Bulletin des Archives Vladimir Ghika no 1 septembre 2014

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Quand on a commencé à regarder le ciel…

BULLETIN DES ARCHIVES VLADIMIR GHIKA 1ère Année, no. 1 — septembre 2014 Pourquoi un Bulletin des Archives Vladimir Ghika? 31 août 2013 – 31 août 2014 : la béatification de Mgr Vladimir Ghika, un an après. L’événement extraordinaire de l’an passé a été rendu possible parce qu’ont été recueillis les témoignages de ceux qui ont connu Mgr Ghika et qu’a été effectuée une analyse attentive de toutes les archives que nous avons pu consulter. Le travail de synthèse et de rédaction de l’immense matériel de base a eu pour résultat le dossier déposé à la Congrégation pour les Causes des Saints, dossier portant le nom de Positio super martyrio. Une variante plus accessible de ce document a été publiée à l'occasion de la béatification, tant en roumain qu’en français, sous le titre Vladimir Ghika - Professeur d’espérance. De cette manière, tous ceux qui veulent mieux connaître la vie du Bienheureux Vladimir peuvent faire appel à cette première biographie documentée. Je profite de cette occasion pour renouveler mes remerciements et ma reconnaissance à tous ceux qui ont travaillé à la Positio et au livre, que leur nom apparaisse ou non parmi les auteurs, parce qu'il a fallu une équipe bien structurée pour pouvoir élaborer cette synthèse en un temps relativement bref. Or, une synthèse signifie inévitablement la sélection d’éléments significatifs parmi les témoignages, les œuvres, la correspondance et les documents relatifs à Vladimir Ghika. Les Archives de l’Archevêché Catholique Roumain de Bucarest sont composées de nombreux fonds et collections de documents, parfois familiaux, d'images scannées de centaines de dossiers liés à Vladimir Ghika se trouvant dans les grandes bibliothèques de Roumanie et d'ailleurs, offrant ainsi un vrai trésor de documents qui peuvent beaucoup enrichir notre connaissance de la personnalité Mgr Ghika.

Si la béatification reconnaît l’exemplarité de sa vie et sa capacité à être un dispensateur des grâces de Dieu, sa meilleure connaissance permet de prendre sa vie pour modèle. L’étude des archives a pour but de contribuer à cette connaissance et la publication des travaux en résultant de faire en sorte que ce savoir soit mieux diffusé. Mais le matériel à disposition est si riche que sa publication ne pourra se faire qu’après un long travail de classement, d’archivage électronique, de déchiffrement, d’organisation, de commentaire et d’explication qui demande des années et un minimum de fonds. L’organisation des Archives a commencé (voir l’article à ce sujet), ainsi que son exploitation (voir les articles sur les correspondants de Vladimir Ghika), mais nous avons aussi pensé que notre travail ne devait pas rester caché et il nous est venu l’idée de publier ce Bulletin des Archives Vladimir Ghika, pour vous tenir informés de l’avancement du chantier des Archives. C’est aussi pour nous un moyen de vous demander de nous aider éventuellement financièrement mais aussi, et surtout, à trouver les documents qui nous manquent, parce que si nous avons, par exemple, beaucoup de lettres adressées à Vladimir Ghika, nous avons peu de correspondances en sens inverse, c'est-à-dire ses réponses. Nos lecteurs savent peut-être où sont conservées des archives privées ou publiques contenant des documents qui nous intéressent. Nous n’avons pas perdu l’espoir de retrouver de nombreux documents que nous pouvons croire aujourd'hui égarés. Nous effectuons des recherches aujourd'hui grâce à l’Internet, mais les correspondants directs sont décédés et leurs descendants, souvent, ne savent pas quelles richesses se cachent dans les vieux papiers hérités de leurs parents et grands-parents. Si vous voyez, dans nos articles, des noms qui vous


sont connus, nous vous prions instamment de vous intéresser aux archives familiales de ces personnes ! Pour conclure, ce Bulletin est destiné à entretenir vivant le lien entre chercheurs s’occupant des Archives Vladimir Ghika et toutes les personnes intéressées par la vie et l’œuvre de Vladimir Ghika. Le Bulletin devrait être diffusé le plus largement possible, sans limites d’âge, de religion, de frontière, de nationalité (pour l’instant il ne sera publié qu’en roumain et en français, mais si d’aucuns veulent le traduire en d’autres langues nous en serions ravis). Pour nous, ce sera un instrument important pour mieux faire connaître notre travail et pour obtenir, nous l’espérons, une aide essentielle de la part de nos lecteurs. N’hésitez pas à nous contacter ! P. Francisc Ungureanu

Réorganisation des Archives Vladimir Ghika L’Archevêché de Bucarest se trouve en possession des documents relatifs à Vladimir Ghika recueillis auprès de diverses archives privées, notamment celles d’Yvonne Estienne, du Père Georges Schorung et de Pierre et Christiane Hayet. Le Père Schorung a travaillé avec abnégation et passion sur ces archives jusqu'à sa mort, en 1980, dans le but d’organiser la documentation en vue d'aider à la constitution du dossier de béatification. Son travail a été repris par les Hayet, qui y ont ajouté des pièces qu’ils ont euxmêmes récupérées notamment auprès d’amis et de parents de Vladimir Ghika. Quand tous ces documents sont parvenus à l’Archevêché et se sont ajoutés à ceux qu’il possédait déjà, principalement roumains, mais pas seulement, cet ensemble avait un air un peu hétéroclite, se ressentant des diverses et successives interventions et manipulations. Après avoir pris l’avis du Père Ieronim Iacob, archiviste de l’Archevêché, nous sommes arrivés à la conclusion qu’avant inventaire, cet ensemble devait être réorganisé, reclassé de manière systématique, et aussi coté, afin de s’y mieux retrouver. Avant réorganisation, les archives comptaient 195 boîtes d’archivage contenant de très nombreux et divers documents : lettres reçues et en2

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voyées par Vladimir Ghika, brouillons de toutes sortes (il semble qu’il conservait à peu près tout), articles publiés ou non, de et sur Mgr Ghika, articles, publiés ou non, de Mgr Ghika ou le concernant, livres et extraits de livres, témoignages, etc. en tout quelques 50.000 pièces. Notons au passage qu’il ne s’agit là que d’une petite partie de ce qu’ont dû être les papiers conservés par Vladimir Ghika tout au long de sa vie. Nous savons, par ses fils spirituels, qu’il a réparti les documents entre eux, avant son arrestation, pour qu’ils les conservent. Combien de documents gisent encore dans les greniers roumains, nous n’en savons rien. Combien ont été détruits par la Securitate ? Nous ne désespérons pas de voir ressurgir à la lumière du jour des documents enfouis on ne sait où. Une partie des documents étaient restés au presbytère de St-Vincent de Paul. Le Père Schorung n’a pu en récupérer que peu de chose lors d’un voyage "touristique" fin avril 1971 et a constaté qu’une grande partie des papiers laissés sur place avaient été détruits. Laissons-lui la parole : « [...] Avec le fils de l'ancien directeur des Musées, nous avons, ce dimanche, visité le Musée d'Arts, qui tient tout l'ancien palais royal. Art religieux, peinture des grands maîtres roumains ... l'œuvre la plus saisissante est certainement la statue de Mgr Ghika (Cărturarul), se détachant, de loin, seule, plus grande que nature, sur un immense mur de marbre blanc. [...] ‒ Lundi, après la messe, j’ai commencé mon ouvrage. ‒ Je retrouve, à l'Ambassade, une seule personne de connaissance. [...] ‒ Les officiels m'apprennent que la chapelle, depuis quelques jours a été pillée par des enfants, que la milice a récupéré quelque chose (un ciboire sans couvercle). A la chapelle, que l'on m'ouvre, tout a été vidé par terre ; les boîtes de 2 calices sont vides, pas d’ostensoir. Je désespère de retrouver la petite relique. Des femmes de service de l’Hôpital qui ont vu ouvrir la chapelle, elles entrent, demandent si l'on va la rouvrir… Je leur demande de voir le Dr Angelesco ; avec empressement, on me conduit à travers les bâtiments. On sent qu’il est aimé. [...] Nous allons au bureau ; il donne une caresse à des enfants qui passent. Il me rassure sur un point. L'Ambassade pense que le Gouvernement lui conteste la propriété de


l’aumônerie. Il me rassure. [...] Enfin pour que je puisse entrer, en toute règle, on cherche le Directeur, gendre du Président Parhon… on finit par avoir une réponse par téléphone : « On peut toujours venir accompagné de quelqu'un de l'Ambassade. ». Mais, à 3 h, tous les bureaux sont fermés... ce qui m'a fait perdre du temps. Avec le Consul, on a ouvert l'aumônerie en passant par une fenêtre. C'est lamentable. ‒ Tous les livres, ouverts et déchirés couvrent le sol, table, meubles, pourris, écroulés. Pas un morceau d’écriture. Tout a été brûlé dans un grand coffre à bois, en métal. J'ai remué les cendres. Il y avait des morceaux d'une traduction du livre de morale aux Infirmières que j’ai publié (de Melle Génin). Là, ont été brûlés des milliers de pensées de Mgr Ghika, écrites, à toutes occasions, sur de minuscules bouts de papier, des lettres aussi… trouvé le coin d'une enveloppe ayant contenu des lettres. Mercredi matin, je suis revenu à la chapelle. On y était aussi revenu. Des planches clouées sur le passage avaient été arrachées. J'ai vu les greniers, encombrés de choses que je ne connaissais pas et qui doivent venir des Sœurs, lors de leur départ. Tout avait été récemment fouillé, linge, vêtements, papier de bureau, d'école, savon, sabots, chaussures... Enfin, j'ai trouvé ce que le P. François m'avait indiqué. Quelque 2500 pensées recopiées par Mgr, autour de 1950, 5 diaires, pensées de chaque jour 1901, 1949-1950, 1951, le diaire 1951 est le mien de 1944, qui a resservi à Mgr, un agenda de 1926 qui porte assez peu de chose, mais année cruciale par rapport à J. Maritain. » Bref, une partie des papiers ont donc disparu pour toujours. Mais revenons à ceux que nous possédons. Sur quels critères les classer ? Nous avons pensé les classer de la manière suivante : d’abord selon le type de document (lettres envoyées ou reçues, photos, dessins, articles, biographies, tout cela dans un sens assez large) ; puis, dans le cadre de ces catégories, selon le cas, d’après l’expéditeur ou le destinataire, par années, etc. Un premier classement a été effectué et a duré quelque deux mois. Il reste encore à le détailler pour chaque boîte d’archivage ainsi créée. Travail long et fastidieux s’il en est, mais pas vain. Toute cette réorganisation a pour but final de rendre une meilleure visibilité aux documents

que nous possédons, d’en réaliser un inventaire exhaustif, de faciliter les recherches les concernant et aussi les références qui peuvent y être faites. Cette opération nous a paru essentielle avant d’entreprendre une exploitation systématique de ce fonds archivistique qui nous paraît d’une grande importance historique et spirituelle. Exploitation qui nous permettra de mieux connaître la vie et la personnalité de Vladimir Ghika. Iulia Cojocariu

La maison du 16 strada Luminii, où a vécu Vladimir Ghika pendant quelques années a été démolie Nous avions attiré l’attention du groupe venu spécialement de l'étranger à Bucarest pour la Béatification sur cette maison, sise 16 strada Christian Tell (anciennement strada Luminei ou Luminii – rue de la Lumière !), où a vécu Vladimir Ghika au début du siècle passé jusqu'à la Première Guerre mondiale. Cet élégant pavillon avait été construit en 1895 et appartenait au peintre Alexandre Ghika, frère de Vladimir. La maison sise rue Christian Tell (strada Luminii)

Peu de temps après notre passage, cette maison, en bien mauvais état il faut le reconnaître, mais qui conservait un certain cachet XIXe siècle et était remarquable par son pavillon central circulaire, a été démolie. Peut-être les promoteurs ont-ils eu peur, après la béatification, d’un classement historique ou culturel de cet édifice qui aurait remis en cause leur investissement immobilier sans aucun doute très lucratif… L’Association « Sauvez Bucarest » a déposé plainte pour démolition illégale. Quelle que soit la décision qui sera prise en justice, elle ne nous rendra pas cette maison aujourd'hui complètement rasée. Luc Verly Bulletin des Archives Vladimir Ghika, no. 1, 2014

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Cousin Cousines La correspondance Guilland-Rondel Aux mois de novembre-décembre notamment, j’ai travaillé sur les lettres échangées entre Vladimir Ghika et les Rondel, ses cousins à la mode de Bretagne (leur grand-mère était une Moret de Blaramberg, née à Moscou), un frère et ses deux sœurs : Auguste Rondel (1858-1934), Marie de Farconnet (1860-1943) et Jeanne Guilland (1866-1944). C’est cette dernière qui occupe la place centrale dans le trio, même si elle en est la benjamine. Elle écrit beaucoup (quelque 300 lettres adressées à Vladimir Ghika s’étalant de 1923 à 1940), et pas seulement au cousin Vladimir, et elle semble être un peu la secrétaire des deux autres. Car ils forment un trio uni, vivant tous en France, à Marseille (même si Auguste fait de fréquents voyages d’affaires à Paris), et n’ayant pour famille proche qu’eux-mêmes, les deux sœurs étant veuves et Jeanne ayant perdu ses trois garçons, l’un en bas âge, l’autre, aviateur, a été tué pendant la Grande Guerre, le troisième est mort juste après la guerre, sans doute de la grippe espagnole. Auguste semble ne s’être jamais marié et avoir consacré toute sa vie à sa bibliothèque consacrée au théâtre, dont il fit don à l’État français et qui forme aujourd'hui une importante collection au sein de la Bibliothèque Nationale de France, un fonds, paraît-il, sans pareil dans le monde. Jeanne, de Marseille où elle passe l’hiver ou de Drumettaz en Savoie où elle passe l’été, donne des nouvelles de tous et en demande aus-

Carte postale envoyée par Jeanne Guilland à Vladimir Ghika, le 23.12.1925

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si, toujours. Celles de sa famille, notamment celles de leurs cousins espagnols et français de Prat, celles de ses neveux et nièces (du côté de son défunt mari), les Bordeaux (la famille de l’écrivain catholique Henry Bordeaux, qui avait épousé la fille d’une Guilland), les de Courville, ainsi que leur belle-fille Olga Choumansky, artiste décoratrice, les Cagger, les Ménabréa, et bien d’autres personnes. Nous n’avons malheureusement que peu de lettres de Vladimir Ghika destinées à ses cousins de Marseille. Une dizaine seulement. Ces lettres ont peut-être été détruites, comme le laisse entendre cette correspondance d’une nièce de Jeanne Guilland au Père Schorung : « il est fort à craindre que tante Jeanne n’ait détruit tous ses papiers comme trop personnels et intimes… Quant à Mme de Farconnet, elle non plus ne conservait pas et, à sa mort, c'est tante Jeanne qui a pu recueillir les correspondances trouvées dans ses affaires… C’est navrant… » C’est le mot, oui ! En tout cas, si ces lettres pouvaient réapparaître un jour, et peut-être un de nos lecteurs pourrait nous donner une piste, il est certain que ce serait un immense éclairage donné sur l’activité de Mgr Ghika en France entre 1922 et 1939. Les lettres de Jeanne Guilland en donnent cependant un reflet, et c’est déjà quelque chose. Elles nous éclairent notamment sur ce que pouvait bien faire Vladimir Ghika quand il était à Marseille… Il admirait les bateaux du port ? Non !... il rendait visite à ses « clients » locaux, dont il était régulièrement informé de la situation par Jeanne Guilland : le docteur Durandard et sa femme ; les d’Inguimbert, dont l’une des filles est aveugle et infirme ; les Lagier, vieux « couple » frère-sœur, qui connaissent une fin de vie misérable ; les Francheschi, dont une fille est paralytique etc., tous ces gens qui appellent l’abbé Ghika au secours, presque en permanence, après une première rencontre toujours très positive et décisive. N'oublions pas la famille de Queylar qui « me remercient sans cesse de vous avoir conduit auprès d’eux » (Lettre du 14 juin 1937). Autre exemple, à propos des Durandard, dont l’enfant est très malade, Jeanne Guilland écrit : « Les parents font pitié, le père encore plus que la mère. Ils ont été contents de


penser que je vous écrirai leur détresse car ils ont une immense confiance en vous. » (Lettre du 15 juillet 1927.) Ou encore, après la mort du petit Henri : « Ils m’ont dit que votre lettre leur avait fait plus de bien que toutes les autres qu’ils ont reçues. » (Lettre du 24 décembre 1927.) Ainsi, à travers cette correspondance, toute une partie de l’activité de Vladimir Ghika, jusque-là inconnue ou très mal connue, s’éclaire. Une activité dans laquelle la célèbre Relique de la Couronne d’Épines, perdue et retrouvée (lettre du 25 novembre 1938), a eu son rôle à jouer. Mais quel dommage, encore une fois, que nous n’ayons pas les réponses de Vladimir Ghika lui-même ! Luc Verly

Décès de Daniel de Briey, petit-neveu de Mgr Ghika Le 8 mars 2014 est décédé, à Montereau, Daniel, le cinquième enfant du comte Pierre de Briey et de Manola, nièce de Mgr Ghika. Daniel est né pendant la guerre, le 4 septembre 1943, près de Londres. Il a ensuite suivi sa famille à Genève, puis à Bruxelles et de nouveau à Genève. Il s’est finalement établi en France, où il a été un expert reconnu en matière de transports ferroviaires. En 1977, il a épousé Isabelle Beranger, dont il a eu trois enfants : Manola, Franck et Viviane. Les deux époux s’étaient connus au chœur Montjoie. Ils avaient les mêmes affinités en matière de lecture, musique, sport, mais aussi dans la recherche spirituelle. Jusque dans les dernières années de sa vie, Daniel a été un membre actif de ce Chœur. Son compositeur préféré était César Franck. Très jeune, Daniel a contracté la maladie de Wegener, qui l’a vite conduit aux dialyses. Sa femme est morte en 1999, à la suite d’un tragique accident. Quoique catholique pratiquant, Daniel a longtemps été tourmenté par des questions relatives au sens de la souffrance, questions qu’il a pu, finalement, dépasser. A 65 ans, il est entré dans la communauté laïque du Carmel „Vive flamme” et a porté le scapulaire de la Sainte Vierge du Mont Carmel. Au cours des recherches effectuées pour la cause de béatification, les trois petits-neveux de

Daniel de Briey et quelques membres de sa famille, lors de la béatification de Vladimir Ghika, à Bucarest

Mgr Ghika, Daniel, Thierry et Geneviève (d’Hoop), se sont intensément impliqués pour soutenir la cause. Daniel a été le président de l’Association française pour la Béatification de Mgr Ghika (ABMVG). Daniel et Thierry, ainsi qu’une partie de leur famille ont été présents à Bucarest à la cérémonie de béatification. Les Archives Ghika conservent une riche correspondance entretenue avec Daniel, sur des thèmes politiques, philosophiques et religieux, ainsi que des compositions de sa main. Nous avons maintenant, auprès de Mgr Ghika, un nouvel ami au Ciel. Emanuel Cosmovici Article repris d’Actualitatea creștină, n° 4/2014

Pierre Hayet In memoriam

Le 8 mai 2014 au matin, Pierre Hayet a été rappelé à Dieu. Il était prêt pour ces derniers moments, qu’il attendait, et il est parti tranquille, ayant la conscience en paix d’avoir bien rempli sa mission ici-bas. Sentant la fin de sa vie sur terre approcher, il a dit à sa femme et à ses deux fils, qui étaient venus le voir au foyer de Chatillon-sur-Seine, où il était hospitalisé depuis presque un an et demi, que le jour de son départ approchait, celui de sa rencontre avec le Bienheureux Vladimir Ghika. Durant les 26 dernières années de vie, Pierre et sa femme ont répondu à un appel singulier, celui de faire conBulletin des Archives Vladimir Ghika, no. 1, 2014

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naître Vladimir Ghika et de soutenir sa cause de béatification. Une fois retraité, Pierre Hayet se demandait que faire. Lui, homme cultivé, intelligent et actif, devait changer de vie. Un jour, une dame lui offre à lire un livre qui vient de paraître, sachant qu’il l’apprécierait. C’était le livre La Mémoire des silences d’Élisabeth de Miribel, l’ancienne secrétaire de Charles de Gaulle. Pierre est resté fasciné par le personnage principal du livre, Mgr Vladimir Ghika, en constatant qu’il s’agissait d’un homme qui avait vécu comme un saint et était mort en martyr. Ce livre a éveillé en lui le désir de mieux connaître la vie et l’œuvre de cet homme pour le mieux faire connaître au monde. Il aurait pu juste garder son admiration pour lui et en rester là. Heureusement, il a pris les choses au sérieux et il s’est mis au travail ! Mais qu’a-t-il fait ? Lui-même ne savait pas dans quoi il mettait les pieds et comment cela finirait. Il est parti de rien et est parvenu, après des années et des années de travail, à réunir les documents nécessaires au dossier de la cause de béatification de Mgr Vladimir Ghika. Il s’est mis à chercher et à prendre contact avec les personnes citées dans les documents, il a demandé à chacun d’eux ce qu’il savait de Mgr Ghika, s’ils connaissaient d’autres personnes pouvant être contactées. Il a recueilli leurs souvenirs, des objets, des manuscrits, des photographies etc. et les a déposés aux archives de l’Institut Vladimir Ghika, qu’il a créé pour ce faire. Au début, des amis et même des membres de sa famille disaient qu’il exagérait, que c’était du temps perdu et que c’était un travail qui n’avait aucune chance de succès. Mais il n’en a pas été ainsi. Pierre n’a pas pris au sérieux ce qu’on pouvait dire, il a fermement et tenacement poursuivi ce qu’il s’était proposé de faire, il a continué à chercher, à voyager sur les traces de Mgr Ghika, à écrire, à téléphoner, à acheter, si nécessaire, des documents, des objets, des photos etc. Par chez lui, on commence à le connaître comme étant l’homme qui soutient la cause d’un prêtre martyr d’origine roumaine ayant eu une activité culturelle, diplomatique et un riche apostolat à Paris et près de Chatillon-sur-Seine, à Auberive. Il propose au cardinal Lustiger d’introduire la cause de béatification, il écrit à Rome, il vient même à Bucarest, 6

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il insiste et ne se décourage pas. De la correspondance que j’ai entretenue avec Pierre pendant des années, l’on peut voir qu’il était souvent impatient ; c’est ce qui ressort aussi de sa correspondance avec Oana Seceleanu, avec le père Horia Cosmovici et avec beaucoup d’autres. Vingt années de travail, de recherches sont ainsi passées, il a accumulé articles de presse, conférences, traductions, publications, est passé à la radio et à la télévision. L’initiative et la contribution de la famille Hayet a été providentielle. Heureux et convaincu que ce qu’il a commencé et a soutenu pendant des années est bien poursuivi à Bucarest, il a décidé de transférer l’ensemble des archives Vladimir Ghika à l’Archevêché Catholique de Rite Latin de Bucarest, en disant : „Ce n’est pas pour moi que j’ai travaillé 26 ans, mais pour Mgr Ghika. Il est des vôtres. C’est à vous que je donne tout ce que j’ai sur Monseigneur. Nous, nous avons commencé, vous, vous avez continué. J’ai confiance : vous êtes les seuls qui pouvez apprécier notre travail et notre dévouement.” Épuisé par le travail, fatigué et sans forces, il a reçu la nouvelle de la béatification avec la plus grande joie. Tel le vieux Siméon disant : „Maintenant je peux mourir en paix”. Il est mort comme il a vécu : en pensant au Bienheureux Vladimir Ghika. Nous aimons penser qu’il se trouve maintenant dans le Royaume de Dieu, aux côtés de notre intercesseur au Ciel, Mgr Vladimir Ghika. P. Ioan Ciobanu Article repris d’Actualitatea creștină, n° 6/2014

Yvonne Estienne, cette inconnue A l’occasion du lancement de la traduction en roumain du livre d’Yvonne Estienne, Une Flamme dans le vitrail, j’ai été amené, d’une part, à reprendre en un dossier sa correspondance avec Vladimir Ghika (travail déjà bien entamé par Clémence de Rouvray), et, d’autre part, à faire des recherches la concernant, notamment sur l’Internet, pour connaître sa vie, sa personnalité, etc. Or, bien qu’elle ait écrit un certain nombre d’ouvrages, notamment des pièces de théâtre, Yvonne Estienne est, pour l’Internet,


une quasi-inconnue (cela peut, d’une certaine manière, rassurer les gens un peu paranoïaques qui ont peur qu’avec Internet on sache tout sur tout le monde, et sur eux-mêmes en particulier !).

Yvonne Estienne entourée de membres de sa famille

C’est dans les dossiers réalisés par Pierre et Christiane Hayet, que j’ai pu découvrir un numéro de la revue Virgo Fidelis (juillet 1975) lui étant consacré, à l’occasion de sa mort, à 84 ans. Mais, même là, on n’en apprend pas beaucoup sur elle, sauf ce qu’en dit brièvement une amie d’enfance, Suzanne Mongin (p.11) : « J'ai fait la connaissance d'Yvonne Estienne en 1900, à Nogent-en-Barrigny, où son père était un coutelier bien connu. Elle avait un frère, Marcel, de 2 ans son aîné. C'étaient les enfants heureux d'un foyer bourgeois chrétien. Ellemême était une fillette pétillant d'esprit, gaie, gentiment malicieuse et déjà infirme de la coxalgie qui lui a valu plusieurs séjours à Berck ; infirmité qu’elle a toujours portée sans complexe. Marcel, qui semblait songer au sacerdoce, fut confié au Curé d'un village voisin […]. Or, la mort de ce frère de 13 ans, conduit à Paris pour une opération d'appendicite qui ne réussit pas, ce premier grand chagrin fut pour elle, venant de ce sacerdoce non accompli, comme un appel à la « vocation » qui a fait d'elle, plus tard, et l'auteur de ces romans où elle a magnifié la vocation sacerdotale avec ses exigences et la fondatrice de Virgo Fidelis. » C’est à peu près tout ce que l’on apprend. D’où l’intérêt d’étudier sa correspondance avec Vladimir Ghika, mais aussi avec le Père Georges Schorung dans les années 1950-1960, pour mieux la connaître, car, si elle a écrit une biographie de Mgr Ghika, elle ne s’y dévoile guère. Le grand intérêt de cette correspondance c’est que nous avons les lettres échangées par les deux correspondants (une centaine de lettres d’Yvonne Estienne contre une cinquan-

taine de lettres de Vladimir Ghika), couvrant la période 1926-1939. En effet, Yvonne Estienne a légué les papiers qu’elle détenait aux Archives Ghika. Yvonne Estienne nous y apparaît volontaire, notamment une fois qu’elle a accepté la direction spirituelle de Mgr Ghika. Elle lui écrit ainsi, peu après leur première rencontre : « Monseigneur, dites-moi ce qu’il faut que je fasse ; j’ai eu en vous une confiance totale, comme bien peu d’êtres (y en a-t-il même ?) m'en ont inspirée. Plus même, je me sens poussée vers vous par une force très douce ; et, en relisant, ces jours-ci, des pensées intimes que j'écrivais, il y a plus d'un an, je suis restée stupéfaite de voir, que depuis des mois, j’attendais, sans le savoir, votre rencontre ; visiblement, la Providence m'y préparait. Et maintenant, je comprends pourquoi vous êtes venu dans ma vie à cette heure et avec cette autorité. » (Lettre du 13 octobre 1926.) Mais Yvonne Estienne n'est pas aussi fragile qu'on pourrait le croire à la lecture de cet extrait, on la voit bientôt voler de ses propres ailes. Elle sait désormais le chemin à suivre, envers et contre tout. Si Yvonne Estienne est si intéressante, c’est aussi du fait de sa double « casquette » : elle a un pied dans le Centre d’Études Religieuses, où elle s’occupe de la branche féminine, NotreDame de France, et un autre à Auberive, d’où elle est originaire. Volontairement ou non, elle n’a pas tout dit dans sa biographie de Mgr Ghika, et la correspondance nous éclaire sur certains points qu’elle n’a pas voulu développer, laissant encore cependant planer bien des mystères, mais ses lettres nous disent encore beaucoup d’autres choses intéressantes sur Vladimir Ghika et son monde, notamment sur la naissance de Virgo Fidelis autour d’un petit groupe de croyants habitant Villefranche-sur-Saône: Andrée Depagneux, Melle Louisgrand et l’abbé La Fay. Yvonne Estienne, par les commentaires qu’elle a écrit concernant sa correspondance avec Vladimir Ghika quand elle a préparé son livre sur lui, nous informe assez en détail sur le rôle de Vladimir Ghika au sein de l’association Notre-Dame de France, sur les conférences qu’il y donne notamment. Les membres de cette association, en 1927, étaient : Melle Azémar, Emilie Breiller-Laverdure, Melle BerBulletin des Archives Vladimir Ghika, no. 1, 2014

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geaud, Mme Gaston Camilleri, Marcelle Colin, Melle Crosnier, Suzanne Févelat, Melle Franchet, Melle Delions, Melle Dutartre, Mme Duval, Lucie Denis, Jeanne de Gantes, Eveline Garnier (nièce de Jacques Maritain), Geneviève Godefroy, Melle Guerrier, Odette Guéneau, Agnès Jénot, Simone Jumel, Guilhène Juranie, Melle Lamy, Bernadette, Cécile (qui se maria avec René Crosnier) et Odette Laubel, Melle Laveur, Mme Antoine Lestra, Anne-Marie Lamarre, Suzanne Leygomie, Melle Meyer, Germaine Nodrest, Germaine Parisot (qui se maria avec Roger Serve), Odette Pecnard, Odette Rigaux, Melles Rousseau, Suzanne Roux (qui se maria avec Pierre Sallé), Madeleine Savournier, Irène Tarnaud (qui se maria avec Alexis Redier), Suzanne Thomas, Melle Valois, Madeleine Vialle, Melle Villadier, Madeleine White, Marie White. Je donne tous ces noms d’abord pour montrer que l’association avait une certaine importance, mais aussi pour éventuellement retrouver, grâce à nos lecteurs, des documents relatifs aux réunions de ND de France, si jamais l’une de ces personnes leur était connue. La correspondance d’Yvonne Estienne avec le Père Schorung nous intéresse par les informations qu’elle nous donne sur l’origine des diverses biographies écrites sur Vladimir Ghika peu après sa mort . De même elle nous donne à voir le sauvetage des papiers personnels de ce dernier qui sont parvenus jusqu'à nous. Ainsi Yvonne Estienne nous a ouvert des pistes biographiques et archivistiques, mais aussi des pistes spirituelles… qu’il nous reste à suivre. Luc Verly

François Paris-Vladimir Ghika une amitié basée sur l’amour réciproque du règne de Dieu et des âmes C’est le Cardinal Mathieu qui, en 1902, à Rome, présente le jeune François Paris à Vladimir Ghika. Il dit de lui qu’il « s’occupe avec ardeur de la réunion des Églises ». Et, en effet, son catholicisme militant le conduit à vouloir tout faire pour la conversion des Russes orthodoxes. Il faut dire qu’il est né de parents fran8

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çais (pourrait-on trouver un nom plus français que le sien ?), certes, mais sans doute à Moscou, en 1878. En tout cas, il vit, avec sa famille, toute sa jeunesse dans l’Empire tsariste, jusqu'à la guerre de 1914, quand il s’engage volontaire dans l’armée française. Cet engagement l’amène à revenir en Russie, et ensuite dans la chère Roumanie de son ami, où il fait notamment la connaissance de Sœur Pucci.

Lettre de François Paris adressée à Vladimir Ghika, le 24.01.1916

Sur ces bases, l’entente ne peut être que complète avec Vladimir Ghika, comme le dit François Paris dans une de ses premières lettres, datée du 17/30 janvier 1903 : « Cette amitié basée sur l’amour réciproque du règne de Dieu et des âmes ne doit que s’accroître de plus en plus ; je suis persuadé que Dieu a permis que nous nous connaissions, afin que nous nous fortifions mutuellement, que nous nous soutenions, que nous nous demandions conseil, que nous nous fassions des observations, afin de marcher la main dans la main d’un pas ferme dans la voie du sacerdoce, de l’Apostolat et du salut des âmes. Donc, [...] je tiens à ce que vous deveniez mon confident ; je vous dirai mes impressions ; je vous écrirai tout au long et en détail ce que je fais, ce que je pense faire, mes projets, les rêves, mes souffrances, mes joies, mes consolations et aussi mes déceptions. Je sais à l’avance que cela vous fera plaisir et que vous m’accorderez la grande charité de vos conseils, de vos réprimandes au besoin et de vos bonnes prières. Soyez persuadé, bien cher ami, que de mon côté je serai heureux de faire la même chose pour vous. Nous en sommes tous deux à


une époque des plus importantes et je dirai même des plus solennelles de la vie ; à une de ces époques où une amitié sincère, chrétienne et désintéressée joue un très grand rôle ; eh bien, comme le disait si bien le R.P. Bally dans sa dernière lettre, il faut que nous devenions de vrais frères, d’autres Cyrille et Méthode. [...] au moment où vous vous y attendrez le moins vous verrez que Dieu saura arranger des circonstances imprévues qui vous permettront de suivre votre sainte vocation ; et plus les obstacles auront été grands, plus vous serez heureux et plus vous jouirez alors de la grandeur, de la joie, de la royauté et de la plénitude du sacerdoce. Jésus tiendra compte de tout ce que vous aurez souffert et fera fructifier tout cela au salut et des âmes de ceux qui vous sont si chers et également au salut de beaucoup d’autres âmes. » Mais cette voie, si elle fut jonchée de roses, le fut aussi de leurs épines, et à un moment donné, François Paris entra dans l’obscurité de l’âme, il écrit ainsi dans la lettre la plus déchirante qu’il ait écrite : « maintenant que j’ai complètement et à tout jamais perdu la foi, la charité et surtout l’espérance en des jours et en une vie meilleurs, tant ici-bas sur cette terre de misère de douleurs que dans l’autre, qui pour moi n’existe pas, ‒ notre amitié est rompue, elle n’existe plus et n’a plus de raison d’exister, car je n’oserai plus, personnellement, vous donner le titre d’ami, attendu qu’en renonçant à mon idéal, j’ai aussi, en quelque sorte, renoncé indirectement à votre amitié, je vous ai abandonné, et malgré vous vous n’éprouverez plus pour moi les sentiments que vous éprouviez autrefois, vous ne me témoignerez plus la même confiance et vous aurez malgré vous à mon égard du mépris et du dégout. Pardonnez-moi, Excellence, et oubliez-moi. ‒ Quant à moi, jusqu'au moment où la mort libératrice en me faisant rentrer dans le néant d’où je suis sorti, mettra enfin un terme à mes douleurs et à ma triste et pénible existence, je n’oublierai jamais, jamais, toutes les bontés et délicatesses que vous m’avez si souvent témoignées. » (Lettre du 02/15.07.1905) Les choses rentrèrent cependant rapidement dans l’ordre de Dieu et leur amitié se maintint au gré des événements, car nous possédons une correspondance qui va de 1902 à 1935. Et c’est ainsi que François Paris est auprès de Vladimir

Ghika le jour de sa conversion à Rome, mais aussi le jour de son ordination à Paris. Dans l’entre-deux-guerres, installés tous deux à Paris, ils collaborent à l’aide aux Russes réfugiés et à l'activité en vue de l’Union des Églises autour du Père Quénet et de Mgr Chaptal. François Paris s’occupe aussi très directement de l’installation de la baraque à Villejuif pour la fondation de laquelle il donne des détails très intéressants (1926). De même Vladimir Ghika est auprès de François Paris pour le préparer à la prêtrise et le jour de son ordination tardive, le 12 mai 1935. Encore une fois, quel dommage que nous n’ayons pas les lettres écrites par Vladimir Ghika et n’ayons que celles de François Paris ! Il s’est éteint, à 70 ans, en 1948, à Soisy-sousMontmorency. Nous ne savons pas ce que sont devenus les papiers qu’il a pu laisser… Luc Verly

Trois amis: Vladimir Ghika et les frères Sixte et Xavier de Bourbon-Parme Vladimir Ghika a sans doute rencontré Sixte et Xavier de Bourbon-Parme pour la première fois à Rome fin 1913 ou début 1914. Les deux frères, issus de la prestigieuse Maison des Bourbon-Parme, ne cachent pas dès l’abord l’admiration et l’amitié qu’ils ressentent à l’égard de Vladimir Ghika, leur aîné de plus de dix ans, comme l’affirme dans une lettre leur précepteur, l’abbé Antonin Travers (18631934). Cette amitié, plus marquée pour Sixte, fervent chrétien, ne se démentira pas jusqu'à la mort de ce dernier, en 1934, et elle s’étendra même après guerre au reste de la famille, notamment à l’ex-impératrice Zita de Habsbourg et à ses enfants. Les relations entre les trois amis vont se renforcer avec l’éclatement de la guerre mondiale. Quoique leur beau-frère, Charles, qui a épousé leur sœur Zita, soit l’héritier en titre du trône d’Autriche-Hongrie et quoique leurs frères aînés aient choisi de servir dans l’armée autrichienne, les deux frères, Sixte et Xavier, veulent, eux, servir dans l’armée française, en dignes descendants qu’ils sont des rois de Bulletin des Archives Vladimir Ghika, no. 1, 2014

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France. Mais, justement, c’est en cette qualité que la France ne veut pas d’eux, comme le stipule une loi de la République. Par l’intermédiaire de l’abbé Travers et de leur ami le diplomate français René de Chérisey (1868-1945), ils sollicitent alors tous les appuis possibles, et entre autres Vladimir Ghika, pour pouvoir s’enrôler en France ou ailleurs, dans une armée de l’Entente (pas dans l’armée roumaine, car celle-ci n’a alors pas encore choisi son camp). C’est finalement leur cousine, Élisabeth de Wittelsbach, reine des Belges, qui réussira à les faire entrer dans l’armée de son pays.

Lettre de Sixte de Bourbon adressée à Vladimir Ghika, le 16.03.1926, copiée par Vladimir Ghika

Bientôt, la montée sur le trône de Charles de Habsbourg, le 22 novembre 1916, va de nouveau mettre en contact les trois amis. En effet l’Empereur Charles désire la paix, et il fait appel à ses beaux-frères pour en discuter secrètement. C’est à cette occasion que les deux BourbonParme vont revoir Vladimir Ghika, à Viareggio, dans leur résidence familiale du Pianore, les 7 et 8 février 1917, juste après avoir rencontré des représentants de l’Empereur en Suisse et juste après que Vladimir Ghika ait eu une audience auprès du Pape Benoît XV. Nous ne savons pas bien ce qu’ils se sont dit alors, Sixte de Bourbon n’en parlant pas dans son livre l'Offre de paix séparée de l'Autriche (5 décembre 1916-12 octobre 1917), Paris, 1920, et Vladimir Ghika bien peu dans les notes de son Agenda 1917, ou alors d’une façon si elliptique et allusive que le texte n’en est guère déchiffrable. Après guerre, les trois hommes resteront en contact mais sans que les programmes chargés de leur vie ne convergent plus vraiment. Nous possédons au total 34 lettres de Sixte de Bourbon, 10 de Xavier (datant surtout 10

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d’après la mort de son frère aîné), 14 lettres de l’abbé Travers, auxquelles répondent 9 lettres de Vladimir Ghika, ces dernières datant presque toutes du temps de la guerre. Nous les possédons parce que Vladimir Ghika a eu, à un moment donné, le désir d’écrire un article en défense du livre de son ami Sixte, attaqué par un certain baron Jehan de Witte. Cet article ne fut sans doute jamais publié, mais Vladimir Ghika avait réuni un important matériel pour ce faire, dont une copie des lettres qu’il avait écrites à Sixte de Bourbon. Malheureusement, pour la période de l’entre-deux-guerres, nous ne possédons qu’un maigre brouillon de Vladimir Ghika, ce qui est bien maigre contre la quarantaine de lettres des frères de BourbonParme. Encore une fois, il serait d’un grand intérêt de retrouver les lettres envoyées par Vladimir Ghika à ses correspondants. D’après mes recherches, Sixte de Bourbon-Parme a épousé Hedwige de La Rochefoucauld, dont il a eu une fille, Isabelle, née en 1922, qui a épousé Roger de La Rochefoucauld d’Estissac. Ils ont eu 5 enfants, dont Sixte de La Rochefoucauld, né en 1946, qui a eu lui-même 3 enfants. La résidence familiale semble être: château de Verteuil, à Verteuil-sur-Charente, Charente. C’est peutêtre une piste à suivre. Nous possédons également 36 lettres écrites par René de Cherisey, qui restera en contact avec Vladimir Ghika jusqu'au départ de ce dernier en Roumanie. Après guerre, cette relation prendra la forme d’une amitié personnelle détachée des problèmes liés à la diplomatie. Là encore nous n’avons pas les réponses de Vladimir Ghika. J’ai trouvé sur Internet le site Web de la famille Chérisey. Je leur ai écrit, mais n’ai toujours pas reçu de réponse… Luc Verly

Louvain. Correspondance avec Mgr Simon Deploige, le chanoine Armand Thiéry et le Cardinal Mercier Vladimir Ghika et Simon Deploige (18681927) semblent s’être rencontrés pour la première fois à Rome à la fin de l’année 1914. On le sait par une lettre de ce dernier du 29 dé-


cembre 1923, dans laquelle il rappelle cet événement : « Il doit y avoir – à quelques jours ou heures près – neuf ans que Grégory [un diplomate britannique] eut la providentielle pensée de nous réunir un soir à l’Albergo d’Italia. » Mais à cette époque, tous deux sont effondrés, Vladimir Ghika d’avoir perdu sa mère en octobre, Simone Deploige d’avoir vu l’œuvre de toute une vie, l'Institut supérieur de philosophie, qu’il dirigeait et qui avait été fondé par le Cardinal Mercier en 1889, détruite par les Allemands qui venaient d’envahir la Belgique et d’avoir assisté à la destruction de sa ville et au martyre de ses habitants, accusés d’avoir attaqué lâchement par derrière les troupes allemandes. Événements tragiques au cours desquels Mgr Deploige fit preuve d’un grand courage et fut un exemple pour beaucoup d’habitants apeurés et désorientés.

Lettre de Simon Deploige adresée à Vladimir Ghika, le 29.03.1922

les crimes allemands et pour la propagande alliée, puis, après guerre, de constitution d’une association internationale pour aider à la reconstruction de la Bibliothèque de l’Université de Louvain. Le Cardinal Mercier, « patron » de Simon Deploige et rencontré par son intermédiaire, écrivait ainsi le 30 janvier 1920 à Vladimir Ghika : « Je n'ai pas oublié le zèle que vous avez mis à défendre à Rome durant le conflit mondial la cause de la Belgique martyre ; vous obéissiez à l’élan généreux de votre cœur, vous sentiez que vous défendiez la cause de la civilisation chrétienne. Je tiens à vous remercier de votre activité d’alors ; je veux aussi vous remercier de la part prise par vous à la résurrection de Louvain ; vous vous êtes noblement employé à appeler sur l'Université en cendres les sympathies du public, et, représentant la Roumanie dans notre Comité international, à diriger vers elle le fraternel concours de vos compatriotes. » Le même Cardinal Mercier encouragea Vladimir Ghika au moment de son ordination : « Vous avez sans doute une mission providentielle à accomplir auprès de vos compatriotes, en Roumanie et en France. Quand la Providence appelle un homme à une tâche, Elle lui répartit en abondance les moyens de la fournir avec succès. » (Lettre du 9 octobre 1923.) Cette amitié entre Vladimir Ghika et Simon Deploige va être l’occasion d’une assez riche correspondance, l’un s’installant à Paris après guerre, l’autre demeurant à Louvain et les deux hommes ne se rencontrant qu’occasionnellement. Les lettres sont généralement assez courtes et assez espacées, car Mgr Deploige et Vladimir Ghika sont extrêmement sollicités par leurs occupations. C’est ainsi que, quelques mois après son ordination, prélat belge conseille au nouveau prêtre de se modérer s’il veut durer : « Du train dont vous allez, vous vous mettez hors combat. Je vous l’ai dit si souvent, je vous le répète amicalement. Et le chanoine [Thiéry] joint ses instances aux miennes. Vous épuisez vos réserves. Sachez refuser à dispenser votre temps à ceux qui l’accaparent indiscrètement. » (Lettre du 29 décembre 1923.) Mais ces conseils, peut-être Mgr Deploige aurait-il dû les mettre lui-même en application, car il meurt en

L’amitié qui va naître entre eux les va réconforter sans doute et ils pourront s’appuyer l’un sur l’autre en des moments difficiles. C’est ainsi que Simon Deploige donne à Vladimir Ghika, au lendemain de l’entrée en guerre de la Roumanie dans le conflit mondial, le conseil suivant : « Ne vous engagez pas dans les ambulances, ni en Roumanie, ni ailleurs. Il ne faut pas faire ce que d’autres suffisent à faire. La manie égalitaire a envoyé ici à la boucherie un nombre excessif d’hommes de valeur qui manqueront demain au pays. C’est une faute irréparable. Il serait sans excuse de l’aggraver. Si vous pouvez travailler utilement à Rome au projet du Concordat roumain, c’est une raison suffisante pour y rester. Sinon – et en tous cas – pensez qu’il faut étudier les questions qui se poseront après la guerre et préparer ces solutions. » (Lettre du 4 septembre 1916.) Ils se lancent ainsi dans des actions communes pour faire reconnaître par le Vatican Bulletin des Archives Vladimir Ghika, no. 1, 2014

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effet prématurément d’une crise cardiaque, le 19 novembre 1927, à 59 ans. Après la mort de Simon Deploige, c’est son collègue et ami, le chanoine Armand Thiéry (1866-1955), docteur en droit et aussi en sciences physiques et mathématiques, qui prendra en quelque sorte le relai épistolaire et deviendra le correspondant de Vladimir Ghika à Louvain en particulier et en Belgique en général. D’autres personnes s’invitent dans ce jeu à quatre : Joseph Chaumet, le bijoutier parisien, chez qui descend toujours Mgr Deploige quand il vient à Paris, René-Gabriel Van den Hout, directeur de la Revue catholique des idées et des faits, Imbart de la Tour, homme politique catholique français, Madame Dupont, sœur du Chanoine Thiéry, et son mari Jacques, etc. Malheureusement, comme toujours, nous n’avons pas les réponses de Vladimir Ghika à ses correspondants. Nous avions contacté, il y a quelques années, Guy Deploige, auteur d’une biographie (en néerlandais) de Mgr Deploige, mais il ne savait pas où étaient les archives privées de son lointain parent (mais peut-être faudrait-il reprendre contact avec lui). Quant à Armand Thiéry, il existe un fonds à son nom à l’Université de Louvain, qui ne semble pas cependant contenir sa correspondance privée. J’y ai envoyé un courriel, à tout hasard, mais n’ai toujours pas reçu de réponse… comme d’habitude ! Il y aurait peut-être aussi une piste du côté de la famille Jonnart, neveux de Mgr Deploige. Mais comment la contacter ? Luc Verly

Sommaire P. Francisc Ungureanu — Pourquoi un Bulletin des Archives Vladimir Ghika? .......

p. 1

Iulia Cojocariu — Réorganisation des Archives Vladimir Ghika ………………

p. 2

Luc Verly — La maison du 16 strada Luminii, où a vécu Vladimir Ghika pendant quelques années, a été démolie ………….

p. 3

Luc Verly — Cousin Cousines. La correspondance Guilland-Rondel ............................

p. 4

Emanuel Cosmovici — Décès de Daniel de Briey, petit-neveu de Mgr Ghika ..............

p. 5

P. Ioan Ciobanu — Pierre Hayet. In memoriam..........................................................

p. 5

Luc Verly — Yvonne Estienne, cette inconnue ...............................................................

p. 6

Luc Verly — François Paris-Vladimir Ghika une amitié basée sur l’amour réciproque du règne de Dieu et des âmes ………

p. 8

Luc Verly — Trois amis: Vladimir Ghika et les frères Sixte et Xavier de BourbonParme ..........................................................

p. 9

Luc Verly — Louvain. Correspondance avec Mgr Simon Deploige, le chanoine Armand Thiéry et le Cardinal Mercier ........ p. 10 Les Archives Vladimir Ghika sont gérées par la Postulation de la Cause de Canonisation du Bienheureux Vladimir Ghika, dans le cadre de l’Archevêché Catholique de rite latin de Bucarest. Ont collaboré à ce numéro du Bulletin des Archives Vladimir Ghika, en plus de ceux qui ont signé les articles : Francisca Băltăceanu et Monica Broşteanu. Mise en page et conception graphique : Iulia Cojocariu Pour plus d'information sur Mgr Vladimir Ghika : www.vladimirghika.ro www.vladimir-ghika.ro www.vladimiri-ghika-amicus.blogspot.com Pour nous contacter : Postulatura Cauzei de Canonizare a Fericitului Vladimir Ghika Str. G-ral Berthelot, 19 ; 010164, Bucureşti, România Tél. : 0212015400 ; 0212015401 ; Fax : 0213121207 Email : arhiva@vladimirghika.ro

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