

HABITER LES FAUBOURGS ET LES BANLIEUES
NOUVELLES APPROCHES CROISĂES
16-17 NOVEMBRE 2023
LE MANS, AUDITORIUM DU MUSĂE JEAN-CLAUDE
BOULARD-CARRĂ PLANTAGENĂT
SOUS LA DIRECTION DE MURIEL COHEN ET MARIE FEREY
ACTES
DU COLLOQUE
HABITER LES FAUBOURGS
ET LES BANLIEUES
NOUVELLES APPROCHES CROISĂES
16-17 novembre 2023
Le Mans, auditorium du musĂ©e Jean-Claude BoulardCarré PlantagenĂȘt
INTRODUCTION
Vivre dans les faubourgs et les banlieues : du territoire aux habitants â 6
Muriel Cohen et Marie Ferey
FABRIQUER LES PĂRIPHĂRIES
Par-delĂ faubourg et banlieue : vers une histoire dĂ©cloisonnĂ©e de lâhabitat des campagnes textiles de la France du Nord (fin xviiie-dĂ©but xxe siĂšcle) â 28 Hessam Khorasani Zadeh
Formes urbaines des boulevards de Clermont-Ferrand (1880-1940) : reflets dâinterventions collectives et individuelles â 46 FĂ©licie FougĂšre
Une banlieue « dâart modeste et dâhistoires simples » : aux origines de la Maison de Banlieue dâAthisMons (1977-2001) â 66
Romane Carballo
Le dĂ©sir de maison individuelle et son effacement en Union soviĂ©tique. Riga, annĂ©es 1960 â 86
Eric Le Bourhis
MĂ©tropolisation et recompositions des anciens faubourgs coloniaux de la ville dâOran â 108 Badreddine Yousfi et Imen Bensalah
HABITANTS DANS LEUR LOGEMENT
Le modĂšle Levitt : de la suburbia amĂ©ricaine aux pĂ©riurbains aisĂ©s dâĂle-de-France â 130 Ălodie Bitsindou
Vu de lâintĂ©rieur : expĂ©riences et rĂ©cits dâhabitants de grands ensembles dans la seconde moitiĂ© du xxe siĂšcle â 152
Matthias Millon
Habiter la Zone. Statut dâun territoire et pratiques habitantes, Paris-banlieue, 1900-1960 â 172
Isabelle Backouche
Dapu , les pratiques du logement des travailleurs migrants chinois en banlieue parisienne.
Le cas de Bagnolet â 198 Juan Du
Du cabanon au TĂ©trodon : trois corpus photographiques du MusĂ©e national de lâhistoire de lâimmigration â 218 HĂ©lĂšne Bocard
Patrimonialiser par lâhabiter ?
Le musĂ©e des Gratte-Ciel de Villeurbanne â 236 AliĂ©nor Wagner-CoubĂšs
VIE DE QUARTIER : COMMUNAUTĂ ET CONFLITS
Habiter les faubourgs lucquois Ă la fin du Moyen Ăge â 258
Diane Chamboduc de Saint Pulgent
Les femmes du faubourg : saisir le genre de lâhabiter mĂ©diĂ©val Ă travers la criminalitĂ© sexuelle dĂ©noncĂ©e Ă Dijon au xve siĂšcle â 276 MaĂ«liss Nouvel
Le territoire des Ă©motions populaires. Les faubourgs du Mans au xixe siĂšcle â 298 Karl Zimmer
De lâentre-soi europĂ©en aux violences coloniales ? Deux faubourgs de Guelma et dâAlger, deux pĂŽles de la rĂ©affirmation coloniale (1945-1962) â 318 Thierry GuillopĂ©
Habiter en banlieue rouge, un idĂ©al vu par⊠le PCF â 334 Julie Cazenave et Danielle Tartakowsky
Chante-Coucou. La fabrique dâun documentaire entre histoire et mĂ©moire â 356 Yann Launay
TABLE RONDE
Banlieues et musĂ©es : enjeux de patrimonialisation, de valorisation et de mĂ©diation â 376 GaĂŻd Andro, Jacques Bonniel, Julie Bouillet, Anne-Laure Chambaz, AurĂ©lien Fayet
CONCLUSION
« Habiter les faubourgs et les banlieues » : une histoire du temps prĂ©sent â 396 Emmanuel Bellanger


Centre commercial des Sablons vers 1970, Le Mans. © Ville du Mans.
VIVRE DANS LES FAUBOURGS ET LES BANLIEUESâ: DU TERRITOIRE
AUX HABITANTS
MURIEL COHEN
MaĂźtresse de confĂ©rences en histoire contemporaine Ă Le Mans UniversitĂ©, laboratoire TEMOS, membre de lâAMuLoP
MARIE FEREY
Chercheuse Ă lâInventaire gĂ©nĂ©ral, service Patrimoine, RĂ©gion Pays de la Loire
Ă lâorigine de cet ouvrage se trouve le colloque «âHabiter les faubourgs et banlieues de la fin du Moyen Ăge Ă aujourdâhui. Nouvelles approches croisĂ©es sciences sociales, patrimoine et mĂ©diationâ», qui sâadossait Ă lâexposition «âMĂ©canique dâune ville, les faubourgs du Mansâ» au musĂ©e Jean-Claude Boulard-CarrĂ© PlantagenĂȘt. Cette exposition visait Ă restituer les rĂ©sultats dâune Ă©tude menĂ©e par lâInventaire gĂ©nĂ©ral du patrimoine de 2017 Ă 2023 sur les faubourgs manceaux, particuliĂšrement centrĂ©e sur lâhabitat. Ces trois dispositifs (Ă©tude dâinventaire, exposition, colloque) ont permis dâaborder lâhistoire des faubourgs et banlieues avec des approches complĂ©mentairesâ: patrimoine, mĂ©diation et sciences sociales. Ils ont ainsi conduit Ă faire dialoguer des acteurs qui ne sont pas toujours habituĂ©s Ă travailler ensemble et donc Ă confronter leurs mĂ©thodes propres et leurs regards sur ces espaces. Le sujet des banlieues, objet brĂ»lant qui oblige chacun Ă sâinterroger sur la maniĂšre dâen parler au mieux, sây prĂȘte sans doute particuliĂšrement.
Créé en 1964 par AndrĂ© Malraux, lâInventaire gĂ©nĂ©ral sâest dâabord intĂ©ressĂ© Ă lâanalyse des zones rurales considĂ©rĂ©es comme plus menacĂ©es que les villes par les mutations territoriales de lâaprĂšs-guerre. LâInventaire gĂ©nĂ©ral ne sâest tournĂ© vers lâĂ©tude des villes quâĂ partir des annĂ©es 19801. Ces premiĂšres Ă©tudes urbaines menĂ©es par lâInventaire nĂ©cessitent une adaptation mĂ©thodologique et ne se concentrent que sur les centres urbains. Il fallut attendre lâĂ©tude sur Rennes publiĂ©e en 2004 pour observer une approche systĂ©mique de la ville et un travail complet sur «âles formes de lâextension urbaineâ» et «âle rĂŽle du lotissement dans la dĂ©finition des pĂ©riphĂ©riesâ». Lâouvrage Divers/CitĂ©sâ: les grands ensembles, Bourgogne et Chalon-sur-SaĂŽne paru en 2019 constitue un tournant dans les thĂ©matiques Ă©tudiĂ©es et valorisĂ©esâ: le grand ensemble faisait son entrĂ©e Ă lâInventaire gĂ©nĂ©ral. LâĂ©tude sur Le Mans se veut pionniĂšre en ce que le territoire Ă©tudiĂ© est exclusivement celui de la pĂ©riphĂ©rie2. Cette inflexion de la part de lâInventaire est notamment rĂ©vĂ©latrice dâun changement de regard des professionnels du patrimoine sur lâhabitat ordinaire.

PAR-DELĂ FAUBOURG ET BANLIEUE : VERS UNE HISTOIRE DĂCLOISONNĂE DE LâHABITAT DES CAMPAGNES
TEXTILES DE LA
FRANCE DU NORD
(FIN XVIIIE-DĂBUT
XXE SIĂCLE)
HESSAM KHORASANI ZADEH Architecte
Docteur en histoire (EHESS) et en urbanisme (IUAV)
MaĂźtre de confĂ©rences associĂ© Ă lâENSAP de Lille et chercheur au laboratoire Territoires, villes, environnement et sociĂ©tĂ© (TVES)
Plaine de la Lys, fragment de campagnes du lin « de gros » vers 1825 (extrait de la carte dâĂtatmajor). © IGN.
Faubourg et banlieue ont, depuis longtemps, dĂ©signĂ© des espaces situĂ©s Ă lâextĂ©rieur des limites administratives ou des enceintes fortifiĂ©es des villes. Les deux mots ne se rĂ©fĂšrent pas aux mĂȘmes territoires et ne renseignent pas ces derniers de la mĂȘme maniĂšre. Le mot faubourg qualifie, presque toujours, un habitat agglomĂ©rĂ© â le long des voies de communication et en pĂ©riphĂ©rie immĂ©diate des villes â que lâon peut a priori circonscrireâ; il dĂ©signe de ce fait un stade initial de dĂ©bordement de la ville sur la campagne et nâest que rarement utilisĂ© dans le contexte dâune urbanisation avancĂ©e et massive. Le mot banlieue est moins prĂ©cis que le mot faubourg quant Ă la morphologie, lâĂ©tendue gĂ©ographique et la chronologie de lâurbanisation de lâespace dĂ©signĂ©1â; il se rĂ©fĂšre Ă une rĂ©alitĂ© sociospatiale plus large qui peut, toutefois, contenir le phĂ©nomĂšne faubourien et Ă©voque toujours une dĂ©pendance fonctionnelle et symbolique de lâespace pĂ©riphĂ©rique caractĂ©risĂ© en tant que tel vis-Ă -vis dâune ville centre2. Lâusage de ce terme peut donc se rĂ©vĂ©ler problĂ©matique lorsquâune distinction nette entre un centre, dâun cĂŽtĂ©, et une pĂ©riphĂ©rie, de lâautre cĂŽtĂ©, nâest pas possible.
Parmi les diffĂ©rentes configurations sociospatiales qui posent ce type de difficultĂ©, on pourrait citer de nombreuses rĂ©gions de lâEurope proto-industrielle de la fin du xviiie siĂšcle et du dĂ©but du xixe siĂšcle caractĂ©risĂ©es par lâabsence de grandes villes et la prĂ©sence, au contraire, dâun tissu, souvent dense, de moyennes et petites villes, ainsi que de bourgs et villages agroindustriels. DĂšs le dĂ©but du xix e siĂšcle, la concentration des activitĂ©s industrielles dans des manufactures situĂ©es dans et Ă proximitĂ© dâun certain nombre de ces moyennes et petites villes a contribuĂ© Ă une polarisation du territoire et, dans une certaine mesure, Ă lâĂ©mergence de grandes villes. Toutefois, mĂȘme Ă lâissue de ces transformations, lorsque les bourgs et les villages densĂ©ment habitĂ©s se seraient en partie vidĂ©s de leurs habitants et que les hiĂ©rarchies entre les villes se seraient fortement modifiĂ©es, il est souvent difficile, pour ces territoires, de distinguer une ville de sa banlieue, câest-Ă -dire un centre et une pĂ©riphĂ©rie.
En prenant lâexemple du dĂ©partement français du Nord, assez reprĂ©sentatif de territoires dĂ©crits plus haut, je tĂącherai de souligner lâintĂ©rĂȘt et les limites du recours aux catĂ©gories de banlieue et de faubourg pour y dĂ©crire le fait urbain. Pour cela, je mâintĂ©resserai Ă la fois au second mouvement de son industrialisation, celui de la concentration industrielle qui engendre lâĂ©mergence des faubourgs et banlieues denses du xix e siĂšcle, et au premier, celui de la proto-industrialisation, dont les consĂ©quences ont Ă©tĂ© davantage Ă©tudiĂ©es par les historiens de lâĂ©conomie que dans le champ de lâhistoire urbaine. Si le deuxiĂšme mouvement marque lâĂ©mergence de la grande ville et prĂ©figure la mĂ©tropole, mon hypothĂšse est que le premier peut ĂȘtre lu comme une diffusion, dans les territoires ruraux, non pas seulement de lâindustrie, mais de la ville et de lâ urbanitĂ© . Embrasser lâensemble des transformations territoriales liĂ©es aux activitĂ©s industrielles prĂ©sentes sur un espace aussi vaste Ă©tant impossible, lâanalyse sâappuiera uniquement sur lâactivitĂ© textile, grĂące Ă une revue de la littĂ©rature 3 et Ă des enquĂȘtes menĂ©es sur plusieurs communes4.
UNE LECTURE DU TERRITOIRE Ă PARTIR DE FILIĂRES TEXTILES
La prĂ©sence de lâactivitĂ© textile dans les campagnes dâun large territoire allant de la Somme Ă la Flandre est attestĂ©e dĂšs le Moyen Ăge, et ce malgrĂ© les mesures mises en place par les villes pour dĂ©fendre leurs privilĂšges. Les historiens sâaccordent sur le fait que lâarrĂȘtĂ© du Conseil du Roi de 1762, qui autorise lâinstallation

FORMES URBAINES DES BOULEVARDS DE CLERMONTFERRAND (1880-1940)â: REFLETS
DâINTERVENTIONS COLLECTIVES ET INDIVIDUELLES
FĂLICIE FOUGĂRE
Conservatrice du patrimoine
Responsable de lâunitĂ© Ressources, chercheuse, service Inventaire du Patrimoine culturel de la rĂ©gion Auvergne-RhĂŽne-Alpes
Façade de lâimmeuble no 24 avenue dâItalie, Clermont-Ferrand.
© Christian Parisey / Région Auvergne-RhÎneAlpes, Inventaire général du Patrimoine culturel.
LâInventaire gĂ©nĂ©ral a pour mission de recenser, Ă©tudier et faire connaĂźtre le patrimoine culturel. Au cours de la soixantaine dâannĂ©es de son existence, il a vu son spectre dâinvestigation sâĂ©largir et sâĂ©toffer.
Ainsi, il a peu à peu incorporé les problématiques des études urbaines à ses principes et méthodes. Cet article présente une de ces études qui investit, de façon topographique, un élément important dans la constitution de la ville de Clermont-
Ferrandâ: les boulevards de ceinture. Conçus Ă lâorigine comme un moyen de tracer depuis la gare une promenade de tour de ville, ces boulevards sâouvrent, entre la fin du xix e siĂšcle et les annĂ©es 1930, dans un espace faubourien Ă caractĂšre agricole ou industriel quâils contribueront Ă urbaniser. Ainsi, cette recherche interroge le processus de constitution du tissu urbain. Comment et par qui la ville, et en particulier la pĂ©riphĂ©rie urbaine, gagne-t-elle de lâampleurâ?
«âQuestionner la fabrique de la ville, câest focaliser lâattention sur des rĂ©alisations effectives, examiner plus attentivement non pas la ville faite ou Ă faire mais la ville en train de se faire1.â» Les «ârĂ©alisations effectivesâ» se prĂ©sentent au chercheur de lâInventaire dans toute la variĂ©tĂ© du rĂ©el. Quels sont alors les indices matĂ©riels ou morphologiques du processus de «âfabrique de la villeâ»â?
La dĂ©marche de MickaĂ«l Darin2 a servi de guide de lâenquĂȘteurâ:
le relevĂ© de ce quâil nomme les «âfausses notesâ» (pignons dâalignement3, murs aveugles, murs dâhĂ©berge4, renfoncements ou saillies5), ces irrĂ©gularitĂ©s du tissu urbain dont il fait lâĂ©loge, sont autant de tĂ©moins de la conception urbaine.
Nous verrons dans un premier temps comment lâouverture de cette ceinture de boulevards reflĂšte la tension ou la conjugaison entre lâaction collective et les actes individuels. Nous Ă©voquerons ensuite comment les observations de terrain peuvent renseigner le degrĂ© dâhomogĂ©nĂ©itĂ© du bĂąti en prenant en compte deux secteurs trĂšs diffĂ©rentsâ: lâun pour lequel lâinitiative individuelle est forte, lâautre oĂč se joue une contrainte collective contractuelle. Puis, nous nous livrerons Ă lâĂ©tude dâun cas dâidentitĂ© formelle ayant pour racine un enchaĂźnement dâinterventions isolĂ©es. Enfin, nous nous interrogerons sur lâĂ©volution du bĂąti lorsque la ville gagne les bordures et englobe ce qui, Ă lâorigine, constituait une pĂ©riphĂ©rie.
CHRONOLOGIE DE LâOUVERTURE DES BOULEVARDS DE CLERMONTâ: ALĂAS
DE LA GRANDE ET DE LA PETITE HISTOIRE
Les boulevards de Clermont-Ferrand dessinent un ovale rĂ©gulier enserrant la butte de Clermont, Ă©minence de nature volcanique, sur laquelle se dresse la vieille ville. Il ne sâagit pas de boulevards au sens strict dans la mesure oĂč ils nâont pas pris la place des anciennes fortifications, mais plutĂŽt dâune voie de contournement rendue nĂ©cessaire par le relief affectant le centreville. Si lâon se fie Ă leur tracĂ© rĂ©gulier, ces boulevards semblent issus dâune planification. Cependant, les archives ne recĂšlent aucun projet dâensemble figurĂ©. De plus, la restitution du phasage chronologique nous apprend que lâouverture de ces boulevards ne sâest pas faite en une progression rĂ©guliĂšre consistant Ă partir dâun point A pour y revenir en ayant franchi les Ă©tapes successives du tracĂ© circulaire. Lâouverture du boulevard Lavoisier, au nord de lâagglomĂ©ration, dĂ©bute dans les annĂ©es 1910. Des tronçons sont rĂ©alisĂ©s avant quâĂ©clate la PremiĂšre Guerre mondiale et il faudra

UNE BANLIEUE «âDâART MODESTE ET DâHISTOIRES SIMPLESâ»â: AUX ORIGINES DE LA MAISON DE BANLIEUE DâATHISMONS
(1977-2001)
ROMANE CARBALLO
Doctorante en histoire contemporaine, Centre dâhistoire sociale des mondes contemporains (CHS), UniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne
La Maison de Banlieue et de lâArchitecture dâAthisMons en 2014. © Pierre Poschadel / CC BY-SA 4.0.
Depuis 1999 la ville dâAthis-Mons, Ă 12 km au sud de Paris, est le siĂšge dâune Maison de Banlieue et de lâArchitecture qui propose des expositions, animations et parcours urbains autour de lâhistoire et du patrimoine banlieusards. Cependant pour comprendre la crĂ©ation de cette Maison, il faut remonter aux annĂ©es 1970 et balayer trente ans dâhistoire communale, durant lesquels les acteurs locaux sâintĂ©ressent prĂ©cocement Ă lâhistoire des habitants dâAthis-Mons et Ă des formes de logement populaire ayant moins dâun siĂšcle, en cherchant Ă les Ă©lever au rang dâun patrimoine qui serait typique de la banlieue. Par le biais de diverses «âopĂ©rationsâ» mĂȘlant recherche et exposition et dĂ©bouchant sur une structure pĂ©renne en 1999, câest donc un lent processus de lĂ©gitimation dâun patrimoine banlieusard «âdâart modeste et dâhistoires simples1â» qui se joue Ă Athis-Mons.
En effet Athis-Mons peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un cas dâĂ©cole du dĂ©veloppement de la banlieue parisienne, ayant accueilli sur son territoire les phases typiques de lâurbanisation banlieusarde2â:
â Athis et Mons sont deux villages de vignerons installĂ©s sur le coteau de la vallĂ©e de la Seine depuis le Moyen Ăge, et rĂ©unis en une seule commune en 1817.
â Au milieu du xixe siĂšcle, lâarrivĂ©e du chemin de fer couvre le coteau de maisons de villĂ©giature bourgeoises (phase 1).
â Dans lâentre-deux-guerres, une marĂ©e de lotissements pavillonnaires sâinstalle sur le plateau agricole (phase 2). La population de la commune est multipliĂ©e par cinq entre 1896 (2â000 habitants) et 1936 (11â000 habitants).
â Dans les annĂ©es 1960, des grands ensembles sont construits sur les espaces laissĂ©s libres par les lotissements (phase 3).
Cette diversitĂ© des formes de lâurbanisation communale nâĂ©chappe pas aux habitants. DĂšs les annĂ©es 1970, une suite dâ«âopĂ©rationsâ» historiques menĂ©es sur la commune sâintĂ©resse
au processus de formation de la banlieue. Lâusage du terme «âopĂ©rationâ» dĂ©signe ici la reprise dâune formule associant plusieurs Ă©tapes3â:
1 â Un accord entre une association culturelle nommĂ©e Athis-Animation et la mairie dâAthis-Mons autour dâun thĂšme.
2 â La collecte de tĂ©moignages et documents auprĂšs des habitants, associĂ©e Ă des recherches en archives.
3 â La restitution de ces informations dans une exposition accompagnĂ©e dâanimations culturelles.
4 â La pĂ©rennisation des rĂ©sultats dans une publication.
Ă partir de lâĂ©tude de trois
de
ces opĂ©rations, nous chercherons Ă comprendre lâorigine de cet
intĂ©rĂȘt prĂ©coce des acteurs locaux pour les «âhistoires simplesâ» des banlieusards et les «âarts modestesâ» de lâhabitat de banlieue, intĂ©rĂȘt ayant menĂ© Ă la crĂ©ation dâune des rares structures culturelles consacrĂ©es Ă la banlieue en France4 .
Dans la majoritĂ© de ces opĂ©rations, le premier but recherchĂ© est dâabord socialâ: il sâagit de mobiliser la population autour dâun projet collectif, en sâappuyant sur les histoires de vie des habitants, jugĂ©es plus accessibles que le travail historique «âclassiqueâ» en archives. Ainsi, la premiĂšre opĂ©ration (1978-1983) sâintĂ©resse Ă la vie dans la commune au dĂ©but du xxe siĂšcle, mais le projet sâĂ©carte de la simple histoire locale en rĂ©inscrivant lâhistoire dâAthis-Mons dans celle du dĂ©veloppement de la banlieue

LE DĂSIR DE MAISON INDIVIDUELLE ET SON EFFACEMENT EN UNION SOVIĂTIQUE. RIGA, ANNĂES 1960
ERIC LE BOURHIS
Maßtre de conférences en langue, littérature et civilisation lettones, Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE)
Maison situĂ©e au 19 Seconde ligne de VecmÄ«lgrÄvis, septembre 1974, fonds 270, inventaire 3, dossier 5961. © Latvijas Valsts arhÄ«vs (Archives dâĂtat de Lettonie).
Lâhabitat de la pĂ©riphĂ©rie des villes soviĂ©tiques est souvent associĂ© au logement collectifâ: baraques et petits immeubles prĂšs des usines, grands ensembles construits aprĂšs 19501. Des travaux sur Minsk (en BiĂ©lorussie) et Samarcande (en OuzbĂ©kistan) ont toutefois rĂ©vĂ©lĂ©, aux cĂŽtĂ©s de cet habitat collectif, une diversitĂ© de formes dâhabitat individuel dans les marges urbaines, telles que des cabanes et des pavillons2 . Ils montrent des maisons construites souvent illĂ©galement, abritant des populations, plus ou moins marginales, qui avaient des difficultĂ©s Ă se loger dans le parc de logements des immeubles dits «âdâĂtatâ». Lâhabitat urbain individuel soviĂ©tique est en effet souvent perçu comme une consĂ©quence de la crise du logement et du systĂšme clientĂ©liste dâattribution dans le parc dâĂtat. Cette perception oblitĂšre toutefois deux de ses caractĂ©ristiques. Dâune part, cet habitat Ă©tait massif. En 1960 dans les villes soviĂ©tiques, les «âmaisons individuellesâ» dĂ©tenues par des propriĂ©taires occupants, mĂȘme dans leur dĂ©finition lĂ©gale restrictive (rĂ©sidences principales de moins de 60 mÂČ de surface), reprĂ©sentaient encore un tiers des surfaces habitablesâ: 42 % Ă Novossibirsk (Russie), 26 % Ă Minsk (BiĂ©lorussie), 11 % Ă Riga (Lettonie3). Dâautre part, cet habitat individuel Ă©tait dĂ©sirĂ© par nombre de ses habitantsâ: câest lâobjet de ce texte qui poursuit une Ă©tude sur la description de ce tissu urbain dans les annĂ©es 1960 dans la pĂ©riphĂ©rie de la ville de Riga4 .
Des annĂ©es 1950 aux annĂ©es 1980, lâUnion soviĂ©tique a menĂ© une vaste politique de construction dâimmeubles de logements dans la pĂ©riphĂ©rie des grandes villes. Ă Riga, ville conquise au cours de la Seconde Guerre mondiale et qui comptait 600â000 habitants en 1960, de nombreuses maisons ont Ă©tĂ© dĂ©truites Ă la faveur dâopĂ©rations de logements collectifs, menĂ©es dans les limites du territoire administratif municipal (300 kmÂČ). Lâintense communication menĂ©e autour de la livraison de ces opĂ©rations a largement passĂ© sous silence lâattachement des particuliers Ă leur maison. Certains habitants ont contestĂ© leur Ă©viction. Dâorigines sociales variĂ©es, ils Ă©taient pour la plupart propriĂ©taires occupants et dĂ©tenaient leur maison en «âpropriĂ©tĂ© personnelleâ». Cette catĂ©gorie juridique avait Ă©tĂ© inventĂ©e dans lâentre-deuxguerres pour encadrer les droits de jouissance des individus sur les biens, alors que les moyens de production, le sol et les principales constructions avaient Ă©tĂ© nationalisĂ©s. Elle sâappliquait Ă la fois Ă des maisons nouvellement construites et Ă des biens possĂ©dĂ©s antĂ©rieurement sous un rĂ©gime de propriĂ©tĂ© privĂ©e 5 . Ainsi, Ă Riga comme ailleurs en Union soviĂ©tique, le «âpropriĂ©taireâ» particulier disposait de sa maison et occupait Ă titre gratuit la parcelle sur laquelle elle se trouvait. Le droit de propriĂ©tĂ© personnelle Ă©tait donc restrictif et fragile. La maison pouvait ĂȘtre expropriĂ©e sur simple dĂ©cision administrative, contre compensation6, ouvrant la voie Ă des rĂ©clamations en grande partie traitĂ©es par les services municipaux. Aux archives nationales de Lettonie, oĂč est conservĂ©e la documentation produite par les instances soviĂ©tiques locales, le fonds de la mairie de Riga contient des centaines de dossiers de demandes des habitants relevant des questions fonciĂšres7. Ces dossiers contiennent des plaintes et demandes dâinformation, et les Ă©changes relatifs Ă leur traitement, en letton ou en russe â Ă Riga, capitale dâune rĂ©publique socialiste soviĂ©tique, le bilinguisme prĂ©valait dans la vie sociale et le travail administratif. Sur plusieurs centaines de dossiers dĂ©pouillĂ©s pour la pĂ©riode 1956-1972, un grand nombre de lettres contestent une expropriation ou ses modalitĂ©s8 Ă lâaide dâarguments brefs

LE MODĂLE LEVITTâ: DE LA SUBURBIA AMĂRICAINE AUX PĂRIURBAINS AISĂS DâĂLE-DE-FRANCE
ĂLODIE BITSINDOU
Doctorante en histoire de lâarchitecture contemporaine, Centre AndrĂ©-Chastel, Sorbonne UniversitĂ©
Le Parc de Villeroy, Mennecy. © R. Ruiz.
Les ensembles pavillonnaires groupĂ©s sont un angle mort de lâhistoire de lâarchitecture. Ils ne sâinscrivent ni dans la tradition vasarienne de lâĂ©tude du chef dâĆuvre commanditĂ© par un mĂ©cĂšne dâorigine aristocratique ou bourgeoise, ni dans lâintĂ©rĂȘt contemporain portĂ© aux grands ensembles hĂ©bergeant les classes populaires et dessinĂ©s par les architectes de lâĂtat providence, ni dans le patrimoine vernaculaire, anonyme mais enracinĂ© dans les cultures locales. Cet article, tirĂ© dâune thĂšse de doctorat en histoire de lâarchitecture, explore ce vaste entredeux, oĂč les formes architecturales et urbaines sont pensĂ©es pour et par les classes moyennes de la fin du xxe siĂšcle1 . En France, lâurbanisation pavillonnaire post-Seconde Guerre mondiale a largement Ă©pousĂ© le modĂšle nord-amĂ©ricain. Sous lâimpulsion du Plan Marshall, dâĂ©changes acadĂ©miques permettant Ă de jeunes architectes de se former aux Ătats-Unis, et de mesures incitatives de la part des amĂ©nageurs, de nombreux
quartiers sont sortis de terre en suivant un modĂšle standardisĂ©â: maisons isolĂ©es en milieu de parcelle, desservies par une trame de boucles et de raquettes. Cette configuration sâexplique en grande partie par lâimpact du promoteur amĂ©ricain Levitt and Sons, connu pour la rĂ©alisation des Levittowns aux Ătats-Unis, et de «ânouveaux villages2â» dans lâHexagone.
Les villages Levitt constituent une forme urbaine et une structure sociale singuliĂšre. Ils ne sont pas des «âlotissementsâ», mais bien des «âensembles pavillonnaires groupĂ©sâ». Le rĂ©gime du lotissement renvoie Ă la division dâune emprise fonciĂšre en plusieurs lots indĂ©pendants. Les opĂ©rations qui nous intĂ©ressent ont pris forme selon le rĂ©gime juridique de lâensemble groupĂ©, soit le rassemblement de bĂątiments sur une seule et mĂȘme Ă©tendue fonciĂšre, dans lâoptique de constituer une unitĂ© fonctionnelle et esthĂ©tique. Câest par ce cadre que la disposition des parcelles a pu ĂȘtre envisagĂ©e avec toute la latitude requise, dĂ©bouchant ainsi sur la libĂ©ration de vastes Ă©tendues plantĂ©es, qui constituent le bien commun des propriĂ©taires, et dont la gestion est prise en charge par lâensemble des copropriĂ©taires.
Bien que la firme nâait construit que quelque 5â000 maisons pendant sa pĂ©riode dâactivitĂ©, Levitt France â filiale sous laquelle opĂšre Levitt and Sons de 1965 Ă 1981 â a exercĂ© une influence significative en diffusant son modĂšle par le jeu de la concurrence. Des builders tels que Kaufman & Broad, BrĂ©guet, ou European Homes ont adoptĂ© les types de pavillons, les amĂ©nagements urbains et les techniques managĂ©riales et constructives de Levitt, les mettant en Ćuvre en rĂ©gion parisienne puis en province3.
Le modĂšle Levitt France sâobserve Ă travers plusieurs projets dâenvergure â les RĂ©sidences du ChĂąteau, le Parc et lâOrĂ©e de LĂ©signy, les Commanderies des Templiers I et II, le Parc de Villeroy et la Colline de Verville â situĂ©s respectivement au Mesnil-SaintDenis (78), Ă LĂ©signy (77), Ă Ălancourt (78) et Ă Mennecy (91), des villes au sud et Ă lâouest de la rĂ©gion parisienne ayant aujourdâhui en commun une forte prĂ©sence de cadres et de professions intellectuelles supĂ©rieures, de professions intermĂ©diaires et de retraitĂ©s4 . 133

VU DE LâINTĂRIEURâ: EXPĂRIENCES ET RĂCITS DâHABITANTS DE GRANDS ENSEMBLES DANS LA SECONDE MOITIĂ DU
XXEÂ SIĂCLE
MATTHIAS MILLON
ChargĂ© dâĂ©tudes documentaires aux Archives nationales
Immeuble du quartier des Sablons, Le Mans. © P-B. Fourny / Région Pays de la Loire, Inventaire général.
Les Archives nationales conservent de nombreuses sources relatives au logement. Plus rares sont en revanche celles qui dĂ©passent les perspectives gĂ©nĂ©rales ou techniques et sâaventurent Ă pousser la porte du logis afin de recueillir «âles annales du quotidien1â» des occupants de ces lieux.
Pendant la seconde moitiĂ© du xx e siĂšcle, en rĂ©ponse aux dĂ©fis dĂ©mographiques et Ă lâessor des nouveaux programmes de grands ensembles2, plusieurs enquĂȘtes ont Ă©tĂ© lancĂ©es sur le territoire national. Enregistreur en main, sociologues et ethnologues ont arpentĂ© les banlieues, interrogeant les rĂ©sidents de ces espaces sur divers aspectsâ: la configuration de leur logement, leur apprĂ©ciation des matĂ©riaux utilisĂ©s, les dynamiques collectives Ă lâĆuvre, ainsi que le cadre environnant, les commoditĂ©s, les loisirs, le travail et les activitĂ©s culturelles. Au fil des Ă©changes, ces habitants exprimĂšrent leurs aspirations, Ă©voquĂšrent leur intĂ©gration au sein de communautĂ©s variĂ©es, partagĂšrent leurs relations de voisinage. Ces tĂ©moignages offrent ainsi un Ă©chantillon des «âmodes dâhabiterâ» au sein de ces environnements urbains et pĂ©riurbains, façonnĂ©s par la complexitĂ© de trajectoires individuelles.
Cet article prĂ©sente deux corpus de sources issus de ces enquĂȘtes. Le premier fut produit au dĂ©but des annĂ©es 1970 par la direction de la Construction du ministĂšre de lâAmĂ©nagement du territoireâ; le second consiste en une vaste sĂ©rie dâĂ©tudes et dâenquĂȘtes lancĂ©es par lâInstitut parisien de recherche en architecture, urbanisme et sociĂ©tĂ© entre la fin des annĂ©es 1980 et le dĂ©but des annĂ©es 1990.
ĂVALUER LA QUALITĂ DES NOUVEAUX LOGEMENTSâ: LâENQUĂTE DE LA SOCIĂTĂ
ENVIRONNEMENT ET COMPORTEMENT
LâĂ©tude conduite par la SociĂ©tĂ© Environnement et comportement en 1973 et conservĂ©e dans les fonds du ministĂšre de lâAmĂ©nagement3 est relativement dĂ©licate Ă situer dans son contexte. Outre la circulaire Guichard relative aux grands ensembles du 21 mars 1973, seul un courrier du 30 juillet 1973 adressĂ© Ă la direction de la Construction de ce ministĂšre apporte un Ă©clairage sur les circonstances entourant la rĂ©alisation de ces entretiens4. Cette derniĂšre a souhaitĂ© Ćuvrer Ă une «âmĂ©thode dâapprĂ©ciation de la qualitĂ© des projets de logementsâ» (il sâagit essentiellement dâHLM) en cherchant Ă Ă©tablir une «âcorrĂ©lation entre la mesure ou lâapprĂ©ciation de certains Ă©lĂ©ments composant le logement et la satisfaction des occupantsâ». Un contrat fut en outre passĂ© entre lâadministration et la SociĂ©tĂ© Environnement et comportement, prĂ©sidĂ©e par Michel Herrou, prĂ©sentĂ© comme un psychosociologue dans une autre source5. Son Ă©quipe est chargĂ©e dâinterviewer (sans plus de prĂ©conisations) «âdes occupants de logements situĂ©s dans des groupes qui ont Ă©tĂ© choisis pour constituer un Ă©chantillon aussi reprĂ©sentatif que possible de la population françaiseâ». Aucune information toutefois sur lâusage qui a Ă©tĂ© fait de cette Ă©tude puisquâaucune synthĂšse ne semble figurer dans ce fonds. La mĂ©thodologie retenue tant pour le choix des espaces dâinvestigation choisis, des individus auditionnĂ©s que la maniĂšre dont ces entretiens devaient ĂȘtre conduits nâest pas non plus clairement explicitĂ©e. Ces Ă©lĂ©ments nous apparaissent le plus souvent en creux, lorsque les individus soumis Ă ces enquĂȘtes demandaient aux enquĂȘteurs la raison de leur prĂ©sence chez eux. Câest ainsi que lors dâune campagne dâentretiens menĂ©e Ă Aulnay-sous-Bois (93), un sociologue rĂ©pondit à un couple ayant avancĂ© la questionâ:
«âOn avait la possibilitĂ© de faire 90 interviews. Câest trĂšs peu pour toute la France. On sâest ditâ: on va en faire la moitiĂ© dans la banlieue parisienne et puis lâautre moitiĂ© dans les villes

HABITER LA ZONE. STATUT DâUN TERRITOIRE ET PRATIQUES HABITANTES, PARISBANLIEUE, 1900-1960
ISABELLE BACKOUCHE
Directrice dâĂtudes Ă lâEHESS, Centre de recherches historiques
Le Pré-Saint-Gervais, opération 100, parcelle 80, 26 août 1942. © BHVP.
La Zone est un territoire en marge du droit, et sa rĂ©putation sâest consolidĂ©e au point de transformer le mot en substantif pĂ©joratif.
InhĂ©rente Ă la construction dâune fortification autour de Paris au dĂ©but des annĂ©es 1840, la Zone cumule deux caractĂ©ristiques souvent exclusivesâ: elle est dĂ©tenue par des propriĂ©taires privĂ©s mais la puissance publique interdit dây construire. LâincompatibilitĂ© entre ces deux rĂ©gimes dâappropriation est patenteâ:
la Zone se peuplera malgrĂ© tout, atteignant prĂšs de 40â000 habitants au dĂ©but du xxe siĂšcle.
Je saisis lâoccasion de notre rĂ©flexion collective Ă propos des faubourgs et des banlieues pour entrer sur cet espace urbain singulier par «âlâhabiterâ». En effet, câest une perspective rarement adoptĂ©e puisquâune fois quâon a dĂ©cidĂ© que câĂ©tait un vaste bidonville, aller plus avant ne semble pas utile. Or, on dĂ©couvre un mode dâappropriation tout Ă fait original, entre propriĂ©tĂ© et location, et une maniĂšre fragmentĂ©e dâoccuper le sol qui tranche avec la vie dans les immeubles parisiens. Ainsi, le statut de la Zone a bien produit un mode dâhabiter spĂ©cifique dont je voudrais prĂ©senter quelques-unes des caractĂ©ristiques. Cette Ă©chelle dâanalyse complĂšte deux autres
Ă©chelles qui intĂšgrent la Zone dans une rĂ©flexion plus large sur la pĂ©riphĂ©rie parisienne et les modalitĂ©s de constitution de la banlieue. Retenons que les politiques publiques successives mises en Ćuvre sur cet espace urbain depuis la fin du xixe siĂšcle nâont pas rĂ©ussi Ă lâintĂ©grer aussi bien dans la capitale que dans sa banlieue. La Zone encore aujourdâhui reste une balafre dans le tissu urbain dense de Paris et de sa pĂ©riphĂ©rie, sur laquelle sâest greffĂ© le boulevard pĂ©riphĂ©rique.
Si le singulier de «âlaâ» Zone porte en lui-mĂȘme une charge nĂ©gative, en changeant dâĂ©chelle dâobservation, on dĂ©couvre des microsociĂ©tĂ©s, soudĂ©es autour dâune activitĂ© professionnelle ou bien par leurs origines Ă©trangĂšres communes. Il faut dire que la volatilitĂ© du bĂąti et des installations favorise le bouche-Ă -oreille pour attirer de nouveaux habitants. La surprise est frĂ©quente lorsquâon entre sur la Zone, tel le journaliste Henri Bidou qui Ă©crit en 1927â: «âOn sait que la citĂ© lĂ©preuse qui entoure Paris est formĂ©e dâun certain nombre de groupements isolĂ©s. Celui que jâai visitĂ© est juste au bout de la rue de Vaugirard⊠Je nâavais vu quâen passant lâamoncellement pittoresque de leurs cabanesâ; elles donnent peu lâenvie dây pĂ©nĂ©trer. En visitant, lâautre jour, cette sorte de village primitif oĂč vivent 500 Ă 600 ĂȘtres humains, je lâai trouvĂ© trĂšs diffĂ©rent de ce que jâattendais⊠Des ouvriers, de petits employĂ©s qui ne trouvent pas de logements dans Paris, se retirent là ⊠Les maisons sont trĂšs diverses. Il y a aussi des jardinets clos de haies, des maisonnettes dĂ©corĂ©es avec un goĂ»t ingĂ©nieux1.â»
Ainsi, la Zone, coupure urbaine rĂ©actualisĂ©e depuis plus de 180 ans, peut sâapprĂ©hender dâune toute autre maniĂšre, en dĂ©passant une histoire culturelle et en pratiquant une histoire sociale alimentĂ©e par la masse impressionnante de documents produits par lâamĂ©nagement sans relĂąche de la Zone, un amĂ©nagement qui nâest pas encore achevĂ© comme en tĂ©moignent les opĂ©rations actuelles de remaniements des portes de Paris (Montreuil, La Chapelle) qui cherchent encore Ă travailler sur les

DAPU , LES PRATIQUES DU LOGEMENT DES TRAVAILLEURS MIGRANTS CHINOIS EN BANLIEUE PARISIENNE.
LE CAS DE BAGNOLET
JUAN DU
Maßtresse de conférences en sociologie, Laboratoire Héritages, CY Cergy Paris Université, Fellow ICM
Un panneau en bois dans une cuisine partagée « Qing zijue zuo hao weisheng » (« Merci de garder cet endroit propre »). © Juan Du.
Lâhabitat des migrants a pris des formes trĂšs variĂ©es en France au xx e siĂšcle, Ă propos desquelles «âlâhistoire montre que la conjoncture Ă©conomique et lâĂ©tat du marchĂ© du travail sont dĂ©terminants 1â». Jusque dans lâentre-deux-guerres, les migrants venus dâEurope de lâEst et du Sud pour travailler dans les usines des grandes agglomĂ©rations se sont gĂ©nĂ©ralement logĂ©s aux cĂŽtĂ©s des ouvriers français, souvent eux-mĂȘmes migrants de lâintĂ©rieur, malgrĂ© lâexistence de «âPetites Italiesâ» et de «âPetites Espagnes 2â».
Câest aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, dans le contexte de la modernisation de lâhabitat ouvrier et de lâextension des banlieues, que les Ă©trangers sont de plus en plus nombreux Ă vivre Ă lâĂ©cart de la population majoritaire, en particulier les migrants coloniaux qui sont relĂ©guĂ©s dans des foyers Sonacotra3, des bidonvilles ou encore des citĂ©s de transit4. Alors que la mĂ©tropolisation de la rĂ©gion parisienne sâaccĂ©lĂšre aujourdâhui sous les effets de la construction du Grand Paris Express et que la gentrification des derniers quartiers populaires parisiens laisse peu de place aux nouveaux venus Ă©trangers, comment ceux-ci se logent-ils en rĂ©gion parisienne, en particulier dans un contexte de politiques migratoires qui ne permettent pas dâobtenir un statut lĂ©gal5â?
Les immigrants chinois se distinguent par leur rĂ©partition trĂšs inĂ©gale sur le territoire français. MalgrĂ© une forte baisse de lâinstallation de ces immigrants en Ăle-de-France (83 % en 1999), 66 % rĂ©sident en Ăle-de-France (recensement de 2017), contre 38 % pour les autres immigrĂ©s et 17 % des natifs6. Cet article vise Ă Ă©tudier les conditions dans lesquels ces immigrants chinois, souvent sans-papiers, accĂšdent au logement dans un contexte de forte concurrence sur le marchĂ© du logement populaire, Ă partir dâune recherche menĂ©e sur Bagnolet en Seine-Saint-Denis. Les travailleurs migrants chinois constituent en effet un groupe peu Ă©tudiĂ©, qui combine les caractĂ©ristiques liĂ©es aux pratiques de lâhabitat de classe populaire et celles de groupes dâimmigrĂ©s. LâĂ©tude du logement des habitants chinois, illustre ainsi les nouvelles pratiques rĂ©sidentielles dâune population prĂ©caire, qui sâinscrivent dans un continuum des pratiques du logement de groupes dĂ©favorisĂ©s dans lâhistoire.
Les migrants chinois sont loin dâĂȘtre une population homogĂšne. Au contraire, ils se diffĂ©rencient entre eux selon leur anciennetĂ©, leur profil sociodĂ©mographique (situation professionnelle, familiale, Ă©ducative, etc.), et leur projet migratoire, ce qui implique une grande variĂ©tĂ© des pratiques de lâhabitat. Les prĂ©occupations des propriĂ©taires sont diffĂ©rentes de celles des locataires chinoisâ: dans son enquĂȘte sur lâaccĂšs Ă la propriĂ©tĂ© des habitants chinois Ă La Courneuve, Aurore Merle montre lâenjeu de la cohabitation dans un quartier populaire et dâimmigrĂ©s pour les propriĂ©taires chinoisâ: «â[âŠ] Cette accession Ă la propriĂ©tĂ© privĂ©e, gage dâune mobilitĂ© sociale ascendante, produit des phĂ©nomĂšnes de concentration spatiale de ces familles dâorigine asiatique, Ă la source de difficultĂ©s de cohabitation avec dâautres groupes de population7.â»
ConsacrĂ© aux pratiques rĂ©sidentielles des groupes vulnĂ©rables, cet article sâappuie sur une enquĂȘte de terrain menĂ©e sur ces travailleurs migrants chinois primoarrivants qui prĂ©sentent les mĂȘmes caractĂ©ristiques que lâon trouve chez les autres migrants de la premiĂšre gĂ©nĂ©rationâ: accĂšs difficile au logement, exploi-

«âHABITER LES FAUBOURGS ET LES BANLIEUESâ»â: UNE HISTOIRE DU TEMPS PRĂSENT
EMMANUEL BELLANGER
Directeur du Centre dâhistoire sociale des mondes contemporains (CHS)
Directeur de recherche du CNRS Ă lâUniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne
Le communiste au couteau entre les dents ou la menace bolchevique venue de lâintĂ©rieur en 1919. Fonds Hug (71J69), Union des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques de la banlieue parisienne, 1919. © Archives dĂ©partementales du Val-deMarne.
Pour celles et ceux qui sâattachent Ă mettre en perspective lâhistoire des habitants et du logement populaire des faubourgs et des banlieues, la part dâhĂ©ritage et de filiation intellectuelle constitue une vĂ©ritable matrice et un fil conducteur. Les quartiers des territoires populaires, industriels et rĂ©sidentiels ont eu leurs historiens et leurs historiennes qui les ont arpentĂ©s et ont fait dâeux et de leurs habitants des sujets dâhistoire et de valorisation scientifique et patrimoniale. Leurs apports reprĂ©sentent encore aujourdâhui une ressource qui aide Ă saisir les enjeux politiques du temps prĂ©sent et Ă situer la place quâoccupent les quartiers populaires dans les sociĂ©tĂ©s contemporaines depuis que lâurbanisation est devenue hĂ©gĂ©monique et planĂ©taire 1 .
FAUBOURGS ET BANLIEUES
ĂPICENTRES DU «âPATRIOTISME DE CLOCHER Ă BASE DE CLASSEâ»
Les travaux dâAnnie Fourcaut constituent une de ces buttes-tĂ©moins de lâhistoriographie des quartiers et des banlieues populaires. En 1971, elle soutenait un mĂ©moire de maĂźtrise au Centre dâhistoire du syndicalisme devenu depuis le Centre dâhistoire sociale des mondes contemporains. Lâhistorienne mettait Ă lâhonneur une petite ville nĂ©e de la villĂ©giature et transformĂ©e Ă partir de la seconde moitiĂ© du xixe siĂšcle en banlieue rĂ©sidentielle. Cette ville a pour nom «âBagneuxâ», un bourg du dĂ©partement de la Seine mĂ©tamorphosĂ© par lâurbanisation pavillonnaire et le peuplement de ses lotissements populaires. La citĂ© fut aussi un laboratoire de la vie sociale, emblĂ©matique des banlieues populaires oĂč sâenracinent de nouvelles cultures politiquesâ: le radicalisme rĂ©publicain, le socialisme et, Ă partir des annĂ©es 1920 et 1930, le communisme municipal2. AprĂšs Bagneux, câest «âBobigny-laRougeâ» qui est Ă son tour Ă©tudiĂ©e par Annie Fourcaut. De cette recherche naĂźt une clĂ© dâanalyse qui inspira plusieurs gĂ©nĂ©rations de chercheurs et chercheuses en sciences humaines sociales. Cette clĂ© pourrait ĂȘtre rĂ©sumĂ©e Ă une expression extraite de la thĂšse de troisiĂšme cycle de lâhistorienneâ: le «âpatriotisme de clocher Ă base de classe3â». ArrĂȘtons-nous un instant sur la signification de ce concept qui lie une dimension politique â la radicalitĂ© partisane quâincarnent des militants et militantes affiliĂ©s au communisme international et Ă son idĂ©al rĂ©volutionnaire â Ă une dimension territoriale â leur implantation en «âbanlieue rougeâ» dont lâeffet produit de façon prĂ©coce leur conversion à «âlâesprit communalâ». Sâenraciner dans un quartier populaire, câest se poser et se ressourcer dans une ville dâaccueil qui offre, Ă celles et ceux qui trĂšs souvent ont connu lâexpĂ©rience douloureuse du dĂ©racinement, des services et des espaces publics, une mairie, une Ă©cole, une Ă©glise, une salle des fĂȘtes, un dispensaire, des Ă©quipements sportifs, un cimetiĂšre, etc. Cette expĂ©rience de lâancrage ouvre sur des formes collectives de socialisation et dâacculturation




Le colloque et la publication des actes sâinscrivent dans le cadre de lâĂ©tude dâInventaire gĂ©nĂ©ral du patrimoine culturel sur les faubourgs du Mans initiĂ©e par la RĂ©gion Pays de la Loire. Ce colloque a Ă©tĂ© organisĂ© en partenariat avec le laboratoire Temps, mondes, sociĂ©tĂ©s (TEMOS), Le Mans UniversitĂ©/ CNRS et le Centre dâhistoire sociale des mondes contemporains (CHS), UniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne/ CNRS.
Remerciements de la Région Pays de la Loire
La RĂ©gion Pays de la Loire adresse ses remerciements aux intervenants et aux organisateurs du colloque, pour leur participation Ă cet Ă©vĂšnement qui rĂ©vĂšle les avancĂ©es de la recherche. Lâensemble des membres du comitĂ© scientifique pour les nombreux Ă©changes Ă©clairants qui ont permis la construction de ce colloque et de ses actes. Les responsables administratives des laboratoires dâUniversitĂ© qui en ont assurĂ© lâorganisation matĂ©rielle.
Une mention particuliÚre est adressée aux musées de la ville du Mans qui ont accueilli le colloque.
Direction de la publication
Julien Boureau, chef du service
Patrimoine, Région Pays de la Loire
Coordination éditoriale
Enora Rousset, service
Patrimoine, Région Pays de la Loire
Comité scientifique
Gaïd Andro, historienne, CREN, Université de Nantes
Emmanuel Bellanger, historien, CHS, CNRS
Magali Delavenne, chercheuse, Inventaire général, Région
Auvergne-RhĂŽne-Alpes
Frédéric Fournis, chercheur, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Pierre Gilbert, sociologue, Cresppa/CSU, Université Paris 8
Hervé Guillemain, historien, TEMOS, Le Mans Université
Fabrice Langrognet, historien, Brasenose College, University of Oxford, CHS, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Benoßt Pouvreau, chercheur, service du patrimoine culturel, Département de la Seine-SaintDenis
SĂ©bastien Radouan, historien de lâarchitecture, AHTTEP/AUSser, ENSA Paris-La-Villette
Thomas Renard, historien de lâart, CReAAH, UniversitĂ© de Nantes
Dany Sandron, historien de lâart et dâarchĂ©ologie du Moyen Ăge, Centre AndrĂ©-Chastel, Sorbonne UniversitĂ©
Fabien Van Geert, muséologue, Cerlis, Université SorbonneNouvelle
Vincent Veschambre, géographe, Le Rize, Villeurbanne
Charlotte Vorms, historienne, CHS, Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne
Textes


Sous la direction de Muriel Cohen, historienne, TEMOS, Le Mans Université, et Marie Ferey, chercheuse, service Patrimoine de la Région Pays de la Loire
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Direction
Aurélie Guitton
Coordination éditoriale
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Spectral / Production Type
Les Ăditions 303 bĂ©nĂ©ficient du soutien de la RĂ©gion Pays de la Loire.
DépÎt légal : novembre 2024
ISBN : 978-24-87296-04-6
© RĂ©gion Pays de la Loire et Ăditions 303, 2024. Tous droits rĂ©servĂ©s.
Image de couverture
Enfants jouant devant les immeubles du Ronceray, Le Mans (15FiCum4-63_01).
© Ville du Mans. Photo : © T. Seldubuisson / Région Pays de la Loire, Inventaire général.
