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Perspective sur l’industrie des RPA du Québec
by RQRA
PAR EMMANUEL PAQUETTE , M.SC.A, É.A., DIRECTEUR - ÉTUDES DE MARCHÉ, CÔTÉ MERCIER CONSEIL IMMOBILIER
PRÉOCCUPATION MAJEURE DE NOTRE SOCIÉTÉ, LA PROVISION DE LOGEMENTS ET DE SERVICES AUX AÎNÉS TRAVERSE UNE PÉRIODE
POUR LE MOINS UNIQUE DANS L’HISTOIRE DU QUÉBEC. MÊME SI LES DÉFIS QUE DOIVENT RELEVER LES EXPLOITANTS DE RÉSIDENCES ONT LONGTEMPS ÉTÉ LES MÊMES, LES ÉVÉNEMENTS DES TROIS DERNIÈRES
ANNÉES ONT CONDUIT À UNE SITUATION QUE PEU D’ACTEURS DU MILIEU
ONT PRÉVUE. LES IMPACTS DE LA PANDÉMIE SUR LES ÉTABLISSEMENTS D’HÉBERGEMENT ET DE SOINS POUR AÎNÉS N’ONT PAS BESOIN D’ÊTRE ÉNUMÉRÉS AUX LECTEURS DE CETTE CHRONIQUE. OR, UNE ANNÉE APRÈS LA LEVÉE DE L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE, IL NOUS INCOMBE DE VOIR
COMMENT SE COMPORTE L’INDUSTRIE ET D’IDENTIFIER LES ENJEUX QUI L’AFFECTERONT À COURT ET À MOYEN TERME.
État Des Lieux
Les données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) sur les résidences privées pour aînés font comprendre que l’ensemble du parc locatif, mesuré en nombre d’unités d’hébergement (chambres et logements), aurait cru d’environ 1,8 % comptés entre le troisième trimestre de 2020 et le premier trimestre de 2023, soit une période de près de trois ans. Sans surprise, le nombre d’établissements inscrits au registre gouvernemental aurait chuté de près de 13 %, passant de 1 710 à l’automne de 2020 à 1 490 au printemps de 2023. Si le contingent d’établissements diminue, l’offre de logement se concentre au sein d’un plus petit nombre d’exploitants. Parallèlement, la construction de nouvelles résidences a diminué pendant cette période, notamment à cause de la hausse des coûts de construction et des taux d’intérêt.

La première moitié de 2021 a marqué la fin de l’accroissement de la population hébergée dans ce type d’établissement observée jusqu’à la fin des années 2010. Depuis son pic de 2021, celle-ci semble se maintenir au plancher atteint à l’été de 2022. Alors que les RPA du Québec comptaient près de 131 700 résidents à l’automne 2020, leur nombre à la fin du mois de mars 2023 était pratiquement le même.

— Nombre d’unités — Nombre de résidences
— Nombre de résidents — Nombre d’unités
Comme la population d’aînés augmente, ce nombre conduit nécessairement à une diminution du taux d’attraction (ou de participation) des aînés à cette forme d’habitation, comme l’illustre la figure 2. Alors qu’environ 18,0 % des aînés de 65 ans et plus dans la deuxième moitié de 2020 logeaient en RPA, cette proportion avait diminué à 16,1 % au printemps de 2023. Ces quelques observations font comprendre que malgré les perturbations importantes qu’a connues l’industrie depuis trois ans, le parc de logement collectif pour personnes aînées se maintient et héberge une part toujours importante des aînés québécois.

Comme la SCHL a cessé en 2022 de suivre l’inoccupation des RPA, l’unique mesure de fréquentation des résidences du Québec est désormais l’indice de capacité d’accueil des résidences qui peut être dérivée des données du MSSS. Le nombre de résidents divisé par le nombre de places déclarées permet de juger indirectement de la performance d’un établissement ou, en cumulant ces données de plusieurs résidences, de la demande pour de l’habitation collective sur un territoire donné. Mais ces mesures sont relatives et souvent imprécises.
Notre connaissance de l’inoccupation des RPA du Québec est donc anecdotique. Alors que des établissements connaissent des niveaux d’occupation élevés, plusieurs subissent une fréquentation nettement plus faible que celle qu’elles connaissaient avant la crise sanitaire. La concurrence locale, la clientèle disponible, la qualité des lieux et l’étendue des services ne sont que des exemples parmi d’autres facteurs qui conduisent à ces résultats contrastés.
UN MODÈLE D’AFFAIRES MIS À L’ÉPREUVE
Une étude préparée en 2021 par le Pôle Santé HEC Montréal pour le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec1 relevait que les services à l’autonomie des personnes âgées2 comptaient pour 16 % de toutes les dépenses du système de santé. Citant d’autres travaux, les chercheurs du Pôle Santé avançaient que le nombre d’aînés recevant des services avancés de soutien allait presque tripler entre 2020 et 20503 . Ces estimations servent à illustrer l’ampleur des pressions qui se manifestent sur toutes les formes d’hébergement et de services pour aînés. Jadis construites pour des aînés autonomes et semi-autonomes, les RPA d’aujourd’hui doivent fournir un niveau de services toujours plus élevé.
Si certains exploitants souhaitent toujours accueillir des aînés autonomes, plusieurs concèdent que ce modèle d’affaires a ses limites. À l’heure actuelle, plusieurs RPA subissent un processus plus ou moins voulu de transformation pour desservir une clientèle en perte d’autonomie. Nous disons « plus ou moins voulu », car dans bien des cas cette évolution est provoquée par la demande faite auprès des RPA par les autorités sanitaires d’héberger des aînés à plus faible revenu. La multiplication des ententes de ressource intermédiaire et la prolifération des achats de services auprès des RPA témoignent de la relation de plus en plus forte entre les résidences privées et les pouvoirs publics.
Les résidences conçues et destinées à des aînés pleinement autonomes pourront-elles regagner la faveur du public ? Nous estimons que le retour vers ce modèle d’affaires qui était dominant dans la dernière partie des années 2010 est difficilement envisageable à court ou moyen terme. Les signes qui courent avec l’accélération du vieillissement tendent à favoriser dans plusieurs circonstances un modèle hybride d’établissement où les résidents pourront demeurer plus longtemps que ce qui était envisagé à l’origine.
Il dépasse la portée de cet article de juger si les ressources déployées par l’État permettent de satisfaire tous les besoins des aînés. Notre expérience au cas par cas fait néanmoins comprendre que les établissements qui participent à des contrats publics obtiennent la rémunération nécessaire. Mais alors se pose le défi de performance, dont le plus grand enjeu se situe dans le recrutement et la rétention de la main-d’œuvre. Les événements de la pandémie ont mis en lumière la nécessité d’améliorer les conditions d’emploi des milliers d’employés de cette industrie, condition essentielle à la pérennité de tous les établissements d’hébergement des aînés, dont les RPA. Comme la capacité de payer des aînés québécois est limitée, les coûts d’exploitation toujours plus élevés des résidences privées conduiront plusieurs exploitants à se tourner vers des contrats publics pour assurer leur avenir.
Sponem, S., Lambert, C., Allain, É., Fortin, A-H., Pellegrino, C., Fayolle, V. (2001). Le coût des services d’hébergement des personnes âgées au Québec. Rapport de recherche : Pôle Santé HEC Montréal. Récupéré sur : https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4435062
2. Le programme-service de soutien à l’autonomie des personnes âgées (SAPA) mis en place par le ministère de la Santé et des services sociaux vise à procurer les services aux personnes aînées en perte d’autonomie et est administré localement par les centres intégrés de services de santé et de services sociaux (CISSS).
3. L’étude du Pôle Santé HEC Montréal cite les travaux publiés en 2021 dans Le financement du soutien à l’autonomie des personnes âgées à la croisée des chemins par Clavet, Décarie, Hébert, Michaud et Navaux dans le cadre de leurs activités de la Chaire de recherche sur les enjeux économiques intergénérationnels.