mais il ne faut préjuger de rien. Jamais ! Tous les soirs à ma table, de passagère en solitaire, une bouteille de vin rouge. Un bon vin rouge du Gard. Cuvée des Chartreux - Belle Émilie - Rouge Gourmandise petits fruits des bois & épices. Je le trouve très bien. Je l’ai dit au Commandant et il a fait la moue. Bien que je lui avouai être « bon public » aimant quasi tous les vignobles terriens, je persistai dans l’expression de mes sentiments distingués vis à vis de ce vin. Il faut que je profite d’écrire au sortir de table après une Nantaise (la salade) et une dinde (la viande) divine, je n’avais pourtant plus faim après l’entrée, mais l’assiette est venue à moi, par le parfait service de Dante et le délice gustatif a pris le dessus sur la satiété (je n’ai tout de même pas mangé les frites), je me suis terminée à la clémentine, et au vin rouge, donc ! Souhaitant faire une « réclamation » au Chief Officer, qui est en attente de quelque remarque que ce soit, toujours à l’affût d’améliorations, mais je n’ai rien à dire : mieux que ça ce serait trop, j’en crèverais! Donc, je veux lui demander (plus approprié que réclamer) si il me serait possible de visiter la salle des machines avant que l’on s’attaque à l’Atlantique. Craignant la houle à ce jour inexistante, « mer d’huile » comme dit ma mère et « temps de curé » comme disent les marins. Par exemple, là on avance et il semble qu’on est à quai, je dirai même à terre. Hervé, mon ami le Chef Cuisiner, m’a révélé lors de notre marche quotidienne autour du bateau, qu’il a connu des océans tellement tourmentés qu’ils en sont blancs. J’ai de suite vu le truc, j’ai ri (rire à la fois enthousiaste et nerveux). Et puis, j’ai un peu plus creusé la question, profitant de la générosité de mon ami quant à ses expériences maritimes. Voilà, par mauvais temps, il faut laisser passer les trois premiers jours, m’explique-t-il, comme me l’avait d’ailleurs évoqué lors de la soirée de Bienvenue au Champagne, l’Ingégieur Chef, Lyes, un véritable jeune homme de soixante ans, très prochainement retraité. (Pour être claire, le mec, il fait 15 ans de moins ! ) Hervé, m’expliquait donc en détails que ce qui est difficile à supporter
c’est la houle longue, celle qui fait une vague (une onde) sur l’eau séparée par sa suivante d’une longue distance, là le bateau s’engouffre dans le creux, enfin tu vois : plus c’est long (…) plus ça rend malade, le crâne semble être sous pression, il faut un temps au corps pour s’adapter. Dans ces difficiles conditions, Le Chef Cuisinier se doit de réaliser des repas simples car tout est plus compliqué, les gamelles risquent de tomber, on a un rythme de travail plus lent, etc… Il me dit aussi que lorsque c’est tourmenté il faut se tapisser le bide de pain, comme pour se plomber l’estomac. Au vu des vibrations que mon estomac est capable de ressentir, par temps de curé, lorsqu’il ne contient que des liquides le matin, soit 300ml de jus d’orange et 150 à 400ml de café, imagine l’état dans lequel il serait sur un océan tellement enragé qu’il en serait blanc ? Or, en se tapissant l’estomac de pain, le pain doit agir en éponge, voire en filtre. Donc : 1 tu manges beaucoup de pain 2 tu grignotes et bois selon ton envie 3 le liquide est happé par le pain 4 qui d’un côté fait barrage aux aliments (viande, légumes) et de l’autre fait couler les liquides vers des canaux plus ou moins agréables à évoquer (c’est surtout que je ne sais plus ce qu’il y a après l’estomac ; après l’estomac il y a sûrement des organes qui filtrent avant de passer par les intestins). Bref, le liquide file direct, je veux dire que grâce au tapissage du pain le liquide ne stagne pas, et ne risque donc pas de demeurer des heures dans l’estomac secoué au rythme d’un océan blanc de rage. Il y a aussi une idée de domptage de sa propre angoisse du mal de mer, comme si, dans cette nouvelle situation, encore et toujours, il s’agissait d’une histoire de mental. Et, aimant véritablement les challenges, soit m’amener toujours vers des points extrêmes pour me tester, voir ce que j’ai dans le bide justement, je n’ai pas peur de quitter la Méditerranée, comme impatiente de voir si mon mental me fera défaut, sorte de rite de passage. Hervé me l’a bien dit : un marin qui ne naviguerait que par Temps de Curé, benh ! ?… ben, c’est pas un marin ! Adéu Catalunya! Petons Del Port de Mercaderies de Barcelona En Mer Méditerranée 15 février 2019
Texte 250 : Besos desde Valencia J’aurais beau essayer d’écrire sur ce que je vis actuellement sur le Cma Cgm Tosca, que je ne parviendrai pas à traduire, et l’infini, et la beauté, et le romantisme, et la mélancolie, et la dureté, et les désirs, et les rêves, et la grandeur, et la rythmique, et les vibrations, et les sons, et les odeurs, et l’élégance d’un si gros cul surtout lorsqu’il se case majestueusement entre deux autres cargos à quai. Mais j’essaierai tout de même d’approcher la véracité de mes sensations. Dès mes premiers pas sur le cargo, tous les officiers m’ont accueillie chaleureusement, et ils veillent jour après jour à mon confort. Ainsi Le Commandant n’hésite pas à me donner des détails de plus en plus techniques et des explications sur la manœuvre qu’il est en train de gérer, ou une fois les manœuvres terminées, me félicite pour mon texte qu’il a découvert via le facebook de la Cma Cgm et en profite pour corriger certaines erreurs* qui l’ont bien fait rire, limite il en redemande ! Puis il y a Le Second Capitaine, dont j’ai précédemment évoqué son attention quant à mon confort et aux éventuelles améliorations à apporter, ce matin après les manœuvres à Valence à 6h du mat’, j’ai eu un petit cours express sur les trois fonctions principales du Timonier au Ship Office. Il y a le Chef Ingénieur, vous vous souvenez « le jeune homme de soixante ans », me filant des bons plans à chaque escale (escales que je ne pratiquerai définitivement pas, craignant trop que le cargo parte sans moi, aux oubliettes alors mon voyage de trois mois) et c’est lui qui décidera du moment idéal pour visiter la salle des machines : la Cathédrale du bateau, dixit Hervé. Et puis il y a Hervé, que vous commencez à connaître, Le Chef Cuisinier du cargo, un mec incroyable, d’une grande générosité dans le partage d’expériences et qui a su sculpter en lui une véritable approche philosophique de son métier et de sa vie en général au fil des ans. Il m’a de suite intégrée à la vie du bateau, me plongeant direct dans les rouages de cette usine sur l’eau, avec une énergie enthousiaste et enthousiasmante, au point qu’il semble revivre chacune de ses anecdotes maritimes. Il n’a pas fait d’études, il n’a pas aimé l’école et l’inverse aussi, c’est ainsi qu’il le ressent, sorte d’incompréhension dans les deux sens.
À quinze ans il embarquait pour 15 jours sur un bateau de pêche, où tu pisses et tu cagues au même endroit que tu pêches, par dessus bord, ou dans un sceau, et où tu dors dans ton ciré jaune. Y’a-t-il plus rude comme travail, ça ressemble au travail à la mine, il doit te sembler dans les deux cas que tu pénètres les entrailles chaudes et tourmentées de la bête terrienne, et parfois, tellement les conditions y sont extrêmes, qu’il te vienne à l’idée de te laisser engloutir. Lâcher-prise ultime, où tu ouvres grands les yeux, pour palper au plus près ce qui te dépasse. Admettre ta faillite pour une fin grandiose. Ça me fait penser au sentiment étrange, accompagné de tressaillements internes, qui me traversent systématiquement, lorsque je fais mon tour du bateau en solitaire pour rejoindre l’avant pour un moment unique de contemplation. Si tu es fragilisé-e par quelques troubles que ce soit dans ta vie, ne fais pas ça. La mer, par son immensité, a des charmes terrifiants, elle semble pouvoir hypnotiser quiconque pour la rejoindre. Il y a une sorte d’attraction, aussitôt réfreinée par la pulsion de vie, ou plutôt par la raison, car il y a une apparente pulsion de vie, un simulacre de pulsion de vie dans le désir de sauter. La raison rappelle au corps entier que c’est la mort assurée, et qu’il n’y a aucun intérêt à jouer avec elle. Tout se passe en une nano seconde, et tenant en main mon téléphone me servant d’appareil photo et de caméra et de tellement d’autres choses, j’en viens à craindre pour sa sécurité à lui : je suis définitivement sauvée ! *erratum (texte du 12 février) : Le Commandant et le Timonier n’ont pas dit « four-ten », mais « Port : ten ». Cela veut dire qu’il faut aller 10 degrés à gauche (10 sur les 360 degrés). Besos desde Valencia, última etapa antes del transatlántico de 9 días, que promete ser sacudido con olas de 5 metros. Valencia 17 février 2019
Texte 251 : numérotation calendaire Tain’ la meuf elle s’est trop cru missionnée d’un truc, genre journalisme de terrain : À moins treize, Elle sort du lit, elle fait pipi en checkant l’amour que lui ont rapporté les irrésistibles dauphins sur les réseaux sociaux (plus que toutes ses performances filmées réunies depuis 2015), Elle fait une microscopique toilette, Elle enfile ses fringues qui lui font croire qu’elle est une marin Superposition de polaires, son pantalon coupe-vent et anti-pluie, ses boots antidérapantes fourrées, anti-pluie-neige-tout, qui se lacent comme ses mi-endormis patins de danse sur glace. Ses fringues glissent sur elle comme la mer sur les corps joyeux des dauphins, elle enfile son manteau mazouté qui lui garantit un air de workeuse des mers, oup-là, le bonnet, non pas parce qu’il fait froid, mais parce qu’elle a le cheveu gras, elle dévale les escaliers du pont F au pont B. Moins cinq, Elle gobe un jus d’orange et un café, quasi en même temps, Le mélange crée un goût de réglisse, Moins trois, Elle monte les six étages qui la séparent de La Passerelle, Moins une, Elle ouvre la porte petite mais costaude, qui l’impressionne à chaque fois qu’elle l’ouvre, le vent s’y engouffre, comme si il fallait que dès que tu pénètres cet espace tu te reçoives une baigne, Histoire de s’assurer que t’es bien réveillé, parce qu’ici c’est du sérieux, c’est de là que partent toutes les décisions. La main, l’œil, la voix et l’esprit, sur le grill, tension décontractée. Donc, moins une, Elle se prend une droite du vent, je referme la porte : personne. Il est 8h00, le départ doit être repoussé d’une à deux heures, le temps d’écrire un texte, voire deux, avant de faire route vers New York. Le Commandant vient d’arriver sur son poste de travail, nous nous saluons, il m’informe qu’il y a du retard, nous partirons à 11h30. À bord, le temps n’a plus d’importance, la passagère que je suis ne sait plus quel jour on est, j’ai beau regarder les dates, je bugue, je sais qu’en gros j’ai fait un peu plus de la moitié du voyage en cargo, la saveur des jours y est différente.
Les jours ne veulent pas savoir leur numérotation calendaire, juste connaître les heures qui les rythment. Le Commandant vient de me féliciter pour la vidéo des dauphins. Je lui ai annoncé ma volonté de passer commande d’alcools pour sa prochaine « sortie de cave », sorte de duty free des mers. Ayant été invitée à plusieurs reprises au Carré des Équipiers, je ne peux plus m’y rendre les mains vides, c’est gênant. Je vais commander deux caisses de San Miguel soit 48 canettes pour les équipiers philippins et français, une bouteille de vin pour le Bosco, le Maître des Machines et moi-même, peut-être du whisky, et du Champagne pour les Officiers qui ont fait péter deux bonnes bouteilles de Champ’ pour mon arrivée. Donc bon, je pense que tout cela est équilibré, je ne parle pas du point de vue sanitaire mais du point de vue du savoir-vivre à la française. Ah ! Pour info, pour s’éviter des vagues de plus de cinq mètres, nous ne passerons pas Nord-Açores mais plutôt par Sud-Madère. Un cargo, ça n’a pas de stabilisateurs contrairement au Queen Mary2, ainsi on va tanguer d’environ 15 degrés bâbord et 15 degrés tribord, soit une amplitude de 30 degrés en 11 secondes, vient de me révéler Le Commandant, et ce pendant les neuf jours qui me séparent de New York. Je vais avoir l’occaz’ de bien tester mon mental. Ok guys, I’m ready to face the Atlantic, with its waves of 5 meters. 30 degrees of sway, my mind will be stronger than my body, and will tame it. Kisses from the Mediterranean Sea, on the sea route of my hopes and my dreams, on the road of my delusions and of the life that I feel ! New York I’m coming ! Valencia 18 février 2019
Texte 252 : Gibraltar Le Commandant m’a prévenue la veille, Gibraltar on y sera vers 6:30. Je serai au garde à vous cette fois-ci lorsque le téléphone sonnera pour m’entendre dire en anglais, le bonjour, et me rappeler la manœuvre qui va être faite. Je ne tituberai pas sur mon lit, à quatre pattes, foutant en l’air la couette, un coup à gauche, un coup à droite, comme les autres matins, yeux écarquillés dans le noir, tentant de faire surgir une voix la moins rocailleuse possible, par rapport à mon interlocuteur qui me téléphone et qui lui a bossé peut-être toute la nuit, a la voix claire et dynamique. Le remercier vivement, sans manière mais avec un enthousiasme de travailleuse en écho et lui souhaiter une bonne journée. Donc, ce matin, enfin ce petit matin, je me fais le passage de Gibraltar où il y a beaucoup de trafic. Le Commandant fait le choix d’être à son poste, le cargo étant sous son absolue responsabilité, c’est le prolongement de lui même durant son mandat de trois ans, en alternance tous les deux mois avec un autre Commandant. Il fait nuit noire, il y a déjà beaucoup de bateaux alentours, visibles par leurs dispositifs lumineux. 6:40, je n’attendrai pas l’appel du Ship Office, je fais le choix de déserter ma cabine pour rejoindre La Passerelle. Tout l’équipage me semble tourné vers Le Commandant. J’ai une vision, que même endormi, l’équipage est tourné en Sa Direction, moi-même, en tant que passagère, il me semble soutenir ce grand ensemble, en ne faisant rien. Sur La Passerelle, je réalise qu’on est loin d’une nuit noire. La lune nous accompagnera donc pour le passage de Gibraltar. Parviendrais-je à finaliser mon ultime texte avant l’Atlantique ? Extraordinaire sensation, je palpe le privilège d’être là, au passage entre deux continents. Bientôt le soleil se lèvera, peut-être au moment parfaitement symbolique où je m’attaquerai à l’Atlantique pour laisser mourir derrière moi des regrets que j’aime pourtant peu nourrir. 5:52 19 février 2019 Gibraltar
Texte 253 : la Cathédrale du CCTosca Le temps est à ce point de curé que l’on ne se rend même pas compte que l’on avance, si ce n’est grâce au soleil. Les ombres de lumières filent sur les surfaces. On sent bien une légère vibration du moteur, qui fait onduler l’eau des bouteilles, probablement comme doit vibrer le jus d’orange et le café mélangés dans mon estomac. C’est pour ça que mon bide vibre, et non à cause du gras qui l’enveloppe. Passé Gibraltar, c’est le Grand Bassin, vagues de six à sept mètres annoncées par le bulletin Météo actualisé trois fois par jour. Le Commandant m’a montré notre parcours dévié pour éviter les vagues de plus de dix mètres, non pas pour le confort de l’équipage mais pour que les containers ne soient pas endommagés, voire tombent à l’eau. Temps parfait pour visiter les entrailles du cargo, soit la Cathédrale, avec Le Chef. Juste sublime ! C’est un endroit qui nécessite le port d’un casque et il y fait chaud. Je descends l’escalier menant aux Machines, Sarah, Charlotte et Marie, trois des cinq groupes électrogènes qui fournissent l’électricité du cargo, le turbo pour lequel je voue une admiration que je ne sais pas expliquer, la Cathédrale, et donc la turbine qui précède l’hélice, je ne suis pas sûre que ce soit les bons mots -pardon- et la salle la plus chaude réservée aux purificateurs de combustible, pouvant atteindre 50 degrés. Voilà ! Bons baisers mazoutés depuis la Salle des Machines du Cma Cgm Tosca, dans le Grand Bassin, l’Atlantique ! Océan Atlantique 19 février 2019
Texte 254 : la briseuse de coquelets Ce midi j’ai demandé au Commandant si je pouvais faire mon panel de performances, celles-ci induisant idéalement le prêt d’une combinaison Cma Cgm ? Pas de problème. Un pot de peinture et des pinceaux ? Ah ! C’est bien vous allez nous repeindre la piscine ! Ha-Ha ! vaut mieux pas Commandant, et une chemise de Commandante ? Elle sera de grande taille ! Ce sera très bien et pensez-vous que je puisse faire une série de photos dans les ateliers de la salle des machines ? Ça devrait être possible, il faudra voir avec le Chef. Idéalement aussi j’aimerais faire une session en plein cœur de la salle des machines ! ? Ah ! Ça va être plus compliqué, ça m’étonnerait que cela soit possible, vous verrez avec le Chef. OK ! et je voudrais faire un karaoké au Carré de l’équipage philippin. Aucun problème pour moi, à mon avis, ça va leur faire plaisir. Le Second Capitaine n’a pas laissé traîner ma demande, il m’a de suite proposé de me filer une chemise à lui, avec les galons à trois bandes /Séquence émotion et prestige et fierté. /Puis une combinaison de travail taille S et des gants parmi le stock dans une pièce de 3m cube du pont F. /Séquence Fashion ! L’impression que le monde entier est prêt à la performance et au happening en tout genre, je dis cela car j’ai palpé un vent de curiosité et d’enthousiasme de la part des officiers, voire d’impatience à me voir entrer dans l’action et cela depuis la soirée de bienvenue au Champagne où j’ai distribué des billets à l’effigie de Marilyn. Ça y est les mecs, je suis chaude, je vais performer sur votre cargo ! Toutes mes turbines internes fonctionnent à plein régime, je lâche les chevaux, je sors la lionne de sa cage, elle rugit de plaisir, en se souvenant la jouissance absolue que c’est que de se montrer égale à la force qui sommeille en elle. Jetez moi poulardes et cuissots de porc, coquelets et souris d’agneaux, J’ai faim ! Edwin, Dante et Mark me donnent rendez-vous ce soir à 20h pour la soirée karaoké, je veux apprendre une chanson en philippin pour pouvoir la chanter plus tard. Puis, j’ai voulu féliciter le Chef Cuisinier pour son superbe repas, et lui dire que mes perf’ étaient validées par Le Commandant, et notamment celle de La Cheffe Cuisinière, prévue le lendemain.
Mais il n’était pas au Carré de l’équipage français. Edwin m’a dit qu’il était dans sa cabine Pont D, à droite, je m’y suis rendue. J’ai frappé énergiquement, musicalement, en me disant pourvu qu’il ne dorme pas, ou qu’il soit nu, ce serait indélicat de ma part. Torse nu, enroulé dans sa serviette de bains, sortant d’un nuage de vapeur, tatouage au bras gauche, bras croisés, appuyé contre l’encadrement de sa porte. Je lui ai donc annoncé que j’avais l’autorisation de performer dans sa cuisine le lendemain, puis je l’ai félicité pour sa quiche andalouse, son délicat rôti d’agneau, ses Penne au curry, son ananas gorgé de sucre, et pour son corps aussi. L’homme, ce mythe, cette apparition de volutes de muscles, qui ondule dans nos rues, dans nos couloirs, dans nos maisons avec nos chats, dans nos immeubles, nos jardins, nos bureaux, nos Mairies, tel un félin fuyant, toujours mystérieux, on ne sait pas ce qu’il veut, personne ne comprend cet être, il veut être vu comme le plus beau de tous ces confrères, mais en silence. Rêve-t-il secrètement de notre force indomptable ? Quel être mystérieux que l’homme. Bons baisers depuis le CCTosca, où j’ai fait La Cheffe Cuisinière en tranchant en deux des coquelets ! Océan Atlantique 20 février 2019
Texte 255 : bons baisers lunaires Je suis à table, là. À ma table de passagère, les yeux ouverts mais endormie, limite affalée sur mon assiette, mais essayant d’être digne, Le Commandant me demande si j’ai vu la lune ce soir, je lui réponds du tac au tac telle une abrutie que je suis encore trop souvent, que je l’ai vue hier, qu’elle était belle. Il me dit qu’elle est rousse, et grande ce soir. Mais qu’elle est con des fois je te jure, Finis ton coquelet, dont tu ne peux plus, Dès la première bouchée et fonce à La Passerelle ! Je cours. Six étages, Je souffle comme un buffle, Je pousse la fameuse porte Dans laquelle s’engouffre Ce vent venu de Je ne sais où. Trop tard Un énorme nuage s’est positionné devant. Comme si ma bêtise devait être ainsi récompensée. Et je photographierai ce nuage aux contours Magnifiquement découpés par la lune, Sans parvenir à la voir, Elle. Bons baisers lunaires depuis La Passerelle du CCTosca Océan Atlantique 20 février 2019 au soir
Texte 256 : houle haute et longue Je suis assommée de fatigue, et cette fatigue vient du cargo, on est en février et l’Atlantique est rude, c’est très physique, tout est plus difficile à faire, je ne rêve que d’une chose dès que j’ai les yeux ouverts, c’est dormir, je ne suis pas malade, mais ça pompe toute l’énergie. Je suis impressionnée par ces hommes, puisque sur ce cargo, il n’y pas de femmes, qui prennent la mer et y travaillent. Je me suis programmée des perf’ au sortir de la Méditerranée, mais je n’avais pas pensé que les tangages de l’Atlantique me crèveraient, j’avais imaginé être possiblement malade, genre nauséeuse, mais endormie, pas du tout. On a envie de rester sur sa banette, pour somnoler, lire, écrire, refaire son portfolio et postuler à des résidences d’artistes. Voilà ce qu’on peut faire sans souffrance. Par contre, performer, ben mon vieux et ma vieille évidemment, Ben c’est trop dur. Ça me crève rien qu’à l’idée de penser à une performance. C’est là que je me rends compte l’énergie monumentale qu’il faut pour performer. Sur terre, c’est finger in the nose que je m’y engouffre, je ne souffre d’aucun stress, d’aucune hésitation, et en plus je jouis, mais là, sur le cargo : impossible. Mon corps est lourd, l’esprit peu vif pour entrainer du “faire” et de l’action. Je vois bien qu’Hervé, mon ami le Chef Cuisinier, tente de me raccrocher au monde des actifs, en me ventant le fait que si je parviens à aller au-delà de la difficulté, quand je serai à terre tout me sera plus facile, mais je faillis, je me sens faible. Je ne sais pas si je parviendrai à faire La Commandante aujourd’hui. Si je la fais, je peux vous assurer que c’est un exploit énorme. Je crois que ma force n’ira pas au-delà du au-delà. Je ne suis pas une warrior au point de lutter contre les rythmes envoûtants d’une houle haute et lente, qui secoue ton corps perpétuellement, même ton cerveau s’hébète de telles conditions. Bons baisers endormis du Grand Bassin, l’Atlantique, en mode houle haute et longue, un pas en avant, cerveau à l’envers. Océan Atlantique 21 février 2019
Texte 257 : transpirer du mazout Nous sommes le 22, et la météo ne s’était pas trompée, il y a bien des vagues de six mètres. Je suis embêtée, ça m’assomme, j’ai envie de dormir tout le temps. Le problème c’est que j’ai sept perf’ à faire en cinq jours. Je me suis maquillée avant de venir déjeuner, dans l’espoir d’éveiller des désirs de happenings mais non, pas de jus, rien. Je suis désespérée par mon état et par ce corps qui ne me permet pas d’être sur-femme et de faire mes perf’-happenings à l’enfilade avec grand enthousiasme. Le tangage tue mon énergie. Encore à table, le gâteau je ne pourrai pas le manger, je veux dormir. Alors je vais dormir. Entre les grincements de la bête, proches de râles, je ne parle pas de moi mais de la carcasse du cargo, et cette houle qui ferait transpirer de mazout la plus belle, proprette, mythologique et girly de tes copines, ou le plus coquet, au carré, fashion, épilé des garçonnets de tes copains, et ce rythme lourd et sourd qui résonne dans ton ventre, et ce balancement qui peut être gauche/droite ou triangulaire ou subitement total aléatoire, je me laisse aller dans ma banette, bercée par les flots. À moitié endormie je me suis vue à New York, dans l’ancien atelier d’Ad Reinhardt. - Ah ! Si seulement c’était possible d’aller à New Y… zzzzzzz… ateul’ d’Ad Rei…. zzzzZ ! ? - Oh ! ? Yeux grands ouverts regardant l’horizon troublé par le hublot, -..., Mais j’y vais ! Puis je replonge dans les bras voluptueux de l’Atlantique. Je dors donc douze heures par jour et quand je me lève, je veux me recoucher. Je ne comprends pas comment font les marins pour travailler. Je m’en veux de ne pas être à la hauteur de ces vaillants hommes. Cela m’inquiète pour mon avenir dans le milieu, non pas celui de la Marine Marchande, mais de l’Art Contemporain, je devrais être plus forte que les éléments. Je ne dois pas faillir. Ce qui m’attend dans mon milieu est aussi dur, dans un autre genre. Il faut que je sois apte à travailler comme les marins, pendant des heures dans les secousses, à 50° puis 2°, voire -10°, grimper sur
Sarah, un des cinq groupes électrogènes et lui tripoter je ne sais quelle partie pour qu’elle chuchote un beau son techno aux oreilles et au corps entiers, tout cela sans exta’. Vivement que mon corps s’adapte, Hervé m’a parlé de plus ou moins trois jours. Dans le meilleur des cas, il me restera deux jours avant l’arrivée à New York, pour faire mes perf’. Chaud! Bons baisers rêveurs depuis le Grand Bassin, l’Océan Atlantique ! Océan Atlantique 22 février 2019
Texte 258 : au delà du rêve Hervé n’a jamais regardé les bateaux comme moi, si il est vrai que voir un cargo ou un paquebot donne des envies de voyages et fait rêver presque tout le monde, lui ça a toujours été concret, il les a toujours observés avec la volonté d’en être. Il ne regarde pas les bateaux comme moi, il va au delà du rêve, parce que son rêve c’est d’être acteur sur la machine. Moi je ne pourrais pas être marine, de toutes façons aujourd’hui je réalise que je ne suis bonne qu’à être artiste, et que si l’Histoire ne me donne pas raison, je m’en fous, je ne suis bonne qu’à ça. Pourquoi je parle encore de moi, c’est fou ça, cet égocentrisme. /Ceci dit je sais qu’en parlant de moi je parle de toi et cet-te autre là./ À 15 ans il embarquait pour quinze jours sur un bateau de pêche. Après avoir fait tous les métiers sur les bateaux, même Timonier, il est aujourd’hui Chef Cuisinier pour Cma Cgm, et aussi un peu guide touristique, coach mental, philosophe, préparateur physique au mauvais temps, et modèle photos. Océan Atlantique 23 février 2019
Texte 259 : meuf qui domine en pantoufles 5:30 Les vagues de sept mètres m’ont secouée toute la nuit, sorte de sensation de machine à laver grand format. Crispée au creux de ma banette, j’avoue avoir eu un peu peur, à imaginer que le cargo se casse en deux ou que le moteur lâche à force de lutter contre les éléments, et puis j’ai réalisé que c’était déraisonnable de penser à de telles choses, et j’ai cherché à apprécier cette tonique façon d’être bercée. Au réveil, gros tangage persistant, mais plus aucun impact sur moi, plus sommeil du tout, mille idées à la seconde, et je tranche en choisissant la meilleure, je ris par avance de tout ce que je vais produire en deux jours, je veux danser, me faire rire, faire rire l’équipage qui croisera mon apparition, et réaliser mes performances jusqu’à épuisement. D’ailleurs, ce texte, il a intérêt à claquer ! Je vous préviens, faut que ça déménage parce que là j’ai retrouvé mon état normal ! Cet état de fonceuse inarrêtable. C’est pas si mal d’en avoir été privée pendant trois jours, désespérants de mollesse. Je savoure d’autant plus aujourd’hui mon énergie retrouvée. Ce que j’ai dans le bide, je crois que je puis dire, non sans maniérisme, que je suis une enragée. Que l’on m’enferme et je trouverai encore le moyen de produire, que l’on m’enchaîne je trouverai le moyen de faire du son, voire des danses cliquetantes, que l’on me dénigre c’est ça qui nourrit la bête. Il me semble pouvoir retourner des montagnes. Pourvu que mon corps ne lâche pas. À J-2 de l’arrivée à New York, je vibre à nouveau d’être vivante. Mon usine interne me fait bouillonner, mon cerveau a tout remis en place, tout est clair, tout apparaît fluide, il a cessé d’être soumis à l’oreille interne, il a tout stabilisé, je peux enfin performer. Après le petit déjeuner à 7h du mat’, je salue Hervé et lui dis que j’avais retrouvé mes esprits. Il l’a de suite vu, je tourbillonne dans sa cuisine comme un taureau, impatiente de travailler. Je lui dis que ce matin je vais performer dans la piscine, mais il faut d’abord que je prépare mon costume ! - Je viendrai te voir ! - Vaut mieux pas mon ami, ça va être monstrueux, je pense que personne ne sortira indemne de cette performance dans la piscine, moi comprise. On a ri.
- Si tout s’enchaîne correctement, je me fais La Commandante, puis La Seconde dans l’aprem. - Au fait, on voudrait te réinviter ce soir au bar de l’Équipage pour la raclette ! - Trop sympa ! Cool, j’en profiterai pour faire Marilyn. Hervé est bien content de me voir dynamique à nouveau, il capte l’importance que ça a pour moi de pouvoir travailler et il est assez surpris du contraste avec les jours précédents. Je suis fière de mon corps et de mon mental. De retour dans ma cabine, je me mets Two little girls from Little Rock, quelques demi-tours, I came to New York, and I found out, déhanchés, postures de meuf qui domine en pantoufles, For a kid from the small street I did very well on Wall Street, sourires infinis, And now that I am known in the biggest banks, I’m going back home and give my thanks, to the one who broke my heart ; puis je m’attaque au costume que j’ai vu en flash ce matin devant mes tartines de Nutella. ´Tain de l’eau m’est monté aux yeux tellement j’ai réalisé combien j’allais m’éclater au fond de la piscine. Choix d’accessoires inspirants pour ma perf’, la perruque et les lunettes de La Bambina. Yeah ! Le bandana aux couleurs des States, pas besoin des dents pour cette fois : Han-han ! Les grosses boucles d’oreilles en guise de bracelets. Oh ! des faux ongles ! Eurêka ! Test de la colle : je colle un ongle sur une culotte en micro fibre, soit le textile proche de ma combi en lycra. Ouais, ça tient. ‘Tain, l’eau me monte à nouveau aux yeux tellement c’est du big délire. Mon maillot ? Ah ! le voilà ! Ah ! Flash ! Je me souviens subitement qu’il y a au fond de ma poubelle un soutif gélatineux que je viens d’exploser, qui tient tout seul sur les seins, sans bretelles, tu vois le genre ? Je ne l’ai pas explosé du fait de ma forte poitrine, non hélas, mais parce qu’il était vieux. Bref, ça pourrait être intéressant d’y découper une bouche pulpeuse, et des joues bien graphiques sur la tronche de la combi. Je colorerai le tout à l’aide de mes trois vernis : le rouge-orangé fluo, le violet et le rose nacré clair. Il est midi, le costard est prêt, je vais manger et j’en profiterai pour annoncer aux officiers que c’est enfin le grand jour pour mes perf’. Eux aussi seront soulagés de me voir à nouveau dans l’action. Bons baisers toniques, depuis la piscine du cargo. 25 février 2019
Texte 260 : je suis un tsunami Après le repas, je me suis donc rendue à la piscine du cargo en combi lycra couleur chair, que j’avais casée dans mes bagages à la dernière minute, en me disant On ne sait jamais ! J’ai bien fait. Rassurez-vous je n’ai pas erré ainsi dans les couloirs et les escaliers, j’ai enfilé un pantalon ample en velours à fleurs, et un pull large, un gros sac avec tout le matos technique nécessaire. J’ai installé tous mes appareils, et je me suis jetée à l’eau ! J’ai commencé mes recherches. Postures, gestes, mouvements de danse en musique pour comprendre ce que La Bambina avait à raconter au fond de la piscine vide du cargo. Puis après une belle demi-heure de travail intensif mais portant peu ses fruits, Hervé est entré : traumatismes mutuels N°1, puis trois quarts d’heure plus tard Le Chef est entré : traumatismes mutuels N°2. Je les vois derrière ma double peau de lycra, arborant chacun un sourire déclinant au fil des secondes qui semblent faites de plomb, Déflagrations multiples dans l’œil puis dans le cerveau du regardeur, Sourire verdissant, claquage des muscles zygomatiques, Yeux écarquillés, corps faisant demi-tour En me souhaitant une bonne après midi de travail sur une expi’ Qui vient du fin fond du bide et offre une voix monotone. Ils repartent voûtés, comme abattus par la vision. Je les avais pourtant prévenus, qu’il valait mieux ne pas ! Ils pensaient avoir tout vu, tout vécu, Mais je ne suis pas une vague de dix mètres, Moi, je suis un tsunami. Bon baisers du fond de la piscine du cargo ! Océan Atlantique 25 février 2019
Texte 261 : Bim, Tac, Pow, Wiz et Bam 7:00 Face à mon ultime café du matin à bord du Cma Cgm Tosca, j’étais au bord des larmes en pensant à toute cette magnifique expérience maritime. Mais ! Non ! Non ! Et non ! Je ne vais tout de même pas pleurer parce que je m’apprête à quitter le cargo ? Mon cœur ne te resserre pas, mes joues ne rougissez pas, larmes restez au fond de chaque œil, on est une femme oui ou non ? Manquerait plus que j’en vienne à pleurnicher. Houuuuuu ! Ce corps n’est pas armé pour ce genre d’émotions, sauf… Sauf ? Sauf quand il est modifié : mes personnages ne pleurent pas, eux ! Y’a un os là. Y’a un os à roucagner. Faut creuser ! Mes personnages me permettent de mettre de côté tous les pans flasques et mous de mon être en société. Alors je me pose cette question : me serait-il possible de convoquer virtuellement La Galeriste, L’Artiste à l’International, La Bambina ou tout autre personnage, afin de ravaler larmes ou autres encombrantes humilité et raideur ? Puis-je apprendre de mes personnages ? Mes personnages vivent, et me font vivre par la même occasion, des choses que je ne vivrais pas dans mon état normal. Je suis une témoin active des audaces de mes personnages, et ce que je vis grâce à eux, avec le regardeur, sont autant d’apprentissages. J’entends les casseroles dans la cuisine, Hervé mon ami s’active, je pense à la bienveillance du Commandant et de tout son équipage… V’là des larmes qui se pointent à nouveau ! Alors je m’imagine en La Galeriste, Bim, épaules droites en avant, Tac, cambrure, Pow, mains subitement expressives, Wiz, sourire en coin de la meuf à qui tout réussit Et bam : ravalées, absorbées, ces larmes inutiles. C’est magique. Seulement il faut être rapide ! Bons Baisers quasi New Yorkais depuis le restaurant du cargo ! 27 février 2019
Texte 262 : parfaite croupière Installée dès 8h à La Passerelle du Cma Cgm Tosca pour ne rien manquer de l’arrivée à New York, le Commandant m’informe que le Pilote est bien maintenu à 9h, puis que nous passerons deux ponts, d’abord le Pont de Verrazano puis le Pont de Bayonne, juste après lequel il y a une difficulté, un virage d’environ 45 degrés, disons qu’il faut être concentré-e. Le Commandant n’hésite pas à me sortir ses grandes cartes au format quasi grand aigle pour que je puisse me repérer lors des manœuvres. Et je vois New York, qui grandit au fil de la progression du cargo. Grande émotion que de la revoir enfin. Même les baleines sont venues me saluer. Petites bosses noires surgissantes, Desquelles jaillissent des jets d’eau. New York vue du cargo, embrumée et petite, semble endormie. Stalagmites séduisants dans un camaïeu de gris bleuté. J’ai l’impression que je peux tout lui demander, et il me semble qu’elle m’accepte. Grande Reine composée de multiples facettes, elle m’attend. Je la vois à la fois lascive et qui se maintient, danseuse au repos, assise et contemplant les possibles que chaque individu porte en lui. Serait-ce Loïe Fuller, qui me regarde du coin de l’œil ? Je la pressens bienveillante, mais elle ne m’aidera pas pour autant, que je réussisse quelque chose ou que je me plante royalement, ce n’est pas son problème, elle en a vu passer et trépasser, elle est la témoin indifférente des envies viscérales et passagères, des succès et des échecs, des bons placements et des ruines, du commencement et du recommencement, des « se faire » et « se refaire ». Elle eut pu être une parfaite croupière. Kisses from the Port of Newark Newark 27 février 2019
Texte 263 : I saw a little bird Il faut toujours que j’arrive aux USA à fond, dans une voiture à trois turbos, à 200km/h où tu ne peux pas être ceinturé-e, aux vitres fermées et pourtant il te semble que tes cheveux volent au vent. Cette fois-ci ça m’a fait sourire, parce que je me suis vue comme dans une fable, où l’héroïne, pour atteindre telle reconnaissance, doit passer par cette forêt angoissante, et si elle y parvient malgré les dangers, alors elle remporte les lauriers pour sa mission. Mais elle a d’autres missions, et elle doit repasser par cette forêt angoissante tout le temps. Ok guys ! Are you ready ? To follow me in the story of how I left the cargo ship ? J’aimerais commencer par dire mon excitation personnelle face au magnifique spécimen mâle, qui a pénétré le cargo, en tant que Immigration agent. Au vu de son costume qui le moulait parfaitement, son rasage de près et sa coiffure nickel luisante, comme si il sortait de sa salle de bains. Oh my god ! I need a Green Card ! Donc voilà, sexy le mec, qui m’a posé les questions auxquelles j’ai déjà répondu, pour valider mon visa par internet, puis par rendez-vous à l’Ambassade des États Unis à Paris, mais bon, je dois avouer que j’apprécie le fait de répéter que je suis une French visual artist, que je viens pour get the inspiration et surtout not to win money : I know it is forbidden ! Donc cette rencontre torride devait avoir lieu à 14h, elle a finalement eu lieu à 16h30, et c’est là que commence le stress de ma journée parce que mon hôte m’attend depuis le 21 février, date originelle de mon arrivée, puis qui est devenue 24, 26 puis 27. Elle surveille le cargo via Marine Traffic, mais Marine Traffic n’intègre pas les problèmes d’immigration et autres joyeusetés. Donc de 14h, on passe à 16h30. Donc, je re-re-repasse mon entretien, comme quoi je suis artiste. - Mais pourquoi venir deux mois ? - Et bla-bla-bla, je m’étonne de parler si bien en face d’autorité. Sexy authority, you remember, hein ? Il me valide et m’annonce que je dois encore passer l’immigration avec photo et empreintes, comme à l’aéroport. Super ! Merci ! Mais comme il y a un marin philippin blessé, Arnel, le 3ème Ingénieur me semble-t-il, je devrais quitter le port avec lui. - Pas de problème ! Mais en fait, mon inconscient s’est raidi, il avait compris, lui.
Le hic à venir. Il avait pressenti que ça allait rendre plus laborieuse mon arrivée à Manhattan. Donc je descends l’escalier aidée par un membre d’équipage du cargo, et je rejoins le véhicule en lien avec l’immigration, mais qui fait aussi taxi, mais aussi agent portuaire, ambulancier, indic’, et un peu flic. Un quart d’heure plus tard, arrive le jeune philippin blessé, qui sourit tout le temps, même quand il t’annonce qu’il a mal, ou qu’il te dit qu’il travaille six mois d’affilée parce que lorsqu’il est aux Philippines il n’a plus de salaire. Le taxi driver quitte le port de marchandise, pour amener le jeune philippin se faire soigner à Newark. Puis, une fois déposé, je vais pour lui faire mes adieux, alors que lui, pragmatique file vers cette sorte de clinique du viteuf’ qui a bien voulu le prendre mais qui s’en serait passé, donc il file sans me regarder, car je pense qu’il sait qu’on se reverra. Pas moi. Je cherche à lui faire coucou -cruche- comme pour saluer son courage dans un monde plus rude que le mien, et là le taxi driver sort du véhicule, en me recommandant autoritairement de ne surtout pas tenter de sortir du véhicule, et je lui dis Of course not ! Of course ! N’ouvrez même pas les portes ! I won’t do that. Ai-je à ce point l’air d’être une brigande qui enfreindrait les règles ? Excitant. Redorant, même. Bref. Pourquoi trois heures dans une voiture avec un flic-indic-agent-de-l-immigration-taxi-ambulancier ? Parce que la clinique du viteuf’ a soigné le jeune philippin souriant, en vingt minutes, mais le tout a pris plutôt quarante minutes, puis qu’ensuite on a roulé pour le déposer au cargo, mais que le jeune philippin souriant a demandé à avoir de la lumière -et oui entre temps la nuit est tombée- pour vérifier son ordonnance, et qu’il a constaté une erreur. Un médicament n’avait pas été donné! Le driver-taxi-flic-ambulancier-indic-immigration-agent, peu aimable vis-à-vis de ce qu’il considère comme sous-caste, lui demandait de bien vérifier dans le tube fourni par la clinique, - Y’a peut-être deux compartiments ? Mais une crème ne se met pas dans un de ces tubes oranges translucides. Il est 18h00 lorsque le driver appelle la Clinique du viteuf’ pour signaler l’oubli. Puis appelle son Boss pour savoir ce qu’il vaut mieux faire. Direction Immigration pour la passagère. Y’a urgence ! Vite !
Cheveux au vent malgré les vitres fermées, Gyrophares à plein régime, Des lunettes tombent du rétroviseur, Doubler toutes les voitures par la gauche, par la droite, gauche, Il les ramasse et les suspend à nouveau, droite, gauche, droite, Les lumières filent, Puis c’est la zone, aux grillages perforés, poubelles, Rats sur et sous des tôles à l’abandon, Un décor parfait pour une scène de règlement de compte, Ou de liquidation d’une témoin gênante. Bâtiment perdu dans une zone industrielle portuaire bien glauque. L’immigration-agent-taxi-flic-indic-ambulancier m’accompagne dans le bâtiment endormi, dans lequel je retrouve, Oh ! surprise le flic sexy, gêné de me voir encore vadrouillante à Newark et non New York, mais il n’ira pas au point d’excuser le service d’immigration pour m’avoir baladée de 14h à 19h. Cette situation poussée à son paroxysme, m’a amenée à obtenir des mots d’encouragement de la part du flic sexy, tu sais celui qu’on aimerait bien voir dégrafer son costard sur quelque musique Disco que ce soit, celui qu’on verrait bien subitement monter sur un des guichets, bazardant d’un coup de cul les ordinateurs, et toute cette fichue paperasse, coup de genoux dans les écrans. Il te regarde en se caressant son visage, ses cheveux, son cou, puis dé-zippe sa combi de flic, des boutons dorés décoratifs sont pulvérisés tout autour de sa stature grecque, ses galons voltigent pour échouer sur ton visage suant, les deux Talkies-walkies valdinguent mais restent attachés, s’enroulent autour de ses jambes façon bondage et se desserrent progressivement pour accompagner l’émergence de ce que la nature a fait de plus beau, le mâle. De galbes en galbes tes yeux se perdent mais ne perdent pas le nord. - Madam ? Madam ? - Oh ! Sorry ! I saw a little bird ! Kisses from New York where I am now ! New York 27 février 2019
NEW YORK
Texte 264 : mise K.O Il neige ce matin sur Manhattan, hypnotisée par la Big baie vitrée de l’ancien atelier d’Ad Reinhardt, dans lequel je loge, comment dire je suis comme mise KO. Je ne sais plus faire mes courses -moi si efficace à Carcassonne-, je ne sais pas quoi manger, je bugue total. Hier, ne serait-ce que pour mettre une chaussette : une heure. Je me plante devant la vitre et j’observe d’abord l’architecture qui forme la structure de ce merveilleux ensemble, et puis le vivant. C’est fou ce que le bonnet rouge est à la mode ici. Un taxi arrive au pied de la Tisch School of the Arts. Retrouvailles en grosses embrassades de deux jeunes femmes. Elles semblent voler. Classe le mec. Touristes joyeux à bonnets « New York » dans un bus ouvert. Petite piétonne, violoncelle au dos, indisciplinée sur le passage clouté. Tranquille en skate, longs cheveux au vent. Il vise la poubelle avec sa canette. Raté. Il se moque de lui-même, stoppe net, ramasse, jette et repart, tranquille en skate cheveux au vent. Cycliste gueulard à pieds, à côté de son vélo. La voisine allemande avec son mec. Elle est classe, proprette, marche droit, il est grunge, titube, gigote, voûté. Gros chien tracte un jeune homme en skate. Que serait ma vie, si j’étais elle ? Beau black souriant, sirotant son Cappuccino, pénètre dans la Tisch School of the Arts. Peut-être ce soir vernissage de Let us try for once de William Kentridge, à la Marian Goodman Gallery. Quarante minutes de marche. En attendant, il est 7:50, j’ai rien dans le bide, j’ai beaucoup de travail. Faut que je publie à donf’, non stop, bam-bam ! Toutes mes prod’ sur le cargo. Bons baisers de Manhattan March 1, 2019 New York
Texte 265 : façon “corvée du soir” Deux jours que t’es arrivée à New York. Tu décides de sortir. Tu enfiles des collants résille et dentelle noire, ton pull col-roulé gris, ta robe-chemise noire d’hiver, et un gros pull, tu fais le choix de ne pas t’encombrer de ton manteau, de toutes façons t’as l’intention de courir les 4,4 km qui te séparent de la galerie, t’auras pas froid. Tu mets tes chaussures de ville très confortables et qui vont probablement mourir à Manhattan. Rien de mieux que de courir à grandes enjambées, ta robe fendue laisse s’engouffrer l’air frais le long de tes jambes, ça te donne la sensation d’être une jeune gazelle pour encore longtemps. Depuis que j’ai vu le jeu Lara Croft sur le cargo, où on entend respirer l’héroïne, mon corps a pris ce tic que je ne parviens pas à réguler. Ce corps veut absolument me renvoyer une image de moi en warrior. C’est plutôt une bonne idée de sa part. Que le cerveau s’y mette et on va faire des étincelles ! Après une belle demi-heure dynamique j’arrive au 24 de la 57ème, je pénètre l’étroit et long espace vitré, où un jeune homme m’indique l’ascenseur et l’étage de la Marian Goodman Gallery. Une belle femme brune, d’environ quarante ans, peu maquillée, entre dans la galerie avec such un air hautain, qu’elle a amené un vent glacial avec elle. Où est-elle, voyons…, là ! Je la suis maintenant, peut-être s’en rendra-t-elle compte. Non je suis trop forte, j’aurais dû faire détective. Alors, elle est entrée dans la Gallery façon « corvée du soir ». Acquérir une œuvre entre 300 000$ et 1 200 000$ ça ne se fait pas en souriant, on n’achète pas un bout d’Histoire de l’art avec enthousiasme il faut avoir l’air de pouvoir s’en passer, il faut qu’on te charme et te supplie. Et après tu rentres chez toi, encore plus blasée, et tu finis au creux du sofa à mater les infos à dents blanches. Je connais les prix des œuvres car je les ai demandés, le jeune homme m’a d’abord demandé si j’étais intéressée par une pièce en particulier, j’ai répondu que non, que je voulais juste avoir une idée, il m’a imprimé la fiche complète des prix, en me demandant de bien vouloir la lui rendre après consultation. Sympa.
Je zigzague parmi les visiteurs dont certains se porteront acquéreurs au doux son des bouteilles de Champagne qui pètent. Je pose mon verre de Champ’ sur le comptoir, La jeune femme me ressert aussitôt, ça ne se refuse pas. Ça se passe comme ça ! T’arrives à New York, vernissage 57ème rue : Champagne ! Le prix de l’Histoire de son vivant semble donc être fois mille. Artiste, tu prends tes prix actuels, et tu multiplies par mille. Je dois avouer que je ne m’attendais pas à ces prix. Je pensais plus à 50 000$ ; allez 100 000$ ! Bon allez, max 150 000$ le prix d’une maison à Carcassonne, quoi. Ben non minimum deux maisons. Et max ben : dix. Et puis je suis partie. Belle soirée, vraiment. Ambiance, franchement sans chichi, ça m’a bien plu. Ah ! et les œuvres ? Pas trente-six-mille commentaires, Je parlerai de ce qui m’a plu, aussi bêtement et platement Qu’il soit possible de faire. J’ai donc aimé : Drawing for The Head and the Load 2018, (100x160cm), 450 000$ : vendue, Paragraph II, 2018 (23 sculptures en bronze sur 3 étagères) Processione di Riparazionisti I et II 2018 et le film KABOOM!, 2018 (18 minutes). Kisses from New York March 1, 2019
Texte 266 : y performer Je vais aller à l’Armory Show aujourd’hui, dans mon état normal, pour bien repérer les lieux et y performer les trois jours suivants, si le froid piquant ne me décourage pas. Il neige à nouveau. Faudrait que je me trouve un gros manteau en fausse fourrure aux couleurs fluos dans une fripe, ainsi que des bottes à talons hauts rouges, des gants à paillettes qui moulent bien les mains, car j’ai les doigts fins et c’est une particularité gracieuse que je ne dois pas casser, à moins que je fasse le choix extrême de grosses moufles ? Maquillage outrancier, dents en or ? Bagouses ? C’est très excitant, je vais y penser tout aujourd’hui. Et demain, je serai toute feu, toute flamme. Kisses from Manhattan, where the snow must go on ! March 7, 2019
Texte 267 : petit monsieur agenouillé Au pied de la Tisch School of the Arts, il y a un petit monsieur agenouillé, dos au bâtiment, de type asiatique, bien équipé contre le froid, plutôt élégant. Je ne peux pas m’arrêter de l’observer tant que je ne comprends pas pourquoi il a ses mains près de son visage, comme si il tenait un livre virtuel. Je vois qu’il parle, on dirait qu’il prie, je pense qu’il est bouddhiste. Une fois sa longue prière effectuée, il se lève en essuyant de grosses larmes et demande à un copain ou sa femme, c’est difficile à dire avec les trente mètres qui nous séparent, de le photographier devant le bâtiment, puis à l’angle de la rue où il se fait filmer en train de réciter une prière, puis il veut être photographié depuis le trottoir d’en face. C’est évident, il s’est passé quelque chose à cet endroit-là. Je googueulise Tisch-School-New-York-Death. Une étudiante s’est suicidée en 2004. Morbides kisses from Manhattan March 7, 2019
Texte 268 : ressac déprimant Un homme d’environ cinquante ans, au style de Lord anglais, est suspendu aux lèvres pulpeuses d’une très belle meuf de trente cinq ans pile. Mutuellement chauffés autour de drinks, ils se sont embrassés goulûment sans avoir réellement soif l’un de l’autre. Je ne comprend pas cette femme, son corps dit non à ce mec, elle se contorsionne au maximum de tout ce que ses os peuvent faire, elle crée des angles aigus de partout. Elle ne le regarde pas en parlant. Elle a plongé ses yeux au fond de son verre. Indifférente à lui. Il est totalement tourné vers elle, oppressant de désir. Sublime femme mince aux épaules dansantes, elle lève les bras sur Blurred Lines, mimant la liberté. Situation confortable de l’insatisfaction permanente. Pas bel homme, il a tous ses cheveux et même plus. Une allure et un poil semblables à celui qui ne sera jamais Roi d’Angleterre. Il ne tient pas l’alcool, il ondule comme une plante qui se prend un vent, il part, puis il revient. Ressac déprimant. Apparemment ce qui désespère la femme c’est qu’il ne veut pas l’épouser. Ce n’est pas par le langage que je comprends ça, mais par les gestes de la serveuse qui sert non pas de “trouble fête” mais de “metteuse au lit” de ce couple qui devrait cesser d’exister. Après les avoir reconnectés, elle revient avec deux whiskys - c’est pour elle, cadeau quoi ! Puis l’homme part enfin sur un mini tour de piste, intégrant un tour complet sur lui-même singeant la décontraction, pirouette dégingandée, le manteau forme une corolle autour de son fessier, le cartable en cuir marron lustré suit une trajectoire plus périlleuse. La femme ne s’est pas retournée pour voir ce vieil enfant quitter le bar. Kisses from the heart of New York March 9, 2019 White Oak Tavern New York
Texte 269 : le garçon à la pucelle attitude Devant mon fish & chips, je me souviens subitement comme j’ai énervé ce monsieur. Je l’ai mis hors de lui cet homme à l’allure enfantine. Il aurait voulu me fouetter en place publique ce gringalet aux cent milliers de dollars. J’ai vu dans les yeux glaciaux de cet éternel garçon à la pucelle attitude, de la haine envers moi. Il eût voulu que je n’existasse pas dans sa journée tiède, ce piètre et fade individu. Tout avait pourtant si bien commencé entre nous. Plantée devant la vidéo montrant le processus créatif de Jorinde Voigt pour la réalisation de sa récente série jaune, je me greffai à une conversation, ou plus précisément l’inverse, soit la conversation entre un couple d’acquéreurs potentiels et la galeriste du stand qui se greffèrent à moi, expliquant comment l’artiste fait corps avec le support, elle se couche sur le papier et trace des signes autour de son corps. À la fin des explications de la galeriste j’ajoutai mes remerciements qui furent appréciés de façade. Puis je me permis de demander le prix d’un jaune à cet homme planté là, comme si il attendait une vente providentielle : - Vous êtes intéressée par une des œuvres ? - Non, je veux juste avoir une idée du prix. - 60 000$ - Et celle-ci (Grands bleus) - 110 000$ - Et celui-ci. Là il n’en pouvait plus de ma tronche, en moins d’une minute, il m’air-éjecta de son stand mais j’insistai, je n’allais tout de même pas partir sans connaître cet ultime prix ? - Ah vous voulez connaître les prix… ? - Oui, depuis Art Basel Miami Beach 2012, je m’intéresse à cette artiste, et cette grande œuvre me semble dater de cette époque-là. - Oui, 120 000$. Puis il a filé, sans me dire au revoir, sans mot de politesse, agacé, bouillant dans ce corps étroit et raide, tête levée, traçant au sol une des courbes que Jorinde Voigt eût pu dessiner. Kisses from New York, in her arms I like to fall asleep March 10, 2019
Texte 271 : sacrée camelote Tu passes derrière une femme toute de vert vêtue elle se retourne à ce moment précis, et tu te prends son rire exagéré dans la gueule. Son costard vert acide agrémenté d’un foulard multicolore noué autour du cou, est audacieux. Tu penses que c’est l’artiste, puis la galeriste, ou peut-être la curatrice. Ça ne peut pas être l’artiste puisque tu lis qu’elle est née en 1941. Ah, c’est elle alors, joyeuse mais assise, peu friande de ce genre d’événement, apparemment. Tu erres dans l’espace en maîtresse des lieux, il faut dire que tu viens de te faire refourguer une sacrée camelote sur la Madison Avenue. Une crème qui efface tes rides preuve physique à l’appui. Tu marchais dynamique, le mec t’a alpaguée dans la rue, il t’a complimentée sur ton style, tu l’as remercié, Puis il t’a dit un truc que tu n’as pas compris, Tu lui as demandé de répéter Et tu t’es retrouvée assise au milieu de cosmétiques, il t’a dit : - Voyons quel âge avez-vous ? 40/45 ans ! L’enfoiré t’a séchée. Tu as ri verdâtre, tu as 39. Vendeur de tapis pour tronche de vieilles. C’est donc armée de cosmétiques pour vieille, que j’assiste à l’Opening Reception de Tivoli d’Helen Marden. Il y a une mère et sa fille, qui cherchent toutes deux des hommes riches auxquels se greffer. Elles n’ont pas vraiment regardé les œuvres, elles se sont mises dans des coins pour être vues et pour se contempler mutuellement et Check leur Instagram. Et puis je repense à ces bonimenteurs de la Madison avenue, et ces crèmes stupides. Je pourrais dégueuler au milieu de l’espace d’exposition, Avocat (vert), Pain (jaune), Jus de pomme (lavis de jaune) Raisin rouge (lavis de rouge et touches pourpres), Et amandes (surnageant en éclats blancs). Loin de moi l’idée de suggérer une quelconque métaphore avec les œuvres en présence. À force d’errance et d’observation, J’en viens à en apprécier certaines : cinq précisément.
De toutes façons mes poches d’yeux me tirent, Ça me rappelle ma bêtise, Et je me revoie ventilo en main, un œil fait l’autre pas, Le mec qui me dit que j’ai 40/45 ans. J’ai l’air apeurée dans le miroir, car c’est troublant, La crème marche, même avec mon fond de teint. Le mec me parle, mais je ne l’entends plus Comme happée par le reflet. Les rides ont disparu. Me voilà hypnotisée par des faits. Est-il possible de trafiquer un miroir sur une moitié ? Faut que j’arrête de penser à cet événement humiliant. Tiens je vais demander les prix ! 25 000$ chacun. À ce prix-là, le Champagne permettrait Le lâcher prise de 250 billets de 100$ ou de la CB, Ou plus probablement d’un virement bancaire, Histoire de clore définitivement ton [piii][iii][ell] (PEL in the sound of english). Mais il n’y a pas de Champagne. Je continue mon errance Comme si je pressentais que quelque chose allait se passer. Rien ne se passe. Je me sens juste bien En imposant ma présence, Et en me prenant pour une écrivaine Inspirée sur le vif. Old-fashioned kisses from 976 Madison Avenue March 12, 2019 Gagosian Gallery New York
Texte 272 : suffering bastard Grande joie de revoir le travail de Naama Tsabar, et de pouvoir échanger avec l’artiste. Ses installations sont powerful you know ? C’est un coup de genou dans les bourses flasques de certains abrutis, A Suffering Bastard comme le nom du cocktail Que je m’apprête à découvrir à base de Bourbon, Gin et gingembre. Suffering Bastard ! Yeah ! Le son de la White Oak Tavern prend ainsi Des rondeurs et profondeurs plus intéressantes, plus crues aussi. Rires de femmes à grandes bouches, voix nasales des hommes, Claquements de mains qui résonnent comme des cymbales, Musique qui forme un fond chaud. C’est d’ici que j’évoquerai Dedicated de Naama Tsabar, à la Kasmin Gallery. On sent de la rage dans cette esthétique maîtrisée jusqu’au moindre copeau de bois de guitare écartelée, vissé au sol, duquel est tendue une corde. Une esthétique à l’opposée de la mienne, et c’est pour ça que j’aime. J’avais vu sa performance à la Kunsthaus Baselland in Switzerland. Le 4 mai, il y aura une performance pour le finissage mais je ne serai plus à New York. J’imagine les corps vautrés des performeuses mais dynamiques à même le sol, tendus vers les guitares défoncées, caressant, pinçant, tirant, cognant sur leurs cordes. Allongées mais non alanguies, À activer l’installation sonore Amplifiée par les enceintes-tableaux. Kisses from New York where I am living in a dream with a lot of real things, but a dream quand même. March 13, 2019 Kasmin Gallery New York
Texte 273 : dégueuler du bassin En plein cœur de l’Opening Reception de Young Twitchy d’Harmony Korine j’erre en totale possession de mes contours. Pas une disgrâce n’est possible avec elle, j’ai nommé La Bambina. J’ai traversé une grande partie de New York à talons hauts, motif léopard, toujours à grandes enjambées. Une belle heure de marche dynamique, avec en tapis rouge sonore de bien délicieuses phrases, en voici une sélection : - I love your hair ! (au km 1) - I love your glasses ! (au km 2) - Waou class ! (au km 3) - I love your style ! (au km 4) - RoArrr ! (au km 5) Puis j’ai recroisé les vendeurs de crème miracle bouches ouvertes : - Oh my god ! You are the most beautiful woman I saw today ! (Au km 5,5) Effet La Bambina. Y’a pas mieux pour rajeunir. À La Bambina, on ne propose pas de crème miracle. Voilà ! La Bambina pénètre Gagosian, tout d’un hall de marbre-clair-luisant paré, passe de sas en sas, d’ascenseurs en escaliers, elle pousse la porte vitrée. Se palper en maîtresse du jeu. Ne pas céder de terrain, être bien là et y rester tout comme ces sortes d’apparitions qu’a peintes Harmony Korine d’après des images créées via son téléphone portable. Elles lui sont apparues, il les a fixées. S’imposer dans la réalité. Un mec d’environ 58 ans, greffé de sa petite meuf’, qui lui tourne autour d’une façon étrange, je crois qu’elle dessine au sol une grosse fleur de type Flowers d’Andy Warhol (1964), tous deux fleurons de la middle-up-up-up-class, le mec me dit : - You are the most insteressant person here so please can I take a photo of you ? - Of course my dear ! Hélas ce couple s’avèrera lâche car l’enthousiasme spontané sera anéanti par une meuf’ de standing qui est allée leur parler juste après que ses yeux m’aient croisée et aient dessiné une courbe sinusoïdale qui n’avait pas besoin de mots pour signifier combien j’étais the most IN-interessant person here. Bon y’avait qu’elle et deux-trois poufs pour se comporter comme ça, hein ? y’a même un mec qui a voulu que je signe un autographe sur un billet que je lui avais donné !
Tu vois l’amplitude émotionnelle que suscite La Bambina, plus d’amour que tout autre chose. Ok, Harmony Korine vient d’arriver. Croiser le regard d’une dominante, bien ancrée dans la vraie vie. Lui sourire généreusement alors qu’elle arbore un faciès d’huître tendue. La voir friser de l’œil, l’outrer. L’huître se met à baver. Quelle récompense pour tout mon travail. Merci madame. Harmony Korine est petit. Ah ! Helen Marden est là. Dégueuler du bassin quand tu croises ici une autre dominante, là un prétentieux, par ici un couple de mondains glaciaux et par-là un jeune trader hautain. Et finalement dégueuler du bassin tout le temps. Tournoyer dans l’espace. Les dominants ne veulent pas qu’on aille sur leur terrain. Alors y aller, et rester plantée là, bien au milieu, se mettre devant, ou à côté, attendre qu’ils ou elles déguerpissent. C’est pas toi qui bougeras. Rester en mode colonne, dorique de préférence. Que l’on te contourne ! Comme le taureau autour de la torera. Mon dieu mais je nage dans le grotesque, c’est mon truc, je suis comme un poisson dans l’eau. Une photo avec Harmony Korine ce soir ? Hum… cela semble poss…! - Hi ! - Hi ! May I ask you a photo ? - Of course ! - Thank you ! Ok done ! On refuse rien à La Bambina ! Et surtout elle ne se refuse rien ! Tout lui est possible ! C’est extraordinaire le pouvoir qu’elle a ! J’aurais dû tout faire dans ma vie en La Bambina. Car rien ne lui résiste. Ni Paris, ni Rome. Ni Bâle, ni Toulouse. Ni Carcassonne, ni l’Océan Atlantique sur le Cma Cgm Tosca. Ni Miami Beach, ni New York. Alors rester là, sans attache, tourner librement. Faire sien le sol de Gagosian. Palper le pouvoir, et le prendre. Il est 20:04. Quitter les lieux. Warm kisses from New York March 14, 2019
Texte 274 : ce soir je me la joue Grande Princesse Arriver en avance à la soirée Drag Show. Pousser la porte du DBL Bar et se faire demander son ID. Pourvu que le mec ne me demande pas d’enlever la perruque de La Bambina, ce serait effrayant, car le bonnet en nylon censé retenir les cheveux pour bien porter la perruque à glissé vers l’arrière de mon crâne parce qu’il est vieux et distendu, et comme toujours, t’as qu’à imaginer, hey mieux que ça ! t’as qu’à m’imaginer avec ma tronche, mon cheveu faible et peu fourni, racine brune de 3,5 cm avec des connards de cheveux blancs qui commencent à s’incruster sérieusement, se terminant sur 7 cm de blond - ça c’est beau le faux blond c’est quelque chose qui me plaît vraiment beaucoup, on peut dire que c’est ma partie qui me fait rêver, bref imagine ça mais le tout engraissé à force d’être maintenu au plus près du cuir, au point de faire corps avec le crâne en ondulant dégueulassement. Et c’est ça que je risque de montrer dans quelques secondes ? Ouf ! le mec me rend mon ID, bah oui chui de 79, pas de 99. La Bambina fait vraiment jeune, ça me fait bien plaiz’. Je peux attendre au chaud Justin, mon guide pour la soirée Drag Show. Positionnée face à la télé qui diffuse Ru Paul’s Drag Race au dessus d’un homme de petit format, assis, fronçant le visage, et pleurant maintenant, le dos droit, les deux bras le long de ses cuisses, il doit avoir 25 ans max, et ses deux amis l’entourent semblant vouloir relativiser le drame qui le touche. Un troisième homme arrive et leur fait face encore plus tassé que les autres et d’environ cinq ans plus âgé, il semble être la cause du malheur de celui qui pleure. Ah ! c’est la fin des pubs, chuuuut, tout le monde se tait, tout en s’excitant intérieurement. Même ferveur que pour un match de foot, mais en plus fun et en plus intéressant. J’ai loupé de peu Trump en Drag Queen. Mais l’émission diffuse des extraits façon gimmick. La Bambina se tient au milieu de personnes qu’elle pourrait câliner mais on ne lui demande rien. Elle est, semble-t-il, sublime, au vu des remarques qui lui sont faites, elle porte ce soir ma salopette en velours côtelé bleu clair et mon teeshirt women-women-women de rouge écrit, mes lunettes à la monture dorée et aux verres bleus constellés de paillettes, ses chaussures léopard à talons hauts et mes grosses créoles “or” acquises à Miami Beach.
Un jeune homme vient à moi, 27 ans, comme intrigué par mon personnage, puis je le reconnais, c’est Justin mon hôte Airbnb pour la soirée Drag Show, je lui tape la bise comme si je le connaissais depuis toujours, on est contents tous les deux. Les autres participants arrivent progressivement, Justin nous offre à boire en nous expliquant l’histoire du quartier Hell’s kitchen, puis on rejoint le premier Drag Show Therapy, on y restera trois quarts d’heure. J’y serai bien restée un peu plus, j’aime bien voir ces femmes parfaitement ancrées au sol, robes moulantes aux couleurs fluo, la bite dissimulée, révélant un mont de Vénus en puissance qui semble dire fuck à tout, d’ailleurs c’est fabuleux la robe en fin de danse remonte tellement qu’elle devient body. Voilà une chose que j’évite absolument pour mes personnages, et pourtant c’est assez beau ce laisser-aller-remonter-plisser-le-longd’un-corps-saucissonné-dans-une-combi-totale-couleur-chair. Les Drag Queen, j’en fais définitivement mes modèles et mes alliées. Je file un dollar à chacune puis il nous faut partir, notre hôte nous révèle qu’il y a encore mieux. Pratique, c’est de l’autre côté de la rue Industry Bar. Justement, direction le bar avant que le show ne débute. Je commande mon premier Gin Tonic, 8$. 8$ ? C’est vraiment pas cher, je laisse 10. Ce soir je me la joue Grande Princesse ! Tellement Grande Princesse que j’ai préparé mes billets d’un dollar dans la poche droite de ma salopette, je suis prête à les dégainer quand je verrai des saynètes de Queen qui m’émouvront ou quand je serai juste un peu plus alcoolisée. La future Reine Lionne donc la lioncelle, Simba quoi, a une présence attendrissante et drôle, le Calao à bec rouge, soit Zazu est interprété par un artiste qu’on aimerait voir un peu plus, et la méchante lionne, elle, est sublime. Le Roi lion est dans le public, sur un fauteuil rococo, il est grand et un peu gras, il doit avoir quarante ans, il porte la barbe bien toilettée, il est vêtu d’un costard coloré de velours et de soie. Sur ses genoux est assis un japonais fin d’environ 30 ans mais qui en fait 20, en kimono de soie, et sur un fauteuil à côté son double pareillement vêtu, gambettes à l’air, attendant son tour pour monter sur les genoux de leur mec loué pour la soirée. Ce couple est riche, ça se voit dans les postures et les regards inimitables. Une telle préciosité de cire ça se sculpte depuis l’enfance à coups de règles et de cadeaux.
J’ai l’impression d’être dans leur salon, bientôt le vieux va coucher ses enfants et rester avec eux pour jouer. De Gin Tonic en Gin Tonic le Drag Show laisse place à une soirée dansante où il est possible de toucher des corps épilés suants, d’ouvrir des chemises, d’être embrassé-e-s par surprise par glissement des corps. On danse en ne cessant d’être frôlé-e-s, sensation comparable à une sardinade où des poissons frétillent joyeusement en oyant leur fin par le feu crépitant, dans leur carré de papier blanc plastifié. La Bambina s’est crue américaine durant les trois à quatre heures de danse, levant son verre à la santé de ses faux-amis d’un soir. 4:00 La Bambina quitte les lieux 4:10 La Bambina prend un taxi, 10$, elle laisse 15 à ce vaillant black qui la dépose vivante si tard la nuit et si tôt le matin. 4:30 La Bambina est dans le studio. Je lui enlève sa perruque, son bonnet de nylon, ses faux cils, ses bottines léopard, je la démaquille, puis la déshabille. Je dormirai trente heures d’affilée. Warm kisses from Manhattan March 21, 2019 Hell’s Kitchen
Texte 276 : conversation entre Julie Mehretu et Smooth Nzewi Se programmer une soirée exceptionnelle Et la désirer au point d’en rêver même éveillée. Se voir performer en La Journaliste. Rêver de mon audace ou pas De faire un max de selfies. Je trouve cela intéressant De se figer soi-même à tel moment, À tel endroit avec telle personnalité. C’est comme si on s’incrustait par côté dans l’Histoire. Alors voilà, je vais rencontrer Julie Mehretu Dans quelques heures. Je songe à ma gueule en La Journaliste, Et me voilà convaincue Qu’il me faut trouver un applanisseur de rides Et de grains de peau. En vieillissant ma peau se crevasse, Et le maquillage que j’utilise Exagère ça plutôt que de l’amoindrir. C’est ce que j’ai dit dans un anglais titubant À la vendeuse de chez Ricky’s. Je lui ai acheté le matos qu’elle m’a conseillé En rêvant d’y croire alors même Que sa peau emplâtrée se craquelait. Jeune pourtant la meuf. Je m’emplâtre à mon tour, au point de me rater, Réalisant le pire des maquillages. J’enfile ma robe dentelle que je considère parfaite Comme tenue de Cocktail, mes collants dentelle noire, Mes chaussures de danse de salon latino scintillantes, Et mon manteau en laine trouvé dans une fripe. Je descends l’escalier. Au bord du trottoir, je lève le bras pour choper un taxi, J’en ai un de suite, D’habitude je fais le singe pendant plusieurs minutes, Je me sens américaine. Il est 6:17pm, le taxi me dépose devant la porte vitrée de l’immeuble, une jeune femme souriante m’ouvre, me demande mon nom, je lui répond :
- Sophia El Mokhtar. - Oh ! Nice to meet you Dear Sophia El Mokhtar ! Je dépose mon manteau, et je prends l’ascenseur. Les portes s’ouvrent directement dans l’appartement, Je passe le hall d’entrée annonciateur d’un loft de dingue Et je suis accueillie très chaleureusement Par la directrice d’ISCP, Susan Hapgood, Qui me présente ensuite à la propriétaire des lieux, Tracey Riese, puis à sa fille Sophie, la curatrice d’ISCP, Puis Jeanne la grand-mère de Sophie Qui parle très bien français et l’on papote toutes les deux Comme deux vieilles amies avec nos verres à l’allure semblable, L’un contenant de l’eau, l’autre de la Tequila. Elle me dit que je peux aller partout dans l’appartement, Elle me conseille d’ailleurs l’étage. Il y a des œuvres d’art partout. Art Basel dans un loft, De belles pièces, jusque dans la salle de bains. Ma mâchoire lâche prise. Nick Cave dans un appart’ ça a de la gueule, Y’a pas à dire, et cette grande peinture de Mickalene Thomas Elle t’emporte dans son tourbillon de couleurs pour te hacher menu, C’est l’Olympia de Manet revue et corrigée en version black. Yeah ! J’adore, ça crache bien dans un salon. C’est peut-être la pièce maîtresse de la collection Riese. Il y a aussi une œuvre qui m’est rentrée dans la tête façon bulldozer, De Samara Golden située au-dessus d’un lit, œuvre 3D c’est bon ça. Et les deux œuvres de Titus Kaphar Qui m’ont pas mal percutée aussi. Deux personnes s’assoient pour assister à la conversation, Je m’approche et le jeune homme me dit : - Oh ! Nous ne nous sommes pas présentés, Daniel Kapp ! - Sophia El Mokhtar ! On s’échange les Nice to meet you puis il me demande Ce qui m’amène ici et comment j’ai eu vent de cet événement : - blabla Social média… blabla French visual artist… Je lui propose de choisir une carte de visite, blabla follow Mehretu depuis 2012. And you ? - Je travaille pour la Marian Goodman Gallery me dit-il dans un français parfait.
Après que Sophie O. Riese et Susan Hapgood Ont fait les présentations, Julie Mehretu et Ugochukwu-Smooth C. Nzewi Prennent place, la discussion débute et je comprends rien. Mon cerveau fournit plus d’effort à se foutre de ma gueule Et à s’imaginer triomphant dans un corps maîtrisant l’anglais, Qu’à fournir des efforts pour essayer de comprendre ce qui se dit. La conversation terminée je tourne autour de Julie Mehretu et de Smooth Nzewi, comme un requin, c’est que je les veux mes photos. J’erre autour des îlots de personnes, pas trop près, pas trop loin, j’attends le moment pour tenter une incrustation de mon corps dans le cercle prestigieux. J’y suis, je la salue, lui dis des mots de politesse, probablement maladroits, je lui dis que j’aime son travail, que je la suis depuis Art Basel Miami Beach 2012, et que je suis heureuse de voir prochainement son travail à la 58ème Biennale de Venise. Bam - sourires, câlinette de tête, photo quoi ! Puis je croise le regard d’un homme, 35 ans, beau, noir, il a l’air cool, on se sourit, nous nous présentons. Il s’appelle Nate Lewis, il est artiste, il est à la Fridman Gallery dont le galeriste est présent ce soir, il réalise que je parle mal, mais il ne me rejette pas m’invitant même à danser. Très sympa. Tranquille. On s’échange nos cartes. Son galeriste, lui est discret et très observateur, il ondule parmi les gens, en silence, il tâte le terrain, il scrute les expressions, peut-être encore plus que moi. Il se déplace dans l’espace en lignes droites, tête penchée sur son épaule gauche. Voilà, il est 9:30 pm, je salue mes hôtes et repars pour Manhattan. Professionnal kisses from New York where I have the desire to penetrate many art circles and realise selfies! April 4, 2019 Williamsburg, Brooklyn
Texte 277 : grand dadais Commencer le travail d’écriture au moment où l’on sourit à soi-même en pensant ressentir ce que c’est que le pouvoir, ou plutôt les jeux de pouvoir. S’empowerer tient à comment on se visualise, penser à tout ce qu’on est capable de faire, puis subitement faire rire un couple de grands ridés déridés, puis voir que la grande bourgeoisie qui la façonne affirme sa caste en m’identifiant comme la gueuse absolue, j’aime ça ! Danke Fraulein ! Je vais t’observer à mon tour en tant que gueuse Qui se moque de ta caste. Je note que ton homme, À l’allure de grand dadais, Éternel puceau facial, Sa peau granuleuse, et rouge en témoigne, A dû triturer son acné pendant qu’il étudiait les sciences, Ses lunettes ne cessant de glisser sur son nez gras, Lequel non boutonneux ne permettait Aucun point d’accroche. Et bien ton mec n’apprécie guerre l’art, Il te suit comme un toutou. Un mètre derrière toi, Un pas à gauche, hop un pas à gauche, Tu avances de dix pas, il avance de dix pas, Tu dis un truc morose, il acquiesce morose, Tu me montres du doigt en riant, Il rit ouvertement très maladroitement En grand dadais qu’il est, porteur de gènes de grands dadais de pères en fils, les femmes pièces rapportées de générations en générations parfois de belle prestance, n’y ont rien changé. Comme si elles étaient obligées de thermoformer leurs embryons au point de devoir uniquement produire des grands dadais rougeauds et acnéiques, à tête chauves, dégingandés, maladroits, et mal assurés. April 11, 2019 Opening reception of Neo Rauch Drawing Center NewYork
Texte 278 : Run! Et voilà, je viens de courir je ne sais pas combien de kilomètres sous la pluie car au sortir du métro de Borough Hall je ne comprenais rien, j’ai essayé de choper un taxi, impossible tous pris. Alors je me suis dit : Run ! Et voilà je suis arrivée pile à l’ouverture des portes. Là, je me trouve forte ! Trempée, mais forte ! Et jeune aussi. Pourtant je ne suis pas en La Bambina et je le regrette. Je me retrouve nez à nez avec RoseLee Goldberg la fondatrice et directrice de Performa, que j’avais pu entendre lors de la conférence à Art Basel Performance Beyond the Body et je sais qu’en mon état je n’oserai jamais lui parler. Dommage pour ma gueule. Elle l’aurait peut-être aimée, La Bambina, tout le monde l’aime. La Bambina lui aurait fait un délicieux rentre-dedans avec une pirouette et des jeux de bustes et épaules tout en ayant son regard malicieux dissimulé derrière ses lunettes, elle lui aurait fait ses plus beaux sourires, RoseLee l’aurait invitée direct cash à faire une perf’ en novembre pour Performa19, genre gros coup de cœur. Elles auraient fait des selfies, tout le monde les aurait prises en photo, les journalistes seraient arrivés par hélico sur le toit du Pioneer Works, nous aurions dû signer des autographes, faire quelques poses, le Champagne aurait coulé à torrent sur nos deux corps, scellant notre union et célébrant notre rencontre cosmique, même le soleil aurait fait demi-tour pour être là. Mais bon, je suis en moi : tout cela n’aura pas lieu. La performance d’Alexandra Bachzetsis débute à l’heure précise puisque La Bambina n’est pas là pour provoquer une quelconque rupture spatio-temporelle avec RoseLee Goldberg. Escape Act est de suite captivante, les corps sont beaux, mâles, femelles, mâles en femelles, femelles en mâles, perpétuellement changeant, jeunes et vieux. Je me vois jouir du cerveau en continu, ce qui me fait sourire en continu. Je suis dans cet état à chaque fois que je vois une œuvre réussie, proche de mes préoccupations. Inspirante Alexandra Bachzetsis ! April 12, 2019 Pioneer Works Brooklyn
Texte 279 : Brooklyn Artists Ball After Party Sur la route qui me mène une fois encore à Brooklyn, pour une big-bigbig Party, au Brooklyn Museum lui-même ! Amazing n’est-ce pas ? C’est le Brooklyn Artists Ball After Party ! Bold dress est la tenue requise, soit une tenue, voyante, extravagante et surtout colorée pour célébrer Frida Kahlo. Alors j’ai craqué, de toutes façons je ne lui refuse rien à La Bambina, je lui ai offert une robe qu’elle me prêtera d’ailleurs, absolument sublime. Elle le mérite, c’est qu’elle bosse bien, elle me fait vivre de ces trucs que je n’aurais jamais imaginé pouvoir vivre. Je lui ai imprimé cinq cents billets à son effigie, pointant toutes ses performances réalisées à travers le monde. Elle en a pris trois cents pour ce soir, tu vois elle s’éclate mais elle pense qu’à travailler. Elle écrit en ce moment-même, comme si elle ne pouvait pas se reposer un peu. Contempler New York qui file lumineuse par les vitres du taxi au moment où elle passe sur le Manhattan bridge. Et ben non, se remettre à écrire, course de fond sans fin. Mais elle aime ça ! Elle est prête ! Et elle sait que ce soir elle sera la reine, cette robe, un pur délice et puis c’est La Bambina ! Elle est ma plus belle œuvre à ce jour. J’en fais le pari. Je mise tout sur elle. Tout. Tutti. Heureusement que je ne suis pas une adepte de Casino. J’ai une capacité à renchérir, c’est quelque part effrayant. Mais je ne mise que sur ma tronche, alors j’y vais pas de main morte, je veux dire je mets le pactole, après ça le déluge, la rue, ramasser les canettes de bières dans les poubelles, boire tous les fonds de bouteilles récupérées dans les poubelles publiques, dormir en attendant la mort en sandales tombées des pieds par lassitude de vivre, qu’un mec te les rapproche de toi, pour s’assurer que t’es bien vivante, il danse macabre autour de toi, manger joyeusement des restes abandonnés par des employées de bureaux soucieuses de leur ligne, gueuler dans la rue, larguer un compliment à Une Bambina, garder l’espoir et le rêve comme moteur de marcher après la nuit passée dans les cartons, au creux de New York la magnifique et plantureuse déesse, peut-être une Drag Queen, ou alors Dieue carrément, en tout cas y croire jusqu’à la fin. Warm kisses from Brooklyn April 16, 2019
PERFORMA
Texte 289 : banque d’images Sur le point de décoller, je me force à écrire pour aller chercher en moi ce à quoi je pense. Comme si écrire me permettait d’y voir plus clair. En fait, non, je le sais déjà. Écrire c’est comme la marche, ça remet les idées en place. En tout cas, il semble que je pleurasse systématiquement, en mers ou dans les airs dès la première pulsation du moteur, qui fait gronder puis se mouvoir la bête. Yep ! Versage d’une larme, à tous les coups j’y passe. Je ne retiens pas. Je veux dire que je laisse couler. Quand le moteur te cloue au creux du siège, juste avant le décollage, Tu te soumets au Commandant. Et tu vois, non pas toute ta vie défiler en quelques secondes, mais tes projets et rencontres à venir, en mode photos floues inspirées de ta banque d’images dans lesquelles tu apparais plus ou moins rayonnante. Bam, une larme sur visage souriant à l’avenir. Et l’inverse ? Je veux dire l’avenir me souriant à moi. Ça c’est pas garanti. Et c’est ça le jeu brûlant, grisant, limite excitant. Tout sacrifier pour quelque chose qui ne te le rendra certainement pas. 25/10/19 Vol Paris-New York
Texte 290 : Performa Opening Night Il est étonnant comme d’actes manqués en actes manqués, Je ne lâche rien. Mon moteur c’est l’échec. C’est terrifiant quelque part. Lorsque un petit succès me frappe, Je deviens un oisillon pétrifié dans son nid douillet, Ça me fige, je n’ai plus d’idées, Tout m’apparaît lisse et non inspirant. Heureusement, le succès est rare et de courte durée. Il m’est arrivé qu’il durât une semaine, quelle torture ! Il fallait que je sorte dans la rue Pour qu’un macho me redonnât du sable à croquer ! Que j’appelle une institution et entende une réponse rafraîchissante Révélant le peu d’intérêt porté à mon égard Pour que je prisse feu et servisse d’éclairage à mes propres idées. Qu’on me dénigre sous prétexte de n’avoir pas certains codes, Pour que je m’affamasse ! Oui ! j’ai faim file-moi des os, que je les roucagnasse ! Donc nous sommes le 1er novembre, à New York, je sors de l’appartement en La Bambina Bionda, en sublime robe jaune que j’ai depuis dix ans déjà. J’ai eu du nez ce jour-là en m’arrêtant chez Paule Ka pendant les soldes - super affaire - je te raconte pas. Bref. Robe jaune pour l’Opening Night Gala célébrant le Bauhaus, avec comme Dress Code : Primary Colors ! Qui dit mieux ? Voilà ! Je sors dans la rue. Apparemment, divine. Tout le monde a les yeux qui scintillent à mon passage, Et du coup je souris d’autant plus et grimace aussi, Attend chuis pas là pour faire joli. Faut que ça accroche-Zippe-dérape-dérange Faut qu’on se demande si chuis une meuf ou un mec -ça arrive des fois, et ça me plaît parce qu’on s’en fout total- qu’est-ce que ça peut faire que je sois un mec ou une meuf derrière La Bambina ! Ce qui compte c’est elle. Donc je marche le kilomètre qui me sépare du SIR Stage 37. Plus j’approche, plus je chauffe comme avant de monter sur un ring. La fraîcheur de la nuit me fait couler le nez, alors je renifle,
Ça me donne un air de cocaïnogirl. Terrible. Cette vision m’excite encore plus. Je rentre comme une furie. Alors que les stars de la soirée se barrent, Certains me voyant préfèrent revenir à la fête Non je déconne, mais pas loin, J’ai vu des faciès de regret Bref, les Big artistes en Gucci se cassent, Les sur-emergéess en talons Qui ne permettent pas la danse Pénètrent leur taxi VIP gros 4x4 de luxe. ´Tain ça me fait marrer à l’intérieur J’en peux plus, prenez-moi le manteau j’étouffe ! Girl on fire in New York ! - You look amazing ! - Gorgeous ! - I love all you are ! - Can you give me your name ? - Sophia El Mokhtar - Welcome Sophia ! Enjoy !… I am sure you will ! - Of course ! Thank you of course I will ! I am so excited. Doux. Doux. Doux. Je m’autochuchote à l’oreille de mes 390 chevaux de Mustang Doux. Doux. Doux. Je l’entends me dire. Ça m’apaise une seconde. 20 litres au 100 ! Bim ! Je fais fondre mon IMC, ma CB, et les glaciers ! Doux. Doux. Doux. Je l’entends me chuchoter à l’oreille - You look amazing tonight ! - All I love ! - Thank y… - Waouu ! Incredible ! Have a nice Opening Party ! J’ai jamais été dans cet état ! Je suis sûre que tout le monde pense que j’ai sniffé chais pas quoi ! Alors que j’ai même pas encore bu ! Rire à l’intérieur mais je reste concentrée ! Je suis en mission. Je bosse là.
Bon le programme, comme d’hab’ quoi ! Onduler parmi les gens, écouter comment on parle par ici, Voir ce que c’est quand on est bankable. Tâter, sonder, renifler le terrain. Et puis se faire happer : - Hi ! How are you ? - Hi ! Fine and you, how are you ? - Lady Gaga ! Hein ? Blabla... Tu parles trop vite je comprends rien, et puis je m’en fous de toutes façons, c’est ta posture libidineuse qui me fait voir que t’es Le Gros Naze de la soirée. Allez salut Du Schnock. Merci d’avoir filé à bouffer à mes moteurs internes. - Blablabla - Sorry Sir, I need to drink ! NOW ! - Ah ? Personne ne danse encore, ça m’inquiète un peu. Ah ! le bar est là ! La piste de danse est une scène. Mon ring donc. Un ring pour que je boxe contre moi-même, la looseuse. OK ! Un beau serveur, très élégant, genre Tom Cruise, jeune et grand, avec le regard de Cary Grant, et le charisme de Marlon Brando vient et me dit que si je ne veux pas attendre, y’a un autre bar à l’étage. - Oh ! thank you very meutcheuh ! Et oui, La Bambina on ne la fait pas attendre Et puis elle est svelte, c’est qu’elle vient de la cambrousse C’est pas des escaliers indus’ en fer qui lui font peur ! Hey ! Champaaaaagne ! Dans un grand gobelet transparent d’environ 250ml. Oh ! qu’il est bon ! Je gigote un peu avec la DJette, j’adore humer l’odeur des platines. Un jour je ferai mon propre son. Je descends par un autre escalier à la manière de Zizi Jeanmaire. Jambe gauche tendue vers la droite, jambe droite tendue vers la gauche. Et Tac ! Et tac ! Bons tempi ! Personne ne regarde : j’adore ! J’adore ça, faire des trucs sublimes que personne ne regarde. Tu sais pas ce que tu perds en ne regardant pas dans ma direction. Attends, je te l’ai dit : ce soir c’est le Big delirium ! Je suis dans un film, et la star, ben c’est moi. Et merde rev’là le gros naze ! - So ! Who - Are - You ? - I am Sophia El Mokhtar. I am a FRENCH visual artist. - Paris ?
- No ! Carcassonne. Il s’en fout. Et il s’agite comme un vieux puceau. Il appelle un pote à lui, plus jeune et un peu plus raffiné. Ben du coup ce mec fuit genre : nonono, je ne le connais pas ! Que ma misogynie reste planquée quand je suis en public. - Sorry to ask ? - No, no, please ask your question - genre moi chuis indestructible, vas-y Du Shnock, j’ai peur de rien, balance ! - Are you a man or a woman ? - Who cares ? - Nonono ! I am sure you are a woman... Blablablabla... Vas-y parle ! Tu me chauffes le quinqua’ Mais tu ne le sais pas ça, hein ? - Bla-bla-bla... Tu mets de l’huile dans mon moteur, tu peux même pas l’imaginer ça? Écoute-moi ça. C’est ça la gente masculine d’un autre temps. Persistante et coriace. Ça parle en bavant, ça montre que ça a du fric, ça croit tout savoir sur tout et ça comprend que dalle ! - Sorry I am French, and i don’t understand what you say. I need to dance ! NOW ! - Ah ? Je me refais le grand tour, je vais bien finir par la croiser quand même, RoseLee Goldberg. Ma Montagne d’Or à moi. Je suis allée l’écouter en juin 2018 à Art Basel lors de la Conversation Performance Beyond The Body, j’étais au premier rang à gauche en La Galeriste, elle m’a vue, mais bon il s’est rien passé, puis à Pioneer Works, pour la perf’ d’Alexandra Bachzetsis, j’ai écrit un texte sur ce qui aurait pu se passer si j’avais été La Bambina. Ben voilà chuis prête là, chuis en La Bambina, et chuis au top ! Elle peut m’arriver par hélico, I am ready ! Elle avait dû être enroulée-déposée par son cercle d’amis qui l’amènent tout en la protégeant, là où elle veut aller, et ainsi pouvoir être évacuée si un fou ou une folle la saoule : - Hi ! You look good ! Me dit-elle les yeux émerveillés. Dans ma tête je ne cessais de me répéter que j’étais La Bambina et que La Bambina, Elle, elle assure : - …..hhHH-Aïe ! balbutiai-je. - Who are you ? - I am Sophia El Mokhtar, I am a French visual artist. I am so happy to be here.
- Hummm. - May I ask you a picture ! - Of course ! Oh putain je vibre comme les vieux téléphones portables. Je vais pour prendre la photo. C’est quoi ça ? On dirait deux patates rouges ! Alors c’est là. Mon erreur. A cet instant. J’aurais dû prendre cette fichue photo quand même. Les patates ça se photoshopise. Mais non. La meuf, même en La Bambina, elle n’appuie pas ! Elle n’appuie pas ! Et pendant ce temps, la RoseLee se fait enrouler-déposer un peu plus loin, avec des gens qui mettent le flash, eux ! - Too bad ! On a bien ri de cette situation avec une jeune meuf hyper classe compatissante. Quand il te tombe un cadeau dans les bras, prends-le ! Bon ! Il me faut un autre grand gobelet de Champ’, et réarmer mes moteurs à coup de petites phrases du vieux Shnok. De toutes façons, ce mec dès que j’entre dans son champ de vision il me hèle ! Horrible et à la fois hyper nutritif. Alors lui sourire, de ce sourire qui se termine en grimace et qui fait rire les plus subtiles, lui tourner le dos, voûtée comme un camionneur, - Hey ! HO ! Mais c’est qu’il s’énerve le vilain, puis trois tours sur place façon Cyd Charisse au Girl Hunt Ballet dans The Bond Wagon, taper du talon au sol au rythme des Ho ! Hey ! Hey ! Ho ! que l’american guignol me jette au travers de la foule. Grimper sur la scène et ne plus la quitter jusqu’à la fin. Ce soir j’ai joué dans mon film, et bon sang qu’est-ce que c’était bon ! La Bambina à l’Opening Night Gala de Performa 19 November 1, 2019 New York
Texte 291 : SLEEP 1237 As The Captain, I drew a lot, I ate rice, I drank two beers, I pissed four times, I did not poop, I have been troubled by voices, excited by some, cradled by others, I was fascinated by Phumzile Sitole reading Pantone color codes, As if she was revealing to me vital secrets. Hypnotized, I noted these codes in a hurry ! I slept three hours and thirty minutes, I hope I did not snore. _ SLEEP1237 A project of Shu Lea Cheang and Matthew Fuller Performa19 November 2 and 3, 2019 47 Wooster Street New York
Texte 292 : fake Marilyn Tara Subkoff, joyeuse en robe fluide rosée erre parmi les performeurs et les visiteurs avec sa petite fille, danseuse de claquettes. Gloire aux arts vivants ! semble clamer son exposition Deepfake. Choper d’ici-delà des émotions qui nous appartiennent. Une Marilyn sublime, faisant face à un miroir déformant, me stimulera énormément. Je l’observerai comme pour trouver des réponses à mes nombreux questionnements ? À quels moments la fake-Marilyn est-elle la plus proche de la vraie ? Quand elle prend la pause pour être photographiée ? Ou dans ces moments transitionnels entre ces différentes pauses ? Nano secondes où tête baissée, les yeux regardant le sol, il semble possible de percer des mystères de Marilyn, de la performeuse et de moi-même l’ayant incarnée à Carcassonne, à Albi, à Art Basel Miami Beach, à Toulouse et ailleurs. Ne cesser de filmer la fake pour accéder à la vraie. Même parmi les gens, derrière un menton, un iPhone, un cou, un coude, une main, la capturer. Les autres, et cela ne concerne que moi, ont assez peu d’écho en moi, je raffole peu du cirque, j’apprécie de les voir bien sûr, mais ça ne me transcende pas, en comparaison à Marilyn. Qui me fait délirer total. L’étrange bruit que font les pas des performeurs sur le revêtement plastifié argenté, ça fait comme un bruitage drôle qui ajoute au fake. Y’a un décalage sonore : le pas est fait, le bruit vient après, c’est la bulle d’air qui pète en se recréant après avoir été écrasée par les poids des corps se déplaçant dans l’espace. Ça c’est top. Genre le détail qui tue. Deepfake Tara Subkoff The Hole November 5, 2019 New York
Texte 293 : Ylva Snöfrid Marcher 40 minutes D’un pas dynamique Et enthousiaste À travers New York Pour assister à la performance D’Ylva Snöfrid Dans mon état normal, Je veux dire non-incarnant Quelque personnage que ce soit. Arriver aux alentours de 18h, Sonner, Pousser la porte Grimper les cinq étages. Être invitée par l’artiste À participer au rituel. Ylva Snöfrid Nostalgia - Acts of Vanitas Performa 19 November 5, 2019 New York
Texte 294 : chou-fleur fumé avec fond de vieille cave Ce soir chuis venue en La Bambina, mais tellement crevée que je dors debout. Pour te dire, chuis aux premières loges, juste devant la scène, et au milieu. Jacolby ! Hey, tu captes hein ? Non ? Jacolby Satterwhite l’artiste qui présente You’ re at Home à Pioneer Works ! Ben le mec, il me remarque direct, normal chuis La Bambina. Tac-tac telle une apparition tombée du ciel. Alors il me tend la main pour que je monte sur scène et que je danse avec lui pendant la première partie de Jungle Pussy qu’il anime avec Nightfeelings. Spontanément malgré la fatigue je vais pour grimper, mais y’a mon sac à dos, mon verre de vin blanc et le manteau de laine, et les spots, et tous ces fils électriques. Et la fatigue. Je décline son invitation. Oui. J’ai décliné. No comment. Je ne suis que perpétuelle cascade de pleurs à l’intérieur, derrière ma peau, composée de moins en moins de graisse au vu de ce que je marche et de ce que je ne mange pas. Bref, perpétuelle cascade de pleurs derrière. Jour après jour, ressasser ça. Si même La Bambina en super combi gangsta girl ne monte pas sur scène ? Où vais-je ? Droit dans le mur. Je chauffe là, un mini gobelet de vin blanc, et hop ça repart ! C’est la 2ème fois que je le goutte celui de Pioneer Works, il a goût à miel. En parlant de goût je pense à l’odeur de New York, l’odeur du métro en fait. Ici c’est chou-fleur fumé. Il m’a fallu deux voyages, pour identifier cette odeur. Chou fleur fumé avec un fond de vieille cave en terre battue dans laquelle de génération en génération on entrepose des oignons. Voilà, ça c’est l’odeur qui frappe ton nez souvent à New York. November 8, 2019 Pioneer Works Brooklyn
Texte 295 : parfaite boule de langue entre les dents Les voix aiguës des américaines, j’ai déjà écrit sur ça, mais je ne la connaissais pas encore, elle. J’ai l’impression d’être subitement atteinte par de multiples otites. Comme elle mange ses lasagnes, elle se tait. Et du coup j’éprouve la douleur dans son silence. Mon marteau est devenu fou derrière le tympan. J’ai atterri dans cette pizzeria tenue par des russes, Parce que j’avais très faim et froid après avoir bousillé ma soirée : J’avais fait le mauvais choix d’opening. J’avais opté pour Kusama au lieu de je ne sais plus quel autre Opening. Je walke, tranquille, grandes enjambées et à un block du block de la David Zwirner Gallery : la foule ! Bon j’avance, c’est quand même pas…? Mais bien sûr que oui ! Suis-je bête. Pour l’Opening à 6pm, une meuf attendait depuis 4pm. Cent-soixante mètres de file d’attente. Et maintenant je bouffe ma margarita et la sangria à la vodka. Deux belles jeunes femmes bien épilées, bien apprêtées cheveux savamment disposés de façon à avoir deux pans égaux sur les épaules gauche et droite (1/4 +1/4), et dans le dos (2/4) et qui disent the en formant une parfaite boule de langue entre leurs dents. On dirait un jeu. Le jeu de la boule de langue entre les dents en tendant bien son cou vers l’avant. Un micro rituel du miroir qui rend heureuse. Elles sont à leur téléphone qu’elles tapotent dynamiquement au-delà de leurs faux ongles qui parviennent à claquer sur l’écran de temps en temps. Deux enfants tête baissée mangent leurs gâteaux aspirés par des jeux sur iPad, l’un a l’iPad de papa, l’autre celui de maman. Un autre enfant d’environ deux ans est happé par un dessin animé sur le gros téléphone de son père. La tranquillité au resto, pendant que les meufs déploient leurs voix aiguës et que les mecs approuvent d’un mouvement de tête de haut en bas plus ou moins lent, ça n’a pas de prix. November 9, 2019 Chelsea
Texte 297 : la réussite ça prend forme dans le nez La Bambina m’a prêté son costard bleu et noir. Elle me doit bien ça. Je lui prête toutes mes culottes de chez Carrefour, vendues par cinq. Je lui prête mes os et mon esprit. Sans moi ? Elle n’est rien. À l’angle de Spring street et Wooster street, j’ai sorti de mon sac à dos une poche plastique, pour m’asseoir dessus, j’ai enlevé mes tennis, et j’ai mis les Repetto édition limitée, elles sont superbes. Ces chaussures, c’est la classe à la française. De suite le costard il t’a pris une de ces gueules, je te raconte pas, on aurait dit une star mâture et non liftée du cinoche, qui sortirait de chais pas quel palace, pour aller bouffer des huîtres arrosées de Ruinart. / ´Tain chuis au top là À 40 ans, moi, je suis au top On n’est pas tous égaux Moi chuis une lente Mais quand le bulldozer en moi se réveille Il décanille tout Ok j’ai 40 ans Mais bon chuis au top là À 20 ans je serais restée dans le coin de la salle Non mais n’importe nawak À 20 ans je ne serais pas allée aux USA À 30 je suis venue à New York mais j’y ai rien compris Je vous dis on n’est pas tous égaux, Y’en a qui sont vifs, pas moi. Et à 40, ben je serre la patte à Charles Aubin Curator de Performa Voilà ! / Paul Maheke vient d’arriver avec son galeriste. Il est aussi beau que sur instagram. Il a une voix de parisien à qui tout sourit, Nasillarde dans le sens charmant du terme. Moi aussi quand j’aurais émergé j’aurais cette voix haut perchée. La réussite ça prend forme dans le nez.
C’est pas anodin si quand j’incarne mes personnages, Avec mes dentiers, j’ai une voix nasillarde. Ce sont les raisins de la réussite. Ça va se chercher avec les dents Et ça sort par le nez. C’est physique. / Maintenant le son de Nkisi remplit totalement l’espace de Wooster street, la bière offerte me fait bien percevoir les enjeux cosmologiques de son mentor Gérard Grisey. Je ne suis plus qu’un fluide, Si je n’étais pas moi, je danserai. Je monterai bien sur la table. C’est fou toutes ces tables Qui auront suscité tant de désirs non assouvis. Je devrais écrire sur ça. Les tables du désir. Genre la meuf elle est tellement chaude, Dans le sens non sexuel du terme, Je vous jure c’est possible, Donc genre elle est tellement chaude Qu’elle veut danser sur toutes les tables Qui entrent dans son champ de vision, Comme dans la scène de Et dieu créa la femme Où BB s’empoigne les cuisses. Je trouve ça tellement sublime, Ça tourne en boucle dans ma tête Quand je commence à y penser. Enfin, quand je vois une table. 47 Wooster Street Nkisi - Sound session November 11, 2019
Texte 298 : Dame Nature Aller à l’encontre de Dame Nature En jouissant totalement Du meilleur état de moi-même En ne faiblissant pas Face à l’horloge biologique qui dit : Ultimes années pour enfanter Po-po-poooooo Quelle enfoirée, je te jure. C’est une lutte contre Dame Nature. On devrait plus glorifier les meufs qui n’enfantent pas. C’est écolo une meuf qui n’enfante pas. C’est vert ! Green ! Bio ! Certifiée AB ! La Dame Nature ? Je la prends comme une poupée Et je lui arrache la tête du tronc. T’entends ? Je lui arrache la tête du tronc ! November 2019 Manhattan
Texte 299 : speed dating pour artiste Ben les copines et les copains artistes j’ai un bon plan à vous refiler là. À tel point que je vais m’achever au whisky. Attention cinq fruits et légumes par jour, hein ?! Attends, j’y ai droit je viens de m’enfiler un dessert japonais au thé, Et deux galeristes. Écrit comme ça, on dirait que ça m’a saoulée, Mais non, c’est juste pour le style pour le rythme quoi. Parce que c’est incroyable ce qui vient de m’arriver. On aurait dit un speed dating pour artiste. Je viens de causer comme ça tranquille accoudée à un bar-restaurant qui n’affiche pas son menu dans la rue, À deux galeristes, hypra-mega connectées, en mode decontract’. On a parlé d’Art Basel, de Performa, de la Biennale de Venise, Je leur ai parlé de mon boulot, j’ai donné ma carte de visite, ‘Tain j’étais en transe, qu’est-ce qu’on s’est marées Bordel de couilles hachées menues. Énorme. Alors je m’achève au whisky. Attend à l’appart’, j’ai plus rien à bouffer, j’ai plus rien à boire, J’ai pas fait la vaisselle, j’ai pas fait la lessive, j’ai pas fait le ménage, Chuis une grosse dégueulasse, je pense qu’à bosser, Je pense qu’à mon émergence qui ne viendra jamais, Je le lis dans mes rides que c’est trop tard, Même si je marche dans les rues de New York sourire aux lèvres, Genre meuf épanouie -mon oeil- grandes enjambées, grand enthousiasme -pffff- je sais que je suis cuite, je sais que c’est mort. Alors je bois mon whisky japonais, je le savais que c’était une mauvaise idée cet entremet au thé et pourtant je lui ai pas dit « Nooooon ! » au serveur qui vit dans le Queens ! J’ai sorti ma tête du cou, et mon cou de mes épaules, et je lui ai offert mon sourire commercial qui vibrait aux commissures parce que mon corps se souvenait que les entremets c’est pas mon truc, et encore moins au thé. Que ce goût est tellement énervant. Pfouark ! Alors je m’achève au whisky japonais. November 7, 2019 Chelsea
Texte 300 : Big Apple Pas besoin de carottes ou de bâtons, juste la pomme ! Et la grosse ! Big Apple ! En retard sur tout Je pars dans 48 heures Je n’ai pas encore fait mes valises Ni le ménage Je perf’ de 14:30 à 21:00 ou 22:30 J’ai au moins trois textes en retard Je suis à jour sur Instagram Je dois me doucher Trancher sur ce que je vais porter comme fringue aujourd’hui Faire une session photos face à la vue extra que j’ai depuis l’appart Communiquer avec mes proches, Si tolérants face à mes rêves fous Croquer à pleines fausses dents Cette ville qui n’a rien d’une pomme
Ultimes warm kisses from New York Larmes au bord Mais cœur battant, combattant même 1:11pm November 23, 2019 Manhattan
LOS ANGELES
Texte 302 : piétonne unique au kilomètre carré Ce que j’aime par dessus tout lorsque j’arrive dans une nouvelle ville, c’est marcher et me perdre. Mais la marche sera ici un exercice dégagé de toute trace de sociabilité, apparemment. Par opposition à New York, où ça pulse de concert, flot dynamique euphorisant, plein d’empathie, on pourrait croire par moment qu’on se fond en elle, pour ne former qu’un, enfin qu’une : Reine virile. Ici, je forme une errante, plutôt molle, Frappée par le soleil, piétonne unique par kilomètre carré. Je suis une ombre, tête levée, optimiste, Qui pense constamment que la grâce finira par la frapper. Au contraire de cela, c’est un jeune homme grand, Mince, noir, jogging légèrement crade, Chaussettes et sandales de plage noires, Qui vient à moi. A-t-il détecté que je suis en route Pour l’une de ces boutiques interdites en France ? En tout cas, après avoir salué l’esthétique de mes Nike Il me demande directement si je fume. Je réponds que non. Surprenant comme premier contact. Le mec doit penser à ça jour et nuit. Il doit être à la limite de perdre tout à fait pied. Peut-être délire-t-il sa vie ? Suis-je un éléphant rose qui passe dans son songe. J’essaye de voir comment il réagit à mes maladresses langagières, même si je n’accroche plus que sur un cinquième des mots prononcés, en général dans la lassitude non dissimulée de mes interlocuteurs je parviens à lire le degrés d’hypocrisie, pas là. J’aurais pu partir mille fois, mais la curiosité de vivre à fond cette étrange rencontre basée sur la quête d’un bonbon made in LA, m’a fait l’attendre dans un magasin où se déploie une grande vitrine à peu près propre. Sur environ deux mètres carré des saucisses tournoient sur elles-mêmes sans cesse sur un tapis composé de tuyaux chauffés. Le grand garçon noir s’est acheté un grand cappuccino et un donut au glaçage de sucre blanc incrusté de pépites multicolores. Il doit avoir 21 ans, éternel adolescent.
Ces cheveux forment un bel halo noir autour de sa tête. Il est originaire de Géorgie. Après j’ai pas tout compris, parce qu’il a parlé vite Et que je commençais à mettre en place une stratégie de fuite, Il allait me demander de l’argent à un moment, Et il fallait que j’y sois préparée pour lui dire : - No ! Arrivés au Dispensary, il présente vaguement une ID, Je présente mon passeport. Nous passons une première porte sécurisée, Pour atteindre un sas, puis la deuxième porte. À partir de là, le grand enfant noir, agit en connaisseur, Négocie sa marchandise, très concentré, autonome, solitaire. Tant mieux. Je ne voulais pas de lui dans mes échanges avec ma conseillère en drogue. Je me prends des bombeks excitants et des relaxants. L’enfant me demande si j’ai pas un dollar à lui filer. Comme je me suis préparée à cette demande, Je lui file un dollar. Je paye, 48$ pour 50 bombeks. Une fois dehors, je commence à transpirer car je ne sais pas comment me débarrasser de cet enfant délirant. Il me parle d’un projet de montre de luxe qu’il voudrait créer, Il me demande si je saurais dessiner une montre ? Je lui réponds que oui, je peux tout dessiner. Il me demande de lui filer un bombek, Comme je m’y étais préparée, Je lui en file un, et j’en prends un aussi, Nous marchons, je suis de plus en plus suintante Quant à l’encombrement qu’il représente, On atterrit à Walgreens. Je comprends qu’il veut récupérer de l’argent ? Mais il parle de récupérer le fric avec un nom ? Quel nom lui demandais-je faussement naïve ? Il me dit « le tien ! ». Je lui renvoie un « No ! » ferme. Avec ma voix de stentor, Je le traite de Cher ami, Et lui dis qu’en tant qu’artiste, L’inspiration me vient dans la solitude.
On se serre la main. Séparation salvatrice. Je marche désormais à côté des étoiles de stars, Sur Hollywood boulevard, je ne peux m’empêcher De lire tous les noms et d’éviter de marcher dessus. Je rentre au Starbucks, l’engourdissement commence à se faire sentir, je me mets à dessiner la grosse femme blonde, ses jambes forment des jambonneaux dont la perspective se terminant sur des petits pieds sera excitante à dessiner. Son interlocuteur, apparaissant très maigre par contraste me repère la dessinant. Je me sens fragile, Il me semble que je pourrais éclater de rire Face à mes modèles, Chose qui ne m’est jamais arrivée. Je suis discrète habituellement. Cela m’étonne mais je ne prête pas plus d’attention. Bref, je change de sujet à dessiner, pendant que des fourmis masseuses commencent un travail agréable au niveau de ma nuque. Je me mets à dessiner un jeune homme généreusement fourni en cheveux noirs et brillants, il doit avoir des origines péruviennes. Je m’applique. Il me détecte. Je ne parviens pas à faire comme d’habitude, soit regarder ailleurs avec une telle sincérité et un tel détachement, que la personne dessinée se remet à faire son truc, rassurée. Dans l’état où je suis, ma tête prend les mêmes directions que d’habitude, mais le geste est brusque pas du tout maîtrisé, je cède direct à un fou-rire qui couvait depuis une dizaine de minutes sous le regard du péruvien, de la jambonneaux et du maigre. Ces gummies me redonnent accès À un état d’adolescente que j’avais presque oublié É ou ée ? C’est l’état ou l’ado que j’ai oublié ? Bref, je ris bêtement au milieu du Starbucks Sur Hollywood Boulevard À Los Angeles. January 29, 2020 Los Angeles
Texte 303 : La Bambina s’est débinée Nous sommes le 31 janvier, il est 18:39, Je suis dans un Lyft (concurrent d’Uber), Je vais à l’opening de Human Resources, Je viens de prendre une gomme au cannabis goût pastèque. Très bon. Elles sont présentées comme apportant de la joie. Pour le moment je tire la tronche, mais c’est juste parce que je suis concentrée sur l’écriture de ce texte et que le gloss est fait d’un ingrédient qui picote les lèvres alors je les conserve pincées. Le bonbon n’agit pas encore. Il faut le temps qu’il pénètre, Enfin que le THC imprègne mes tissus Et me donne de la joie donc. Joyful. C’est écrit sur le paquet. On verra. J’ai dessiné toute la journée depuis ce matin. Je n’ai pas encore performé à Los Angeles. J’ai besoin de me reposer d’elle. Me reposer de La Bambina, hein t’avais capté ? Lorsque je suis La Bambina comme elle me met en joie, Bien plus fortement que les gummies à la pastèque, Et bien je ne me rends pas compte De tous les efforts déployés. Mais heureusement, ce soir La Bambina s’est débinée. Elle m’aurait crevée à vouloir donner des billets à tout le monde, Elle m’aurait saoulée à vouloir sourire à tout le monde. « Oh I am a French visual artist ! An international visual artist » Et vas-y qu’elle te cause de l’Italie, de Rome et de Venise International, c’est ça ouais mon œil, tssss Et une tape sur l’épaule Et de me tournicoter de partout, Serrages de mains Ma parole elle se prend pour une femme politique Et d’enchaîner les selfies avec des blaireaux Et ça la rend heureuse Mais qu’elle est con je te jure Elle croit que la vie c’est une perpétuelle fête Elle voudrait me faire danser sur les toits des maisons, des immeubles, Des voitures à l’arrêt où en mouvement
Elle voudrait que je danse sur les scènes de grands cabarets Elle voudrait que j’écrive tout le temps sur elle, Et que je m’applique lorsque je parle de ses exploits À mes collectionneurs Elle rêverait que je me muscle un peu Et que je perde ma bedaine à deux bourrelets Elle veut tant de moi Il va falloir que je freine ses ardeurs Elle m’épuise. / Au milieu des œuvres de Ken Ehrlich je me sens un peu seule. Mais du coup je me dis que j’ai bien fait de prendre une substance. Les effets commencent à poindre, les voix des visiteurs apparaissent plus fortes, d’un coup. Le son amplifié par le THC fait une perception en 2D je veux dire qu’il y a la dimension du son et celle du visuel. Ça fait deux dimensions. L’espace du son et celui des objets. Ça forme comme deux strates, Le son m’apparaît nettement au dessus des objets. Les objets, humains compris, Apparaissent futiles à côté de la prégnance du son. Ah ? Level 3 de l’effet de la substance. Je tangue vraiment là, je m’auto-croche-pattes Avec mes propres pointes de red suede shoes, je titube quoi. Le son est encore plus fort maintenant et ce n’est pas parce que trois femmes plantureuses à grandes bouches, aux voix aiguës viennent de se greffer à moi. J’aime pas qu’on me colle normalement, mais là ça me plaît, J’ai l’impression d’être avec des amies, que je délaisserais quelques instants pour achever un travail d’écriture. Je ris en écho à leurs rires. Mais leurs voix stridentes m’empêchent d’achever cette scène. - Coupez ! On est deux heures après la prise. Je ne ressens pas de la joie. J’ai juste envie de dormir. Je commande mon Lyft-retour. January 31, 2020 Los Angeles
Texte 304 : rotation de cul insuffisante Pas de gummies pour moi ce soir, Faut que je sois hyper consciente de ce qui peut m’arriver ou non. Je sors La Bambina pour la première fois à LA. Je l’envoie à deux Opening Reception, New Images of Man curatée par Alison M. Gingeras La moitié des artistes sont morts, Je ferai peut-être des selfies avec les vivants, Ensuite Paul McCarthy au Hammer Museum. Une grosse soirée en perspective. Arrivée à 17h, par Lyft, la conductrice M’a déposée cent mètres au-delà de chez Blum & Poe, Sur un parking désert, ambiance glauque et excitante De zone industrielle, Des routes à quatorze voies chuchotent au loin. Jubilation d’être en errance. J’allais devoir franchir un pont au couchant Où passe une rivière, la Ballona Creek. Pause. Contemplation. Alors voilà Blum & Poe LA. Cet art district situé dans le quartier de West Adams, C’est pas Beverly Hills. Ni l’Upper East Side à New York. C’est plus genre Portet-sur-Garonne qui aurait pris de la créatine. Une petite femme cheveux courts, raide dans son grand imper’ sombre, morne, sèche, ouvre la porte de la galerie Elle ne me la tient pas, je m’y engouffre quand même Les photos de Deana Lawson, et de Zofia Rydet, les peintures d’Henry Taylor, Miriam Cahn, Tomoo Gokitz, Cecily Brown, Carroll Dunham, et la sculpture de Sarah Lucas m’ont plu. Le reste, je ne sais pas si c’est la fatigue ou quoi, mais bon je zappe. Je zappe Mark Grotjahn, Yuki Katsura, Roland Dorcély, Agustin Cárdenas, Francis Newton Souza, El Hadji Sy, MF Husain, Ibrahim El-Salahi, Dave Muller, Michel Nedjar, Eugene Von Bruenchenheim, Carol Rama, El hadji Moussa Babakar Sy, Pawel Althamer, Luis Flores, Robert Colescott, Eva Esse, Georg Baselitz, Alina Szapocznikow, César, Dorothea Tanning, Karel Appel, Willem de Kooning, Misleidys Castillo Pedroso, Enrico Baj, Maryann, Dana Schutz, Lee Lozano, Niki de Saint phalle, Ahmed Morsi, Rachel Harrison, Kikuji Yamashita et
Greer Lankton. Je repars pour un cinquième tour, il va bien se passer quelque chose. Entre un vieux croulant et cette gamine qui se fout de ma gueule ouvertement il doit bien y avoir quelqu’un d’intéressant. Une femme et son mari, des quinquagénaires m’accostent, la femme me félicite pour mon collier, elle reconnaît que c’est moi La Bambina sur le collier, elle me dit que je suis très certainement une artiste. Je lui confirme en ajoutant French, performance et I write. À peu près. Nous nous sourions chaleureusement. Endormie verticale sur mes deux pattes, j’oublie de lui filer un billet. Lasse je ne lui cours pas après, convaincue que je vais la revoir au Hammer Museum. Puis je me mets à écrire sur les gens que je vois. Il y a ce duo, l’homme est de taille moyenne, mince, plutôt petit, roux-blond, grandes lunettes circulaires, monture fine argent brillant, il ponctue ces paroles par d’extravagants sauts de voix, ça veut souvent dire « je maîtrise la situation, ici c’est mon domaine, je suis un expert donc je hausse le ton pour en imposer malgré moi », la meuf est plus petite, elle hoche souvent la tête, elle est rousse-châtain. Ils doivent avoir 25 ans. Un couple passe, l’homme d’environ 43 ans, maigre, grand, tout de noir vêtu, mocassins montants, chapeau à large bord, tête penchée en direction des œuvres, sa meuf droite est très classe, cheveux parfaits, longs, blonds, nouvelles shoes qui mêlent peau de serpent et or, jupe plissée à trois couleurs tristes disposés en aplats : kaki, gris clair et beige, façon coucher de soleil. Et le soleil c’est le gris. Elle doit avoir 40 ans. Leur plaisir passe par la prestance qu’ils dégagent à deux. Entraînée dans leur sillage aérien, je les suis sur cinquante mètres, ils sont faits de cire, ils se contiennent, ils ne débordent pas, beauté glacée. Pas moyen de me connecter, y’a bien un gars qui m’a dit un truc, mais j’ai pas compris. Je suis trop crevée. J’ai suivi un photographe, sur plusieurs mètres, mais il n’a pas su saisir sa chance de photographier La Bambina. Je rêverais d’être au lit. Au lieu de ça, je commande un Lyft pour McCarthy. L’excitation festive au Hammer Museum me réveille un peu. Y’a des expos, du son, et des cocktails.
Je croise la chauve-souris suivie par le couple de cire. Je me mets à les suivre, Comme cela ne me mène à rien, Je lève la tête et je vois le couple de quinqua’, Direct je dégaine mon billet, ils éclatent de rire, nous débutons notre amitié. Je viens de faire connaissance avec Karen et Ian. Je visite Head Space, dessins de Paul McCarthy de 1963 à 2019. C’est fort un dessin, et d’autant plus lorsque ça documente des performances. Face à un dessin, on est projetés au cœur du cerveau de l’artiste, au milieu de ses obsessions. Forcément, ça me plaît. Moi-même, lorsque je revois certains de mes dessins chez des collectionneurs, je suis frappée par cette percée dans le cerveau. Ça me replonge direct dans l’état d’esprit dans laquelle j’étais. Le moi d’il y a dix ans me fait un signe attendrissant à travers le temps, Que le dessin soit drôle, triste, ou vulgaire. Sur ce constat de l’importance du dessin dans la pratique artistique, Je vais me prendre un cocktail et puis j’irai danser. / Je danserai avec un grand black, puis un puceau, puis deux vieilles bourges, puis deux meufs vulgaires à faux ongles et extensions, puis un quadra’ me cause, à propos de mon collier, il trouve super mon style, je souris sans trop réagir au badge du Hammer qu’il arbore. Trop tard, pas de billets à disposition. Looseuse. Un couple fardé, souriant, raide et clinquant fait de la danse de salon, on les sent par l’air qu’ils brassent. Une grande meuf consciente et fière de son physique de top model au milieu de ses trois beaux gosses de potes, les fouette de ses cheveux blonds longs, elle mime des danses sexuelles. Son regard fait mine de regarder son propre boul’ qui serait tellement énorme, qu’elle pourrait le voir par dessus son épaule, mais c’est pas crédible, il est trop loin de sa tête, son buste doit faire un mètre, et ses fesses ne sont pas assez charnues pour éventuellement entrer dans son champ de vision. Son booty shake est un ersatz de booty shake, une évocation. Sa rotation de cul est insuffisante. Ses mecs ne lui en tiennent pas rigueur et forment des sortes de buildings stylés auprès desquels elle ondule, prend appui et se frotte. February 1, 2020 Los Angeles
Texte 305 : Paul McCarthy Installée au premier rang pour la conversation entre Paul McCarthy, Cornelia Butler et Aram Moshayedi au Hammer Museum Je pense au dentier Qui enserre mes propres dents Aux lunettes Qui assombrissent un peu ma vision À la perruque Qui me tient chaud Tant mieux par rapport à la clim’ Aux blessures multiples Que je me suis faites aux mains À coups de cutter et ciseaux Alors que je réparais Mes chaussures dégotées à New York Très confortables et stylées Qui ont déjà fait un nombre fou de performances Et de présences performatives Je pense à mon sourire permanent et sincère Au selfy que je tenterai de faire avec Paul McCarthy À la fin du talk Sûre à 80 % que Paul viendra vers le public Et qu’il me sera possible de lui demander une photo Sans chichi, il dira oui. Sans chichi, je lui filerai un Bambina Bill. February 2, 2020 Los Angeles
Texte 306 : femme misogyne Écrire, limite pas le temps Commencer par la fin Et raconter ma soirée du 6 Façon verlan. Je me vois danser sur Off the Wall, fixant d’abord le sol en damiers lumineux, puis un néon rouge XOXO assez grand dans la discothèque. Cela doit bien faire deux heures que je danse avec mes nouveaux amis. Le grand qui danse voûté, large veste à fleurs pastels, collier en noix de bancoul, coupe au carré, cheveux gris noisette, c’est Aaron. Impossible de deviner son âge. Il a au minimum 45 ans et au maximum 62 ans. Je l’ai rencontré à l’Opening de New Portraits de Richard Prince à la Gagosian Gallery, dès que j’ai vu son gros appareil photo, La Bambina m’a forcée à faire mine de ne pas l’avoir vu tout en me mettant dans son champ de vision. De toutes façons il l’avait d’ores et déjà photographiée La Bambina. Et puis il m’avait accostée, Et parlare-parlare-parlare elle est comme ça La Bambina, Elle met sur la table tous mes rêves, à cru, à vif, Et ses interlocuteurs n’ont qu’à piocher. Aaron réalise des vidéos sur les vernissages à Los Angeles. Forcément, on va bosser ensemble. Il me dit qu’il y a le vernissage de Jeffrey Deitch le 8. Je lui réponds du tac au tac que je sais ça. Et que j’ai programmé d’y aller, depuis un an en fait. À la Gagosian Gallery, je suis restée les deux heures d’Opening : À me faire remarquer, photographier, à dessiner et à me contorsionner Au milieu de la foule juste pour être vue, pour être d’autant plus vue. Et ça marche. Il y a de la danse dans mes performances Et ça me met en transe systématiquement. Je revois Karen, nous nous embrassons, comme si une amitié était née le 1er février au vernissage de chez Blum and Poe, puis solidifiée quelques heures plus tard au Hammer Museum, puis prendre une sorte de teneur émotionnelle particulière à la Gagosian Gallery, et nous commençons à comprendre que nous nous verrons très souvent. Je repars pour un tour, je discute avec Anthony, un des gardiens de l’expo qui félicite mon style. Et c’est sur cet échange que je le vois arriver :
Élégant dans son costard, Arborant ses lunettes rondes qui ont fait sa marque de distinction De New York à Los Angeles Jeffrey Deitch ! Extase absolue à Gagosian, l’impression que mon V8 est enfin en marche, et qu’il va me mener vers de nouvelles aventures qui vont encore me façonner. Mais ce n’était qu’une mise en bouche, pardon Richard. Mon nouvel ami Aaron m’a proposé de monter sur son scooter pour aller à un Opening au Culver Hôtel. Sa jeune amie n’a pas apprécié. Mais qu’elle soit rassurée j’y vais en Lyft, à cause de la perruque. Je ne sais plus le nom de cette jeune femme aux cheveux longs blonds ondulés. On dirait Boucle d’Or qui aurait pris 25 ans, et 60 kilos. Elle aime boire, mais l’alcool ne l’aime pas, elle articule peu, et réclame de la cocaïne partout où on passe. Étrange binôme. Cependant je ne préjugerai pas, je prends ce qu’il y a à prendre. Tout en donnant de ma personne. Dans la limite de ma propre sécurité. Pour le moment, j’aime bien. Et puis j’ai accès à des bons plans. Au Culver Hôtel, j’y serai pas allée, c’était pas dans mon planning, et ça aurait été dommage, non pas pour l’art, mais pour l’excellent Champagne qu’on boit dans des petites bouteilles et pour ce que je m’apprête à vous raconter. Une jeune meuf vient à moi et me dit : - Tu étais bien au Gala de Performa ? - Oui ! yeux pleins d’étoiles d’être projetée quelques mois en arrière sur la scène du SIR Stage 37 à New York pour Performa - On a dansé ensemble ! Je suis Sea. Ton billet est toujours dans mon bureau. On se prend dans les bras et j’ai l’impression d’embrasser et New York, et Performa et RoseLee Goldberg et les États Unis tout entier par son intermédiaire. Elle ne peut pas imaginer le cadeau qu’elle me fait en me rappelant l’incroyable mois de novembre que j’ai passé à New York. Son boss à elle c’est le mari de RoseLee. Elle est amie du couple. Pour la Frieze LA, elle me révèle qu’il y aura une délégation de Performa. Je m’en doutais. Elle me demande si je me souviens de Job. Job Piston est le Special Projects Manager of Performa, je lui dis que oui bien sûr, je l’ai vu plusieurs fois durant Performa entre les workshops, les talks et les performances. Et bien Job sera à LA pour la Frieze.
Joie. Puis on danse ensemble. Perso je tombe dans une nouvelle transe. La danse est un bon moyen pour visualiser mes nouveaux objectifs Je me fabrique une sorte de totem virtuel Je danse autour, avec Sea mon alliée qui vient de s’installer à LA. Puis la fête est finie, mes nouveaux amis me proposent d’aller danser dans une boîte disco, à fond 70’s. Aaron n’aime pas trop. Mais les filles sont très excitées à l’idée d’y aller, elles doivent avoir mon âge environ. Julia me propose de venir avec elles dans la voiture, elle nous conduit chez elle car elle veut y déposer sa bagnole pour pouvoir boire, et on gueule toutes comme des hyènes assoiffées genre ouais t’as trop raison ! On fait donc escale chez elle, grand appartement, aux murs hauts et crépités, on ne peut pas dire que l’appartement soit beau, mais il est énorme et plutôt bien situé me semble-t-il. Pendant que la jeune blonde, au nez retroussé et aux yeux entrouverts cherche à finir les fonds de bouteilles de caïpirinha je fais une évaluation du patrimoine immobilier : 90 à 100m2, belle hauteur sous plafond, parking. Je m’y projette en train de bosser avec un beau coin atelier. Je remarque deux valises dégueulant des fringues qui témoignent de la vie mouvementée de Julia. Gennie me dit que la grosse valise c’était Palm Springs et la plus petite, Paris. Julia rêve de vivre à Paris. Gennie et Julia m’aiment beaucoup. Boucle d’Or ne m’aime pas, et comme elle sait que je ne comprends pas grand chose elle me maltraite verbalement auprès des autres. Mais La Bambina s’en fout. Moi ça m’aurait fait fuir direct. Dans le uber qui nous conduit en boîte, Boucle d’Or se plaint de sa mère qui la traite de boudin. Notre chauffeur rit. Pas moi, je n’aime pas les gens qui ne tiennent pas l’alcool. Si tu ne tiens pas l’alcool, bois pas. Pourvu qu’elle ne dégueule pas, c’est Gennie qui prendrait cher, elle est juste à côté. Ouais mais ça me ferait dégueuler. Mais j’ai rien à dégueuler. On arrive à la discothèque, on me demande mon ID. Je danse comme une furie, l’impression d’être dans un film. Le film de ma vie, entre des vioks, quelques bimbo qui ne dansent pas mais passent et repassent, une pincée de beaux gosses, des jeunes
qu’on se demande ce qu’ils font là, et des jeunes femmes magnifiques. Boucle d’Or m’a dégoté un petit vieux, sorte de gros paquet bleu à lunettes qui sirote à la paille non-stop son cocktail. Elle fait d’étranges présentations en gestes. Écœurée par cette livraison à mes pieds, je me détourne du paquet. Pas de pitié pour les vioks désespérés qui suivent des gamines bourrées sur des terrains marécageux. Puis un jeune corps de femme me happe Elle doit avoir 23 ans, 1,75m, 55 kilos Cheveux bruns-noisette, courts ondulés, métissée. Génial, danser entre meufs, voilà qui sera léger et reposant. Mais elle est chaude, et bi. Elle fait un harcèlement corporel délirant, duquel il m’est difficile de m’extirper, grâce à elle je fais de grands tours de pistes, chose que j’affectionne particulièrement à coups de grandes enjambées bien rythmées, demi-tour, elle est juste derrière moi et me suis comme un toutou, elle me dévore des yeux, elle est affamée et de bites et de seins, tout, tout de suite. Effrayante ogresse au corps si fin et délicat. Ces petits bras parviennent à m’envelopper Ses petites hanches semblent se refermer autour des miennes Je ne savais pas cela possible Je ris, mais ne suis pas contente Elle est d’un machisme incroyable Femme misogyne Comment a-t-elle pu sacrifier notre danse Au temple de sa sexualité débridée. 2h du mat’, la boîte de nuit ferme, je commande mon Lyft. Face au miroir de ma chambre Je retire mon dentier Je constate que le rouge à lèvres a bavé Que le fond de teint a craquelé Et que mes cheveux sont sortis du bonnet. February 6, 2020 Los Angeles
Texte 307 : mes deux mamelles du désir La Bambina voulait de moi que je perde mon bide à deux bourrelets. Done ! À coups d’avocats, citron, beurre de cacahuète, sirop d’érable, pain, salade, chips, thé, cookies et gummies, et des danses parmi les œuvres des grosses galeries, ben j’ai fondu. De toutes façons je ne pense qu’à vivre à fond mon séjour, à écrire, dessiner, performer, encore plus qu’à New York et je ne pensais pas que cela soit possible de faire plus. Mon dernier séjour à New York m’a donné une confiance en béton armé mais ce qui se passe ici est très fort, ça va vite, ça se connecte sans fin, échange de cartes de visite, battle de déhanchés sur une piste de danse, selfies à la chaîne, et toujours avec le smile. Aaron, mon nouvel ami est un allié pour le moment en tout cas. Il me présente à tout le monde, il me photographie et me filme. C’est intéressant. Lorsque je travaille toute seule, je suis concentrée sur des actions qui doivent être courtes, en général je fais cinq essais pour une vidéo, et je suis satisfaite ou pas. Travailler seule c’est rassurant car on a conscience de ce qu’on a fait, on réfléchit sur ce qu’on a fait sur le vif. On maîtrise tout. Et c’est clair. Même si le sens absolu du truc produit nous échappe, hein, on est d’accord ?! On n’est jamais sûre de rien. Mais travailler avec quelqu’un, c’est excitant bien sûr et à la fois inconfortable. Que voit l’autre ? Est-il possible que par son œuvre à lui, autre chose soit montré, voire une chose qui ne m’intéresse pas ? Au vu de nos premiers échanges, il semble que nous soyons plutôt sur la même ligne. Mais le doute subsistera jusqu’au bout. Et c’est ce doute qui est inconfortable. Mais sur le vif, c’est cool à vivre. Moi je m’éclate en tout cas. Je suis projetée dans un milieu artistique qui se retrouve Aux vernissages pour boire des bières et fumer de la marijuana. Je ne comprends pas tout, mais c’est bien. Déposée à 5:50pm chez Jeffrey deitch Je me pince et ne rêve pas La Bambina salue Jeffrey Deitch installé à l’accueil Il lui renvoie un sourire de bienvenue Y’a personne pour le moment C’est là que j’aurais dû aller le voir Pour me présenter, lui filer un billet et lui demander un selfie.
Mais La Bambina elle-même n’ose pas. Il est encore un seuil que je ne parviens pas à franchir. Bref, j’y suis. Enfin ! C’est Adam, mon voisin photographe de la première location à New York qui m’avait fait découvrir Jeffrey Deitch en février 2019. Il m’avait montré deux livres, celui de la photographe Nan Goldin, dont il avait été l’assistant, et un autre gros livre sur l’histoire de Jeffrey Deitch. Nous étions allés ensemble au vernissage d’Austin Lee à New York. Et j’avais développé par moi-même une sorte de vénération pour Jeffrey Deitch, la même que celle éprouvée pour Kamel Mennour depuis beaucoup plus de temps. Deitch et Mennour sont mes deux mamelles du désir. C’est comme ça que je tiens, à coup d’images symboliques. / Le monde commence à arriver, j’ai passé l’aprem à étudier qui est qui, histoire de reconnaître le duo de curators, et les artistes. Je reconnais donc la curatrice Laurie Simmons, l’artiste Tamara Gonzales grâce à ses cheveux bleus. Toutes deux acceptent de faire un selfie, Heather Benjamin me le refuse froidement. Puis je retrouve mon ami Aaron, portant un blouson en jean, déchiré un peu partout, qui laisse entrevoir des tissus précieux différents, perles et pièces de métal cousues, jean cigarette et mocassins montants. Il me présente à ses connaissances, puis nous nous attaquons à notre travail. Il me filme en train de regarder les œuvres, de caresser un chien, de poser pour des gens qui me photographient, de distribuer mes billets, me dissimuler derrière l’œuvre de Michelle Segre, et c’est en tournant autour de l’œuvre d’Audrey Flack que je me retrouve nez à nez avec Miley Cyrus, je la salue, on se sourit, je lui demande si on peut faire une photo. Elle dit oui. Elle est superbe, et très sympa, souriante et sans chichi. Cool quoi. Je retrouve ma nouvelle amie Karen, on rigole, on s’enlace, on papote encore plus longuement cette fois-ci. Elle me demande jusqu’à quand je suis à LA, je lui réponds jusqu’au 7 avril. Elle me dit qu’elle aimerait fixer un rendez-vous pour faire une session photo avec moi. Je trouve ça génial. Ça m’enthousiasme, comme si je pouvais rajouter toujours plus de couches à l’enthousiasme. À force d’atteindre de tels paroxysmes d’enthousiasme j’espère que ça va pas finir par sombrer en déprime. Elle me demande où et quand je prévois de performer ces jours prochains, je lui dis à la Felix Artfair, peut-être ALAC et à la Frieze bien sûr.
Elle me révèle qu’elle bosse pour la Frieze au niveau de la stratégie des investissements. Elle me présente à une amie journaliste qui me prend en photo Devant l’œuvre de Michelle Segre Je lui donne un billet. Les lumières s’assombrissent, Il est temps de quitter les lieux, Là je tombe sur Kembra Pfahler, Je lui dis que je l’ai vue at The Kitchen à New York, Aaron lui dit qu’il l’a vue je ne sais plus où, C’est plus ancien, et encore plus underground à mon oreille. Ensuite je lui demande si on peut faire des photos. Elle est grave ok, on pose autour de son œuvre. Ensuite direction The Lodge, Opening cool, boissons au cannabis, bières et fumée de gros pétards. De nouvelles rencontres. Sympa. À côté de moi, il y a un jeune à casquette, un beau brun, 1m70 Max, les mains dans les poches, l’air d’avoir perpétuellement des regrets, il est video maker, cinematographer, comme tout le monde à LA, il est très discret mais pas timide. C’est lui qui me conduira dans sa grosse caisse genre SUV future génération au prochain Opening dans le Bendix building de la Maple Avenue. Downtown LA. Le jeune brun me conduit ensuite à la Superchief Gallery, où je danserai sur un DJ set d’Henry Sugar. Toujours pareil, je fixe un point dans l’espace, Je crée une image en 3D virtuelle, Totem virtuel sur lequel je greffe tous mes objectifs, Et je danse pour ce totem, Pour que se cristallise en moi La visualisation de mes nouveaux objectifs. Encore de nouvelles rencontres, des gens fun et cool. Pour le moment tout baigne et je pénètre via La Bambina Le tissu artistique de Los Angeles dans son entier. February 8, 2020 Los Angeles
Texte 308 : les « Absenthes » Pour les Oscars, J’avais prévu de jouer La Bambina Dans ma robe Red Carpet Celle trouvée à New York, Faite de mousseline brodée de paillettes Bleues, rouges et or De la larguer au milieu De l’Avenue of the Stars, Où ça se passe quoi Histoire de voir Comment elle capte ou pas l’attention Mais les hélico tournoyant au dessus de LA, Les sirènes hurlantes de la police Un article sur le net expliquant Que les piétons étaient interdits Sur les artères principales de LA M’ont fait abandonner ce projet Du coup je suis sortie Dans ma combi bleue, Avec ma gueule, tranquille, détendue Lorsque j’ai atteint le Cahuenga Boulevard J’ai compris ce qui fait vibrer LA Le cinéma, les films, les cinéastes, les actrices, les acteurs, Les créateurs, les créatrices, les étoiles montantes, les scénaristes, Les vidéastes, les stars d’Hollywood du passé et du présent, Les histoires, la fiction, le monde parallèle à la réalité, Les scènes de film, le jeu, le rêve, les vies possibles. Oui, on le sait que LA c’est l’industrie du cinéma Mais être témoin de cette ferveur ça m’a émue, Stoppée net sur le trottoir à observer les gens, En tenue de soirée parfois Écoute ça : les bars aux six écrans géants, Le son à donf’, clients concentrés acquiesçant à telle nomination, Applaudissant telle actrice, Riant de bon cœur à un discours, Ou versant une larme. C’est très touchant de voir ça
Vibrer pour les Oscars comme on vibre Malgré soi, à chaque fois Pour certains matchs de foot ou de rugby C’est beau à voir ! Moi aussi je veux en être, Je veux être des vôtres. Arrivée au Stout Burger, Je me suis enfilé un Burger, une bière et des frites En matant les Oscars avec les autres clients. Superbe soirée, seule, j’aime ça Je m’imagine dans les vies de tous les gens que j’observe Et il y a ces deux femmes là Cinquantaine bien avancée, Cheveux fatigués longs, Mini jupes à paillettes, fourrures, Mal maquillées, titubant pour se rendre aux toilettes, Y dégueulant probablement Ou y sniffant de la poudre Pour tenir Elles ont pour clients Ces deux mâles d’environ 48 ans, Belles statures, beaux costards à nœuds pap’, Sobres riches à SUV, Rolex et compagnie Ils ne leur parlent jamais, Ils ne parlent qu’entre eux, Se reflétant l’un l’autre dans leurs dents blanches, Leurs ongles manucurés, leurs bagues d’époux Et leurs mocassins cirés Ils sèment des éclats de lumière Sur leurs visages mieux épilés que le mien Sourires épanouis d’hommes qui vont jouer Avec leurs objets trouvés sur le trottoir Et elles, elles attendent Tu sais, avec cet air de grande désespérance dans les yeux Comme sur le tableau L’Absinthe de Degas Les Absenthes. February 9, 2020 Los Angeles
Texte 309 : telle le Pape Voir circuler l’info de l’opening night d’Hollywood Babylon Sans l’horaire de l’événement Et se dire qu’il sera difficile de s’y incruster Hollywood Babylon: re-inauguration Curatée par Benjamin Lee Ritchie Handler et Jeffrey Deitch Aaron me renvoie l’info qu’il faudrait y aller Mais lui non plus n’a pas l’horaire Entre temps suite à mon post de la photo De Miley Cyrus avec La Bambina Devant l’œuvre d’Alison Blickle chez Jeff’ Deitch Alison m’invite à l’Opening privé d’Hollywood Babylon Elle m’a ouvert les portes de ce paradis Où l’on circule en biais en se frottant aux autres Cela plaît beaucoup à mon personnage de se frotter aux autres Comme si elle était assurée ainsi de réellement exister Elle aime non pas jouer des coudes Mais je dirais plutôt frétiller des épaules Elle s’imagine toujours frappée par la grâce Maintenant elle a soif Elle parvient à atteindre le bar Et se prend un cocktail Elle voit passer Alison emportée par la foule Elle boit un coup, lève la tête Alison a disparu Puis elle croise Heather Benjamin Tu te souviens, l’artiste qui lui avait refusé un selfie Toujours chez Jeff’ Deitch Mais La Bambina ne se laisse jamais abattre Par les hautaines de ce type-là Et du coup lui demande si elle sait Dans quelle direction est allée Alison Comme si c’était sa pote de longue date Le temps de lui poser cette question Et La Bambina était passée de son côté gauche à son côté droit Le temps qu’Heather se remémore qu’elle lui avait refusé un selfie Et que peut-être elle aurait pas dû Qu’elle lui réponde I don’t know La Bambina avait été emportée au pied de l’escalier
Elle grimpe Vous le savez que La Bambina ne passe pas inaperçue, hein ? Il faut toujours avoir en tête que lorsque je décris ce que je vis en ce personnage, j’hypnotise, fais rire de bon cœur et me fais photographier, on me demande même de caresser la tête des enfants. Telle le Pape. Et je revois mémé, petite femme originaire de Vénétie, devant son poste de télé, fan de Jean Paul II, avec son petit chien engraissé à ses pieds. Genre, son arrière petite-fille est là comme environ une fois par mois, elle la saluera chaleureusement plus tard. Pour le moment y’a Jean Paul II à la télé, rdv dominical à coup de larmes écrasées par un mouchoir de tissu, et de bouche entrouverte pour mieux atteindre l’état transcendantal. Bref, tout ça pour dire qu’il faut toujours avoir en tête le pouvoir de La Bambina, pas au point que des mémés pleurassent à son passage, mais pas loin. La Bambina visite les différents espaces et retrouve enfin Alison. Elles s’embrassent et sont contentes de se rencontrer. Yeux étincelants de part et d’autre. Elles papotent. Alison est une véritable alliée pour le mental de la meuf que je suis derrière La Bambina, elle me file l’info du jour. Le charmant mec dans son imper beige, avec des tatouages surgissant par endroits, qui laisse s’exprimer son corps en maître des lieux, c’est Ben Lee. Elle lui dit même son nom entier, mais que tout le monde l’appelle Ben. Elle lui explique qu’il gère Nicodim. Waou. C’est The pro à suivre absolument, c’est le mec important de l’art à LA à se mettre dans la pocket, à essayer d’approcher, voire présenter son boulot, être connectés à lui en tout cas. Je salue mon amie pour continuer la visite. Ben Lee se retourne à mon passage et me dit : - You ! I know you ! I’ve ever seen you ! Je ne sais pas pourquoi, j’ai envie de mimer qu’on est de vieilles potes de longues soirées drag’show ou je ne sais plus ce qui me passe par la tête. - Hey ! How are you Ben ! La Bambina aime me faire croire que je suis hyper cool comme meuf. On s’enlace puis il réalise qu’il se trompe, il ne me connaît pas Je le sens dans son raidissement corporel, je veux donc parler de ses bras, de ses pattes, de son buste, de son cou, de ses poignets,
de ses tatouages qui semblent se retirer à l’intérieur des fringues et même sa longue mèche de cheveux se défrise. Enthousiaste je lui dis : - Congratulation for the show Ben ! Il répète « congratulation » comme si c’était quelque chose qu’il avait entendu toute la soirée. Ce froid m’aurait personnellement fait m’effondrer, mais La Bambina ne se démonte jamais, c’est comme si elle transformait les humiliations en mises en lumière, puis en gloire. Elle va pour quitter la pièce, elle se retourne, genre Rita Hayworth, le cherche du regard, le salue de sa main aux doigts virevoltants, Il lui renvoie un sourire de plastique. Elle retient uniquement qu’il lui a souri. Pour elle, les présentations sont faites et bien faites. Elle va sur la terrasse, elle regarde viteuf le film de Kenneth Anger tourne la tête à gauche puis à droite et comme un sonar elle le détecte. Elle le reconnaît dans la pénombre, son visage s’illumine. Job est en train de faire une captation de son film préféré sur son tel. Elle l’interrompt, car elle n’a pas de pitié face à ses propres émerveillements. Ils se saluent chaleureusement. La Bambina lui dit que Sea l’avait prévenue qu’il venait pour la Frieze Artweek, il est surpris que je sois connectée à une proche amie des Goldberg, ils discutent ensemble, il est total détendu, et hyper sympa, c’est la première fois qu’ils se parlent. Il lui était apparu un peu froid à New York lorsqu’elle avait notamment participé au workshop de Kia LaBeija à Performa. Elle veut fixer cette rencontre, comme si la mémoire ne lui suffisait plus, elle lui demande un selfy. Job l’amène là où il y a le plus de lumière sur la terrasse. Et ça la met dans une joie indescriptible, comme si la faille de San Andreas se réveillait et réunissait à jamais Los Angeles et New York Comme si RoseLee Goldberg me prenait dans ses bras Et que nous dansions ensemble un fox-trot. Musicals Lifestyle. February 10, 2020 Los Angeles
Texte 310 : International Artist DNA Être fatiguée au point où on abandonne de postuler à divers concours, résidences et autres. Se consacrer pleinement aux expériences délirantes que je peux vivre ici. Car ici, il ne pleut que des bons plans, de belles rencontres, et les rêves semblent pouvoir prendre forme sans prise de tête avec même une gourmandise, voire boulimie inspirante. Tu serres une main et c’est un nouveau monde qui s’ouvre à toi, Un nouveau matin ensoleillé prometteur d’un bel avenir. Au minimum c’est une rencontre sympa. Et dans le meilleur des cas un projet artistique Une invitation à performer lors d’une soirée privée Un article dans The Art Newspaper sans faute à mon nom Une apparition dans le Los Angeles Magazine Une virée performée à Palm Springs pour la Modernism Week Ici, si on te sent enthousiaste sans borne Fun et bosseuse, on tente des trucs, on attend pas des plombes De devenir vieux, on fait et on verra après Si c’était une bonne idée ou pas On ne présuppose pas des trucs sur toi Parce que tu parles pas bien À la manière de, ou que t’as pas les codes, ou je ne sais quoi Ici, c’est comme une autre planète Pour l’artiste performeuse que je suis, tout va vite Au milieu de l’exposition de Sprueth Magers Ben je me sens bien C’est que j’en connais du monde à LA maintenant Il y a Ann, artiste curatrice belge, on se salue Elle était bourrée la première fois Qu’on s’est vues au Hammer Museum Et du coup là comme elle est sobre, elle est plus froide Anthony working as a bodyguard of art, Je l’ai rencontré à Gagosian, on se salue Jorge qui vient à moi pour me saluer, Karen m’a prévenue qu’elle ne viendrait pas car elle a attrapé froid, Et je viens juste de rencontrer Marc, sympa. - OK cool ! comme dit Aaron Deux beaux mecs viennent à La Bambina, Y’a Jason qui me présente son ami Dominic Et me rappelle qu’on s’est rencontrés à Performa
Lors d’une soirée semi-privée À laquelle j’avais été invitée par Eva Mag Et sa curatrice Yuvinka Medina Jason m’avait proposé de goûter à son pétard J’avais décliné lui expliquant que ce serait du gâchis Car je ne sais pas fumer Et que par contre je sais boire Humour à la con, je sais, merci. - So you like Moonshine, m’avait-il dit. - What is this ? - What you drink ! It is a Vietnamese Moonshine. Je referme la parenthèse Performa New York. Et sinon, oui j’aime le Moonshine, apparemment. Observer les gens sans relâche, mais où est passé Cyprien ? Cyprien Gaillard l’artiste. Je l’ai vu défaire son costard bleu plutôt clair genre sportswear entre le présentoir de ses éditions et le bar Et pouf le mec s’est barré ’Tain j’ai une expo chez Sprüt’, perso je squatte le lieu Je me couche au sol Je l’embrasse, je me pince Je fais des tours sur moi-même Je fais des selfies avec tout le monde Je caresse les chiens, je leur dis des mots en anglais Hey ! You ! So cute ! Oh ! La ! La ! Oh Yes ! You love your mum, isn’t it ? Je vais boire un coup, puis deux, puis trois Puis je resserre des mains, je vais prendre l’air Je contemple le LACMA de l’autre côté de la rue Je me frotte aux parois vitrées Fuck ! I deposited skin fat ! Oh ! But it is my DNA ! International Artist DNA ! So it is good for the world ! Alors je me mets à baver de plaisir face à ma réussite Cette bave dégouline sur ma robe Je me frotte aux gens Encore de l’ADN de star donné gratos February 11, 2020 Sprueth Magers, Los Angeles
Texte 311 : vers un truc limite « divinité » Dans le lyft qui me mène au 812 North Highland, à la Various Small Fires Gallery, j’essaye d’écrire. Mais cela ne vient pas, je suis prise dans le tourbillon de LA, pas assez d’intelligence pour pouvoir écrire lorsque j’ai dix minutes devant moi. Je suis hyper excitée par les openings de ce soir. Il y en a beaucoup. J’avais prévu du repos pour aujourd’hui, mais Aaron m’a boostée. Du coup, ce matin, enfin ce midi, enfin 14h pour être précise (c’est fou ce que j’aime être précise concernant certaines choses de la vie, et d’autres où je suis terriblement floue, donc ce matin, enfin midi, enfin 14h (et j’aime me répéter aussi, comme si je voulais absolument pénétrer les cerveaux des gens en les saoulant, c’est mon côté charmeuse de serpents), donc ce matin ! Enfin ce midi ! Enfin 14h ! (Et en plus je m’excite, le ton monte, mon sang bouillonne, et je m’imagine sur scène a lire mes textes, avec enthousiasme et faisant rire la salle toute entière ! C’est mon côté humble). Donc vers 14h je suis allée à pieds chez Staples, sur Sunset Blvd. Pour imprimer quatre-cents billets. Je les récupère demain matin. Et ensuite ce sera Frieze ! Frieze ! Frieze ! Ou Felix Art Fair Perf’ à donf’ Non stop _ LA est énorme Mais le monde de l’art plutôt petit, Je croise les mêmes personnes à chaque fois. _ Voilà je viens de perf’ chez VSF. Tac-Tac T’as Aaron : ben il m’a filmée. Tranquille, normal. J’ai dû me chauffer un peu avec du RoOosay’. On se connaît depuis une semaine, Et c’est peut-être la personne qui a le mieux compris mon travail. Il me traite de Chaplin de l’art, de Jacques Tati. Ça me va grave. Là chuis dans le deuxième Lyft Pour rejoindre la Matthew Marks Gallery.
Et écrire quelques trucs. Des sensations peut être ? Je me sens bien, j’ai l’impression que tout roule, Je ne pouvais pas espérer mieux Tiens, je viens de penser que j’aurais pu demander à Jason (Moonshine-Performa-tout ça, tu te souviens ?) Si il n’aurait pas un PASS pour la Frieze pour moi… Ok good, demande envoyée à lui Et à d’autres personnes sympa. Et me v’là à la big big big Mathew Marks Gallery Katharina Fritsch n’est pas présente Aaron m’a présentée à Lindsay Regen De Regen Projects Je lui ai filé un billet Elle a apprécié de façade Mais bon normal elle doit en voir passer des artistes La meuf elle a 40 ans, elle est à la tête d’un Empire Impressionnant on dirait qu’elle a 20 ans Il m’a aussi présentée à Lita Albuquerque [Albukeurki] ça se prononce Parce qu’il m’a dit comme la ville Et c’est là que j’ai compris J’ai même dit un truc du genre Ah ! Oui ! [Albükérkeuuu] ! Tu vois un peu mon level en anglais Je m’en sors, mais chais pas trop comment En tout cas j’ai erré, je me suis faite filmer Ok cool ! comme dit mon ami Aaron. Dans le 3ème Lyft qui me mène à l’UTA Artist Space, j’écris Du vin, de l’art, de la perf’, des nouveaux amis, Que demander de plus London Calling passe à la radio Le son de l’Angleterre raisonne à LA parmi les ronrons de V8 Je voudrais faire une perf’ sur le son des moteurs V8 Et aussi ouvrir des portes de grosses américaines Les pénétrer, me mettre au volant Les démarrer une après l’autre Vvvvvvra-Maouuuuuummmaou Me filmer faisant ça Non stop, à la chaîne les grosses bagnoles Après la Frieze je m’attaque aux Ford Mustang, aux Dodge,
aux Cadillac, aux Buick, aux Chevrolet, aux Lincoln, aux Plymouth Ça… Si je fais ça, ma vie sera transformée à tout jamais. L’image que j’ai de moi aura migré vers un truc limite « divinité ». Après ça, dans ma tête seulement, mais c’est là que ça compte le plus, je pourrai tout faire. Si je vis assez. Le plus cool des driver de Lyft vient de me déposer à UTA. Conduite parfaite, belles accélérations quand il faut Tout en prêtant attention à chaque passager. Sa meuf passe un entretien à CBS le lendemain, et donc sa journée sera consacrée à l’amener de-ci de-là. Du coup ce soir il doit faire du fric, je vais lui filer un de ces pourboires ! Moi aussi je fais du sponsoring ! Sponsoring de meuf de Lyft driver ! Yeah ! Chuis excitée car je feel que chuis bankable ici. Je ne sais pas ce que ça vaut, hein, Toutes ces belles choses que je vis. Ptet’ que je vis une grosse blague, Genre Dîner de conne puissance «Galerie à l’International» Mais je m’en fous je kiffe, j’y crois. J’arrive comme une furie joyeuse à UTA. Je salue Marc, Oscar, Larry et les autres. Je rencontre Tracy et son mec et son petit chien, elle est designeuse. Elle me réclame un selfy Et puis je réclame un selfy à l’artiste Arcmanoro Niles. Je me retourne, et je la reconnais direct : Geneviève Gaignard. Elle est chez Praz Delavallade. Je lui dis que j’ai découvert son travail à Art-O-Rama Marseille. Non mais je peux quasi mourir maintenant. Enfin non pas tout de suite, J’ai de beaux projets à venir à LA, Puis dès que je rentre à Toulouse Deux beaux projets auprès de deux belles structures artistiques, Voire trois, puis en 2021 à Carcassonne, Puis d’autres qui vont m’être proposées Parce qu’il le faut. C’est maintenant. Et c’est LA qui me le gueule. February 12, 2020 Los Angeles
Texte 312 : machine à lever des rêves Je devais récupérer mes quatre cents billets vers 4pm chez Staples. J’ai demandé au chauffeur Lyft si il pouvait m’attendre le temps que je récupère et paye ma commande. - No problem. - Ok cool ! Récupérer une commande en La Bambina c’est une scène de film sans caméra, sans spot, sans maquilleuse, sans metteuse en scène, sans chef-fe op’, sans ingé’ son, sans productrice, sans cachet, sans actrice, sauf moi ! Vérifier ma commande, et saluer le public qui ne demande rien. Courir dans Staples pour rejoindre au plus vite le taxi qui m’attend au soleil, savoir que tout le monde regarde l’actrice principale de ce non-film, et quitter le magasin sans entendre « couper ! ». Savoir que je suis regardée, et que j’intrigue un public semi-conscient qu’il est un public, me fait avoir des gestes amples, comme si je voulais faire plaisir au non-cinéaste en réussissant la non-prise du premier coup. Bref, dans la voiture je prépare environ cent billets, pour la Felix Art Fair qui se passe au Hollywood Roosevelt. J’espère que je vais voir Martha Kirszenbaum, la curatrice du Pavillon français à Venise Deep See Blue Surrounding You de Laure Prouvost. J’ai vu qu’elle venait d’arriver à Los Angeles. Je m’en doutais qu’elle y serait. J’espère qu’on aura l’occasion de danser ensemble. Si c’est pas ici et maintenant, ce sera plus tard en 2020 à Paris, Marseille ou Rome. J’ai acheté mon ticket pour la Felix Art Fair, hier par internet à 25$. J’aurais pas dû, Aaron m’a filé un pass VIP qui me donne même accès à l’Opening plus tôt. Bref, je me plante autour de la piscine, Je me prends un cocktail et j’observe. Ce que c’est beau. Il y a la piscine dont la fresque a été réalisée par David Hockney, les palmiers au soleil couchant, le néon rouge sublime Hôtel Roosevelt et l’architecture de l’hôtel qui date de 1927. Marilyn y a vécu deux ans au début de sa carrière de mannequin Elle a fait des photos autour de la piscine. Énorme. Elle est sublime.
Toujours. Un être divin dans un lieu superbe. Normal. Et j’ai posé mes pas sur ses pas. Je me suis peut-être positionnée à l’endroit où elle-même s’est positionnée et a visualisé sa propre carrière qui ne l’avait pas encore projetée au plus haut. Je souris en songeant à mon avenir qui sera peut-être sombre, mais pour le moment je souris et savoure. Je visite les galeries des 11ème et 12ème étages avec Aaron. Puis une jeune femme que j’ai vue plusieurs fois nous rejoint. Elle est une amie d’Aaron, plutôt froide, mais je m’en fous car je suis La Bambina. Son look est top. Elle doit avoir 27 ans, elle mesure environ 1,58m, ses cheveux sont longs, bien fournis, ondulés, et châtains. Son corps est mince même si on ne le voit pas car elle fait le choix d’avoir le look porte-manteau. Visualise une veste en cuir noire et droite, trop grande, des années 90, que le poids la fait légèrement se voûter, son cou part un peu vers l’avant, ajoutant à son air perpétuellement blasé, lasse de tout. Elle est là, bien là mais montre avec une délectation dissimulée qu’elle serait mieux ailleurs. Ses cheveux sont sa partie la plus vivante. On entrevoit ses yeux derrière des petits verres ovales fumés couleur café dilué, elle a une peau légèrement grêlée, elle n’est pas chaleureuse, elle n’est pas vraiment belle, elle est très intrigante. Son film à elle c’est un film noir, nuit noire, vent chaud, vieille Dodge à la carrosserie dentelée de rouille, sa tête à la fenêtre, on dirait une enfant une seconde seulement, cadavres de canettes de bières et de bouteilles de whisky à ses pieds, elle ne craint pas la mort, elle semble l’incarner. À chaque fois que je la vois, elle est greffée d’un vieux. Ses yeux cherchent peu de connexions. Elle reste environ une heure. Elle se barre comme elle est arrivée, mains dans les poches, sans s’abaisser à dire au revoir. On arrive à la Suite de la Nicodim Gallery où il y a une foule constante, on dirait qu’on rejoue la Crowded Cabin Scene de A Night At The Opera des Marx Brothers. Ben me voit! Ben Lee ! ! Ben Lee Ritchie Handler ! Vous vous souvenez le pro de LA à connaître, à suivre absolument, à tourner autour, à côtoyer, à titiller, et bien il me voit dans le couloir et direct il ouvre ses bras pour que je me dépêche de venir à lui. Cette fois-ci il me reconnaît vraiment. Je lui file un billet. Il est très content, il doit avoir fumé. Je frétille comme une gamine. Il a dû voir mon selfie avec Job Piston, le pro de la Côte Est à suivre absolument (Performa), pour être autant excité de me voir.
Je l’intrigue peut-être un peu aussi. Enfin La Bambina. Il y a la fille de Lita [Albukeurki], Isabelle Albuquerque, assise face à sa sculpture : un corps de femme, allongé aux jambes écartées, blanc, sans pied, sans tête, tenant une bougie allumée qui sort de son sexe. On quitte la Nicodim Gallery alors qu’il y a toujours foule autour de Ben. On se fait une bière autour de la piscine. Une autre amie d’Aaron nous rejoint. 1,80, 70kilos, toute de noir vêtue, style cow boy. Colosse bien charpentée, grande, 10 ans de moins que moi en gros, elle est d’origine polonaise. Après la bière, Aaron nous dit que c’est le moment d’aller ailleurs. Je serais bien restée autour de la piscine, mais je lui fais confiance, il a toujours des bons plans, et un planning ficelé. Au fait, je vous ai pas raconté qu’il salue plein de monde tout le temps, et qu’il leur dit en général un truc genre : - Hey Salut ! Tu vas où toi maintenant ? La plupart du temps, les gens lui disent qu’ils font rien ou qu’ils vont à tel endroit. Et lui du coup leur dit qu’il faut aller là ou il va, parce que ça va être génial. C’est systématique. Sauf si l’autre personne a mieux, et là il se démerde pour obtenir un PASS, une invit’ ou une astuce pour entrer. Bref, on quitte la Felix Art Fair. Aaron prend son scooter comme d’hab’ et moi je grimpe dans l’auto de la colosse en noir. Je ne pensais pas qu’il soit possible de conduire en regardant aussi peu la route. N’empêche qu’elle est bien sympa de m’amener, Ça me fait économiser 7 à 15$. Elle conduit une vieille voiture dont je ne sais plus la marque. Direction assistée : néant Vibrations de la carcasse : 99,9% Sensation de sécurité : -10 Sécurité réelle : -30 Propreté : néant Du haut de ses 1,80m elle pose des yeux discrets sur les gens et les choses, son chapeau noir de cow girl lui donne un air mystérieux, sa chevelure est raide et noire, son manteau en fourrure de laine noire lui donne une allure de gorille attirant. Elle frappe le sol comme si ses jambes étaient des fouets. Je l’imagine venant d’un Ranch au dessus d’Hollywood Hills. Elle a dû sniffer un truc quand même
Elle est bien là, mais elle ponctue ses phrases, dites sur une expiration longue et poussée, de rires monotones et nerveux se terminant par des inspirations saccadées, comme si son nez était à la recherche de quelques poudres volatiles. On se largue aussitôt arrivées. Non pas que nous soyons lasses l’une de l’autre, mais nos chemins se séparent, je crois que c’est parce que je suis Aaron qui me convainc de quitter la piste de danse, pour découvrir l’ensemble du bâtiment dédié au co-working. Je rencontre de nouvelles personnes, je danse, je distribue des billets et je mime que je mixe face à des platines laissées là. Aaron filme mes délires de La Bambina DJette. Délires qui attirent du monde, on me félicite, on me dit qu’on m’aime, j’air-mixe de plus belle, on me prend en photo, on me dit « who are you ? », je dis qui je suis et je refile des billets. Les gens sont heureux. Et moi aussi. Je retrouve la colosse qui m’amène au prochain lieu. En quittant le parking, elle bousille un peu plus sa bagnole en roulant sur une borne traître. Ça la fait rire. Nous arrivons à l’hôtel de luxe, mais l’événement est désormais clos au public. Nous montons avec des clients de l’hôtel qui ont une clef qui fait fonctionner l’ascenseur. La colosse appuie direct sur l’étage qui nous intéresse, mais l’ascenseur s’arrête à l’étage des clients et ne repart pas. On erre dans les couloirs moquettés, on trouve les escaliers, on les monte à grandes enjambées, et on arrive sur une porte vitrée fermée donnant sur la terrasse. On rigole d’abord comme des petites filles puis on interpelle comme des lionnes en cage deux hommes qui passent. Ils nous ouvrent. Et nous voilà libérées. Fête. Cocktails. Aaron me filme un peu parmi les œuvres commerciales de cet événement. Puis l’espace ferme ses portes. Nous prenons l’ascenseur et nous rencontrons des mecs, sympas. Je leur file des billets. On rigole. On sympathise. La colosse repart vers son ranch. Et me voilà embarquée dans la bagnole hyper luxe de mes nouveaux amis Irano-roumano-afghano-arabo-américains vers la prochaine destination : The Abbey. The Best Gay Bar in Los Angeles. Des mecs gorgés de muscles en slip, ondulent sur des scènes, autour de barres et de cordes, en fixant dans les yeux les regardeurs, des femmes plantureuses assoiffées de sexe, chaudes, riches, déposent des billets là où elles peuvent et surtout là où elles veulent.
Moi je mate surtout les mecs qui ont des gestes de pénétrants, je ne sais pas comment dire, les virils. Je me nourris tellement des gestes masculins pour incarner mes personnages. Pour moi, Marilyn Monroe, Rita Hayworth, Sophia Loren ont ça : des gestes virils, de pénétrantes. Bref, je mate aussi, comment puis-je dire, pour la beauté de ces corps nus mis à la disposition des yeux et la tension sexuelle que cela procure. Mais ça me coupe l’énergie de la danse, ça me coupe la chique des pattes et des hanches et du buste, je ne fais que gigoter en observant ces corps-machines-sexuelles. Ces corps-machines à laver. Machines à lever des bites. Bref je mate. Et c’est très agréable, ça donne des frissons. Mes yeux procurent à mon cerveau de délicieux moments. Presque autant que quand j’entends le V8 d’une Dodge. Peut-être devrais-je créer une sculpture à l’image de ces corps galbés sur lesquels dégoulinerait du Champagne sans fin au son de moteurs V8, avec un défilement de palmiers sur feue Route 66. Je m’imagine toucher ces corps galbés qui s’agitent. Il faut dire qu’il y a un mec, en slip, il est sur un coin VIP, juste derrière moi, à moins d’un mètre. Si j’étais une meuf chaude j’ondulerai autour de lui avec un esprit fun, mais c’est pas mon truc de me donner en spectacle à connotations sexuelles. Par contre je ne cesse de me retourner pour le mater. La Bambina ne se gêne pas, elle fait du sur place et se retourne de plus en plus fréquemment. On dirait une mémé. Dès qu’elle en ressent le besoin, elle se retourne. Finalement, elle ne mate plus que lui, il faut dire que son corps est intéressant, comme si il était une corne d’abondance de fruits. Ne pensez pas qu’elle soit une obsédée, elle le fait pour moi pour que je puisse écrire sur lui. Il « danse ». En réalité, il fait des flexions en rythme, en se caressant la tête de temps en temps et en souriant heureux d’être devenu ce corps que pas mal de personnes regardent. Paradoxalement, ce corps aux gestes limités, plaît à mes yeux. J’apprends de lui pour mes prochaines perf’. Merci mec. Ce qui compte c’est incarner quelque chose de désirable et d’inaccessible à la fois. Une machine à lever des rêves. February 13, 2020 Los Angeles
Texte 313 : You talking to me ? Sur le parking de la Frieze Press & VIP Ticket J’attends J’attends Aaron qui veut tenter De me faire entrer via son Media-Press Pass Au soleil, je n’étouffe pas mais je commence à faiblir C’est qu’avec la Frieze Art Week, les Openings pleuvent de partout C’est pas un Opening par soir, c’est pas deux, c’est pas trois Mais cinq ! Faut encaisser C’est un sacré rythme J’écris dès que je peux, et là sur le parking je m’y mets enfin Je sens la fatigue cumulée depuis que je suis arrivée à Los Angeles Il y’a deux semaines Ce qui me redonne de la force à chaque fois C’est une marche façon gorille Mains qui s’agitent avant un grand combat de boxe Tête baissée concentration, introspection Relever la tête pour visualiser le nouvel objectif Boxe ! Je tourne en rond telle une lionne en cage Mes pas ont dessiné au sol Des cercles de plus en plus grands Gorilla Walk style Boxe! Un Ram Truck klaxonne en direction de La Bambina Elle fléchit sur ses pattes Se déhanche, lève son bras gauche et agite les doigts Sa posture préférée Sourire aux jardiniers mexicains Boxe ! Préparer le mental à performer au milieu du parking Spot dans les yeux ici le soleil Un regard vers les palmiers Un regard vers le grand panneau publicitaire Adopte un américain Boxe ! Vers la caméra au dessus du bâtiment vitré de bleu À l’angle de Bronson et Melrose Un regard vers les studios de la Paramount
Blue sky and palm trees Boxe ! Boxe ! Boxe ! Aaron arrive, good style comme toujours, amber nackelace from his mum, lunettes originales, veste stylée. Fuck, j’étais chaude pour écrire, ça va me couper, Et en plus son idée de Media Pass je la sens pas. Et ça ne marche pas. Sur les conseils d’Aaron je quitte le parking pour la Gower Entrance Mais je stoppe trop tôt, et je reste sur une mauvaise entrée. Je constate que les jolis chiens ont le droit d’entrer, eux ! Pas les artistes non-émergées. Les petits chiens qu’on porte comme des sacs à main Ça a plus de chance de voir de l’art contemporain à l’international Ok, je comprends enfin où est la Gower Entrance À peine arrivée on me réclame des photos, Et on célèbre mon outfit. Je succombe à ces trompettes de la nano-seconde-renommée Et puis je passe à la caisse. J’ai vu par internet que les tarifs vont de 175 à 500$. Inquiète et suintante, même en La Bambina lorsque je redoute de devoir payer une forte somme, je demande aux hôtesses de me proposer le ticket qui serait le moins cher. Elles me disent 50$. Je leur demande à quoi ça correspond. Ça correspond aux Backlots. Je prends ! Ok cool ! À peine entrée je comprends : Marlène Dietrich and Gary Cooper buildings. Paramount Pictures Studios, Baby ! Je bouillonne, je fais de grandes enjambées, Tours sur moi-même, petite arabesque, bras voluptueux, Les visiteurs me voyant ainsi prendre feu Devant les plaques de Marlène ou Gary Ne peuvent que sourire face à un tel enthousiasme. Je pénètre enfin ma zone restreinte, Mais pas des moindres : Backlots. Je suis en feu. En feu !
J’ai soif. Il me faut ma dose annuelle de Ruinart. - Hello, a glass of champagne please. J’entends vaguement un mec et sa meuf qui parlent, peut-être de moi? Ou carrément à moi ? - Sorry I am French ! You were talking to me ? Ils acquiescent. Et puis, portée par un kif cinématographique je lui sors : - You talking to me ? Comme De Niro dans Taxi Driver. Ah le kif ! Perso, hein ! ? C’est mon conte de fée à moi, À coups de robe à paillettes, de moteurs V8, De combats de boxe contre moi-même Et de phrases cultes du cinéma. Le couple mime de rire à ma blague. L’homme et la femme ont dû sentir que ça me tenait à cœur. Ici on brise aucun rêve, quitte à être hypocrite, comme si l’on avait conscience de l’importance d’entretenir des folies intérieures qui pourront peut-être devenir plus tard une mistresspiece. Puis je fais des selfies avec des gars de la sécurité de la Paramount. Y’a t il quelque chose de plus cool que ça ? Des selfies avec des workers de La Paramount ? Moi aussi j’en suis une de workeuse, une chienne de workeuse, J’ai toujours faim de bosser, Je finirai bien par gagner ma vie par mon travail. Aaron arrive et on attaque de suite Je performe dans les Artists Projects du Backlots. Jusqu’où peut aller mon enthousiasme ? À LA il a pris une forme étonnante, décuplante, Basé sur des faits et du concret. L’enthousiasme ne dort jamais ici. En général lorsque je vis un grand enthousiasme en Europe, et que je le savoure pleinement, il me tombe une tuile assez rapidement, à la hauteur de l’enthousiasme vécu. Comme si je devais systématiquement être ramenée à la réalité à coups de pieds au cul. Bah, je m’y suis faite, même qu’avec l’expérience de mes nombreuses désillusions, j’ai appris à les encaisser, et les déceptions me dégoulinent dessus comme le chewing gum liquide vert sur Louis de Funès dans Rabi Jacob. C’est gênant mais ça me fait faire d’autres trucs pas mal en écriture et performance. Alors là, au vu de l’enthousiasme perpétuel, la claque va vraiment faire
mal, peut-être serais-je mise KO quelques jours. Mais si je suis suffisamment forte ce que je produirai à la suite sera… Hummmm… Ah ! Aaaah !… Ouh ! la ! la ! Ooooooh ! OH ! Hummm… Paow ! Chouuuubam ! Grandiose. Alors viens ! Viens la désillusion ! Que vienne le dénigrement ! Cours à moi le dédain ! Et toi l’« hautisme », mix entre « hautain » et « autisme », Déchire mes vêtements, j’ai besoin d’être nue pour te maîtriser, Te mettre à genoux. J’ai plus peur de rien depuis longtemps, Tout m’excite, tout m’inspire, Je me nourris de tout ce qui voudrait me faire arrêter. Je suis devenue un monstre indestructible. Ô Vilainie Suprême ! Entourée d’or et de velours Sur un trône temporaire Tu penses me décourager Je te décanille Essaye de me faire taire Je serai encore meilleure ! Viens j’ai faim de ta bêtise, de ta vie étriquée, Tu n’es pas l’avenir, tu es le passé. Viens ! Viens te dis-je ! Quoi ? Que dis-tu ? Hein ? J’entends pas. C’est à moi que tu parles, là ? Je comprends pas ! ? You talking to me ? YOU TALKING TO ME ? February 14, 2020 Los Angeles
Texte 314 : n’oublie pas de revenir Dans le taxi qui me mène de Hauser & Wirth à la Night Gallery Je me demande si je vais parler à Claire Tabouret ? En français du coup. Même si le temps file, Que je cours après lui, Yeux écarquillés, Big smile, caressée par le soleil, Il me faut parler de cette énorme galerie Hauser & Wirth Los Angeles avant quoique ce soit d’autre. Environ 1000m2, je ne sais pas, peut-être plus J’ai participé aux trois openings Sottobosco de Nicolas Party, Walking the Space: Spatial Environments, 1948-1968 De Lucio Fontana Et New Women, New Men, and New Identities D’August Sander Jouissif, beau, puissant Aaron m’a filmée dans chacun des espaces Énorme galerie, précise, au millimètre Je crois que j’ai erré la gueule ouverte Même en La Bambina Mais j’ai quand même marqué mon territoire À coup de fake smile sincère sur les œuvres de Nicolas Party _ Alors voilà C’est ça C’est là I found it I finally found it Le paradis sur terre Où ça réagit à ce que je suis foncièrement C’est ça ma ville Je ne suis pas champêtre Je suis hyper dynamique Et j’aime pas la mollesse, Quand ça réfléchit trop Ça dort et ça endort Faire en réfléchissant
Réfléchir en faisant Ça oui N’oublie pas de revenir Qu’il me disait David. David Brunner m’a dit ça Avant de partir N’oublie pas de revenir ! Ben je ne sais pas comment je vais faire Pour revenir J’aime les sons, J’aime les gens, Fake gens sometimes, of course Mais des gens stimulants Ça laisse la place aux rêves « Open » ici c’est open Avec ces petites phrases bienveillantes Tu sais là, ces phrases hypocrites mais dites avec le cœur Si tu veux croire, tu es servie Je veux croire, je suis servie Et j’aime ça February 15, 2020 Los Angeles
Texte 315 : spasme spatio-temporel Je te raconte pas les stress cumulés ces derniers jours, et aujourd’hui en particulier. Je ne voulais pas payer mon ticket d’entrée pour la Frieze à 175$ et j’ai tout fait pour ne pas les payer. Je n’aurais jamais osé demander un Pass à mes nouveaux amis de LA, New York ou Paris, si Aaron ne m’avait pas mis la pression pour que je dégote ce Graal. Lui, il n’hésite pas à faire le forcing partout, tout le temps. Et c’est une sacrée leçon car Martha Kirszenbaum, la curatrice du Pavillon français à la Biennale de Venise, meuf inspirante que je suis via les réseaux sociaux, m’a envoyé direct son Pass par mail. Alors je me pointe à l’accueil de la Gower Entrance, en présentant le Pass accompagné du mail. Hélas ce Pass ne m’ouvrira pas les portes de la Frieze. La meuf à l’accueil fait barrage en m’expliquant qu’il aurait fallu que mon amie soit présente à l’accueil avec moi. Too bad. Je dégouline par-delà le fond de teint. Attendre encore, résister à la chaleur, à la fatigue cumulée et à cette mise au ban qui commence à me mettre mal à l’aise. Enfin juste un petit peu, car La Bambina n’est vraiment pas du genre à se sentir en trop. Au contraire elle pense que tout le monde n’attend qu’elle. Et si j’usais de ses charmes ? /Tu veux une photo avec La Bambina ? Ok ! Tiens, je te file un billet en plus, t’es content hein ! Et sinon, t’as pas un Pass à me filer ?/ Aaron me prévient par téléphone qu’il a un ticket, je le rejoins, on évite une heure de queue grâce à sa carte de Presse. Mais le Pass qu’il m’a filé ne fonctionne pas. Alors je retourne à l’accueil pour m’acheter un ticket. Quasi arrivée, Aaron me téléphone en urgence et m’annonce qu’il a trouvé un ticket qui devrait marcher cette fois. Demi-tour gracieux, en faisant virevolter ma robe, ainsi que mes bras ondulants. /Je reviens sur mes pas, Le site est immense, Je suis à talons hauts, Le gardien me reconnaît, Et me laisse entrer d’un signe de tête, Le Pass fonctionne, Je pénètre enfin./
Tout le monde est fou de me voir danser Dans ma robe brodée de paillettes bleues, rouges et or. Je donne des billets, je me fais filmer et photographier. On me remercie de ma présence Et de ce que mon personnage dégage. Quelques galeristes hostiles sont froids et secs, Je peux les compter sur les doigts d’une main, C’est pas grand chose, enfin comme d’hab’ quoi. Il y a une galerie pour laquelle je commençais à déployer un nouveau téton, pour une troisième mamelle du désir. Mais non. Je ne veux pas d’une dictatrice hautaine qui n’aime pas les gens pour parler de mon travail. Même pas une minute de présence et la jeune bique gueule de sa voix aigüe et nasillarde : Enough ! Ah ! Ça se la ferme quand c’est J-Lo ! Ça se fond dans la moquette, quand ça voit un sac Louis Vuitton ! Enough ! Qu’elle me gueule ! Moins d’une minute de présence ! ? Alors tu me demanderas : quel type de présence ? La Bambina qui marche tout simplement. Enough ! J’aurais dû rester, mais j’aime tellement pas ce type de galeriste prétentieuse que je me casse aussitôt en lui faisant un grand sourire et en la remerciant, et en la re-remerciant, et surtout en la re-re-remerciant comme si elle venait de me féliciter pour ma prestation. Ça me fait me sentir bien, alors qu’elle, elle boue d’autant plus, elle boufferait son costard, ses chaussures, Ses mains, ses cheveux et tout le reste. Trou noir de galeriste. Je suis son spasme spatio-temporel. February 16, 2020 FRIEZE LA
Texte 316 : [A É-LÈÏ : SA AN-BRÈÏ] ! Ok je sors d’une semaine folle-folle-folle Frieze Artweek, à LA, ça rigole pas ! Et en fait si ça rigole, c’est très humanity friendly ici, C’est fun partout, tout le temps. Aaron m’a filmée à la Frieze Au dessus-autour-en pourtour-en dessous-en interaction avec-et Dans les œuvres Marchant, dansant et donnant mes billets au public Il m’a même filmée parlant… ce qui me pose un problème car ça me file une de ces gueules de parler avec le dentier (je lui ai dit, histoire qu’il sache, mais je n’insisterai pas). D’ici à ce que j’émerge, j’ai le temps de me préparer. Good vibes ici, sérieux, encore plus qu’à New York On est prêt à t’aimer de suite On te dit qu’on t’aime On encourage la créativité, on aime les artistes, et ça va vite Ici tout semble possible, pour qui à la niaque Et ne rechigne pas à la tâche Tu travailles dur, tu récoltes de fruits multiples gorgés de sucre Et prometteurs de bonnes confitures très rapidement T’as vu direct, tac-tac un article sans faute ni sur le prénom ni sur mon nom, chose difficile à obtenir en France, malgré le fait qu’il y a beaucoup d’arabes en France. Dixit deux membres de la diaspora arménienne, malgré cela donc on ne sait pas écrire Sophia El Mokhtar sans une à cinq fautes. La première arménienne qui m’a dit un truc approchant, je l’ai rencontrée au début de mon séjour dans les toilettes classes de la NeueHouse, une femme élégante et peu bourrée, l’autre c’était il y a quelques jours, un mec de 32 ans, petit, dans la rue alors que je quittais la NeueHouse et m’arrêtai net face à un gros chiffre 9 doré sur le trottoir aux alentours de minuit. Chiffre qui allait être installé sur la devanture du Hollywood Palladium. Ce mec ne pouvait pas entendre que j’étais française. C’est drôle ça quand même. Faut dire que lui il est né à LA, et il se considère arménien avant tout. Il a même voulu vérifier d’où était ma mère, et si elle aussi avait eu des origines arabes, pour lui la messe était dite, dans sa tête je ne pouvais absolument pas être française.
Lui, il a le cul entre deux chaises. Ça crée des personnalités tiraillées, trop focalisées sur le passé, les ancêtres, la famille et l’ailleurs. Il est un oxymore sur pattes qui s’exprime de cette violente façon : - I love Trump ! Me clame-t-il. Il me révèle qu’il dit ça souvent, car il aime voir la réaction des gens tout en balançant son corps de façon à dessiner des triangles dans l’espace. Cela démontre un certain mal-être Triangle des Bermudes In Corpus Perdition totale Avoir le cul entre deux chaises c’est pas bon. Parenthèse geotriangulaire close/ Donc t’as vu à LA Tac-Tac t’as un article dans The Art Newspaper Direct t’as le nom, correctement écrit, l’engagement artistique, le moteur et la provenance : France Et ton nom est juste à côté de celui de Jeffrey Deitch Ce journal sera distribué à tous les visiteurs durant les deux premiers jours de la Frieze À LA : ça embraye ! Tu entends, [A É-LÈÏ : SA AN-BRÈÏ] ! Repeat after me : « À LA : ça embraye ! » En deux semaines je connais quasi tout le milieu artistique de LA Ce qui est peut-être inquiétant. Mais je n’ai pas assez d’expérience pour affirmer que c’est inquiétant. À chaque opening des personnes viennent à moi pour me saluer, l’une me dit « je t’ai vu ici, telle date », l’autre « je t’ai vue là, telle date », un autre encore « je t’ai vue à Performa New York », ou « à telle fête, tu es la reine du dance floor » Non stop, sans fin on me sourit, on me hèle, on me chuchote aux oreilles des choses que je fais mine de comprendre en offrant le sourire hypnotisant de La Bambina À LA : ça embraye! Un an ici ? Ma vie ici ? Pourquoi pas ? Ici : Trouve tes alliés, Et fonce ! February 17, 2020 Los Angeles Photos de Da Ping Luo
Texte 317 : 3000 Bucks, dude ! Aaron est venu me chercher à Hollywood Hills Avec sa Dodge Motorhome, il ne m’avait jamais vue Dans mon état normal, il m’a traitée de « real me » : « The Real You ! » qu’il s’est écrié au milieu de la rue, yeux écarquillés cherchant à reconnaître La Bambina Tout en chargeant ma valise de 23 kilos. Sa Dodge Motorhome est intéressante, elle a une sacrée gueule « 3000 Bucks » il m’a dit qu’il l’a payée, le « dude » 20 litres au 100 que ça bouffe cet animal Pas de ceinture de sécurité C’est perturbant Durant les deux heures de route, je me suis vue plusieurs fois éjectée du véhicule tête en avant, Pare-brise ensanglanté, Ultime performance, The End À cette vision morbide je renvoyais au monde réel par delà les vitres du véhicule un sourire émerveillé et niais comme pour conjurer le sort. Si je crève comme ça, Sur « feue Route 66 », Ben ma foi j’aurais quand même vécu un beau panel de trucs Comblant un certain nombre de mes curiosités. Bien arrivée à Palm Springs Pour performer à la Modernism Week du 20 au 23 février J’ai fait Francine of the Desert dès le premier après-midi Une mémé handicapée à qui j’ai tenu la porte En quittant le Palm Springs Art Museum, Éblouie par ma robe héritée de ma mère, Elle même l’ayant héritée de sa mère, M’a souhaitée une longue vie. Elle a insisté, en me souhaitant que j’aie une longue, Très longue, très très longue vie. Étrange scène me confirmant Ma conviction que je ne vivrai pas longtemps Je ne lui ai pas fait part de mes doutes Concernant ma durée de vie, À elle, mourante sur un trotteur. Le lendemain j’ai rejoué Francine of the Desert
Elle s’est retrouvée au volant d’une Cadillac de 1959 Puis elle a visité la Gilman Residence Elle a ouvert un frigo immense, Elle s’est reposée au bord de la piscine, Elle a dansé, Elle a marché en distribuant mes billets, Elle s’est donnée en spectacle pour mon plus grand plaisir Aaron a été content des « footages » Le soir j’ai dégainé La Bambina, J’avais besoin de faire l’unanimité Les blondes ne font pas l’unanimité, Suspectes de je ne sais quoi Encore un mystère à percer La Bambina capte l’attention de tout le monde, L’animal que je suis au dessous d’elle, savoure ces instants Je suis suffisamment prétentieuse pour les vivre comme des moments de gloire et de grands accomplissements artistiques La Bambina danse sur le trottoir avec ses nouveaux amis Enthousiastes et insouciants Sur lesquels le temps coule Comme une succession de caresses Du soleil puis de la Lune, Puis du soleil, puis de la Lune… La Bambina est remerciée par son public Observée cinquante mètres alentours Les clients des restaurants sortent pour la voir La saluent, la filment, et les musiciens Lui offrent leur CD pour sa prestation Le lendemain j’incarne Barbara from Dallas Si je l’ai créée corporellement C’est Aaron qu’il l’a identifiée Il a défini ses qualités, sa profession Son histoire, son état d’esprit Très intéressant de sculpter un personnage À deux cerveaux Il a dit « Barbara from Dallas, Texas » Puis j’ai répété plusieurs fois, « Barbara from Dallas, Texas » Émerveillée en train de faire des selfies Dans sa Dodge Motorhome
Mon cœur palpitait face à ce nouveau personnage « Barbara from Dallas, Texas ! » Alors il a dit : - Barbara from Dallas ! That’s all ! - Oh ! I like from Dallas, Texas ! Ça claque bien pour une french Il a dit : - No ! Barbara from Dallas ! It is better ! J’ai dit ok ! C’est lui l’américain, il sait mieux ce genre de trucs. Pour lui elle est fan d’équitation et de ses chevaux en particulier Elle a épousé un riche propriétaire, récemment décédé Duquel elle a hérité une fortune qui lui permet de voyager Elle fait la promotion de son cheptel En clamant son amour pour les chevaux Les gestes de ce personnage Créent une danse très drôle que j’aimerais jouer souvent Ce sont des postures qui font rire Et moi j’aime faire rire Alors j’ai gambadé partout En faisant le cheval avec mon corps, Mes cheveux et mes mains, et ma voix Courir dans la poussière Et sous le soleil de Palm Springs, Je me suis sentie vivre follement The Misfits à moi toute seule ! Les Désaxés, j’en suis ! Marilyn Monroe, Clark Gable and Montgomery Clift En moi pour jouer à être Barbara from Dallas Être filmée et encouragée par un autre artiste, Extérieur à mon environnement habituel de travail, C’est très stimulant. Faut dire que ce mec bosse beaucoup aussi Le lendemain je dégaine à nouveau La Bambina dans une robe vintage Dégotée en 1996 chez Groucho à Toulouse Aaron me filme et apprécie mes délires instinctifs Face aux architectures, aux humains, aux bagnoles, aux objets ou encore aux cactus J’assiste à des talks sur le design, l’architecture Et la mode en sirotant du vin
Le public rit aux blagues des différents intervenants Sur l’American Way of Life with love. J’aime ça. Sentir ce qui lie ces gens, comprendre de manière abstraite ce lien, sans capter avec précision ce qui est dit, mais ça me plaît de m’imaginer faire partie de cette communauté. Le lendemain, au bout de moi-même Tous mes fils internes tendus, prêts à rompre Je fais l’Artiste à l’International Aaron me demande son prénom - The International Artist ! That’s all ! - Ok ! Cool ! qu’il m’a répondu, en ajoutant qu’il n’y a pas toujours besoin d’un prénom, avec un petit air dubitatif tout de même L’Artiste à l’International m’a fait boire une bière, puis du vin blanc Elle m’a fait essayer des lunettes à 600$, Elle aurait voulu que je les lui achète, Puis elle a essayé des chapeaux, elle les voulait tous Je lui ai pris les moins chers, j’en ai eu pour 40 Bucks, gal’. Puis elle m’a fait essayer un manteau sublime à poils longs et rouges. Le prix ? 2500 Bucks, dude ! Elle m’a tourné autour comme si j’allais céder. 2500 Bucks, gal’ ! Hou-Hou ! Elle a regardé le manteau, s’est replongée dedans, s’est caressée le caressant comme un animal, puis l’a remis sur cintre, dos voûté, tête baissée, puis face au miroir elle m’a réclamé à boire pour compenser. Aaron m’a semblé très satisfait du travail effectué durant ces quatre jours. Dans sa Dodge Motorhome, on a fait le chemin du retour. Nuit noire Éclairée par les incalculables voitures qui filent et doublent non stop Par la gauche et par la droite sur les dix voix de la l-10, feue Route 66 Éclairée par les bordures de route dédiées aux zones industrielles Où errent des formes humaines esseulées poussant des chariots Depuis la l-10, ces errants mesurent deux millimètres Mais je devine leurs visages Ces errants ne sont même plus tristes Ils encaissent le temps qui coule sur eux comme le flot des voitures. Continuer à vivre malgré tout. February 23, 2020 Palm Springs
Texte 318 : les Précieux Ridicules Plus de cerveau, plus de jus, plus de force, Mais sensation du devoir accompli. Je le vois dans le comportement d’Aaron, Qu’il est fier de sa “Charlie Chaplin de l’Art World” Qui carbure à la bière. Il coupe le chèvre aux herbes dans son plastique, En tartine des crackers, boit quatre gorgées, Se met les cheveux derrière l’oreille avec le petit doigt, En me regardant et en souriant. Un sourire qui pense aux « great footages » qu’on a faits. Il m’avait boudé à sa façon lorsque le premier matin soit le 21 Je n’avais pas pu me lever, épuisée, au bout du bout. Quand j’étais enfin arrivée vers 13h à la Media Tent, Je le voyais bien qu’il était déçu. Il marchait vite deux mètres devant moi, En me parlant sans me regarder, L’impression qu’il pouvait m’abandonner. Il aurait pu être encore plus cruel, je l’aurais été moi. Lui ça a duré quelques minutes le temps qu’il me voit performer, En train de faire mes aller-retours pour me prendre en photo Et me filmer au milieu des visiteurs J’avais intérêt à lui montrer que j’étais fiable, Et donc bosser de mon côté genre : Hey ! Mec ! Si tu me tournes le dos, C’est pas grave (tu parles), Ouais je m’en fous (genre la grosse dure), T’inquiètes (pff c’est ça ouais...) Moi je bosse de mon côté, J’abandonne jamais tu m’entends (vieille truie) ? Jamais ! Me voyant travailler avec enthousiasme Il me regardait à nouveau. Nous allions bosser comme des fous. Barbara from Dallas, blonde rayonnante à la beauté barbique ne récolte pas autant d’amour que La Bambina. Surtout au Sunnylands Center and Gardens. Yep! Chez Feu Walter et Feue Leonore Annenberg C’est plutôt froid l’accueil.
Ici on est dans un empire familial, une dynastie, Où des pépés et mémés aux tons pastels titubent, Où des enfants blonds courent en silence dans l’immense parc, Et où des parents faillent à la joie de se ridiculiser pour leurs joyaux, Prêts à faire des performances radicales : Rester immobiles trente minutes sous une toile plastifiée Aux motifs coccinelle sous un soleil franc Pour susciter une réaction de son public : sa progéniture. Mais l’enfant veut pousser la recherche corporelle De son géniteur jusqu’à ses limites. Un vol d’aigles majestueux, Dessinant un cercle parfait au dessus de leurs têtes N’intéressera que moi. Aaron a tout fait pour m’incruster à la visite VIP-tour-House-ModernismWeek-de-Sunnylands, Mais non. Ici on rigole pas avec les Pass. L’occasion pour moi de me vautrer dans un fauteuil Et dormir yeux ouverts au milieu d’un vaste salon Entouré d’immenses baies vitrées et de vieux Ce temps de repos est aussi l’occasion de constater Que certains personnages fonctionnent À tels endroits et pas à d’autres Ici Barbara passe pas Suspecte de je ne sais quoi ? Il faudra creuser, absolument, V’la Aaron qui sort de la visite d’une heure pile Apparemment déçu. Ça ne valait pas les 65 $ (qu’il n’a pas payés) Bref, on fait un point sur qui est Barbara from Dallas Elle est une riche héritière, elle a des chevaux qu’elle adore Elle ne pense qu’à eux, Au point de s’identifier elle-même à un cheval, Une jument, un poney Certaines voient la vie en rose, elle la voit en chevaux ! Et c’est dans le labyrinthe du jardin de Sunnylands Qu’elle a trotté pour la première fois, Puis c’est au rassemblement des Vintage Motorhome Qu’elle a henni pour la première fois. Pas facile à trouver le hennissement Et puis c’est venu, il faut laisser sortir le truc.
Faire le cheval sous l’impulsion d’Aaron M’a changée à tout jamais Je ne suis plus la même femme Je ne peux plus être la même Après m’avoir vue gigoter comme ça Faire le cheval, faire Barbara from Dallas m’a grandie Je suis une meilleure humaine désormais Le ridicule ? Ah ! non ! Alors là vraiment, jamais je ne me pose ce type de problème. Ou de questionnement. Sacrifice absolu pour l’art. Et puis, de toutes façons Au moment où vient à moi Une vague idée du « ridicule » Systématiquement il me vient en images Un nombre incalculable de situations vécues Dans mon domaine professionnel, ou autres, Ou vues à la TV et Internet, De tous pleins de gens de pouvoir, Ou qui croient en avoir, des prétentieux, des influentes, Des décideurs, des émergées, des pseudo-émergés, Un nombre fou de « précieux ridicules » Que direct je me dis que je dois me vautrer dans le ridicule, Aller le chercher avec les dents, c’est ma lutte à moi ça Jouir de l’idée de transformer ce potentiel ridicule En enjeux comiques Je me cite : « Ne crains jamais le ridicule si et seulement si, tu le transformes en situation comique » Voilà! Et cette situation potentiellement ridicule, Que tu amènes instinctivement à devenir comique Par des postures qui viennent du bide C’est un peu du génie Le génie comique ne s’apprend pas, Tu l’as ou tu l’as pas. Si tu veux l’apprendre Ça sonnera comme des assiettes en mélamine « beb’ » au lieu de « KLEING’ »
Il faut avoir faim de vivre, il faut aimer l’autre, Même le plus malin (du latin malignus « qui engendre le mal ») Et pouvoir s’imaginer jusqu’à se fondre en lui Pour pouvoir faire rire. C’est particulier de faire rire Si tu veux faire rire, mais que tu n’as pas ça en toi, C’est mort Arrête n’y va pas, T’auras toujours cette nano-seconde de retard Qui te fait perpétuellement rater le train du rire Arrête n’y va pas Si tu profites des situations Que tu vis pour faire rire sur le vif, Vas-y ! Fonce ! Là ça le fait Faire rire c’est du tac au tac Il faut que ça parle direct, Si le signal émis par le ou la comique Reste trop longtemps dans le cerveau du public, Le rire se meurt Il faut que ça fasse bim>bam=paow ! Tu vois : direct le cerveau sait À quels bourrelets qui le composent le message est envoyé Faut pas que ça fasse : « B-bonjour, je me présente à vous le cerveau, à quel bourrelet de votre flasque consistance dois-je me rendre pour faire rire au sujet des précieux ridicules » parce que là, ça fait pschitt Mimer une situation comique c’est terrible pour l’humour, Ça le tue, Ça le transforme en véritable dramaturgie pour les interprètes Il faut que ça vienne du bide, c’est pour ça qu’un comique Est obligatoirement plein d’empathie Capacité de s’identifier à l’autre quel qu’il soit. Moi je me fonds totalement en mes personnages Qui me font extirper de moi Des capacités secrètes Dans des domaines plus ou moins glorieux. February 23, 2020 Feue Route 66
Texte 319 : je retiens Dans le taxi qui m’amène À la David Kordansky Gallery, Je bouillonne à l’intérieur Parce que je suis en retard Et parce que je fais The Gallerist C’est un personnage créé en 2015 Qui fait du voguing avec les gestes de galeriste Gestes de décideuse À LA elle est châtain clair, plus souriante Et avec un dentier meilleur qu’à l’époque Dans le grand hall d’entrée de la galerie Une petite fille court, enthousiaste Entre son père David Kordansky Et sa mère Mindy Shapero Tous deux, de part et d’autre de la salle Je pense à ma non-maternité / Perruque sur le crâne Masque de fond de teint Sourire fake et lunettes Je fais le choix de la superficialité Apparente Je fais le choix de jouer C’est mon travail C’est dur sous les paillettes C’est mon champ de blé à moi Que je laboure tous les jours Bête de somme / Sur la scène il y a d’abord eu Un orateur puissant et inspirant Douglas Kearney Puis Harmony Holiday Dont la voix est volontairement Grésillante et faible Comme si elle voulait que ses cordes vocales Se déchirent je ne sais pas comment décrire J’apprécie peu ce choix
Elle est soudainement émue Elle pleure et s’excuse Il n’est pas bon de faillir Lorsqu’on lit un texte, Je retiens Si tu as un texte qui t’est sensible Ne le lis pas Aaron arrive, il trouve que j’ai l’air Transgender C’est vrai que cette perruque Me fait ressortir des traits masculins Je trouve ça bien, hyper bien même On est tous et toutes transgenres Je retiens. Lauren Halsey Kordansky Gallery February 29, 2020 Los Angeles
Texte 320 : fuck yeah ! Je retrouve Marc à l’Opening de Regen Project Au 6750 de Santa Monica Boulevard On se prend un verre de vin blanc On trinque Il me parle de Barbara from Dallas et de Francine of the Desert Qu’il a beaucoup aimées, On cause un peu de Palm Springs Puis il repère quelqu’un et il me dit : - Come on ! Ok je te follow, dude ! (« dude »ça veut dire « mec ») Il me présente au directeur du LACMA Michael Govan Je lui file un billet de La Bambina Made & Printed in LA pour la Frieze Mister Govan me dit qu’il se sent déjà plus riche en me souriant Sympa ce dude aussi Puis il quitte la galerie Mes amis ne raffolent pas du travail de Catherine Opie, Ils trouvent que c’est souvent décevant, Marc et Aaron ont le même avis avec une argumentation différente Marc a surtout bloqué sur les photos en ne cessant de me répéter : - Mais qu’est-ce que c’est ça ? Mais qu’est-ce que c’est ? Hein ? Qu’est-ce que c’est ? Ça ? Il aime parler en français dès qu’il le peut La Bambina de répondre corporellement D’un air interrogatif avec son sourire fake et généreux à la fois, Tout en cherchant son public derrière ses verres métallisés Elle cherche toujours à me connecter avec tout le monde, C’est qu’elle est soucieuse de mon émergence Elle veut pas que je crève avant d’exister en tant qu’artiste Pendant qu’elle se défonce sur le terrain, Je tournoie autour de Marc Et des totems censés évoquer des téléphones Diffusant des collages mouvants sur grilles bleues Aaron, lui, a totalement bloqué sur cette grille bleue justement, Qu’il trouve inappropriée et plutôt laide Je lui ai demandé si Catherine Opie gagnait bien sa vie Il a levé les yeux au ciel semblant dessiner une montagne de fric :
- Oh ! Yeah ! Peut-être même qu’il a dit : - Ooooh ! fuck yeah ! C’est vrai que le boulot présenté au Regen Project Me fait ni chaud ni froid, Tous les deux m’expliquent que c’est surtout ce qu’elle représente, Soit une grande militante pour les droits LGBT, Qui est soutenu Ça c’est top Je re-trinque au vin blanc avec mes potes En me demandant si je représente quelque chose dans la société Puis on se remet au travail avec Aaron Il me filme en interaction avec les œuvres C’est cool Malgré ma grande fatigue je teste des nano-trucs corporels La galerie ferme Aaron part bosser sur son ordinateur du côté de Koreatown Dans un café jusqu’à 2h du mat Et moi je rentre à pieds 30 minutes de marche Dans la nuit noire constellée de phares de voitures, De fenêtres d’habitations et des lampadaires Sur le Santa Monica Blvd, sans cesser de marcher, Je retire le dentier baveux Que je mets dans un mouchoir Que je glisse dans la poche de mon trench coat, Puis mes lunettes dans l’autre poche, Et la perruque que je case dans le sac à dos Je me peigne aux doigts En regardant mon reflet sombre Et à l’air niais dans la vitre d’une bagnole De je ne sais plus quelle marque Je me fous de la gueule que je renvoie au monde, Puisqu’il n’y a personne dans les rues Pour voir mon cheveu faible, Aplati et gras par mon labeur performatif. February 27, 2020 Los Angeles
Kembra Pfahler et La Bambina All of them Witches Jeffrey Deitch Gallery, Los Angeles CrĂŠdit Photo : Aaron Landy
International Women’s Day March 8, 2020
Remerciements : Cargo Hervé, Chef Cuisinier sur le cargo Cma Cgm Tosca. Hervé le Commandant, Renaud le Second, Lyes le Chef. Sébastien, Xavier, Charles, Grégoire, Dante et Edwin. New York Harmony Korine rencontré à la Gagosian Gallery (Texte 273) Julie Mehretu, rencontrée lors d’un talk avec Ugoschukwu Nzewi (Texte 276) _ Benjamin Lozovsky, photo de La Bambina au Brooklyn Artists Ball After Party Thank you Sophie O. Riese, Tracey and Philip Riese. Performa RoseLee Goldberg, Yu Cheng Ta, Sea Zeda, Shu Lea Cheang, Marilyn Monroe Impersonator, Ylva Snöfrid _ Benjamin Rosser photo de La Bambina avec Yu Cheng Ta Los Angeles Paul McCarthy, rencontré au Hammer Museum (Texte 305) Miley Cyrus, rencontrée à la Jeffrey Deitch Gallery, Los Angeles (Texte 307) Paramount Security Workers, rencontrés à la Frieze Los Angeles (Texte 316) Kembra Pfahler, rencontrée à la Jeffrey Deith Gallery, Los Angeles (Texte 320) _ Da Ping Luo, photos de la 1ère de couv’ et du texte 316 Karen Constine, photo du texte 306 Jori Finkel, photo et article dans The Art Newspaper du 13 février 2020, Aaron Landy, photos des textes 307, 313, 317, 318, 320 Marc Karzen, photo de la 4ème de couv’. _ Thank you my dear folks Karen, Aaron and Marc, you made my trip!
UNITED STATES OF LA BAMBINA Textes rédigés entre février 2019 et février 2020 * Livre imprimé en août 2020 * SOPHIAELMOKHTAR.NET PAYSAGESINTERIEURS.COM * contact@sophiaelmokhtar.net