Tiers Lieu : une notion fourre tout ? by seminaireRLM

ENSAP Bordeaux Séminaire « Repenser la métropolisation . Construire un monde en transition. » Bettan Inès S7 - Article- Janvier 2022

Tiers Lieu : une notion fourre tout Dans son ouvrage datant de 1989 nommé « The Great, Good Place », le sociologue Ray Oldenburg évoque la notion de Tiers Lieu, ou Third Place en anglais, pour la première fois. Oldenburg s’intéresse alors aux lieux hybrides qui ne constituent ni domiciles ni espaces de travail et se situent entre public et privé. Selon l’auteur, ces lieux constituent un volet complémentaire pour la vie sociale de la communauté, qui se rapporte à des espaces de rencontre et d’échanges informels. Pour Oldenburg, le Tiers Lieu aurait plusieurs points caractéristiques. Tout d’abord, il se situe en terrain neutre, ce qui n’implique pas de rapport de force ou d’obligation d’un individu envers l’autre. Il est accessible à tout moment et ne se met pas trop en valeur. Le Tiers Lieu est également un espace de communication ouvert à tous, on n’y retrouve pas de notion du rang social ou de système hiérarchique. Il a pour but d’être source de chaleur et de confort a n de constituer un véritable havre de paix et d’échanges. Jean-Yves Pineau préfère quant à lui quali er ces lieux de « tiers-espaces » (2019). Cette notion a un caractère plus générique puisqu’il considère que la limite ne s’arrête pas à un édi ce mais plutôt à un territoire. Il ajoute à la dé nition d’Oldenburg le principe de valorisation des potentiels et des produits locaux dans ces espaces tout en revalorisant le site même sur lequel ils se trouvent. Il complète par le fait que ce sont majoritairement des collectivités locales, des structures et organismes sociaux et évidement les citoyens qui sont à l’origine des ces tiers-espaces. Ces « espaces de rencontre favorisant les échanges, la socialisation, la communication et les actions ou interactions réciproques susceptibles de faire émerger une communauté » (Gehrard Krauss et Diane-Gabrielle Tremblay, 2019) sont des nouveaux espaces de travail impliquant de nouvelles formes d’organisation du travail, rendus possibles par le numérique, et ce en dehors des grands centres urbains.

1. Différentes incarnations du tiers lieu dans l’ensemble des dé nitions

Comme dit précédemment, il n’existe pas de tiers lieu type mais plutôt différentes interprétations de la dé nition d’Oldenburg. D’après Raphaël Besson, Directeur de Villes Innovations, on retrouve cinq déclinaisons (2017). Tout d’abord il y a les « tiers lieux d’activité », qui représentent les espaces d’activités partagées ou coworking. Ces espaces peuvent être empruntés par des télé-travailleurs ou des indépendants et impliquent une collaboration entre les usagers ce qui permet de le distinguer d’un télé centre ou de bureaux en open space. Il y a également les « tiers lieux d’innovation », qui permettent, à travers une diversité d’acteurs de stimuler le processus d’innovation. Les « Fablabs » sont un exemple même

de ce type de tiers lieu puisqu’ils s’appuient également sur l’expérimentation, le prototype et le partage. Viennent ensuite les « tiers lieux culturels » dont le but est d’intégrer des méthodes de travail en collaboration tout en attirant du public et en diffusant des savoirs et de la culture. Les bibliothèques, friches culturelles ou fablabs sont une illustration de ce type de Tiers Lieux. Les « Tiers Lieux sociaux » ont quant à eux un enjeu sociétal af rmé. Le but de ce type d’espace est la contribution citoyenne et la collaboration. Elle permet aux citoyens de s’impliquer au développement de plusieurs domaines comme l’économie et la politique. Ces lieux prennent souvent la forme d’ateliers collectifs ou de conventions. Pour nir, on retrouve les « Tiers Lieux de service et d’innovation publique ». Ces espaces tels que les Maisons de Services Publics et autres conciergeries solidaires, sont souvent déployés à l’initiative des collectivités a n de régénérer les territoires. Les différentes catégories de Tiers Lieux cités ci-dessus sont perméables et peuvent être additionnés ce qui explique le caractère encore ou du Tiers Lieu qui empêche une dé nition précise.

2. Démocratisation des Tiers Lieux Depuis des années, à l’image de la dé nition d’Oldenburg, les tiers lieux sont créés pour développer le « faire ensemble » et permettent ainsi de retisser des liens. À l’initiative des citoyens, ces espaces se placent comme acteurs centraux de la vie des territoires et permettent bien souvent de contribuer au développement économique et à l’activation des ressources locales comme illustre cette citation récente de Jean Castex : « Aujourd’hui, le Gouvernement fait donc des tiers-lieux l’un des piliers de la relance. Concrètement, nous mettons en œuvre cinq mesures pour renforcer leur développement et leur structuration, pour un budget total de 130 millions d’euros, dont la moitié proviennent de France relance. »1 Ces différents types de Tiers Lieux, se sont principalement développés dans la dernière décennie. On remarque trois grandes phases ayant favorisé l’accroissement de ces espaces. La première phase se développe avec l’avancée des nouvelles technologies et notamment du numérique, dans les lieux de travail.On y installe une multitude d’équipements informatiques. De plus, le sujet du collaboratif commence à faire surface. Lors de la deuxième phase, c’est la réduction des déplacements entre domicile et lieu de travail, notamment dans les territoires ruraux et périurbains, qui permet la mise en avant de ces espaces de coworking. La troisième phase est exprimée par l’utilisation du tiers-lieu comme véritable outil de régénération des territoires. Celui-ci fait alors of ce d’alternative au déplacement entre territoires ruraux ou périurbains et grandes métropoles pour accéder aux facilités. Dernièrement, c’est en période de pandémie que le tiers-lieu est de nouveau mis en valeur. Il est perçu comme espace de travail et d’échange, où le télétravail et le lien social semblent cohabiter (Antoine Burret, 2021).

1 Le Premier ministre Jean Castex, en visite of cielle vendredi 27 août 2021 dans le Calvados, a con rmé l’engagement de l’État français en faveur des tiers-lieux.

3. De nombreux paradoxes Selon les auteurs des Cahiers du Labo, de nombreux paradoxes se forment au sein des Tiers Lieux. Cependant, dans la continuité des éléments dé nitionnels présentés précédemment, on comprend que ces paradoxes ne sont pas un problème pour les tierslieux, mais qu’ils en sont bien constitutifs, qu’ils en sont les caractéristiques (Lucile Aigron, Clara Bourgeois, Mélissa Gentile & Guillaume Riffaud, 2020). Parmi ces paradoxes, on retrouve celui de l’individu contre les collectifs. L’individu représente quelqu’un qui s’investit pour le collectif. Il constitue une aide pour ce dernier qui peut aller à l’encontre de sa richesse individuelle ou être au détriment de son activité professionnelle. Le collectif quant à lui peut être contrôlé par un individu. On retrouve alors une forme de censure sur les actions du collectif. Les intérêts des individus et des collectifs envers le tiers-lieu peuvent donc s’opposer. L’enjeu du tiers-lieu est alors de créer des cycles de vie, d’organiser différentes échelles d’implication (observation, participation, contribution, facilitation, accompagnement) ou bien une recomposition des rôles pour éviter ces formes de prise de pouvoir de l’un envers l’autre. On retrouve ensuite le collectif contre l'intérêt général. Les tiers lieux peuvent devenir des « structures à tout faire » comme des café-salles de concert, a n de répondre à la demande d’une partie de ces utilisateurs, c’est l’intérêt collectif. L’intérêt général a pour but de développer le territoire à travers le concept du « local ». Bien que ces deux principes tendent à évoquer des volontés différentes, ils ne sont pas incompatibles. L’enjeu du tiers-lieu est alors d’identi er les besoins du territoire puis de débattre avec les acteurs locaux a n de déterminer comment y répondre. D’autres paradoxes tels que celui entre l’implication en matière de services d’intérêt général aux habitant.e.s et le maintien des services publics dans les territoires ou celui de l’implantation géographique des tiers-lieux entre centralité et développement local sont également observés mais le plus important reste celui du « tout participatif » contre le leadership. On confond souvent coopération et leadership. Certains membres cherchent simplement à transmettre des expériences et des savoirs-faire, c’est la coopération. Au delà de la transmission, d’autres membres instaurent des gouvernances partagées ou font appel à des prestataires pour combler le manque de connaissances dans un domaine particulier. Ces membres font alors of ce d’employeurs ou de chefs d’orchestre.

On comprend alors que ces paradoxes ne s’opposent plus, mais s’assemblent et s’organisent.

4. L’exemple d’un Tiers-Lieu hybride : le domaine de Nodri Le domaine de Nodris, situé au coeur du Médoc, est un site de 43 hectares. C’est avec la volonté du département de développer l’agriculture vivrière que le tiers-lieu hybride de Nodris est crée. Avec comme programme, l’accueil d’activité agricoles, culturelles et sociales, le tiers-lieu a pour vocation de participer à l’économie locale du territoire. Rassemblant agriculteurs, associations culturelles locales et collectivités locales, le site est en mesure de répondre à une pluralité de demandes. Nodris, c’est avant tout un projet d’agriculture. Depuis 2021, une partie des locaux a été réhabilitée dans le but d’accueillir deux éleveurs et un maraicher. L’installation d’un rucher, d’une grainothèque, d’une conserverie et d’un point de vente permettront prochainement au tiers-lieu de se développer d’avantage dans le domaine de l’agriculture. Au delà du projet d’agriculture, Nodris est également un projet culturel. Une aire de grand spectacle et des espaces d’accueil d’artistes ont été installés dans le but d’accueillir différents évènements comme le Reggae Sun Ska, festival qui s’est déroulé sur le domaine en juin 2019. Un espace d’exposition et une bibliothèque ont également été ajouté au programme culturel depuis 2021. Nodris c’est également un projet social, avec le projet d’insertion de personnes handicapées mentales en partenariat avec des acteurs locaux, tels que l’ADAPEI. Comme le souligne Fanny Ledauphin, éleveuse au sein de Nodris, pour les agriculteurs, c’est également un plus de pouvoir partager des espaces. « On va jouer la carte de la solidarité entre nous. C’est un peu un laboratoire, ici, car je pense que les agriculteurs veulent de moins en moins être seuls dans leur coin, qui plus est quand on démarre. On recherche de plus en plus ces valeurs de partage. » 2 L’enjeu de ce tiers-lieu hybride est alors de redonner vie à l’activité locale en travaillant sur l’accès aux services, la dynamique culturelle locale, et l’insertion sociale. C’est d’ailleurs pour cela que les acteurs de Nodris ont prévu un plan de relance dans lequel les agriculteurs auront la possibilité de commercialiser leur production tout en approvisionnant les collèges du territoire a n que ceux-ci aient accès à une nourriture saine issue de la production locale.

Conclusion Aujourd’hui, de plus en plus de communes rurales cherchent à se dynamiser face à l’attractivité des métropoles. Peu à peu et notamment grâce aux avancées technologiques et du numérique, de nouveaux centres d’activités se mettent en place. Ce sont les tiers-lieux. Ces nouveaux espaces aménagés ont pour vocation de créer du lien social mais également de se reconnecter au territoire. Tout en répondant à cette intention, les projets diffèrent de par leur programme ce qui empêche de donner une dé nition précise. On se réfère toujours à la dé nition d’Oldenburg, créateur du terme de Third Place qui reste une base aux nombreuses tentatives de dé nitions. Les principes de bases que sont le partage, le lien social et la culture sont toujours présents, mais les

2 Interview pour le journal 20minutes le 5 Février 2021 par Mickaël Bosredon

différentes interprétations mènent à de nombreux paradoxes. Ce sont ces paradoxes qui s’articulent et complexi ent les tiers-lieux. Une étude approfondie des tiers-lieux en métropole et en territoires ruraux et de leurs modes de fonctionnement permettrait de comprendre la complexité de ces lieux. Cette étude permettrait également d’observer les différentes manières d’appréhender la notion de tiers-lieu et de sa dé nition d’origine.

Bibliographie

- Besson, R. (2017) Rôle et limites des tiers-lieux dans la fabrique des villes contemporaines, Territoire en mouvement. Revue de Géographie et d’Aménagement, volume 34. URL : http://journals.openedition.org/tem/4184

- Burret, A. (2021) La politisation des tiers-lieux, Multitudes, volume 83, pp 208-214, URL : https://www.cairn.info/revue-multitudes-2021-2-page-208.htm

- Burret, A. (2013) Démocratiser les tiers-lieux, Multitudes, volume 52, pp 89-97, URL : https://www.cairn.info/revue-multitudes-2013-1-page-89.htm

- Dubus, P. (2009) Ré exion sur les tiers-lieux : Signi cation et effets dans les institutions médico-sociales, VST - Vie sociale et traitements, volume 103, pp 18-24, URL : https:// www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2009-3-page-18.htm

- Flippo, A. (2020) Espaces de coworking et tiers-lieux : Les réseaux d’une nouvelle ruralité ?, Études rurales, volume 206, pp 154-174, URL : https://www.cairn.info/revueetudes-rurales-2020-2-page-154.htm

- Oldenburg, R. (1999) The Great Good Place: Cafes, Coffee Shops, Bookstores, Bars, Hair Salons, and Other Hangouts at the Heart of a Community (Da Capo Press)

- Pineau, J-Y. (2018) Les tiers-lieux et les cafés associatifs, laboratoires des territoires ruraux, Nectart, volume 7, pp100-109, URL : https://www.cairn.info/revuenectart-2018-2-page-100.htm

- Richez-Battesti, N. (2020), Tiers-lieux. Travailler et entreprendre sur les territoires :

espaces de coworkings, fablabs, hacklabs…, Gerhardt Krauss et Diane-Gabrielle Tremblay (dir.), 2019, 212 pages, Presses universitaires de Rennes et Presses universitaire du Québec, Recma, volume 356, pp 127-129, URL : https:// www.cairn.info/revue-recma-2020-2page-127.htm#:~:text=%2DBattesti%2C%20Nadine.-, %C2%AB%20Tiers%2Dlieux.,2%2C%202020%2C%20pp.