
De la même autrice au Rouergue
Le Sang d’encre - volume I – roman épik, 2024
Illustration de couverture : © Patrick Connan
Carte page 6 : © Germain Barthélémy
© Éditions du Rouergue, 2025 www.lerouergue.com
De la même autrice au Rouergue
Le Sang d’encre - volume I – roman épik, 2024
Illustration de couverture : © Patrick Connan
Carte page 6 : © Germain Barthélémy
© Éditions du Rouergue, 2025 www.lerouergue.com
Pour Suzon, Tristan et Timothée.
Capitale du royaume des Terres-Mêlées
• Olga : jeune guérisseuse, née de parents inconnus
• La Banshee : ancienne guérisseuse, elle a élevé et formé Olga
• Follet : conteur et musicien, vit dans les faubourgs
• Lotte : employée aux Bains du château des Chimères
• Osvald : majordome et homme à tout faire du château des Chimères
• Saul Tyr : roi des Terres-Mêlées, fils de Katell Tyr la Sanguinaire
• Evan Tyr : prince héritier de la couronne
• Devlin Tyr : prince cadet, fils de Saul et Beth Tyr
• Katell Tyr, née Bekri : mère du roi Saul, sœur jumelle de Gunmar Bekri, anciennement chef du clan Bekri
• Sénéchal : ami et conseiller de Saul Tyr
• Annwn : concubine du Sénéchal, vit au château des Chimères
• Maya : fille d’Annwn
• Clarysse : épouse du Sénéchal, devenue folle
• Aloysius : archiviste du royaume, vit au château des Chimères
• Ministre aux Clefs : chargée de l’administration du royaume
• Ministre à la Cité : administre Kaalun avec les émissaires aux quartiers de la ville
• Tahvo : Première lame du roi, chef des armées de Kaalun
Ville principale du sud du royaume, capitale économique
• Marcus Bekri : chef du clan Bekri, petit-neveu de Katell
• Petra Tyr : gouverneure de Temma et commandante des armées des Terres-Mêlées, sœur du roi Saul
• Kaplan : premier lieutenant de Petra Tyr
• Sima : espionne, première Ouïe de Petra Tyr
• Ombrine : bras droit de Marcus Bekri
Ville principale de la région montagneuse des Serpantes
• Timoteus Lettfeti : légat des Serpantes
• Ilse Lettfeti : fille de Timoteus et Judith Lettfeti, héritière de Timoteus
• Judith Lettfeti : épouse du légat Timoteus et mère d’Ilse
• Ruth : vieille gouvernante d’Ilse
• Le Rocheu : combattant affilié à la famille Lettfeti
résumé du volume I
Après avoir été accusée à tort de l’assassinat de Timoteus Lettfeti, Olga recouvre sa liberté et reprend ses activités de guérisseuse au dispensaire. Essayant de lutter contre le sang d’encre, elle ne trouve aucun remède et ne peut que soulager les malades, voués à une mort certaine. Evan Tyr, le prince héritier, est atteint par ce mal mystérieux et son état inquiétant laisse incertain l’avenir de la couronne et attise les convoitises.
Follet, en plus de son activité aux côtés d’Olga, mène des recherches sur les vieilles légendes en fréquentant la tour des Écrits. Il y dérobe des textes anciens qui laissent entendre que les fatas existent bel et bien, puisque la défunte reine Beth était une beste-fay, un corbeau, création des fatas, fées des temps antiques. Malgré ces découvertes, l’origine du sang d’encre reste un mystère entier, et si le château compte son lot de personnages troubles – la roide intendante des Chimères, Aloysius l’archiviste, et Annwn, courtisane et intrigante – rien ne les lie à l’épidémie jusqu’à présent.
Au sud, à Temma, la gouverneure Petra Tyr est loin de ces préoccupations. Elle s’inquiète des manigances de moins en moins discrètes du jeune Marcus Bekri, à la tête d’une des plus puissantes armées du royaume. Prétextant une mission de protection, elle trouve le moyen de l’éloigner du royaume. Mais Marcus disparaît, faisant croire à sa mort, tandis que son armée encercle le palais de Petra. Pendant ce temps, Marcus se rend au nord, pour sceller une alliance avec Judith Lettfeti qui lui promet sa fille Ilse, faisant ainsi de lui un potentiel successeur au trône.
Mais Ilse a fait le choix de céder la couronne à Devlin Tyr, qui organise un banquet en son honneur, à Kaalun. À cette occasion, les événements se précipitent : Evan, l’héritier du roi, annonce publiquement son renoncement à la couronne, peu de temps avant que n’apparaisse une inconnue, Maya, présentée par Annwn comme sa fille, qui va envoûter Devlin. Le roi Saul Tyr succombe alors à une crise cardiaque. Devlin, indifférent à ce qui l’entoure, se hisse sur le trône sans que quiconque n’émette la moindre objection.
Olga – Cité de Kaalun
La place des Miseyres était bondée. On avait escaladé les arbres, les murets, la margelle du puits et même les rues alentour se remplissaient. Mais cela n’empêcha pas le Crieur d’attendre son heure habituelle pour se montrer.
Certes, la mort du roi était déjà connue de la ville entière, mais on voulait pouvoir démêler ici le vrai du faux. Les rumeurs sur l’attitude du prince Devlin étaient si saugrenues, si grossières, qu’on brûlait de connaître la version du Crieur. Alors quand celui-ci, debout sur un seau renversé, se mit à déclamer son poème quotidien, la foule dut prendre son mal en patience.
Un tilleul s’agitait tout particulièrement.
« Cet homme veut notre mort, ma parole ! » fulminait Follet, perché sur une branche entre Lotte et Olga. Il va sans dire qu’Osvald était resté sur la terre ferme.
« Arrête de gigoter comme ça, tu vas nous faire tomber ! siffla Olga.
– À la bonne heure ! Si je m’assomme, au moins, je n’aurai pas à subir cette bouillie de mots ! »
Lotte ne soufflait mot. La scène de la veille, le prince dansant à deux pas du cadavre de son père, l’avait profondément bouleversée. Même Osvald avait gardé la mine sévère en relatant les événements du fameux banquet. Il n’y avait que Follet pour bondir comme un agneau devant la gravité des faits.
« Raaah, mais ce poème ! Ça me déchire les tympans et ça me troue la cervelle, ce n’est pas un Crieur, c’est un bourreau ! Et puis comment peut-il nous faire ainsi languir, la ville entière est là, et ça n’est pas pour ces vers infâmes !
– Calme-toi, Follet, tu vas encore saigner du nez, observa Osvald.
– Enfin, Follet, nous sommes parmi les mieux informés, râla Olga. Lotte et Osvald ont tout vu, nous ont tout dit ! Qu’espères-tu savoir de plus ?
– Eh bien, d’autres choses, des choses qu’on ne sait pas ! Comment veux-tu que je te dise des choses que je ne sais pas ?! »
Follet semblait tellement outré par le peu de jugeote d’Olga qu’elle n’insista pas.
« Chut, le poème est fini », chuchota Lotte. Elle semblait avoir grand besoin qu’on lui explique ce qu’elle avait vu de ses propres yeux.
Le Crieur balaya l’assistance d’un regard impassible.
« Habitants de Kaalun, le roi est mort ! Que la lune accompagne ses proches ! »
Silence agacé. Ça, on le savait déjà.
« Saul Tyr, fils de Katell Tyr née Bekri et d’Edelgaar Tyr, s’est éteint hier soir passée l’heure de la Galante, à l’occasion du banquet organisé en l’honneur de son ami, feu le légat des Cimes, Timoteus Lettfeti. »
Piétinements. Le tilleul perdit une brassée de feuilles sous l’impatience de Follet.
« Peu avant la mort de son père, le prince Evan, souffrant du sang d’encre, a annoncé publiquement son renoncement au trône, laissant la succession à son jeune frère Devlin Tyr. Celui-ci a pris la couronne à la mort de son père. »
Le Crieur se tut et Follet explosa.
« ET C’EST TOUT ???! C’est tout ce qu’il a à nous apprendre, le poète à la noix ?! »
Olga ne répondit pas. Qu’y avait-il de plus à dire ? Les rois meurent.
« Cependant… »
Lotte se redressa imperceptiblement, Follet s’immobilisa.
« Cependant la Loi antique veut que le pouvoir passe de la famille Tyr à la famille Lettfeti toutes les cinq générations de souverains. Saul Tyr fut ce cinquième, après Katell, Engwenad, Sibis et le grand Torween, dit le PiedBot, tous rois et reines de la dynastie Tyr. La Loi antique n’a jamais été abrogée dans les formes. Elle ne le fut qu’oralement, et très probablement sous la contrainte. Ainsi, selon les traditions ancestrales des Terres-Mêlées, le trône doit revenir à la dynastie Lettfeti. »
La foule avait cessé de respirer. Jamais le Crieur n’avait osé émettre une quelconque opinion. Jamais il ne s’était départi de son habit de neutralité, de son objectivité immuable. Il descendit pourtant tranquillement de son seau et quitta les lieux sans une parole de plus.
« Ça alors, murmura Follet. Je n’avais jamais imaginé que cet énergumène-là put… put penser.
– En même temps… ce qu’il énonce n’est pas une opinion, articula Olga. Je veux dire, je crois que ça n’est pas une opinion à ses yeux. Ce sont les faits.
– Ce sont les faits, répéta Lotte, dont le regard s’était durci. Ce sont les faits, et Devlin est un usurpateur. » Follet sursauta.
« Quelqu’un a vu Ilse ? »
Ilse – Cité de Kaalun
Il était impensable qu’elle eût dormi, et pourtant l’obscurité avait fait place au jour naissant. Le ciel penchait sur elle un jaune sale et narquois, indifférent aux événements. L’air était vif. Le monde continuait de tourner.
La veille, Ilse était tombée de fatigue et de peine, sur les remparts, avec sa cape de bal pour toute literie. Elle se redressa, et s’adossa à la pierre fraîche des remparts. À l’instant où elle ouvrit les yeux, l’espoir que tout cela ne soit qu’un cauchemar disparut.
Ses ongles avaient bleui. Le froid comprimait ses tempes. Elle se remémora tout ce qui avait suivi l’arrivée d’Annwn et de Maya avec une précision effarante.
Elle revoyait le regard de Devlin, vidé de substance, et la bouche immense de Saul tandis qu’il mourait, ce roi dit de pierre dont le corps s’effritait déjà. Devlin n’avait pas versé une larme. À peine avait-il regardé son père. Du trône qui le grandissait sans l’anoblir, il avait seulement clamé, d’une voix forte, que l’on continuât de manger et de boire. Et dans le silence de mort qui s’était ensuivi, il avait repris sa danse avec Maya, sans se préoccuper de
l’absence de musique, ni du corps du défunt, ni même des regards des convives muets d’horreur.
C’est Osvald qui avait réagi le premier, distribuant des ordres discrets pour que l’on prenne en charge le gisant, et donnant congé aux musiciens qui ne savaient que faire de leurs guinches. Des convives s’étaient retirés ; d’autres hésitaient, cherchant du regard à qui adresser leurs condoléances. Seule Annwn semblait jouir du spectacle, résolument décidée à dévorer toute nourriture qui se présentait à elle, tandis que les membres du consulte, atterrés, s’étaient quittés en promettant de se réunir le lendemain à la première heure. Le Sénéchal était alors venu tirer Ilse de sa torpeur, en la secouant doucement par l’épaule, sans un mot puisque les mots avaient perdu tout sens. Alors, prise du besoin impérieux de quitter le bien nommé château des Chimères et de n’y jamais reposer le pied, elle était partie.
Le reste de ses souvenirs était confus. La ville avait accueilli son errance. Ses pas l’avaient guidée au hasard, plongeant ses délicats souliers de bal dans la boue des ruelles tandis que sa robe balayait les pavés. Elle s’était soutenue aux murs, le souffle court, avait tâché de crier, puis abandonné. Finalement, les tempes battantes et la bouche sèche à force de chercher de l’air, c’est sur les remparts qu’elle avait trouvé refuge, et elle s’y était endormie brusquement, comme pour taire sa douleur.
À présent, sa respiration était fluide, mais son malheur restait intact. À quelques enjambées de là, une sentinelle la regardait avec curiosité. Elle frissonna, et remonta les remparts vers le nord. Le vaste paysage qui s’offrait à son regard lui suggérait de partir, sans lui
donner toutefois de destination. Elle s’attarda devant le Val perdu, au bout duquel elle retrouverait son pays. Lui fallait-il retourner aux Cimes, vers une mère qu’elle n’aimait pas ? Les temps devaient être austères : Judith n’aimait ni le peuple ni les réjouissances. Le froid rappela à Ilse que les Glaces devaient être pleinement installées. Le trajet jusqu’aux Cimes, seule, était dangereux, une tempête de neige n’étant jamais à exclure : le temps n’était pas venu de rentrer chez elle.
Mais Kaalun, ville maudite, Kaalun lui avait tout pris : son père, sa vieille gouvernante qui n’avait toujours pas donné signe de vie, son naissant amour. Et la couronne, réalisa-t-elle soudain avec la violence d’une gifle. La Loi antique la désignait reine. Elle ne pouvait l’ignorer, puisqu’elle avait cédé la couronne à Devlin, cet ingrat, ce fou. Elle avait offert sa couronne à un fou. Elle ne s’abaisserait pas à vouloir la reprendre.
Un cri fendit l’air. Le faucon se détachait parfaitement sur le ciel. Un faucon porteur de message pour Kaalun. Pour Saul , réalisa Ilse, pas pour Devlin . Elle connaissait l’art de la fauconnerie, que Fedor lui avait enseigné avec l’unique rapace apprivoisé du fort. Ilse enroula son avant-bras dans sa cape, le dressa devant elle, et poussa un cri avec tant d’autorité que l’oiseau se résigna à changer de trajectoire et à la rejoindre. Le poids du rapace la fit chanceler. La cape était trop fine, et elle sentit les serres blesser sa chair.
Les sentinelles approchaient. Il fallait agir vite. Elle dévissa l’étui que portait l’oiseau sous son aile et déroula le papel de roseau. Elle frémit. Elle savait dorénavant exactement où aller.