303_184_Extrait

Page 1


Flux

05

Éditorial

Frédérique Letourneux, journaliste et Bernard Renoux, photographe-auteur

06

Terre(s) de passage, terre(s) d’accueil

Frédérique Letourneux et Bernard Renoux

14

Migrations d’hommes et d’idĂ©es sous l’AntiquitĂ©. L’exemple d’Angers (Juliomagus)

Jean Brodeur, archéologue

22

Des Maldives à la Guinée, Nantes sur la route des cauris

Gildas SalaĂŒn, historien

28

De l’Afrique Ă  Nantes, rĂ©cits pluriels

Pascaline Vallée, journaliste culturelle

36

Le voyage des indiennes : des Indes à l’Afrique en passant par Nantes

Aziza Gril-Mariotte, professeure d’histoire de l’art

44

Flux d’espĂšces, flux de prĂ©jugĂ©s, flots de beautĂ© !

François Lasserre, auteur et formateur

52

Des tailleurs de pierre italiens Ă  Sainte-Hermine

HélÚne Bocard, conservatrice en chef du patrimoine

56

Saisonniers venus d’ailleurs

Frédérique Letourneux

62

Dans les coulisses d’une palette

David Prochasson, journaliste

68

250 000 milliards de bits sous les mers

Anthony Poiraudeau, écrivain

Échos / Flux

74

Bernard Renoux, Sabrina Rouillé, Pascaline Vallée

Carte blanche

75

Artistes invités

Olive Martin, Patrick Bernier et Alioune Diouf

80

Naviguer en grain de sable

Marie-Laure Viale, historienne de l’art

Chroniques

81

Alain Girard-Daudon, François-Jean Goudeau, Thierry Pelloquet, Éva Prouteau, SĂ©vak Sarkissian, Pascaline VallĂ©e

Éditorial

Le mot « flux » convoque des images de fluides en mouvement : cours d’eau, vagues ou marĂ©es. Avec son rĂ©seau terrestre et fluvial dĂ©bouchant sur sa façade maritime, la rĂ©gion des Pays de la Loire occupe une place privilĂ©giĂ©e, propice aux Ă©changes et au commerce
 Ă  tous les commerces. Dans des contextes variĂ©s, c’est le mouvement continu des humains et des choses que ce numĂ©ro explore.

Le voyage dĂ©bute par l’estuaire de la Loire Ă  Saint-Nazaire, oĂč l’activitĂ© soutenue du trafic portuaire et de la construction navale recrutait aux xixe et xxe siĂšcles une main-d’Ɠuvre Ă©trangĂšre : Ă  la fonderie de ChĂąteaubriant, les migrants venus travailler Ă©taient ainsi des Turcs, aux forges de Basse-Indre des Polonais.

ConsidĂ©rĂ© sous un nouvel Ă©clairage, le portrait de travailleurs immigrĂ©s souligne leur contribution Ă  leur pays d’accueil. HĂ©lĂšne Bocard s’intĂ©resse aux tailleurs de pierre italiens arrivĂ©s en France Ă  la fin du xixe siĂšcle et qui sont intervenus sur le monument Clemenceau Ă  la mĂ©moire des poilus Ă  Sainte-Hermine, en VendĂ©e. Aujourd’hui, comme on peut le lire dans l’article consacrĂ© aux saisonniers venus d’ailleurs, les travailleurs Ă©trangers constituent toujours une part importante de la main-d’Ɠuvre employĂ©e dans les exploitations agricoles ou maraĂźchĂšres de la rĂ©gion nantaise. Sans eux, dit un exploitant, il n’y aurait ni vin, ni fruits ou lĂ©gumes, ni muguet !

Les origines de ces Ă©changes sont lointaines. Ainsi, au xviiie siĂšcle, le port de Nantes abonde en armateurs et nĂ©gociants, dont certains pratiquent Ă  grande Ă©chelle la traite, qui entraĂźne un flux d’ĂȘtres humains outre-Atlantique. C’est avec une lenteur saisissante, rappelle Pascaline VallĂ©e, que cette histoire honteuse, longtemps glissĂ©e sous le tapis, s’est inscrite dans la mĂ©moire de Nantes.

Sur les cĂŽtes africaines, le coupable commerce exigeait l’utilisation d’une monnaie singuliĂšre : un petit coquillage originaire des Maldives, le cauri. Si ce systĂšme monĂ©taire a surpris les EuropĂ©ens du xviiie siĂšcle, il suscite toujours notre Ă©tonnement quand Gildas SalaĂŒn dĂ©taille les quantitĂ©s colossales de ces coquilles qui transitaient par le port de Nantes. Il est aussi question d’une autre marchandise prĂ©cieuse, les indiennes qui dĂ©barquĂšrent Ă  Nantes dĂšs le xviie siĂšcle. Ces toiles de coton imprimĂ©, dont Aziza Gril-Mariotte nous raconte l’histoire, ont fait l’objet d’une production trĂšs importante menĂ©e notamment par des manufacturiers nantais rĂ©putĂ©s. L’importation du coton brut depuis les Indes puis l’exportation des toiles imprimĂ©es vers l’Afrique et les Antilles mettaient Nantes au cƓur du commerce international. Les Ă©changes intercontinentaux d’informations ont longtemps pris des mois mais depuis 2020, nous explique Anthony Poiraudeau, la migration fulgurante de toutes sortes de donnĂ©es passe par un cĂąble sous-marin qui relie les États-Unis, depuis la Virginie, Ă  Saint-Hilaire-de-Riez, en VendĂ©e. L’auteur, paraphrasant un cĂ©lĂšbre romancier nĂ© Ă  Nantes, insiste sur la prouesse technologique que reprĂ©sente ce « fil » de transmission. Les fibules en argent dĂ©couvertes dans une nĂ©cropole d’Angers sont un tĂ©moignage tangible de la prĂ©sence, dans la rĂ©gion, de Germains orientaux Ă  la fin du ive siĂšcle. SupplĂ©tifs de l’armĂ©e romaine, ces militaires goths et leurs compagnes vouaient au dieu Mithra un culte attestĂ© par l’existence d’un temple qui lui Ă©tait consacrĂ©. L’archĂ©ologue Jean Brodeur, qui a dirigĂ© les fouilles, dĂ©montre par ce biais la grande diversitĂ© des origines et des croyances des populations de l’Empire romain.

Enfin, on ne pouvait consacrer un numéro aux flux sans prendre au sérieux la vie du symbole contemporain de la mondialisation, la palette : la contribution de David Prochasson expose que son aspect tristement banal dissimule en réalité la plus complexe des gestions.

« Nous venons toutes et tous d’ailleurs », dĂ©clare quant Ă  lui l’entomologiste François Lasserre. Ce « nous » semble faire fusionner l’Homme, la faune et la flore. Utilisant Ă  dessein l’exemple d’espĂšces animales et vĂ©gĂ©tales dites invasives, l’auteur nous invite Ă  reconsidĂ©rer la frontiĂšre qui nous sĂ©pare symboliquement des autres espĂšces. À faire la paix, en somme.

Terre(s) de passage, terre(s) d’accueil

La position particuliĂšre de la rĂ©gion, avec sa porte maritime atlantique et ses connexions avec la rĂ©gion parisienne, en fait un territoire d’interface, lieu de passage des marchandises et des hommes


« Bref, les espaces se sont multipliĂ©s, morcelĂ©s, diversifiĂ©s. Il y en a aujourd’hui de toutes tailles et de toutes sortes, pour tous les usages et pour toutes les fonctions. Vivre, c’est passer d’un espace Ă  un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner. »

Georges Perec 1

Tout commence par la mer. Et le fleuve. Comme l’écrit le gĂ©ographe Alain Chauvet : « L’embouchure de la Loire, comme celle de tous les grands fleuves, fut le support de relations lointaines vers l’avant-pays maritime et l’arriĂšre-pays continental. Nantes apparaĂźt donc comme une porte territoriale Ă  l’échelle nationale puisqu’elle devint trĂšs tĂŽt l’une des grandes ouvertures maritimes de la façade atlantique française, Ă  l’échelle rĂ©gionale aussi puisqu’au cours des siĂšcles, Bretons, Angevins et Poitevins cherchĂšrent Ă  en exploiter l’excellente position 2 »

C’est au xviiie siĂšcle que le port de Nantes connaĂźt une activitĂ© sans prĂ©cĂ©dent. ReliĂ© par la Loire Ă  la mer et Ă  l’arriĂšre-pays, jusqu’à Paris, il devient l’un des principaux ports de commerce du royaume, concentrant un nombre important d’armateurs et de nĂ©gociants français et Ă©trangers. C’est Ă  cette pĂ©riode que le port de Nantes devient l’une des principales plaques tournantes du commerce triangulaire d’esclaves : « Des familles d’armateurs se spĂ©cialisent dans ce commerce tout comme de nombreuses activitĂ©s Ă©conomiques de la ville et de la rĂ©gion. Nantes va devenir le premier port français des ĂȘtres humains en assurant plus de 42 % des dĂ©parts d’expĂ©ditions de traite entre 1707 et 1793 3 . » La mĂ©moire de cette histoire honteuse a Ă©tĂ© longue Ă  faire Ă©merger et l’exposition Les Anneaux de la mĂ©moire, organisĂ©e au ChĂąteau des ducs de Bretagne de 1992 Ă  1994, consacrĂ©e Ă  « l’histoire de la traite et de l’esclavage colonial », va marquer un tournant. PrĂšs de vingt ans plus tard, le 25 mars 2012, est inaugurĂ© le MĂ©morial de l’abolition de l’esclavage sur les bords de Loire, consacrĂ© Ă  la traite nĂ©griĂšre Ă  Nantes et dans le monde, Ă  l’esclavage et Ă  son abolition. Aujourd’hui, de nombreuses associations perpĂ©tuent cette mĂ©moire 4

« La petite Californie bretonne »

Dans cette histoire maritime, l’estuaire et Saint-Nazaire jouent bien Ă©videmment un rĂŽle crucial. C’est en 1838 qu’est prise la dĂ©cision de faire de Saint-Nazaire l’avant-port de Nantes. « GrĂące Ă  l’activitĂ© intense de la construction navale, du trafic portuaire et transatlantique, la ville connaĂźt un tel essor [
] qu’elle sera surnommĂ©e “la petite Californie bretonne” 5 » Tout au long du xxe siĂšcle, les installations portuaires s’adaptent et s’agrandissent. Aujourd’hui, le port de Nantes - Saint-Nazaire est le quatriĂšme port français en termes de tonnage, avec plus de 25 millions de tonnes de marchandises traitĂ©es en 2021 6 et 28 500 emplois gĂ©nĂ©rĂ©s par l’activitĂ© portuaire 7

←

Facture d’une barrique de sucre reçue par le navire Le Bon PĂšre, envoyĂ©e depuis les Cayes Ă  Saint-Domingue par Jean Audubon pour lui-mĂȘme. Nantes, aoĂ»t 1784. Coll. part. © Photo Bernard Renoux.

1. Dans EspĂšces d’espaces, Paris, GalilĂ©e, 1974, p. 14.

2. Alain Chauvet, Porte nantaise et isolat choletais : essai de géographie régionale, Nantes, Hérault, 1987.

3. https://www. chateaunantes.fr/ thematiques/la-traiteatlantique-et-l-esclavage/

4. Voir dans le présent numéro la contribution de Pascaline Vallée, p. 28-35.

5. https://www.saintnazaire-tourisme.com/ decouvrir/decouvrir-leport/saint-nazaire-un-porttransatlantique/

6. https://www. paysdelaloire-eco.fr/chiffresclefs

7. Selon une étude Insee 2022 sur données 2018 (https://www.nantes.port. fr/fr).

Migrations d’hommes et d’idĂ©es sous l’AntiquitĂ©

L’exemple d’Angers (Juliomagus)

Migrer fait intrinsĂšquement partie de l’évolution humaine. Durant des milliers d’annĂ©es, le chasseur-cueilleur fut contraint de se dĂ©placer afin de trouver dans l’environnement les ressources indispensables Ă  sa survie.

MĂȘme si l’invention de l’agriculture, vers 9000 av. J.-C., favorise la sĂ©dentarisation, les pĂ©riodes qui suivent sont encore marquĂ©es par des migrations plus ou moins importantes aux causes trĂšs diverses. Les groupes emportent avec eux leur façon de vivre, de penser, de croire ; ils vĂ©hiculent une culture propre qui, parfois, s’inscrit dans une volontĂ© « civilisationnelle » qui fait que les peuples indigĂšnes les reçoivent avec plus ou moins de bienveillance. Pour l’AntiquitĂ©, Rome, dont les conquĂȘtes territoriales vont amener Ă  la formation d’un empire, gĂ©nĂšre la diffusion d’un mode de vie d’essence mĂ©diterranĂ©enne qui bouleverse l’organisation et les mƓurs de la sociĂ©tĂ© gauloise. Le dĂ©veloppement d’un rĂ©seau de voies de communication sur un vaste territoire pacifiĂ©, sĂ©curisĂ©, va provoquer une explosion des Ă©changes de toutes sortes qui s’insinuent dans les moindres recoins de la vie quotidienne. Des hommes venus « d’ailleurs » vĂ©hiculent ainsi dans les Gaules une conception nouvelle de la sociĂ©tĂ©, tant politique que religieuse, essentiellement par l’entremise d’une culture matĂ©rielle, et ce durant tout l’Empire. Initialement, la principale notion qui se transmet, vraie « migration » d’idĂ©e, est celle de l’urbs, la ville. Le site de l’oppidum d’Angers va devenir une vĂ©ritable capitale de CitĂ©, celle des AndĂ©caves, sous le nom de Juliomagus. Elle est un tĂ©moignage exemplaire des transformations, survenues dans les deux derniĂšres dĂ©cennies avant notre Ăšre et au ier siĂšcle, dans un processus que les historiens ont nommĂ© « romanisation ». Il s’agit de donner Ă  chaque ancien territoire une vitrine de la romanitĂ©, la ville, pour inciter les individus Ă  adhĂ©rer volontairement au nouvel ordre en place. Durant l’AntiquitĂ© tardive, l’évolution politique de l’Empire entraĂźne d’autres migrations d’hommes et d’idĂ©es. Des dĂ©couvertes archĂ©ologiques rĂ©centes et exceptionnelles effectuĂ©es dans la ville ont permis de porter un regard novateur sur ces sujets, pour lesquels les sources sont rares. Citons deux d’entre elles : la nĂ©cropole urbaine dite de la gare Saint-Laud, Ă©tudiĂ©e en 2000, avec cent soixante-quinze tombes, qui avait alors montrĂ© la prĂ©sence de Germains orientaux, inĂ©dite pour l’ouest de la France et, en 2010, Ă  l’emplacement de l’ancienne clinique Saint-Louis, un temple vouĂ© au culte de Mithra, dieu Ă  la lointaine origine indo-persane. Les importants progrĂšs de la lecture de l’ADN ancien ont confortĂ© et complĂ©tĂ© les hypothĂšses Ă©mises dĂšs 2000 concernant les origines de certains des inhumĂ©s de la nĂ©cropole romaine de la gare Saint-Laud.

Juliomagus (Angers), image exemplaire de la romanisation

Angers est l’une des villes antiques de l’ouest de la France les mieux connues, grĂące Ă  une activitĂ© archĂ©ologique soutenue depuis une quarantaine d’annĂ©es. Des dĂ©couvertes dĂ©monstratives

←

La tĂȘte de Nubien du luminaire.

© Photo Hervé Paitier - Inrap.

Amas de mille cauris. PercĂ©s pour ĂȘtre enfilĂ©s, ces mille cauris correspondent Ă  cinq gallinhas. D’un poids total de 1 470 g, cet amas Ă©quivalait Ă  un Ă©cu d’argent europĂ©en.

Gildas SalaĂŒn

Des Maldives à la Guinée

Nantes sur la route des cauris

Au xviiie siĂšcle, un petit coquillage, le cauri, fit l’objet d’un immense commerce reliant Nantes aux Maldives et au golfe de GuinĂ©e. Chaque annĂ©e, des millions de coquilles transitaient par la Loire et le quai de la Fosse.

1. Gildas SalaĂŒn, « Le cauri : monnaie de la traite atlantique, son usage monĂ©taire Ă  Ouidah (BĂ©nin) au xviiie siĂšcle », dans Philippe Josserand, FrĂ©dĂ©rique Laget et Brice Rabot (dir.), Entre horizons terrestres et marins - SociĂ©tĂ©s, campagnes et littoraux de l’Ouest atlantique, Rennes, PUR, 2017, p. 239-252.

2. Les citations sont extraites des tomes XIII et XIV de l’Histoire GĂ©nĂ©rale des Voyages, ou Nouvelle Collection de toutes les relations de Voyages par Mer et par Terre, qui ont Ă©tĂ© publiĂ©es jusqu’à prĂ©sent dans les diffĂ©rentes langues de toutes les nations connues de l’AbbĂ© PrĂ©vost (Paris, 1748).

La base du systÚme monétaire à Ouidah (Bénin) 1

Le cauri est la palĂ©o-monnaie la plus commune qui soit. Et pour cause
 Ce petit coquillage, « d’un blanc de lait & de la grandeur d’une olive 2 », originaire des Maldives et de Ceylan, est utilisĂ© comme instrument monĂ©taire en Chine dĂšs la dynastie Shang (1600 Ă  1046 av. J.-C.). Son utilisation monĂ©taire s’étend jusqu’à concerner la majeure partie de l’Afrique. Au xviiie siĂšcle, les EuropĂ©ens qui naviguent le long du golfe de GuinĂ©e confirment que l’on s’y sert « des Coris pour monnoye ».

À Ouidah, petit royaume situĂ© sur la « CĂŽte des esclaves », le cauri est appelĂ© buji ou bouge . Ce coquillage y est « la monnoye la plus commode pour le trafic des denrĂ©es ». Au mĂȘme titre que les piĂšces de monnaie, le cauri y constitue la valeur de rĂ©fĂ©rence et ses utilisateurs « ont tant d’estime pour ces coquilles, que dans le commerce, ils les prĂ©fĂšrent Ă  l’or », au grand Ă©tonnement des EuropĂ©ens. À cause d’une valeur unitaire faible, les cauris sont souvent utilisĂ©s par multiples. Ils sont alors percĂ©s Ă  l’aide d’un fer spĂ©cial chauffĂ©, puis enfilĂ©s sur des cordons. À Ouidah ils sont de trois types : quarante cauris font un senre, ou toquos en portugais ; cinq senres, soit deux cents cauris, font un fore, ou gallinha ; deux cents senres, soit huit mille cauris, font un guibatton, ou alkove

Pour les transactions de trĂšs grande importance, « les coris se mesurent [
] dans une sorte de grand boisseau de cuivre jaune, semblable Ă  un grand bassin, ou chaudron, qui en contient environ le poids de huit cents livres ». On peut se demander pourquoi, dans de tels cas, on n’abandonne pas le cauri ? La rĂ©ponse est claire : pour des questions de sĂ©curitĂ©, car « les malversations sont plus difficiles, lorsque le paiement se fait en bujis ». Impossible d’ĂȘtre discret, les transactions sont visibles de tous.

À Ouidah, le cauri est l’étalon, la rĂ©fĂ©rence d’un vĂ©ritable systĂšme monĂ©taire structurĂ©, grĂące auquel les Africains « achĂštent & vendent entr’eux toutes sortes de marchandises, comme on le fait en Europe avec l’or, l’argent & le cuivre ». C’est en outre un systĂšme monĂ©taire contrĂŽlĂ© et garanti par l’État puisque la qualitĂ© des senres, fores et guibattons est vĂ©rifiĂ©e sur les foires et marchĂ©s par « un Grand du Royaume, nommĂ© Konagongla, chargĂ© du soin de la Monnoie ou des bujis [
]. Cet officier examine les cordons ; & s’il trouve une coquille de moins, il les confisque au profit du Roi. »

On voit qu’on est loin du troc de « pacotilles » souvent Ă©voquĂ©, non sans une certaine condescendance, mĂȘme si bien entendu l’appoint en marchandises Ă©tait monnaie courante dans les opĂ©rations commerciales d’ampleur. À Arda, royaume voisin de Ouidah, il Ă©tait Ă©tabli que « les esclaves se payent moitiĂ© en bujis, & moitiĂ© en marchandises ».

La devise du commerce négrier

Les EuropĂ©ens se « servent fort avantageusement [des cauris] pour le commerce de GuinĂ©e ». Y avait-il un change, ou une Ă©quivalence, entre les cauris et les monnaies europĂ©ennes ? La rĂ©ponse est oui : en 1724, « cinq gallinhas de bujis font environ quatre livres de France ». En d’autres termes, mille cauris font environ neuf cent soixante deniers tournois. Mais le plus important est que ces « quatre livres de France » correspondent au cours de l’écu d’argent. Un Ă©cu Ă©quivalait donc Ă  mille cauris. Les profits colossaux tirĂ©s du commerce avec les EuropĂ©ens, notamment par la vente d’esclaves, incitent les autoritĂ©s locales Ă  ouvrir « leur port Ă  toutes les nations. Il en rĂ©sulte un effet trĂšs dĂ©savantageux pour la Compagnie Angloise d’Afrique : le prix des esclaves, qui Ă©tait anciennement rĂ©glĂ© pour elle, Ă  trois livres sterlings par tĂȘte, est montĂ© ces derniers tems jusqu’à vingt », en passant par « quatorze livres sterlings » en 1724. Cette importante hausse du « cours » de l’esclave est confirmĂ©e par l’augmentation de son prix exprimĂ© en cauris. En effet, alors que le prix « des esclaves devoit ĂȘtre de huit mille » cauris en 1724, celui-ci monte jusqu’à « quatre-vingt mille bujis » en 1748, et mĂȘme cent quatre-vingt-douze mille en 1773 ! Les donnĂ©es pondĂ©rales confirment cette hausse puisque « dans le royaume de Ouidah, oĂč les François ont des Ă©tablissemens, ces derniers donnent quelquefois jusqu’à quatre-vingts livres pesant de coris, mĂȘme davantage parfois, pour un nĂšgre ». Le chaudron Ă©voquĂ© prĂ©cĂ©demment contenait donc exactement la valeur de dix esclaves. Par ailleurs, plusieurs sources françaises indiquent que le prix d’un esclave Ă  Ouidah s’établissait autour de quatre cent quatrevingts livres tournois au milieu du xviiie siĂšcle. Ainsi, quatre-vingt mille cauris correspondaient Ă  quatre cent quatre-vingts livres tournois. Or, comme l’écu d’argent français avait Ă©tĂ© réévaluĂ© Ă  six livres tournois, quatre cent quatre-vingts livres faisaient quatre-vingts Ă©cus. À nouveau donc, un Ă©cu d’argent Ă©quivalait Ă  mille cauris. La paritĂ© entre la monnaie française et le cauri est donc stable durant tout le xviiie siĂšcle. Une fois ces Ă©quivalences bien comprises, on peut aisĂ©ment dĂ©cliner les correspondances entre les valeurs de Ouidah et les piĂšces françaises et anglaises : un guibatton Ă©quivaut Ă  un double louis d’or, ou deux livres sterling, cinq fores font un Ă©cu français ou une couronne anglaise et un fore est Ă©gal Ă  un cinquiĂšme d’écu ou un shilling. Il est finalement trĂšs simple de convertir les monnaies europĂ©ennes en cauris
 Et cela permet d’étudier l’évolution des prix.

Payer en cauris

Les premiĂšres dĂ©penses dont les EuropĂ©ens doivent s’acquitter en cauris sont les coutumes, les taxes sur le

De l’Afrique Ă  Nantes, rĂ©cits pluriels

L’histoire de Nantes est marquĂ©e par son rĂŽle dans la traite transatlantique. Comment cet hĂ©ritage colonial est-il vĂ©cu aujourd’hui ?

La Ville, s’appuyant sur des associations militantes et des travaux d’historien.ne.s, assume et transmet dĂ©sormais cette part de son passĂ©.

La mĂ©moire d’une ville reste inscrite dans ses rues, pour peu que l’on sache en interprĂ©ter les traces. DerriĂšre son surnom de « CitĂ© des Ducs », Nantes a longtemps tenu sous silence un passĂ© bien moins glorieux, pourtant prĂ©sent dans le quotidien de ses habitant.e.s. Des immeubles d’armateurs de l’Île Feydeau Ă  l’usine BĂ©ghin Say et sa cheminĂ©e blanc et bleu, en passant par le Quai des Antilles ou certaines plantes acclimatĂ©es dans les serres du Grand Blottereau, l’architecture et la toponymie de l’ex-ville portuaire sont en effet profondĂ©ment marquĂ©es par l’histoire coloniale, et plus particuliĂšrement celle liĂ©e Ă  la traite transatlantique, qui aurait entraĂźnĂ© la capture en Afrique et le dĂ©placement d’au moins 12 millions de personnes. Aux marques anciennes se superposent depuis une vingtaine d’annĂ©es des gestes contemporains : nouveaux noms d’espaces publics, panneaux pĂ©dagogiques et, bien sĂ»r, MĂ©morial de l’abolition de l’esclavage, inaugurĂ© en 2012 sur (ou plutĂŽt sous, puisque le parcours se dĂ©roule en sous-sol pour Ă©voquer les cales des navires nĂ©griers) le Quai de la Fosse. Depuis les annĂ©es 1990, expositions, rencontres, visites guidĂ©es ou encore podcasts Ă©clairent ce lourd hĂ©ritage et le relient Ă  l’époque actuelle.

Une présence de longue date

1744. Ce nombre fait froid dans le dos quand on en connaĂźt la signification. Dans l’histoire de Nantes, il ne se rapporte pas Ă  un Ă©vĂ©nement prĂ©rĂ©volutionnaire ou Ă  la date d’un cataclysme, mais au nombre d’expĂ©ditions nĂ©griĂšres lancĂ©es depuis l’estuaire de la Loire entre le dĂ©but du xvie et le dĂ©but du xixe siĂšcle. 1 744 bateaux (soit prĂšs de la moitiĂ© des expĂ©ditions françaises), conçus pour transporter, dans des conditions indĂ©centes, des hommes, femmes et enfants achetĂ©.e.s en Afrique pour ĂȘtre revendu.e.s majoritairement dans les CaraĂŻbes et au BrĂ©sil, puis voguer Ă  nouveau vers la France chargĂ©s d’indigo, de coton, de sucre et autres produits exotiques.

Selon ce schĂ©ma, les personnes rĂ©duites en esclavage, exploitĂ©es de l’autre cĂŽtĂ© des ocĂ©ans, auraient Ă©tĂ© invisibles pour la majoritĂ© des Français-es. Pourtant, dĂšs les dĂ©buts de la traite, mais surtout Ă  partir du xviiie siĂšcle, celles et ceux que l’on nommait alors les « gens de couleur » sont bien prĂ©sent.e.s Ă  Nantes. RamenĂ©.e.s de force par des capitaines, armateurs ou nĂ©gociants pour le service de leur maison, ces domestiques n’ont souvent pas d’existence officielle. Car, selon la loi, le sol français affranchit, mĂȘme si les exceptions sont vite mises en place au bĂ©nĂ©fice des propriĂ©taires... En 1777, un recensement dĂ©nombre environ 700 « personnes de couleur » dans la ville, sur les 5 000 du recensement national. S’il existe de belles histoires (mariages mixtes, libertĂ© gagnĂ©e

← Roch Aza et Louis-ArmandConstantin Rohan, prince de Montbazon (1732-1794), huile sur toile, 1758.

© Photo David Gallard -

ChĂąteau des Ducs de BretagneMusĂ©e d’Histoire de Nantes.

Le voyage des indiennes :

des Indes à l’Afrique en passant par Nantes

Au xviiie siĂšcle, les indiennes, Ă©toffes imprimĂ©es, rĂ©volutionnent le textile en France. Nantes devient un centre majeur de production, exportant des toiles dĂ©corĂ©es jusqu’en Afrique pour le commerce triangulaire.

Lorsque les indiennes – terme qui dĂ©signe des Ă©toffes de coton imprimĂ©es de couleurs vives –dĂ©barquent dans les ports français, au xviie siĂšcle, elles suscitent l’intĂ©rĂȘt des consommateurs et provoquent une rĂ©volution esthĂ©tique et pratique car plus on les lave, plus elles embellissent. Cet engouement n’est pas sans consĂ©quences sur le commerce des produits des industries textiles nationales, lin, laine et soie. Aussi, pour les protĂ©ger, le pouvoir royal finit-il en 1686 par les interdire sur le territoire national. DĂ©sormais les indiennes ont l’aura de l’interdit et, malgrĂ© une lĂ©gislation complexe qui ne cesse d’ĂȘtre rĂ©itĂ©rĂ©e, la contrebande diffuse les Ă©toffes prohibĂ©es dans la sociĂ©tĂ©, aussi bien Ă  la cour – la marquise de Pompadour en meuble son chĂąteau de Bellevue – que chez les bourgeois. La prohibition est finalement levĂ©e en 1759, permettant de dĂ©velopper en France une nouvelle branche de l’industrie textile, d’abord exercĂ©e dans des manufactures Ă©parpillĂ©es dans tout le royaume, avant que plusieurs grands centres de production Ă©mergent : Jouy et Nantes, puis Mulhouse et Rouen. À Nantes, cette nouvelle Ă©toffe, dont le nom est porteur de la curiositĂ© pour des contrĂ©es lointaines, Ă©voque aussi le commerce triangulaire et la traite nĂ©griĂšre avec la catĂ©gorie des indiennes dites « de traite ». Par sa situation portuaire, Nantes joue un rĂŽle dĂ©terminant dans l’importation des matiĂšres premiĂšres – toiles de coton des Indes et indigo – et l’exportation d’impressions nationales dans les Antilles et en Afrique. Sa position gĂ©ographique est aussi une opportunitĂ© alors que l’indiennage nĂ©cessite des prĂ©s et de l’eau : les affluents qui bordent l’estuaire de la Loire apportent des conditions favorables Ă  l’essor de cette industrie 1 Pour ces diffĂ©rentes raisons, Nantes devient un important centre d’indiennage dans la seconde moitiĂ© du xviiie siĂšcle ; l’étude de ces impressions montre comment les fabricants se sont emparĂ©s d’un vocabulaire artistique et comment ces Ă©toffes ont contribuĂ© Ă  lancer de nouvelles modes dĂ©coratives.

Nantes, centre de production de toiles peintes

Avant de devenir un centre de production d’indiennes avec plusieurs manufactures, Nantes est d’abord une ville portuaire qui a obtenu le monopole des ventes de la Compagnie des Indes face Ă  Lorient oĂč les bateaux arrivent, non sans rivalitĂ© avec les diffĂ©rents ports de la cĂŽte atlantique 2. Pendant la prohibition, le port voit notamment dĂ©barquer des indiennes destinĂ©es Ă  ĂȘtre rĂ©expĂ©diĂ©es dans les colonies, mais toutes ne repartent pas, alimentant une importante contrebande. Aussi l’habitude de l’indienne est-elle dĂ©jĂ  bien installĂ©e lorsqu’elle devient lĂ©gale Ă  partir de 1759, puis les fabricants sont aux premiĂšres loges pour se fournir en toile de coton brut qu’ils vont imprimer. La situation gĂ©ographique du port, avec la voie fluviale de la Loire, permet aussi la circulation des productions nationales, et l’arrivĂ©e des marchandises depuis la mer favorise l’installation de nombreuses colonies de commerçants Ă©trangers, notamment hollandais, suisses et anglais, qui apportent avec eux leur savoir-faire

↑ Indienne nantaise, dĂ©tail, manufacture Petitpierre et Cie, fin du xviiie siĂšcle.

© Photo Antoine ViolleauChĂąteau des Ducs de BretagneMusĂ©e d’Histoire de Nantes.

← Planche d’un livre d’empreintes d’indiennes de traite, manufacture nantaise Favre, Petitpierre et Compagnie, fin du xviiie siùcle.

© Photo François LauginieChĂąteau des Ducs de BretagneMusĂ©e d’Histoire de Nantes.

1. On doit Ă  cet auteur la premiĂšre histoire du rĂŽle de Nantes dans l’indiennage : Bernard Roy, Une capitale de l’indiennage : Nantes, Nantes, MusĂ©e des Salorges, 1948.

2. Céline Cousquer, Nantes, une capitale française des indiennes au xviiie siÚcle, Nantes, Coiffard libraire éditeur, 2002, p. 36.

Flux d’espĂšces, flux de prĂ©jugĂ©s, flots de beautĂ© !

Comme les humains, d’autres ĂȘtres vivants viennent d’ailleurs, introduits volontairement ou non. CĂŽtĂ© animaux, une fois installĂ©s, le respect des individus, de leur sensibilitĂ© et du droit du sol suggĂšre une cohabitation plus humaine avec ces espĂšces dites « exotiques ».

Nous venons toutes et tous d’ailleurs. Nous, Homo sapiens, venons d’Afrique oĂč nous serions apparus il y a 300 000 ans. Puis, lentement, nous avons colonisĂ© le reste de la Terre et sommes arrivĂ©s en France il y aurait 50 000 ans environ. De plus, jusqu’à la fin de l’ùre glaciaire, la France Ă©tait Ă  moitiĂ© glacĂ©e et le reste ressemblait Ă  de la toundra. Le rĂ©chauffement climatique d’il y a 10 000 ans a permis l’expansion et la colonisation de toutes les espĂšces sauvages que nous voyons aujourd’hui. Cela Ă  partir de leur prĂ©sence aux abords de notre pays, mais Ă©galement grĂące Ă  la grande capacitĂ© de dispersion de certaines espĂšces, comme les oiseaux, les insectes ou les graines portĂ©es par les airs. En parallĂšle, nous avons Ă©galement plantĂ©, transformĂ©, domestiquĂ© et introduit des espĂšces, volontairement et par milliers dans tous nos environnements. Des espĂšces provenant de plus ou moins loin selon nos capacitĂ©s de dĂ©placement, de colonisation et d’exploration. Ces domestications et plantations ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es en fonction de nos envies et besoins, pratiques ou esthĂ©tiques. Par exemple, les Romains nous ont aidĂ©s Ă  introduire, planter et maĂźtriser les chĂątaigniers afin de pouvoir fabriquer de la farine Ă  partir de leurs fruits. Les pommiers ont Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©s au NĂ©olithique Ă  partir de l’Asie centrale. La plupart de nos cĂ©rĂ©ales proviennent du Croissant fertile, cette rĂ©gion Ă  l’est de la MĂ©diterranĂ©e, au Proche et Moyen-Orient. Puis, au fil de nos explorations de l’AmĂ©rique, nous avons rapportĂ© des tomates, des courgettes, des pommes de terre, du maĂŻs ou des ragondins. MĂȘme nos vaches sont issues de bovins sauvages, les aurochs, croisĂ©s et Ă©levĂ©s il y a 8 000 ans au Moyen-Orient pour devenir l’animal que nous connaissons. Les huĂźtres Ă©levĂ©es Ă  Arcachon ou ailleurs sont issues d’huĂźtres importĂ©es d’Asie au siĂšcle dernier pour remplacer d’autres huĂźtres asiatiques, qui elles-mĂȘmes avaient remplacĂ© les huĂźtres locales, surexploitĂ©es et mortes de maladies. Plus Ă©tonnant, la vigne vient du Caucase et le coq, emblĂšme de la France, est issu de coqs dorĂ©s domestiquĂ©s Ă  partir de l’Asie du Sud-Est. Le robinier faux-acacia, la jussie, le buddleia et la renouĂ©e du Japon ont Ă©tĂ© introduits pour la beautĂ© de leur feuillage et de leurs fleurs. Beaucoup d’animaux ont Ă©tĂ© acclimatĂ©s pour leur chair, leur peau, leurs plumes ou leur fourrure, comme les cygnes tuberculĂ©s, les ragondins ou les visons d’AmĂ©rique. Pour le plaisir de la chasse, nous avons Ă©galement introduit des mouflons originaires d’Asie, des lapins ibĂ©riques et des faisans de Colchide, et environ 30 % des poissons d’eau douce sont des exotiques introduits pour la pĂȘche ou Ă©chappĂ©s de bassins d’ornement.

Accidents

Bien d’autres ĂȘtres vivants se sont introduits par accident et contre notre grĂ©, principalement via nos transports terrestres, maritimes ou aĂ©riens. C’est le cas des souris, rats et blattes

← AccusĂ© d’occasionner des dĂ©gĂąts, le ragondin (Myocastor coypus) fait l’objet d’une lutte organisĂ©e.

© Photo blickwinkel / Alamy banque d’images.

L’atelier du monument

Clemenceau, Ă  Ougnette (Sainte-Hermine).

De gauche Ă  droite : Italo Santelli, Agostino Stagetti (?), Giuseppe Santelli, Virgile Magliari. D’aprĂšs un nĂ©gatif sur plaque de verre.

Coll. arch. dép.de Vendée, 83Fi3/3.

Des tailleurs de pierre italiens Ă  Sainte-Hermine

Le chantier du monument Clemenceau bĂ©nĂ©ficia du savoir-faire de tailleurs de pierre venus d’Italie, une expĂ©rience dont ils furent fiers et qui s’avĂ©ra dĂ©cisive lorsque deux d’entre eux sollicitĂšrent la nationalitĂ© française.

Le monument Clemenceau de Sainte-Hermine, carte postale. Coll. arch. dép. de Vendée, 1 Num 59 3/223-1.

1. Voir Éric Sergent, « Les praticiens et leurs ateliers. Des intermĂ©diaires mĂ©connus de la sculpture Ă  Paris au xixe siĂšcle », Histoire de l’art, no 93, juin 2024, p. 151-160.

2. Voir Barbara Musetti, « Praticiens italiens en France au tournant du siĂšcle. PhĂ©nomĂšne artistique, phĂ©nomĂšne social », Histoire de l’art du xixe siĂšcle (18481914). Bilans et perspectives, Actes du colloque École du Louvre-MusĂ©e d’Orsay, 13-15 septembre 2007, p. 83-89.

3. Voir André Bujeaud, Le monument Clemenceau de Sainte-Hermine (Vendée) : son histoire, Association Histoire et Patrimoine du Pays de Sainte-Hermine, 2022, et Christophe Vital, « Avec ses poilus à SainteHermine », Clemenceau et les artistes modernes : Manet, Monet, Rodin, Les Lucs-sur-Boulogne, Historial de la Vendée, 2013-2014, p. 206-209.

4. Recensement de Malakoff, 1911 (Archives départementales [ensuite AD] des Hauts-de-Seine, 1D_NUM_MAL 1911).

5. Commandé en 1908, il fut en place de 1911 à 1934 puis transféré aux Andelys, ville natale de Poussin (Anne Pingeot et GeneviÚve BrescBautier, Sculptures des jardins du Louvre, du Carrousel et des Tuileries, Paris, Réunion des musées nationaux, 1986, vol. II, p. 8).

6. Recensement de Malakoff, 1921 (AD Hauts-de-Seine, 1D_NUM_MAL_1921).

7. Archives nationales [ensuite AN], F21/4879 A.

Longtemps restĂ©e dans l’ombre d’artistes cĂ©lĂšbres, la figure du sculpteur praticien est dĂ©sormais mieux connue 1. Si certains ont produit une Ɠuvre personnelle tout en travaillant pour des artistes de renom (Jules Desbois, Ernest Nivet), la plupart ont laissĂ© peu de traces, leur carriĂšre s’étant limitĂ©e Ă  traduire dans la matiĂšre les Ɠuvres des maĂźtres. C’est le cas des tailleurs de pierre italiens (scalpellini) venus en France, oĂč les chantiers Ă©taient nombreux et leur savoirfaire reconnu 2. Les plus chanceux ont collaborĂ© Ă  des Ɠuvres prestigieuses, comme Virgile Magliari (1872-1935), qui assista François Sicard (1862-1934) sur le chantier du monument Clemenceau Ă  SainteHermine 3 . Pour Magliari, comme pour Italo Santelli, l’expĂ©rience vendĂ©enne fut une Ă©tape dans leur parcours d’intĂ©gration.

Entre Rome et Paris

Virgile Magliari est nĂ© le 31 juillet 1872 Ă  Goriano Sicoli, dans la province de l’Aquila (Abruzzes). Ayant perdu son pĂšre trĂšs tĂŽt et en dĂ©pit d’un contexte Ă©conomique et politique tendu qui affectait aussi le milieu de la sculpture, Virgile part tenter sa chance en France. En 1892, il s’installe Ă  Paris, dans le quartier de Plaisance, tout en fondant une famille en Italie (le 18 juillet 1897, il Ă©pouse Ă  Rome Vittoria Baietti, nĂ©e le 29 mars 1879 ; leur fille HĂ©lĂšne naĂźt le 23 janvier 1899).

À Rome, il a sans doute rencontrĂ© François Sicard et Constant-Ambroise Roux (1865-1929), pensionnaires Ă  la Villa MĂ©dicis, qu’il retrouvera en France. Les Magliari quittent dĂ©finitivement l’Italie au dĂ©but du

siĂšcle ; en 1906, ils s’installent Ă  Malakoff, commune de 15 000 habitants qui compte de nombreux artistes. EmployĂ© par Roux, qui partage sa vie entre Marseille et Paris 4, Magliari est chargĂ© en 1910 du monument Ă  Nicolas Poussin, destinĂ© Ă  la cour du Carrousel du Louvre 5 . À une date inconnue, il rejoint l’atelier de Sicard 6. Les deux hommes travaillaient probablement dĂ©jĂ  ensemble en dĂ©cembre 1918, lorsque Sicard est choisi par Clemenceau pour le monument de Sainte-Hermine.

Vers une reconnaissance professionnelle


Chef d’équipe, Magliari organise le chantier, rĂ©ceptionne les matĂ©riaux et dirige les autres praticiens, appelĂ©s « ouvriers ». Le coĂ»t de la main-d’Ɠuvre ayant doublĂ© depuis la guerre, les 75 000 francs de la souscription s’avĂšrent insuffisants. Le 4 juin 1919, Sicard adresse au ministre de l’Instruction publique un compte prĂ©cis des dĂ©penses Ă  prĂ©voir 7 : mise au point et pratique : 60 000 francs ; modĂšle en terre composĂ© de sept figures : 30 000 francs ; fourniture de la pierre : 20 000 francs ; transport : 10 000 francs ; architecture, socle et soubassement : 15 000 francs ; mise en place des pierres : 5 000 francs. On voit que la mise au point et la taille de la pierre, deux tĂąches revenant aux praticiens, sont en premiĂšre ligne. (Si la pratique proprement dite dĂ©signe la taille de la pierre, beaucoup de praticiens Ă©taient Ă©galement metteurs au point.)

Saisonniers venus d’ailleurs

Dans les exploitations agricoles de la rĂ©gion, les travailleurs Ă©trangers constituent une part importante de la main-d’Ɠuvre, surtout Ă  la haute saison.

« Quand les tomates poussent, on ne peut pas attendre, il faut des hommes et des femmes pour les ramasser », explique Anthony Lafage, coassociĂ© avec son Ă©pouse AnaĂŻs des Serres du Frety, basĂ©es Ă  Pont-Saint-Martin en Loire-Atlantique. Sur l’exploitation, il embauche Ă  l’annĂ©e un peu moins de cinquante ETP (Équivalent Temps plein) et jusqu’à quatre-vingts pendant la haute saison estivale : « Sur l’ensemble des personnes qui travaillent chez nous, on compte quinze nationalitĂ©s diffĂ©rentes et cinq religions ! » poursuit Anthony. Le travail se dĂ©roule soit sous serre, Ă  la rĂ©colte des tomates cerises, soit dans l’atelier de conditionnement. C’est devant le tapis de tri sur lequel s’alignent des tomates de toutes les couleurs que nous croisons Marina et sa fille, Anna, arrivĂ©es d’Ukraine en mai 2022. La famille, logĂ©e dans la commune de Pont-Saint-Martin, est venue frapper Ă  la porte d’Anthony pour trouver du travail quelques semaines aprĂšs son arrivĂ©e. Sur l’exploitation, les profils des travailleurs migrants sont variĂ©s : il y a des travailleurs europĂ©ens, dits « communautaires » et qui peuvent donc travailler en France avec une simple carte d’identitĂ© (des Espagnols, des Portugais) ; des EuropĂ©ens hors Union EuropĂ©enne (dont quelques Ukrainiens arrivĂ©s rĂ©cemment) ou des Africains installĂ©s en France avec un titre de sĂ©jour leur accordant le droit de travailler (notamment des GuinĂ©ens).

Anthony Lafage s’adjoint Ă©galement les services de FM recrutement, un cabinet spĂ©cialisĂ© dans les mĂ©tiers en tension qui organise la venue de travailleurs marocains autorisĂ©s Ă  travailler six mois en France : cinq d’entre eux, agriculteurs de mĂ©tier dans leur pays, travaillent ainsi actuellement aux Serres du Frety, Ă  l’image de Mohamed, originaire d’Errachidia, qui a la charge de travailler la plante, juchĂ© sur son chariot Ă©lĂ©vateur.

« Si je n’embauchais pas ces travailleurs Ă©trangers, je ne pourrais pas faire tourner l’exploitation, et d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, on ne pourrait produire ni vin, ni fruits ou lĂ©gumes, ni muguet ! » poursuit Anthony Lafage. C’est en effet dans toute la rĂ©gion nantaise, dans le vignoble comme dans les exploitations maraĂźchĂšres, que la main-d’Ɠuvre Ă©trangĂšre est devenue indispensable :

« C’est une tendance forte depuis une dizaine d’annĂ©es, mais cela s’est vraiment accĂ©lĂ©rĂ© depuis la Covid, explique Émilie Cheminant-Guillard, associĂ©e dans le groupe Cheminant, producteur de tomates Ă  Carquefou et responsable de la commission sociale au sein de la FĂ©dĂ©ration des maraĂźchers nantais. Aujourd’hui, sur les quelque trois mille saisonniers que nous recrutons chaque annĂ©e, sur des contrats qui s’étalent gĂ©nĂ©ralement entre un et huit mois en fonction du type de production, on compte environ 30 % de Français, 40 % d’EuropĂ©ens communautaires (Roumains, Bulgares, Polonais) et 30 % d’étrangers hors Europe avec un titre de sĂ©jour en rĂšgle et une autorisation de travailler en France. Pour les emplois en CDI, environ deux mille cinq cents sur le bassin nantais, la proportion s’inverse. »

Le recrutement se dĂ©roule gĂ©nĂ©ralement soit via le bouche Ă  oreille, soit par le recours Ă  des associations spĂ©cialisĂ©es, comme Job4mi, une association nantaise qui sert d’intermĂ©diaire entre des exploitants agricoles et des demandeurs d’asile ou des rĂ©fugiĂ©s : « Pour les employeurs, l’enjeu est de sĂ©curiser la question de la rĂ©gularitĂ© des papiers des personnes qu’ils emploient. Au sein de l’association, on fait un vrai travail d’accompagnement des migrants, on vĂ©rifie le dossier administratif, on les rencontre plusieurs fois et on les accompagne sur l’exploitation », explique Titoun Lavenier, bĂ©nĂ©vole chez Job4mi en charge du secteur agricole. Au total,

← Fatou, d’origine guinĂ©enne, qui vit Ă  Malakoff Ă  Nantes, a enchaĂźnĂ© depuis son arrivĂ©e en France les petits boulots dans l’aide Ă  domicile, le nettoyage et le maraĂźchage. Elle fait la cueillette des tomates cerises aux Serres du Frety, Pont-Saint-Martin (Loire-Atlantique).

© Photos Armandine Penna.

Dans les coulisses d’une palette

Elle paraĂźt banale et sans histoire. Elle est en rĂ©alitĂ© au croisement d’enjeux financiers, Ă©cologiques et sociaux. Voyage Ă  bord d’une palette, tĂ©moin privilĂ©giĂ© de nos consommations et de leur Ă©volution.

Ce jour de mai 2017, en pleine campagne lĂ©gislative, le dĂ©putĂ© socialiste sortant Jean-Christophe CambadĂ©lis tient meeting debout sur une palette en bois. La scĂšne, Ă  l’angle de deux rues du 19e arrondissement de Paris, se rĂ©sume Ă  une enceinte, un micro, quelques badauds
 et ce support, donc, de couleur rouge. AllĂ©gorie d’un printemps rĂ©volutionnaire ? Tentative de revivifier la rose socialiste, ternie par cinq ans de pouvoir ? Pour les internautes, ce fut ni plus ni moins que le symbole d’un naufrage. En quelques mĂšmes, ils en firent voir de toutes les couleurs Ă  cet ancien syndicaliste. CambadĂ©lis transformĂ© en Ɠuvre d’art contemporain, tutoyant le Titanic, raillĂ© tel le radeau de la MĂ©duse au milieu d’un ocĂ©an dĂ©chaĂźnĂ©, mendiant guitare en bandouliĂšre sur une parodie de Trust – « Antisocialiste, tu perds ton sang-froid ». CambadĂ©lis
 en pleine dĂ©route. EmportĂ© dĂšs le premier tour de l’élection, celui qui Ă©tait alors premier secrĂ©taire du Parti socialiste n’obtint pas mĂȘme 10 % des suffrages. La palette, elle, eut son quart d’heure de gloire. Une balade virtuelle assez peu Ă©loignĂ©e, en somme, des milliers de kilomĂštres qu’elle peut parcourir chaque jour. Dans l’ombre


De l’AmĂ©rique Ă  l’Europe

Un plateau soutenu par ce que l’on appelle dans le jargon des « skis », des cales, des clous


La palette est en apparence d’une banalitĂ© confondante. Elle est pourtant l’élĂ©ment central de nos sociĂ©tĂ©s de consommation. L’immense majoritĂ© des produits – entre 80 et 95 % selon les sources – transite aujourd’hui sur ces supports. Sans eux, les chaĂźnes d’approvisionnement cesseraient, mettant Ă  l’arrĂȘt la plupart des activitĂ©s industrielles. Sauf Ă  charger les colis en vrac, un Ă  un, rien ou presque ne se stockerait, ne se transporterait ni ne se consommerait. ScrutĂ©e de prĂšs, la gestion d’une palette est une science, qui revĂȘt des enjeux financiers, Ă©cologiques et sociaux colossaux.

Le voyage commence aux États-Unis. Si des modĂšles rudimentaires sont utilisĂ©s dĂšs la fin du xix e  siĂšcle, c’est en 1939 que les premiĂšres palettes sont brevetĂ©es outre-Atlantique. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’armĂ©e amĂ©ricaine les utilise sur les zones de conflit pour acheminer les vivres et le matĂ©riel d’armement. Elle contribue ainsi Ă  populariser ce qui s’annonce comme une vĂ©ritable rĂ©volution dans le monde de la logistique. Un succĂšs jamais dĂ©menti jusqu’à aujourd’hui. Seule la gamme s’est Ă©toffĂ©e, selon les besoins des industries : palette CP pour la chimie, VMF pour la verrerie, amĂ©ricaine pour le grand format
 Toutes ou presque en bois, mĂȘme si le plastique et surtout le carton se taillent une part du marchĂ©. En tĂ©moigne l’inauguration, au printemps 2024, d’une unitĂ© de production de palettes en carton Ă  La ChevroliĂšre, prĂšs de Nantes. La sociĂ©tĂ© DS Smith ouvrait alors son troisiĂšme site dĂ©diĂ© en France, sĂ»re d’avoir une carte Ă  jouer avec un produit qui, malgrĂ© sa moindre rĂ©sistance, est plus Ă©conomique et lĂ©ger. Un atout lorsqu’on sait qu’une fois chargĂ©es les palettes en bois peuvent reprĂ©senter le tiers du poids d’un camion de douze tonnes : quatre tonnes de bois et
 huit cents kilos de clous.

←

Empilage de palettes aux Coteaux Nantais, vergers bio et demeter.

© Photo Sylvain Bonniol.

250 000 milliards de bits sous les mers

C’est Ă  Saint-Hilaire-de-Riez, en VendĂ©e, que l’un des cĂąbles sous-marins de tĂ©lĂ©communication les plus puissants au monde est raccordĂ© au continent europĂ©en. Il

s’agit d’un Ă©lĂ©ment majeur de l’infrastructure globale d’Internet.

Sur la plage, rien ne se laisse deviner, ni au sol, ni ailleurs aux alentours. Par beau temps, si l’air est clair, on distingue bien l’üle d’Yeu Ă  l’horizon, et en regardant vers le nord on repĂšre les aplats blancs des immeubles des Becs. Vers le sud, c’est le fond de la baie de Sion-sur-l’OcĂ©an qui arrĂȘte le regard sur le littoral. En face de soi, surtout, on a l’ocĂ©an qui se rĂ©pand comme une immense masse mouvante oĂč toute la matiĂšre semble se fondre, et Ă  travers quoi rien ne transparaĂźt. C’est lĂ  pourtant qu’un des cĂąbles de communication les plus puissants au monde atteint le continent europĂ©en, aprĂšs avoir traversĂ© tout l’ocĂ©an Atlantique depuis Virginia Beach, sur la cĂŽte est des États-Unis, Ă  6 600 kilomĂštres de lĂ . On s’imagine qu’une infrastructure majeure Ă  l’échelle mondiale doit se matĂ©rialiser par d’énormes volumes architecturaux, vastes comme plusieurs centrales nuclĂ©aires ou longs comme une sĂ©rie de viaducs de Millau, mais ici rien n’est perceptible : l’infrastructure est certes longue de 6 600 kilomĂštres mais son diamĂštre ne compte que quelques centimĂštres, elle est entiĂšrement posĂ©e au fond de l’ocĂ©an et enterrĂ©e aux deux extrĂ©mitĂ©s cĂŽtiĂšres.

C’est le 13 mars 2020 que le cĂąble, dĂ©ployĂ© par Google, a Ă©tĂ© raccordĂ© au continent europĂ©en 1 Un grand navire qui le dĂ©posait petit Ă  petit au fond de l’ocĂ©an depuis le rivage amĂ©ricain s’est arrĂȘtĂ© prĂšs de la cĂŽte de Saint-Hilaire-de-Riez, et son extrĂ©mitĂ© a Ă©tĂ© remorquĂ©e jusqu’à la plage de la ParĂ©e PrĂ©neau. LĂ , le sable a Ă©tĂ© creusĂ© pour que le cĂąble atteigne une ancienne station tĂ©lĂ©phonique – souterraine, blindĂ©e et reconvertie pour l’occasion – oĂč il a Ă©tĂ© physiquement branchĂ© au rĂ©seau terrestre de fibre optique avant sa mise en service effective, opĂ©rĂ©e en septembre 2020. Ce cĂąble de transmission de donnĂ©es numĂ©riques, que Google a nommĂ© « Dunant », en hommage Ă  Henry Dunant (fondateur franco-suisse de la Croix-Rouge et prix Nobel de la paix en 1901), est au moment de sa mise en service le plus puissant au monde, avec un dĂ©bit de 250 tĂ©rabits par seconde (250 Tbit/s) 2 – plusieurs articles de presse s’amusant Ă  relever qu’une telle puissance permet de tĂ©lĂ©charger trois fois par seconde l’intĂ©gralitĂ© du contenu des collections de la bibliothĂšque amĂ©ricaine du CongrĂšs, qui comprend plus de cent cinquante millions de documents 3. Il est le premier d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration de cĂąbles de fibre optique, employant une technique dite SDM (pour Space-Division Multiplexing), accroissant considĂ©rablement le dĂ©bit des donnĂ©es transmises – à titre de comparaison, le cĂąble AEC-1, raccordĂ© en 2016 entre l’État de New York et l’Irlande, disposait d’un dĂ©bit initial de 40 Tbit/s, et Apollo, qui relie depuis 2003 les États de New York et du New Jersey Ă  Lannion (CĂŽtes-d’Armor) et Ă  Bude (Angleterre), est dotĂ© d’un dĂ©bit de 3,2 Tbit/s 4. Dunant a du reste Ă©tĂ© dĂ©trĂŽnĂ© au palmarĂšs des cĂąbles sous-marins les plus puissants par deux nouveaux cĂąbles transatlantiques, eux aussi mis en service par les GAFAM en 2022 et 2023 5 L’histoire des cĂąbles sous-marins est presque aussi ancienne que celle des techniques de communication par cĂąble, Ă  commencer par le tĂ©lĂ©graphe (qui transmet des messages Ă©crits par impulsions Ă©lectriques en employant un code tel que le Morse). Elle dĂ©bute au milieu du xixe siĂšcle, d’abord sur de courtes distances, par exemple entre Douvres et Calais en 1850

1. Pierre ManiĂšre, « L’ultrapuissant cĂąble sous-marin Dunant est arrivĂ© en VendĂ©e », La Tribune, 13 mars 2020.

2. Un tĂ©rabit correspond Ă  mille milliards de bits (le bit Ă©tant en informatique l’unitĂ© de mesure de base de la quantitĂ© d’informations).

3. C’est par exemple relevĂ© dans l’article « Power beneath the surface » de Guy Matthews, mis en ligne le 3 dĂ©cembre 2019 sur le site de Capacity Media.

4. Ces chiffres peuvent ĂȘtre trouvĂ©s sur des sites de passionnĂ©s d’histoire des cĂąbles sous-marins, comme History of the Atlantic Cable & Undersea Communication, de Bill Burns, dit « The Cable Guy ».

5. GAFAM est l’acronyme de « Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft », par lequel on dĂ©signe communĂ©ment les plus grosses entreprises mondiales du numĂ©rique.

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.