Les pesticides dits « tueurs d´abeilles » avaient pourtant été interdits en 2018. Mais, deux ans plus tard, les voilà de retour.
Aïe, ça pique !

Les pesticides dits « tueurs d´abeilles » avaient pourtant été interdits en 2018. Mais, deux ans plus tard, les voilà de retour.
Aïe, ça pique !
Par Cécile Cazenave et Henri Lemahieu
Le 6 octobre 2020, l’Assemblée nationale a décidé de flinguer les abeilles sauver les betteraves.
Les députés qui étaient « pour » ou « contre » le projet de loi permettant la réintroduction temporaire des pesticides néonicotinoïdes se sont écharpés jusqu’au milieu de la nuit.
La pomme de discorde ? Vaut-il mieux sauver :
Nous, les abeilles butineuses !
Il y avait bien les néonicotinoïdes, des pesticides qui protégeaient nos betteraves des pucerons…
Nous, les agriculteurs de betterave à sucre !
Se mettre au vert pour mourir de la jaunisse ? Maudits pucerons !
Nos betteraves ont la jaunisse, une maladie transmise par un puceron.
Mais la France, tout comme d’autres pays de l’Union européenne, les a interdits il y a deux ans !
Ce qu’on veut, c’est revenir en arrière…
… juste pour quelques années, sinon, toutes nos betteraves vont mourir !
Les « néonics », comme on les appelle, sont arrivés sur le marché il y a un quart de siècle.
Pilule rouge ou pilule bleue ?
Une fois semée, la graine germe et pousse. Le pesticide se répand, des racines jusqu’au bout des tiges.
Ces petites pilules de couleur sont aujourd’hui les ennemies numéro 1 des apiculteurs.
Les graines que l’on souhaite protéger des insectes sont enrobées de pesticides.
C’est nous qui avons, les premiers, compris qu’il y avait un problème.
Toute la plante est imprégnée.
Exposées aux néonics, les abeilles se sentaient mal.
Mais prouver le lien entre ces événements fut une autre paire de manches.
Bah oui, on n’est pas des chercheurs, nous.
En 2016, des scientifiques démontrent que les néonics affectent le cerveau des butineuses.
Elles perdent le sens de l’orientation !
Les abeilles sont incapables de retrouver le chemin de leur ruche !
C’est à partir de là que les néonics sont officiellement reconnus à la hauteur de leur réputation de « tueurs d’abeilles ».
Les abeilles ne sont, hélas, pas les seules victimes.
Des milliers d’études ont depuis prouvé que :
Les néonicotinoïdes sont ultra-toxiques, jusqu’à 7000 fois plus toxiques que le DDT...
... un pesticide qui a jadis fait des ravages pendant la guerre du Viêt Nam.
La plante n’absorbe en moyenne que 20 % des néonics.
Si bien que 80 % se retrouvent dans les sols et les eaux souterraines.
Ces molécules faites pour tuer les insectes tuent alors toutes sortes de pollinisateurs…
La durée de vie de ces pesticides reste encore inconnue, mais est probablement très longue.
… mais aussi beaucoup d’invertébrés aquatiques, de vers de terre et d’oiseaux.
Face à ces études et à une opinion publique très sensible à la cause des abeilles, les autorités publiques avaient fini par prendre leurs responsabilités.
Et j’en ai plein d’autres...
Les molécules peuvent mettre des années à disparaître et ont donc le temps d’imprégner d’autres cultures.
En juillet 2016, la loi pour la reconquête de la biodiversité était votée. Elle interdisait tous les néonics en France à partir de septembre 2018.
Cette même Barbara Pompili, devenue depuis ministre de la Transition écologique, s’est bien gardée de venir à l’Assemblée nationale en octobre 2020, lors des débats pour la réintroduction des néonics.
Cette loi fut portée par la secrétaire d’État à la Biodiversité : Barbara Pompili.
C’est Julien Denormandie, le ministre de l’Agriculture, qui défend alors cette loi.
En France, la filière de la betterave sucrière est très importante dans le secteur de l’agriculture !
La betterave à sucre nourrit une filière industrielle qui emploie 46 000 personnes.
Attendez une minute, ça ne tient pas debout votre histoire.
C’est indéniablement un gros groupe d’électeurs, je ne peux pas les laisser comme ça...
La France est le premier producteur européen de sucre.
On a peu de risques d’en manquer...
Et même pire que perdre ces électeurs :
LA FRANCE POURRAIT MANQUER DE SUCRE.
Pensez à vos gâteaux !
Et s’il y a eu moins de betteraves, c’est surtout qu’il a fait trop chaud ces deux dernières années.
Bon, j’avoue qu’on a des difficultés depuis que l’Union européenne a mis fin aux quotas sucriers en 2017.
Le prix du sucre s’est alors effondré et la concurrence fait rage...
Plutôt que de réintroduire les néonics, le gouvernement pourrait aider les agriculteurs à changer de pratiques.
Pour des betteraves encore plus balaises et sans pesticides ?!
Par exemple !
Elle a bon dos, la jaunisse !
L’État et les agriculteurs avaient été prévenus, plusieurs années à l’avance, que ces pesticides allaient être interdits...
… ils avaient tout le temps de chercher d’autres solutions, non ?
Heu, peuuut-être...
Une fois les néonics de retour sur les betteraves, pourquoi est-ce qu’on ne les autorisera pas aussi à nouveau pour le maïs ou pour d’autres céréales ?
D’autant qu’on sait la biodiversité en danger ! En Europe, c’est 80 % de la biomasse des insectes volants qui a disparu en moins de trente ans.
Le 6 octobre dernier pourtant, les betteraviers ont obtenu l’autorisation d’utiliser à nouveau pendant trois ans les néonics.
Et la première cause de cette disparition est la pratique de l’agriculture intensive...
Les pollinisateurs assurent la reproduction de 75 % des espèces cultivées. Alors autoriser les outils pour les flinguer revient à se tirer une balle dans le pied !
Alors, ton café, avec ou sans sucre ?
Chronique parue dans TOPO #28 en novembre 2020, par Cécile Cazenave et Henri Lemahieu
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