POUR LA SCIENCE #553 • QUAND L'EVOLUTION PARIAIT SUR LES GEANTS

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Édition française de Scientific American – Novembre 2023 - n° 553

Mathématiques Climatologie

L’ORDRE CACHÉ DES GRANDES STRUCTURES EL NIÑO ET LE DESTIN DE L’ÎLE DE PÂQUES

QUAND L’ÉVOLUTION PARIAIT SUR LES GÉANTS 11/23 L 13256 - 553 - F: 7,00 € - RD

POUR LA SCIENCE

HYDROGÈNE Les promesses des réserves géologiques L’analyse

d’Isabelle Moretti géologue


La simulation multiphysique favorise l’innovation Pour innover, les ingénieurs ont besoin de prédire avec précision le comportement réel de leurs designs, dispositifs et procédés. Comment ? En prenant en compte simultanément les multiples phénomènes physiques en jeu.

scannez-moi pour en savoir plus

comsol.fr/feature/multiphysics-innovation


Directrice des rédactions!: Cécile Lestienne MENSUEL POUR LA SCIENCE Rédacteur en chef!: François Lassagne Rédacteurs en chef adjoints!: Loïc Mangin, Marie-Neige Cordonnier Rédacteurs!: François Savatier, Sean Bailly

É DITO

HORS-SÉRIE POUR LA SCIENCE Rédacteur en chef adjoint!: Loïc Mangin Développement numérique!: Philippe Ribeau-Gésippe Community manager et partenariats!: Aëla Keryhuel aela.keryhuel@pourlascience.fr Directrice artistique!: Céline Lapert Maquette!: Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy, Ingrid Lhande Réviseuses!: Anne-Rozenn Jouble, Maud Bruguière et Isabelle Bouchery Assistant administratif!: Finoana Andriamialisoa Responsable marketing!: Frédéric-Alexandre Talec Direction du personnel!: Olivia Le Prévost Fabrication!: Marianne Sigogne et Stéphanie Ho Directeur de la publication et gérant!: Nicolas Bréon Ont également participé à ce numéro!: Luc Doucet, Sophie Ezine, Denis Fougerouse, Matthieu Giraud, Clémentine Laurens, Roland Maurer PUBLICITÉ France stephanie.jullien@pourlascience.fr ABONNEMENTS www.boutique.groupepourlascience.fr Courriel!: serviceclients@groupepourlascience.fr Tél.!: 01 86 70 01 76 Du lundi au vendredi de 8!h!30 à 12!h!30 et de 13!h!30 à 16!h!30 Adresse postale!: Service abonnement groupe Pour la Science 20 rue Rouget-de-Lisle 92130 Issy-les-Moulineaux. Tarifs d’abonnement 1 an (12 numéros) France métropolitaine!: 59 euros – Europe!: 71 euros Reste du monde!: 85,25 euros DIFFUSION Contact kiosques!: À Juste Titres!; Alicia Abadie Tél. 04 88 15 12 47 Information/modification de service/réassort!: www.direct-editeurs.fr DISTRIBUTION MLP ISSN 0 153-4092 Commission paritaire n°!0927K82079 Dépôt légal!: 5636 – Novembre 2023 N° d’édition!: M0770553-01 www.pourlascience.fr 170 bis boulevard du Montparnasse – 75!014 Paris Tél. 01 55 42 84 00 SCIENTIFIC AMERICAN Editor in chief!: Laura Helmuth President!: Kimberly Lau

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Origine du papier!: Autriche Taux de fibres recyclées!: 30!% «!Eutrophisation!» ou «!Impact sur l’eau!»!: Ptot 0,007 kg/tonne Imprimé en France Maury Imprimeur SA Malesherbes N° d’imprimeur!: 273 457

François Lassagne Rédacteur en chef

UN PROBLÈME DE TAILLE

C

omment faire tenir debout un animal de 35 mètres de long, dont la tête se tient à 8 mètres au-dessus du sol, et pesant 75 tonnes ? Comment atteindre ces mensurations extrêmes – celles d’Argentinosaurus, sauropode qui vivait il y a 80 millions d’années –, partant d’œufs dont la taille n’excède pas celle d’un ballon de basket!? Bâtir des fondations solides (des membres inférieurs massifs), alléger les structures supérieures (des sacs pulmonaires disséminés dans le corps, une tête minimaliste), favoriser une croissance rapide!: voici les solutions trouvées par la nature pour résoudre le problème de taille posé par ces êtres hors norme. Et plutôt 36 fois qu’une!: comme le montre le paléontologue Michael D. D’Emic, l’évolution a fait naître à 36 reprises des géants aux gabarits jamais égalés sur la terre ferme. En réalité, bien sûr, l’évolution ne résout pas de problèmes, elle ne fait aucun pari. Le temps très long, seul, donne à la combinatoire du vivant la possibilité d’aboutir à des espèces aux mensurations stupéfiantes, adaptées à leur milieu. Le succès écologique des géants est une histoire naturelle qui court sur 150 millions d’années. Nous, humains, avons aussi à résoudre des problèmes de taille, mais disposons de bien moins de temps pour y parvenir. Ainsi, serions-nous capables d’éviter le destin des dinosaures non aviens, qu’un astéroïde, une diversité génétique déclinante et le volcanisme (lire la chronique d’Hervé Le Guyader) ont fini par effacer de la planète!? C’est l’objet de la mission Dart, de la Nasa, dont Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik décortiquent les résultats, mettant en lumière la difficulté à dévier un géocroiseur de taille pourtant fort modeste. Dans un futur bien plus proche, l’accès à des ressources énergétiques décarbonées pose, aussi, un problème… d’échelle. S’il se confirme que le dihydrogène natif doive être largement exploité, comme l’envisage la géologue Isabelle Moretti, encore faudra-t-il être capable de le stocker. Cela passe par la constitution de réservoirs souterrains accueillant des centaines de milliers de mètres cubes du précieux gaz. Plus on vise haut, plus il faut se doter d’infrastructures exceptionnelles. À retenir cette solution, en aura-t-on le temps, alors que l’année 2023 se conclut sur une température moyenne supérieure, déjà, de 1,4!°!C à la moyenne préindustrielle!? n

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s OMMAIRE N° 553 / Novembre 2023

ACTUALITÉS

GRANDS FORMATS

P. 6

ÉCHOS DES LABOS • L’antimatière chute comme la matière • Écrans et enfants, une relation complexe • À chaque trajectoire, sa pierre qui roule • Immunité collective • Une réaction de catalyse oscillante • Le secret des diamants roses

P. 18

LES LIVRES DU MOIS

P. 20

DISPUTES ENVIRONNEMENTALES

Forêt ou fossiles, il faut choisir Catherine Aubertin

P. 22

LES SCIENCES À LA LOUPE

P. 32

P. 44

FILIÈRE HYDROGÈNE, UN DESTIN SOUTERRAIN

Mark Fischetti

INGÉNIERIE MINIÈRE

Louis Londe

Produit à partir d’énergies renouvelables, dont il pourrait combler l’intermittence, l’hydrogène vert pourrait jouer un rôle déterminant dans les systèmes énergétiques futurs. À condition de lui faire une place sous terre…

GÉNÉTIQUE

AUX ORIGINES DU VIN

Une vaste étude génétique invite à récrire l’histoire de la diffusion de la vigne à travers le monde.

L’obsession des citations Yves Gingras

P. 48

ÉCOLOGIE

QUAND LES PERRUCHES S’INSTALLENT EN VILLE

Ryan F. Mandelbaum

P. 40

GÉOSCIENCES STRUCTURALES

fr

« RIEN NE S’OPPOSE À CE QUE L’HYDROGÈNE NATIF PRENNE BEAUCOUP D’IMPORTANCE »

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Entretien avec Isabelle Moretti

En couverture!: © Chase Stone Les portraits des contributeurs sont de Seb Jarnot Ce numéro comporte un courrier de réabonnement posé sur le magazine sur une sélection d’abonnés.

L’hydrogène natif, issu de formations géologiques, fait l’objet de recherches dans la perspective d’une exploitation industrielle, et les projets de forage se multiplient. État des lieux.

Les perruches et autres oiseaux apparentés peuplent désormais nombre de villes dans le monde. Pour le meilleur ou pour le pire$? Un peu des deux sans doute…

P. 57

SCIENCE ET FICTION

N’ENCOURAGEZ PAS LES PHYSICIENS

Alex Small

SAISON TOURISTIQUE

Marissa Lingen

INTERPRÉTATION CONNECTÉE

Josephine Kalshoven


RENDEZ-VOUS

P. 80

LOGIQUE & CALCUL

À LA RECHERCHE DE L’ORDRE CACHÉ

Jean-Paul Delahaye

Quand une structure mathématique est grande, elle possède nécessairement des régularités. Des progrès mathématiques récents précisent cette règle.

P. 64

PALÉOCLIMATOLOGIE

ÎLE DE PÂQUES : UNE CRISE D’ORIGINE CLIMATIQUE

P. 86

Thierry Delcroix, Rodrigo Abarca-del-Río et Bruno Malaizé

ART & SCIENCE

L’objet à quatre trous qui n’en avait que trois

Sous l’influence de l’oscillation climatique de La Niña, l’île de Pâques connaît parfois de longues périodes sèches. Elles furent si prononcées entre le XVIe et le XVIIe siècle qu’elles contribuèrent au déclin de la population insulaire.

Loïc Mangin

P. 24

PALÉONTOLOGIE

IL ÉTAIT 36 FOIS LE TEMPS DES SAUROPODES

Michael D. D’Emic

P. 72

HISTOIRE DES SCIENCES

L’IMPOSSIBLE QUÊTE DE L’AMMONIUM

Sarah Hijmans

L’ammonium est-il un élément chimique simple$? Cette question, qui tarauda nombre de savants au XIXe siècle, les mena à un rude échec… qui se révéla très fructueux.

De nouvelles recherches éclairent mieux les raisons du gigantisme des sauropodes et celles de l’évolution de ce trait spectaculaire à plusieurs reprises au sein de leur groupe.

P. 88

IDÉES DE PHYSIQUE

Jeu de fléchette spatial Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik

P. 92

CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION

Qui a vraiment tué les dinosaures"? Hervé Le Guyader

P. 96

SCIENCE & GASTRONOMIE

Le bon goût du pain au levain Hervé This

P. 98

À PICORER

POUR LA SCIENCE N° 553 / NOVEMBRE 2023 /

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ÉCHOS DES LABOS

PHYSIQUE

L’ANTIMATIÈRE CHUTE COMME LA MATIÈRE P.!6 Échos des labos P.!18 Livres du mois P.!20 Disputes environnementales P.!22 Les sciences à la loupe

Vue d’artiste des atomes d’antihydrogène pris dans le piège magnétique de l’expérience Alpha-g, au Cern.

L

es œuvres de science-fiction sont remplies de voitures, de villes ou de montagnes qui défient les lois de la gravité. Certaines reposent sur l’utilisation de matériaux fictifs, sources d’une force antigravitationnelle. Mais cette force d’antigravité pourrait-elle exister(? Plusieurs physiciens le pensent, car certaines théories exotiques au-delà de la relativité générale et du modèle standard de la physique des particules avancent que l’antimatière serait une source possible d’antigravité. Pour tester cette hypothèse, l’expérience Alpha a étudié le comportement d’atomes d’antihydrogène soumis à la pesanteur dans une «(bouteille magnétique(» verticale. Actuellement, la relativité générale est la meilleure théorie que nous ayons

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pour décrire la gravité. Elle a été testée de nombreuses façons, toujours avec succès. Or cette théorie, développée par Albert Einstein en 1915, repose sur un principe d’équivalence (dit «(faible(»)

L’antimatière n’antigravite pas qui suppose que la masse inertielle et la masse gravitationnelle sont égales. D’après ce principe, l’antimatière devrait tomber comme la matière. Cependant, la relativité générale n’est peut-être pas la description ultime de

l’Univers. Les physiciens ont développé des théories de gravité modifiée ou même de gravité quantique pour résoudre certaines des grandes questions encore ouvertes de la cosmologie et de la physique fondamentale. Or ces modèles de gravité au-delà de la relativité générale ne respectent pas tous le principe d’équivalence. Dès lors, ces théories sont susceptibles d’inclure une force d’antigravité. Il s’agit là de scénarios très spéculatifs. Mais une façon de les tester est justement de chercher une faille dans le principe d’équivalence, par exemple en observant un comportement antigravitationnel dans l’antimatière. L’antimatière est difficile à manipuler pour plusieurs raisons. Dès qu’elle touche de la matière, elle s’annihile en libérant de l’énergie sous forme de photons de

© NSF, fondation américaine pour les sciences

Certains modèles exotiques suggéraient que l’antimatière est une source d’antigravité. L’expérience «!Alpha!», au Cern, écarte cette possibilité.


COGNITION

lumière. Il faut donc l’isoler dans un piège électromagnétique. Cependant, une autre difficulté émerge(: l’interaction gravitationnelle est plusieurs dizaines d’ordres de grandeur plus faible que l’interaction électromagnétique. Pour isoler les effets gravitationnels, il faut donc étudier de l’antimatière de charge électrique neutre, à l’instar de l’antihydrogène. Or les particules neutres sont très difficiles à maintenir dans une bouteille magnétique. De nombreuses années ont été nécessaires pour mettre au point l’expérience Alpha qui s’appuie sur un ensemble d’installations du Cern pour produire des antiprotons, les ralentir, puis les combiner avec des positrons. On obtient alors des atomes d’antihydrogène piégés dans la bouteille magnétique. Pour l’expérience, les chercheurs ont alors réduit l’intensité du champ magnétique en haut et en bas du piège. Les atomes d’antimatière s’échappent progressivement par les deux extrémités. Près de 80(% des atomes d’antihydrogène sont sortis par en dessous. Un nuage d’atomes d’hydrogène aurait donné un résultat similaire dans les mêmes conditions. L’asymétrie est due à l’influence gravitationnelle. «(L’antimatière n’antigravite pas, conclut David Lunney, de l’IJCLab, à Orsay. Mais la précision de l’expérience ne permet pas encore de dire que l’antihydrogène et l’hydrogène se comportent exactement de la même façon dans un champ de pesanteur.(» L’objectif pour Alpha, mais aussi pour GBar (une autre expérience du Cern sur ce sujet), est d’améliorer la sensibilité, par exemple en réduisant la température dans la chambre à vide, pour traquer de petites déviations dans le comportement de l’antihydrogène. Le résultat de l’expérience Alpha conduit aussi à écarter définitivement des modèles cosmologiques qui reposaient sur l’antigravité de l’antimatière. L’idée était que la répulsion entre la matière et l’antimatière aurait conduit ces deux composantes à occuper différentes régions de l’Univers. Ce qui aurait expliqué pourquoi notre voisinage cosmique ne semble rempli que de matière. Ce scénario ne tient plus, mais l’énigme subsiste. n Sean Bailly

E. K. Anderson et al., Nature, 2023.

Écrans et enfants, une relation complexe À quel point l’utilisation des écrans influe-t-elle sur le développement cognitif des jeunes enfants!? L’épidémiologiste Jonathan Bernard et son équipe ont mené une vaste étude sur cette question. Il nous explique l’aspect multifactoriel du problème. Propos recueillis par Sean Bailly JONATHAN BERNARD épidémiologiste à l’Inserm Quel était l’état des connaissances avant votre étude!? Des travaux ont déjà été menés sur la question du développement cognitif des enfants et l’utilisation des écrans. Mais la majorité de ces recherches ont été réalisées aux États-Unis. Nous avons moins d’études en Europe. On constate aussi que les méthodologies ont été très diverses, ce qui rend délicat le travail de synthèse. En particulier, ces enquêtes ne prenaient pas toujours en compte ce qu’on nomme les «!facteurs de confusion!», avec notamment l’environnement social, culturel et économique de la famille. Dès lors, chaque pays a ses propres recommandations sur l’utilisation des écrans. Et la plupart s’appuient sur des observations empiriques et peu sur des résultats scientifiques. On se retrouve avec des variations entre pays et entre instances, de santé ou autres, qui sont difficiles à expliquer. Le but du programme scientifique que je dirige est donc de consolider les connaissances scientifiques dans ce domaine, à partir de données françaises. En quoi consiste votre étude!? Nous avons utilisé la cohorte Elfe qui suit des enfants nés en 2011. Des données démographiques, socioéconomiques et autres ont été collectées lors d’entretiens téléphoniques avec les parents quand les enfants avaient 2 ans, 3,5 ans et 5,5 ans. Cela nous a permis de faire des analyses transversales (à un instant donné) et longitudinales (au cours du temps). Avec des données pour 13!000 enfants, nous avons appliqué des méthodes avancées d’analyse statistique pour extraire certaines tendances. Quels sont vos résultats!? Tout d’abord, il y a une relation négative entre l’utilisation des écrans et le développement cognitif (avec des effets surtout sur le langage). Mais, si on inclut des facteurs de confusion, l’effet direct est très réduit, et d’autres éléments jouent un rôle bien plus important (comme le niveau d’instruction des parents).

L’autre enseignement, c’est l’importance du contexte. Par exemple, le facteur «!la télévision est allumée pendant les repas!» était celui le plus fortement associé à un développement cognitif plus faible, bien plus que le temps global passé devant l’écran. Ce n’est pas surprenant, le repas est un moment privilégié pour échanger, parler entre membres de la famille. Quelles sont les limites de votre étude!? Le premier point concerne la collecte de données. Il y a probablement un biais déclaratif des parents qui sous-estiment ou sous-déclarent le nombre d’heures que les enfants passent devant l’écran. Cela peut être motivé par un enjeu de désirabilité sociale, car cela est mal vu de laisser sa progéniture trop longtemps devant l’écran. Il y a aussi un angle mort dans toute la littérature et dans notre étude sur le contenu des émissions regardées. Certains programmes, dits «!éducatifs!», sont peut-être bénéfiques pour le langage, l’acquisition de vocabulaire, etc. Ce point modulerait fortement l’effet des écrans. La prochaine étape serait de savoir ce que les enfants regardent, avec la difficulté de définir clairement un programme «!éducatif!». D’un point de vue de la santé publique, quel serait le message à faire passer!? Ce genre de résultat, relayé dans les médias, est souvent vu comme culpabilisant et angoissant pour les parents qui ont l’impression de mal faire et pas assez. Or le problème est que ce message a tendance à toucher des populations qui finalement ont déjà eu une réflexion sur les usages des écrans, en matière de durée, de contenu et de contexte. Ces familles ont déjà de bonnes habitudes. La difficulté est d’atteindre les personnes qui ne reçoivent pas ces messages de bonnes pratiques et qui sont aussi les plus susceptibles d’en bénéficier. n

S. Yang et al., The Journal of Child Psychology and Psychiatry, 2023.

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PALÉONTOLOGIE

Il était 36 fois les géants Michael D. D’Emic

Au long de leurs 150 millions d’années d’existence, les sauropodes ont atteint des tailles colossales à 36 reprises, faisant d’eux les animaux terrestres les plus grands, jamais égalés depuis.

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© Chase Stone

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PALÉONTOLOGIE IL ÉTAIT 36 FOIS LES GÉANTS

L’ESSENTIEL > Les tailles extravagantes atteintes par les sauropodes sont une anomalie évolutive, jamais reproduite au sein des autres groupes d’animaux terrestres. > L’estimation systématique des masses corporelles des espèces connues montre qu’à plus de

H

L’AUTEUR 30 reprises, des sauropodes ont atteint des tailles gigantesques. > Si l’on connaît un peu mieux aujourd’hui leur mode de vie axé sur une pâture incessante, des recherches restent à mener afin de mieux saisir les raisons profondes de leur spectaculaire capacité à croître.

adrosaures à bec de canard, tricératops, ankylosaures cuirassés, tyrannosaures superprédateurs… beaucoup d’êtres étranges ont déjà foulé la terre, mais peu furent aussi curieux que les sauropodes avec leurs immenses cous et queues. Sur Terre, aucun animal n’a jamais atteint les tailles de ces dinosaures, même les plus grands mammifères ayant jamais existé, tels les mammouths par exemple, ou encore Paraceratherium, un cousin des rhinocéros actuels qui pouvait mesurer jusqu’à 4,8 mètres au garrot… Par rapport aux sauropodes, tous des poids plume&! Dans l’arbre de l’évolution, l’extraordinaire aptitude à grandir des sauropodes est une anomalie intrigante. L’histoire de la vie regorge d’exemples de convergence, c’est-à-dire d’apparitions indépendantes d’un certain trait au sein de lignées d’animaux complètement différents. Le vol battu illustre ce phénomène évolutif de façon particulièrement évidente&: tant des insectes que des mammifères (les chauvessouris), des reptiles contemporains des dinosaures (les ptérosaures) ou encore que des dinosaures à plume (les oiseaux) ont développé des ailes. Même si elles ont des structures distinctes les unes des autres, elles ont la même fonction&! Dans le cours de l’histoire évolutive, il est aisé de repérer de nombreuses convergences – même de traits complexes&: bipédie, sang chaud, yeux mobiles et capables de mise au point, réduction du nombre de membres, emploi d’outils… À de multiples reprises, de telles caractéristiques ont évolué au sein de groupes d’animaux anatomiquement différents, et il en va de même chez les végétaux, chez qui on rencontre des arborescences et systèmes racinaires dans presque tous les groupes, ou encore des espèces carnivores dans plusieurs. Dès lors, puisque les convergences évolutives sont fréquentes, l’amplitude du gigantisme des sauropodes (voir la figure page ci-contre, en haut) apparaît comme une singularité, qu’aucun autre groupe animal n’a approchée, ne serait-ce qu’au tiers. Pourquoi en est-il ainsi&? Comment s’explique cette évolution si particulière vers le gigantisme&? 26 / POUR LA SCIENCE N° 553 / NOVEMBRE 2023

MICHAEL D. D’EMIC paléontologue à l’université Adelphi, à New York

Pour le savoir, il faut pouvoir comparer un grand nombre de ces sauropodes géants, ce qui n’a rien eu de facile pendant longtemps. Quand il découvre un fossile de sauropode, un paléontologue peut passer l’essentiel de sa mission de fouilles à déterrer seulement quelques ossements&; ou alors, dans les musées, il lui arrive de dépenser l’essentiel de son temps de recherche à attendre qu’on veuille bien lui descendre d’une étagère un os à l’aide d’un chariot élévateur… Autant de contraintes qui poussent à étudier plutôt des animaux de tailles plus raisonnables&!

UN REGISTRE FOSSILE DE PLUS EN PLUS GRAND

Et puis, le registre fossile connu des sauropodes a longtemps été pauvre, bien plus en tout cas que ceux de nombreux autres groupes d’animaux terrestres et marins. L’enfouissement est la toute première étape de la fossilisation. S’agissant d’animaux relativement petits, en revanche, cette première étape peut être franchie lors d’une banale crue de ruisseau ou de rivière. Pour enfouir le corps entier d’un sauropode géant, il fallait au contraire que des événements cataclysmiques – mégacrue soudaine ou glissement de terrain par exemple – se produisent. Or, dans une région donnée du monde, ce genre de phénomènes ne survient que quelques fois par siècle, voire plus rarement… De par leur violence, ils sont en outre susceptibles d’emporter les parties fragiles d’un animal, ce qui a pu jouer dans le cas des sauropodes, dont les squelettes très hétérogènes combinent les os denses des membres avec des vertèbres si creusées qu’elles ressemblent à des nids d’abeilles ou encore des crânes minuscules en proportion du corps, composés d’os parfois très fins. Pendant la majeure partie du XXe siècle, peu de sauropodes furent découverts, mais la situation a changé dans les années 1990 avec la multiplication des fouilles, de sorte que le nombre d’espèces décrites chaque année a triplé (voir la figure page ci-contre, en bas). Depuis dix ans, les paléontologues publient une dizaine de nouvelles espèces annuellement, si bien que le «&dossier sauropode&» s’est épaissi&: on en connaît aujourd’hui environ 250. Elles nous renseignent

Ce texte est une adaptation de l’article Evolution of the Earth shakers, publié par Scientific American en septembre 2023.


Brachytrachelopan mesai

Giraffatitan brancai

Nombre d’espèces nouvelles publiées chaque année

davantage sur les périodes et sur les environnements qui ont produit ces géants, puisque tant dans les régions bien connues – comme en Australie ou en Amérique du Nord – que dans des zones encore inexplorées – l’Antarctique par exemple –, on continue à en découvrir. Le registre fossile beaucoup plus riche qui résulte de toutes ces trouvailles suggère que, même si certains des sauropodes déjà étudiés sont stupéfiants de par leurs tailles, d’autres plus grands encore seront découverts, et que ce n’est qu’une question de temps. Mais surtout, ces nouveaux fossiles nous aident à cerner bien mieux les facteurs qui, au cours des 150 millions d’années d’existence des sauropodes, ont favorisé à maintes reprises l’acquisition d’un spectaculaire gigantisme corporel.

Camarasaurus supremus Les proportions des sauropodes varient considérablement d’une espèce à l’autre.

14 12 10 8 6 4 2 0 1985

1990

1995

2000

© Scott Hartman (dinosaures) ; © Jen Christiansen, d’après M. D. D’Emic

FAIRE PENCHER LA BALANCE

2005

Pour commencer, ces découvertes ont montré que les proportions générales du corps d’un sauropode pouvaient varier considérablement&: certains étaient élancés comme des girafes, d’autres trapus comme des éléphants&; certains avaient un cou contrebalançant élégamment leur queue, quand d’autres semblaient étonnamment déséquilibrés&; certains avaient les pattes antérieures plus longues que les pattes arrière, ce qui leur donnait une allure majestueuse&; d’autres avaient au contraire les épaules basses, gardant leur cou et tête près du sol. Les empreintes découvertes nous ont aussi appris que tandis que certaines espèces marchaient en plaçant leurs pieds près du plan médian du corps, d’autres les mettaient plus à distance, un peu comme des bouledogues français de 15 mètres de long pourraient le faire…

2010

2015

2020

Le nombre d’espèces nouvelles de sauropodes décrites a triplé ces trente dernières années.

Omeisaurus tianfuensis

Diplodocus carnegii

Cette diversité de formes a dû permettre une coexistence dans les mêmes écosystèmes, chaque espèce étant adaptée à l’exploitation d’une niche particulière. Voilà pourquoi, à une époque donnée et dans une région donnée, on constate souvent la présence de plus d’une espèce de sauropodes. La plurarité des formes complique l’étude de l’évolution de la taille corporelle quant aux longueurs et hauteurs atteintes, si bien que, pour réaliser des comparaisons plus fiables, les biologistes se tournent vers l’estimation des masses corporelles. Ce paramètre est en effet directement lié à des traits biologiques importants tels que le taux métabolique (la vitesse de la dépense énergétique), le taux de croissance, la taille des couvées, la longévité et la taille du territoire exploité. La masse corporelle peut ainsi nous aider à évaluer ces caractéristiques chez un animal disparu, à condition cependant de rester conscient de la force ou de la faiblesse de la corrélation entre la masse corporelle et tel ou tel trait, à commencer par la hauteur ou la longueur. Plusieurs méthodes d’estimation de la masse corporelle des membres d’une espèce fossile existent. La plus utilisée consiste à s’appuyer sur les mensurations des os longs. La masse supportable par un pilier étant proportionnelle à son épaisseur, on pourra estimer le poids d’un sauropode à partir de l’aire de la section transversale de ses os longs. Ce procédé est d’autant plus efficace que parmi les 250 espèces de sauropodes connues, 200 le sont par des fossiles comprenant des os longs assez complets pour réaliser ces mesures. Récemment, j’ai rassemblé l’ensemble des données produites par cette méthode et les ai employées pour établir un graphique traduisant l’évolution de la masse corporelle des sauropodes. Il en ressort qu’ils ont occupé une large gamme de tailles. Parmi les plus grands, on trouve le titanosaure Patagotitan, qui dépassait les 50 tonnes. Magyarosaurus, qui avec 6 mètres de long fait partie des plus petits, ne pesait lui guère plus qu’un taureau. J’ai replacé ces espèces le long de leur arbre de parenté, que j’ai étiré dans le temps afin de faire mieux apparaître quand et combien de fois la masse corporelle des sauropodes a augmenté ou diminué au cours de leur histoire (voir l’encadré page 29). Il s’avère qu’à leur apparition, il y a plus de 200 millions

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d’années, les sauropodes étaient assez petits pour être comparables à un rhinocéros, puis, il y a environ 165 millions d’années, de premiers géants, dont les mamenchisauridés au cou ultralong, ont fait leur apparition. Ainsi la plupart des sauropodes n’étaient pas exceptionnellement grands si on les compare aux plus grands mammifères terrestres. Prenons l’exemple de Diplodocus, ce sauropode à queue particulièrement longue qui foula l’ouest de l’Amérique du Nord il y a environ 155 à 145 millions d’années. Le spécimen surnommé Dippy, dont des répliques sont exposées dans des musées du monde entier, pesait à peine 14 tonnes, soit moins que les plus gros mammouths ou que Paraceratherium. Le poids de Dippy est proche de la masse corporelle moyenne des sauropodes. Cela révèle que les trois quarts d’entre eux pesaient moins que le plus gros des mammifères terrestres connus. Mon étude fait par ailleurs apparaître qu’au cours des quelque 100 millions d’années de leur existence sur les terres correspondant aux six masses continentales actuelles, les sauropodes ont évolué plus de 30 fois vers le gigantisme. Le phénomène a commencé très tôt et, au sein de chaque nouvelle famille de ces herbivores, des lignées ont indépendamment atteint des tailles extrêmes. Ces occupations et réoccupations de la niche des «&corps extrêmement grands&» reflètent ce que l’on observe chez les mammifères terrestres, qui, une fois les dinosaures disparus, ont très vite fourni des espèces géantes, qui ont cependant plafonné vers les 25 tonnes des plus grands mammouths… Les plus grands des grands sauropodes avaient des têtes et des dents de formes différentes et des corps aux proportions variables, ce qui indique que ces dinosaures herbivores ne mangeaient pas les mêmes plantes et vivaient dans des habitats quelque peu dissemblables. En d’autres termes, comme dans tous les groupes d’animaux, les divers grands sauropodes occupaient des niches écologiques diverses.

LIMITES ÉVOLUTIVES

Les tailles des plus grands sauropodes connus soulèvent des questions sur les limites évolutives&: quelle taille un animal peut-il atteindre sur Terre&? Et pourquoi cette taille limite ne peut-elle être dépassée&? Des études biomécaniques donnent à cet égard quelques indications. Les masses corporelles importantes impliquent une augmentation de l’épaisseur des membres, mais celle-ci diminue la mobilité. Pour cette raison, il existe une limite biologique à cette caractéristique, au-delà de laquelle un animal cesse d’être fonctionnel. Les recherches en biomécanique de Jyrki Hokkanen, de l’université de Helsinki, suggèrent que la limite théorique de la masse corporelle en milieu terrestre est bien supérieure 28 / POUR LA SCIENCE N° 553 / NOVEMBRE 2023

Mis au jour en Argentine en 2010, Patagotitan mayorum est l’un des plus grands sauropodes jamais découverts. On estime qu’il pesait environ 50 tonnes, voire plus selon certaines estimations.

à 100 tonnes. Au fil des ans, des études sur plusieurs fossiles aujourd’hui perdus laissent croire à l’existence de sauropodes d’une masse supérieure. Toutefois, le poids de 75 tonnes d’Argentinosaurus, le plus grand sauropode connu, est bien en deçà de cette limite. En outre, la disponibilité des ressources dans l’habitat ou encore la nécessité de pouvoir dissiper la chaleur corporelle ajoutent d’autres limitations à la masse maximale du corps possible, par des interactions complexes qu’il est difficile de prédire. Pour le moment, tout ce que nous pouvons dire avec certitude, c’est que des animaux terrestres peuvent a priori devenir au moins aussi lourds qu’Argentinosaurus, et vraisemblablement plus lourds encore&: la découverte de sauropodes plus grands n’est donc probablement, à nouveau, qu’une question de temps. Pour atteindre leurs tailles, les sauropodes devaient croître très vite. Parmi tous les animaux connus, ce sont eux qui croissaient le plus en valeur absolue, puisque leurs masses corporelles devaient successivement passer par quatre ordres de grandeur. Si les sauropodes devaient grandir autant, c’est non seulement pour atteindre leur immense taille adulte, mais aussi parce qu’ils étaient très petits à leur naissance. Comme tous les autres dinosaures, y compris les oiseaux, les sauropodes sortent d’un œuf. Or plus un œuf est gros, plus sa coquille doit être solide. Toutefois, elle doit aussi permettre les échanges gazeux et ne pas être si épaisse qu’elle empêcherait la sortie de l’œuf. Ces contraintes limitent la taille des œufs, ce qui explique que ceux des sauropodes étaient de la taille d’un melon jusqu’à celle d’un ballon de basket, plus petits même que ceux des plus grands oiseaux. Même un sauropode de 30 mètres de long commençait sa vie à une taille de 50 centimètres… Les mammifères placentaires en revanche donnent naissance à une progéniture relativement grande&: le petit d’une baleine bleue, par exemple, mesure entre 6 et 7,5 mètres de long, de sorte qu’il ne doit que quadrupler sa longueur pour atteindre sa taille adulte. En comparaison d’un bébé sauropode, qui va multiplier sa taille par 100, cela semble modeste… Les os de plusieurs espèces de sauropodes ont révélé comment ils accomplissaient cette croissance. Comme les troncs d’arbres coupés, la section de leurs os est marquée par des anneaux de croissance, qu’il suffit de compter et d’étudier pour déterminer l’âge d’un individu et la durée de sa croissance. Les façons de croître des vertébrés actuels sont d’une grande variété&: ainsi les crocodiles, lézards, tortues et autres reptiles grandissent relativement lentement, alors que la baleine bleue et les autres grands mammifères croissent vite. Si les sauropodes avaient grandi au rythme lent des reptiles d’aujourd’hui, il leur aurait fallu un siècle ou plus pour atteindre leur taille gigantesque. Comme

© chrisstockphotography/Alamy StockDan Kitwood/Getty Images

PALÉONTOLOGIE IL ÉTAIT 36 FOIS LES GÉANTS


DEVENIR ET REDEVENIR GÉANT Au cours d’une histoire de 150 millions d’années, les sauropodes ont occupé une très large gamme de tailles. Initialement, la taille des premiers sauropodes était relativement modeste – comparable à celle d’un rhinocéros. Les individus de grande taille sont apparus il y a quelque 165 millions d’années. Puis à 36 reprises au cours des 100 millions d’années suivantes, ces dinosaures herbivores ont atteint des masses corporelles

Sauropodes archaïques

Diplodocoïdes

Brachiosauridés

Premiers macronariens

Titanosaures

70 000 60 000 50 000

Premières espèces de sauropodes massives connues

40 000 30 000

Paraceratherium

Turiasauriens

La masse corporelle maximale estimée chez les mammifères terrestres est d’environ 25 tonnes. Les premiers sauropodes à franchir ce seuil furent des espèces de sauropodes archaïques (vert citron), suivis par les diplodocoïdes (bleu). Au total, 36 lignées de sauropodes représentant au moins six familles ont évolué vers des proportions gigantesques.

Masse corporelle en kilogrammes Anciens grands éléphantidés

supérieures à 25 tonnes. Chaque nouvelle famille de sauropodes a donné une ou plusieurs lignées de grande taille, mais diverses": leurs dents et les formes de leurs têtes varient, ainsi que leurs proportions corporelles. Cela suggère que ces herbivores consommaient des ressources différentes et donc qu’ils occupaient des niches écologiques distinctes.

20 000

Ancêtre des premières espèces massives connues

© Scott Hartman (dinosaures) ; Jen Christiansen, d’après M. D. D’Emic

10 000

5 000 Par rapport aux plus grands mammifères terrestres – certaines espèces fossiles proches des éléphants, et Paraceratherium, proche des rhinocéros –, la plupart des espèces de sauropodes n’étaient pas particulièrement 1 000 gigantesques. Mais les plus grands sauropodes dominaient Trias de très loin ces mammifères géants et les autres grands 220 200 dinosaures, tels que le dinosaure à bec de canard Millions d’années Shantungosaurus, ou encore Tyrannosaurus.

Each endpoint is a species Chaque point terminal est une espèce Chaque point de ramification est un ancêtre reconstruit Les lignes connectent les ancêtres reconstruits avec les espèces connues Europasaurus

Magyarosaurus Crétacé

Jurassique 180

160

140

120

100

80

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GÉOSCIENCES STRUCTURALES

ISABELLE MORETTI Ancienne directrice scientifique d’Engie, spécialiste des sources naturelles d’hydrogène, Isabelle Moretti est chercheuse associée au Laboratoire des fluides complexes et leurs réservoirs (LFCR) de l’université de Pau, et membre de l’Académie des technologies.

Encore anecdotique il y a quelques années, l’hydrogène natif, issu de réactions chimiques dans certaines roches, fait l’objet de recherches dans la perspective d’une exploitation industrielle, et les projets de forage se multiplient. État des lieux. 40 / POUR LA SCIENCE N° 553 / NOVEMBRE 2023

© Isabelle Moretti

Rien ne s’oppose à ce que l’hydrogène natif prenne beaucoup d’importance


Les découvertes de sources potentielles d’hydrogène natif issu du sous-sol et de premières explorations, à l’initiative de laboratoires de recherche ou de start-up, se sont multipliées ces trois dernières années. Comment interprétez-vous cette effervescence ? L’existence de l’hydrogène naturel est connue de longue date. Quand le sujet a commencé à être étudié de manière plus approfondie, il y a déjà plus d’une dizaine d’années, notamment par Alain Prinzhofer et Éric Deville, il suscitait peu d’intérêt, et seules quelques rares recherches trouvaient des financements. Deux éléments ont contribué à faire évoluer les choses. D’un côté, au Mali, à la fin des années 2010, le développement d’un projet pilote d’exploitation du gisement naturel de Boukarébougou (découvert en 1987), par un entrepreneur, Aliou Diallo, a mis en défaut les a priori sur l’impossibilité de l’accumulation de ce gaz dans le soussol. Par ailleurs, le fort développement des énergies renouvelables a fait émerger un attrait nouveau pour l’hydrogène, vu comme un intermédiaire de stockage de longue durée de l’énergie produite, en complément des batteries. L’idée est d’utiliser l’électricité produite par les filières renouvelables pour produire, avec des électrolyseurs, de l’hydrogène décarboné, dit «-vert-». Sauf que les électrolyseurs, en dépit des progrès techniques, restent chers. Mais puisque la volonté de disposer d’hydrogène vert était là, et de développer une filière pour ce gaz… la recherche de sources naturelles est revenue au premier plan. Comment se développe l’exploration des ressources géologiques d’hydrogène ? Le cas de Viacheslav Zgonnik est assez exemplaire-: ce jeune chercheur, qui travaillait avant dans un cadre académique, a créé sa propre compagnie, Natural Hydrogen Energy-; il a réussi à lever des fonds, et foré un premier puits aux États-Unis en 2019. Pour ma part, à peu près au même moment, en tant que directrice scientifique d’Engie, je commençais, avec Alain Prinzhofer, au Brésil, à mieux comprendre certains indices laissés par l’hydrogène, notamment les fameux «-cercles de fées-», des zones circulaires dépourvues de végétation, qu’il est possible d’observer depuis l’espace. Avec le Covid, nous avons passé du temps à explorer les vues de Google Earth et constaté que ces cercles de fées étaient plus nombreux en certains endroits du globe – en Australie, par exemple. L’Australie du sud a très vite compris que l’hydrogène naturel était un sujet important, et a remarqué qu’on en avait trouvé dans certains puits déjà forés au début du XXe siècle. Cet État a adapté sa loi, qui autorise désormais l’exploitation de l’hydrogène natif. De nombreuses start-up se sont créées. Le potentiel existe au Brésil, mais la prospection n’y est pas encore possible. Elle est autorisée aux

États-Unis (où la start-up Koloma a reçu un financement très important d’un fonds appartenant à Bill Gates), va l’être bientôt en Colombie… En France, les équipes de 45-8 Energy, anciens de Total, ont demandé des permis d’exploration pour l’hélium, ayant observé que ce gaz et l’hydrogène étaient parfois présents en un même site. Puis la loi française a évolué-: il est possible d’explorer le sous-sol dans le seul but d’y trouver de l’hydrogène, inscrit depuis mars 2022 dans le code minier. Que sait-on aujourd’hui de l’origine de l’hydrogène naturel ? Les premières observations d’émanation d’hydrogène naturel ont été faites au milieu des océans-: la réaction dite «-de serpentinisation-», dans laquelle des roches issues du manteau terrestre, remontant le long des failles océaniques, sont pour la première fois au contact de l’eau, provoque l’oxydation du fer, et libère de l’hydrogène. Cette réaction est aussi possible à terre, là où des roches profondes dites «-mafiques-» viennent affleurer-; le phénomène est attesté en Nouvelle-Calédonie ou à Oman, connu depuis longtemps. Une autre source d’hydrogène natif se trouve au sein de certains cratons, quand de l’eau entre en contact avec de très anciennes roches enrichies en fer lors d’épisodes glaciaires, quand l’océan était anoxique. Elles sont appelées «-fers rubanés-», et sont présentes en Australie, en Afrique du Sud, en Namibie ou encore au Mali. Outre l’oxydation du fer, en jeu dans les contextes océaniques, mafiques et cratoniques, la radiolyse a, aussi, été identifiée comme source d’hydrogène natif. La radioactivité naturelle de certaines roches casse les molécules d’eau, et libère le gaz. Ce contexte serait celui de certains gisements au Canada et en Afrique du Sud. Plus récemment, il a été proposé que les roches riches en charbon sont susceptibles de produire de l’hydrogène, de manière analogue à la production du «-gaz de ville-», ce mélange de méthane, de monoxyde de carbone et d’hydrogène que l’on produisait en chauffant du charbon à haute température. Des chercheurs du Centre allemand de recherche en géosciences (GFZ) ont observé, dans certains bassins houillers en Chine, la production d’hydrogène là où, en profondeur, la température atteint 200 à 250 °C. Cela fait donc un quatrième contexte géologique favorable à l’hydrogène natif. À la différence des gisements d’hydrocarbures fossiles, ces sources d’hydrogène se renouvellent… Dans le cas des roches riches en matières organiques, parce que le charbon est une ressource fossile, non-: une fois l’hydrogène produit, le charbon est consommé. Mais dans les autres cas, le gaz provient de la réaction de l’eau

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GÉOSCIENCES STRUCTURALES « RIEN NE S’OPPOSE À CE QUE L’HYDROGÈNE NATIF PRENNE BEAUCOUP D’IMPORTANCE »

En quoi l’exploitation d’un gisement d’hydrogène naturel diffère-t-elle de celle d’un gisement pétrolier ou gazier classique ? Il y a des chances que les installations d’extraction d’hydrogène s’apparentent davantage à ce qui se pratique dans la géothermie. Dans les deux cas, en effet, la recharge en fluide est continue, et il faut adapter la production à la vitesse de cette recharge. Les critères favorables, par ailleurs, seront une porosité correcte de la couche rocheuse, et la présence d’une roche de couverture, relativement imperméable, pour disposer d’une accumulation de l’hydrogène. La qualité des formations rocheuses susceptibles d’être imperméables, à présent que l’on s’oriente vers un contexte de production industrielle, fait l’objet de recherches actives. Celles-ci s’appuient notamment sur ce que nous apprennent les puits existants, forés pour une exploitation d’hydrocarbures. Au Mali, l’hydrogène est piégé sous une couche de roche volcanique, de la dolérite-; aux États-Unis, sous des couches d’argile. Sans surprise, c’est pour les lieux où la présence d’hydrogène est observée de longue date que les permis d’exploration se multiplient. Les deux premiers délivrés à la société australienne Gold Hydrogen, par exemple, vont servir à reforer deux puits où la présence d’hydrogène avait été constatée il y a cent ans. Dans les Pyrénées, les prospections se font sur les lieux de fuites observées, en surface, au débouché de certaines failles. Est-il possible d’accélérer la production d’hydrogène en injectant de l’eau dans les roches ? L’Ifpen avait proposé, il y a plusieurs années, de produire de l’hydrogène en faisant réagir des déchets de mines. En NouvelleCalédonie, les résidus rocheux dont est extrait le nickel, par exemple, sont très chauds, à la suite d’un traitement à 1-000 °C. Actuellement, une start-up, Hymag’in, à Grenoble, fait réagir des déchets sidérurgiques avec de l’eau, pour produire de la magnétite et de l’hydrogène. Aux États-Unis, l’approche est très différente-: l’expérience des gaz de schiste est celle de puits avec injection d’eau. Des réflexions sont en 42 / POUR LA SCIENCE N° 553 / NOVEMBRE 2023

cours pour transposer ce savoir-faire et produire ainsi de l’hydrogène «-orange-»-: ce ne sera pas du gaz naturel-! L’hydrogène extrait nécessite-t-il d’être traité ? Cela va dépendre des cas. Prenons d’abord le contexte des processus liés à des installations géothermiques. Avec mon équipe, nous avons notamment travaillé à Larderello, en Italie [cette unité de production fournit l’électricité consommée par environ 1 million de foyers en Italie, ndlr], et étudié le potentiel du rift d’AsalGhoubbet, à Djibouti. Ce sont deux exemples de contextes géologiques où l’on peut se «-contenter-» de capter l’hydrogène dans le fluide géothermal. Il y est présent en faible proportion, autour de 3-% environ. Le reste, c’est essentiellement de l’eau chaude, et éventuellement des gaz moins «-sympathiques-», comme le CO2. En général, le flux contient aussi de l’azote, et il peut y avoir du sulfure d’hydrogène (H2S). Actuellement, dans les puits géothermiques, on sait très bien séparer ces gaz, d’autant plus que le flux est important et la température, élevée. Les procédés, maîtrisés, sont courants – à ceci près que jusqu’ici l’hydrogène est relâché dans l’atmosphère, et le CO2 et l’H2S réinjectés.

Le cas du puits exploité au Mali est différent. Le flux émergent est composé à 98-% d’hydrogène. Jusqu’ici, à ma connaissance, il a été brûlé directement pour faire fonctionner une turbine produisant de l’électricité. La combustion d’un gaz qui n’est pas complètement pur ne pose pas de problème – les constructeurs de turbine savent les adapter. Si l’on souhaite, en revanche, utiliser ce gaz pour alimenter une pile à combustible, il est nécessaire d’atteindre une pureté plus élevée et, par conséquent, de séparer l’hydrogène des impuretés. Une dimension légale peut intervenir dans le choix de séparer ou non les gaz issus d’un puits. Si vous êtes aux ÉtatsUnis, et que vous trouvez du méthane et de l’hydrogène, vous les séparez, puis vous vendez les deux. En France, si quelqu’un disposant d’un permis pour l’hydrogène trouve un mélange méthane-hydrogène, il n’aura sans doute pas

Dans certains sites explorés dans le sud de l’Australie, la remontée du dihydrogène à travers les roches sous-jacentes se signale par un appauvrissement très marqué de la végétation (ici, au-delà de la lisière des arbres).

© Isabelle Moretti

avec la roche, on peut s’attendre effectivement, donc, à un flux continu, même s’il reste beaucoup d’incertitudes sur ce point. Le paramètre important est, en fait, la vitesse de la réaction produisant l’hydrogène. La radiolyse est un phénomène lent-: il faudrait identifier, aux endroits où il se produit, des configurations géologiques favorisant l’accumulation du gaz dégagé. Dans les contextes d’interaction de l’eau avec des roches riches en fer, le processus est continu, les températures élevées et la réaction rapide-: dans tous les volcans d’Islande et dans toutes les centrales géothermiques, il y a des flux d’hydrogène.


l’autorisation de produire le méthane. Il devra séparer les deux gaz et réinjecter le méthane d’où il vient. Le coût de la séparation doit être pris en compte dans l’économie de l’extraction de l’hydrogène natif. Cependant, il faut garder en tête que dans le cas de sa production par reformage du méthane – méthode courante de production d’hydrogène aujourd’hui –, le tiers du coût de l’hydrogène obtenu correspond au coût du méthane, un autre tiers à la chaleur nécessaire à la réaction chimique, et un autre tiers à la séparation. Quel est le potentiel de l’hydrogène natif, comme ressource énergétique, dans le monde ? Je m’appuie pour répondre sur une estimation des flux identifiés dans le monde, effectuée il y a trois ans, qui ne tient compte que de deux des quatre types de roches mères abritant de l’hydrogène natif que nous connaissons maintenant… En se limitant aux roches mantelliques et mafiques, les calculs aboutissaient à 23 millions de tonnes par an, ce qui correspond à un quart de la consommation actuelle. Si on considère par ailleurs l’apport éventuel issu de la matière organique, on obtient plus de 350 000 ans de réserves d’après Brian Horzfield, chercheur au GFZ. Il faut tenir compte du fait que l’on rapporte le calcul à la consommation actuelle d’hydrogène, qui est très limitée aujourd’hui. Donc en résumé les chiffres sont encore très incertains mais la ressource est là et l’hydrogène naturel pourrait devenir la plus importante source de ce gaz décarboné. À quel horizon l’hydrogène natif peut-il devenir une filière industrielle ? Est-ce que dans cinq ans 5-% de l’hydrogène sera d’origine géologique, ou est-ce que ce sera dans dix ans-? Est-ce que dans dix ans, ce sera 50-%, ou 90-%-? Je n’en sais rien. Pour moi, rien ne s’oppose, au niveau de la géologie, à ce que l’hydrogène natif prenne beaucoup d’importance. Mais ça n’empêche qu’il faut du temps. Ces dernières semaines, les mesures de concentration effectuées dans le bassin lorrain, que certains médias ont présentées comme la preuve que l’hydrogène français allait abreuver l’Europe, peuvent laisser penser que le démarrage de la production de l’hydrogène natif est imminent… Ce n’est pas ce qui va se passer. Il reste encore un travail important d’évaluation pour savoir réellement la quantité qu’il y a dans une zone ou une autre, et la mettre en production. Et si on fait une comparaison avec le monde des hydrocarbures, une fois qu’on a fait une découverte, c’està-dire qu’un premier puits a trouvé du gaz ou du pétrole, le temps de faire ce qu’on appelle la «-délinéation-», à savoir l’évaluation exacte de la quantité qu’on possède, de concevoir les installations de production adaptées… c’est au minimum cinq ans, et souvent le double. Cette échelle

de temps, pour la production d’hydrogène natif, vaut sans doute aussi d’ailleurs pour l’utilisation de l’hydrogène dans le mix énergétique. Les électrolyseurs, présentés comme des installations d’ores et déjà disponibles ne sont pour la plupart pas encore construits. Le fait qu’ils soient abordables, cela aussi relève du futur. L’hydrogène extrait du sous-sol sera-t-il utilisé sur place ou transporté à l’autre bout du monde ? Il s’agit, je crois, d’abord, de choix politiques. Il faut cependant prendre en compte le fait que l’hydrogène est moins simple à transporter que le méthane ou le pétrole. Chercheurs et industriels y travaillent, un premier «-hydrogénier-» a été mis au point pour transporter le gaz liquéfié, en 2022. On envisage d’ailleurs plutôt, à présent, de transporter le gaz comprimé plutôt que liquéfié. Fondamentalement, puisque le transport de l’hydrogène est compliqué, parce qu’il s’agit d’une très petite molécule, qui tend à fuir facilement, on peut aussi avoir intérêt à réfléchir un peu plus à l’autonomie des territoires sur le plan de l’énergie. Doit-on forcément créer un marché mondial de l’hydrogène, comme on l’a fait pour les hydrocarbures-? En Europe, à l’évidence, les avis divergent. Les Allemands semblent vouloir produire de l’hydrogène en Mauritanie ou en Namibie, le transporter et le consommer chez eux. En tant que citoyenne, je ne suis pas convaincue que ce soit une bonne approche. J’observe que certains choix industriels stratégiques semblent, implicitement, dessiner une préférence-: en France, l’engouement de l’État pour l’avion à hydrogène implique bien qu’il y en aura dans tous les aéroports du monde… Les ressources en hydrogène natif sont-elles mieux réparties que les ressources pétrolières ? Certains le disent. Personnellement, je ne sais pas, cela ne me semble pas aussi clair. Ne serait-ce que parce qu’une découverte n’est pas nécessairement suivie d’une mise en production-; nombre de découvertes de gaz naturel ne sont pas exploitées, parce qu’économiquement ce n’est pas rentable ou que le gisement n’est pas assez important. On n’a pas encore suffisamment de recul sur l’économie du système pour savoir si on pourra produire l’hydrogène partout où il sera découvert. Mais, assurément, il y a des situations où il ne sera pas rentable d’expédier à l’autre bout du monde l’hydrogène extrait, mais tout à fait judicieux de l’utiliser in situ pour produire l’électricité nécessaire localement. Au-delà de ce choix, il s’agit de répondre à la question, posée déjà par les éoliennes ou les électrolyseurs, de la meilleure manière de penser la maille énergétique d’un système. Et, par ailleurs, il est clair que sur le plan des capacités de production, les deux pays en tête de la course sont les États-Unis et l’Australie. Propos recueillis par François Lassagne

BIBLIOGRAPHIE B. Horsfield et al., Molecular hydrogen from organic sources in the deep Songliao Basin, P. R. China, International Journal of Hydrogen Energy, 2022. I. Moretti et al., Hydrogen emanations in intracratonic areas": New guide lines for early exploration basin screening, Geosciences, 2021. C. J. Boreham et al., Hydrogen in Australian natural gas": Occurrences, sources and resources, The APPEA Journal, 2021. A. Prinzhofer et al., Natural hydrogen continuous emission from sedimentary basins": The example of a Brazilian H2-emitting structure, International Journal of Hydrogen Energy, 2019. A. Prinzhofer et E. Deville, Hydrogène naturel, la prochaine révolution énergétique!?, Belin, 2015.

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PALÉOCLIMATOLOGIE

Île de Pâques!

une crise d’origine climatique Thierry Delcroix, Rodrigo Abarca-del-Río et Bruno Malaizé

Sous l’influence de l’oscillation climatique de La Niña, l’île de Pâques connaît parfois de longues périodes sèches. Elles furent si prononcées entre le XVIe et le XVIIe siècle qu’elles contribuèrent au déclin de la population insulaire.

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© Dimdok/Shutterstock

Les moais, des statues monumentales d’ancêtres, sont les symboles les plus connus de la culture de l’île de Pâques. Alors que de grandes sécheresses affaiblissaient l’environnement insulaire aux XVIe et XVIIe siècles, les Pascuans se sont adaptés, notamment en remplaçant le culte des moais par une nouvelle spiritualité.

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PALÉOCLIMATOLOGIE ÎLE DE PÂQUES : UNE CRISE D’ORIGINE CLIMATIQUE

> L’analyse des climats du passé montre qu’à cette période, l’île a souffert

C

LES AUTEURS de sécheresses importantes, sous l’influence de l’oscillation climatique La Niña. > Ces sécheresses prolongées ont profondément modifié les ressources en végétaux et en eau douce, fragilisant l’environnement insulaire.

omment les sociétés décidentelles de leur disparition ou de leur survie"? Le géographe Jared Diamond soulève cette question dans le sous-titre de son célèbre livre Effondrement. Il y avance qu’à l’époque précédant l’arrivée des premiers navigateurs européens sur l’île de Rapa Nui, le nom autochtone de l’île de Pâques, ses habitants polynésiens avaient détruit l’environnement de leur monde insulaire, et que cet écocide expliquerait leur déclin démographique. Or le peuple Rapa Nui a stupéfié la planète en érigeant plus de 800 moais, des statues monumentales de 1 à 10 mètres de hauteur et pesant entre 3 et 80 tonnes. Sur l’île, on les rencontre dans la carrière du volcan Rano Raraku, sur des plateformes spécialement aménagées ou isolés sur les chemins. D’après l’estimation de la main-d’œuvre nécessaire pour dresser ces sculptures d’un poids moyen de 13,8 tonnes, la population insulaire pourrait avoir culminé à 15"000 personnes au début du XVIe siècle. Cependant, quand le jour de Pâques 1722 l’explorateur néerlandais Jakob Roggeveen découvre Rapa Nui – et la nomme «"île de Pâques"» –, elle ne compte plus que de 2"000 à 3"000 habitants. Très peu d’arbres poussaient alors sur l’île. Pourtant, des rouleaux de bois avaient certainement été nécessaires pour déplacer les moais. De fait, des recherches paléobotaniques ont révélé que plus de vingt espèces d’arbres et d’arbustes furent présentes sur Rapa Nui. Surexploitation, guerre, climat"? Comme toujours dans une situation complexe, la réponse mêle certainement ces phénomènes, mais de quelle manière"? Ainsi que nous allons le voir, l’influence du climat semble avoir été très sousestimée": quand les pluies se font rares, la 66 / POUR LA SCIENCE N° 553 / NOVEMBRE 2023

© Olga Danylenko/Shutterstock ; en médaillon : © Pour la Science, d’après T. Delcroix et al. Paleoceanography and Paleoclimatology, 2022

L’ESSENTIEL > Pour expliquer le déclin de la société de l’île de Pâques entre le XVIe et le XVIIe siècles, plusieurs hypothèses ont été avancées": surexploitation du bois, invasion par les rats…

THIERRY DELCROIX océanographe physicien à l’Institut de recherche pour le développement au laboratoire Legos, à Toulouse

RODRIGO ABARCA-DEL-RÍO géophysicien au département de géophysique de l’université de Concepción, au Chili

BRUNO MALAIZÉ paléoocéanographe au laboratoire Epoc, à l’université de Bordeaux


végétation se fragilise, la sécheresse peut régner, une étincelle suffit à détruire des pans entiers de la nature… surtout sur une petite île.

UN ENVIRONNEMENT FRAGILE

Annexée par le Chili en 1888, la Isla de Pascua – son nom en espagnol – mesure environ 20 kilomètres dans sa plus grande longueur. Sa surface de 164 kilomètres carrés est un peu plus petite que celle de l’île d’Oléron. Ce triangle de terre isolé au milieu de l’océan se trouve par 27° de latitude sud – à peu près celle de l’extrême sud du Brésil ou de la ville de Caldera, dans le nord du Chili, – et 109° de longitude ouest, vers le milieu du Pacifique austral, à quelque 3"500 kilomètres de Valparaiso, au Chili, et à 4"200 kilomètres à l’est-sud-est de Tahiti. Son climat est subtropical, les températures de l’air varient entre

Le Ranau Kau (ci-dessous) est un volcan constituant la pointe sud-ouest de Rapa Nui, un triangle de terre édifié au milieu du Pacifique sud par plusieurs volcans. Réserves d’eau pour les insulaires, leurs lacs de cratères sont plus ou moins pleins selon les pluies, ce qui dépend en partie du bon vouloir des épisodes El Niño et La Niña, qui déplacent les vastes zones de fortes précipitations (en bleu dans la vignette), dont une branche s’étend vers l’île.

40° 0,24 0,2 0° 20° 40° 120°

0,16 Tahiti Pitcairn

Darwin

150°

180°

150°

120°

0,12 0,08

Rapa Nui 90°

0,04 60°

0

Taux de précipitations

0,28 20°

14 °C et 28 °C. L’île est parsemée de nombreux cratères de volcans éteints, dont le Rano Kao, le Rano Aroi et le Rano Raraku. Ils contiennent des lacs, qui, de longue date, constituèrent des réserves d’eau douce des Pascuans. Les pluies les plus fortes – celles qui alimentent ces lacs – tombent au-delà de 400 mètres d’altitude (le point culminant de l’île est à 507 mètres)"; les plus faibles à l’abri des vents d’est dominants et dans les plaines. La dégradation de l’environnement de ce monde insulaire après le XVIe siècle a beaucoup stimulé les imaginations. Dans le scénario proposé par Jared Diamond, une surexploitation irraisonnée des ressources aurait provoqué un effondrement. Clairement, cette proposition fut élaborée pour suggérer par la métaphore que nos sociétés de consommation pourraient aussi s’effondrer. Dans un autre récit – celui de Terry Hunt, de l’université de Hawaii –, la forêt pascuane aurait été en partie ravagée par les rats introduits par les premiers colons polynésiens. Sources de protéines, ces rongeurs étaient en effet souvent emportés par les Polynésiens lors des navigations exploratoires lointaines. À en croire Terry Hunt, leur consommation des graines de cocotier et d’autres arbres aurait fini par détruire la forêt. La probable influence du climat est une explication aussi envisagée. Elle n’a cependant été que partiellement explorée, puisqu’on s’est surtout concentré sur le rôle possible du Petit Âge glaciaire, une période allant d’environ 1350 à 1850, pendant laquelle le climat planétaire s’est nettement refroidi. Des chercheurs ont aussi examiné l’hypothèse de répercussions des variations naturelles quasi cycliques du climat, mais leurs investigations sont peu nombreuses et toutes fondées sur des méthodes, des données et des périodes de temps différentes. Dès lors, aucun consensus scientifique n’a pu émerger. C’est pourquoi nous avons réétudié l’explication climatique en nous penchant sur ces variations quasi cycliques sur une très longue période": entre 850 et 2021. Par comparaison avec les autres îles du Pacifique tropical, l’île de Pâques se trouve dans une zone océanique où tombent relativement peu de pluies. Dès lors, se pourrait-il que des déficits marqués en eau, voire des sécheresses, aient joué un rôle dans le déclin de la forêt"? Cela semble d’autant plus plausible qu’au cours des vingt dernières années, l’augmentation des sécheresses a fragilisé la végétation et a doublé le nombre des feux de forêt à l’échelle du globe. Nous savons tous qu’en 2022, l’Europe a détenu à cet égard un triste record, notamment quand les feux en Gironde ont atteint des proportions… canadiennes. Début 2023 au Chili, le pays de l’hémisphère Sud dont fait partie aujourd’hui Rapa Nui, des milliers d’hectares de forêt sont partis en fumée dans un

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PALÉOCLIMATOLOGIE ÎLE DE PÂQUES : UNE CRISE D’ORIGINE CLIMATIQUE

contexte de sécheresse extrême. Or l’île de Pâques a aussi été concernée par ce phénomène mondial, puisqu’en octobre 2022 un incendie y a détruit 100 hectares de forêt et endommagé gravement plus de 80 statues de pierre datant d’entre les XIVe et XVIIe siècle (voir la photo page 71). Due à un déficit de pluie de plusieurs années, la sécheresse a été si intense à Rapa Nui que le lac de cratère du principal volcan insulaire – le Rano Raraku situé dans le sud-est de l’île – s’est beaucoup abaissé et a révélé un moai inconnu jusque-là, puisqu’il était immergé. Comment s’expliquent la raréfaction des pluies et cette extrême sécheresse épisodique dans la région du Pacifique depuis vingt ans"? De manière générale, le réchauffement climatique d’origine anthropique est la cause, dans de nombreuses régions du monde, des déficits de pluie prolongés observés aux XX e et XXIe siècle. Asséchant les sols et la végétation, créant davantage de combustibles inflammables, ce manque d’eau augmente les risques de feux partout sur la planète, donc dans la région du Pacifique également. S’agissant de l’île de Pâques, il est tentant d’incriminer aussi le phénomène climatique El NiñoOscillation Australe, une oscillation naturelle impliquant l’immense océan Pacifique et son atmosphère. Au large des côtes d’Amérique du Sud, la phase chaude de ce phénomène culmine vers Noël, de sorte qu’à la fin du XIXe siècle, les pêcheurs péruviens l’ont surnommée El Niño, «"l’enfant"» en espagnol, faisant référence à l’Enfant Jésus. Ils ne pouvaient alors avoir conscience que leur El Niño était juste la signature régionale de conditions très inhabituelles de l’ensemble du Pacifique tropical, à la fois dans l’océan et dans l’atmosphère. Cela ne sera établi qu’au début des années 1960. En jargon international de climatologue, El Niño est devenu l’Enso, acronyme de El Niño-Southern oscillation. Cette variation climatique est bien une «"oscillation"» puisqu’elle a aussi des phases froides, que les océanographes ont baptisées La Niña au milieu des années 1980. Pendant ces phases, la baisse de la température de la surface océanique induit des déplacements des zones habituellement pluvieuses, voire des sécheresses. Ainsi, trois épisodes La Niña se sont succédé entre juillet 2020 et mars 2023. Seules les années 1954-1956 et 1973-1976 en ont présenté d’aussi longs.

L’ÉNIGMATIQUE DÉCLIN DE LA FORÊT DE LA ISLA DE PASCUA

Est-il possible que telles répétitions de déficits pluviométriques et de sécheresses se soient aussi produites dans le passé et qu’elles aient précipité le déclin forestier de Rapa Nui"? L’identification des restes de végétaux 68 / POUR LA SCIENCE N° 553 / NOVEMBRE 2023

brûlés dans les feux de cuisine suggère qu’à partir du milieu du XVIIe, la quasi-totalité des arbres et des arbustes a été remplacée par des herbacées. L’identification des pollens d’arbres piégés dans les strates du remplissage sédimentaire des lacs de cratères du Rano Kao et Rano Aroi confirme cette date. C’est donc pendant cette période qu’il nous faut étudier si l’Enso a également joué un rôle néfaste. On notera cependant que l’ensemble des recherches paléoenvironnementales montre aussi que la raréfaction puis la disparition des arbres a varié à travers le temps et selon les zones de l’île. Cette hétérogénéité est vraisemblablement due à l’impact des activités humaines": comme partout ailleurs sur la planète, les Pascuans déboisaient par nécessité, car ils avaient besoin de bois de cuisine, de défricher des champs, de construire des abris, et ils voulaient aussi déplacer des moais… Pour autant, au final, il est clair que dans la seconde moitié du XVIIe siècle la forêt avait déjà pratiquement disparu. En partie à cause d’une répétition d’épisodes La Niña)? Possible, mais comment le démontrer"?

Après le milieu du XVIIe siècle, des herbacées remplacent arbres et arbustes

£

Pour le passé récent, établir un lien de causalité entre le dernier événement La Niña, anormalement long (juillet 2020-mars 2023), le déficit de pluie, la sécheresse induite et les incendies sur Rapa Nui n’est pas chose aisée. C’est là une problématique bien connue des climatologues": celle de «"l’attribution"», c’est-àdire la mise en relation de tout ou partie d’un phénomène météorologique avec tel ou tel aspect du climat. Ainsi, l’analyse par des techniques statistiques d’un grand nombre d’événements Enso permet de révéler des liens probables entre la fréquence et la durée des excès ou des déficits de pluie et celles des épisodes El Niño ou La Niña. Il est notamment possible d’examiner si les épisodes La Niña du passé ont influencé la quantité de pluie sur l’île et, par extension, d’apprécier quels effets les


Anomalies de précipitations

Anomalies de l’indice Niño 3-4

Anomalies normalisées

3 2 1

La bonne corrélation observée entre la courbe des pluies et l’indice Niño 3-4 au cours des quarante dernières années illustre l’influence des événements El Niño (Niño 3-4 > 0) et La Niña (Niño 3-4 < 0) sur les anomalies de précipitations de l’île de Pâques.

0 –1

–2

–3

© Pour la Science, d’après T. Delcroix et al. Paleoceanography and Paleoclimatology, 2022

1980

1985

1990

1995

impacts associés ont pu avoir sur le déclin de la forêt de Rapa Nui, tout particulièrement entre le XVe et le XVIIe siècle. Nous avons donc observé l’occurrence des phases chaudes et froides d’Enso pendant trois périodes différentes. La première s’étend de 1950 à 2021, de sorte que l’étude s’appuie sur des mesures instrumentales et des données satellitaires"; la deuxième, de 1850 à 2014, est assez proche de nous, et nous avons pu l’analyser en exploitant 46 simulations climatiques différentes"; finalement, pour la longue période s’échelonnant entre 850 et 1980, nous avons développé une reconstitution novatrice de l’indice Niño 3-4. Ce dernier est défini comme la moyenne des températures de surface de la région comprise entre 170° et 120° de longitude ouest, entre 5° nord et 5° sud de latitude. En période chaude (El Niño), les eaux de surface (> 28 °C) normalement situées dans l’ouest du Pacifique tropical se répandent vers le centre et l’est. Elles occupent alors la région Niño 3-4, où la température de surface est plus élevée qu’en situation normale": dans ce cas l’indice Niño 3-4 est positif. En période froide (La Niña), les eaux chaudes se déplacent très loin vers l’ouest, et une remontée d’eaux froides apparaît le long de l’équateur dans le centre et l’est du Pacifique. La température de surface de la région Niño 3-4 est alors plus basse que la moyenne": l’indice Niño 3-4 est négatif. Les dates, durées et amplitudes des événements El Niño ou La Niña sont donc reconnaissables aux valeurs atypiques de cet indice. Nous avons testé d’autres indices caractérisant Enso, notamment l’indice historique mesurant la différence de pression atmosphérique au sol entre la ville de Darwin, en Australie du Nord, et Tahiti (voir la figure 67). Nous parvenons aux mêmes conclusions à partir de ces indicateurs. Dans un premier temps, nous avons analysé les liens entre les

2000

2005

2010

2015

2020

événements Enso et la variabilité des précipitations sur l’île de Pâques aux cours de la période 1950-2021. Globalement, les mesures satellitaires post-1979 révèlent des déficits de pluie pendant les phases La Niña et des excès pendant celles d’El Niño. La très bonne corrélation entre la courbe de la pluviométrie et celle donnant les variations de l’indice Niño 3-4 confirme l’influence d’Enso sur le régime des précipitations de l’île de Pâques aux cours de cette période (voir la figure ci-dessus).

L’INFLUENCE D’ENSO CONFIRMÉE

La «"réanalyse"» ERA5 effectuée récemment pour les années 1950 à 2021 par le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme – une organisation intergouvernementale située à Reading en Grande-Bretagne – montre que des déficits de pluie apparaissent en phase La Niña sur une grande partie de la bande équatoriale, ainsi que sur une région orientée NO-SE centrée sur l’île de Pâques. Ces déficits traduisent, au premier ordre, le déplacement vers l’ouest de la zone de fortes précipitations situées au-dessus des eaux chaudes (voir la figure page 67). Précisons qu’effectuer une réanalyse consiste à simuler numériquement – à l’aide d’imposants programmes appelés «"modèles numériques du climat"» – les évolutions des conditions atmosphériques et océaniques passées en ramenant si nécessaire les résultats obtenus vers la «"réalité"» des observations disponibles, réglage que l’on nomme l’«"assimilation des données"». Nous avons ensuite comparé les variations de l’indice Niño 3-4 et des précipitations de l’île de Pâques aux cours de la période 1850-2014. Ces variations proviennent de l’analyse de simulations climatiques de 46 modèles numériques reproduisant les caractéristiques essentielles du système océan-atmosphère. Ces 46 simulations font partie de l’ambitieux projet international

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PALÉOCLIMATOLOGIE ÎLE DE PÂQUES : UNE CRISE D’ORIGINE CLIMATIQUE

de comparaison de modèles couplés du Programme mondial de recherche sur le climat (PMRC). Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) les a déjà employées pour étayer plusieurs de ses rapports. Nous avons constaté en examinant ces simulations qu’il y a de bonnes corrélations

notamment l’Enso. Nous avons caractérisé la fréquence des événements Enso du dernier millénaire en reconstruisant l’indice Niño 3-4 à partir d’une cinquantaine de proxys terrestres et marins de la région Pacifique, puis en combinant statistiquement les informations apportées par chacun d’eux afin d’obtenir une reconstitution climatique de la meilleure qualité possible. Notre reconstruction de l’indice Niño 3-4 suggère qu’au cours du premier tiers du dernier millénaire, le Pacifique tropical s’est trouvé surtout en situation de type El Niño (indice Niño 3-4 plus chaud que la moyenne) et qu’au cours des deuxième et dernier tiers, il était soumis essentiellement à des phases La Niña (indice Niño 3-4 plus froid que la moyenne). Entre environ 1550 et 1650, nous distinguons une période bien particulière pendant laquelle le Pacifique tropical était sous l’influence de phases La Niña pendant plus de 80"% du temps, alors que cette proportion n’est que de 35"% sur le reste du millénaire. De ce que nous avons vu des périodes 19502021 et 1850-2014, nous concluons que Rapa Nui a donc probablement connu des déficits prolongés de précipitations aux cours des années s’échelonnant entre 1550 et 1650.

Les sols se sont érodés, perdant leur humus, et une boucle nocive s’est enclenchée

£

Finalement, nous avons aussi étudié la période 850-1980. Pour cela, il nous a fallu d’abord caractériser les événements Enso des années les plus lointaines. Nous avons donc fait appel à ce que l’on nomme des «"proxys climatiques"»": des enregistrements de grandeurs physiques ou chimiques à partir desquelles il est possible de s’approcher de ce que fut un climat passé. Concrètement, il s’agit par exemple d’analyser le taux de croissance des cernes d’arbres, de ceux de coraux et bivalves fossiles, de spéléothèmes (stalactites et stalagmites), de sédiments lacustres, de carottes de glace, voire d’étudier des témoignages écrits. La plupart de ces proxys sont disponibles via le programme international Pages (Past global changes). Proprement étalonnés, ils fournissent des informations indépendantes sur l’impact régional des phénomènes climatiques de grande échelle, 70 / POUR LA SCIENCE N° 553 / NOVEMBRE 2023

L’exploitation de la mesure de dizaines de « proxys » climatiques permet de reconstruire de façon approchée les variations de l’indice Niño 3-4 pendant la période s’échelonnant de 850 à 1980. La courbe obtenue indique clairement qu’une succession quasi continue d’épisodes de type La Niña s’est produite au cours des années 1550 et 1650. Ces événements ont privé l’île de Pâques des précipitations qu’elle reçoit normalement.

Si l’on se base sur les relations statistiques entre Enso et les précipitations des années 1950-2021, on peut estimer que pendant les années 1550-1650, chaque période de trente ans a connu l’équivalent d’une absence totale de pluies pendant des plages allant de quatre à sept ans. Comme la plupart des espèces d’arbres ne peuvent survivre à des sécheresses de plusieurs années, répétées dans le temps, on comprend mieux ce qui pourrait expliquer ou a pu renforcer le déclin massif de la forêt pascuane entre le XVIe et le XVIIe siècle. Nos résultats révèlent que les suspicions pesant sur l’Enso étaient justifiées": cette

1000 La Niña

1200

1400 El Niño

1600 Neutre

1800 2000 Temps (années)

© Pour la Science, d’après T. Delcroix et al. Paleoceanography and Paleoclimatology, 2022

LA NIÑA S’IMPOSE CENT ANS DURANT

DES ANNÉES SANS PLUIE

Pourcentage d’événements Enso par période de 30 ans

positives entre les anomalies de la température de surface de la région Niño 3-4 et les anomalies de précipitations sur l’île de Pâques, ce qui illustre qu’elles ont bien tendance à être synchrones. Les événements La Niña de la période 1850-2014 se traduisent donc en général par des déficits de pluie sur l’île de Pâques (et par l’inverse pendant les phases El Niño). Nous avons estimé l’amplitude de ces déficits en calculant à partir des simulations produites par chaque modèle les différences de précipitations entre les périodes neutres et les périodes La Niña": nous obtenons des déficits de l’ordre de 15"% à 37"%, ce qui est notable.


© Rapanui Municipality / AFP

oscillation climatique naturelle, majeure, de l’immense Pacifique a manifestement joué un rôle dans la disparition de la forêt pascuane. Plus précisément, nous montrons que ce sont les épisodes La Niña qui, en séjournant trop longtemps sur le Pacifique tropical, ont contribué au déclin de la forêt. Réduisant les pluies, ces phases ont vraisemblablement assoiffé, puis graduellement dégradé, voire tué, la végétation. Les sols alors privés de la protection offerte par la végétation se sont érodés, perdant leur humus": une boucle nocive s’était enclenchée. Pour autant, très ingénieusement, les Pascuans se sont adaptés": ils ont géré méticuleusement leurs ressources en eau, travaillé à l’irrigation, construit des jardins vivriers – les manavai – et élaboré des pièges à humidité en pierre. Ils ont aussi tenté de reboiser, développé des systèmes ingénieux de protection des cultures et pérennisé des interdits sur l’exploitation de ressources naturelles – les tapu des sociétés polynésiennes –, lesquels ont défini l’équivalent de nos réserves naturelles intégrales. Leur inquiétude a aussi eu des conséquences spirituelles, puisqu’ils ont renversé les moais et abandonné leur culte pour le remplacer par celui de l’«"homme-oiseau"». Faut-il considérer l’île de Pâques comme un modèle miniature de notre planète"? Si l’on

veut jouer à ce jeu, alors il nous faut noter un fait crucial": tandis que des anomalies climatiques naturelles (Enso) expliquent en grande partie ce qui est arrivé aux Pascuans, notre situation actuelle est attribuable à des anomalies climatiques largement imputables à l’activité humaine. En effet, si les épisodes La Niña ont touché Rapa Nui pendant 80"% du temps au cours des années 1550-1650, ce phénomène exceptionnel était d’origine naturelle puisqu’il précédait la révolution industrielle. En revanche, cette dernière, toute bénéfique qu’elle soit pour le niveau de vie dans les «"pays riches"», a déclenché une envolée des concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre, dont nous – les «"pays riches"» surtout – sommes responsables. Sous l’influence du réchauffement planétaire qui en résulte, les vagues de chaleur, les sécheresses, les incendies, l’érosion côtière, mais aussi les cyclones ultrapuissants, les pluies torrentielles et les inondations se multiplient. Comme le recommande le Giec, pour réduire notre impact sur le climat, il nous faut diminuer drastiquement l’utilisation des énergies fossiles, nous limiter dans l’emploi des ressources produites chaque année, rechercher des solutions fondées sur la nature, en résumé simplement prendre en compte notre situation sérieusement, comme les Pascuans l’ont fait"! n

Rapa Nui a subi les conséquences de sécheresses extrêmes en 2022 et 2023. Un incendie y a détruit 100 hectares de forêt et gravement endommagé plus de 80 moais.

BIBLIOGRAPHIE T. Delcroix et al., Clarifying the role of ENSO on Easter Island precipitation changes!: Potential environmental implications for the last millennium, Paleoceanography and Paleoclimatology, 2022. V. Rull, Contributions of paleoecology to Easter Island’s prehistory!: A thorough review, Quaternary Sci. Rev., 2021. C. Orliac et M. Orliac, Extinct flora of Easter Island, Les Cahiers de l’archéologie en Nouvelle-Calédonie, 2008. T. Hunt, L’île de Pâques détruite par les rats!?, Pour la Science, n° 351, janvier 2007.

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ART & SCIENCE

L’AUTEUR

LOÏC MANGIN rédacteur en chef adjoint à Pour la Science

L’OBJET À QUATRE TROUS QUI N’EN AVAIT QUE TROIS La maison Poincaré, nouveau musée consacré aux mathématiques, a pour emblème un drôle d’objet propice à de nombreuses pérégrinations mathématiques!: le rulpidon.

C

’est l’histoire d’un objet mathématique qui est devenu un emblème, celui de la maison Poincaré, le premier musée en France à être entièrement consacré aux mathématiques. Pensé par l’institut Henri-Poincaré (Sorbonne Université/CNRS) dans les années 2010 sous l’impulsion de son directeur d’alors Cédric Villani, puis concrétisé par sa successeuse Sylvie Benzoni-Gavage, l’établissement a ouvert ses portes le 30 septembre à Paris. Son ambition*? Entre parcours permanent et expositions temporaires (la première est consacrée à l’IA), rendre accessibles les mathématiques, les faire découvrir et aimer en partageant avec le grand public aussi bien leur histoire que les recherches les plus récentes. En un mot, la maison Poincaré est le lieu où les maths prennent vie et voient leurs liens avec la société se resserrer. L’emblème*? Il trône sur un carré de pelouse, sous la forme d’une sculpture de

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300 kilogrammes et de 2 mètres de côté, faites de plaques d’acier (voir la photographie page ci-contre). Selon l’angle, cette œuvre que l’on doit à l’artiste Ulysse Lacoste, apparaît sous la forme d’un carré, d’un rond ou d’ovales plus ou moins allongés. Et contre toute attente, il suffirait de la pousser pour qu’elle roule sans (trop) de difficultés, et ce dans deux directions, nous y reviendrons. Il s’agit d’un rulpidon*! La recette «*géométrique*» est simple. Prenez deux cylindres que vous faites s’interpénétrer perpendiculairement*: l’intersection est une sorte d’hybride entre un cube et une sphère. Pour le visualiser, prenez un carré, tracez deux demi-cercles joignant des coins diagonalement opposés et se croisant à angle droit et vous obtenez la moitié supérieure de cet hybride, c’est-à-dire une voûte en arc-de-cloître, comme on peut en voir dans différents bâtiments anciens, notamment le toit de la grande synagogue

de Rome, ou… en regardant une tentedôme de camping… Toujours est-il que cet hybride est un solide de Steinmetz, du nom du mathématicien Charles Proteus Steinmetz, bien qu’il fût antérieurement décrit en détail par le comte Léopold Hugo, neveu de Victor, sous le nom d’«*équidomoïde à base carrée*». Notons qu’un équidomoïde à base circulaire est tout simplement une sphère. Par ailleurs, les «*faces*» d’un solide de Steinmetz étant des fragments de deux cylindres, on comprend qu’il puisse rouler, comme le ferait un tube, dans une direction et dans une autre, perpendiculaire. Progressons vers notre emblème. Il est obtenu par le perçage cylindrique d’un solide de Steinmetz selon à nouveau deux directions perpendiculaires. Ce sont les orifices que l’on distingue sur la statue (même si elle résulte de l’assemblage de plaques…).


© Loïc Mangin

Le rulpidon d'Ulysse Lacoste, dans le jardin de la maison Poincaré.

En mathématiques, dès qu’il est question de trous, la topologie entre en scène, cette branche qui s’intéresse aux objets «*mous*» et à leurs transformations sans se préoccuper de distances. Un cercle, une ellipse ou une forme quelconque obtenue avec un élastique (sans le casser ni faire de boucle…) sont équivalents (on dit «*homéomorphes*»). De même qu’un ballon de football et un autre de rugby. Un trou change la donne, car il empêche la transformation sans arrachage ni recollement par exemple d’une bouée (un tore) en un ballon. Aussi en topologie peut-on classer les objets en fonction du nombre de leurs trous, et l’on parlera de «*genre*» (noté g). Pour une sphère, g = 0, pour un tore, g = 1, pour une «*bouée deux places*» en «*8*», g = 2, pour un bretzel, g = 3… Et pour le rulpidon*? Une réponse un peu rapide serait g = 4, mais la bonne est 3. Pour vous en convaincre, prenez une boule de pâte à

modeler et faites un premier trou*: vous obtenez un tore. Ensuite, d’un côté, percez de l’extérieur vers le centre une portion de ce tore*: deuxième trou. Faites de même de l’autre côté*: troisième trou. Avec un peu de dextérité, vous obtiendrez alors par simple transformation un rulpidon pour lequel g = 3. C’est important s’il vous prenait ensuite l’idée de recouvrir la surface de votre objet d’une mosaïque de couleurs, ou d’une carte composée de diverses régions. De combien de couleurs auriez-vous besoin de façon que deux régions adjacentes n’aient pas la même*? Sur un objet dont g = 0, quatre couleurs suffisent comme l’indique le célèbre «*théorème des 4 couleurs*» démontré en 1976 par les Américains Kenneth Appel et Wolfgang Haken. Pour g > 0, le mathématicien britannique Percy John Heawood a conjecturé en 1890 que le nombre minimal de couleurs est la valeur entière de l’expression

(7 + √(1 + 48g))/2, soit 9 pour le rulpidon. C’est 7 sur un tore. Une carte sur un rulpidon serait donc ennéachrome*! Celui d’Ulysse Lacoste est monochrome, mais on comprend qu’un objet si riche en facettes mathématiques, dont seules quelques-unes ont été effleurées ici, soit l’emblème d’un musée comme la maison Poincaré. n

Maison Poincaré, 11, rue Pierre-et-Marie-Curie –75005 Paris. maison-poincare.fr S. Benzoni-Gavage, The rulpidon and 9-color maps, Proceedings of Bridges, 2023 S. Benzoni-Gavage, Le rulpidon, Images des mathématiques (CNRS), 2021.

L’auteur a publié : Pollock, Turner, Van Gogh, Vermeer et la science… (Belin, 2018)

POUR LA SCIENCE N° 553 / NOVEMBRE 2023 /

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SCIENCE & GASTRONOMIE

HERVÉ THIS physicochimiste, directeur du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inrae, à Palaiseau

A

LE BON GOÛT DU PAIN AU LEVAIN Le pain au levain doit en partie son succès à son goût plus marqué. Mais à quoi tiennent ses singulières caractéristiques gustatives!?

près la débâcle boulangère des années 1960, avec ce pétrissage accéléré qui faisait des pains blancs et fades, la boulangerie s’est heureusement reprise, et des techniques qui donnent plus de goût au pain se sont imposées. Les pains au levain fleurissent, avec leur délicieuse saveur acidulée, leur goût puissant, leur odeur envoûtante. Quels composés sont responsables de ce goût)? C’est ce que viennent récemment d’explorer Laura Aman, Franck Hofmann et leurs collègues de l’université technique de Munich, en focalisant leurs analyses sur la mie. Tandis que le goût de la croûte du pain est surtout formé lors de la cuisson, le goût de la mie résulte principalement de réactions enzymatiques, lors de la fermentation de la pâte par les bactéries lactiques et les levures. Le goût final dépend évidemment aussi de la farine utilisée, de la durée et de la température de fermentation – mais avec quels effets)? En 2001, une équipe du même institut avait exploré l’odeur de pain de seigle au levain par des techniques d’analyse de chromatographie en phase gazeuse et de spectrométrie de masse): les composés odorants totaux avaient été identifiés… mais les composés sapides restaient inconnus. Certes, depuis longtemps, on a déterminé la présence d’acide lactique, d’acide acétique, on dose le sel, l’éthanol, l’acide succinique ou l’acide citrique, mais ces dosages n’identifiaient pas la contribution de ces composés sur le goût. Les chimistes allemands se sont donc lancés, pour du pain au seigle, produit par une fermentation au levain traditionnelle, et aussi pour des pains seigle et blé, ou blé seul. Ils ont dosé les principaux ions): sodium, ammonium, potassium, magnésium, calcium, chlorure, phosphate, ou

96 / POUR LA SCIENCE N° 553 / NOVEMBRE 2023

Les réactions enzymatiques, lors de la fermentation de la pâte, sont à l’origine des nombreux composés odorants et sapides qui caractérisent le pain au levain.

encore le glycérol, des sucres tels que le fructose, le galactose, le glucose, le lactose, le maltose, le saccharose, mais également des acides aminés, des peptides, des acides organiques… Pour les composés odorants, les chimistes ont combiné chromatographie en phase gazeuse et spectrométrie de masse à de l’olfactométrie, se fondant sur un jury de 17 experts. Des résultats de ces analyses, ils ont extrait des «)modèles)», réunissant les composés identifiés, éventuellement privés de l’un d’entre eux pour des tests d’«)omission)», soit pour la composante sapide, soit pour la composante odorante. Première observation essentielle): alors que les saveurs du pain de seigle sont plus soutenues que celles des pains seigle et blé, ou blé seul, la composante salée n’était pas supérieure. Les ions sodium proviennent du sel ajouté à la pâte, et non de la fermentation, de sorte qu’une telle observation semble évidente… mais méfions-nous): il a été montré que des solutions de sel paraissent plus salées que des mies contenant la même quantité de sel, le sel étant libéré immédiatement dans le premier cas. En tout cas, les tests par omission ont montré que les ions ou composés sapides essentiels sont les ions sodium, potassium, ammonium, chlorure, magnésium, calcium, et le fructose, l’acide glutamique,

l’acide acétique et l’acide lactique. Pour les composés odorants, les expériences d’omission et de recombinaison ont finalement identifié 11 composés odorants principaux): acide acétique, acide butyrique, vanilline, acide 3 méthylbutyrique, hexanal, 2,3-butanedione, phénylacétaldéhyde, 3-méthylbutanal, méthional, 2,4-décadiénal et 2-nonénal. Cela étant établi, on peut passer à la suite): explorer les variations de la technique au levain, et, pour l’industrie, sélectionner des souches en connaissance chimique de cause. n

D’UN LEVAIN DEUX RECETTES ➊ Mettre autant d’eau que de farine dans un bocal qu’on laisse dans une pièce chaude sans le couvrir. ➋ Attendre!: après un temps qui dépend de la température, de l’environnement, on voit des bulles apparaître. On peut alors ajouter de la farine et de l’eau (mêmes proportions) pour obtenir un «!rafraîchi!». ➌ Conserver une moitié pour faire du pain au levain, et, dans l’autre moitié, ajouter du sucre, du sel, et un peu de bicarbonate!; fouetter. Puis ajouter du blanc d’œuf battu en neige. ➍ Dans une poêle, mettre un peu d’huile, et déposer, séparées, des cuillerées de la préparation obtenue, pour faire de délicieuses galettes intermédiaires entre les blinis et les crumpets.

© Zagorulko Inka/Shutterstock

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Organisme Créancier : Pour la Science 170 bis, bd. du Montparnasse – 75014 Paris N° ICS FR92ZZZ426900 N° de référence unique de mandat (RUM)

DE JOINDRE 4 MERCI IMPÉRATIVEMENT UN RIB


À

p."44

PICORER p."9

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MICROBAROM

Aussi appelés « voix de la mer », les microbaroms sont des ondes infrasonores générées par les vagues. Leur amplitude est de l’ordre de quelques microbars, d’où leur nom. Peu absorbés par l’atmosphère, ils se propagent sur des milliers de kilomètres.

p."48

11 000 ANS

Les raisins de cuve (pour la production du vin) et de table ont été domestiqués à la même époque, il y a quelque 11 000 ans, dans le Caucase pour les premiers, au Proche-Orient pour les seconds. En Europe, on produisait des raisins de cuve en croisant des variétés sauvages locales avec des raisins de table apportés par les agriculteurs venus de l’Est.

£

Attention à ne pas se tromper d’objectif en faisant des perruches à collier et d’autres espèces introduites les coupables idéales du mauvais état de conservation des écosystèmes urbains

£

FRANÇOIS CHIRON écologue

p."92

72 tT

L’astéroïde de Chicxulub, de 10 à 15 kilomètres de diamètre, aurait dégagé lors de son impact une énergie équivalente à 72 tératonnes de TNT, soit plus de 5 milliards de fois l’énergie de la bombe atomique de Hiroshima.

p.86"

p."64

RAPA NUI

C’est le nom autochtone de l’île de Pâques. Elle est célèbre pour ses plus de 800 moais, des statues monumentales de 1 à 10 mètres de hauteur et pesant de 3 à 80 tonnes. La population locale qui les a érigées a probablement culminé à 15 000 habitants au XVIe siècle. Mais lors de la découverte de l’île par les Occidentaux en 1722, ils n’étaient plus que 2 000 ou 3 000.

RULPIDON

Cet objet mathématique est un solide formé par l’intersection de deux cylindres orthogonaux. Il est ensuite évidé par le passage de deux plus petits cylindres de même axe que les deux précédents. On pourrait croire que le rulpidon a quatre trous, mais topologiquement, il n’en a que trois ! 98 / POUR LA SCIENCE N° 553 / NOVEMBRE 2023

p."24

100 TONNES

La masse maximale que sont susceptibles d’atteindre les animaux terrestres serait bien supérieure à cette limite, d’après les recherches en biomécanique de Jyrki Hokkanen, de l’université de Helsinki. Le plus grand sauropode connu, Argentinosaurus, avec ses 75 tonnes, reste très en deçà.


Tancrède a aidé Elena à stopper 84 projets menaçant l’écosystème marin.

onepercentfortheplanet.f r

& LAURA-BARRY (UNSPLASH)

Tancrède verse chaque année 1% de son chiffre d’affaires à des associations agréées 1% for the Planet, dont Surfrider Foundation Europe.



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