"Sauvages des villes" de Læticia Roux - Extrait

Page 1


sauvages des villes

Connaître les plantes qui poussent en bas de chez vous

À Maël et Noé, mes mauvaises graines préférées.

Création graphique : Atelier Zemonsta – Audrey Abbal-Duteille © Éditions du Rouergue, 2025 www.lerouergue.com

sauvages des villes

Connaître les plantes qui poussent en bas de chez vous

J’aime l’araignée et j’aime l’ortie,

Parce qu’on les hait ; Et que rien n’exauce et que tout châtie

Leur morne souhait ;

Parce qu’elles sont maudites, chétives, Noirs êtres rampants ;

Parce qu’elles sont les tristes captives De leur guet-apens ;

Parce qu’elles sont prises dans leur œuvre ; Ô sort ! fatals nœuds !

Parce que l’ortie est une couleuvre, L’araignée un gueux ;

Parce qu’elles ont l’ombre des abîmes, Parce qu’on les fuit,

Parce qu’elles sont toutes deux victimes De la sombre nuit.

Passants, faites grâce à la plante obscure, Au pauvre animal.

Plaignez la laideur, plaignez la piqûre, Oh ! plaignez le mal !

Il n’est rien qui n’ait sa mélancolie ; Tout veut un baiser.

Dans leur fauve horreur, pour peu qu’on oublie De les écraser,

Pour peu qu’on leur jette un œil moins superbe, Tout bas, loin du jour, La vilaine bête et la mauvaise herbe

Murmurent : Amour !

Victor Hugo, Les Contemplations

sommaire

Chapitre 1 : COMPRENDRE

Contours et enjeux de la présence des plantes en ville

Quels sont les bienfaits des plantes en ville ?

Comment les plantes parviennent-elles à vivre en ville ?

Quelles initiatives permettent d’encourager la présence des plantes en ville ?

Chapitre 2 : SE PRÉPARER

Bases botaniques et bonnes pratiques pour découvrir la nature en ville

Une nouvelle façon de regarder les plantes

Quelques notions de botanique

Et si on se lançait dans la cueillette ?

Chapitre 3 : SE LANCER

Étapes, outils, matériel…

tout ce qu’il faut pour démarrer !

Où observer des plantes en ville ?

Les premières étapes pour se lancer

Petit matériel du parfait botaniste urbain

Chapitre 4 : RECONNAÎTRE

Les plantes urbaines les plus communes

Pour débuter : les sans pépins

Pour progresser : les mi-figue mi-raisin

Pour se perfectionner : les épineuses

Chapitre 5 : S’INFORMER

Livres, sites Internet et autres ressources pour aller plus loin

introduction

Je me souviens de la première fois que j’ai participé à une balade botanique. Nous avions rendez-vous avec le guide devant une église de ma ville. Une fois le groupe au complet, nous sommes entrés dans le vif du sujet. Le guide nous a montré une première plante, là, à nos pieds. J’étais bien surprise. Pardon ? C’est de cette minuscule touffe d’herbes verdâtre, sans fleurs apparentes, coincée entre deux pavés, que nous allions parler ? Je m’attendais à autre chose ! Je pensais apprendre à reconnaître les belles fleurs colorées qui ornaient les plates-bandes, les plantes grimpantes qui partaient à l’assaut des porches, les arbres majestueux qui donnaient de l’ombre sur les places ! Au lieu de ça, je passai les deux heures qui suivirent à entendre parler de chiendent, d’orge des rats et de laiteron, avec le même engouement que si on avait découvert le secret de la tulipe noire.

Cette première rencontre avec la flore urbaine a été une révélation. Dès le lendemain, je portai sur les plantes qui m’entouraient un autre regard. Je commençai à remarquer celles qui poussaient devant chez moi. Je m’offusquai lorsqu’un de mes voisins arracha une picride en jurant contre cette satanée « mauvaise herbe ». Par mes lectures, je pris aussi conscience de l’importance de cette présence végétale dans nos villes : pour notre environnement, pour notre santé, pour la biodiversité en général. Avec ce livre, mon souhait est de pouvoir vous faire vivre la même expérience que la mienne, de manière un peu plus organisée et structurée toutefois. Identification des plantes et compréhension des enjeux liés à leur présence – a fortiori en ville – me semblent indissociables. C’est pourquoi, avant même de passer aux fiches descriptives des plantes, une grande partie de cet ouvrage porte sur les contours de leur existence en milieu urbain, sur leurs incroyables stratégies de survie et de développement et sur les solutions qu’elles apportent à nos problèmes environnementaux ou de santé publique. De même qu’il serait dommage d’avoir un savoir encyclopédique en phytobiologie sans être capable de nommer une pâquerette, il me semble bien inutile de savoir reconnaître toutes les plantes si on ne saisit pas l’importance capitale de la biodiversité végétale et la bonne attitude à adopter pour la préserver

C’est en passant ainsi sans cesse de la réflexion à la technique, de la théorie à l’expérience et de la lecture au terrain, que notre regard sur la flore sauvage évoluera petit à petit, pour enfin la considérer et la protéger à sa juste valeur.

Alors bonne lecture, bonnes observations et bonnes promenades !

chapitre 1 comprendre

Contours et enjeux de la présence des plantes en ville

Quels sont les bienfaits des plantes en ville ?

Selon une étude de l’ONU, 70 % de la population mondiale vivra en zone urbaine ou périurbaine d’ici 20501. En France, la part de la population urbaine dans la population totale n’a cessé de croître chaque année, passant de 77 % en 2005 à 82 % en 20222. En parallèle, l’artificialisation des sols a également progressé, passant de 4,4 millions d’hectares à 4,9 millions d’hectares entre 2010 et 20203

Arrêtons là les statistiques ; vous l’avez compris, les villes gagnent du terrain à vitesse grand V sur notre territoire. Dans ce contexte, lorsqu’on s’intéresse au monde végétal, il serait dommage et même inconscient de ne considérer que la flore des espaces non urbanisés. Si on associe sans doute plus volontiers les mots « plantes » et « nature » avec « campagnes » ou « forêts » qu’avec « ville », il est pourtant temps de voir les choses différemment. Non seulement les plantes sont déjà bel et bien présentes en ville, dans une quantité et une diversité assez surprenantes, mais elles y ont aussi un rôle prépondérant à jouer.

La flore urbaine est en effet beaucoup plus riche qu’il n’y paraît. Le nombre d’espèces spontanées y dépasse celui des campagnes environnantes. Je ne voudrais pas vous démoraliser dès le début de ce livre, mais si les villes présentent de nombreux obstacles au développement des plantes sauvages (nous les détaillerons plus bas), nos campagnes sont également loin d’être de bonnes élèves en termes de biodiversité végétale, du fait notamment de l’agriculture intensive qui s’y pratique. En ville, la diversité des terrains (matériaux, types de construction, surfaces…), associée à la mobilité humaine qui facilite la diffusion des graines (via les semelles de chaussures ou les pneus des voitures), permet l’existence et le développement de nombreuses espèces végétales différentes. On peut ainsi trouver plus de 500 espèces différentes dans une ville, soit parfois plus du double de ce qui est présent dans les alentours non urbanisés !

Au-delà de ce foisonnement, il est aujourd’hui reconnu que la présence des plantes au cœur de nos espaces urbains est non seulement bénéfique mais même indispensable à leurs habitants… c’est-àdire vous, moi, nous tous !

1 World Urbanization Prospects, du Département des affaires économiques et sociales de l’ONU (révision du 16 mai 2018)

2 Voir : https://fr.statista.com/statistiques/473802/part-population-urbaine-france/

3 Voir : https://fr.statista.com/statistiques/626324/superficie-territoires-artificialises-hectares-par-region-france/

Plantes sauvages ou cultivées ?

Une plante sauvage est une plante qui pousse naturellement, sans avoir été plantée par l’homme et sans être entretenue, contrairement à une plante cultivée. Dans cet ouvrage, nous ne parlerons quasi exclusivement que de plantes dites « sauvages », à la fois parce que ce sont les plus intéressantes d’un point de vue biodiversité et parce que nous voulons surtout vous inviter à ouvrir l’œil sur toutes celles que l’on méprise habituellement (il est plus facile de s’émerveiller devant les tulipes du jardin public que devant une petite touffe de plantain à moitié piétinée).

À noter : si tout type de couvert végétal, sauvage ou cultivé, peut apporter des réponses aux problématiques de la ville (vous le verrez dans les lignes qui suivent), les plantes sauvages ont ceci en plus qu’elles ne nécessitent pas d’entretien et donc, notamment, pas d’arrosage. Lors des récents épisodes de canicule, certaines municipalités, soumises à une interdiction d’arroser, ont décidé de supprimer une partie de leurs dispositifs végétalisés (jardinières fleuries, etc.). Une « solution » à double tranchant, car cela limite aussi la biodiversité végétale présente en ville… Mieux vaut probablement opter dès le début pour des variétés vivaces, plus résistantes, bien pailler et, bien sûr, encourager et protéger la flore sauvage qui, elle, ne demande rien à personne !

Elles sont indispensables à notre santé physique et mentale

Lorsqu’on parle des bienfaits de la nature en ville, il est facile de convenir que la présence de plantes et d’arbres améliore notre bien-être général. Et les DRH de grandes entreprises de bourrer les locaux de plantes vertes pour tenter de créer une bonne ambiance au bureau (spoiler : ce ne sont pas trois pots de Monstera par poste qui compenseront une mauvaise rémunération ou des collègues désagréables…). En réalité, il faut creuser un peu plus loin pour comprendre que la présence de végétaux dans nos vies quotidiennes et, a fortiori, dans nos vies urbaines, n’est pas un petit plaisir que l’on s’octroie mais répond à un besoin physiologique avéré de longue date.

L’étude du chercheur Roger Ulrich intitulée « La vue à travers la fenêtre peut influencer le rétablissement suite à une opération chirurgicale », parue dans la revue Science en 1984, a marqué un véritable tournant dans la compréhension des bienfaits de la nature sur la santé mentale et, par conséquent, physique, des citadins (en l’occurrence, dans son étude, des patients d’un hôpital). Ulrich s’inscrivait lui-même dans le prolongement de l’hypothèse biophilique d’E. O. Wilson, lequel a théorisé le fait que nous sommes naturellement et génétiquement portés à aimer toutes les formes de vie autour de nous (ce que l’on appelle la « biophilie »). L’origine de cette attirance ne résiderait pas dans un amour inné de l’être humain pour son prochain (ça se saurait !) mais, de manière plus terre à terre, dans les mécanismes évolutifs de l’espèce. En tant qu’humains modernes, nous nous sommes développés au contact de la nature, et cette cohabitation, génération après génération, a forgé nos gènes et nos systèmes neuronaux. Si l’on recherche aujourd’hui encore la connexion avec les différentes formes de vie (et parmi elles, les végétaux), c’est tout simplement dans le but d’assurer la meilleure adaptation possible à notre environnement.

Cette hypothèse se trouve aujourd’hui appuyée par une série d’études en neurosciences qui démontrent les effets concrets de la présence de nature sur notre santé et donc... sur la pérennisation de l’espèce : diminution de la fréquence cardiaque, baisse de la tension artérielle, baisse des niveaux de stress et d’anxiété, réduction de la fatigue, augmentation de la capacité d’attention, amélioration du sommeil… Chaque effet dispose de son étude et de chiffres probants qui attestent l’efficacité d’un environnement vert aux niveaux médical et psychologique. Finalement, ce serait parce qu’elles nous maintiennent en forme et, ce faisant, nous permettent de continuer à nous reproduire que nous apprécions tellement la proximité des plantes dans nos vies quotidiennes !

Les effets positifs des plantes sur notre santé sont évidemment également observables chez les enfants : grandir en ayant un accès quotidien à un espace vert est indispensable pour le développement de l’imagination, de la concentration, du sens de la cohésion et de la capacité à résoudre des problèmes.

Dans l’environnement par défaut minéral et dénué de vie de nos villes, la présence de plantes n’est donc pas simplement intéressante pour notre bien-être : elle est avant tout et intrinsèquement nécessaire à notre vie en tant qu’humains.

Elles rafraîchissent l’air des villes

Il fait de plus en plus chaud sur la planète, mais il fait encore plus chaud que « plus chaud » en ville ! Pour le dire en termes plus conventionnels, le réchauffement climatique est ressenti plus fortement en ville que dans les campagnes : en moyenne, les températures sont en ville plus élevées de 1 à 2 °C en hiver et de 0,5 à 1,5 °C en été. Cette différence peut atteindre jusqu’à 10 °C pour les grandes agglomérations lors des périodes de canicule1. On parle d’« îlots de chaleur » (et, non, rien à voir malheureusement avec une petite île tropicale où siroter des cocktails au calme).

Or, les plantes sont capables de rafraîchir l’environnement via plusieurs phénomènes, tout d’abord, par l’ombre qu’elles procurent (surtout vrai pour les arbres, il est moins facile de s’allonger sous une pâquerette…), mais aussi par leur « évapotranspiration ». Lorsque les températures montent, les plantes diffusent de l’eau sous forme gazeuse dans l’atmosphère environnante par l’intermédiaire de leurs feuilles : c’est le même principe que pour notre propre transpiration ! L’augmentation du taux d’humidité permise par ce phénomène contribue ainsi à rafraîchir l’air de la ville, comme un super climatiseur.

Une étude du ISGlobal (Barcelona Institute for Global Health)2 conduite dans 93 villes européennes a prouvé que nous pourrions diminuer la température de 1,3 °C et réduire d’un tiers la mortalité liée aux îlots de chaleur, si la couverture arborée des villes atteignait 30 % de l’espace urbain. Un effet « kiss cool » particulièrement utile face à la multiplication des canicules !

Elles participent

à l’absorption des gaz à effet de serre

Si vos cours de bio du collège remontent à un petit moment, voici un rapide rappel du processus de photosynthèse : en journée, les plantes absorbent du CO2 via leurs feuilles, ainsi que de l’eau et des sels minéraux via leurs racines, et rejettent de l’oxygène (la nuit, cela s’inverse, mais le CO2 rejeté dans l’atmosphère est moindre par rapport à celui absorbé). C’est grâce à ce processus qu’elles vont donc pouvoir nous rendre un service considérable : celui de séquestrer une partie de nos émissions de CO2. L’air que l’on respire étant de plus en plus chargé en CO2, notamment en ville, causant de nombreux problèmes de santé publique (maladies respiratoires et cardiovasculaires), nos amies les plantes nous offrent là un sacré coup de main ! Et c’est d’autant plus intéressant que ce mécanisme constitue aujourd’hui notre principal moyen d’action pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre… En résumé : on n’a pour l’instant pas trouvé mieux que planter des végétaux pour absorber tout le carbone que l’on produit !

Ceci dit, il est évidemment primordial de travailler également à réduire ces émissions, et pas seulement à limiter leur impact. On pourra planter tous les arbres qu’on veut, si on continue à prendre des jets privés pour se rendre à une réunion, à climatiser des pistes de ski en plein désert et à manger de la viande trois fois par jour, ce sera peine perdue…

1 https://www.umr-cnrm.fr/spip.php?rubrique134 et https://meteofrance.com/actualites-et-dossiers/magazine/ pourquoi-fait-il-plus-chaud-en-ville-qua-la-campagne-la-nuit

2 https://www.isglobal.org/en/-/4-of-summer-mortality-is-attributable-to-urban-heat-islands

Elles contribuent à la dépollution de l’eau et du sol

Vous commencez à le comprendre : les plantes ont de nombreux super-pouvoirs ! La « phytoremédiation » est l’un d’entre eux : cela correspond à la capacité de certaines plantes à dépolluer des sols ou des eaux chargés en éléments toxiques. Elles peuvent parvenir, selon les espèces et selon les types de pollution, soit à empêcher les polluants de se propager davantage, soit à les stocker, soit carrément à les dégrader.

Niveau « dépolluantes débutantes » : la phytostabilisation, ou comment freiner la dispersion des polluants

De manière générale, la simple présence d’un couvert végétal empêche la diffusion des poussières contenant des substances nocives et réduit le lessivage du sol par les eaux de ruissellement, prévenant ainsi la pollution des nappes phréatiques.

H Exemple de plante utilisée : des graminées telles que la fétuque rouge

Niveau « petites mais costaudes » : la phytoextraction, ou comment extraire et stocker les polluants

Certaines plantes sont capables d’absorber des métaux lourds (et autres polluants) par leurs racines et de les stocker dans leur feuillage : ce sont les plantes dites « hyperaccumulatrices ».

H Exemple de plante utilisée : la patience sauvage, qui fixe le fer, pour dépolluer les chantiers

Niveau « pros du ménage » : la phytovolatilisation, ou comment absorber et évacuer les polluants

Certaines plantes peuvent absorber des contaminants (notamment le mercure et le sélénium) à travers leurs racines et les transformer en composés volatils qui sont ensuite relâchés dans l’atmosphère (généralement dégradés ensuite par les UV).

H Exemple de plante utilisée : la moutarde, pour volatiliser le sélénium1

Niveau « plantes super-héros » : la phytodégradation, ou comment dégrader les polluants

D’autres plantes parviennent carrément à dégrader les polluants : non seulement elles les captent, mais elles les détruisent grâce aux bactéries qui vivent en symbiose avec les racines. Le système sol-bactérie-racine fait alors office de petite centrale de traitement des déchets !

H Exemple de plante utilisée : les peupliers, qui dégradent les trichloréthylènes (TCE)

Tous ces mécanismes sont aussi bénéfiques pour l’eau : si l’air et le sol sont moins pollués, l’eau (en contact avec l’air et ruisselant sur le sol) sera aussi, forcément, moins polluée. Un vrai cercle vertueux ! Par ailleurs, il existe aussi des plantes capables de dépolluer et filtrer spécifiquement l’eau, selon les mêmes mécanismes que ceux décrits pour le sol.

1 https://academic.oup.com/plphys/article/122/4/1281/6098762

fétuque rouge moutarde

patience sauvage peuplier

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.