Phénoménologie des habitants « du milieu » : les oubliés.

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Phénoménologie des habitants « du milieu » : les oubliés Les zones périurbaines et les acteurs locaux Elena Marasca Dans le contexte général d’un monde humain dans lequel l’individualisme est la première religion, le discours autour des façons d’habiter et les lieux d’habitation est d’une grande importance à l’heure actuelle. Où nous vivons, quelles relations nous tissons avec les autres et l’environnement ; tout concourt à donner une image symptomatique – et en même temps causale– de la façon dont nous vivons. Loin d’une réalité qui ne connaissait qu’une distinction dichotomique entre ville et campagne, les processus de métropolisation se sont allés au-delà du dualisme et au-delà de la frontière, s’insinuant là où l’homme, avec ses artifices, avait laissé le vide. C’est du vide, en effet, que naît l’ambiguïté.

Ces vastes zones « du milieu », que la littérature nomme périurbaines, sont plus de campagne et ne sont pas encore des villes. Ou plutôt, elles sont une forme de ville différente de la ville compacte, une ville dispersée et diffuse sans centre ou banlieue, dépendants de la métropole vers laquelle ils se tournent. Une ville de petites taches de construit le long de routes provinciales, de centres commerciaux à l’américaine, de voitures, de voitures, de voitures. Mais qui habite ces taches, qui utilise ces centres commerciaux, qui se déplace, selon un mouvement perpétuel1, exclusivement en voiture ? Qui est-ce que Raphaëlle Rérolle appelle ironiquement « Homo periurbanus » ? Et, surtout, n’y en a-t-il qu’une seule espèce ? La première chose à garder à l’esprit est qu’il y a ceux qui sont nés et ont grandi hors de la ville, de parents nés et élevés hors de la ville. Des générations attachées à la terre et aux avantages de la vie retirée, organisée de différentes façons, dans des agglomérations de village ou dans des exploitations agricoles isolées. C’est l’homme périurbain qui, dans l’imaginaire collectif, est en vérité une femme : la mamie. Elle, porteuse des valeurs antiques d’une étroite relation avec la nature, dans l’agriculture au kilomètre zéro, du « fait maison », nous rappelle comment nous étions – nous, tous, une collectivité amorphe ancrée dans les idéaux nostalgiques d’un passé idéalisé – et comme il serait juste d’être, selon une poussée écologiste tout à fait propre à « l’intelligentsia » de la métropole lointaine, physiquement et non, de la réalité agricole en question. Cette catégorie humaine, née de lignées d’agriculteurs, n’est cependant pas l’objet de l’étude des chercheurs lorsqu’il s’agit de définir et de donner un sens au périurbain. En partie parce qu’elle constitue une minorité numérique, en partie parce que, sur un plan d’analyse sociologique, en ne participant pas activement aux flux migratoires internes, elle n’est peut-être pas jugée nécessaire d’être étudiée. Sa caractéristique principale est donc précisément celle de l’immobilisme ? C’est justement de cette catégorie qu’il faut partir pour comprendre les raisons qui poussent certains à se déplacer de la grande ville, pour comprendre pourquoi cet immobilisme l’est seulement en apparence2. Ces zones permettent en premier lieu d’avoir un contact privilégié avec la nature3. Les grands parcs périurbains caractérisent la géographie des territoires, dans leurs formes de grandes étendues rurales plus ou moins équipées, et dans celles des grands parcs à caractère archéologique ou tout au moins muséographique. Les adjectifs dominants sont ici « grands et ouverts », comme l’écrit Antoine Fleury, éléments communs de lieux qui accueillent une « sociabilité diffuse, c’est-à-dire compatible avec le besoin contemporain de vivre entre-soi, à bonne distance d’autrui »4. 1 RÉROLLE Raphaëlle, « Le Français, cet “Homo periurbanus” », Le Monde, 31 mai 2012 2

Francesco Indovina, urbaniste, politique et journaliste italien, dans son essaye « La città diffusa », 1990, remarque que, dans un premier moment où les acteurs de la délocalisation étaient internes aux zones périurbaines, ils ont été poussés par une amélioration des conditions économiques à rechercher une forme d’émancipation dans le modèle pavillonnaire. 3 FLEURY Antoine, « Les espaces publiques de la ville diffuse », Métropolitiques, 29 mars 2013 4 DALBAERE Denis, « La Fabrique de l’espace public. Ville, paysage et démocratie », Paris : Ellipses, 2010

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