La prison telle qu’on la connaît aujourd’hui n’a pas toujours existé. L’incarcération n’a longtemps été qu’une étape avant le supplice ou l’exécution. Ce n’est qu’à partir de la fin du 18e siècle qu’elle devient une peine en elle-même. Aujourd’hui, en France, sous la pression des lois sécuritaires, les juges sont de plus en plus sévères et les sanctions se sont durcies. On dit pourtant que les prisons sont coûteuses, inefficaces, inégalitaires et violentes. Alors, à quoi servent les prisons ?
Par Isabelle Dautresme et Clara Hervé
Prison de Fresnes (Val-de-Marne), été 2022
Sur YouTube, on voit des prisonniers détendus, des surveillants et des habitants de la ville conduire des karts...
Quelques jours plus tard, « Kohlantess » enflamme les réseaux sociaux.
... répondre à des quiz...
... s’affronter dans des courses d’obstacles...
« Kohlantess », c’est un événement qui rassemble des détenus, des surveillants et des habitants de Fresnes.
... c’est que tout le monde n’est pas d’accord sur le rôle de la prison.
Si ces deux minutes de course ont suscité un tel emballement médiatique...
Éric Ciotti, député LR
La question du moment
La loi est pourtant claire : la prison vise à protéger la société de ceux qui la menacent.
Mais elle doit aussi permettre au détenu de se réinsérer à sa sortie.
La prison marche sur deux jambes : répression et réinsertion.
Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL)
Mais il arrive qu’un individu soit interpellé et incarcéré immédiatement après sa garde à vue, c’est la détention provisoire.
C’est le juge qui décide d’envoyer une personne derrière les barreaux, généralement à l’issue d’un procès où l’accusé et la victime ont pu exposer leurs points de vue.
Ce peut être le cas d’un jeune qui trafique de la drogue et dont on sait, si on le laisse en liberté, qu’il va recommencer ou d’un homme soupçonné de battre sa femme, par exemple.
La détention provisoire peut aussi permettre à l’enquête de se dérouler correctement, en évitant que les prévenus se mettent d’accord sur une version des faits.
Ou qu’ils fassent pression sur les témoins.
Thibaut Gosset, juge d’instruction au tribunal judiciaire de Créteil
Pendant longtemps, la prison n’a eu que ce rôle : mettre à l’écart les criminels le temps de décider s’ils seraient exécutés...
... envoyés au bagne... ... ou, dans le meilleur des cas, condamnés à payer une amende.
Ce n’est que depuis la Révolution française que l’incarcération est une peine en tant que telle.
Aujourd’hui, en France, près de 18 000 personnes attendent d’être jugées dans des maisons d’arrêt.
C’est beaucoup, si on compare aux autres pays européens.
Soit un détenu sur quatre.
La question du moment
Avant de prononcer une peine de prison, le juge prend en compte la gravité des faits.
Un vol de voiture n’est pas sanctionné de la même manière qu’un meurtre.
Plus celui-ci a un casier judiciaire chargé (multirécidiviste), plus il a de risques de se retrouver en prison.
Le juge s’intéresse aussi au parcours du prévenu qu’il a en face de lui, à sa personnalité.
Je peux décider de ne pas envoyer une personne multirécidiviste derrière les barreaux simplement parce que j’estime qu’elle est en bonne voie de réinsertion.
En revanche, pour le même délit, il m’arrive d’envoyer en prison un individu jusque-là inconnu des services de justice...
Qu’il s’agit là d’un simple accident de parcours.
mais qui ne reconnaît pas la gravité de son geste ou qui dit en vouloir à la victime.
Du coup, on trouve en maison d’arrêt beaucoup d’individus fragiles qui n’ont pas forcément leur place là, mais dont on ne sait pas quoi faire.
Le juge peut aussi décider d’incarcérer une personne par crainte qu’elle ne « disparaisse » et échappe à la justice.
Amélie Morineau, avocate à la cour et membre de l’association A3D*
* Avocats pour la défense des droits des détenus.
En privant de liberté l’auteur d’une infraction, le juge cherche à le punir, mais aussi à le dissuader de recommencer.
C’est comme s’il fallait absolument que l’individu souffre dans sa chair, sans quoi, il ne serait pas vraiment puni.
Pourtant, à quelques exceptions près (comme dans des cas de terrorisme), ils sortiront tous un jour de prison, une fois leur dette à la société payée.
Il faudra bien qu’ils trouvent leur place.
Un détenu ne peut pas rire, c’est mal vu, c’est même perçu comme indécent.
Beaucoup de personnes pensent que les conditions de détention doivent être sévères pour être efficaces.
La prison doit aussi servir à rendre les individus meilleurs qu’au moment de leur incarcération.
Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL)
La question du moment
Cette mission de réinsertion passe par le travail (quand il y en a)...
mais aussi par les ateliers de théâtre, d’écriture, de BD...
Pour que la peine soit utile, il faut que le détenu puisse réfléchir à son acte.
Mais aussi à qui il est, quels sont ses centres d’intérêt, ses aptitudes...
Car se réinsérer ce n’est pas seulement trouver un travail à sa sortie de prison.
Karim Mokhtari, ancien détenu et directeur de l’association 100 murs, une association qui intervient en prison
C’est aussi pouvoir le garder, et pour ça, il faut se sentir bien.
Toutes les activités menées en prison ont une visée pédagogique, même les plus ludiques comme le sport, les matchs de foot ou les courses de karting.
Elles se font en groupe, ce qui permet de travailler le collectif, mais aussi l’estime et la confiance en soi et en l’autre.
Au final, elles participent à rendre un peu de dignité aux individus, ce qui est une condition indispensable pour s’insérer dans la société.
La prison
Faute de moyens et à cause des prisons surpeuplées, ce travail de réinsertion n’est pas toujours fait alors même qu’il est essentiel.
La prison coupe les individus de la société et rend leur retour à la « vie normale » difficile.
Elle réduit les chances de trouver un emploi, un logement, elle éloigne parfois de la famille...
D’où l’intérêt d’éviter le plus possible l’incarcération, notamment des petits délinquants, avec des peines alternatives.
Le « tigiste » est condamné à travailler gratuitement (entre 20 et 280 heures) pour une mairie, une collectivité locale ou une association.
Comme les amendes ou les travaux d’intérêt général (TIG). Il doit effacer des graffitis, entretenir les espaces verts, aider des personnes défavorisées...
Il répare sa faute envers la société en se rendant utile, tout en réapprenant des règles, puisqu’il est obligé de respecter des horaires de travail, des consignes et un supérieur hiérarchique.
Le TIG est un outil très efficace contre la récidive.
Pourtant il est très peu prononcé.
Thibaut Gosset
La question du moment
Quand le juge n’a pas d’autre choix que de prononcer une peine de prison, il doit tenter de l’aménager.
Il peut décider que le condamné reste en détention à domicile sous surveillance électronique en portant un bracelet.
Le détenu ne peut alors sortir qu’à certaines heures et est obligé de travailler ou de chercher un emploi sous peine de retourner en prison.
Il peut aussi dormir en prison et sortir quelques heures dans la journée pour se soigner (par exemple de ses addictions) ou chercher du travail.
Le juge peut décider de changer la peine de prison en un « placement extérieur ». Le condamné travaille ou suit une formation pendant la journée.
Malgré toutes ces mesures, on continue d’envoyer trop de monde en prison, et parfois des personnes qui n’ont rien à y faire. Les malades psychiatriques, par exemple.
Car au moment de statuer sur leur sort, on a toujours le réflexe d’envisager d’abord la prison, avant éventuellement de l’écarter ensuite. On parle de semi-liberté.
Et le soir, il est hébergé par une association où se trouvent psychologues, assistantes sociales...
Un réflexe qui s’explique par des années de politiques répressives.
La prison
Par exemple, si la police interpelle une personne en possession de cannabis, celle-ci risque jusqu’à un an de prison et 3 750 € d’amende.
Elles ont conduit les gouvernements français à adopter des lois qui prévoient des peines lourdes pour certains délits.
Comparés à la France, l’Allemagne et l’Espagne prononcent beaucoup plus de peines d’amende.
Même si la quantité est très faible, alors qu’il est dépénalisé dans beaucoup de pays européens.
Aux Pays-Bas, les TIG sont considérés comme de vraies peines.
En Norvège, la prison est réservée aux cas très graves, comme les crimes.
Pour beaucoup de politiques et pour la police, la seule véritable sanction, c’est l’enfermement. La prison est la reine des peines.
Sur 10 peines, 8 sont des TIG, contre 1 en France.
Conséquence, nous, magistrats, nous nous trouvons devant une contradiction : la loi prévoit des peines de plus en plus lourdes, et on nous demande d’emprisonner de moins en moins.
On aura beau faire tous les textes de loi, si les mentalités ne changent pas, on aura toujours autant de monde en prison.
Thibaut Gosset
La question du moment
Pourtant, les deux tiers des personnes passées par la case prison récidivent dans les cinq ans qui suivent leur sortie, et un tiers dans l’année.
Elle entretient un sentiment de colère envers la société.
L’incarcération est peu efficace.
Le problème de la prison en France aujourd’hui, c’est qu’elle violente les détenus, elle les maltraite.
À suivre dans le prochain numéro...
Amélie Morineau
“Pourquoi y a-t-il des prisons en France ?”
Chronique parue dans TOPO #40 en avril 2023, par Isabelle Dautresme et Clara Hervé
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