"Azul" d'Antonio Da Silva - Extrait

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te o ndi e o pdo an sci h l va aalni c eville

Entrer dans les tableaux ? Ne plus faire qu’un avec eux ? Avoir la possibilité d’y évoluer et d’y rencontrer d’autres personnes ? Peut-être même y tomber amoureux… Miguel a ce pouvoir. À partir d’une simple image, d’une reproduction dans un livre, il peut s’évader dans les plus grands chefs-d’œuvre. Et ce qu’il adore, c’est y apporter de légères modifications. Mais ce jeu n’est pas sans danger, surtout lorsque l’on attire l’attention de la Protection des Œuvres dont les méthodes sont expéditives. De Renoir en Hokusai, de Vélasquez en Brueghel, le jeu va se transformer en chasse à l’homme...

épik

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les voyages dans l’imaginaire

14 €

isbn : 978 2 8126 2224 3

IX-21

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Du même auteur au Rouergue ABC… - 2020, roman doado. Sortie 32.b - 2019, roman épik.

Si vous voulez suivre Miguel dans les toiles, rendez-vous sur Instagram : @roman_azul_art

Illustration de couverture : © Patrick Connan © Éditions du Rouergue, 2021 www.lerouergue.com

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Antonio Da Silva

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À mes Lusitaniens, d’ici et d’ailleurs.

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chapitre 1

Miguel ferme les yeux si fort qu’aucune lumière ne survit derrière ses paupières. Il court en suivant les constellations nées dans ses rétines. Elles l’emportent dans des territoires si lointains qu’aucune carte ne pourrait en indiquer la position. Lorsque l’air change de texture, s’épaissit, il pousse avec l’énergie inverse d’un nouveau-né. Il veut entrer. Ses ongles grattent le tissu de lin tissé comme si c’était des croûtes de cicatrices. Quand enfin il passe de l’autre côté, ses habits sont imbibés de sueur. Désir et souffrance. C’est le cocktail qu’il faut à Miguel pour s’introduire. Cette fois, pourtant, c’est le désir et l’espoir qui le poussent à entrer. Peut-être que dans cette toile il retrouvera enfin April ?

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chapitre 2

Miguel fronce le nez, incommodé. Chaque tableau a son odeur. Si parfois la toile sent les pigments naturels, la craie ou l’huile de lin, d’autres puent le chimique. Il se racle la gorge, Van Gogh utilisait souvent du minium, un oxyde de plomb dégueulasse à respirer. Il ouvre les yeux. Même si ça fait longtemps qu’il a appris cette simple vérité : les tableaux ne sont immobiles que pour l’œil qui regarde, pas pour celui qui voyage. Les mouvements autour de lui l’étonnent toujours. Il y a une telle overdose de vie. Il fait nuit. Mais sans aucune touche de noir. Accrochées au ciel, des étoiles tamisent l’obscurité. Il détaille ses vêtements avec curiosité. Ce matin, en se levant, il a enfilé un tee-shirt blanc et son vieux jean. Le tableau l’a rhabillé avec un pantalon de toile grossière qui gratte ses jambes et une blouse bleue tachée

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de suie. À ses pieds, les Converse usées se sont muées en grosses chaussures de cuir. Son sac à dos en polyester est devenu une besace en toile de jute. Et cette dernière a pris un tel poids qu’elle lui scie les épaules. Il sent des choses dures lui rentrer dans la colonne vertébrale. Bonjour, le look de ramoneur. À chacune de ses incursions dans les tableaux, ses vêtements s’adaptent à l’époque et au sujet de la toile. Il se regarde dans la vitrine du café. Ses cheveux sont toujours bruns, sa peau hâlée par le soleil de Lisbonne. Son corps fluet ne change jamais. Il est soulagé de ne pas devenir un inconnu à chaque fois. Même s’il aimerait être un peu plus grand, 1,65 mètre, c’est bof. Miguel s’estime petit pour un garçon de seize ans. À la pensão, les filles font la même taille que lui, ça le complexe. Sauf April, ce n’est pas grave qu’elle soit plus grande. Il se trouve dans Terrasse de café sur la place du Forum, une peinture de la ville d’Arles en septembre 1888. C’est le titre qui était affiché sous la photo du magazine qu’il lisait. Papier glacé, ou papier journal, les reproductions sont comme des rails de chemin de fer, des raccourcis qui mènent tous vers la toile originelle. La seule dans laquelle Miguel peut entrer. Aujourd’hui, il est pressé, mais il prend quand même le temps d’écouter le concerto du garçon de café qui crie joyeusement ses commandes. Aujourd’hui, il va réparer Vincent Van Gogh. Depuis la terrasse, un buveur aviné l’interpelle : – Je t’offre un verre d’absinthe, petit !

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Surpris qu’on lui adresse la parole, Miguel essaie de prendre l’accent français sans bafouiller : – Non merci, m’sieur. Il détale aussi vite qu’il peut, se tord les chevilles sur les pavés. Il râle après ses chaussures ridicules, moins pratiques que des baskets. Son sac trop lourd. Un garçon habillé en jaune le regarde, étonné par sa grossièreté. Le cœur de Miguel bat la chamade. Il déteste que les habitants du cadre le remarquent. Ne jamais oublier qu’ici, il n’est qu’un étranger. Un hors-cadre. Ici, c’est un monde qui peut vite devenir dangereux si les règles ne sont pas respectées. D’un œil rapide, il observe les femmes attablées à la terrasse du café, à la recherche d’une ressemblance avec April. C’est difficile de reconnaître quelqu’un quand son style vestimentaire change radicalement à chaque rendez-vous. Mais l’âge ne ment pas, sous la lumière de la lampe à gaz, ce sont des femmes épanouies qu’il distingue. Un instant, il a un doute. Hésitant, il s’approche de l’une d’elles, arrêtée au milieu de la rue, qui discute avec un homme vêtu d’un costume sombre. Mais sa silhouette est trop lourde pour être celle d’une nymphe. April est aussi jeune que lui. Son corps androgyne est fin comme un fil. C’est un feu follet qui ignore l’immobilité. April est magnifique. Miguel est déçu, s’il a choisi cette scène, c’est notamment à cause des présences féminines. April ne se montre pas s’il n’y a que des hommes.

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