« Les dinosaures nâĂ©taient probablement ni les crĂ©tins dâantan ni les crĂ©atures hypermalines des ïŹlms de Spielberg »
Jean Le Loeuff PalĂ©ontologue, directeur du musĂ©e des Dinosaures dâEspĂ©raza
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« Les dinosaures nâĂ©taient probablement ni les crĂ©tins dâantan ni les crĂ©atures hypermalines des ïŹlms de Spielberg »
Jean Le Loeuff PalĂ©ontologue, directeur du musĂ©e des Dinosaures dâEspĂ©raza
Plus grands, plus hauts, plus fortsâŠ
Lâextinction, minute par minute RĂ©vĂ©lations sur le KĂąmasĂ»tra des dinosaures
Pourquoi le T. rex a des petits bras
RaphaĂ«l a aidĂ© Sophie Ă donner lâaccĂšs Ă lâeau potable et Ă lâassainissement Ă 5 villages en Inde.
RaphaĂ«l verse chaque annĂ©e 1% de son chiffre dâaffaires Ă des associations agréées 1% for the Planet dont Kynarou.
onepercentfortheplanet.fr
Ont contribué à ce numéro
Stephen Brusatte est palĂ©ontologue Ă lâuniversitĂ© dâĂdimbourg, en Ăcosse, spĂ©cialisĂ© en anatomie et Ă©volution des dinosaures et autres espĂšces fossiles du MĂ©sozoĂŻque.
par Loïc Mangin Rédacteur en chefadjoint à Pour la Science
La palĂ©ontologie â terme forgĂ© par Henri-Marie Ducrotay de Blainville â est nĂ©e en tant que science en 1822. Ă peine deux ans plus tard, en fĂ©vrier, William Buckland, Ă lâuniversitĂ© dâOxford, dĂ©crit lâespĂšce Megalosaurus bucklandii dans ce qui est le premier article scientiïŹque consacrĂ© aux dinosaures⊠alors que le terme nâexiste pas encore. Le palĂ©ontologue Richard Owen ne lâinventera quâen 1842.
Câest donc une science bien jeune qui nous raconte, entre autres glorieux Ă©pisodes de plus de 3 milliards dâannĂ©es dâhistoire de la vie, la formidable Ă©popĂ©e des dinosaures qui dura plus de 180 millions dâannĂ©es.
Câest lâĂąge des superlatifs, puisque ce MĂ©sozoĂŻque fut lâĂšre des plus grands animaux terrestres, du plus grand prĂ©dateur connu, des plus grands animaux volants⊠Et comme tout « jeune », la palĂ©ontologie connaĂźt une nouvelle Ă©tape dans son dĂ©veloppement, son adolescence, en ce que, dĂ©sormais, câest la vie quotidienne de ces gĂ©ants qui est scrutĂ©e, Ă©lucidĂ©e⊠ce numĂ©ro sâen faisant le relais. Et personne ne sait aujourdâhui ce quâelle sera en mesure de nous dire dans quelques dĂ©cennies⊠câest lâa aire dâautres jeunes, ceux qui embrasseront la carriĂšre de palĂ©ontologues. La discipline a de lâavenir, tout comme les dinosaures. Pour preuve, en janvier a Ă©tĂ© annoncĂ© un prochain opus de la saga Jurassic World
HervĂ© Le Guyader est professeur Ă©mĂ©rite de biologie Ă©volutive Ă Sorbonne UniversitĂ©, Ă Paris. Il a publiĂ© BiodiversitĂ©. Le pari de lâespoir (Le Pommier) en 2020.
Jean Le Loeu est palĂ©ontologue et directeur du musĂ©e des Dinosaures (qui est aussi un centre de recherches) dâEspĂ©raza, dans lâAude.
Jakob Vinther est biologiste Ă lâuniversitĂ© de Bristol, en Angleterre. Il est lâun des premiers Ă avoir dĂ©couvert des traces de mĂ©lanine dans les fossiles.
p. 6 RepĂšres
Des schĂ©mas, des chi res, des dĂ©ïŹnitions : toutes les clĂ©s pour entrer sereinement dans ce numĂ©ro.
p. 10 Grand témoin
La paléontologie a besoin de jeunes et brillants étudiants : il y a tant à découvrir !
Des titans, petit Ă petit
p. 18 Un triomphe improbable
Stephen Brusatte
Comment les dinosaures ont-ils conquis la planĂšte ? Par chance !
p. 26 Encore (et encore) plus haut
Michael DâEmic
Les sauropodes sont devenus gigantesques Ă 36 reprises.
p. 34 Grandir vite⊠ou pas
Anna Gibbs
Prendre son temps ou se presser, du moment que lâon ïŹnit gĂ©ant.
p. 40 Mare monstrum
François Savatier
Les ichthyosaures étaient la terreur des océans.
p. 42 Les chevaliers du ciel⊠mésozoïque
Michael Habib
Les ptérosaures, une aberration évolutive bien pensée.
p. 54
Les dinosaures en Technicolor
Jakob Vinther
Peau, écailles, plumes⊠un vrai festival de couleurs !
p. 62 Pas bĂȘte, le T. rex
Albane Clavere
Le superprĂ©dateur avait autant de neurones quâun babouin.
p. 64 AdopteUnDino.com
Brian Switek Révélations sur le Kùmasûtra des dinosaures.
p. 70
Lâinvention de lâĆuf dur
François Savatier
Dur ou mou, lâĆuf de dinosaure ? Les deux.
p. 72 Pas de bras, pas de⊠Hervé Le Guyader
On sait enïŹn pourquoi le T. rex avait des petits bras.
p. 76 La vérité sur une star de Hollywood
Matthew Brown et Adam Marsh
Le dilophosaure, une vedette de Jurassic Park mise Ă nu.
p. 88
Le Cluedo de la ïŹn du CrĂ©tacĂ©
Hervé Le Guyader
Le coupable et ses complices démasqués, ou presque.
p. 92 Chronique dâune mort annoncĂ©e ?
William Rowe-Pirra
Les dinosaures étaient-ils en déclin avant leur disparition ?
p. 94 InstantanĂ© dâune extinction
François Savatier
AprĂšs la chute, le ïŹlm des Ă©vĂ©nements, minute par minute.
p. 100 Et les mammifĂšres sâimposĂšrent
Stephen Brusatte
Le succĂšs des mammifĂšres ne doit rien Ă leur intelligenceâŠ
p. 109 Rendez-vous
110 En image
112 Rebondissements
116 Infographie
118 Incontournables
Pendant plus de 180 millions dâannĂ©es, les dinosaures et leurs cousins volants (les ptĂ©rosaures) ou marins (ichthyosaures, plĂ©siosauresâŠ) ont rĂ©gnĂ© sur une planĂšte en constante Ă©volution.
Les terres émergées (en orange, les traits verts indiquant les cÎtes actuelles) sont réunies en un seul supercontinent, la Pangée.
Le plus vieil ichthyosaure connu Apparition des dinosaures⊠et des mammifÚres Premiers ptérosaures Premiers ornithischiens
LE JURASSIQUE
La Pangée se scinde en deux continents : la Laurasie, au nord, et le Gondwana, au sud.
Apparition du Megalosaurus, premier dinosaure scientifiquement décrit
Premier sauropode de plus de 25 tonnes
Le Gondwana se dĂ©sagrĂšge : lâAmĂ©rique du Sud et lâAfrique sont sĂ©parĂ©es par lâocĂ©an Atlantique naissant. La Laurasie reste dâun seul tenant.
Chute dâun astĂ©roĂŻde
Les continents actuels sont presque formĂ©s : lâInde remonte vers lâAsie tandis que lâAustralie se dĂ©solidarise de lâAntarctique.
Les palĂ©ontologues ont longtemps divisĂ© les dinosaures en deux groupes (ci-dessous) : dâun cĂŽtĂ© les ornithischiens à « hanche dâoiseau » et, de lâautre, les saurischiens à « hanche de lĂ©zard », eux-mĂȘmes incluant les thĂ©ropodes et les sauropodomorphes. Une analyse rĂ©cente, menĂ©e par Matthew Baron, Ă lâuniversitĂ© de Cambridge, et ses collĂšgues, suggĂšre que les thĂ©ropodes et les ornithischiens appartiendraient Ă un mĂȘme groupe, les ornithoscĂ©lidĂ©s, et que les sauropodomorphes se trouveraient sur une autre branche (en bas). Cependant, cette hypothĂšse est encore dĂ©battue, notamment par les travaux de Max Langer, de lâuniversitĂ© de SĂŁo Paulo, et de Stephen Brusatte, de lâuniversitĂ© dâĂdimbourg. Seule la dĂ©couverte de nouveaux fossiles aidera Ă trancher.
Pisanosaurus Heterodontosaurus Manidens Tianyulong
Abrictosaurus Fruitadens haagarorum
Ornithischiens
Eocursor Lesothosaurus Agilisaurus Jeholosaurus Hexinlusaurus Emausaurus Scelidosaurus Scutellosaurus Laquintasaura
Guaibasaurus Daemonosaurus Eodromaeus Agnosphitys Staurikosaurus Sanjuansaurus Herrerasaurus Tawa
Chindesaurus Dracovenator Panguraptor Zupaysaurus « Syntarsus » Dracoraptor
ProcompsognathusCoelophysis Sarcosaurus Liliensternus Lophostropheus DilophosaurusSinosaurus
Cryolophosaurus eillioti
Allosaurus
Ceratosaurus
Piatnitzkysaurus Elaphrosaurus Eoabelisaurus
Sauropodomorphes
Eoraptor Saturnalia PanphagiaPampadromaeus Buriolestes
PantydracoThecodontosaurus Efraasia
Gongxianosaurus Pulanesaura Lufengosaurus Coloradisaurus Riojasaurus Yunnanosaurus Aardonyx
UnaysaurusPlateosaurus Antetonitrus Leyesaurus Massospondylus Nyasasaurus Vulcanodon Tazoudasaurus Massospondylus kaalae
Dinosaures
Sauropodomorphes
Saurischiens
Ornithischiens
Eoraptor
Guaibasaurus Buriolestes Panphagia Saturnalia
Pampadromaeus
Pantydraco
Nyasasaurus Massospondylus Massospondylus kaalae
Thecodontosaurus Efraasia Leyesaurus Antetonitrus Plateosaurus Unaysaurus Aardonyx
Yunnanosaurus Riojasaurus Coloradisaurus Lufengosaurus Pulanesaura
Gongxianosaurus Tazoudasaurus Vulcanodon
Chindesaurus
Tawa
Daemonosaurus Manidens
Heterodontosaurus Tianyulong
Fruitadens haagarorum
Abricotosaurus Eocursor LaquintasauraScutellosaurus Scelidosaurus Emausaurus Lesothosaurus Agilisaurus Hexinlusaurus Jeholosaurus
Théropodes
« Syntarsus »
Dilophosaurus Dracovenator Panguraptor Sarcosaurus Zupaysaurus Dracoraptor Coelophysis
Ornithoscélidés
Procompsognathus Lophostropheus
Liliensternus Sinosaurus
Allosaurus Elaphrosaurus Ceratosaurus Eoabelisaurus Cryolophosaurus eillioti
Piatnitzkysaurus
Dinosaures
Astéroïde de Chicxulub
De 10 Ă 15 kilomĂštres de diamĂštre, il aurait dĂ©gagĂ© lors de son impact une Ă©nergie Ă©quivalente Ă 72 tĂ©ratonnes de TNT, soit plus de 5 milliards de fois lâĂ©nergie de la bombe atomique de Hiroshima. Il a atteint la Terre il y a 66,038 millions dâannĂ©es, avec une marge dâerreur de ± 11 000 ans.
Ce terme, dérivé du grec deinós, « terrible », et saûros, « lézard », désigne un groupe de reptiles tétrapodes, qui, avec les ptérosaures (un groupe éteint) et les pseudosuchiens (les crocodiliens fossiles et actuels), formaient les archosaures. Ils se subdivisent en trois groupes : les ornithischiens, les théropodes et les sauropodes.
Oiseaux
Sauropodes
Ornithischiens
Théropodes
Saurischiens
Pseudosuchiens
Squamates
Archosaures
Diapsides
Sauropsides
Amniotes
Ptérosaures
Ichthyosaures
MammifĂšres
Synapsides
Ces reptiles marins, de mĂȘme que leurs cousins aquatiques les plĂ©siosaures et les pliosaures, ne sont pas des dinosaures. Ils ne sont que leurs lointains parents dans lâarbre du vivant. Les mosasaures, autres cĂ©lĂšbres reptiles marins, sont encore plus Ă©loignĂ©s, puisquâils appartiennent Ă lâordre des squamates, avec les lĂ©zards et les serpents.
DĂ©signĂ©s ainsi en raison de leur bassin ressemblant Ă celui des oiseaux, ils reprĂ©sentent une grande diversitĂ© de morphologies : les hadrosaures Ă bec de canard, les cĂ©ratopsiens, comme le tricĂ©ratops, avec leur collerette Ă cornes, les stĂ©gosaures, dont le dos est ornĂ© de plaques osseuses, les ankylosaures caparaçonnĂ©s dans leur armureâŠ
Ces dinosaures quadrupĂšdes (Ă quelques exceptions prĂšs) et herbivores, aux pattes massives, ont Ă©tĂ© les plus grands animaux terrestres jamais connus. Parmi leurs reprĂ©sentants les plus illustres ïŹgurent le diplodocus, le brachiosaureâŠ
Ces dinosaures bipĂšdes et souvent carnivores ont vĂ©cu tout au long du MĂ©sozoĂŻque. Les plus petits avaient la taille dâun colibri, les plus grands, comme Tyrannosaurus rex, pesaient environ 8 tonnes pour 5 mĂštres de hauteur et 13 de longueur. Les oiseaux actuels sont des thĂ©ropodes.
Trapps du Deccan
Cette province magmatique de lâouest de lâInde, qui tire son nom du suĂ©dois trappa, « escalier », est caractĂ©risĂ©e par un empilement de coulĂ©es de lave de 2 000 mĂštres de hauteur et couvrant une surface de 500 000 kilomĂštres carrĂ©s.
« Les palĂ©ontologues ont radicalement modiïŹĂ© le paysage de leur domaine »
Comment la paléontologie a-t-elle évolué ces derniÚres années ?
Ces derniĂšres dĂ©cennies lâaccent a Ă©tĂ© mis sur la phylogĂ©nie : diïŹcile alors de publier un article de palĂ©ontologie dinosaurienne sans quây ïŹgure une proposition dâarbre reconstituant les liens de parentĂ© entre espĂšces ! Aujourdâhui ces Ă©tudes nâont pas disparu, mais elles ne sont plus la seule ïŹnalitĂ© de la discipline et un peu de variĂ©tĂ© ne peut pas faire de mal en la matiĂšre.
Est-ce à dire que les choses sont désormais plus claires ?
Pour une grande part oui, grĂące justement Ă ces contributions phylogĂ©nĂ©tiques des annĂ©es 1990-2000, mĂȘme sâil reste des groupes de dinosaures pour lesquels les donnĂ©es sont insufïŹsantes. Mais personne nâattend quâune nouvelle Ă©tude rĂ©volutionne les hypothĂšses antĂ©rieures dans ce domaine. Il sâagit dĂ©sormais dâaïŹner, de rentrer dans le dĂ©tail, ce qui ïŹnit par poser parfois des questions sur le sens de la dĂ©marche Un nouveau cladogramme fondĂ© sur 312 caractĂšres au lieu de 285 a-t-il un rĂ©el intĂ©rĂȘt ?
Et puis, nâoublions pas que les phylogĂ©nies des dinosaures sont uniquement fondĂ©es sur lâostĂ©ologie, câest-Ă -dire lâĂ©tude des os, fussent-ils fossilisĂ©s. Or les donnĂ©es molĂ©culaires et gĂ©nĂ©tiques ont bouleversĂ© la phylogĂ©nie des mammifĂšres pour lesquels on connaĂźt de nombreux reprĂ©sentants, de surcroĂźt encore vivants Pour les dinosaures, ce type dâinformation nâest Ă©videmment pas
Il faut absolument que de jeunes et brillants étudiants se lancent dans la carriÚre de paléontologue ! »
disponible, ce qui invite à regarder avec prudence nos hypothÚses, qui sont forcément plus fragiles.
ParallĂšlement, le travail dâinventaire se poursuitâŠ
Oui, pour entre autres nourrir les phylogĂ©nies ! Je pense dâailleurs que lâessentiel des publications de palĂ©ontologie concerne la description de nouvelles espĂšces, ou bien le rĂ©examen Ă la lumiĂšre des connaissances actuelles dâespĂšces autrefois dĂ©crites Ainsi est-on passĂ© de 10 Ă 15 espĂšces nouvelles par an dans les annĂ©es 1990 Ă une quarantaine aujourdâhui !
Ă propos dâespĂšce, nous fĂȘtons le deux centiĂšme anniversaire de Megalosaurus (voir la ïŹgure, page suivante), premier dinosaure Ă avoir reçu un nom scientiïŹque, le 20 fĂ©vrier 1824. Il fut attribuĂ© par William Buckland, de lâuniversitĂ© dâOxford, Ă partir dâune mĂąchoire dĂ©couverte Ă la fin du XVIIIe siĂšcle dans lâOxfordshire.
LâaccĂ©lĂ©ration du travail dâinventaire Ă laquelle on assiste de nos jours sâexplique en partie par, Ă lâinternational, un plus grand nombre de chercheurs quâil y a vingt-cinq ou trente ans. Concomitamment, dans des revues scientiïŹques, la quantitĂ© de publications sur le groupe des dinosaures explose. La production est inĂ©gale,
Le 20 fĂ©vrier 1824, William Buckland, de lâuniversitĂ© dâOxford, dĂ©crivit le Megalosaurus. CâĂ©tait le premier dinosaure Ă lâĂȘtre, prĂšs de vingt ans avant que le mot mĂȘme de « dinosaure » ne soit forgĂ©. Si le nom de lâespĂšce est restĂ© inchangĂ©, on ne peut en dire autant des façons de voir lâanimal, entre une reconstitution (ci-contre) figurant dans le Nouveau Dictionnaire encyclopĂ©dique universel illustrĂ©, de Jules Trousset, paru Ă la fin du XIXe siĂšcle, et une autre, plus rĂ©cente (page ci-contre).
mais dans la masse, des thĂ©matiques nouvelles ont lâoccasion dâĂ©merger. Et, de fait, depuis une dizaine dâannĂ©es, les chercheurs, un peu partout, sans concertation rĂ©elle, se sont emparĂ©s dâautres sujets et ont modiïŹĂ© le paysage de leur domaine
Quels sont ces sujets ?
Il sâagit de questions longtemps considĂ©rĂ©es comme pittoresques voire dĂ©nuĂ©es de tout intĂ©rĂȘt scientiïŹque. Elles concernent souvent la biologie des dinosaures, et sont pour beaucoup abordĂ©es dans ce numĂ©ro : la sexualitĂ© de ces animaux, la coquille de leurs Ćufs, leurs couleurs, les vocalises, le cerveau et les capacitĂ©s cognitivesâŠ
Deux articles ont particuliĂšrement marquĂ© ce tournant. Le premier concernait la couleur, et on le doit Ă lâĂ©quipe de Jakob Vinther, de lâuniversitĂ© de Bristol, en Angleterre Ă la ïŹn du XXe siĂšcle, le paradigme Ă©tait quâaucun reste de peau ne pouvait avoir Ă©tĂ© fossilisĂ©. Tout au plus Ă©tait-il possible dâespĂ©rer trouver une empreinte ïŹne, comme celle des Ă©cailles dâun hadrosaure ou des plumes dâarchĂ©optĂ©ryx, mais des traces biologiques ou molĂ©culaires, impensable. Pourtant le palĂ©ontologue et ses collĂšgues sont allĂ©s au-delĂ des certitudes, des idĂ©es reçues, et ont ïŹni par trouver des signatures de molĂ©cules organiques dans des peaux et des plumes de dinosaures, plus prĂ©cisĂ©ment de la mĂ©lanine contenue dans des vĂ©sicules, des mĂ©lanosomes, qui avaient traversĂ© des dizaines de millions dâannĂ©es Partant, leur couleur devenait un vrai sujet de science Des travaux sont toujours en cours, et il est encore trop tĂŽt pour en faire une
synthĂšse, mais des informations que lâon supposait inatteignables sont Ă portĂ©e de microscope !
Sur quoi porte lâautre rupture ?
Elle concerne les Ă©tudes dĂ©sormais possibles de lâintĂ©rieur des fossiles en gĂ©nĂ©ral et des crĂąnes en particulier. Les palĂ©ontologues ont ainsi accĂšs au dĂ©tail de lâanatomie du cerveau Ce sont de nouvelles fenĂȘtres de recherche qui sâouvrent et donc des pistes inĂ©dites pour la comprĂ©hension de nombreuses espĂšces de dinosaures, notamment leur intelligence et leurs capacitĂ©s cognitives.
Nâassiste-t-on pas pour les dinosaures Ă un « syndrome de NĂ©andertal », Ă savoir que pendant longtemps on a vu dans nos cousins des brutes Ă©paisses sans cervelle avant que des dĂ©couvertes leur rendent justice et leur complexitĂ© ?
Le processus de rĂ©habilitation avait dĂ©jĂ commencĂ© il y a environ quarante ans avec les travaux de chercheurs comme lâAmĂ©ricain Robert Bakker Avec dâautres, ce palĂ©ontologue a dĂ©poussiĂ©rĂ© lâimage des dinosaures qui Ă©taient auparavant vus comme de grosses bestioles pataudes se traĂźnant dans les marĂ©cages Cette image a volĂ© en Ă©clats, et câest aussi le cas de Megalosaurus, dont nous parlions (voir la ïŹgure ci-dessus), et qui a vu sa reconstitution bien Ă©voluer en deux siĂšcles ; et il suïŹt de voir la saga Jurassic Park pour sâen convaincre Peut-ĂȘtre est-on maintenant allĂ© un peu trop loin : les dinosaures, quâils soient prĂ©dateurs ou
ligence extrĂȘme. Certains vont mĂȘme jusquâĂ Ă©vo quer le dĂ©veloppement dâune culture chez certaines espĂšces, comme on en rencontre chez les chimpanzĂ©s par exemple. Toutefois, cela me semble un peu exagĂ©rĂ© et, surtout, diïŹcilement dĂ©montrable.
En fait, comme pour NĂ©andertal, on assiste Ă propos des dinosaures Ă un retour de balancier AprĂšs ĂȘtre allĂ©e trop loin dans un sens, puis dans lâautre, la communautĂ© a adoptĂ© une position dorĂ©navant plus nuancĂ©e : ces animaux disparus nâĂ©taient probablement ni les crĂ©tins dâantan ni les crĂ©atures hypermalines des ïŹlms de Spielberg LâidĂ©e est de les envisager tels quâils Ă©taient rĂ©ellement, dans leur complexitĂ©, en remettant les choses en perspective.
Ces changements ont été rendus possibles par de nouveaux outils. Quels sont-ils ?
En premier lieu, la tomodensitomĂ©trie (ou CT scan) qui associe radiographie aux rayons X et traitement informatique Ce sont ces outils de visualisation qui rendent transparent le crĂąne des dinosaures, et rĂ©vĂšlent les lobes olfactifs , les sinus , lâoreille interne⊠DĂ©sormais , beaucoup de laboratoires de palĂ©ontologie, dont lâIsem, Ă Montpellier, oĂč jâai le plaisir de travailler, sont Ă©quipĂ©s dâun CT scanner. Et pour de meilleures rĂ©solutions, il est possible de recourir Ă un synchrotron, comme celui de Grenoble, qui rend les rayonnements plus pĂ©nĂ©trants en les accĂ©lĂ©rant.
Avec de tels outils, nous construisons des bases de donnĂ©es sur la forme du cerveau des diffĂ©rentes espĂšces de dinosaures dont nous disposons de crĂąnes (et Ă condition quâils rentrent dans les appareils !). Les promesses sont formidables, parce quâĂ mesure que le nombre de cerveaux dĂ©crits augmente, il devient possible dâapprĂ©hender la variabilitĂ© dans une espĂšce seule ou celle dâun groupe Câest vraiment toute une branche neuve de la palĂ©ontologie appelĂ©e Ă se dĂ©velopper dans les prochaines annĂ©es.
Un autre domaine dans lequel les progrĂšs ont Ă©tĂ© notables est celui de la gĂ©ochimie. MĂȘme si on en parle moins, cette discipline permet de formuler et de tester de nouvelles hypothĂšses inimaginables il y a quelques annĂ©es, par exemple sur la tempĂ©rature interne ou, plus rĂ©cemment, sur la couleur des Ćufs
Des travaux ont ainsi montrĂ© que les Ćufs de thĂ©ropodes Ă©taient parfois tachetĂ©s et mĂȘme de couleur bleu-vert, comme chez certains oiseaux actuels. Câest une tendance forte en ce moment, et assez fascinante, qui consiste Ă rĂ©vĂ©ler que la plupart des caractĂ©ristiques attribuĂ©es spĂ©ciïŹquement aux oiseaux Ă©taient en fait dĂ©jĂ prĂ©sentes chez des dinosaures carnivores. En un mot, les dinosaures sont presque des oiseaux comme les autres !
Puisque lâon parle dâĆufs, que sait-on des nids et dâune Ă©ventuelle couvaison ?
Plusieurs Ă©tudes ont Ă©tĂ© menĂ©es sur ce sujet, et on connaĂźt la façon dont certaines espĂšces faisaient leur nid et dâautres couvaient. Câest le cas
des oviraptoridĂ©s, Ă qui il faut rendre justice Leurs fossiles ont Ă©tĂ© mis au jour dans les annĂ©es 1920 en Mongolie, Ă cĂŽtĂ© dâĆufs attribuĂ©s Ă lâĂ©poque Ă une autre espĂšce, en lâoccurrence un petit herbivore du nom de Protoceratops On a donc fait de lâoviraptor un prĂ©dateur, un « voleur dâĆufs ». Cependant, quatre-vingts ans plus tard, un rĂ©examen des fossiles a prouvĂ© que les « poussins » in ovo Ă©taient ceux⊠dâoviraptor Le prĂ©tendu voleur dâĆufs Ă©tait en rĂ©alitĂ© une bonne mĂšre, ou un bon pĂšre, qui couvait son nid. Une belle illustration, amusante, des vicissitudes de la palĂ©ontologie ! Et comme on ne change pas le nom dâune espĂšce, oviraptor restera oviraptor alors que câĂ©tait le parent le plus attentionnĂ© que lâon connaisse chez les dinosaures.
Le champ des possibles semble sâĂ©largir de plus en plus. NĂ©anmoins, nây a-t-il pas, aujourdâhui, en palĂ©ontologie, des sujets encore inaccessibles ?
Sans doute , car il faut se souvenir que la paléontologie est tributaire, avant toute étude menée en laboratoire, de la découverte de fossiles. Or ceux-ci restent, à ce jour, muets sur, par exemple, le développement embryonnaire des tyrannosaures
Autre cas , si lâouĂŻe commence Ă ĂȘtre approchĂ©e , par des Ă©tudes encore partielles et lacunaires , nous ignorons tout des vocalises , des sons Ă©mis par les dinosaures , Ă part peutĂȘtre pour les espĂšces arborant des crĂȘtes sur la tĂȘte , comme les hadrosaures , dont on a pu
reconstituer le cri. Pour les autres, lâĂ©nigme reste entiĂšre, mĂȘme si des chercheurs se penchent sur le sujet, ce qui, lĂ encore, marque une Ă©volution dans la discipline, car longtemps la voix de ces animaux disparus Ă©tait du ressort des romanciers et des poĂštes, pas des savants.
DĂšs que lâon parle de dinosaures ou de leurs cousins volants, les ptĂ©rosaures, et aquatiques, les ichtyosaures, la question du gigantisme surgit. Câest quand mĂȘme Ă©tonnant, cette propension Ă devenir trĂšs grand tout le temps ?
AssurĂ©ment, ils ont atteint des dimensions inĂ©galĂ©es, mĂȘme si un cousin du rhinocĂ©ros ayant vĂ©cu au MiocĂšne, un mammifĂšre donc, pesait tout de mĂȘme 20 tonnes⊠contre au plus 6 tonnes pour un Ă©lĂ©phant dâAfrique actuel. La question se pose depuis un moment, et les rĂ©ponses ont Ă©voluĂ© au ïŹl du temps Globalement, elles tournent nĂ©anmoins autour de lâidĂ©e dâune stratĂ©gie pour Ă©viter les prĂ©dateurs, mais aucune explication dĂ©ïŹnitive et Ă©vidente ne fait consensus.
Ce gigantisme , on le constate ; et ce sur quelques dizaines de millions dâannĂ©es quand mĂȘme, parce que les premiers trĂšs gros dinosaures de plus de 20 tonnes sont apparus au milieu du Jurassique. Les plus imposants, avec 50 mĂštres de longueur et des poids atteignant jusquâĂ 100 tonnes, ont vĂ©cu Ă la ïŹn de cette pĂ©riode et au dĂ©but du CrĂ©tacĂ©.
Il faut se souvenir que la paléontologie est tributaire, avant tout, de la découverte de fossiles
Plus intriguant, plusieurs sites, notamment aux Ătats-Unis, ont montrĂ© quâĂ la ïŹn du Jurassique quatre, cinq voire six genres diïŹĂ©rents de gros sauropodes herbivores cohabitaient au mĂȘme endroit. Quels Ă©cosystĂšmes Ă©taient Ă mĂȘme de fournir une biomasse suïŹsante pour subvenir aux besoins dâune telle diversitĂ© dâanimaux gĂ©ants ? Câest une question importante⊠encore sans rĂ©ponse.
Une autre observation Ă©tonnante a Ă©tĂ© faite Ă partir de lâanalyse dâempreintes fossilisĂ©es Elles rĂ©vĂšlent une sorte de sĂ©grĂ©gation des sauropodes par groupes dâĂąges : les adultes allaient entre eux, tandis que les jeunes faisaient bande Ă part.
Et les empreintes font justement partie de ces vestiges qui , un temps dĂ©laissĂ©s , voire mĂ©prisĂ©s , sont dĂ©sormais sĂ©rieusement pris en compte , notamment sous lâimpulsion du palĂ©ontologue gallois Martin Lockley, mort en novembre 2023. Seule une dizaine de gisements Ă©taientt rĂ©pertoriĂ©s il y a une quarantaine dâannĂ©es, ils sont aujourdâhui plusieurs milliers. Les traces laissĂ©es par les dinosaures sont maintenant un sujet de recherche Ă part entiĂšre , apportant nombre dâinformations sur leur vie quotidienne et sociale.
Et en France, quâen est-il de la palĂ©ontologie
Dâabord, nous disposons de sites remarquables, comme celui dâAngeac, en Charente, quâexplore Ronan Allain Avec son Ă©quipe, ils ont mis au jour quelques dizaines dâornithomimosaures, des thĂ©ropodes Ă©dentĂ©s de 4 Ă 6 mĂštres de
longueur avec une tĂȘte semblable, un peu, Ă celle des oies Ce sont eux qui dĂ©talent devant un tyrannosaure dans le premier opus de Jurassic Park
Et puis, nâoublions pas cet Ă©norme sauropode qui vivait il y a 130 millions dâannĂ©es, dont le seul fĂ©mur mesure 2 mĂštres de longueur ! Câest vraiment un des plus gros dinosaures connus actuellement, mais le squelette Ă©tant encore incomplet, ses dimensions restent diïŹciles Ă estimer. Avait-il un long cou ? Une longue queue ? On lâignore.
De notre cĂŽtĂ©, nous explorons des sites de la haute vallĂ©e de lâAude, oĂč nous avons dĂ©couvert des sauropodes de la ïŹn du CrĂ©tacĂ©, plus petits que le prĂ©cĂ©dent. Et la diversitĂ© de ces animaux, Ă cette Ă©poque, est bien plus Ă©levĂ©e quâon ne le pensait, ce qui contredit, au moins localement, lâhypothĂšse dâun dĂ©clin des espĂšces juste avant que ne sâĂ©crase lâastĂ©roĂŻde. Cette question est encore largement dĂ©battue et les travaux qui se succĂšdent sont contradictoires
Cela signiïŹe quâil y a encore de grandes questions Ă rĂ©soudreâŠ
Certainement Et pour rĂ©pondre nous avons besoin de nouvelles donnĂ©es et plus encore de palĂ©ontologues, ne serait-ce que pour explorer le grand nombre de sites en France. Ils sont largement sous-exploitĂ©s, surtout lorsquâon fait la comparaison avec ce qui se fait aux Ătats-Unis, au Canada, en Chine⊠et câest un peu attristant Il faut absolument que de jeunes et brillants Ă©tudiants se lancent dans cette carriĂšre : il y a tellement de choses Ă dĂ©couvrir et Ă comprendreâŠ
Propos recueillis par LoĂŻc Mangin
> J. Le Loeu , Dans la peau dâun dinosaure, Humensciences, 2023.
> D. Varricchio et al., Revisiting Russellâs troodontid : autecology, physiology and speculative tool use, Canadian Journal of Earth Sciences, 2021.
> Le musée des Dinosaures : www.dinosauria.org
Imaginez un colosse de 12 mĂštres de hauteur, dâenviron 22 mĂštres de longueur et de plus de 30 tonnes. Ce sont les mensurations du Giraffatitan, le plus grand et plus lourd dinosaure connu Ă partir de squelettes complets. Dâautres, partiels, laissent imaginer des animaux encore plus gigantesques. Pour en arriver lĂ , que de chemin parcouru Ă partir de frĂȘles ancĂȘtres vivant il y a 250 millions dâannĂ©es et sur lesquels peu auraient pariĂ©. Le succĂšs tient pour beaucoup au gigantisme, justement, une voie Ă©volutive empruntĂ©e Ă plusieurs reprises par les dinosaures de di Ă©rents groupes, mais aussi par leurs cousins proches, ichthyosaures et ptĂ©rosaures.
Lâhistoire Ă©tait entendue : Ă leur apparition, les dinosaures avaient vite surpassĂ© les autres vertĂ©brĂ©s. Faux, indiquent les fossiles, et il fallut plusieurs coups de pouce du destin pour les installer au sommet.
> Selon un scĂ©nario classique, les dinosaures Ă©taient dotĂ©s dĂšs leur origine dâune vitesse, dâune agilitĂ©, dâun mĂ©tabolisme et dâune intelligence tels quâils ont vite dominĂ© leurs compĂ©titeurs et colonisĂ© lâintĂ©gralitĂ© du globe.
> De nouvelles découvertes et analyses de fossiles contredisent cette hypothÚse : les dinosaures ont peu évolué à leurs débuts.
> Il a fallu des dizaines de millions dâannĂ©es, et des coups de pouce du destin, pour quâils surpassent leurs rivaux et conquiĂšrent la planĂšte.
Au tournant du millĂ©naire, le musĂ©e Field dâhistoire naturelle, Ă Chicago, a remplacĂ© son brachiosaure par un Tyrannosaurus rex IcĂŽne pour icĂŽne, un herbivore gĂ©ant cĂ©dait la place au plus grand prĂ©dateur de tous les temps. Dans les deux cas, les squelettes mâhypnotisaient et je ne mâĂ©tonnais pas que la lignĂ©e des dinosaures ait dominĂ© la Terre pendant plus de 150 millions dâannĂ©es Mais comment les dinosaures Ă©taient-ils apparus ? Jâai longtemps supposĂ© quâils sâĂ©taient matĂ©rialisĂ©s dĂšs le dĂ©but du Trias sous la forme de gĂ©ants au long cou ou aux dents acĂ©rĂ©es Je lâignorais Ă lâĂ©poque, mais cette vision naĂŻve nâĂ©tait pas si Ă©loignĂ©e du consensus scientiïŹque rĂ©gnant Ă la ïŹn du XXe siĂšcle selon lequel les dinosaures Ă©taient si exceptionnels quâils avaient dĂ» facilement surclasser leurs premiers rivaux
Cependant, ces derniĂšres annĂ©es, de nouveaux fossiles ajoutĂ©s Ă de nouvelles mĂ©thodes dâanalyse ont Ă©branlĂ© ce scĂ©nario : lâapparition des dinosaures a Ă©tĂ© graduelle et, pendant leurs trente premiers millions dâannĂ©es, ces animaux nâont vĂ©cu que dans quelques coins du monde, dĂ©passĂ©s par dâautres espĂšces. Câest seulement grĂące Ă quelques coups de chance quâils ont pu devenir les maĂźtres de la planĂšte
Les dinosaures sont nĂ©s dâune catastrophe Il y a 252 millions dâannĂ©es , Ă la toute fin du Permien, du magma a commencĂ© Ă gronder sous la SibĂ©rie tandis quâen surface sâĂ©panouissait une mĂ©nagerie de grands amphibiens, de reptiles Ă la peau bosselĂ©e et de carnivores prĂ©curseurs des mammifĂšres. Puis pendant des centaines de milliers, voire de millions dâannĂ©es, les Ă©ruptions
ont crachĂ© de la chaleur, de la poussiĂšre, des gaz nocifs et assez de lave pour noyer plusieurs millions de kilomĂštres carrĂ©s du paysage asiatique LâĂ©lĂ©vation des tempĂ©ratures, lâacidiïŹcation des ocĂ©ans et lâeïŹondrement des Ă©cosystĂšmes qui sâensuivirent Ă©radiquĂšrent jusquâĂ 95 % des espĂšces ! La plus eïŹroyable extinction dâespĂšces de lâhistoire marqua lâentrĂ©e dans le Trias
Lorsque les volcans se calmĂšrent et les Ă©cosystĂšmes se stabilisĂšrent, une poignĂ©e de survivants miraculĂ©s se retrouvĂšrent dans un monde quasi dĂ©sert Parmi eux, divers petits amphibiens et reptiles se diversiïŹĂšrent : plus tard, ils engendreraient les grenouilles, salamandres, tortues, lĂ©zardsâŠ, et mĂȘme les mammifĂšres que nous connaissons.
PISTAGE EN POLOGNE
Les traces de ces animaux ne sont pas des fossiles, mais des empreintes de pattes dĂ©couvertes dans les monts Sainte-Croix, en Pologne Pendant plus de vingt ans , Grzegorz Nied Ćș wiedzki , aujourdâhui Ă lâuniversitĂ© dâUppsala, en SuĂšde, a mĂ©ticuleusement explorĂ© la rĂ©gion et en 2005, prĂšs du village de Stryczowice, il mit au jour un type inhabituel de traces : de la taille de pattes de chat et alignĂ©es en pistes Ă©troites, les empreintes montraient les sillons de trois orteils centraux ïŹanquĂ©s dâun bourgeon dâorteil de chaque cĂŽtĂ©. Ces caractĂ©ristiques les classaient parmi les Prorotodactylus, un genre dĂ©crit en 2000, lui aussi sur la seule base dâempreintes.
Les traces de Prorotodactylus dataient dâenviron 250 millions dâannĂ©es. DâemblĂ©e, dâaprĂšs le
Les premiers dinosauromorphes nâĂ©taient pas bien effrayants : ils avaient la taille dâun chat et de longues jambes maigres. Et ils Ă©taient peu nombreux !
faible Ă©cart sĂ©parant les empreintes gauches et droites, il Ă©tait clair quâelles se rattachaient Ă un groupe spĂ©ciïŹque de reptiles, les archosaures, apparus aprĂšs lâextinction du Permien Ils se caractĂ©risaient par une posture dressĂ©e qui les aidait Ă courir plus vite, Ă couvrir des distances plus longues⊠Ces traces renseigneraient-elles sur les origines des dinosaures ? En eïŹet, peu aprĂšs leur apparition, les archosaures se sont sĂ©parĂ©s en deux lignĂ©es majeures qui, jusquâĂ la ïŹn du Trias, nâont cessĂ© de rivaliser : les pseudosuchiens , qui ont conduit aux crocodiles modernes, et les avemetatarsaliens, qui ont menĂ© aux dinosaures, dont les oiseaux. Dans quelle branche Prorotodactylus se rangeait-il ?
Pour rĂ©pondre , nous avons analysĂ© les empreintes et rĂ©vĂ©lĂ© deux particularitĂ©s qui les relient aux caractĂ©ristiques du pied des dinosaures : dâune part, une marche « digitigrade », oĂč seuls les orteils entrent en contact avec le sol et, dâautre part, des pieds Ă©troits Ă seulement trois orteils principaux. Prorotodactylus est donc un dinosauromorphe : ce nâest pas un dinosaure au sens strict, mais un membre primitif du sousgroupe des avemetatarsaliens, qui inclut les dinosaures et leurs plus proches cousins.
Ces premiers dinosauromorphes nâĂ©taient pas bien eïŹrayants Ils avaient la taille dâun chat domestique et de longues jambes maigres. Et ils nâĂ©taient pas nombreux non plus : moins de 5 % de toutes les traces de Stryczowice appartiennent
Ă Prorotodactylus et elles sont noyĂ©es au milieu de celles de petits reptiles , dâamphibiens et mĂȘme dâautres archosaures Le temps des dinosaures nâĂ©tait pas venu Pas encore
Les 10 Ă 15 millions dâannĂ©es suivantes, les dinosauromorphes se sont diversiïŹĂ©s. Les traces sâagrandissent et lâĂ©ventail de leurs formes sâĂ©largit Certaines pistes deviennent dĂ©pourvues dâempreintes de « mains », un signe de la bipĂ©die de leurs propriĂ©taires.
Puis, il y a entre 240 et 230 millions dâannĂ©es, lâun de ces dinosauromorphes primitifs a Ă©voluĂ© en un dinosaure Seul le nom a changĂ©, la transition nâayant comportĂ© que quelques subtiles innovations, notamment une longue fente sur le haut du bras oĂč sâancraient de plus gros muscles, une articulation ouverte entre le fĂ©mur et le bassin, stabilisant la posture debout. Modestes, ces changements nâen ont pas moins marquĂ© le dĂ©but dâune nouvelle Ăšre.
Les plus anciens fossiles de dinosaures au sens strict, qui datent dâenviron 230 millions dâannĂ©es, proviennent du parc naturel dâIschigualasto, en Argentine. LĂ , du milieu du XXe siĂšcle et jusque dans les annĂ©es 1990, des scientiïŹques ont mis au jour des fossiles Parmi eux ïŹgurent Herrerasaurus, Eoraptor et dâautres animaux reprĂ©sentant les trois branches principales de la famille des dinosaures : les thĂ©ropodes carnivores, les sauropodomorphes, herbivores Ă long cou, et les ornithischiens, herbivores Ă bec (voir les RepĂšres, page 6). Dâautres ont Ă©tĂ© dĂ©couverts en Inde et, plus rĂ©cemment, au Zimbabwe, oĂč fut exhumĂ© un sauropodomorphe primitif Mbiresaurus raathi, dĂ©crit en 2022.
Au milieu du Trias , il y a environ 230 Ă 220 millions dâannĂ©es, les trois principaux sousgroupes de dinosaures Ă©taient constituĂ©s et vivaient Ă lâĂ©poque sur un seul supercontinent, la PangĂ©e, qui sâĂ©tendait dâun pĂŽle Ă lâautre. Dans un climat beaucoup plus chaud quâaujourdâhui, les terres Ă©quatoriales brĂ»laient sous le soleil en Ă©tĂ© tandis quâailleurs sĂ©vissait un froid hivernal. Ces Ă©carts thermiques prononcĂ©s alimentaient des moussons gigantesques qui divisaient la PangĂ©e en provinces aux climats distincts
Herrerasaurus, Eoraptor et les autres dinosaures dâIschigualasto bĂ©nĂ©ïŹciaient du climat relativement clĂ©ment des moyennes latitudes, de mĂȘme que leurs cousins du BrĂ©sil, de lâInde, de lâAfrique Mais quid du reste du supercontinent ? Les premiers dinosaures ont- ils colonisĂ© les rĂ©gions plus inhospitaliĂšres ? En  2009, avec OctĂĄvio Mateus , du musĂ©e de LourinhĂŁ , au Portugal, nous avons testĂ© cette hypothĂšse en explorant un vestige de la ceinture aride subtropicale du nord de la PangĂ©e, aujourdâhui le sud du Portugal. Pas de dinosaures, mais des centaines de Metoposaurus algarvensis, des amphibiens de la taille dâune petite voiture Plus tard, nous y avons aussi trouvĂ© des fossiles de poissons, de reptiles de la taille dâun caniche et dâarchosaures de la lignĂ©e menant aux crocodiles, mais toujours aucune trace de dinosaure⊠Et nous nâen dĂ©couvrirons probablement jamais Le constat fut identique en Espagne au
Durant une grande partie du Trias, les dinosaures formaient un groupe marginal, éclipsé par des espÚces apparentées à des crocodiles, tel Saurosuchus (1), et par des amphibiens
220 millions dâannĂ©es ont livrĂ© nombre dâamphibiens et de reptiles, mais aucun dinosaure Quâen conclure ? Au dĂ©but de leur Ă©volution, les dinosaures se sont diversiïŹĂ©s lentement, cantonnĂ©s dans les rĂ©gions tempĂ©rĂ©es humides. Ils Ă©taient de simples habitants dâun monde fragile qui tentait de se remettre de la grande extinction de la ïŹn du Permien. Vint alors un coup de pouce du destin.
MERCI LE DESTIN !
Dâabord, dans la zone humide, les grands herbivores dominants â des reptiles nommĂ©s rhynchosaures et les dicynodontes, des cousins des mammifĂšres â ont dĂ©clinĂ© pour des raisons encore inconnues Leur chute, il y a entre 225 et 215 millions dâannĂ©es, a laissĂ© vacantes de nouvelles niches Ă©cologiques quâont occupĂ©es les sauropodomorphes primitifs herbivores tels que Saturnalia, une espĂšce de la taille dâun chien, au cou lĂ©gĂšrement allongĂ© Ces ancĂȘtres des sauropodes sont devenus les principaux herbivores des zones humides des hĂ©misphĂšres Nord et Sud.
Ensuite, il y a environ 215 millions dâannĂ©es, les dinosaures ont ïŹnalement mis un pied dans les dĂ©serts de lâhĂ©misphĂšre Nord, probablement Ă la faveur de modiïŹcations des moussons et de la diminution de la quantitĂ© de dioxyde de carbone atmosphĂ©rique
La route restait longue, toutefois, avant quâils ne rĂšgnent sur la planĂšte Les meilleurs enregis
durant tout le Trias, les dinosaures vivaient dans des environnements trĂšs spĂ©cifiques et, oĂč quâils fussent, ils Ă©taient entourĂ©s de toutes sortes dâanimaux plus gros, plus communs, mais aussi plus diversifiĂ©s
aujourdâhui : les badlands, dans le sud-ouest des Ătats-Unis. Depuis vingt ans, une Ă©quipe y fouille mĂ©thodiquement le site de Hayden Quarry, au Nouveau-Mexique, et y a dĂ©couvert une mine de squelettes : des amphibiens monstrueux Ă©troitement apparentĂ©s au Metoposaurus portugais, des ancĂȘtres primitifs de crocodiles et une foule bigarrĂ©e de reptiles nageurs et arboricoles Et parmi cette mĂ©nagerie, une poignĂ©e de dinosaures, uniquement des thĂ©ropodes prĂ©dateurs.
Le climat expliquerait lĂ encore la raretĂ© des dinosaures : ces dĂ©serts Ă©taient des environnements instables oĂč tempĂ©ratures et prĂ©cipitations fluctuaient notablement . Les plantes avaient sans doute des diïŹcultĂ©s Ă sâĂ©tablir de façon pĂ©renne , empĂȘchant les dinosaures
herbivores de sâinstaller. Ainsi, quelque 20 millions dâannĂ©es aprĂšs leur apparition, les dinosaures nâĂ©taient toujours pas les maĂźtres incontestĂ©s des continents
Finalement, durant tout le Trias, ils vivaient dans des environnements trĂšs spĂ©ciïŹques et, oĂč quâils fussent , ils Ă©taient entourĂ©s de toutes sortes dâanimaux plus gros, plus communs, mais aussi plus diversifiĂ©s . Ă Ischigualasto , par exemple, les premiers dinosaures ne reprĂ©sentaient quâau plus 20 % de lâĂ©cosystĂšme total . Partout, ils Ă©taient minoritaires
Mais surtout, les dinosaures du Trias avaient aïŹaire aux pseudosuchiens, leurs proches cousins situĂ©s du cĂŽtĂ© crocodile de la famille des archosaures , et Ă Ischigualasto , câĂ©tait Saurosuchus qui rĂ©gnait sur la chaĂźne alimentaire, avec ses dents acĂ©rĂ©es et ses mĂąchoires puissantes Hayden Quarry abritait de nombreux pseudosuchiens ; des versions semi-aquatiques avec de longs museaux, des herbivores au corps couvert de plaques et mĂȘme certains dĂ©pourvus de dents qui couraient sur leurs pattes arriĂšre Ă la façon des thĂ©ropodes quâils cĂŽtoyaient
Ă la ïŹn des annĂ©es 2000, lâidĂ©e prĂ©valait que les dinosaures, ces crĂ©atures rapides, endurantes et intelligentes, Ă©taient si bien adaptĂ©s Ă leur environnement quâils avaient rapidement pris le dessus sur leurs compĂ©titeurs du Trias. Cette idĂ©e ne concordait manifestement pas avec les archives fossiles. Existait-il un moyen de la tester ?
Je me tournai alors vers une mĂ©thode statistique utilisĂ©e par les spĂ©cialistes des invertĂ©brĂ©s pour mesurer la diversitĂ© anatomique Ă lâintĂ©rieur dâun groupe dâespĂšces et dĂ©cidai de lâappliquer aux dinosaures et aux pseudosuchiens du Trias De la sorte, jâĂ©luciderai lâĂ©volution de leur diversitĂ©, ce qui indiquerait si un groupe avait devancĂ© lâautre.
Lâanalyse des donnĂ©es portant sur plus de 400 caractĂ©ristiques anatomiques montra que, tout au long du Trias, lâanatomie des pseudosuchiens Ă©tait plus variĂ©e que celle des dinosaures, ce qui indique quâils expĂ©rimentaient davantage de modes de vie. Les deux groupes se sont diversiïŹĂ©s au cours du Trias, mais les pseudosuchiens devançaient toujours les dinosaures cantonnĂ©s aux seconds rĂŽles.
Si vous aviez foulĂ© Ă lâĂ©poque le sol de la PangĂ©e, vous auriez probablement considĂ©rĂ© les dinosaures comme un groupe assez marginal. Les pseudosuchiens semblaient appelĂ©s Ă un avenir radieux⊠Comment les dinosaures ont-ils ïŹni par voler la couronne Ă leurs cousins ?
Le coup de pouce fut gĂ©ologique. Vers la ïŹn du Trias , des forces tectoniques ont Ă©tirĂ© la PangĂ©e dâest en ouest et ïŹssurĂ© le supercontinent La longue fracture â le futur ocĂ©an Atlantique â a favorisĂ© la remontĂ©e du magma. Pendant plus de 500 000 ans , les conditions furent Ă©trangement semblables Ă celles qui avaient marquĂ© la ïŹn du Permien 50 millions dâannĂ©es auparavant. Aux mĂȘmes causes , les mĂȘmes eïŹets : les lignĂ©es des archosaures ont presque toutes Ă©tĂ© dĂ©cimĂ©es et seules quelques espĂšces ont survĂ©cu, les ancĂȘtres des crocodiles et des alligators actuels
De leur cĂŽtĂ©, les dinosaures sont passĂ©s Ă travers les gouttes⊠de feu et de soufre. Tous les principaux sous-groupes (thĂ©ropodes, sauropodomorphes et ornithischiens) rĂ©pondaient prĂ©sents au Jurassique, la pĂ©riode gĂ©ologique suivante. Tandis que le monde vivait un enfer, les dinosaures prospĂ©raient , profitant en quelque sorte du chaos qui les entourait PossĂ©daient- ils un avantage face aux pseudosuchiens ou se sont-ils simplement retrouvĂ©s indemnes aprĂšs le crash de lâavion, sauvĂ©s par la chance ? On lâignore encore.
Quelle que soit la raison de la survie des dinosaures, les consĂ©quences de cet Ă©pisode mystĂ©rieux de leur histoire sont, elles, parfaitement Ă©tablies. Une fois libĂ©rĂ©s de la pression de leurs rivaux pseudosuchiens , ils ont prospĂ©rĂ© au Jurassique Ils se sont diversiïŹĂ©s et sont devenus plus abondants et plus massifs que jamais Des espĂšces radicalement nouvelles sont apparues dont les premiers dinosaures avec des plaques sur le dos et une armure couvrant le corps ; les premiers sauropodes colossaux qui faisaient trembler la terre ; les ancĂȘtres du T. rex et un assortiment dâautres thĂ©ropodes incluant les aĂŻeux des oiseaux. Les dinosaures dominaient enïŹn la planĂšte Il avait fallu plus de 30 millions dâannĂ©es, mais leur rĂšgne commençait, et il allait durer longtemps.
> Stephen Brusatte est palĂ©ontologue Ă lâuniversitĂ© dâĂdimbourg, en Ăcosse. Lâauteur
> C. Gri n et al., Africaâs oldest dinosaurs reveal early suppression of dinosaur distribution, Nature, 2022.
> C. Foth et al., Rapid initial morphospace expansion and delayed morphological disparity peak in the ïŹrst 100 million years of the archosauromorph evolutionary radiation, Frontiers in Earth Science, 2021.
> N. Séon et al., Thermophysiologies of Jurassic marine crocodylomorphs inferred from the oxygen isotope composition of their tooth apatite, Phil. Trans. R. Soc. B, 2020.
> E. Wilberg et al., Evolutionary structure and timing of major habitat shi ts in Crocodylomorpha, ScientiïŹc Reports, 2019.
> S. Brusatte, The Rise and Fall of the Dinosaurs, William Morrow, 2018. Ă lire
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Ă quoi pouvait bien ressembler la vie quotidienne dâun tyrannosaure ? Dâun diplodocus ? Ou de tout autre dinosaure petit ou grand ? Ces interrogations, autrefois considĂ©rĂ©es comme inaccessibles Ă la science ou dĂ©pourvues dâintĂ©rĂȘt, trouvent dĂ©sormais des Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse sous le pinceau des palĂ©ontologues et plus sĂ»rement sous les yeux des instruments de laboratoire, toujours plus pointus. Et lâon dĂ©couvre des tonnes dâinformations sur les couleurs des dinosaures et leur rĂŽle, sur lâĂ©volution de la coquille de leurs Ćufs, sur leurs capacitĂ©s cognitives⊠et mĂȘme sur leurs mĆurs sexuelles. Que de questions⊠existentielles !
Vert reptile, les dinosaures ? Pas seulement : rouges, noirs, blancs, roux, iridescents⊠les pigments fossiles rĂ©vĂšlent une palette de couleurs bien plus diverse quâon ne le pensait.
Octobre 2006, universitĂ© Yale, Ătats-Unis. Dans une piĂšce sombre, jâobserve au microscope Ă©lectronique lâencre fossilisĂ©e dâun calmar de 200 millions dâannĂ©es, une mer de billes translucides de un cinquiĂšme de micromĂštre de diamĂštre. Lâencre Ă©tait parfaitement conservĂ©e ! La mĂ©lanine Ă©tant le pigment de lâencre des cĂ©phalopodes, mais aussi celui des cheveux, de la peau, des plumes et des yeux, je me suis demandĂ© si elle pouvait Ă©galement avoir Ă©tĂ© prĂ©servĂ©e dans les fossiles dâautres types dâorganismes que les pieuvres et consorts Et puisque cette mĂ©lanine peut Ă elle seule produire des teintes rouges, brunes, grises, noires, voire mĂ©talliques, Ă©tait-il possible de restituer lâĂ©ventail de couleurs des dinosaures ?
La plupart des palĂ©ontologues demeuraient dubitatifs, arguant que les pigments rĂ©sistent diïŹcilement Ă la fossilisation. Les rares contreexemples concernaient tous des invertĂ©brĂ©s , jamais de vertĂ©brĂ©s. La seule option pour deviner les couleurs des animaux disparus Ă©tait de sâinspirer des robes des animaux actuels En consĂ©quence, les restitutions des robes de dinosaures variaient du ton terreux des reptiles et des amphibiens aux teintes Ă©clatantes des oiseaux.
Toutefois, depuis quinze ans, de nombreuses dĂ©couvertes ont notablement rĂ©duit les doutes quant aux robes (pelages ou plumages) des dinosaures. En eïŹet, la mise en Ă©vidence des structures porteuses de mĂ©lanine dans des dizaines de fossiles ainsi que lâĂ©tude de leurs formes et de leur organisation ont rĂ©vĂ©lĂ© les couleurs et les motifs qui ornaient des dinosaures et plusieurs autres espĂšces animales Ă©teintes . Et ces
â En bref
> Les paléontologues ont longtemps jugé impossible la restitution des couleurs des animaux fossiles, notamment des dinosaures.
> La découverte de pigments bien conservés dans une série de dinosaures change la donne.
> En étudiant ces pigments, les chercheurs parviennent à déduire quelles étaient les couleurs de ces animaux.
> Les motifs quâarbore la robe de certains d'entre eux livrent des informations sur leur comportement et leur habitat.
informations sont riches dâenseignements sur le comportement et lâhabitat de ces organismes.
Fortes de lâexemple des cĂ©phalopodes, mon Ă©quipe et dâautres se sont mises en quĂȘte de fossiles prĂ©sentant des taches sombres dans les rĂ©gions du corps susceptibles de contenir de la mĂ©lanine : les phanĂšres (plumes, poilsâŠ) et les yeux Plus encore, il nous fallait examiner ces zones au microscope Ă©lectronique. Or les fossiles bien conservĂ©s sont rares et jalousement protĂ©gĂ©s par les musĂ©umsâŠ
Heureusement sont venus les nombreux fossiles datant de lâYprĂ©sien (56 millions Ă 47,8 millions dâannĂ©es) de la formation de Fur/Ălst, au Danemark, mon pays natal. Le conservateur du MusĂ©um gĂ©ologique de Copenhague sâest laissĂ© convaincre de cĂ©der un Ă©chantillon dâun bloc de calcaire contenant le fossile dâun petit oiseau, qui prĂ©sentait des taches au niveau des yeux et des impressions de plumes.
Comment la mĂ©lanine se prĂ©sente-t-elle dans les plumes des oiseaux actuels ? Ce pigment est synthĂ©tisĂ© au sein de cellules spĂ©cialisĂ©es, des mĂ©lanocytes, par des organites spĂ©ciïŹques, les mĂ©lanosomes. Il reste en gĂ©nĂ©ral enfermĂ© dans ces organites longs de 0,5 à 2 micromĂštres et dont il existe deux formes La premiĂšre, cylindrique, contient la variante de la mĂ©lanine nommĂ©e « eumĂ©lanine », qui absorbe la lumiĂšre de toutes les longueurs dâonde (y compris les ultraviolets) : elle confĂšre sa couleur noire Ă lâencre
La microstructure formĂ©e par les mĂ©lanosomes du petit dinosaure Microraptor rĂ©vĂšle que son plumage Ă©tait semblable Ă celui dâun corbeau, câest-Ă -dire dâun beau noir chatoyant. Les palĂ©ontologues pensaient que Microraptor Ă©tait nocturne, Ă©tant donnĂ© les grandes orbites de ses yeux. Or les oiseaux actuels parĂ©s dâun plumage iridescent tendent Ă ĂȘtre actifs pendant la journĂ©e, ce qui suggĂšre que, comme eux, Microraptor Ă©tait diurne.
du calmar et aux plumes du corbeau. La seconde forme de mĂ©lanosome est globulaire et renferme la phĂ©omĂ©lanine, variante de la mĂ©lanine qui donne une couleur rouille Lâabsence de pigments sur les plumes se traduit par une couleur blanche. Quant aux couleurs grises et brunes observĂ©es parfois, elles rĂ©sultent de combinaisons de zones riches en eumĂ©lanine et en phĂ©omĂ©lanine et de zones dĂ©pourvues de pigments.
Comme le cas de lâencre fossile prouvait que lâeumĂ©lanine peut se conserver, jâai pensĂ© quâil me fallait rechercher dâabord ce pigment dans les plumes En discutant avec Richard Prum, de lâuniversitĂ© Yale, lâun des spĂ©cialistes de la couleur des oiseaux, et Vinod Saranathan, aujourdâhui Ă lâuniversitĂ© de Krea, en Inde, jâai appris que les mĂ©lanosomes cylindriques sont disposĂ©s dâune façon caractĂ©ristique le long des barbes et des barbules dont la plume est constituĂ©e. Câest au cours du dĂ©veloppement que les kĂ©ratinocytes (les cellules spĂ©cialisĂ©es Ă lâorigine des phanĂšres) les disposent en ces endroits Ainsi, si les taches sombres visibles sur le fossile de lâoiseau danois provenaient bien de la mĂ©lanine, alors le microscope devait me montrer des mĂ©lanosomes cylindriques fossilisĂ©s le long des barbes et des barbules
Impatient, je zoomai sur les plumes fossiles et observai aussitĂŽt des millions de structures de forme cylindrique ! AprĂšs quelques pĂ©ripĂ©ties, et des doutes Ă©mis par le pionnier de lâĂ©tude des fossiles Derek Briggs (il penchait plutĂŽt pour des bactĂ©riesâŠ), mon directeur de thĂšse Ă Yale, nous sommes parvenus Ă la conclusion quâil sâagissait bien de mĂ©lanosomes.
Celle - ci fut confortĂ©e par lâanalyse dâune petite plume, vieille de 108 millions dâannĂ©es et mise au jour au BrĂ©sil, prĂ©sentant une alternance de bandes noires et blanches. Des mĂ©lanosomes, par milliers, ne se rĂ©vĂšlent que dans les premiĂšres, Ă©cartant lâhypothĂšse de microorganismes qui eux, auraient Ă©tĂ© prĂ©sents partout
Depuis la publication de ces rĂ©sultats , en 2008, des mĂ©lanosomes et dâautres pigments ont Ă©tĂ© dĂ©couverts dans divers fossiles Des chercheurs se sont aussi mis Ă Ă©tudier la chimie de la mĂ©lanine fossile, et leurs rĂ©sultats corroborent les observations suggĂ©rant que celle-ci peut traverser quasi intacte les millions dâannĂ©es . Avec Caitlin Colleary, Ă lâuniversitĂ© de Bristol, nous avons montrĂ© que les lĂ©gĂšres altĂ©rations quâon y trouve sont la consĂ©quence des fortes pressions et tempĂ©ratures rĂ©gnant dans le sol profond
Notre rĂ©sultat le plus spectaculaire est la reconstitution de couleurs de plumes de dinosaures. En 2009, avec mes collĂšgues de Yale, ainsi que Matthew Shawkey et Liliana DâAlba, de lâuniversitĂ© de Gand, en Belgique, et dâautres encore, nous avons reproduit les couleurs du plumage dâAnchiornis huxleyi. Ce petit dinosaure prĂ©dateur vivait il y a environ 155 millions dâannĂ©es dans ce qui allait devenir le nord de la Chine Le fossile prĂ©sentait lui aussi des taches sombres, qui suggĂ©raient la prĂ©sence de matiĂšre organique, probablement de la mĂ©lanine. Toutefois, notre objectif
Les deux formes de mĂ©lanine donnent lieu Ă des couleurs di Ă©rentes : lâeumĂ©lanine est associĂ©e aux tons noirs tandis que la phĂ©omĂ©lanine correspond aux teintes rouge-roux. Les combinaisons de ces formes de mĂ©lanine et de lâabsence de pigment produisent les couleurs brune, grise et blanche. Les reïŹets irisĂ©s de certains plumages sont produits par des structures constituĂ©es dâempilements plus ou moins rĂ©guliers de mĂ©lanosomes, qui di ractent la lumiĂšre. LâĂ©tude des mĂ©lanosomes et de leur rĂ©partition dans les plumes des oiseaux actuels a fourni aux chercheurs des donnĂ©es de rĂ©fĂ©rence, Ă partir desquelles ils peuvent dĂ©terminer les couleurs vraisemblables de zones du corps dâanimaux disparus et les motifs colorĂ©s que ces derniers arboraient.
Ă©tait plus ambitieux : reconstituer tout le motif de son plumage. Aussi nous fallait-il mettre au point une façon de prĂ©dire les couleurs Ă partir de la forme des mĂ©lanosomes. Câest ce que nous avons fait en Ă©tudiant les mĂ©lanosomes de 36 plumes (noires, brunes et grises) dâoiseaux actuels, ce qui nous a conduits Ă la conception dâun outil statistique trĂšs eïŹcace.
Dans le cas dâAnchiornis, cette approche a rĂ©vĂ©lĂ© en 2008 que la plupart des plumes couvrant le corps de cet animal Ă©taient grises. En revanche, les longues plumes sur ses ailes et ses pattes nâĂ©taient colorĂ©es par des mĂ©lanosomes
quâaux extrĂ©mitĂ©s, oĂč leur dense prĂ©sence produisait une couleur noire. EnïŹn, les plumes du haut de sa tĂȘte contenaient des empreintes de mĂ©lanosomes globulaires, de sorte quâAnchiornis devait avoir une crĂȘte rougeĂątre
Peu aprĂšs notre Ă©tude sur Anchiornis, Fucheng Zhang, de lâAcadĂ©mie chinoise des sciences, et ses collĂšgues ont annoncĂ© la dĂ©couverte de mĂ©lanosomes dans plusieurs oiseaux et dinosaures fossilisĂ©s dans des roches chinoises datant de
130 millions dâannĂ©es La rĂ©partition des mĂ©lanosomes globulaires chez Sinosauropteryx, un dinosaure couvert de duvet, impliquait que ce dernier arborait une robe rousse et une queue striĂ©e comme celles dâun tigre. En 2017, avec Fiann Smithwick, nous avons montrĂ© que ce motif sâĂ©tendait jusquâĂ la tĂȘte, confĂ©rant Ă lâanimal un masque semblable Ă celui des ratons laveurs.
Depuis , les donnĂ©es se sont multipliĂ©es jusquâĂ concerner aujourdâhui des centaines dâĂ©chantillons Certains dâentre eux tĂ©moignent dâune iridescence, câest-Ă -dire des reïŹets mĂ©talliques comme ceux des plumages de colibris et de paons. Ce phĂ©nomĂšne rĂ©sulte dâempilements particuliers des mĂ©lanosomes, par ailleurs plus longs que dâordinaire, et parfois creux ou aplatis, lesquels diïŹractent la lumiĂšre de diverses façons, ce qui produit diïŹĂ©rentes couleurs suivant lâangle de vue ou lâĂ©clairage.
En 2009, nous avons trouvĂ© des preuves de cette iridescence dans une plume fossile, datant de 49 millions dâannĂ©es, mise au jour dans la carriĂšre de Messel, en Allemagne. Et il nâa pas fallu longtemps pour que nous repĂ©rions une iridescence chez un vĂ©ritable dinosaure : Microraptor. De la taille dâun corbeau, ce petit prĂ©dateur avait quatre ailes, ou plutĂŽt quatre membres en forme dâailes. Il sâagit dâun cousin primitif de Velociraptor, star de la saga Jurassic Park, oĂč il est reprĂ©sentĂ© avec une peau Ă Ă©cailles. Aujourdâhui, on sait que Microraptor et Velociraptor Ă©taient en fait couverts de plumes. Celles de Microraptor contenaient de longs mĂ©lanosomes cylindriques disposĂ©s de telle façon quâils diïŹractaient la lumiĂšre. Son plumage devait donc ĂȘtre noir, mais avec le mĂȘme type de reïŹets que celui du corbeau
En  2017, Jennifer Peteya , de lâuniversitĂ© dâAkron , dans lâOhio , et ses collĂšgues ont constatĂ© la mĂȘme iridescence chez Bohaiornis, un oiseau de Chine du groupe des Ă©nantiornithes , qui Ă©tait dotĂ© dâune longue queue formĂ©e de deux plumes. Et en 2023, ce fut au tour du fossile dâun jeune Wulong, un dinosaure microraptorien de la famille des dromaeosauridĂ©s, de rĂ©vĂ©ler une iridescence sur les plumes de ses quatre membres.
Tous les oiseaux primitifs nâĂ©taient pas iridescents, comme lâont montrĂ© les travaux sur
Protopteryx en 2020, Scianiacypselus en 2018, Yuanchuavis en 2021
Les dĂ©couvertes concernent aussi des dinosaures sans plumes. Ainsi, en 2020, Ă en croire lâexamen dâun Ă©chantillon de peau dâun hadrosaure, cet animal aurait eu une peau plutĂŽt grise, du type de celle des Ă©lĂ©phants et des rhinocĂ©ros actuels
Les pigments fossiles ont aussi lâintĂ©rĂȘt de rĂ©vĂ©ler des facettes auparavant inconnues de la vie quotidienne des dinosaures et dâautres animaux disparus En raison de la trĂšs grande taille de ses orbites, les palĂ©ontologues pensaient par exemple que Microraptor Ă©tait nocturne, mais son plumage iridescent suggĂšre le contraire . Quant aux couleurs vives dâ Anchiornis , elles jouaient sans doute un rĂŽle dans la parade nuptiale.
En 2023, un Wulong (un microraptorien) révéla une iridescence sur les plumes de ses quatre membres
Les mĂ©lanosomes fossiles aident aussi Ă prĂ©ciser dans quel type dâenvironnement une espĂšce Ă©teinte vivait. Ainsi en est-il du Psittacosaurus, un petit dinosaure assez frĂ©quent dans le nord-est de la Chine, oĂč les squelettes de cette espĂšce sont souvent trĂšs complets. Le spĂ©cimen que nous avons Ă©tudiĂ© sort du lot, cependant, car entourĂ© dâun mince ïŹlm : les vestiges dâune peau et de dĂ©licates Ă©cailles Sa queue prĂ©sente de longues soies filamenteuses , peut- ĂȘtre des prĂ©curseurs de plumes. Ă la diïŹĂ©rence des plumes prĂ©cĂ©demment dĂ©crites qui concernaient des dinosaures principalement carnivores, Psittacosaurus appartient, lui, Ă un groupe de dinosaures herbivores, les cĂ©ratopsiens. Câest peut-ĂȘtre un indice que le plumage Ă©tait bien plus rĂ©pandu chez les dinosaures quâon ne le pensait.
Lors de ma premiĂšre observation de ce spĂ©cimen, jâai vu dâemblĂ©e des indices dâun magniïŹque motif colorĂ© sur tout le corps Il Ă©tait subtil, puisquâil comportait de ïŹnes marbrures , des points et des traits. Jâai aussi pu constater que lâanimal avait le dos sombre et le ventre pĂąle. Cette opposition de teintes contrebalance lâombre créée sur lâanimal par lâĂ©clairage ambiant, ce qui a pour eïŹet de le rendre moins visible dans le paysage . NommĂ©e « contre - illumination » , cette forme de camouïŹage est celle de nombreux animaux, des dauphins aux cerfs en passant par les antilopes et les requins
Avec Innes Cuthill, spĂ©cialiste du camouïŹage animal Ă lâuniversitĂ© de Bristol, nous avons compris quâil y avait lĂ lâoccasion dâĂ©tudier la contre-illumination chez un dinosaure et dâen dĂ©duire le type de milieu oĂč il vivait Pour reconstituer lâhabitat dâun animal, les chercheurs rĂ©unissent gĂ©nĂ©ralement des indices fournis par les fossiles dâautres animaux et de vĂ©gĂ©taux dĂ©couverts Ă proximitĂ©. Cependant, souvent, le milieu oĂč un fossile est dĂ©couvert ne correspond souvent pas Ă celui oĂč lâorganisme vivait Le Psittacosaurus chinois, par exemple, a Ă©tĂ© retrouvĂ© dans les sĂ©diments dâun ancien lac, alors que ce dinosaure ne semble pas avoir Ă©tĂ© aquatique
En Ă©tudiant la contre-illumination chez les ongulĂ©s actuels (chevaux, antilopes, chameauxâŠ), Innes Cuthill et ses collaborateurs ont montrĂ© que le contraste des deux tons et la nature de la
Les mĂ©lanosomes dâun Psittacosaurus indiquent quâil avait le dos foncĂ© et le ventre clair. NommĂ©e contre-illumination », cette opposition ventre clair et dos foncĂ© contrebalance les e ets de lâĂ©clairage ambiant. Le corps de lâanimal se fond ainsi davantage dans le paysage, afin de ne pas se faire remarquer par un prĂ©dateur ou par une proie. Le type de contre-illumination observĂ© chez Psittacosaurus suggĂšre que ce bipĂšde herbivore devait se camoufler dans un habitat oĂč la lumiĂšre solaire Ă©tait di use, par exemple une forĂȘt Ă canopĂ©e.
transition diïŹĂšrent dâune espĂšce Ă lâautre et sont corrĂ©lĂ©s aux conditions de luminositĂ©, variables selon la latitude et la densitĂ© de vĂ©gĂ©tation, dans lesquelles vit lâanimal
De façon gĂ©nĂ©rale, dans un milieu ouvert, la lumiĂšre solaire directe tend Ă crĂ©er une ombre qui monte haut sur le corps, avec une sĂ©paration bien nette de la zone du corps illuminĂ©e Les animaux vivant dans un tel habitat, comme lâantilope dâAmĂ©rique ( Antilocapra americana ) , prĂ©sentent en gĂ©nĂ©ral une contre-illumination adaptĂ©e : le dos est sombre et le cĂšde brusquement Ă un ventre clair, donc sans zone de coloration intermĂ©diaire. Dans les habitats fermĂ©s, au contraire, de la lumiĂšre diïŹuse Ă travers la vĂ©gĂ©tation et se disperse dans toutes les directions Dans ce genre dâhabitat, les animaux tel le cerf Ă queue noire (Odocoileus hemionus) tendent Ă prĂ©senter une contre-illumination oĂč la transition du ventre au dos est progressive.
Restait Ă dĂ©terminer le type de contreillumination du Psittacosaurus⊠Pour ce faire, nous avons cartographiĂ© la rĂ©partition de la mĂ©lanine conservĂ©e sur le fossile Ă lâaide dâune technique dâimagerie spĂ©ciale. Avec le concours du palĂ©oartiste britannique Bob Nicholls, nous avons ensuite projetĂ© la carte obtenue sur un modĂšle prĂ©cis et en grandeur nature du dinosaure. Nous avons ainsi Ă©tabli que la transition du foncĂ© au clair se situait bas sur le ventre et la queue
Nous avons ensuite photographiĂ© les ombres formĂ©es sur une copie peinte en gris de notre modĂšle grandeur nature dans plusieurs conditions dâĂ©clairage (soleil plus ou moins Ă©clatant, forĂȘt de
conifĂšres ou terrain dĂ©gagĂ©âŠ). En inversant, enïŹn, les nuances sombres et claires des photographies, nous avons identiïŹĂ© les conditions oĂč la contre-illumination du Psittacosaurus est la plus adaptĂ©e. Conclusion ? Un milieu baignĂ© par une lumiĂšre diïŹuse, une forĂȘt Ă canopĂ©e par exemple.
Les pigments conservĂ©s dans les proies probables de certains dinosaures sont aussi riches dâenseignements Chez les insectes, la plupart des motifs colorĂ©s ont en eïŹet Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©s pour leurs vertus protectrices. Or les fossiles des nĂ©vroptĂšres, un grand groupe dâinsectes prĂ©dateurs gĂ©nĂ©ralistes, en oïŹrent un exemple fascinant Il y a entre 170 millions et 150 millions dâannĂ©es, les ailes de certains dâentre eux ont commencĂ© Ă arborer des ocelles (des taches en forme dâyeux) susceptibles dâintimider un prĂ©dateur approchant trĂšs vite Ces insectes ont Ă©tĂ© parmi les premiers Ă acquĂ©rir de tels caractĂšres
Contre quel type de prĂ©dateurs se dĂ©fendaient-ils ? La plupart des motifs colorĂ©s des insectes actuels sont destinĂ©s Ă tromper les oiseaux, leurs principaux prĂ©dateurs Toutefois, les nĂ©vroptĂšres sont antĂ©rieurs aux oiseaux tels que nous les connaissons. On pense donc que leurs prĂ©dateurs Ă©taient des paraviens, câest-Ă -dire des membres du groupe (Paraves) de dinosaures thĂ©ropodes contemporains des nĂ©vroptĂšres, qui allait donner les oiseaux (entre autres). Le registre fossile des paraviens nâindique pas clairement Ă quel moment la capacitĂ© de voler est survenue, mais
lâapparition dâocelles chez les nĂ©vroptĂšres constitue un indice quâune intense pression de prĂ©dation sâest exercĂ©e sur eux, celle-ci Ă©tant probablement due Ă des animaux volants. Les ocelles des insectes nous renseignent donc sur la date Ă laquelle les dinosaures ont commencĂ© Ă voler
La recherche sur les palĂ©ocouleurs continue Il reste des pigments Ă rechercher et Ă identiïŹer dans les fossiles, notamment les carotĂ©noĂŻdes, qui produisent les rouges et des jaunes vifs, et les porphyrines, qui donnent des tons verts, rouges et bleus. Occasionnellement, de tels pigments ont Ă©tĂ© dĂ©couverts dans certains fossiles. Dâautres inconnus chez les organismes actuels ont aussi Ă©tĂ© repĂ©rĂ©s au sein dâorganismes bien plus anciens Il est clair que les modalitĂ©s de la fossilisation posent des limites Ă nos efforts de reconstitution . Cependant, les techniques progressent, ouvrant la voie Ă de nouvelles dĂ©couvertes. Et Ă chaque fois, on peut parier que notre passĂ© passera un peu plus du noir et blanc au Technicolor !
> Jakob Vinther est biologiste Ă lâuniversitĂ© de Bristol, en Angleterre. Lâauteur
> A. Croudace et al., Iridescent plumage in a juvenile Dromaeosaurid theropod dinosaur, Acta Palaeontologica Polonica, 2023.
> M. Wang et al., An Early Cretaceous enantiornithine bird with a pintail, Current Biology, 2021.
> J. OâConnor et al., New information on the plumage of Protopteryx (Aves : Enantiornithes) from a new specimen, Cretaceous Research, 2020.
> M. Fabbri et al., Threedimensional so t tissue preservation revealed in the skin of a non-avian dinosaur, Palaeontology, 2020.
Lâoscar du meilleur scĂ©nario original pour une extinction de masse est attribuĂ© Ă la mĂ©tĂ©orite qui sâest abattue sur la Terre Ă la ïŹn du CrĂ©tacĂ©, il y a 66 millions dâannĂ©es. Certes, lâastĂ©roĂŻde tient le rĂŽle principal, en ayant prĂ©cipitĂ© la ïŹn des dinosaures, et un enregistrement dans un gisement fossilifĂšre montre le dĂ©tail des Ă©vĂ©nements minute par minute. Mais le suspense est au rendez-vous lorsquâil sâagit de savoir si les grands reptiles Ă©taient dĂ©jĂ en dĂ©clin ou pas avant le cataclysme. Quant au twist ïŹnal, lorsque Ă©merge une catĂ©gorie dâanimaux â les mammifĂšres â que rien nâappelait Ă conquĂ©rir la planĂšte, il en a surpris plus dâunâŠ
Qui a tué les dinosaures ?
Si lâastĂ©roĂŻde de Chicxulub a prĂ©cipitĂ© leur disparition, il y a 66 millions dâannĂ©es, il semble quâils Ă©taient dĂ©jĂ en dĂ©clin depuis longtemps.
Quand, en 1980, les physiciens amĂ©ricains Luis et Walter Alvarez montrent quâun astĂ©roĂŻde de grande dimension a heurtĂ© la Terre Ă la limite entre le CrĂ©tacĂ© et le Tertiaire (ou KT), il y a 65 millions dâannĂ©es, ils y voient immĂ©diatement la cause principale de lâextinction brutale des dinosaures Cette hypothĂšse, qui reprenait une spĂ©culation Ă©mise en 1953 par deux gĂ©ologues, a scindĂ© la communautĂ© scientiïŹque⊠et stimulĂ© la recherche. Une dizaine dâannĂ©es plus tard, des gĂ©ologues dĂ©couvrent un cratĂšre dâimpact Ă Chicxulub, dans la pĂ©ninsule du YucatĂĄn, dont la taille et lâĂąge sont cohĂ©rents avec la dĂ©couverte des Alvarez. Une analyse gĂ©ologique poussĂ©e et des modĂ©lisations permettent alors de calculer la taille de lâastĂ©roĂŻde, lâĂ©nergie dĂ©gagĂ©e lors de la collision et les consĂ©quences dramatiques sur lâenvironnement terrestre (voir les RepĂšres, page 6). En 2013, les gĂ©ophysiciens aïŹnent la date de lâimpact : 66 millions dâannĂ©es Entre-temps, en 2010, 42 experts de diverses disciplines ont analysĂ© trente ans de publications scientifiques sur le sujet et ont conclu quâune liaison causale existait entre la chute de lâastĂ©roĂŻde et lâextinction des dinosaures non aviens (nâoublions pas que les oiseaux actuels sont les descendants de dinosaures rescapĂ©s). Pourtant lâaffaire nâest pas bouclĂ©e . Des palĂ©ontologues, dont Gerta Keller, de lâuniversitĂ©
de Princeton, aux Ătats-Unis, privilĂ©gient le rĂŽle des trapps du Deccan (du terme suĂ©dois trappa, « escalier »). Dans cette grande province de lâouest de lâInde, des Ă©ruptions volcaniques ont produit de gigantesques coulĂ©es basaltiques accompagnĂ©es de rejets de gaz riches en dioxydes de soufre et de carbone susceptibles dâavoir altĂ©rĂ© lâatmosphĂšre terrestre et dâĂȘtre ainsi la cause de lâextinction des dinosaures. EnïŹn, certains palĂ©ontologues avancent quâĂ la fin du CrĂ©tacĂ© , durant le Maastrichtien (de 72 millions Ă 66 millions dâannĂ©es), un refroidissement progressif du climat a entraĂźnĂ© lâanĂ©antissement des dinosaures. Quel est le bon scĂ©nario ? Ces derniĂšres annĂ©es, ces hypothĂšses ont Ă©tĂ© soigneusement revisitĂ©es, et aujourdâhui les choses se prĂ©cisent
En 2019, la revue Science publie dans le mĂȘme numĂ©ro deux articles minutieux sur les trapps du Deccan, mais avec des conclusions opposĂ©es. Dans le premier, sur la base dâĂ©tudes de gĂ©ochronologie fondĂ©es sur la dĂ©sintĂ©gration de lâuranium en plomb, une Ă©quipe autour de Gerta Keller a montrĂ© quâil y a eu quatre pĂ©riodes de fortes Ă©ruptions encadrant dans le temps la chute de lâastĂ©roĂŻde. Plus prĂ©cisĂ©ment, lâune des deux Ă©ruptions les
Dans le sud-est de la Chine, par lâĂ©tude dâune couche de 700 mĂštres de sĂ©diments, lâĂ©quipe de Xiuming Liu a rĂ©vĂ©lĂ© la chronologie relative de la disparition de 11 espĂšces de dinosaures, mesurĂ©e par la prĂ©sence de coquilles de leurs Ćufs (en violet), et des Ă©ruptions volcaniques des trapps du Deccan, estimĂ©e Ă lâaide Ă la fois de la quantitĂ© de mercure rejetĂ©e dans lâatmosphĂšre (courbe verte) et par lâindice de la pollution due aux poussiĂšres volcaniques (courbe bleue). Ă part le numĂ©ro 1 (une espĂšce proche des oviraptors), toutes les autres espĂšces avaient disparu avant lâimpact de lâastĂ©roĂŻde (pointillĂ©s orange).
QuantitĂ© de mercure rapportĂ©e Ă celle dâalumine
Ăge (en millions d'annĂ©es)
Ăpaisseur (en mĂštres)
Début de la disparition des dinosaures Impact
Indice de la pollution due aux poussiĂšres volcaniques
Fossiles d'Ćufs de dinosaures
EspĂšces de dinosaures
plus importantes est survenue des dizaines de milliers dâannĂ©es avant lâimpact, lâautre est juste postĂ©rieure Les auteurs en ont dĂ©duit que ces trapps ont eu un rĂŽle clĂ© dans lâextinction des dinosaures, en conjonction avec lâastĂ©roĂŻde.
Dans le second article, des chercheurs autour de Paul Renne, de lâuniversitĂ© de Californie Ă Berkeley, se sont appuyĂ©s sur une autre mĂ©thode de gĂ©ochronologie fondĂ©e sur le couple argon 40 argon 39. Selon eux, les trapps du Deccan se sont formĂ©s en un million dâannĂ©es, sans pĂ©riodes
discrĂštes, Ă partir de 400 000 ans avant lâastĂ©roĂŻde. De plus, 75 % des Ă©ruptions â et donc du rejet des gaz toxiques â sont postĂ©rieures Ă lâimpact de lâastĂ©roĂŻde Cette fois-ci, les Ă©ruptions du Deccan Ă©taient innocentes. Qui avait raison ?
Un argument majeur pour trancher est venu dâun travail rĂ©alisĂ© par Fabien Condamine et Guillaume Guinot, de lâuniversitĂ© de Montpellier, et supervisĂ© par deux prestigieux palĂ©ontologues, Michael Benton , de lâuniversitĂ© de Bristol , en Grande-Bretagne, et Philip Currie, de lâuniversitĂ© dâAlberta, au Canada Ces chercheurs sont revenus sur le temps long : les dinosaures Ă©taient-ils en dĂ©clin avant lâimpact de lâastĂ©roĂŻde ? Câest un problĂšme ancien, rendu a priori insoluble par lâabsence de rĂ©gularitĂ© des donnĂ©es fossiles Mais ils ont contournĂ© la diïŹcultĂ© Ă lâaide dâune approche statistique Ă©laborĂ©e. DĂ©jĂ en 2016, Michael Benton avait utilisĂ© une mĂ©thode analogue sur des donnĂ©es phylogĂ©nĂ©tiques et rĂ©vĂ©lĂ© que les principaux groupes de dinosaures Ă©taient un dĂ©clin Ă la ïŹn du CrĂ©tacĂ© Cette fois-ci, lâĂ©quipe a exploitĂ© un nouvel outil informatique (le programme PyRate), mis au point en 2014 par lâĂ©quipe de Jan Schnitzler, Ă lâuniversitĂ© de Francfort, en Allemagne, qui permet dâestimer les taux de spĂ©ciation et dâextinction ainsi que la dynamique temporelle de lignĂ©es Ă partir de donnĂ©es fossiles.
Impossible dâĂ©tudier tous les dinosaures . Les chercheurs ont choisi six familles clĂ©s : des ornithischiens herbivores â les ankylosauridĂ©s Ă la lourde armure osseuse, les cĂ©ratopsidĂ©s (dont les Triceratops) et les hadrosauridĂ©s (les dinosaures Ă bec de canard) â et des thĂ©ropodes
Si personne ne met en doute lâimpact de lâastĂ©roĂŻde, lâimportance relative des Ă©ruptions des trapps du Deccan nâest pas tranchĂ©e
carnivores â les tyrannosauridĂ©s (dont le T. rex) et deux familles proches des oiseaux, les dromĂ©osauridĂ©s et les troodontidĂ©s Les rĂ©sultats sont nets Le dĂ©clin de ces dinosaures â Ă lâexception des hadrosaures â se poursuit pendant tout le Maastrichtien. Parmi les facteurs Ă©cologiques testĂ©s, le refroidissement du climat et la chute de la diversitĂ© des herbivores, exacerbĂ©e par la compĂ©tition avec les hadrosaures, semblent les plus importants. De plus, le risque dâextinction paraĂźt reliĂ© Ă lâĂąge des espĂšces : la probabilitĂ© dâapparition dâune nouvelle espĂšce dĂ©croĂźt avec lâĂąge du taxon
Le scĂ©nario se prĂ©cise : les dinosaures Ă©taient en dĂ©clin avant quâune catastrophe naturelle ne les achĂšve. Mais de quelle nature ? Si personne ne met en doute lâimpact de lâastĂ©roĂŻde, lâimportance relative des Ă©ruptions des trapps du Deccan nâest pas tranchĂ©e Dans ce contexte, deux Ă©tudes apportent un Ă©clairage crucial, en sâappuyant cette fois sur des gisements de Chine, Ă la stratigraphie plus ïŹne que ceux dâAmĂ©rique. Dâabord, lâĂ©quipe de Chenglong Deng, de lâuniversitĂ© de lâAcadĂ©mie des sciences chinoise, Ă PĂ©kin, a recherchĂ©, dans le bassin de Shanyang, en Chine centrale, les coquilles dâĆufs de trois espĂšces de dinosaures. La sĂ©quence examinĂ©e sâĂ©tale de 68,2 millions Ă 66,4 millions dâannĂ©es, et englobe donc la ïŹn du Maastrichtien et la limite KT On constate un indĂ©niable dĂ©clin de la biodiversitĂ© des espĂšces Ă©tudiĂ©es. Le second article, plus signiïŹcatif, concerne le bassin de Nanxiong, en Chine du Sud-Est, explorĂ©
par lâĂ©quipe de Xiuming Liu, de lâuniversitĂ© normale de Fujian , Ă Fuzhou La sĂ©dimentologie encadre ici la limite KT de 65,5 millions Ă 66,5 millions dâannĂ©es. Cette fois-ci, les chercheurs complĂštent lâanalyse des coquilles dâĆufs Ă lâaide dâune mĂ©thode rĂ©cente de gĂ©ochronologie (le suivi isotopique du mercure) aïŹn de dĂ©crire les Ă©ruptions des trapps du Deccan. Les rĂ©sultats, plus proches de ceux de Gerta Keller, montrent une corrĂ©lation Ă©vidente avec lâextinction de la douzaine dâespĂšces de dinosaures non aviens rĂ©pertoriĂ©s, Ă lâexception dâun oviraptor achevĂ© par lâastĂ©roĂŻde. Lâhistoire semble se simpliïŹer. Depuis le dĂ©but du Maastrichtien, les dinosaures Ă©taient en dĂ©clin, sous lâeïŹet dâun refroidissement et dâune absence de nouveautĂ© Ă©volutive Les Ă©ruptions des trapps du Deccan ont dĂ©cimĂ© les dinosaures non aviens dans le dernier demi-million dâannĂ©es du CrĂ©tacĂ©, et lâimpact a achevĂ© les plus rĂ©sistants. Deux gĂ©ologues du Darmouth College, aux Ătats-Unis, sont dâailleurs arrivĂ©s Ă cette mĂȘme conclusion en utilisant un modĂšle dâapprentissage profond pour infĂ©rer le scĂ©nario le plus probable cohĂ©rent avec les donnĂ©es gĂ©ologiques Câest Ă se demander comment les oiseaux ont fait pour survivre !
> HervĂ© Le Guyader est professeur Ă©mĂ©rite de biologie Ă©volutive Ă Sorbonne UniversitĂ©, Ă Paris. Lâauteur
Ă lire
> A. Cox et C. Keller, A Bayesian inversion for emissions and export productivity across the end-Cretaceous boundary, Science, 2023.
> F. Han et al., Low dinosaur biodiversity in central China 2 million years prior to the end-Cretaceous mass extinction, PNAS, 2022.
> M. Ma et al., Deccan traps volcanism implicated in the extinction of non-avian dinosaurs in Southeastern China, Geophys. Res. Lett., 2022.
> F. Condamine et al., Dinosaur biodiversity declined well before the asteroid impact, inïŹuenced by ecological and environmental pressures, Nat. commun., 2021.
Les dinosaures Ă©taient-ils dĂ©jĂ condamnĂ©s avant leur disparition brutale il y a 66 millions dâannĂ©es ? Les Ă©tudes contradictoires se succĂšdent, et empĂȘchent encore de conclure.
Si le rĂŽle de lâimpact dâun astĂ©roĂŻde gĂ©ant il y a environ 66 millions dâannĂ©es est aujourdâhui largement reconnu dans la disparition des dinosaures, dâautres questions continuent de faire dĂ©bat parmi les palĂ©ontologues. Lâune dâelles porte sur lâĂ©tat des populations de ces « terribles lĂ©zards » avant la catastrophe : Ă©taient-elles en dĂ©clin ou non ?
Du cĂŽtĂ© du « oui », Fabien Condamine, de lâInstitut des sciences de lâĂ©volution de Montpellier. Sur la base de donnĂ©es gĂ©ologiques, avec ses collĂšgues, il a montrĂ© que le climat a subi des refroidissements importants il y a 80 millions Ă 66 millions dâannĂ©es (7 °C de moins dans lâAtlantique nord, et jusquâĂ 10 °C dans lâhĂ©misphĂšre Sud). Cette chute de tempĂ©rature aurait fragilisĂ© des Ă©cosystĂšmes et entraĂźnĂ© la disparition dâespĂšces anciennes comme les cĂ©ratopsiens et les ankylosaures, un phĂ©nomĂšne ampliïŹĂ© par la concurrence de nouveaux venus, tels les hadrosauridĂ©s (voir Le Cluedo de la ïŹn du CrĂ©tacĂ©, par H. Le Guyader, page 88).
Alfio Alessandro Chiarenza, de lâImperial College, Ă Londres, et son Ă©quipe, sont en dĂ©saccord avec ce scĂ©nario Ils ne contestent pas la rĂ©alitĂ© des changements climatiques qui ont bel et bien marquĂ© les derniers millions dâannĂ©es du rĂšgne des dinosaures, et les archives fossiles semblent corroborer lâhypothĂšse dâun dĂ©clin des dinosaures et dâun appauvrissement de la diversitĂ© des espĂšces lors du CrĂ©tacĂ© tardif. NĂ©anmoins, selon le groupe londonien, la rarĂ©faction des restes de dinosaures serait plutĂŽt due Ă des conditions peu favorables Ă la fossilisation
Ces chercheurs se sont concentrĂ©s sur le continent nord-amĂ©ricain, car il recĂšle de nombreux restes particuliĂšrement bien conservĂ©s dâespĂšces de dinosaures datant de cette pĂ©riode, comme Tyrannosaurus rex et Triceratops horridus. Ă cette
Ă©poque, toutefois, lâAmĂ©rique du Nord Ă©tait coupĂ©e en deux par une mer intĂ©rieure La partie occidentale abritait la chaĂźne nouvellement formĂ©e des Rocheuses, dont la richesse en sĂ©diments oïŹrait des conditions parfaites pour la fossilisation et la conservation des restes de dinosaures La partie orientale, en revanche, se caractĂ©risait par des conditions bien moins propices Ă la premiĂšre.
Pour ne pas se limiter aux seules informations du registre fossile, les chercheurs ont utilisĂ© la mĂ©thode dite « de modĂ©lisation des niches Ă©cologiques ». Ils ont dĂ©terminĂ© les conditions environnementales , comme la tempĂ©rature et la quantitĂ© de prĂ©cipitations, dont a besoin chaque espĂšce de dinosaure pour survivre Puis, en s'appuyant sur des modĂšles qui reconstituent le climat passĂ© sur le continent nord-amĂ©ricain, ils ont cartographiĂ© les habitats remplissant les critĂšres des niches Ă©cologiques de chaque espĂšce, câestĂ -dire les rĂ©gions susceptibles dâavoir accueilli ces animaux au cours des Ă©volutions du climat
RĂ©sultat ? De tels habitats Ă©taient nombreux Ă la ïŹn du CrĂ©tacĂ©, mais ils ne correspondaient pas aux conditions requises pour la fossilisation Durant les changements climatiques de cette Ă©poque, les dinosaures ont probablement migrĂ© depuis des zones rĂ©unissant les conditions propices Ă la fossilisation vers dâautres moins appropriĂ©es, mais au climat plus favorable Au regard de ces deux Ă©tudes, diïŹcile de trancher sur la situation des dinosaures au moment de leur extinction. En revanche, dans la communautĂ© des palĂ©ontologues, le dĂ©bat nâest pas prĂšs de sâĂ©teindreâŠ
> William Rowe-Pirra est journaliste scientiïŹque indĂ©pendant.
> F. Condamine et al., Dinosaur biodiversity declined well before the asteroid impact, inïŹuenced by ecological and environmental pressures, Nature Communications, 2021.
> A. Chiarenza et al., Ecological niche modelling does not support climatically-driven dinosaur diversity decline before the Cretaceous/ Paleogene mass extinction, Nature Communications, 2019.
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