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03 Mafate
Un contre-récit sur l'écologie
Studio Invisible Metropolis [Master international Ecological Urbanism] Luxembourg in transition dirigé par Matthias Armengaud et Ingrid Taillandier
Mafate est un des trois cirques formés par l’érosion du Piton des Neiges sur l’Île de La Réunion. Contrairement aux trois autres, le cirque de Mafate n’est accessible qu’à pied, créant un véritable lieu d’autarcie pour environ 700 habitants.
L’implantation de villages dans les cirques réunionnais s’inscrit dans l’histoire des esclaves en fuite, parvenus à se cacher dans les forêts pour atteindre les montagnes, amorçant la création, au fil du temps, de communautés qui habitent des cratères isolés.
Dans Face à Gaïa, Bruno Latour fait part de la façon dont l’humain occidental souhaite se distinguer de la nature à travers ce qu’il appelle « culture », « société » et « civilisation ». Son propos interroge la vision hégémonique et binaire d’un grand tout appelé nature qui, lorsqu’elle n’est pas domestiquée, serait une menace.
Étudier le cirque de Mafate ouvre la possibilité d’appréhender cette vision depuis un contre-récit. En effet, de par ses accès les plus difficiles, restreints par la montagne et les forêts, Mafate incarne encore aujourd’hui le symbole de la résistance marronne sur l’île ; une histoire racontée depuis les autres, depuis celles et ceux qui ont reconnu la nature, et notamment la forêt, comme lieu de refuge face à l’oppression : « Être marron, c’est ‘‘être forêts’’ » (J.B. Vidalou, dans Être forêts, habiter des territoires en lutte).
Les forêts primaires ont toutefois connu un double discours dans l’histoire coloniale : une nécessité de les exploiter / domestiquer / détruire, ou, une nécessité de les sanctuariser / préserver / protéger. Dans ces deux visions renvoyées dos à dos, on retrouve le propos de Bruno Latour : il s’agit systématiquement de se distinguer de la forêt, et non pas de faire avec elle.
Aujourd’hui à La Réunion, 42% de l’île est couverte de « nature sauvage et préservée » (105 447 hectares), gérée par l’ONF (Office National des Forets). La majeure partie appartient au statut « foret départemento-domaniale » qui est une catégorie spécifique pour les territoires ultramarins: elle appartient au département mais l’État en a l’usufruit. Jusqu’au XXe siècle, le conflit entre les Service forestier et les mafatais à propos du reboisement du site marque son occupation : les habitants n’avaient pas le droit de ramasser du bois, même mort, sous peine de voir leurs habitations détruites ou bien d’être expulsés.
Ce conflit interroge la dite « sanctuarisation » d’un site, dans un intérêt écologique, vis-à-vis de sa population locale. Il met d’autant plus en jeu le caractère intentionnel d’habiter dans un lieu isolé et du rôle du paysage dans cette isolement.
Rejoindre Mafate en traversant la Plaine des Tamarins – une forêt de tamarins ou « tamarineraie » – c’est emprunter les sentiers dessinés autrefois par les marrons. L’étude de ce paysage permet d’appréhender ces cheminements, désormais intégrés au paysage, depuis les types de végétation, les densités d’arbres, les friches, les saisons – en particulier celles qui encouragent certains évènements naturels (inondations, feux, éboulis, etc.)... Par exemple, si l’eau de la rivière monte, les sentiers deviendraient possiblement des cours d’eau. Comment, alors, concevoir une inondation autrement qu’en tant que menace ?