Qu'est-ce que l'identité républicaine ?

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QU’EST‐CE QUE L’IDENTITÉ RÉPUBLICAINE ? ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION PROPOSÉS AUX

RENCONTRES DE L’IDENTITÉ RÉPUBLICAINE (Paris ‐ 16 avril 2011)

Par

Jean‐Michel BAYLET et Jean‐François HORY


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QU’EST‐CE QUE L’IDENTITÉ RÉPUBLICAINE ?

INTRODUCTION

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Identité, nationalité, élever le débat

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I – PRÉCISER LES NOTIONS DE BASE

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Qu’est‐ce d’abord que l’identité ? « Le choc des civilisations » Une conception précieuse et singulière de la nationalité Réhabiliter la nation

II – HISTOIRE ET PATRIMOINE : UNE MÉMOIRE TOUJOURS RÉALIMENTÉE

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Une histoire singulière exceptionnelle Les grands mythes nationaux Une histoire vivante Une langue et mille parlers Quelques autres éléments du patrimoine

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III – LA RÉPUBLIQUE A L’ÉPREUVE DE L’IMMIGRATION

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La tradition française de l’accueil Spécificités de l’immigration récente Une culture aux racines diverses Contre le communautarisme

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IV – UNE LAÏCITÉ AU SERVICE DE LA DEVISE RÉPUBLICAINE

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La Laïcité française Qu’en est‐il de notre « identité chrétienne » ? Islam et laïcité Liberté, égalité, fraternité sous l’éclairage laïque

V – UNE IDENTITÉ AUX MANIFESTATIONS MULTIPLES

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Les solidarités locales Une nation républicaine toujours actuelle La maison commune européenne La France, Nation citoyenne du monde

CONCLUSION PROVISOIRE

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Que la France se ressaisisse !

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INTRODUCTION IDENTITÉ, NATIONALITÉ, ÉLEVER LE DÉBAT A l’heure d’une construction européenne encore insuffisante, au fil d’une mondialisation chaque jour plus menaçante pour les équilibres sociaux, alors qu’émergent de nouvelles puissances économiques hier insoupçonnées, tandis que d’importants mouvements de démocratisation ébranlent les dictatures les mieux établies et laissent présager de vastes flux migratoires, au moment où la planète s’interroge sur son avenir environnemental, toutes ces questions cumulées amènent notre pays à réfléchir légitimement à sa place dans l’Europe et dans le monde et donc à son identité collective. Pour nous, cette réflexion n’est pas par elle‐même négative. Par le passé, dans de nombreuses séquences de son Histoire marquées par des changements importants, la France a eu à se poser la question des éléments constitutifs de son identité. Ce grand débat – jamais achevé puisque, si la France elle‐même voulait, contre le meilleur de ses traditions, s’enfermer dans une définition héritée du passé, elle ne pourrait empêcher le monde d’évoluer – a presque toujours été fécond et il a permis à notre pays, souvent divisé par des clivages quelquefois artificiels ou meurtri par des conflits extérieurs, de retrouver son unité autour de valeurs structurantes et positives. Pour ne prendre qu’un exemple, les divisions très polémiques autour des églises et de l’Etat ont abouti, grâce au principe législatif de séparation, à un consensus unanime, même s’il fut douloureusement acquis et s’il reste fragile après un siècle d’usage, autour de la laïcité républicaine. Le débat national sur l’identité est donc, répétons‐le, légitime et utile. Il ne garde cependant ses qualités que lorsqu’il est conduit de façon honnête, positive et sur la base des principes essentiels qui sont au fondement de notre République. L’identité collective ne peut ni ne doit être manipulée ou instrumentalisée à des fins de division et d’exclusion. Le beau et grand projet républicain de la France, lui non plus jamais achevé, est rassembleur. Pour la méthode, il est fait de tolérance, de dialogue, d’ouverture. Pour le fond, il tend à souder toujours plus la communauté nationale certes autour de ce qui la singularise mais aussi autour des apports qui, au fil des siècles, l’ont enrichie et viendront encore l’enrichir. La République, telle que la France la conçoit et telle qu’elle l’a, pour bonne partie, inventée, est la figure même de la fraternité. Elle est la fidélité en action aux principes de la Déclaration des Droits de l’Homme. Elle est la grande aventure collective où sont

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garanties la liberté des individus et les libertés publiques, la justice c’est‐à‐dire l’égalité en droits, ainsi que la croyance dans le progrès. La démocratie est un état tandis que la République est un mouvement. Cette République‐là, la nôtre, celle à laquelle les radicaux sont si fortement attachés, ne se laisse pas enfermer dans une définition sommaire et cadenassée. * Notre vision d’une République ouverte et progressiste était la première et la meilleure raison des radicaux pour ne pas participer au débat que le Président de la République et sa majorité ont cru devoir ouvrir, à l’automne 2009, sur l’identité nationale. L’action de l’actuel président dans ses précédentes responsabilités gouvernementales commandait la plus grande circonspection tant il avait semblé confondre, sans aucun résultat probant, l’autoritarisme, l’idéologie sécuritaire ou les rodomontades à visées électorales avec le simple principe de respect de l’autorité légitime qui n’exige ni déclarations martiales ni réprobation de catégories entières de notre population. Lors de la campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy avait renforcé les inquiétudes des républicains en empruntant à l’extrême droite des pans entiers de son argumentation et de sa rhétorique d’exclusion. Les exclamations du type « La France on l’aime ou on la quitte » venaient tout droit du Front National tandis que les incantations à une France rurale passéiste sans rapport aucun avec les réalités actuelles du monde paysan évoquaient irrésistiblement le pétainisme ou la nostalgie qui peut en survivre. Dans l’exercice de ses fonctions, le Président de la République allait continuer un véritable travail de sape idéologique contre les valeurs républicaines qui semblaient hors d’atteinte des débats partisans. Dès juillet 2007, à Dakar, entre une visite à Mouammar Kadhafi et une autre à Omar Bongo, il prononçait le discours stupéfiant et infantilisant où il regrettait que l’Homme africain ne soit pas encore entré dans l’Histoire. Au cœur d’une université fourmilière de talents, au pays de Blaise Diagne, de Léopold Senghor et d’Abdou Diouf, le premier des Français – par la fonction au moins – venait administrer à l’Afrique entière des leçons paternalistes de progressisme. C’était tout à la fois abjurer l’universalisme républicain et oublier trois siècles et demi d’une difficile histoire commune. Cinq mois plus tard, à Latran cette fois, Nicolas Sarkozy donnait sa version étonnante d’une laïcité « ouverte » et « positive » mais totalement régressive dans la réalité. En reconnaissant une sorte de « dette » collective de la France à l’égard de l’Eglise catholique,

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en soumettant dans l’imagerie nationale la figure de l’instituteur à celle du curé, le Président de la République s’écartait très gravement de son devoir impératif de gardien de la neutralité de l’Etat. Cette conception d’une laïcité « ouverte » aux influences religieuses et même respectueuse des plus fortes d’entre elles devait être plusieurs fois réitérée. C’est cependant à l’automne 2009, et notamment par un discours tenu à La Chapelle‐ en‐Vercors en hommage aux maquis de la Résistance, que Nicolas Sarkozy allait apporter la plus forte caution au très fameux débat sur « l’identité nationale » lancé par un ministre transfuge du Parti socialiste – ce dernier point étant anecdotique – avec pour prétexte d’aider la France à se définir. Les nombreux amalgames contenus dans le discours présidentiel montraient déjà que l’hommage à la résistance n’était qu’une occasion de désigner de prétendus ennemis extérieurs à la vindicte d’une communauté nationale apeurée. Aurait‐il été de bonne foi, le Président de la République posait une question qui montrait au moins son erreur : « Qui sommes‐nous à la fin ? » Pour les Radicaux la longue et complexe définition de l’identité républicaine n’a précisément pas de fin. Décidément ce débat n’était pas fait pour nous. * Mais le président n’était pas de bonne foi. A quelques mois des élections régionales, l’objectif de ce grand déballage sur l’identité nationale était double et parfaitement visible. Il s’agissait d’abord de priver l’extrême‐droite d’une partie importante de ses arguments de campagne en lançant des surenchères sur les thèmes de la sécurité et de la lutte contre l’immigration. Les résultats électoraux ont clairement montré que ce calcul était faux puisqu’il passait par la légitimation des discours extrémistes. Le Front National que Nicolas Sarkozy croyait avoir définitivement réduit en 2007 s’est renforcé dans toutes les régions où il a pu se maintenir et a trouvé dans cet épisode un souffle nouveau qui pourrait lui permettre de peser à nouveau très lourdement sur l’élection présidentielle. L’autre visée était à peine plus subtile. Tablant sur la traditionnelle timidité de la gauche quant aux questions de sécurité et de régulation de l’immigration, la droite espérait la voir affaiblie par le débat sur l’identité nationale et donc perdante sur le front électoral. Même si la timidité de la gauche est une réalité et qu’il faudra bien pour elle sortir de l’alternance irrationnelle entre l’angélisme humaniste et les accès de prurit sécuritaire, le calcul a, là aussi, échoué. La gauche a même renforcé ses positions dans les régions métropolitaines et utilement préparé les échéances électorales.

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C’est que, sitôt lancée, la vaste discussion sur l’identité nationale n’avait pas manqué de dégénérer vers les risques que nous avions alors dénoncés. Tenons pour négligeable le choix franchement caporaliste – ce serait faire insulte à la Révolution de le qualifier de « jacobin » – d’organiser ce débat dans les préfectures et les sous‐préfectures comme si la France entière était convoquée à un contrôle d’identité. Mais surtout les différents débordements constatés dans cette phase de défoulement national ont montré que les segments les plus réactionnaires de la droite qui se dit républicaine avaient interprété le grand débat national comme une autorisation délivrée au racisme, à la xénophobie et à l’islamophobie de se donner libre cours. De déballage en débondage, le gouvernement était obligé de constater l’échec de ses calculs micro‐politiques et de mettre piteusement fin au débat avant même les élections régionales. Les radicaux et la gauche avaient eu raison de ne pas participer à cette mascarade. * Après un épisode aussi calamiteux, nous étions tous en droit de penser que la droite avait renoncé à la tentation d’agiter, à des fins électorales, ces chiffons rouges qui exacerbent la colère, la peur et les divisions du corps social. Il n’en est rien. Au plus mal dans les enquêtes d’opinion, balloté par des erreurs accumulées dans le champ diplomatique où il espérait lancer sa reconquête politique, encouragé et accompagné par une UMP passée sous la férule très droitière de M. Copé, privé des avantages escomptés d’une ouverture essentiellement cosmétique, M. Sarkozy retourne à ses vieux démons. Il ordonne à son parti d’ouvrir un nouveau débat. Sur la laïcité en précisant qu’il s’agira de vérifier la compatibilité de l’Islam et des règles laïques. En même temps, il somme l’UMP de dresser après lui l’acte de décès du multiculturalisme dans notre pays. Tous les ingrédients sont à nouveau réunis pour obtenir des antagonismes artificiels parmi nos concitoyens, pour condamner plutôt que guérir, pour ostraciser plutôt que dialoguer. Les thèmes retenus sont si manifestement explosifs que nombre de personnalités de droite s’inquiètent des développements potentiels de ces débats programmés pour les prochaines semaines. La très démocrate chrétienne Christine Boutin elle‐même est obligée de rappeler que les observations directement reprises des discours de Marine Le Pen sur les prières publiques musulmanes (dans une seule rue, toujours la même)

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posent la question des lieux de culte et que la laïcité française s’accommode très bien des processions catholiques traditionnelles. Nous reviendrons en détail sur les questions – pas toutes dénuées de fondement – que M. Sarkozy veut ainsi livrer à la délibération publique et, si possible, à l’approbation sondagière. Mais il faut relever dès ici que l’un et l’autre des thèmes retenus est formulé en des termes qui sont autant d’erreurs de fond. La laïcité ne peut être définie, sauf à en renier l’essentiel, par rapport à une seule religion. Lorsque M. Fillon parle à l’Assemblée Nationale et la main sur le cœur de nos « concitoyens d’origine musulmane » il commet plus qu’un simple lapsus, il s’écarte des fondements de la laïcité. Une République authentiquement laïque ne se préoccupe pas plus d’une prétendue origine religieuse des citoyens que du dénombrement, assez aléatoire au demeurant, des adeptes d’une confession ou d’une autre. De la même façon, quand M. Sarkozy emboîte avec opportunisme les critiques adressées par les gouvernements allemand, néerlandais et anglais au modèle très anglo‐ saxon du multiculturalisme, il procède volontairement à un amalgame entre la composante multiculturelle de notre identité collective et la résignation aux communautarismes qui tentent de se dissimuler derrière le vocable fourre‐tout de « multiculturalisme ». Fermement attachés à la diversité culturelle qui a fait, continue à faire et fera encore l’identité de notre pays, les radicaux sont farouchement opposés à toutes les formes de communautarisme qui sont autant d’échecs pour le grand projet républicain. * A ce stade, nous n’entendons pas entrer dans le détail des querelles souvent très obscures qui se coalisent autour de ces différentes notions. L’exemple des interminables débats entre les tenants de l’assimilation (qui serait une sorte d’injonction) et l’intégration (conçue comme une invitation) nous paraissent assez stériles dans la mesure où, aux yeux mêmes des vrais spécialistes (démographes, sociologues, éducateurs) les moyens de l’une et de l’autre sont souvent les mêmes dans les domaines de l’urbanisme ou de l’instruction. Notre propos sera donc au long de ce cahier de donner aux débats qui agitent la classe politique mais intéressent également l’opinion publique une base plus solide que celles de la spéculation électorale à court terme et du déni des valeurs républicaines. La France n’est pas la Suisse. On ne peut, chez nous, livrer par referendum des minorités au jugement sans nuances d’une majorité. Notre pays s’est construit par l’agrégation des apports extérieurs, par une histoire coloniale spécifique, par de terribles

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épreuves traversées dans la fraternité et par l’invention incessante des règles garantissant l’exercice libre de la volonté d’un avenir commun. Refermer la France, c’est tourner le dos à la plus grande et la meilleure idée de la France. Voilà pourquoi nous entendons développer, plus comme un rappel que comme une innovation, les principes qui font notre identité collective sans toutefois renoncer à la mesurer à l’aune de la dernière modernité et de la plus récente actualité. Nous rappellerons donc d’abord ce que sont dans la conception classique française l’identité, l’universalité et la nationalité (I) Nous proposerons ensuite une vision orientée vers l’avenir de notre mémoire, de notre patrimoine, de notre culture qui ne sont pas des objets de musée (II). Nous essaierons de voir également quels sont les liens entre l’immigration, le multiculturalisme et le communautarisme (III). Ceci nous amènera bien naturellement à souligner que l’efficacité des principes de liberté, d’égalité et de fraternité est garantie par la règle centrale de laïcité (IV). Enfin, sans évidemment clore tous ces débats, nous montrerons que l’identité collective de notre pays est faite de mille engagements, aux niveaux locaux, dans le cadre national, dans la construction européenne et dans une mondialisation à éclairer (V). En résumé, nous proposons de remplacer la problématique de l’identité nationale, trop propice aux dérives de toute nature, par celle de l’identité républicaine, plus vaste, plus ouverte et plus conforme au génie spécifique et à la mission singulière de notre pays. Pour mener ce débat, sans l’épuiser une fois de plus, nous avons une méthode de travail et un objectif politique. La méthode est, comme toujours, celle des radicaux ; elle est faite de tolérance, de dialogue et d’ouverture. C’est pourquoi ce cahier « Qu’est‐ce que l’identité républicaine ? » sera adressé à tous les radicaux de gauche naturellement mais aussi à toutes les personnalités de droite et de gauche qui ont manifesté un intérêt sincère pour ces sujets et une connaissance expérimentée des fondements de notre pensée politique. La République ne peut que gagner à l’échange entre tous les vrais républicains. Et les certitudes, fussent‐ elles radicales, ne perdront rien à être repassées au crible cartésien de la raison discursive et du doute méthodique. Si nos différents interlocuteurs en conviennent, nous nous retrouverons pour échanger par‐dessus ou au‐delà des barrières que les mécanismes électoraux – qu’il ne s’agit pas ici de remettre en cause – ont dressé entre les républicains de toutes origines. « Les rencontres de l’identité républicaine » permettront à la fois d’approfondir collectivement les éléments constitutifs du socle commun et d’en vérifier l’actualité ; elles permettront

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aussi à chaque participant d’exprimer très librement ses différences et sa singularité. L’identité collective n’est pas l’uniformité des pensées individuelles. Nous espérons que ce vaste échange sera riche de conclusions communes. Sans nous attarder aux nuances, aux sensibilités particulières, aux détails qui dissimulent l’essentiel, nous entreprendrons ensuite l’élaboration d’un pacte de l’identité républicaine exprimant les principes et les valeurs de tous les participants. C’est notre objectif politique. Sans rien renier de leurs engagements politiques, ni de leurs alliances électorales, les formations et les personnalités qui accepteraient de façon transversale, transpartisane pourrait‐on dire, de souscrire au pacte de l’identité républicaine auraient ensuite la possibilité de placer ce document au cœur du débat de l’élection présidentielle et d’obtenir une clarification de la position des différents candidats sur les principes constitutifs du pacte. Les signataires resteraient, répétons‐le, libres de leurs choix respectifs mais le grand débat politique pourrait se fixer sur des lignes fortes. Le projet est ambitieux, dira‐t‐on. Il nous semble que l’identité, la Nation, la République ne sont pas des sujets indignes d’intérêt. Nous croyons seulement que ces thèmes essentiels méritent d’être considérés d’assez haut et d’échapper aux minuscules querelles du quotidien à quoi nos concitoyens résument trop souvent une vie politique qui ne s’honore pas toujours. Pour nous le défi était d’élever le débat. Voici notre très modeste contribution à cet effort. Elle est élaborée avec l’humble fierté de qui serait amené à écrire au pied d’une allégorie de la République.

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I PRÉCISER LES NOTIONS DE BASE Avant de préciser ce que peut être l’identité collective d’une Nation comme la France, il est évidemment nécessaire de s’entendre sur le sens réel de mots si souvent employés qu’ils apparaissent comme abstraits, vides de signification concrète et quotidienne et, pour le dire ainsi, comme des figures imposées des discours publics. Et cependant, les mots identité, universalité, nationalité et Nation sont lourds de sens. Ils peuvent d’ailleurs tous en avoir plusieurs et alimenter ainsi des ambiguïtés et des incompréhensions. Pour comprendre ce qu’apportent ces mots si riches à la définition de l’identité républicaine française, il faut donc en proposer une définition qui apparaîtra à beaucoup comme une évidence. Nous pourrions emprunter à Raoul Vaneigem le beau titre « Banalités de base » mais nous ne refusons pas le reproche implicite qu’il comporte tant il nous semble que dans un effort de construction d’une maison commune, il est essentiel de se mettre d’accord sur les matériaux qui en forment les fondations. QU’EST‐CE D’ABORD QUE L’IDENTITÉ ? La lourde polysémie du mot « identité » n’est qu’apparente. D’une part, l’identité est essentielle, philosophique pourrait‐on dire. Elle signale à l’attention publique l’individu dans sa singularité, cet individu que l’étymologie nous aide à regarder comme unique et indivisible. L’identité dans cette acception, est le total des critères significatifs identifiant un individu au sein d’une foule. De là découlent la carte d’identité, par exemple, ou a contrario les contrôles d’identité. Ainsi conçue, l’identité est regardée par chaque individu comme la preuve de sa singularité et, plus curieusement, de sa liberté. C’est l’ego ratifié par la société. A bien y regarder, la vérité serait plutôt inverse. Dans notre pays, la succession (la continuité) des registres paroissiaux pour l’Ancien Régime et des décrets révolutionnaires sur l’immutabilité patronymique s’organise autour d’objectifs de police (conscription, fiscalité, etc.) et non autour d’une volonté d’émancipation des individus. Il n’empêche, beaucoup de citoyens estiment que la connaissance par le pouvoir (ou, pour le dire plus explicitement, par l’Etat) de toutes leurs caractéristiques individuelles serait une reconnaissance de leur identité irréductible. Soit.

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D’autre part, l’identité est sociale. Elle secrète l’identique. Au lieu de désigner la personnalité singulière, elle vient nommer une sorte de normalité moutonnière. « Uniforme », chéri des militaires, est un mot qui souligne plus que d’autres cette aspiration à la ressemblance, au rabotage de toute aspérité. On pourrait convoquer ici mille exemples. Depuis deux siècles environ, dans notre pays, les discours incantatoires sur « l’unité nationale » sont toujours ceux que la droite adresse à la gauche pour la sommer d’abjurer, au nom de l’uniformité, ses convictions relatives à un désordre fécond au profit d’une identité régénératrice. Qu’il s’agisse de s’unir contre le roi de Prusse, contre la reine de Madagascar ou contre la Commission européenne, l’objurgation dissimulée est toujours la même : soyez identiques et faites front commun. Ce qui signifie, proprio motu, n’avoir qu’une seule tête et donc qu’un seul esprit. Cette vision de l’identité assimilée à l’uniformité est également respectable mais tout également discutable que la précédente. Soit. A ce stade, il n’est pas encore indispensable de mobiliser Rousseau et son Contrat social pour démontrer que ces deux caricatures, celle de l’Unique et celle de l’uniforme, ne sont que les deux faces de la même erreur. La plus simple observation empirique, dépourvue de toute vanité sociologique, conduite à l’étal d’un marché, à l’écoute d’une délibération municipale ou – qu’on nous pardonne – au comptoir d’un bistrot, révèlera cette évidence : l’individu n’est parfaitement heureux que lorsqu’il se distingue en même temps qu’il se conforme. Ce double besoin qui est, pour le coup, proprement identitaire n’est en rien constitutif d’une contradiction interne. Il sera évoqué plus loin. Mais nous pouvons dire, sans aucun mépris et avec le seul souci d’illustrer notre propos, qu’à ce stade l’individualisme humain s’exprime à la manière d’un documentaire animalier. Le paon a besoin de se singulariser tandis que le gnou éprouve la nécessité de ressembler aux autres, ceux‐là même que nous appelons ses semblables. Il nous paraît donc établi que le double sens du mot « identité » n’est qu’un trompe‐l’œil et que la réflexion politique ne trouvera aucune matière dans cette ambiguïté. Acceptons, pour commencer, que ce mot signifie tout et son contraire sans qu’on puisse rien en déduire. Selon notre postulat, ce substantif ne vaut rien s’il n’est éclairé par l’adjectif idoine. C’est un exercice rhétorique des plus faciles et des plus souvent pratiqués que d’opposer l’individu à la communauté, le général au particulier, l’homme à la société, la minuscule au Majuscule et, à la fin pour ne parler que de notre époque, la France au monde entier. Cette opposition a‐t‐elle un sens ? Entendez un sens politique. Aucun. L’identité renvoie l’individu à ce qu’il est tandis que l’universalité lui propose ce qu’il peut. L’une et l’autre coexistent et se complètent. Sans même invoquer « nos ancêtres les Gaulois », chacun peut voir que l’identitarisme est constitutif pour tous les individus mais aussi agrégatif pour chaque société. Non que celle‐ci soit la simple addition de ceux‐là mais parce que le sentiment, l’exercice quotidien et l’expression politique de cette fameuse identité sont vitaux pour l’une et pour les autres.

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L’identité enracine. Elle entretient un rapport étroit avec le terroir, les origines, les traditions, les religions, une vision de la culture et in fine avec l’ordre. L’identité perpétue. Ce qui a été sera. Dans ses définitions les plus quotidiennes et les plus anodines, l’identité est aussi faite de paysages, de généalogies ininterrompues, d’usages gastronomiques, de mémoire partagée. L’identité est une sorte d’hypermnésie et elle est bien ramassée dans la formule prêtée à Barrès : la Nation est la possession immémoriale d’un antique cimetière commun. Ainsi définie, l’identité qu’on devine source de chauvinisme, de nationalisme et, s’il est besoin, de bellicisme, n’est pas une notion engageante. Et pourtant elle existe. Il nous faudra en tenir compte car il serait insensé de croire que les hommes et leurs sociétés peuvent avoir une imagination s’ils n’ont pas de mémoire. Avant de la qualifier, il faut donc s’adosser à l’identité. L’universalité bouscule. L’ordre du monde. Les certitudes les mieux établies. Le partage figé des territoires. Les barrières des langues, des religions, et même des civilisations. Elle dérange toutes les idées reçues, lesquelles ne sont qu’une somme de préjugés mais peuvent être aussi la transmission d’un legs culturel essentiel, la mémoire partagée. L’universalité est ouverture, échange, voyage, communication. Elle est fondée sur un autre postulat [qui est au fond le nôtre], celui de l’unité fondamentale de la condition humaine. Tandis que l’identité se présentait comme un rappel à l’ordre, l’universalité est un appel au désordre, une soif de changement. Est‐il possible de dire, sans aucun souci de caricature, qu’Isabelle la Catholique fut la même souveraine qui soutint sans aucun état d’âme le travail de l’Inquisition en même temps qu’elle envoyait un Génois –autant dire un pouilleux – conquérir les Indes par la voie de l’Ouest et mettre ainsi le monde à l’envers ? En chaque homme il existe un souci d’identité et une envie d’universalité. Cette dualité est tout également constitutive des groupements que des hommes qui les ont inventés. Tout également. Il nous faudra donc tenir compte de la double aspiration à l’identité qui arrange et à l’universalité qui dérange pour proposer une définition moderne de l’une et de l’autre. Quand on fait tourner à vitesse forcée les couleurs de l’arc‐en‐ciel, on obtient le blanc. Mais le blanc, qui n’est pas une couleur, peut‐il se définir si l’on ne se prend pas de passion pour le noir ? Voyons maintenant le noir et blanc, soit encore la caricature du monde. « LE CHOC DES CIVILISATIONS » Nous aurions pu choisir ici comme intertitre, « Identité vs Universalité ». L’état des relations internationales tel qu’il se donne à voir depuis la séquence 1989‐1991 (c.à.d. depuis l’effondrement du mur de Berlin jusqu’au faire‐part meurtrier de B. Eltsine concernant l’URSS) nous autoriserait cette facilité. 11 septembre 2001. Voici, accessoirement, le triomphe de la communication universelle instantanée. Mieux que le mariage ou la mort de Lady Diana, le monde entier a vu le deuxième avion. Un premier avion vient de s’écraser dans l’une des tours du World Trade Center. Personne ne s’arrête alors à l’intitulé pourtant ouvertement impérialiste de ce

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centre commercial. Il faut dénombrer les victimes. Les victimes sont déjà innombrables. Alors surgit le deuxième avion. Qui s’écrase dans la deuxième tour. Il ne s’agit plus d’inventorier les victimes. Bien sûr pas en fonction de leur identité. Pas même à raison de leur nationalité puisqu’elles sont presque toutes américaines. La vraie question est alors de définir l’événement stupéfiant qui vient de se produire et que la planète entière a vu. Vraiment vu. La première réaction vient de Gaza. On y voit des gamins affublés du koffieh de feu, Yasser Arafat danser de façon symbolique sur les tombes américaines pas encore creusées. De leur côté, les journalistes occidentaux s’interrogent sur la une de leurs quotidiens : « Déclaration de guerre », « C’est la guerre ! », « La Guerre ? » ou « La guerre » sans point d’interrogation ou d’exclamation. Quelles qu’aient été les réponses circonstancielles de la presse à cet événement monumental, il allait engendrer une vision stratégique nouvelle, une sorte de théorie politique du monde moderne. Il est revenu à Samuel Huntington de la formuler dans l’intitulé du « choc des civilisations ». Là encore, il faut résumer au risque de simplifier. Depuis la civilisation grecque opposée aux barbares et l’ordre romain contrecarrant mille désordres à ses marches, le monde s’est habitué, sous l’aiguillon de ses penseurs politiques, à se regarder comme le résultat de forces inverses, comme un point d’équilibre entre des visions contradictoires. Il s’est habitué aussi à ce que les meilleurs l’emportent. Pour Athènes, la philosophie devait triompher de l’animalité et les Perses devaient être renvoyés à leur veulerie. Philippe et Alexandre de Macédoine n’avaient pas d’autre projet que de passer du côté des Grecs qui les méprisaient. Byzance, héritière de Rome, appelait encore son ministère des affaires étrangères « bureau des barbares ». Il serait lassant de multiplier les exemples redessinant le chemin qui nous a tous amenés, par mille propositions manichéennes de la vision du monde, jusqu’au XXème siècle qui allait être celui de Prométhée. Hitler s’est suicidé et la bombe atomique a été expérimentée bien après que les futurs vainqueurs eurent tracé, à Téhéran et Yalta, le plus cynique partage du monde qu’on ait pu imaginer. Cependant, le procès de Nuremberg apportait à la fois un nouvel ordre moral et une nouvelle conception du droit. Dans l’angle juridique, toujours le plus étroit, il était établi que « la raison du plus fort est toujours la meilleure » et qu’une victoire militaire confère donc une sorte de pouvoir normatif. La norme peut être morale aussi – c’est un enseignement plus important que celui qu’ont recueilli les juristes – et la situation d’après 1945 est totalement inédite : le Bien, la vérité majuscule, la morale à vocation universelle n’ont plus d’ennemi. Leur règne est établi sans contredit, ce que notre monde n’a jamais vécu. Mais il faut absolument que le bien ait un mal. A quoi le reconnaître sans cette opposition, par ailleurs fondation de toutes les religions, c’est‐à‐dire de toutes les visions globalisantes de notre univers ? Chacun va donc inventer l’autre. Les frontières du vrai et du faux, du mal et du bien, de la civilisation et de la barbarie, mais aussi des populations soumises à l’un ou l’autre diktat vont donc être abandonnées aux efforts de délimitation conduits par Staline et par les successeurs de Roosevelt et de Churchill. Tel est le monde que

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vont figer le général Mac Arthur (du Japon à la Corée) et le sénateur McCarthy. Il aura fait – bonne ou mauvaise figure – mine de modèle pendant quarante années, longues comme quarante siècles. Quand M. Gorbatchev reprend, entre les mains épuisées des Khroutchev, Kossyguine ou Brejnev, la responsabilité de cette vision d’une société politique en noir et blanc, son intelligence reçoit les chocs concomitants de deux vérités d’ordres différents : la vie politique est peut‐être plus complexe que celle dont la guerre froide nous a fait les héritiers ; par ailleurs, il n’a plus les moyens d’assumer les frais de ce théâtre politique. Car la réalité des années 1985‐1990 est là : depuis deux décennies au moins, Russes et Américains font semblant, de Cuba à Kaboul, de s’opposer, comme ces costauds de bistrot qui se défient au bras de fer et qui se refusent à pousser tellement l’un a besoin de l’autre pour exister. L’aveu des Russes, exprimé d’abord en Pologne sous l’impulsion du catholicisme puis dans toute l’Europe de l’Est et jusqu’au sein de l’Empire soviétique, constituait en lui‐même un si terrible aboutissement qu’un « philosophe » américain, Francis Fukuyama, – disons « sociophilosophe » si le mot existe – pouvait alors diagnostiquer « la fin de l’Histoire ». Le monde était enfin unifié. Démocratie politique et libéralisme économique devaient régner indéfiniment en abreuvant la planète de leurs bienfaits conjugués. C’est sur ce salmigondis de politique et d’économie jeté sur un brasier à peine refroidi que Samuel Huntington allait déverser une autre vision de l’ordre futur. L’ordre, le vrai, ne peut résulter, comme aurait dit Héraclite d’Ephèse que de l’harmonie de forces opposées, « ainsi de l’arc et de la lyre ». Si tutélaire, si bienveillante que soit Wall Street, une rue ne peut, à elle seule, être la géographie universelle. Même au marché souverain, il faut – et c’est même la condition essentielle de sa souveraineté – un adversaire. Les tours de Manhattan tombent à pic, si l’on ose dire. On a tenté de crucifier la morale universelle, c’est une preuve de l’existence du démon. [Ceux qui croient que nous exagérons pourront relire sous cet éclairage tous les discours de G.W. Bush.] Et Huntington de construire un nouvel ennemi irréductible. Nous nous étions chamaillés sans rime ni raison autour de la frontière entre libre entreprise et collectivisation ; c’était une querelle sans objet puisque les Russes eux‐mêmes avaient déjà accepté de replacer la collectivité au service de la liberté. Mais l’essentiel n’est plus là. D’un côté du monde, on croit à l’autonomie du sujet, à l’égalité des droits (il faudra revenir à ce pluriel), aux formes démocratiques du pouvoir politique et au libéralisme comme aux Tables de la Loi. De l’autre côté, chez nos adversaires, on croit au primat de la collectivité sur l’individu, aux inégalités ontologiques, aux pouvoirs politiques acquis par la force et, c’est l’essentiel, à l’autarcie économique pourvoyeuse d’identité. En vérité, cette vision terriblement simpliste n’est qu’une grossière caricature. L’universalisme s’est dévoyé en individualisme forcené, en matérialisme sans règles, en marché souverain ; il est devenu, si l’on ose dire une sorte de liberté universelle de choisir entre Pepsi et Coca dans la grande vitrine que l’Amérique a mise en place dans le monde entier avec les deux leviers de sa langue impériale et de sa monnaie longtemps omnipotente. Face à ce modèle d’une insigne pauvreté, l’identitarisme, lui, s’est fourvoyé en ethnicisme, en tribalisme et en religiosité. Le monde était sommé de prendre parti pour G. W. Bush ou pour Ben Laden.

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Si nous ne pouvons bien sûr empêcher la planète entière de céder aux séductions de l’une ou de l’autre de ces figures caricaturales, nous pouvons au moins éviter d’importer – comme on a failli le faire dans le débat avorté sur l’identité nationale – ce grotesque face‐à‐ face dans notre culture politique qui est, grâces en soient rendues aux Lumières, d’une autre altitude et d’une autre qualité. Pour nous, répétons‐le, il n’y a pas lieu d’opposer l’identité à l’universalité. De même qu’un individu a besoin de racines, de sécurité, de repli sur soi et simultanément envie d’ouverture et d’échanges, les sociétés éprouvent cette double pulsion qui les équilibre. Parler comme l’a fait M. Longuet à propos de la présidence de la HALDE d’un « corps social français traditionnel », et par là même valorisé, pousse au déséquilibre. Réclamer des droits spécifiques pour une communauté dans l’espace public est également une rupture de l’équilibre social. Il s’agit en outre de graves méconnaissances de ce qu’est, en France, la notion de nationalité. UNE CONCEPTION PRÉCIEUSE ET SINGULIÈRE DE LA NATIONALITÉ Dans un discours sécuritaire particulièrement remarqué et tenu à Grenoble pendant l’été 2010 à la faveur d’un fait divers, Nicolas Sarkozy a menacé de déchéance de leur nationalité les délinquants et criminels ayant commis des actes particulièrement violents alors qu’ils avaient été naturalisés français. Quelques jours plus tard, son ministre de l’Intérieur a cru devoir ajouter, de façon à mieux orienter encore la réprobation publique, aux cas de déchéance déjà évoqués par le Président de la République d’autres délits qui, par leur nature, ne peuvent guère être imputés qu’à des Français issus de l’immigration et de confession musulmane. MM. Sarkozy et Hortefeux ont ainsi franchi en les méprisant d’assez solides barrières juridiques. La première tient à ce que la loi française ne prévoit la déchéance de la nationalité que pour une liste très restrictive d’actes spécialement graves et qu’elle ignore, à ce propos, toute distinction entre les Français de souche ou les Français ayant acquis la nationalité. Le deuxième garde‐fou juridique a été voulu par Nicolas Sarkozy lui‐même lorsqu’il a institué le contrôle juridictionnel a posteriori de la constitutionnalité des lois ; nul doute en effet qu’une condamnation assortie de semblable déchéance aboutirait à constater que la loi instituant cette peine est contraire aux principes généraux de notre droit. Depuis que cette funeste idée a été avancée, nous avons eu la satisfaction de la voir défaite au Sénat par la coalition républicaine de la gauche et des centristes, puis à l’Assemblée Nationale, avant même tout débat, grâce à la ferme opposition des députés radicaux valoisiens, de ceux du Nouveau Centre, de ceux du Modem et de quelques grandes voix de l’UMP. Ce recul forcé d’une initiative préjudiciable à nos valeurs est une excellente chose. Car la transgression commise par le Président de la République n’est pas seulement juridique, elle touche à un élément essentiel de l’identité républicaine, c’est‐à‐dire la conception française de la nationalité. Elle mérite un court rappel en quelques exemples.

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Le 24 août 1792, Thomas Paine, qui est anglais et deviendra américain, est fait citoyen français par décret pour services rendus à la Révolution. Seize jours plus tard, le 9 septembre, il est élu député à la Convention. Le 20 septembre de la même année, un général vénézuélien, Francisco de Miranda, participe au sein de l’armée de Dumouriez à la bataille de Valmy. Seules ses amitiés girondines l’écarteront du double privilège de la naturalisation et de l’élection mais lui épargneront les tracasseries judiciaires qui devaient être infligées à Paine, le philosophe humaniste. On sait qu’après le désastre de 1870 et le siège de Paris, Léon Gambetta, né à Cahors de parents Italiens, fut élu député dans de nombreux départements. On sait moins que, lors du même scrutin, Garibaldi fut également élu dans plusieurs circonscriptions où il avait contribué à limiter les effets de la défaite. Ce natif du pays Niçois (rattaché à la France dix ans plus tôt) qui se considérait comme un Italien ne voulant pas abjurer son irrédentisme, les autorités de la république ne validèrent pas son élection ; il ne souhaitait d’ailleurs pas lui‐ même siéger à la Chambre. Ces trois exemples montrent assez bien ce qu’est la conception française de la nationalité telle qu’elle s’est forgée certes au cours des siècles mais surtout dans les épreuves décisives qu’a traversées la République. La nationalité ne doit rien au sang (Dans ses « Mémoires interrompus » François Mitterrand parle de l’occupation allemande en soulignant « Nous n’étions pas fait pour cela (…), l’expression d’une supériorité inventée, tirée de l’obscure aventure du sang »). Elle ne doit pas plus au territoire d’origine et l’Histoire aide à retracer depuis les invasions, les guerres, les annexions et les vagues successives d’immigration tous les grands mouvements qui ont constitué une identité collective formée à partir de tous les horizons. Cette conception de notre nationalité ne doit rien non plus à la religion depuis que la République s’est laïcisée. Elle ne dépend pas même de la langue même si celle‐ci, élément à la fois du patrimoine et de la culture, est un puissant facteur d’intégration, comme nous le redirons de façon plus détaillée. L’exemple de Garibaldi montre bien que la nationalité française, c’est la traduction juridique d’une liberté simple, celle qui tient à la volonté d’un avenir commun. Le XIXème et le XXème siècles européens ont été marqués de façon souvent violente par l’opposition entre cette conception de la nationalité adossée à la liberté et la conception allemande qui enferme l’individu dans une prison de contraintes puisque la nationalité dépend alors des critères objectifs du sang, de la race, du territoire, de la langue et de la religion. A cette vision qu’on appelle romantique et que Fichte a énoncée dans ses « Discours à la nation allemande », nous avons opposé la vision classique et subjective d’une nationalité voulue, désirée, qui fait l’honneur de la France et historiquement de la gauche française. La nationalité des Français, quelles que soient leur origine, leur couleur, leur religion, n’est pas à la merci de l’arbitraire du pouvoir, des caprices de l’Etat ou des calculs électoraux de tel ou tel. Si elle a été acquise, elle n’en est pas plus fragile car elle n’est, par

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définition, révocable que par la volonté de celui qui la détient. C’est cette composante essentielle de l’identité républicaine que Nicolas Sarkozy a oubliée dans son discours de Grenoble ; il l’a oubliée parce qu’il pense, peut‐être même de bonne foi, que la droite est dépositaire exclusive de la Nation. RÉHABILITER LA NATION En 2007, Ségolène Royal soutenait, à juste titre, que la gauche ne devait pas abandonner la Nation aux nationalistes. Il est vrai que le culte de la Nation peut facilement dégénérer en chauvinisme, en xénophobie, voire en bellicisme. Et si la nation française est la plus vieille des nations européennes, l’attachement légitime qu’on lui porte deviendra illégitime si le patriotisme exalté (on peut voir, à cet égard aussi, les excès contenus dans le discours de Nicolas Sarkozy à la Chapelle‐en‐Vercors) n’est qu’un prétexte à désigner l’étranger comme un ennemi. Il est donc juste que la gauche qui a, au fil des républiques, restitué la Nation au peuple alors qu’elle était jusque‐là soumise à la transcendance religieuse illustrée par la cérémonie du sacre, que cette gauche‐là se réapproprie l’idée nationale. Malheureusement, la gauche entretient avec la Nation des relations complexes. D’une part, les partis socialistes et communistes ainsi que les groupes gauchistes ont longtemps entretenu le mythe de l’internationalisme ouvrier avec lequel l’URSS elle‐même avait pris de grandes libertés en 1917 avec la paix séparée de Brest‐Litovsk ou en 1939 avec le pacte Ribbentrop‐Molotov. Ce mythe subsiste cependant jusqu’à nos jours comme une moraine de la glaciation communiste. D’autre part, une fraction non négligeable de la gauche ‐ et les radicaux sont nombreux dans ce camp ‐ s’est nourrie à l’inspiration girondine. Elle tend à confondre la Nation, collectivité abstraite et fusionnelle, avec l’Etat qui n’en est que le cadre juridique contraignant. Il est juste de dire que la tradition centralisatrice de ce pays – qu’on qualifie à tort de jacobine puisqu’elle va du sacre d’Hugues Capet à la création de l’ENA en passant notamment par Richelieu, Colbert ou Napoléon – opère elle‐même la confusion entre la Nation et l’Etat. La gauche n’a pourtant pas à rougir devant la Nation. Dans les épreuves les plus difficiles, celles des soldats de l’An II, de Ledru‐Rollin, de Gambetta, de Clemenceau, de Jean Moulin, la gauche s’est toujours levée pour défendre la Nation en danger. On nous pardonnera de citer encore les « Mémoires interrompus » de François Mitterrand : « Notre génération aura fait cent détours avant de comprendre que la France était une personne ». Nous pensons après lui que la Nation demeure le point le plus important dans l’agrégation de la société française. Il ne s’agit pas de sous‐estimer les autres niveaux de solidarité vécue (v. infra V) qui constituent, avec elle, l’identité républicaine mais nous affirmons que l’idée nationale demeure le concept pertinent pour identifier nos concitoyens et que l’échelon national est celui de la communauté la plus intensément ressentie, même si cette identification et ces émotions opèrent désormais dans un champ essentiellement symbolique (hymne, drapeau, fête nationale, reconnaissance cocardière pour le dire ainsi).

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Certes nous savons que « le culte du national est un nationalisme » comme l’écrit l’historien Vincent Duclert (Libération 6/11/2009). Nous n’oublions pas comment, lorsqu’elle est dévoyée, l’idée de nation peut faire couler le sang et autoriser le totalitarisme, le colonialisme, les génocides ethniques et religieux ; Mario Vargas Llosa qui parle de la nation comme de « l’exemple privilégié d’une imagination maligne », le dit mieux que nous ne saurions le dire. Tout cela peut être vrai mais il restera qu’en France et fans la plupart des pays (y compris ceux‐là même où la Nation est de création récente et parfois artificielle) la plupart des citoyens se reconnaissent dans la Nation regardée comme une vaste communauté, une « personne », c’est vrai, mais une grande personne, plus grande que la somme des individus qui la composent, riche d’une vaste mémoire qui les nourrit et surtout de grands projets d’avenir auxquels ils adhèrent. Nous n’hésitons pas à dire, spécialement pour la France, que la Nation reste pourvoyeuse d’identité même si nous pensons que la République est bien plus que le simple constat d’un fait national évident. Il faudrait bien sûr tout citer de la magnifique conférence donnée en 1882 par Ernest Renan pour répondre à la question : qu’est‐ce qu’une nation ? Nous n’en extrairons que la phrase la plus célèbre : « L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de la vie ». Cette phrase a été souvent reprise car elle résume tout à la fois la conception française subjective de la nationalité que nous avons résumé plus haut et la légitimité d’une nation dans cette conception : c’est d’abord un vaste projet commun. Pour leur part, les radicaux n’entretiennent pas le culte de la Nation ; ils sollicitent seulement qu’on la respecte car c’est encore dans ce cadre que l’avenir commun se dessine par priorité. Avant d’évoquer les projets d’avenir proposés à l’identité républicaine de notre pays, il nous faut cependant, comme dans l’inventaire des moyens mobilisés pour un voyage, rappeler ce que nous apportent notre mémoire et notre patrimoine.

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II HISTOIRE ET PATRIMOINE : UNE MÉMOIRE TOUJOURS RÉALIMENTÉE

Les arguments les plus souvent mobilisés par les défenseurs d’une vision de l’identité nationale fermée, figée, restrictive, exclusive se trouvent dans le champ historique et dans le domaine patrimonial délimité en bonne partie par l’Histoire. Pour devenir Français ou pour vivre en France tout simplement, il faudrait tout accepter, sans aucune discussion, de ce grand roman national, de ce magnifique récit collectif qui est notre histoire commune et définitivement dépassée. De la même façon, le patrimoine de la France, qu’il s’agisse tout simplement de nos paysages, de nos terroirs, de notre architecture, de nos beaux‐arts, de « notre » religion, voire de notre gastronomie, tout cela serait, de surcroit, menacé par l’irruption de populations venues d’autres horizons. Cette approche est fausse. L’Histoire n’est pas une nostalgie. Elle n’est pas seulement faite de mémoire. Elle est vivante et constamment réécrite. Elle s’écrira dans l’avenir aussi. Elle peut, dans tous les cas, être lue de diverses manières. Le patrimoine français n’est pas non plus un musée. A l’opposé d’une succession de droit privé, il n’est pas à diviser entre des héritiers n’ayant que la légitimité de leur ascendance. Il est une sorte d’indivision donnée à la Nation à charge pour elle d’en augmenter constamment la valeur. Et de fait, notre patrimoine, si vaste et si magnifique qu’il force l’admiration de ceux qui nous visitent (la France demeure la première destination touristique du monde et le tourisme est, avant l’agriculture, le premier pourvoyeur en crédit de notre balance commerciale), ne cesse de s’enrichir à la mesure de l’élargissement de notre communauté. Si l’on veut faire vivre l’identité républicaine, il est donc grand temps de laisser respirer l’histoire collective et de regarder notre patrimoine comme un espace de liberté plutôt que de le voir en jardin clos et protégé du vent du large. Dans cette conception tournée vers l’avenir, il n’est pas pour autant interdit d’éprouver, comme tous les Français et quelles que soient leurs origines, une forte fierté devant les grandeurs indiscutables de l’histoire de ce pays. UNE HISTOIRE SINGULIÈRE EXCEPTIONNELLE Pour le meilleur et le pire, la géographie française a prédisposé de très longue date notre territoire actuel à être un lieu de rencontres, d’échanges, d’ouverture mais aussi de conflits et de guerres.

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Au‐delà des attaches partisanes qui lient les uns aux autres, tous les républicains de bonne foi peuvent se reconnaitre dans la présentation épique de notre saga nationale telle qu’elle a été faite par Dominique de Villepin, en février 2003, devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Il s’agissait alors de refuser une guerre en invoquant la mémoire d’un pays qui l’avait trop connue. Peu avant, lorsque l’Europe n’avait que quinze Etats‐membre, la France avait été en guerre, en un temps ou un autre, avec tous ses partenaires à l’exception presque exotique du Danemark. Que de sang versé pour la défense d’un territoire qui n’était pas encore celui d’une nation ! C’est le glaive de César qui unit par la force les cent nations celtes ou galates. C’est la barrière des Pyrénées qui arrête les Wisigoths pour en faire les pères de l’Occitanie. C’est le hasard du partage de Verdun qui crée trois états là où n’était qu’un empire. C’est la violence des Capétiens qui fait progresser la France à la mesure de la mutilation des identités régionales. C’est le rêve de gloire de la Bourgogne qui incendie Liège, la cité ardente. C’est la Saint‐Barthélemy et un siècle plus tard l’édit de Fontainebleau qui dressent face‐à‐face des catégories qui s’identifiaient par leur religion et non par une nation commune. C’est à un siècle d’intervalle, la vision impériale de Louis XIV et celle de Napoléon qui tentent d’étendre un territoire national encore incertain à une bonne partie de l’Europe. C’est par trois fois en 70 ans, la fureur allemande qui se déverse par nos frontières grandes ouvertes. C’est la certitude du bien‐fondé de la colonisation qui annexe à la France une part considérable de la planète. Que de violences et que de haines ! Et pourtant de ces terribles épreuves, la France est sortie telle que nous la connaissons après mille annexions et amputations. C’est peut‐être, comme le livre une tradition assez romantique, que notre pays possédait, avant la lettre, une sorte de génie national qui allait dessiner notre territoire malgré toutes ces vicissitudes ; si cette vision est vraie, il faut en déduire que la nation française continuera à s’ouvrir et à se modeler. C’est sans doute aussi que notre pays s’est trouvé au point de rencontre du monde latin et du monde saxon. C’est également que les cours capricieux de cinq fleuves nous ont mis en contact avec la Méditerranée, avec le monde ibérique, avec les étendues atlantiques, avec la Grande‐Bretagne, avec l’Allemagne. C’est certainement que l’immensité de nos frontières maritimes prédisposait nos navigateurs et nos marchands à être des découvreurs de mondes. C’est surtout que nos visiteurs qu’ils soient venus pour notre prospérité ou pour notre malheur se trouvaient tellement bien dans un pays aussi riche de traditions diverses qu’ils y sont restés pour y faire souche. Mais la grande singularité, l’exception française, c’est le mouvement des Lumières et la Révolution. Les philosophes français du XVIIIème siècle, et au premier rang Montesquieu, Rousseau, Voltaire et Diderot, ont donné un cours nouveau à l’Histoire. Ils ont soustrait l’individu au carcan des systèmes religieux, autocratiques, corporatifs qui étouffaient la liberté. Ils ont inventé le progrès en substituant les destins choisis à la fatalité subie. Et ils ont donné des règles démocratiques à leur vision du monde. Celle‐ci a directement inspiré la déclaration d’indépendance américaine de 1776. Elle a aussi et surtout permis d’écrire la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et de dicter la devise qui serait celle de la République. Liberté, égalité, fraternité, n’étaient plus des incantations ou de vagues slogans insurrectionnels ; ces trois

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mots devenaient des évidences proposées par la France à tous les peuples dont beaucoup les recevraient comme de précieuses injonctions. Comme il devait y avoir un primat de la philosophie allemande au XIXème siècle ou un prestige particulier des littératures française et russe, on peut dire, sans aucune forme de chauvinisme, que la pensée politique française du XVIIIème siècle a éclairé le monde. Nous ne dressons pas ce constat pour en tirer une quelconque vanité mais pour qu’un passé aussi glorieux et une pensée aussi tolérante forment pour la France d’aujourd’hui des obligations impératives. Il importe toutefois de préciser ici que l’Histoire, comme toutes les grandes œuvres humaines, nait également de l’imagination des hommes et pas seulement de réalités objectivement incontestables. Ce que l’on appelle l’Histoire n’est peut‐être que la somme des victoires remportées par la politique sur la géographie, c’est‐à‐dire par la volonté sur l’évidence. LES GRANDS MYTHES NATIONAUX Pour parler de l’Histoire, nous avons employé à dessein l’expression de « grand roman national ». Nous entendons cette expression dans sa double signification : d’une part, les nations n’assurent leur cohésion que si elles sont capables de transmettre le récit de leurs aventures collectives passées ; d’autre part, cette transmission n’est possible que si elle est portée par une capacité d’oubli (qui est aux sociétés ce que la prescription pénale est aux individus) et un véritable pouvoir romanesque d’enjoliver les événements ordinaires pour leur conférer une dimension épique. Il y a dans cette question un problème qui doit être abordé en tout premier lieu : la mémoire d’une communauté est toujours différente de la somme des souvenirs des individus qui la composent. C’est le sens même des grands mythes que mobilise, consomme et dépasse la pensée politique. Nul besoin de convoquer M. Eliade pour exposer ce qu’est un grand mythe, au sens moderne du terme. Toutes les sociétés éprouvent le besoin de dépasser leur quotidien et la somme des histoires individuelles. Elles écrivent de grandes et belles histoires, accessibles par plusieurs niveaux de lecture. Elles comportent leur part de malentendus et d’ambiguïtés, mais rassemblent finalement, dans une fonction quasi‐ totémique et autour d’une question presque toujours clivante à son origine, la communauté nationale. Des exemples ? Prenons‐en quelques‐uns sur une période de l’ordre d’un siècle. Quels ont été les grands mythes républicains entre 1870 et 1980 ? Le premier combat de cette période, fruit de très forts antagonismes, fut mené pour la forme républicaine de l’Etat. Il y fallut presque trente années. Cette question est‐elle aujourd’hui encore en débat ? Le frontispice de toutes les mairies de France nous renvoie la réponse : notre République est – et sans doute à l’excès – de ce marbre où vont se graver les grandes histoires collectives.

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Mais dans le temps où la République s’installait, les républicains imaginaient l’école gratuite et obligatoire, la liberté de la presse, la liberté d’association et celle des syndicats, ou la séparation des églises et de l’Etat. Immédiatement ensuite, la communauté française fut mobilisée, c’était la célèbre « ligne bleue des Vosges », dans le combat pour l’intégrité territoriale. On connaît la suite. Alsace et Moselle reconquises, le mythe de la frontière sacrée était rétabli dans la conscience collective. A l’heure de l’intensification de la coopération franco‐allemande, moteur de la construction européenne et du travail transfrontalier, cette question fait‐elle encore débat ? Passée la première guerre mondiale, la France, forte de ses vieilles conquêtes mais surtout de celles de la fin du XIXème siècle (A.O.F., A.E.F., Madagascar, Indochine) se lançait dans l’aventure coloniale marquée plus que tout autre projet collectif par l’ambiguïté évoquée ci‐dessus. La France se donnait pour mission de répandre la civilisation sur son « empire » et le faisait effectivement par la santé publique, l’éducation, les grandes infrastructures, mais sans trop d’égards pour les civilisations préexistantes et sans non plus solliciter l’avis des intéressés. Cinquante ans après Bandoeng et la grande vague des indépendances, ce mythe n’est plus un sujet de débat sauf pour quelques doloristes mais la France peut constater qu’une bonne partie des migrations qu’elle reçoit n’est que la conséquence logique de sa politique coloniale. Une autre page de cette histoire est donc encore à écrire. Le mythe peut‐être le plus vivace et qui survit encore, au moins de façon commémorative puisque, dans le champ politique, il a été en quelque sorte enterré, en 1974, par l’élection de M. Giscard d’Estaing, fut celui de la France héroïque et résistante. Chacun connaît la réalité historique : une infime minorité de collaborateurs actifs, une autre minorité de résistants authentiques et une majorité de Français subissant le malheur des temps. Mais des hommes et des partis, peu ou prou engagés dans la Résistance, l’ayant faite plus ou moins tôt, ont écrit cette belle et grande histoire que les Français aiment encore entendre et se raconter. Ce n’est donc pas du tout par hasard que M. Sarkozy, soucieux de réanimer le mythe, est allé tenir son discours sur « l’identité nationale » à la Chapelle‐en‐ Vercors, haut lieu de la Résistance, le 12 novembre 2009 ; il s’agissait pour lui, de façon caricaturale, d’exalter ce qui serait le cœur de la France et que menaceraient des ennemis venus de l’étranger. Plus près de nous encore, une génération entière de citoyennes et de citoyens de gauche s’est engagée aux côtés de François Mitterrand pour « changer la vie ». Tous croyaient‐ils vraiment qu’ils allaient changer la vie ou que du seul fait de l’élection de 1981, la France allait passer, comme le dirait Jack Lang, de la nuit à la lumière ? Évidemment non. Mais il y avait là un véritable horizon militant, mobilisateur et pourvoyeur de ces rêves qui, par la force d’une volonté politique collective, finissent par s’inscrire dans la réalité. Sans la puissance de ce mythe d’une vie entière à changer, la France aurait‐elle, en 1981, aboli la peine de mort alors qu’une majorité de Français étaient hostiles à cette abolition mais avaient mandaté François Mitterrand pour y procéder ?

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On voit dans ces différents exemples que les grands mythes républicains exercent une fonction puissamment agrégative. Il importe peu de pouvoir vérifier si les grands récits collectifs sont factuellement tout à fait exacts. Mais il importe de savoir si, tels qu’ils sont proposés à l’ensemble de la collectivité, ils peuvent être lus par tous ses membres et les associer en une sorte de grande geste nationale. Il est malheureusement patent que la vie politique française actuelle est en panne, en manque de grands mythes. Peut‐être faut‐il voir dans cette panne l’une des raisons de l’engouement français – qui s’est bien sûr manifesté ailleurs – lors de l’élection de Barack Obama avec ses slogans volontaristes qui faisaient revivre le mythe américain de la Nouvelle Frontière. On ne peut certes pas regretter les conflits armés qui furent à l’origine de tant d’histoires épiques dans la mémoire collective française. Mais on est obligé de constater que l’inventaire permanent des contraintes et des raisons de ne pas faire a annihilé la volonté politique et préparé le gouvernement des comptables placés sous la férule des conjoncturistes et sondeurs d’opinion. A suivre un tel exemple, Helmut Kohl aurait‐il réalisé la réunification allemande ? Les peuples arabes se seraient‐ils révoltés ? Il ne sert donc à rien de pétrifier la mémoire collective dans une sorte de conservatoire ou même de sanctuaire. On ne peut penser l’identité républicaine qu’en proposant à la Nation de vastes et beaux projets qui ne se développeront plus nécessairement dans le cadre territorial national. UNE HISTOIRE VIVANTE « On refait l’histoire ». C’est sous ce titre qu’un magazine évoquait récemment à la signature de François‐Guillaume Lorrain la diversité et l’évolution de quelques‐unes des plus grandes figures de notre histoire (Le Point, 12/08/2010). Elles continuent à évoluer car l’Histoire ne cesse d’être réécrite, même dans ses aspects qui paraissent les plus irréfutables dans un temps donné. Nous y reviendrons car c’est une erreur dans la rhétorique identitaire de la droite de soutenir que notre Histoire collective se donne en partage à ceux qui voudraient bien y adhérer sans réserve. L’histoire de l’esclavage à Gorée n’est évidemment pas la même pour une famille d’armateurs bordelais ou rochelais, pour un intellectuel antillais ou pour un homme politique sénégalais ; ce sont pourtant trois récits, également vrais et faux, livrés par des mémoires collectives vivantes. On nous pardonnera d’avoir simplifié à l’extrême l’exemple de l’esclavage. Nous aurions pu en mobiliser beaucoup d’autres. L’Histoire, telle qu’elle fut longtemps enseignée aux écoliers, était une imagerie d’Epinal, un kaléidoscope de vues instantanées sur des aventures individuelles. De la bataille d’Alésia à la libération de Paris, défilaient ainsi Clovis sur son pavois, Jeanne d’Arc sur la route de Domrémy à Vaucouleurs, Richelieu au siège de la Rochelle, Bonaparte au pont d’Arcole, Savorgnan de Brazza en Afrique équatoriale, Joffre et les taxis de la Marne, etc. On n’en finirait pas d’énumérer les épisodes marquant cette conception de l’Histoire

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évènementielle, glorieuse et faite par des individus dressés pour refuser la fatalité, dire non à l’inéluctable. Par la suite, la discipline historique a été dominée par une autre conception. L’Histoire aurait été déterminée par des causes purement objectives. Ainsi le Moyen‐Age s’évaluait‐il au cours du blé dans le Limousin pendant le XIIème siècle. La peste noire devenait affaire de lutte des classes, de même que, plus tard, l’épopée révolutionnaire ne servait que l’émergence de la bourgeoisie. A notre époque, le conflit du Moyen‐Orient ne résulterait que du problème de partage de l’eau potable. Cette conception – qui a vécu, au moins dans ses excès – transformait l’Histoire en une addition d’évidences géographiques et économiques. Elle n’était pas plus exacte que la précédente, et beaucoup moins séduisante. Car ces deux visions de l’Histoire sont partiellement vraies mais globalement fausses dans la mesure où elles enferment toutes deux le passé dans une lecture figée. Nous emprunterons à un romancier de droite, J. Laurent, une formule apparemment paradoxale : contrairement à une idée reçue, « c’est le passé qui est imprévisible ». Par les résurgences du souvenir, par les modifications de la mémoire, par les diverses exploitations politiques, l’Histoire ne cesse d’évoluer. En veut‐on quelques preuves ? Nous avons évoqué deux grandes figures de la geste héroïque française, Jeanne d’Arc et Napoléon. Pour la première, les curieux d’Histoire pourront consulter les manuels scolaires du XIXème pour constater qu’en un siècle la présentation de la bergère inspirée et martyre n’a cessé d’évoluer et que c’est seulement dans la période récente que ce personnage a été définitivement sécularisé malgré les tentatives de confiscation menées par l’extrême droite. Quant à Napoléon, la France finit à peine de célébrer dans l’admiration recueillie l’inventeur du Code civil et le vainqueur d’Austerlitz que déjà nombre d’historiens le présentent comme l’un des pires bouchers que l’Europe ait connus. Le cadavre bouge encore. Si les histoires qu’on croyait définitivement écrites s’éclairent encore et toujours de lectures nouvelles on peut prévoir sans grand risque qu’elles continueront à évoluer. L’Histoire de France n’est donc pas une sorte de trésor enfermé et que les seuls Français de souche seraient autorisés à voir et à toucher, littéralement à manipuler. Tous les individus, tous les groupes, toutes les collectivités qui composent et composeront l’ensemble républicain doivent avoir accès à ce trésor et obtenir la permission d’en restituer l’image qu’ils en ont. Un exemple montrera, pour ponctuer ce récit jamais achevé, comment une immigration parfaitement réussie par l’intégration peut cependant sécréter des lectures différentes selon les angles de vue existant simultanément. Si l’on parle de la Pologne, la plupart des Français pensent à cette arrivée importante de travailleurs fixés dans les années 30 autour des grands bassins miniers. On parlait alors des « Polaks » qu’on disait arriérés, sauvages et ombrageux. Quand on évoque la même immigration dans le Nord‐Pas‐de‐Calais, le regard est déjà différent. Les Français de plus vieille souche notent que la communauté polonaise est riche de traditions très vivantes et d’une forte solidarité ; on dit encore, à juste titre, que cette solidarité a généré bien des pouvoirs politiques locaux ; on cite aussi, avec pour le coup une vraie fierté nationale, quelques très grands noms du sport français. Le Polak est devenu Kopa. Si, à la fin, on

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interroge les Français venus de Pologne sur les relations entre leur pays et la France, la réponse est tout autre. Ils rappellent volontiers que les rois Jagellon de Pologne et de Lituanie sont venus sauver l’Europe assiégée à Vienne des invasions turques. Ils parlent aussi du mariage de Louis XV et du duché de Lorraine dévolu à leur roi. Ils ont leurs propres images de l’épopée napoléonienne et peuvent évoquer aussi bien le maréchal Poniatowski que les régiments embarqués dans la guerre en Haïti. Il est bien que, dans l’histoire nationale d’un pays, chaque composante de la collectivité républicaine puisse ainsi proposer d’elle‐même l’image la plus flatteuse. La stricte vérité historique n’y trouvera pas toujours son compte mais la cohésion sociale s’en trouvera renforcée. Nul ne peut empêcher cette vie permanente qui caractérise l’Histoire. Si les momies délivrées de leurs sarcophages continuent à délivrer presque chaque jour des enseignements nouveaux, chacun peut bien en déduire que l’aventure collective vécue hier et aujourd’hui continuera demain à s’élargir dans son récit historique pour que la nation française continue à accueillir dans sa mémoire vivante les récits particuliers de toutes ses composantes. UNE LANGUE ET MILLE PARLERS Au tout premier rang des éléments de patrimoine que nous a confiés cette Histoire vivante figure la langue française. On peut bien sûr aimer Villon et Rabelais mais noter que la superposition quasi‐ totale d’un territoire et d’une langue n’est qu’un phénomène assez récent et, pour tout dire, assez artificiel aussi. En simplifiant, on peut dire que l’affaire remonte à Condorcet guère avant puisque le français, s’il était parlé à la cour de Berlin ou à celle de Saint‐Petersbourg, s’il irriguait grâce aux œuvres des grands philosophes déjà cités toute la pensée politique européenne, n’était pratiqué dans notre pays que dans quelques régions (Val de Loire, Ile‐ de‐France) et par les catégories sociales les plus aisées. Pour le reste, on parlait autant de dialectes qu’il y avait de provinces. Ce rappel n’est opéré que pour désavouer ceux qui prétendent aujourd’hui juger la nationalité à la pratique de la langue. La nation française existait bien avant l’établissement d’une suprématie de la langue française. Condorcet déclara donc la guerre aux patois. Pour ce brillant avocat de l’instruction publique, il ne s’agissait pas d’humilier les patoisants, de les désigner comme des inférieurs. Le défi était celui de l’unification de la Nation, de la République encore en gestation contre les convulsions des pouvoirs agonisants, contre les excès des anciens parlements provinciaux contre les prisons des corporations qui formaient aussi des barrières lexicales. Bref, il fallait favoriser tous les éléments unificateurs contre les forces centrifuges. Ce travail fut conduit, il est vrai, sans trop de ménagements. Il fut poursuivi pendant un siècle et demi par tous les dépositaires successifs de la tradition centralisatrice française notamment par Napoléon Ier dont chacun sait qu’il parlait très mal notre langue

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avant de nourrir le projet de l’imposer à toute l’Europe… Aussi longtemps que l’unité nationale fut menacée dans sa dimension territoriale, soit jusqu’à la fin de la 2e guerre mondiale, la langue française joua le rôle ambigu de l’indispensable outil d’échange et de corset imposé à la diversité. Toute l’Occitanie souffrait de cette uniformité, et avec elle la Bretagne, la Savoie, le pays niçois et bien d’autres encore. Ces régions souffraient de se voir imposer une seule langue à l’heure même où les immigrés venus d’Italie, de Pologne, d’Espagne, du Portugal interdisaient à leurs enfants de s’exprimer dans la langue de leur pays d’origine, belle illustration du caractère subjectif, volontariste de notre nationalité. Ces temps sont révolus. Les dangers extérieurs faisant la place aux idées nouvelles de coopération européenne, en même temps que commençait la véritable scolarisation de masse, il devint tout à fait courant d’apprendre et de pratiquer par les échanges internationaux une ou plusieurs langues étrangères. Les spécialistes de la pédagogie peuvent constater que les individus les plus agiles dans ces langues étaient aussi ceux qui utilisaient le mieux la langue française. Simultanément et bien avant les débuts de la décentralisation juridique, les fiertés régionales longtemps bridées relevaient la tête. Souvent animés par des zélateurs sincères, les mouvements régionalistes allaient réhabiliter leur héritage linguistique. C’était autrefois une hérésie très répréhensible que de pratiquer le breton, l’alsacien ou l’un des parlers d’oc. On peut aujourd’hui en faire l’option au baccalauréat et il ne semble pas que la langue française en ait souffert. Le Sénat de la République a décidé par un amendement récent, d’aménager la loi Toubon consacrée à la sauvegarde de notre langue pour autoriser le double affichage des noms de bourgades et des noms de rue en français et en langue locale, ce qui était, il y a peu de temps encore, un sujet disons explosif dans les deux départements corses. Pendant tout ce long cheminement de la langue, l’outre‐mer français n’a jamais cessé d’organiser la cohabitation entre la langue de la métropole et les langues locales qu’elles soient créoles, mahoraises, polynésiennes ou calédoniennes. Là encore, l’exemple d’intellectuels aussi considérables qu’Aimé Césaire ou Edouard Glissant montre assez bien que cette cohabitation, loin d’être un danger pour l’un ou l’autre parler, est une véritable source d’enrichissement pour l’une et l’autre. Car les langues créoles mais aussi les parlers francophones québécois, africains, belges ou suisses, ne cessent de féconder la langue initiale à l’image d’affluents venant abonder un courant. L’extraordinaire inventivité lexicale et même syntaxique de la littérature francophone d’Afrique centrale est une parfaite illustration de ces apports et de leur importance. Au reste, la langue vit aussi de l’intérieur. Seules les langues mortes peuvent être éternellement figées. Les beaux esprits pourront toujours regretter qu’on ne parle plus comme à la cour de Louis XIV, rien n’y fera. Lorsqu’un ministre – c’était René Haby – s’autorise à supprimer l’imparfait du subjonctif, pourquoi un rappeur, un émetteur de SMS ne pourrait‐il pas prendre ses libertés avec la langue ? A l’heure où l’anglais basique envahit le monde grâce à la « world music » et Internet, pourquoi les jeunes Français seraient‐ils privés du plaisir d’inventer leur propre façon de pianoter sur leur langue ? Si l’on veut bien prendre garde au syndrome de Babel qui se rencontre lorsque le langage des groupes ou des bandes ne sert plus à communiquer mais à exclure, la langue française elle‐même autorise toutes ces libertés qui la font vivre.

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Dans les débats récents sur l’identité nationale, comme dans l’amorce de ceux qui s’annoncent, il s’est trouvé des censeurs (pas toujours orfèvres du français le mieux ciselé) pour subordonner l’acquisition de la nationalité et même le droit au séjour des étrangers à la maîtrise de la langue vérifiée par examen. Il est remarquable que nul parmi les caporaux de notre langue n’ait proposé un financement public pour l’alphabétisation des adultes d’origine étrangère. A les suivre, nous aurions vite, comme le notait drôlement un intellectuel, une « carte d’identité à points ». (François Sureau, Avocat et écrivain, Libération 21/02/2011) Ces empêcheurs de parler en rond font fausse route. La littérature qu’il nous faut maintenant évoquer, fournit de très beaux exemples, de Kundera à Makine, d’une vérité simple et lumineuse : une langue vivante est une invitation et non une injonction. QUELQUES AUTRES ÉLÉMENTS DU PATRIMOINE Il n’est évidemment pas question d’inventorier ici comme autant de briques d’un mur national tous les éléments patrimoniaux qui constituent une identité française spécifique mais d’isoler quelques‐uns d’entre eux pour illustrer le fait que notre patrimoine sert d’abord à échanger et pas à se renfermer. Revenons donc à la littérature qui est le domaine où se laisse le mieux voir la double fonction de la langue : recevoir et émettre. Les plus grands écrivains français ont été traduits dans la plupart des langues du monde. C’est ce kaléidoscope linguistique qui leur a donné un écho que leurs œuvres n’auraient jamais rencontré si elles étaient restées confinées dans les limites de la francophonie. Il existe aujourd’hui un courant très important de philosophie française aux Etats‐Unis. On sait moins qu’Alexandre Dumas est un des auteurs les plus lus dans le monde et que son œuvre le doit au fait que les autorités de l’URSS avaient estimé, à tort ou à raison, c’est une autre histoire, qu’Edmond Dantès était un héros socialiste typique. De là résulte que le déploiement de la renommée littéraire de Dumas doit aujourd’hui plus au russe qu’au français. A l’inverse, la langue française peut servir de premier réceptacle à des œuvres enfermées dans des limites linguistiques trop étroites. L’exemple le plus saisissant est peut‐ être celui de l’Albanais Ismail Kadaré qui a créé dans une langue confidentielle, et mystérieuse même pour les linguistes, avant que la traduction en français le fasse accéder à une notoriété mondiale. Même si cet auteur est francophile et francophone, ce miracle ne se serait pas accompli sans le truchement de ses traductions vers le français. Sans agiter le fanion d’un quelconque chauvinisme littéraire, il nous faut rappeler que de sa création en 1901 jusqu’en 1964, le prix Nobel de littérature a couronné onze auteurs français et que depuis cette dernière date nos auteurs n’ont été distingués que deux fois. Ce reflux correspond certes à l’émergence de nouveaux pays, voire de continents entiers, dans la littérature mondiale, mais il traduit aussi la perte relative d’influence de la langue française. Cette disparition n’est pas inéluctable comme le montre la ferme résistance des latino‐américain à l’impérialisme de la langue anglaise. Il est simplement plus

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urgent de revitaliser, par une politique appropriée, les réseaux de la francophonie que de donner des leçons de français comminatoires. On pourrait faire bien sûr les mêmes observations pour la musique classique ou moderne et pour tous les beaux‐arts. Qui peut soutenir que le Belge Jacques Brel ou le Canadien Robert Charlebois n’ont pas à leur manière contribué à forger notre identité ? Qui n’a été ému en découvrant, à Saint‐Pétersbourg, l’extraordinaire collection d’impressionnistes français exposée au musée de l’Ermitage ? Ou par le retentissement international de l’œuvre de JM Basquiat, français et espagnol par ses origines haïtiennes et portoricaines mais américain par le merveilleux hasard du droit du sol ? A multiplier les exemples on retrouverait toujours la même évidence : le patrimoine d’une nation ne doit pas être l’objet d’une possession jalouse mais la matière des échanges les plus ouverts. On pardonnera sans doute à des radicaux de ne pas négliger une composante essentielle de notre patrimoine, à savoir la gastronomie. Sans énumérer les milliers de spécialités qui font la fierté nationale et parfois l’orgueil d’un seul village, il faut s’arrêter à un système très important, celui des appellations d’origine contrôlée. Associant étroitement un produit naturel, un terroir et un savoir‐faire parfois millénaire, le mécanisme français des AOC paraît illustratif de cette « terre qui ne ment pas » chère au maréchal Pétain et, désormais, au Président de la République. C’est faux. D’abord parce que la France a réussi, avec quelques alliés, à faire transposer ce mécanisme dans le droit européen contre les tenants du libéralisme à tout crin. Ensuite et surtout parce que nos AOC, synonymes d’authenticité, de qualité et de traçabilité sont la meilleure garantie de nos exportations dans le monde. C’est, dans ce domaine, en signant de son identité que la France accède à l’universalité. On ne peut, par ailleurs, traiter de ces questions sans évoquer notre patrimoine architectural qui est considérable. Là encore, il faudrait tout citer depuis les vestiges gallo‐ romains (autant dire franco‐italiens), les forteresses médiévales nées de l’esprit guerrier, les châteaux de la Loire où Léonard de Vinci s’en vint travailler et mourir, les formidables mutations de la ville de Paris jusqu’au triomphe orgueilleux de nos grands bâtisseurs industriels. Qu’on le doive aux conflits militaires ou à l’inégalité sociale, il n’est guère de bourgade française qui ne soit dotée d’un château remarquable. Plus près de nous, Gustave Eiffel a planté ses magnifiques réalisations de la Hongrie jusqu’au Portugal, mais aussi des Philippines ou de l’Indonésie jusqu’en Afrique et au Chili. Et ce n’est sans doute pas un hasard si la statue de la liberté, symbole précieux pour le monde, a été édifiée par ses soins et ceux d’un autre Français, Frédéric Bartholdi. Le patrimoine architectural d’un seul département français ne peut jamais être enfermé dans un seul ouvrage, dans un seul film. C’est plus qu’une richesse, une profusion qui nous vaut des milliers de visiteurs. Il est juste, et important dans le cadre de ce cahier, de faire une place particulière à l’architecture religieuse. Cathédrales, églises, modestes chapelles, abbayes, monastères, ils sont innombrables ces témoignages d’une ferveur religieuse qui appartient aujourd’hui à tous, même à ceux qui n’ont pas de religion. Quel que soit le culte, les monuments religieux prouvent toujours et dans le monde entier, qu’avant de libérer sa conscience l’homme a répondu à ses propres questions métaphysiques en tâchant de s’élever en direction du ciel au‐dessus de sa condition. Les grands réseaux

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européens d’abbayes bénédictines, qu’elles soient inspirées par Cluny ou par Cîteaux, montrent aussi que, bien avant l’affermissement ou même la création des Etats, les grands ordres monastiques détenaient avec le Vatican la réalité du pouvoir temporel. Elles prouvent enfin qu’un système social injuste était, au nom du ciel, peu économe du travail et parfois de la vie du peuple qu’il s’agisse des pyramides, des moais ou des cathédrales. Il reste que ces édifices magnifiques existent et qu’ils appartiennent à tous, croyants ou non‐croyants, Français ou étrangers. Et s’ils incitent incontestablement à la méditation et à la réflexion, cette inspiration est également offerte aux agnostiques et aux athées tant il est vrai que la spiritualité n’a pas besoin de la foi. Il est donc parfaitement abusif – et nous y reviendrons – d’aller, comme a décidé de le faire Nicolas Sarkozy, de Vézelay au Puy‐en‐Velay pour déduire de ces merveilles architecturales la conclusion hâtive que l’identité française serait essentiellement chrétienne. Ces monuments appartiennent à la République et ils contribuent, à leur juste part, à son identité.

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III LA RÉPUBLIQUE À L’ÉPREUVE DE L’IMMIGRATION L’évocation du patrimoine d’origine religieuse nous amène naturellement à aborder ici les questions liées aux migrations pour traiter ensuite (infra IV) de la laïcité et de ses relations étroites avec les autres valeurs républicaines. D’une façon générale, les phénomènes migratoires sont, dans le monde, une des caractéristiques de notre époque et l’on peut dire que ce mouvement des peuples, s’il pose de très réelles questions, constitue globalement une forme de l’émancipation moderne. Dans un passé pas très ancien, les hasards de la naissance suffisaient à enfermer à vie les individus dans des cadres géographiques, sociaux et culturels extrêmement contraignants. Dans notre pays lui‐même, l’exaltation des racines souvent rurales d’une société sans mobilité n’est qu’un discours que les individus ont désavoué lors de l’exode vers les villes dicté parfois par les nécessités du travail mais aussi par un véritable attrait de la vie urbaine. La publicité ne cesse d’exalter, aux prétextes les plus futiles, cette nostalgie d’un âge d’or définitivement révolu. Quoi qu’il en résulte par ailleurs en termes d’équilibres sociaux, la liberté désormais donnée aux hommes de sortir de leurs cadres d’origine doit être regardée comme un progrès. Du reste, les nantis des pays développés, et parfois ceux qui sont les plus prompts à dénoncer les migrations, s’offrent désormais les charmes d’un tourisme planétaire qui est trop souvent une sorte de prédation, voire une déambulation obscène, même s’il apporte des avantages économiques aux pays qui l’accueillent. Certains villages de l’Ardèche ou du Lot sont aujourd’hui la propriété du tourisme hollandais ou britannique sans que les hérauts de l’identité nationale ni les pourfendeurs de l’immigration s’en émeuvent. Ce droit nouveau des peuples à la mobilité constitue un fait positif et des pays entiers, tels que les pétromonarchies du Golfe, s’écrouleraient s’ils étaient subitement privés de la main d’œuvre étrangère quelquefois plus importante en nombre que leur population de nationaux. Pour autant, l’ampleur des phénomènes migratoires pose des questions délicates, la principale étant que les flux les plus importants sont liés à l’inégalité entre les nations : on va du Mexique vers les Etats‐Unis, du Bangladesh ou des Philippines vers les pays arabes riches, ou encore de l’Afrique vers les pays d’Europe les plus développés. A l’intérieur de l’Union européenne elle‐même, les déplacements s’orientent de l’est vers l’ouest par une sorte de magnétisme émis par notre prospérité. Sans tomber dans les fantasmes d’invasion exprimés dans « Le camp des saints » par Jean Raspail, auteur très proche de l’extrême‐droite, il faut bien convenir, si l’on refuse la vision égoïste d’une Europe fortifiée, cadenassée et par là‐

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même affaiblie, que les phénomènes migratoires ne peuvent pas être traités qu’avec des bons sentiments. Une régulation est sans doute nécessaire, voire indispensable. Nous n’avons ni les moyens ni les pouvoirs de la concevoir pour d’autres pays mais nous avons le devoir d’exposer la situation française et d’avancer quelques solutions aux problèmes posés. LA TRADITION FRANÇAISE DE L’ACCUEIL Nous avons déjà souligné que, par ses attraits naturels et par sa géographie, la France avait été de longue date ouverte à des mouvements de population plus ou moins pacifiques. Le fait n’est pas récent. Il serait inutile de chercher aujourd’hui les traces des invasions barbares dans l’ADN de la trop française identité nationale. Le très beau livre de Pierre Pelot « C’est ainsi que les hommes vivent », chronique des affrontements meurtriers entre des bandes de mercenaires et de pillards dans les Hautes Vosges, alors même que la Renaissance commence à s’épanouir entre la France et l’Italie, montre que, dans ce pays, aux confins de la Comté espagnole, du royaume de France et des petits Etats allemands, rien n’était moins certain que la nationalité des personnes ainsi ballottées si ce n’est leurs ralliements très fluctuants à tel ou tel des éternels belligérants. (Pour les Balkans, Ivo Andrič a tracé un tableau comparable et embrassant plusieurs siècles dans « Le Pont sur la Drina »). Heureusement, les habitudes des peuples se sont policées, au moins dans l’intervalle des guerres. Pour la période récente, l’immigration vers la France a d’abord résulté d’une sorte d’appel d’air démographique et économique. Les grands mouvements de population de l’Italie vers la France se sont produits dans les premières décennies de la IIIème République. Affaiblie par la guerre de 1870 puis un peu plus dépeuplée par l’appel de ses nouvelles colonies, la France manquait de bras alors même que la culture du progrès par la science et la technique, démontrée lors de l’exposition universelle de 1889, y était extrêmement brillante. Un peu comme en météorologie, les basses pressions attirent l’air plus comprimé. L’Italie pauvre envoyait alors ses maçons désœuvrés vers la France. Celle‐ci manquait aussi de futurs conscrits pour reconquérir, c’était l’obsession du moment, l’Alsace et la Lorraine. C’est la raison précise pour laquelle le droit du sol fut alors définitivement fixé : un enfant d’immigré devenait français, s’il était né en France. Il a déjà été indiqué que la deuxième grande vague migratoire nous est venue de Pologne pour des raisons économiques comparables mais aussi par le fait intégré dans leur culture que les Polonais avaient de bonnes et anciennes raisons de se méfier de la Russie ou de l’Allemagne et donc de ne pas s’y transporter. En 1939, la défaite des républicains espagnols a provoqué une vague migratoire contrainte. La France était un refuge même si la IIIème République expirante et plus encore le régime de Vichy n’ont pas toujours réservé l’accueil le plus fraternel à ces réfugiés. C’est cependant l’honneur des régions de notre Midi républicain que d’avoir reçu les Espagnols en voisins placés par le malheur des temps dans un état de nécessité. Le pli était pris, pour ainsi dire, et l’immigration venue d’Espagne allait se poursuivre presque jusqu’à la fin du franquisme. Aspirée par le besoin de main‐d’œuvre du secteur du bâtiment et des travaux publics, l’immigration partie du Portugal devait prendre les mêmes chemins, et pour les

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mêmes raisons, celles de la survie d’une dictature maintenant cette ancienne très grande nation à l’écart de l’Europe et dans un sous‐développement relatif. Les nombreux procès faits à la IVème République à des motifs d’inégale valeur ne peuvent dissimuler une réalité : pendant cette courte période, jamais les progrès économiques et sociaux de la France n’ont été aussi rapides. C’était l’époque de la reconstruction du pays et la main‐d’œuvre étrangère était la bienvenue. (L’Allemagne a connu, avec un léger décalage, la même implantation de communautés venues de Turquie). Aujourd’hui, les apôtres de la fraternité à géométrie variable se félicitent volontiers de la parfaite intégration des populations venues d’Italie, de Pologne, d’Espagne ou du Portugal. Ils l’expliquent par la double raison que ces immigrants étaient d’origine européenne – entendons qu’ils étaient blancs – et de religion catholique. Cette thèse méconnaît trois faits bien réels. D’abord la cohabitation avec les Français dits de souche n’a pas toujours été idyllique et les communautés nouvellement arrivées ont souvent servi de boucs émissaires aux peurs sociales. Ensuite, la pseudo‐unité formée autour de la religion est totalement imaginaire ; il n’y a pas grand‐chose de commun entre la conception distendue et indisciplinée que les Français ont du catholicisme et la quasi‐unanimité mystique des Polonais. Fort heureusement, Français et immigrés se sont plus souvent rencontrés au travail, dans les clubs sportifs, voire dans les bistrots que dans les églises. Enfin et surtout, c’est la configuration du paysage français qui a changé. Jusqu’au triomphe de l’urbanisme opérationnel des années 60‐75, la France vivait dans un autre équilibre territorial entre ses campagnes, ses petites villes et ses métropoles. L’immigration se fixait de façon diffuse dans ce maillage ancien. Ensuite, la concentration de 85% de la population dans les villes a produit sur la nouvelle immigration un phénomène de magnétisme urbain alors même que nos grandes cités par leurs inégalités affichées (foncier, infrastructures, logement, services publics, etc) poussaient à la création de ghettos « offerts » aux immigrés. SPÉCIFICITÉS DE L’IMMIGRATION RÉCENTE Dans les années 1960‐2010, l’immigration vers la France s’est modifiée aussi bien en volume que pour ce qui concerne les pays d’origine. De 1960 à 1975, la demande de main d’œuvre de l’économie française ne cesse de s’accroître. Dans le secteur du BTP, les anciens arrivés venus de l’Europe du Sud ont souvent créé leurs propres entreprises et leurs enfants, intégrés par l’école républicaine, s’investissent dans tous les domaines économiques. Cependant, le besoin de bras est accru, avec l’élévation générale des niveaux de vie, dans l’industrie, en particulier dans l’automobile. Dans le même temps, l’essor des économies du sud‐européen tarit les sources traditionnelles de main‐d’œuvre et la France doit accueillir des travailleurs nouveaux. Ce besoin est très important, au moins jusqu’aux chocs pétroliers et aux premières tentatives de régulation de l’administration Giscard (circulaire Stoléru). Très naturellement, les flux migratoires vont s’organiser depuis les anciennes colonies françaises vers l’ancienne métropole. L’immigration venue du Maghreb est certes

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déjà ancienne, notamment dans la région marseillaise et pour les besoins de l’activité portuaire et de l’industrie pétrolière. Cette première vague de migrants maghrébins, encore imprégnée de valeurs communes mises à l’épreuve des deux guerres mondiales est relativement vite et bien intégrée ; des noms comme ceux de Mouloudji, d’Alain Mimoun, de Kader Firoud en témoignent. Mais la nouvelle immigration massive en provenance du Maghreb et de l’Afrique sahélienne est, nous l’avons dit, plus importante en volume et elle présente des caractères spécifiques facilitant l’intégration pour certains et la compliquant pour d’autres. Les circuits de l’ancienne colonisation étant inversés, il faut dire tout d’abord que l’immigration venue des ex‐colonies comporte en elle‐même une sorte de légitimité historique. Nul n’a souvenir du fait que la France impériale avait, d’une façon ou d’une autre, sollicité l’avis des peuples qu’elle colonisait. Il y a donc une sorte de juste retour des choses dans l’immigration venue de ces pays autrefois soumis. On pourra constater, par similitude, qu’il existe à Bruxelles une sorte d’enclave zaïroise, le quartier de Matongué d’une extraordinaire vitalité. Relevons ensuite que la France et les pays de la nouvelle immigration ont, quoi qu’en pensent l’une et les autres, une histoire commune. Il s’agit certes d’une histoire coloniale mais l’Histoire est tragique par nature et souvent violente. Il nous semble, à cet égard, qu’il ne sert à rien d’inculper le passé comme si les générations présentes devaient être écrasées sous la culpabilité (ce que Pascal Bruckner appelle « le sanglot de l’homme blanc ») de même qu’il est inutile, souvent inexact et, dans tous les cas, contre‐productif d’exalter « les bienfaits de la colonisation ». L’Histoire est écrite ; on pourra, nous l’avons dit, en modifier la lecture mais on ne l’effacera pas. Les troupes africaines de la France et de son empire colonial se partageaient en spahis et en tirailleurs sénégalais. La réalité était plus complexe mais aujourd’hui une autre vérité s’impose : par les épreuves que l’Histoire leur a imposées, la France est plus proche du Maroc ou du Sénégal qu’elle ne peut l’être de la Finlande ou de la Bulgarie dont les nationaux, s’ils résident chez nous, sont admis à voter aux élections locales. Il convient de rappeler aussi que, contrairement à l’Angleterre, la France s’était assigné une double mission de civilisation et d’intégration des peuples coloniaux. Si arrogant que puisse paraître aujourd’hui l’énoncé d’un tel projet qui dissimulait bien des intérêts économiques et beaucoup d’inégalités sociales derrière la rhétorique humaniste, il en reste au moins un acquis : la France et les pays d’Afrique émancipés ont une langue en partage ce qui n’était pas le cas des précédentes vagues d’immigration. L’intégration devrait s’en trouver facilitée… la capacité revendicative également. Tous ces facteurs d’intégration ne peuvent dissimuler une réalité commune aux pays africains pourvoyeurs de migrants : par la colonisation, ils ont été humiliés, meurtris et parfois niés dans leur dignité ou leur simple humanité. Cette réalité toujours vive est spécialement douloureuse pour l’Algérie jamais véritablement soumise et qui a connu une guerre ouverte et sanglante de huit années contre la France. Les plaies de cet affrontement terrible ne sont pas encore cicatrisées et il est puéril de se draper de façon indignée dans les couleurs tricolores lorsqu’à la faveur d’un simple match de football, les jeunes d’origine

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algérienne sifflent notre hymne national. Si la décolonisation a été moins douloureuse pour les autres jeunes nations, le roi du Maroc n’a sans doute pas oublié l’humiliante captivité de son grand‐père à Madagascar tandis que tous les autres pays savent qu’ils doivent moins leur indépendance à quelque volonté émancipatrice française qu’à la pression de l’Histoire qui cheminait depuis le retour à la souveraineté de l’Inde et la conférence de Bandoeng jusqu’aux résolutions de l’ONU sur la décolonisation. Autre trait caractéristique commun à tous les pays africains décolonisés et contraire au discours officiel de la colonisation, ces nouveaux Etats ont été abandonnés à un grave sous‐développement et, faute d’une large formation de leurs futures élites, à des pouvoirs souvent dictatoriaux qui faisaient obstacle au développement même dans les nouveaux Etats les plus riches. Les cas du Gabon et du Congo pour la France ou de la RDC pour la Belgique sont à cet égard très révélateurs. Dès 1960, l’Afrique fraîchement indépendante était déjà potentiellement exportatrice de main d’œuvre localement inutilisée. Il ne faut par ailleurs pas dissimuler au nom d’un angélisme de gauche parfaitement inopérant que les nouveaux migrants ont importé en France des références culturelles qui font obstacle à leur intégration. Pour l’essentiel, l’immigration récente provient des trois pays du Maghreb, du Mali et du Sénégal. Si ces pays ont l’islam en commun (la minorité chrétienne du Sénégal étant toutefois significative), ce n’est pas, comme on l’entend et nous y reviendrons, leur religion qui forme cet obstacle sauf lorsqu’il est caricaturé par certains extrémistes. Mais le sociologue Hugues Lagrange, peu suspect de racisme ou d’islamophobie, a montré dans une étude consacrée à l’immigration sub‐sahelienne et à ses deuxième et troisième générations que, dans ce segment de la population, la survalorisation des figures d’autorité virile et la dépréciation de l’autorité maternelle produisaient des effets mécaniques de déscolarisation et, dans certains cas, d’entrée en délinquance. Comme le note H. Lagrange dans le titre de son ouvrage, l’ignorance de cette réalité constitue un « déni des cultures ». Ceci nous amène à présenter une observation dont nous n’ignorons pas qu’elle peut faire l’objet d’une lecture polémique, surtout si le lecteur est de mauvaise foi : notre conception de l’universalisme et des Droits de l’Homme ne peut aboutir, au nom de la tolérance, à un relativisme culturel qui constitue par rapport à l’idéal républicain le début de tous les abandons. Nous avons vu plus haut, à propos d’Isabelle la Catholique, que chacun, historien ou simple citoyen, était autorisé à comparer et juger les civilisations dans la profondeur du champ historique. Nous estimons que cette liberté doit être ouverte aujourd’hui à tous les républicains. Si, par l’immigration ou d’autres voies qui peuvent être celles de la propagande que porte parfois la communication universelle instantanée (v. pour un exemple, l’église de scientologie), une communauté tente de faire vivre et prospérer dans notre pays des valeurs ouvertement contraires aux principes hérités des Lumières et de la Révolution, les républicains ont le devoir de s’y opposer avec la dernière fermeté mais également de proposer concrètement des voies d’intégration valorisant les individus originaires de l’immigration. C’est assez dire que nous sommes extrêmement circonspects devant la notion très ambiguë de multiculturalisme et résolument hostiles à toute forme de communautarisme inscrite dans la loi.

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UNE CULTURE AUX RACINES DIVERSES On nous autorisera sans doute à revenir aux « Mémoires interrompus » de François Mitterrand qui écrivait, dans ses souvenirs de prisonnier de guerre évadé, cette belle phrase : « Mon amitié pour mon pays (était) l’attache ignorée toute‐puissante, libre de peur et de déchirement qui n’a besoin, pour se révéler, que de la facilité de nouvelles rencontres ». Dans cette vision de notre communauté nationale et comme le note le philosophe Jean‐Claude Monod, « La France n’est pas une souche mais un projet, pas une race mais l’adhésion à des valeurs d’égalité, de fraternité, à la laïcité et aux droits de l’homme ». Cette simple adhésion constitue une sorte de passeport républicain : chacun est libre d’apporter sa singularité individuelle et son originalité culturelle au projet commun. Qu’on nous comprenne bien, la culture républicaine n’est pas un tronc identitaire sur lequel seraient hâtivement greffées des branches rapportées comme autant d’ajouts disparates irréductibles à la croissance d’un bel arbre culturel tendant toujours vers le haut et vers le mieux. Notre identité culturelle plonge au contraire ses racines dans les cultures les plus diverses, elle se nourrit de cette diversité et s’épanouit plus encore lorsque d’autres apports viennent accroître sa richesse, non comme des greffons mais comme un terreau supplémentaire. Un seul et simple exemple suffira à désavouer Nicolas Sarkozy lorsqu’il insiste, à des fins électorales mais aussi par croyance personnelle, sur le primat actuel de notre identité chrétienne collective : chaque Français, fût‐il catholique fervent, utilise mille fois plus souvent les chiffres apportés par les Arabes que les prières proposées par le clergé (v. infra IV). Nous avons vu, en évoquant l’histoire de notre pays, qu’au fil des siècles la France avait reçu les influences culturelles les plus diverses. Ce mouvement d’intégration permanente ne s’arrêtera jamais, comme le montre par exemple l’incorporation massive de vocables anglais dans la langue quotidiennement parlée. Quoi qu’en pensent les puristes d’une langue française en armure, cet échange correspond au mouvement de la vie elle‐ même. La simple consultation d’un dictionnaire d’étymologie suffit à prouver qu’au delà du fonds commun aux langues romanes, le français a assimilé de nombreux autres apports, qu’ils soient alémaniques ou arabes. Plus généralement, il est du destin d’un pays qui veut croire encore à son rayonnement malgré son affaiblissement international relatif de recevoir en retour, comme un écho, l’influence des peuples qu’il a voulu éclairer. Il y a, plus qu’un paradoxe politique, une simple erreur logique pour les dirigeants français qui prétendent aujourd’hui redonner à notre pays une voix audible et même dominante dans le concert international à s’effrayer simultanément ‐ ou à tenter d’effrayer les citoyens – dès que le monde qui nous entoure montre sa mobilité. Dominique Jamet, peu suspect de gauchisme, ne dit rien d’autre lorsqu’il écrit : « Au secours, immigrants à bâbord ! Gare devant, islamistes à tribord ! Sommes‐nous à ce point dégénérés que le vent de la

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liberté nous semble si redoutable » (à propos des révolutions arabes, dans divers quotidiens régionaux du 5.3.2011). Par sa géographie et ses plus grandes traditions, la France est le réceptacle de mille courants culturels qui ne cessent de modeler notre identité en devenir. Il serait facile et presque fastidieux de montrer à quel point la France s’est ouverte au métissage dans tous les domaines. Langue et littérature, nous l’avons dit, mais encore musique, cinéma et tout ce qui contribue à un art de vivre. Evoquant le patrimoine, nous avons, radicalisme oblige, souligné la richesse de la gastronomie française, émanation de nos terroirs et de nos climats. En retour, la France accessible pour le monde entier a intégré dans sa vie quotidienne les contributions les plus exotiques. Nos villes, même si elles sont de taille modeste, voient s’ouvrir des restaurants japonais, vietnamiens ou mexicains. Il ne semble pas que la façon qu’a notre pays de manger ‐ cette « frivolité » de si haute culture qu’elle a été inscrite par l’UNESCO au patrimoine de l’humanité – en ait été altérée. Et il nous plaît de noter que le couscous des repas familiaux et les merguez des barbecues estivaux ont été introduits simultanément par les immigrants maghrébins et par les pieds‐noirs ayant quitté, racines arrachées, leur Algérie native. Cette France à la culture métissée, bigarrée, nous l’aimons. La France n’est jamais si belle que lorsqu’elle se donne en partage et reconnaît par là même que les racines de son identité sont trop multiples pour que notre culture se laisse enfermer dans un conservatoire réfrigéré. Pour autant, nous n’adhérons pas aux mots d’ordre du multiculturalisme. Le terme serait acceptable s’il renvoyait précisément à la diversité des influences culturelles anciennes et à l’ouverture de notre pays à des apports nouveaux. Mais il est d’un usage dangereux. Les défenseurs du multiculturalisme sont en effet très souvent des zélateurs de la juxtaposition des communautés. Le projet républicain est un brassage permanent. Il est le contraire d’un quadrillage territorial et culturel par des communautés affranchies des devoirs civiques et oublieuses de l’avenir commun qui fonde le pacte français. CONTRE LE COMMUNAUTARISME Désormais, le multiculturalisme et le communautarisme recouvrent, dans le langage politique au moins, une seule réalité, celle de pays ayant toléré que les communautés, qu’elles soient locales ou nourries par l’immigration, se barricadent et viennent même à exiger que la loi commune leur réserve des droits particuliers. Ce mode d’organisation est celui des Anglo‐saxons de façon générale et se laisse voir mieux qu’ailleurs dans la législation canadienne. On en a un autre exemple lorsqu’aux Etats‐Unis une tribu indienne, dotée d’un territoire propre et certainement frustrée par l’histoire de ce pays, expulse comme des corps étrangers les non‐Indiens qui veulent vivre chez elle et même ceux qui sont mariés avec un Indien.

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Une société ainsi conçue comme un parcellaire cadastral où les droits et devoirs seraient différents d’un canton à l’autre et où la loi ne serait plus que la traduction du pouvoir des groupes ne peut fonctionner dès lors qu’elle est confrontée à des pressions migratoires fortes. C’est ce constat qu’ont dressé récemment les dirigeants allemands, néerlandais et britanniques. Leur modèle est en échec car il n’est pas fondé sur un vouloir‐ vivre ensemble mais sur une règle de cohabitation réduite au minimum et qu’on pourrait dénommer « soft apartheid ». Cependant, le Président de la République française a bien tort d’emboîter le pas des éditorialistes du Figaro Magazine qui saluent le constat d’échec du modèle communautariste comme un rappel à l’évidence. Selon l’un et les autres, une nation serait menacée dans son identité par l’afflux de personnes dotées d’une autre race, d’une autre langue et d’une autre religion. Ce qui est peut être vrai pour la Grande‐Bretagne dont la monarchie accepte l’existence de micro‐républiques closes indiennes, pakistanaises, sri‐lankaises ou ghanéennes ne saurait être appliqué à la France dont la tradition est totalement différente. Que le Figaro Magazine et Madame le Pen se rassurent, la France et sa culture ne sont menacées d’aucune forme de submersion. Qu’elle soit gouvernée par la gauche ou par la droite, elle applique, au‐delà des différences de discours une politique assez constante de régulation des flux migratoires. Au demeurant et contre les anathèmes construits avec des fantasmes pour exploiter le désarroi social qui a bien d’autres causes, nul étranger n’a envie de venir en France s’il n’est assuré d’y trouver, par le travail et par le respect de sa propre identité, une vie digne de ce nom. Il est juste cependant de reconnaître que le communautarisme tente toujours de se frayer un chemin pour dépasser les règles républicaines. Cette réalité qu’on peut observer notamment dans nos banlieues, signale plus l’échec de nos politiques de mixité sociale dans le logement, d’intégration par l’école républicaine et d’égal accès aux services publics qu’une volonté des communautés immigrées de faire en somme « France à part ». De plus, quand la solidarité nationale s’efface, chacun et chacune recherchent de nouvelles solidarités pour faire face à l’avenir. Les tableaux vivants et multicolores qu’offrent à Paris le marché du métro Château Rouge ou à Marseille la sortie de la mosquée le vendredi à la porte d’Aix sont à nos yeux des preuves de la capacité d’accueil d’un pays sûr de lui en ce qu’il est fort dans sa tradition républicaine. En revanche, lorsque tous les Africains de la région parisienne appellent les quartiers nord de Montreuil « Bamako sous Bois », lorsque les Chinois dénomment « Chinatown » le 13ème arrondissement de Paris, ils nous disent que nous avons laissé se constituer des ghettos et donné une sorte d’autorisation tacite à l’édiction de règles qui leur seraient propres. L’esprit communautaire, souvent très fort dans les milieux de l’immigration, est un atout lorsqu’il est synonyme de solidarité. A l’inverse, le communautarisme deviendra la pente naturelle et dangereuse qu’emprunteront les immigrés mais aussi tous les groupes sociaux qui doutent de l’intégration républicaine si la République elle‐même ne se montre pas fidèle à ses principes et en particulier si elle ne garantit pas l’égalité en droits. Dans toutes les générations précédentes, la France a démontré que son modèle d’intégration permettait à toutes les composantes du pays de se rapprocher tout en

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obtenant le respect de leurs singularités. A rechercher constamment des ennemis extérieurs ou « infiltrés » pour tenter de rassembler les Français autour des réflexes de la peur et du rejet, on aboutirait à alimenter en retour la tendance communautariste assortie des médiocres défouloirs que sont, pour les individus, la transgression sociale et, pour les groupes, la révolte dont on sent le souffle dans les émeutes urbaines. Il faut relire « Salammbô » de G. Flaubert qui commence, chacun le sait, par le festin des mercenaires à Mégara dans les faubourgs de Carthage. Le repas offert par Hamilcar n’est qu’une maigre compensation puisque la ville phénicienne qui a appelé des étrangers pour réaliser le travail, militaire en l’occurrence, qu’elle ne voulait pas faire se refuse après la guerre à payer ses soldats. La rébellion des mercenaires sera finalement matée mais on sait aussi qu’à la fin des guerres puniques Carthage sera détruite et que même ses ruines seront plus tard renversées par les Vandales. Si l’on veut bien aujourd’hui considérer la région parisienne, regarder la réalité de ses banlieues hors les quartiers chics de l’ouest, mesurer la réprobation et les inégalités que subissent leurs habitants, on verra clairement la ressemblance avec Mégara où campaient les étrangers désœuvrés et non payés. On pourra en tirer la conclusion que les civilisations bâties sur l’ouverture, l’échange (à Carthage, la navigation et le commerce) qui croient se sauver en se repliant sur leurs intérêts égoïstes ne font que programmer leur ruine. En conclusion toute provisoire de ces développements sur l’identité républicaine confrontée à l’importante question de l’immigration, nous estimons que celle‐ci doit bien évidemment être régulée à la mesure de notre capacité d’accueil mais que la plus grande urgence est celle de la remise en marche des moteurs de l’intégration républicaine et donc du travail politique à conduire pour donner un sens concret aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

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IV UNE LAÏCITÉ AU SERVICE DE LA DEVISE RÉPUBLICAINE Il est désormais banal de faire le constat que la devise républicaine n’est pas toujours respectée par la France dans sa vie quotidienne. De fait chacun peut voir que si la Révolution a inventé, pour résumer le projet républicain, le beau triptyque liberté‐égalité‐fraternité, ces valeurs ne se retrouvent pas toujours dans les rapports entre les pouvoirs et les individus ou leurs groupements, pas plus que dans les relations que les groupes sociaux entretiennent. C’est pourtant le combat pour la liberté qui a placé la France aux avant‐postes du mouvement d’émancipation dans une Europe alors dominée par des monarchies plus ou moins éclairées mais toujours autocratiques. Aujourd’hui encore, la permanence des surenchères sécuritaires ne cesse de menacer les libertés individuelles et publiques. Nous verrons que la lutte pour la liberté n’est jamais achevée et que l’évolution des sociétés elles‐ mêmes ouvre à cet égard de nouveaux terrains pour le militantisme. Quant à l’égalité, les radicaux ne la voient pas comme une uniformité des situations mais comme l’équité dans les droits et les chances. C’est pourquoi ils préfèrent à une notion parfois ambiguë le concept de justice qui désigne clairement l’objectif de renforcement permanent de la cohésion sociale dans un ensemble républicain où chacun trouverait à la fois la récompense de son mérite et le réconfort de la solidarité. C’est à l’évidence la valeur de fraternité qui est aujourd’hui la plus manifestement menacée par les faux débats sur une identité nationale peureuse, sur une immigration considérée comme une pathologie sociale ou sur la compatibilité plus ou moins grande entre les religions et le projet républicain qui leur est pourtant étranger. Plus d’un siècle après la Révolution, la République s’est en effet enrichie d’un principe vertébral, la règle laïque. C’est désormais ce principe qui éclaire notre devise nationale, qui lui donne tout son sens et impose des devoirs à notre communauté et à ses diverses représentations juridiques. Or la laïcité est aujourd’hui menacée. Il convient donc de faire un bref rappel du principe et une analyse des attaques qu’il subit.

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LA LAÏCITÉ FRANÇAISE Sous l’influence des Jacobins, la Révolution Française, bien que faite notamment contre le pouvoir du clergé, s’était orientée vers une sorte de déisme théoriquement rassembleur, le culte de l’être suprême. Ce mouvement qui revenait à subordonner les individus à peine émancipés à une nouvelle forme de transcendance, parfaitement abstraite au demeurant, n’a guère prospéré. Napoléon a mis fin à cette dérive vers une sorte de paganisme d’Etat en renouvelant les relations privilégiées de la France et du Vatican par l’établissement du concordat. Ce régime, qui inscrivait dans notre droit, un primat autrefois purement factuel, de la religion catholique romaine a duré un siècle. Il dure encore en Alsace‐Moselle même si ses effets sont tempérés par la force relativement importante des religions protestante et juive. La Restauration, bien sûr, mais la Monarchie de Juillet et le Second Empire n’ont fait qu’aggraver le système concordataire par la multiplication des contrats passés entre l’Etat et les congrégations. A ses débuts, la IIIème République elle‐même a quelquefois favorisé la religion catholique, notamment en l’associant, à des prétextes civilisateurs, à ses entreprises coloniales. Il est revenu aux radicaux – et pour notre part, nous sommes très fiers de cette ascendance politique – de poser par la loi de 1905 la règle de séparation des églises et de l’Etat, le principe de liberté des consciences et des cultes ainsi que l’impératif de stricte délimitation entre la sphère publique totalement neutre et la sphère privée abandonnée à la liberté des individus. La loi de 1905 était devenue d’une grande urgence politique puisque les congrégations religieuses prétendaient détourner à leur profit la loi de 1901 sur les associations, texte de grande liberté totalement étranger à toute préoccupation confessionnelle. Après quelques années de disputes locales entre les élus qui entendaient faire respecter la nouvelle règle législative et le clergé qui s’y opposait, la loi de 1905 est devenue la règle admise de façon quasi unanime pour la séparation des pouvoirs publics et de toutes les manifestations des choix confessionnels. Du reste, en dehors de quelques querelles durables mais anecdotiques sur les sonneries de cloches, les vifs débats des premières années portaient pour l’essentiel sur la propriété des lieux de culte catholiques dévolue par la loi à l’Etat ou aux collectivités locales à l’excellent motif que leur édification avait été payée par les recettes de l’impôt ou par l’effort contraint des citoyens. Il arrive cependant que les meilleures lois produisent des effets éloignés des intentions fondatrices. En l’occurrence, la volonté des radicaux de 1905 était clairement confiscatoire. Mais l’éloignement progressif des catholiques par rapport à l’ancienne religion officielle nationale devait produire une conséquence inattendue : l’insuffisance des revenus propres des conseils de fabrique allait amener l’Etat et les communes à financer par l’impôt l’entretien ou la restauration des édifices religieux, ce qui nous autorise à critiquer sévèrement les récentes déclarations du Président de la République associant le prestige de notre patrimoine architectural religieux à l’importance de notre prétendue identité chrétienne collective.

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Revenons cependant à la définition de la laïcité française telle quelle apparaît après ce rappel historique. La laïcité républicaine n’est pas une idéologie anti‐religieuse, une sorte de dogme dirigé contre la liberté de conscience. Tout au contraire, elle est la garantie de cette liberté. En protégeant l’exercice libre des cultes et en n’en favorisant aucun, la loi de la République protège non pas les religions mais le libre choix de chaque individu. Imaginons comme un contraste théorique la situation qui serait aujourd’hui celle de notre pays s’il était toujours, après des flux migratoires inchangés, lié de façon exclusive au Vatican. C’est pour le coup, réfléchissons‐y, qu’il serait nécessaire d’inventer de nouvelles règles juridiques, notamment pour régler les rapports entre l’islam et les pouvoirs publics. Ce n’est pas nécessaire et nous ne voyons nul besoin d’ouvrir ou de moderniser notre laïcité. Non que la laïcité républicaine soit un dogme. Elle en est l’inverse exact. Venue des Lumières et de l’esprit de tolérance voltairien, elle a été portée par l’influence philosophique et scientifique, très forte à la fin du XIXème siècle, du rationalisme, du positivisme et du scientisme. Elle n’a donc rien à voir avec une quelconque vérité républicaine révélée. Elle est certes essentiellement différente des pensées religieuses car elle est fille de la raison, laquelle s’applique à douter. La foi se doit d’être aveugle et simple ; c’est, dit‐on, celle du charbonnier. La pensée laïque, qui n’est pas à mettre sur le même plan que les pensées religieuses, mesure, s’interroge et laisse l’individu faire, face aux questions métaphysiques irréductibles à la raison, les choix qui lui apportent les réponses les plus rassurantes. Si elle protège ce libre choix, la laïcité interdit cependant que les options confessionnelles pèsent sur la délibération publique. Elle n’est pas, répétons‐le, anti‐ religieuse mais elle est délibérément anti‐cléricale. Elle s’érige en rempart de neutralité absolue contre les influences des religions sur les institutions publiques et, en premier lieu, sur l’école républicaine puisque cette école est précisément le creuset où se forge la liberté de conscience et où se fait l’intégration républicaine. Pour autant, les radicaux ne sont pas absolument hostiles à l’existence d’un enseignement privé. C’est le vieux débat entre Clemenceau et Jaurès. Nous comprenons que certains parents veuillent offrir plusieurs chances à leurs enfants. Mais notre position est simple : l’argent public ne doit jamais aller à l’école privée puisqu’il appartient à tous. Pour nous, la seule école libre est celle de la République. La laïcité n’est pas non plus une sorte de trébuchet où se pèseraient les différentes influences religieuses, charge à la loi d’en dégager la résultante et de définir ainsi les différentes règles de la vie publique comme le plus petit dénominateur commun des croyances privées. Une telle conception peut orienter les modèles sociaux communautaires mais ne saurait être le repère, devenu par nature fluctuant, de notre identité républicaine. Dans l’espace public, la laïcité est souveraine ; les choix privés lui sont indifférents dès lors que leurs manifestations ou leurs conditions d’exercice ne troublent pas l’ordre républicain. C’est pourquoi une république laïque n’a pas à se préoccuper du recensement et du classement des religions selon le nombre de leurs adeptes ou leur degré de tolérance. Au

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reste, la tolérance, qui est la méthode du dialogue républicain, est étrangère par définition aux religions, que leur expression soit modérée ou intégriste, ce qui est un autre problème. Les grandes religions du livre affirment leur vocation à l’universalité. Leur nature et leur projet fondateur débouchent donc en toute logique sur le prosélytisme qui s’est souvent opéré, au moins dans le passé, par le fer et par le sang. Quant au classement des religions sur une échelle numérique des croyances les plus répandues, c’est une statistique qui échappe manifestement aux devoirs de la République. Nous avons dit que le principe laïque érigeait un rempart de neutralité. Cette règle ne signifie pas que la neutralité de l’Etat serait passive et limitée au respect d’un armistice déjà ancien comme s’il était archivé. Elle est active. L’école, pour reprendre cet exemple, doit être protégée bien sûr des empiètements confessionnels mais également des influences économiques et partisanes. Elle est le bien commun car elle est la matrice plus que séculaire de notre identité. Il s’ensuit que l’argent n’a pas sa place comme facteur discriminant au sein de l’école ‐ et la marchandisation en cours des universités publiques doit être combattue – pas plus que la propagande politique ne peut y être admise. Et lorsque la société est agressée dans son attachement aux Droits de l’Homme par des pratiques sectaires, elle doit réagir en les combattant énergiquement. Il nous est facile, à ce stade, d’adopter le mot d’ordre que le député UMP Laurent Hénart proposait récemment : « Tout le principe de laïcité, rien que le principe de laïcité. Et sans épithète. Arrêtons de parler de nouvelle laïcité, de laïcité revisitée ou active » (entretien avec Libération, le 5 mars 2011). Nous souscrivons également à la proposition de François Baroin de rassembler en un code de la laïcité la loi de 1905, à la condition qu’elle reste inchangée, et tous les autres textes traitant de ce sujet. Pour notre part, nous proposons un résumé simple : la loi doit respecter la foi et la foi ne doit pas dicter la loi. QU’EN EST‐IL DE NOTRE « IDENTITÉ CHRÉTIENNE » ? A chaque station de son chemin de croix, à chaque étape qu’il fait et qu’il fera sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle, le chef de l’Etat, théoriquement garant de notre laïcité constitutive et constitutionnelle, ne manque pas une occasion de parler de notre identité chrétienne et d’inscrire dans sa comptabilité de la Nation française la dette que nous aurions à l’égard de la chrétienté (qu’il prononce d’ailleurs bizarrement « chrétienneté »). Soyons brutaux, cette identité chrétienne est une foutaise. Evidemment, nul ne peut soutenir sérieusement que notre mémoire n’a pas enregistré un fort apport judéo‐chrétien pas plus que nous ne pouvons prétendre renier nos racines grecques et romaines. Mais si Nicolas Sarkozy fait demain le tour de France des châteaux‐forts, devra‐t‐il faire en même temps l’éloge de la féodalité ?

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Le Président de la République oublie que la Révolution française s’est faite contre les privilèges de l’aristocratie et du clergé avant même d’être braquée en 1792 contre le principe monarchique et de substituer, en 1793, le peuple souverain au monarque souverain déjà privé de royaume. C’est que les révolutionnaires, les représentants du Tiers‐Etat n’avaient pas du clergé la vision idyllique aujourd’hui proposée par M. Sarkozy qui voit encore de nos jours un rôle plus important pour le curé que pour l’instituteur dans l’instruction morale. Le peuple français supportait depuis des siècles la dîme, l’accaparement des terres, le pouvoir séculier bien réel des évêques et des abbés ainsi que tout l’arbitraire ecclésiastique qui se donne libre carrière dès qu’il peut s’exprimer sans contredit. Pendant tous ces siècles, le pouvoir de l’église catholique s’est bâti contre les libertés et même par l’asservissement des individus. Il importe peu que le message initial d’une religion soit un message de liberté, de tolérance et de fraternité. A cet égard, on peut juger à la même aune l’ancien testament, les évangiles et le coran. Quelle que soit l’intention fondatrice, souvent louable dans son expression mais parfaitement critiquable en ce qu’elle exige la soumission à l’autorité divine, cette intention disparaît lorsqu’elle est confisquée par les clergés qui ne manquent jamais d’échanger aux individus leur liberté souvent difficile à assumer contre la prise en charge, qui est d’essence totalitaire, de leurs responsabilités avec en viatique des promesses pour l’au‐delà. Ceux qui douteraient de la réalité de ce processus de confiscation reliront avec profit « Les frères Karamazov »de Dostoïevski et particulièrement le chapitre intitulé « Le grand Inquisiteur ». Quand une religion avance un projet « libérateur », elle se dote toujours d’un clergé qui se nourrit de la disparition des libertés. Décidément non, nous n’éprouvons pas, pour notre part, le sentiment d’une dette à l’égard de la chrétienté ni celui d’avoir été modelé par une quelconque identité chrétienne même si, une fois de plus, nous savons prendre la mesure de cet apport dans notre histoire et dans notre patrimoine. Il s’agit, en vérité, d’un apport sédimenté. Des spécialistes autoproclamés nous disent que 60% des Français se présenteraient comme catholiques. Soit. Mais de quoi s’agit‐il vraiment ? Sommes‐nous autorisés à soutenir, d’une façon qui n’est qu’apparemment paradoxale, qu’une religion peut se séculariser et passer en quelque sorte d’un principe transcendantal à une série de comportements culturels ? Certes la moraine est bien visible de ce que nous appelons la glaciation chrétienne. Les jours de fêtes initialement catholiques sont intégrés à notre calendrier et chacun, fût‐il parfaitement athée, en profite sans états d’âme. La liste des prénoms « officiels » ne cesse de nous renvoyer aux évangiles mais leur usage s’opère sans aucune conscience de ce lien. Combien de Jean‐Baptiste ont‐ils été libres‐ penseurs ? Allons plus loin. Lorsqu’un Français se dit catholique, il signifie dans la très grande majorité des cas, qu’il a été baptisé, souvent marié à l’église et que, le moment venu, il sera enterré avec la bénédiction d’un prêtre. Entend‐il afficher par là son appartenance à une communauté de croyants de plus en plus réduite ? Aucunement. Il veut dire que sa famille et lui‐même observent un certain nombre de rites d’agrégation sociale devenus avant tout culturels. D’ailleurs, la plupart des Français ainsi décomptés comme des catholiques condamnent avec la dernière énergie la rigueur rétrograde avec laquelle la propagande

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vaticane refuse toujours la contraception, le droit à l’avortement ou la lutte contre le sida. Est‐on catholique lorsqu’on n’observe pas avec respect le dogme de l’infaillibilité pontificale ? Monsieur Sarkozy fait tort à notre République lorsqu’il va s’agenouiller devant le pape en sa qualité de chanoine de Latran. Il outrepasse ses droits lorsqu’il fait approuver par décret le pouvoir du Vatican d’admettre ou de refuser la validation de nos diplômes, y compris ceux que délivrent les universités catholiques où l’on est souvent très critique à l’égard de Rome. Le Président de la République nous fait du tort et il fait fausse route. Il est bien certain en effet qu’au‐delà de ses croyances personnelles, qui sont parfaitement respectables mais n’ont pas à porter leur ombre sur son discours public, l’objectif véritable de M. Sarkozy lorsqu’il encense, si l’on ose dire, notre identité chrétienne est bien de désigner a contrario des non‐chrétiens comme des ennemis d’une communauté nationale ainsi réduite à son expression la plus pauvre. Les critiques des membres de la majorité contre le « cosmopolitisme » attribué à D. Strauss‐Kahn ne sont que le mauvais masque derrière lequel on se cache pour réanimer l’antisémitisme toujours latent. Et lorsque le nouveau ministre des affaires européennes signe une tribune de presse intitulée « Assumons l’Europe des clochers ! » (6 février 2011, le Figaro), il ne dit pas autre chose que nos voisins suisses avec leur extravagante votation contre les minarets. ISLAM ET LAÏCITÉ Dans son entreprise de reconquête d’un électorat désabusé et lassé de l’absence de réponses aux véritables interrogations sociales, la majorité de l’UMP, pressée en ce sens par le Président de la République, a décidé de relancer le débat qu’on croyait abandonné sur l’identité nationale et de le faire porter plus précisément sur la question de la compatibilité de l’islam et de la laïcité. Cette nouvelle discussion intervenant peu après les débats parlementaires sur l’immigration et les dispositions relatives à la déchéance de la nationalité, l’ennemi est clairement désigné : l’immigration équivaudrait à l’importation d’islamistes, voire de terroristes et criminels de droits communs. En agissant ainsi, la droite, qui prétend de surcroît défendre la laïcité républicaine, ne fait que se placer dans la course au racisme et à l’islamophobie lancée par Madame Le Pen, devenue elle aussi, avec la ferveur des nouveaux convertis, avocate de la laïcité. Avant même l’ouverture de ce nouveau débat, la sanction de l’opinion ne s’est pas fait attendre. A courir derrière Madame Le Pen, on se retrouve en effet… derrière elle. Pour l’heure, il ne s’agit encore que de sondages d’opinion dans la perspective de l’élection présidentielle mais il est d’ores et déjà patent que le chef de l’Etat et sa majorité (dont certaines figures éminentes renâclent devant cette émulation malsaine) font courir un grave danger à la démocratie en tentant de focaliser la préparation de cette élection capitale sur des sujets de division alors que leur responsabilité, au moins pour ce qui concerne le Président, est de rassembler.

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A ce stade, les voix dominantes de l’UMP s’expriment pour se poser, à partir des singularités prêtées à l’islam et dont certaines sont bien réelles, une question apparemment candide : l’islam est‐il soluble dans notre laïcité ? Pour leur part, les radicaux ne veulent rien dissoudre des religions dès lors qu’elles respectent la loi républicaine. L’objectif du dispositif laïque n’est pas de raboter les différences, mais au contraire de les protéger dans un corps social à la cohérence accrue par ce respect lui‐même. Rien ne permet aujourd’hui de dire que l’islam poserait un problème global d’incompatibilité avec la laïcité. Ceci ne nous empêche pas de remarquer que la religion musulmane présente des particularités qui sont autant de difficultés dans l’application des règles laïques. Pour être réelles, ces difficultés ne sont pas insurmontables. La première tient au fait que l’islam ignore la distinction entre le profane et le sacré et donc la délimitation qui en résulte entre l’espace public et la sphère privée. Les principaux supports de la théologie islamique, coran et commentaires, mêlent d’ailleurs les prescriptions religieuses et les règles juridiques. Il y a là une difficulté sérieuse que des Etats musulmans ont réussi à résoudre. La Turquie d’Atatürk (ainsi que celle des actuels dirigeants islamistes dits « modérés ») et la Tunisie de Bourguiba ont imposé la séparation du religieux et du juridique et ont livré leur version de ce que pourraient être des nations à la fois musulmanes et laïques. Il est nécessaire pour nous de faire ce que Abdenour Bidar appelle « une pédagogie de la laïcité » (Le Monde 22.12.2010) en montrant aux musulmans qu’elle est au cœur de notre progrès social et qu’elle n’est donc pas négociable, faute de quoi, comme le souligne le même auteur, fondamentalistes d’un côté et xénophobes de l’autre seraient autorisés à tester en permanence par des provocations la résistance du principe laïque s’il leur apparaissait trop élastique. La deuxième difficulté importante réside dans l’absence d’organisation hiérarchique de la religion musulmane. L’Etat, habitué à la centralisation et la stricte hiérarchie par une pratique séculaire, a rodé des méthodes de dialogue avec les cultes organisés comme lui sur un mode vertical. Il n’en est pas ainsi pour l’Islam sauf dans de rares pays – le Maroc en est un – où l’autorité temporelle se confond avec l’autorité spirituelle. Or le dialogue entre les pouvoirs publics et les autorités religieuses est absolument nécessaire, notamment pour que soit convenablement garantie la liberté du culte. Jusque là, les tentatives de mise en place d’institutions représentatives des musulmans (ce qu’on désigne de la curieuse formule « Islam de France ») ont échoué soit qu’elles aient été investies par des fondamentalistes, soit qu’elles aient été manipulées par des Etats étrangers instrumentalisant leurs communautés de migrants, soit encore qu’elles aient été mises en échec de l’extérieur par des groupes, tels les salafistes, qui leur dénient tout droit en vertu d’un prétendu défaut de rigorisme. Il y a bien là un véritable problème pour la République qui sera peut‐être obligée de renoncer à ses propres habitudes centralisatrices. On peut en effet concevoir que, dans le strict respect de la loi de 1905 et dans le cadre d’instructions ou d’indications données par le ministre de l’intérieur et des cultes, les préfets et les maires soient autorisés à discuter localement, avec des responsables locaux qui seraient les imams des mosquées, des questions pratiques relatives à l’exercice du culte musulman. Un tel dispositif n’empêcherait nullement l’Etat de conserver l’instance consultative que serait un Conseil national authentiquement représentatif.

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La troisième difficulté, sans doute la plus délicate à surmonter, est à rechercher dans ce que Rama Yade appelle de façon très parlante « l’assignation à résidence religieuse ». Nous entendons dire qu’il y aurait dans ce pays six millions de musulmans. On exprime ainsi une autre réalité statistique : les immigrés venus de pays musulmans et leurs descendants seraient six millions, ce qui est, sous une lecture laïque, une tout autre réalité. Dans les pays d’islam, on ne saurait échapper à sa condition religieuse, hors les très rares cas d’apostasie. Celui qui naît dans la communauté musulmane, l’umma, y reste attaché quelles que soient ses convictions et sa pratique quotidienne. Mais cette vision du monde est totalement contraire au principe d’autonomie du sujet qui est, dans la conception universaliste, le premier des droits de l’homme. Elle n’est du reste pas toujours conforme à la volonté des intéressés, spécialement des jeunes et plus particulièrement encore des jeunes filles, qui regardent l’installation dans un pays laïque et moderne comme une occasion de s’émanciper de règles communautaires très contraignantes. La juxtaposition des deux systèmes de pensée, l’un universaliste et l’autre communautariste, ne manque pas de générer, toujours plus précisément dans la jeunesse, une sorte de crise d’identité. Aux règles souvent très contraignantes de leur famille ou de leur communauté, les jeunes gens concernés opposent leurs droits individuels. Mais lorsque la République les rappelle à leurs devoirs, ils ne manquent pas de rappeler les manquements à la devise républicaine et de se draper dans une identité collective qu’ils estiment bafouée. Pour dire le vrai, il n’y a pas de solution simple à ce problème très général. On ne peut espérer offrir aux intéressés le choix d’un destin voulu qu’au prix d’un très vigoureux effort d’intégration, notamment par la compensation des handicaps scolaires, par la dévolution de responsabilités sociales aux jeunes femmes musulmanes, par l’arrêt de la ségrégation de fait que produit le logement prétendument social, bref par une politique d’égalité effective devant le service public, égalité qui suppose, quoi qu’il nous en coûte, des politiques volontaristes pour rétablir l’équité dans les chances de chacun. Dès lors qu’on a repéré ces grandes difficultés, sans aucune intention de brimer ou d’humilier une communauté, les autres questions aujourd’hui agitées comme des chiffons rouges devant l’électorat conservateur nous paraissent justiciables de solutions simples et pratiques. Faut‐il accorder des financements publics pour la construction des lieux de culte ? A priori non car il ne nous semble pas, même si l’on montre mille fois la rue Myrrha à la télévision, que l’insuffisance de mosquées soit réelle. Ceci posé, l’inventaire des lieux de cultes et des besoins éventuels peut être conduit selon la procédure décentralisée que nous avons proposée. S’il apparaît une insuffisance d’édifices religieux réelle, nous devrons nous rappeler d’une part que l’argent public sert quotidiennement à l’entretien des lieux d’exercice des autres cultes pour les raisons historiques rappelées plus haut et, d’autre part, qu’il existe mille façons juridiques d’accompagner la construction d’un lieu de culte sans déroger à la loi de 1905. Doit‐on autoriser la construction de minarets ? Oui, bien sûr, dès lors qu’elle est conforme aux documents d’urbanisme. La première mosquée française n’a pas été comme on le croit celle de Paris mais celle de Saint‐Denis‐de‐la‐Réunion qui comporte un minaret sans que nul, chrétien, tamoul ou agnostique, n’en prenne ombrage. Le rythme des cinq

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prières quotidiennes nous parait en revanche interdire les appels des muezzins car il y aurait là un véritable risque d’envahissement de l’espace public par une manifestation de nature privée. De toutes les manières un Etat laïque n’a pas à imposer des règles architecturales à des bâtiments religieux. Y a‐t‐il lieu précisément d’autoriser les prières publiques ? Selon nous, leur généralisation doit être proscrite mais il nous semble que le problème est très circonscrit. Nous avons évoqué la situation du XVIIIème arrondissement de Paris qui choque surtout ceux qui ont envie de trouver prétexte à s’offusquer. Le fait, véritablement préoccupant car il constitue une image de ce que nous avons appelé la mosaïque communautaire, bien réel est que l’est de cet arrondissement est presque exclusivement peuplé de populations immigrées ou issues de l’immigration. Il appartient donc aux autorités municipales concernées de vérifier si l’usage privatif d’une voie publique constitue un véritable trouble à l’ordre républicain (nous l’avons dit, C. Boutin elle‐même a rappelé qu’on ne faisait pas autant de ramdam, si l’on nous permet, à propos des très nombreuses processions catholiques traditionnelles) et d’étudier si, dans le cadre de la loi, il est possible d’apporter une réponse positive au besoin d’un lieu de culte approprié. Dans les très grandes entreprises (par exemple Renault à Flins) ou dans les aéroports, la question a été résolue sans fracas par de simples règlements d’entreprises ou aménagements de locaux. Peut‐on tolérer que, dans les mosquées, le prêche soit donné en arabe ? Evidemment oui, n’en déplaise à M. Copé qui ne pense pas à vérifier le contenu latin des messes traditionalistes. Dès lors que les manifestations religieuses se déroulent dans des lieux clos, elles ont un caractère privé dont seules les menaces avérées à l’ordre public permettraient aux maires, ou à défaut aux préfets, de les limiter dans le cadre de leur pouvoir de police. Est‐il nécessaire de prévoir des secteurs ou des menus spécifiquement halal dans les cantines scolaires ? Non. Même si les grandes compagnies aériennes – Air France parmi les premières – ont fait à leur clientèle fortunée la bonne manière de garantir leur repas « sans viande de porc », il nous semble qu’une trop grande tolérance sur ce point aboutirait à un incessant déferlement de revendications, végétariens ou végétaliens n’étant pas les derniers à se joindre dans cette hypothèse aux parents musulmans, juifs, catholiques ou témoins de Jéhovah. Si elle est heureusement assez généralisée, la restauration scolaire n’appartient pas à l’impératif public de scolarisation. Certaines écoles ou certains élèves sont de fait privés de toute cantine. Les parents qui en auraient la possibilité sont donc libres d’organiser eux‐mêmes les repas de leurs enfants ; les autres peuvent compléter le menu scolaire par des plats apportés par leurs enfants. Du reste, le coran quand il n’est pas lu par des intégristes, autorise mille dérogations aux règles religieuses pour le malade, pour le voyageur, pour les petits enfants qui ne sont tenus, ni à l’obligation du jeûne du ramadan ni, lorsqu’elles sont impossibles, aux cinq prières. Il arrive que les religions fassent preuve de raison. La règle générale de mixité des équipements sportifs publics et particulièrement des piscines doit‐elle être maintenue ? Oui, absolument oui. Toute exception organisée par les pouvoirs publics locaux équivaut là encore à une assignation à résidence forcée des jeunes filles musulmanes qui n’auraient plus que le choix d’être « putes » ou soumises.

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Devra‐t‐on accéder aux exigences des femmes musulmanes – mais plus souvent de leurs maris, pères ou frères – de voir les soins hospitaliers que leur santé réclame exclusivement pratiqués par des femmes ? Il n’en est pas question. Quelles que soient la compétence et la compréhension des femmes médecins, le fait de céder sur ce point équivaudrait à donner une prime à l’obscurantisme, comme si le corps médical consentait au rigorisme des sectes qui refusent vaccinations et transfusions. Si chacun et chacune est libre de choisir son médecin au quotidien, on ne peut pas accepter une attitude discriminatoire en situation d’urgence et surtout pas à l’hôpital public. LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ SOUS L’ÉCLAIRAGE LAÏQUE Notre laïcité apparaît, à ce stade, comme une exigence républicaine. Allons plus loin : nous estimons que c’est elle qui depuis un siècle a donné une signification plus forte à la devise de la République. Elle sert évidemment la liberté des choix de conscience, nous l’avons dit. Elle la sert doublement puisque les religions bénéficient de la double protection des lois de 1901 et de 1905 : la loi de séparation protège directement la liberté des cultes alors même que les associations d’inspiration religieuse bénéficient, dans la limite du droit commun, de la grande loi de 1901. La laïcité est encore une protection pour la liberté d’enseignement. Quoi que nous en pensions par ailleurs, et nous n’y sommes guère favorables dans le principe, les dispositions de la loi Falloux ou le système du contrat d’association au service public éducatif, deux mécanismes qui profitent à l’enseignement religieux, peuvent être étendus demain à tous les établissements musulmans. Nous avons vu aussi que lorsque les immigrés ou leurs enfants sont désignés à la vindicte publique, quand on les range avec violence sous le vocable « racaille », c’est encore la laïcité qui vient au secours de la liberté et qui doit inspirer tous ceux qui militent contre les surenchères sécuritaires dictées par le racisme et par la xénophobie. Ce combat n’est jamais terminé. La liberté, notre bien le plus précieux, doit être toujours défendue et toujours étendue. Mais les libertés les plus modernes sont également protégées par la laïcité, notamment dans le domaine de la bioéthique. Rappelons‐le, la laïcité républicaine est une pensée de l’émancipation individuelle ; elle est fondée sur l’autonomie du sujet soustrait à toutes les formes d’autorité qui ne seraient pas d’essence républicaine. Le philosophe Michel Onfray, athée et militant laïque, a montré dans son ouvrage « Fééries anatomiques » à quel point le principe laïque s’opposait à la pensée chrétienne en autorisant des progrès de société sur le droit à l’avortement, sur la contraception, sur le génie génétique, la sélection des embryons, la transgénèse, le clonage à but thérapeutique ou encore le droit de mourir dans la dignité (voir sa tribune dans Le Monde du 7.03.2011). On voit par ces nombreux exemples que la laïcité est synonyme de libération.

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Le deuxième terme de notre devise nationale, l’égalité, est sans doute celui que l’exigence laïque éclaire de la lumière la plus forte. Et nous sommes contraints de dire que, pour ce qui concerne le principe de justice, la République est bien loin de se conformer à ses devoirs. Nous ne sommes évidemment pas défenseurs d’une égalité des situations individuelles, de cet égalitarisme qui suppose, l’Histoire l’a démontré, nivellement, collectivisme et, à la fin, totalitarisme. Pour les radicaux l’égalité est celle des droits et des chances et c’est pourquoi ils estiment que le moteur du progrès n’est pas la lutte des classes mais la mobilité sociale fondée sur le mérite. Ceci posé, il reste que, dans le grand chantier de luttes contre les inégalités, la République est en échec. Elle accuse, nous l’avons vu, toute une partie du corps social d’être tentée par une recherche d’identité du côté des pratiques religieuses extrémistes alors même qu’elle pousse à cette marginalisation et à ce découpage communautariste en refusant de créer ou de recréer les conditions de l’égalité. Le choix d’un urbanisme concentrationnaire fondé sur le tout locatif (les pauvres n’auraient pas les moyens d’accéder à la propriété) a rejeté des pans entiers de notre population, nationaux et immigrés confondus dans les marges d’une société où ils ne se reconnaissent plus. Contre ce véritable chancre social, les innombrables annonces sur une véritable politique des banlieues (logement donc mais aussi et peut‐être surtout égalité devant les services publics) n’ont été suivies d’aucun effet et les derniers remaniements ministériels semblent même présager d’un abandon total des projets de réhabilitations des banlieues. Le calcul est clair et se laisse bien voir dans les politiques fiscales : les habitants des quartiers en difficulté sont au pire des opposants irréductibles, au mieux des abstentionnistes que le mépris de l’Etat a découragés ; il est donc infiniment plus payant de flatter les beaux quartiers et de concentrer le discours public sur la reconquête des classes moyennes. C’est une fois de plus la politique de la division qui l’emporte contre l’impératif de rassemblement. Le domaine le plus préoccupant lorsque l’on fait le constat de la désertion de l’Etat dans le combat pour l’égalité reste toutefois celui de l’école puisque c’est précisément là que se mesure la capacité de la République à se régénérer et à s’enrichir en permanence. D’innombrables auteurs dont le talentueux François Bégaudeau avec son livre « Entre les murs » ont montré que ce chantier était immense mais que le combat pour l’école publique n’était pas perdu d’avance. Même si nous avons quelques réserves quant à la dénomination, nous estimons indispensable une politique volontariste de correction des inégalités. Il ne s’agit au demeurant pas d’adopter la conception américaine de droits supérieurs pour combler un handicap ; nous voulons rétablir l’égalité des chances. Un exemple simple l’illustre ; il est fondé sur la comparaison entre les établissements de grand prestige tels que Louis le Grand ou Henri IV et n’importe quel collège ou lycée de banlieue. Si l’on développe dans cette comparaison les rapprochements strictement budgétaires portant sur le coût du foncier, sur la valeur des constructions et de leurs équipements ou sur la rémunération des professeurs (concentration d’agrégés d’un côté, affectation massive de débutants ou de remplaçants dans l’autre), la disproportion financière apparaitra pour ce qu’elle est, une intolérable inégalité. Nous pensons, dans ce cas, que la politique d’autonomie tellement vantée par ailleurs et notamment pour les universités, doit aboutir à l’allocation aux différents établissements de crédits rétablissant une équité simple et impérative : chaque élève doit bénéficier, dans un niveau scolaire donné, de la même contribution en argent public. Dans le même esprit, il nous apparaît que le renchérissement

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du coût des études universitaires, spécialement dans les filières dites « professionnalisées » en ce qu’elles sont d’ores et déjà ouvertes à l’appétit des entreprises, est extrêmement discriminant pour les populations défavorisées, pour les jeunes orientés vers des formations dépourvues de débouchés. C’est aussi dans le rétablissement de l’égalité universitaire que la République sera jugée. Nous sommes par ailleurs favorables à l’expérience, apparemment heureuse, des internats d’excellence et à leur généralisation ; nous approuvons également, avec certes des réticences de principe que le pragmatisme oblige à oublier, les procédures d’admission sur dossier dans les grandes écoles républicaines. L’exigence laïque ne serait pas satisfaite si nous venions à oublier une autre inégalité, plus vaste encore. La laïcité interdit à la République de distinguer les citoyens en fonction de leur religion ou de leur race mais également à raison de leur sexe. Or l’inégalité de fait entre les hommes et les femmes demeure l’un des plus graves échecs de notre pays ; il se laisse voir par la faiblesse des effectifs féminins dans la représentation politique. Là encore, les laïques de stricte observance nourrissaient quelques réserves à propos de l’introduction de quotas. Force est cependant de constater qu’à moins d’une improbable révolution culturelle, le mécanisme des quotas féminins est à court terme le seul efficace et doit être étendu à d’autres secteurs de la vie sociale tels que l’encadrement des entreprises publiques ou la composition des conseils d’administration des entreprises privées. Il n’y a pas de miracles à attendre d’une prise de conscience spontanée dans un domaine où nous héritons d’un sexisme plurimillénaire. La fraternité républicaine est mise, elle aussi, au défi de la laïcité. Elle signifie tolérance à la différence, ouverture à l’autre. Qu’en est‐il dans la réalité vécue par nos concitoyens ? Les médias nous proposent jusqu’à la saturation le spectacle caricatural d’un pays frileux, replié, peureux et volontiers porté à désigner des boucs émissaires porteurs de toutes ces inquiétudes. La France ressemble‐t‐elle vraiment à ce portrait ? Sont‐ils racistes ou xénophobes ces Français qui font état régulièrement de leurs préférences : leur personnalité favorite ? Yannick Noah ; leur sportif préféré ? Zinedine Zidane ; le présentateur le plus intéressant ? Harry Roselmack ; l’animateur le plus doué ? Nagui. Où sont donc passés le chauvinisme petit blanc et le racisme supposé de nos concitoyens ? Si l’on veut bien ne pas s’arrêter au cas, intéressant mais marginal, des footballeurs d’origine africaine, des sprinteuses guadeloupéennes ou des rappeurs d’origine maghrébine, on peut faire le constat que la France sait être un pays de haute fraternité. Elle est belle, cette France qui donne à l’Antillais Félix Eboué l’occasion d’enraciner la résistance dans le dispositif colonial Pétainiste. Elle est belle, cette nation qui confie au Guyanais Gaston Monnerville la présidence du Sénat. Elle est belle, cette République qui se reconnaît dans l’actrice Isabelle Adjani, qu’elle incarne la reine Margot ou qu’elle porte la lutte contre le sexisme et l’intégrisme en exigeant une « journée nationale de la jupe ». Elle est belle, cette opinion publique nationale qui porte Rama Yade au pinacle des sondages. Non, la France ne ressemble pas à sa caricature.

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Nous ne sommes pas pour autant de ceux qui condamnent la vision nostalgique proposée quotidiennement par le journal de TF1. De métiers disparus en résistances rurales ou en révoltes individuelles contre les bureaucraties, le tableau ainsi dessiné correspond bien à la mémoire d’une France qui aime aussi à vivre dans ses souvenirs. Mais face à l’urbanisation et aux défis de la modernité, cette peinture fonctionne en réalité comme ces écomusées où les touristes viennent chercher la photo jaunie de leur passé collectif. On peut avoir toutes les sympathies pour le boulanger en tournée dans la Creuse ou pour le dernier sabotier de Savoie. On peut même attendre des pouvoirs publics des aides au maintien des activités en milieu rural, puisque c’est là encore une des concrétisations du principe d’égalité. Il reste que la vie quotidienne des Français est désormais organisée de façon différente. Elle est établie dans ce milieu urbain où la prétendue unité nationale comprise dans son sens restrictif est confrontée à chaque instant à l’altérité, à la différence sociale ou religieuse. D’ailleurs, ces Français que l’on voudrait prompts à l’ostracisme répondent, chaque fois qu’ils sont sollicités, que leur existence quotidienne dépend en bonne partie de l’activité développée par les populations immigrées. Celles‐ci ne se laissent pas réduire à la figure désormais bien ancrée dans le paysage urbain de l’épicier arabe. Les Français savent que dans d’innombrables domaines (cueillettes agricoles, industrie automobile, services urbains, etc.) ils dépendent de cette activité, sans même évoquer les effets chaque jour plus visibles du métissage dont nous savons tous qu’il fait aujourd’hui la puissance d’un pays comme le Brésil. Enfin, nous ne serions pas complets sur cette question de la fraternité si nous oubliions de souligner que le racisme prêté aux Français serait, s’il était avéré, une insulte à tous nos compatriotes d’outre‐mer qui illustrent, par leur engagement constant au service du pays et par leur attachement sans cesse manifesté à la nation dont ils sont l’un des multiples visages, le meilleur de la conception française de la nationalité. C’est pourquoi nous est venue une sorte de colère quand nous avons vu que de très médiocres spéculations électorales amenaient des responsables politiques éminents à lancer des débats dont la peur et la haine deviennent inévitablement les moteurs. Que la droite, si elle est républicaine, abandonne ces thèmes à l’extrême droite, sinon elle récoltera le mauvais grain qu’elle a semé. Elle aura surtout compromis la vision collective élevée et exigeante de l’identité de notre République.

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V UNE IDENTITÉ AUX MANIFESTATIONS MULTIPLES Il n’était pas question pour nous de traiter ici la totalité des questions que posent les notions constitutives de l’identité, les sujets liés à la mémoire collective ou au patrimoine, les réflexions publiques sur les migrations ou encore les retentissements de l’idée laïque sur les valeurs fondatrices de la République. Cependant, le survol que nous en avons fait montre, s’il en était besoin, que l’identité de notre pays est riche et complexe et ne se laisse pas enfermer dans le strict corset d’une vision restrictive de la communauté nationale. Avant de revenir aux différents étages où se manifeste l’identité républicaine, il nous faut rappeler une vérité basique souvent perdue de vue lorsqu’on veut faire émerger la figure d’une identité compacte et essentiellement différente d’autres ensembles nationaux. Cette vérité élémentaire tient en un constat : si séduisante que puisse être l’idée assez abstraite d’une Nation homogène et soudée, nul ne doit oublier que l’ensemble national est d’abord composé d’individus. Quand d’autres philosophies politiques privilégient la collectivité par rapport aux hommes et aux femmes qui en font la réalité charnelle, le radicalisme s’est toujours présenté comme la gauche qui défend l’individu libre, responsable et solidaire. Nulle collectivité n’a la légitimité de détruire un seul individu. C’était le sens même de l’abolition de l’esclavage puis de la peine de mort. Nous savons ce que la République doit à l’invention révolutionnaire du « peuple souverain ». Il s’agissait par la réanimation du principe de souveraineté de substituer à la monarchie une force juridique supérieure dans sa manifestation collective mais similaire dans son appellation. Cette vision du nouveau monde impliquait presque mécaniquement la décapitation de l’ancien monarque afin qu’advienne le règne du nouveau souverain. Tout considéré, et même si nous assumons la prise en charge de l’intégralité de l’héritage révolutionnaire, il nous semble que la notion de peuple souverain est relativement pauvre surtout si elle est comparée aux prescriptions des philosophes des Lumières. Nous n’oublions pas qu’au frontispice de son « Léviathan », Thomas Hobbes représentait le monstre du pouvoir comme une immense silhouette dessinée seulement par l’addition uniforme des individus. Nous constatons aussi que la fiction du peuple souverain n’a pu devenir opérationnelle dans le champ politique que par les mécanismes de la démocratie représentative dont chacun – même ceux qui la portent en estime, et nous sommes de ceux‐ là – peut voir aujourd’hui les limites telles qu’elles sont tracées par l’appel de nos concitoyens à des formes de démocratie directe et participative qui leur restitueraient un pouvoir permanent de contrôle des élus. Enfin, nous voyons fondamentalement que l’unité irréductible de la condition humaine suppose que l’Homme, c’est‐à‐dire l’individu et non une statue désincarnée de l’humanité, puisse à chaque instant faire valoir sa liberté contre la

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puissance de la collectivité. Nous croyons avec le philosophe Alain que la démocratie n’est pas le pouvoir de la majorité mais le règne du droit. Cette conception, spécifique aux radicaux dans la gauche française, nous amène ici à souligner le fait que l’identité républicaine passe avant tout par le respect de chaque identité individuelle et que ce respect est par lui‐même la condition du maintien et de la solidité du contrat social. LES SOLIDARITÉS LOCALES Nous avons déjà indiqué que l’identité républicaine n’était pas seulement nationale mais que par l’histoire de nos paroisses devenues des communes, de nos départements, de nos provinces devenues régions, l’identité du pays était constituée aussi de milliers d’identités locales, toutes singulières, toutes compatibles et même complémentaires. Dans les années 70 (avec notamment la loi du 16 juillet 1971 sur les fusions autoritaires des communes) et même au début des années 80 et de la gauche de gouvernement, la mode était à la suppression des petites communes sous la suggestion des théoriciens de la DATAR alors encore tout‐puissants. Le modèle proposé dans cette période était la nouvelle organisation administrative belge où l’on avait, d’un coup de baguette bureaucratique, supprimé 80% des communes. On peut voir aujourd’hui où en est rendu l’Etat belge, nous y reviendrons dans un instant. A cette époque, François Mitterrand, leader de l’opposition puis Président de la République opposait à cette volonté de « modernisation » une résistance farouche que beaucoup, à gauche notamment, jugeaient passéiste. La simplicité n’est pas toujours un simplisme et son raisonnement était simple : avec plus de 36. 000 communes, la France était dotée d’un réseau irremplaçable de quelque 550.000 élus locaux bénévoles ou quasi‐ bénévoles qui veillaient dans leurs collectivités parfois minuscules, à renouer le lien social distendu ou déchiré par les nouveaux modes de vie, par la disparition progressive des services publics en milieu rural et, plus généralement par la désaffection à l’égard du bien public. Les trente années écoulées depuis ces débats lui ont donné entièrement raison. Plus que jamais, les communes sont, comme on l’a dit souvent, les écoles de la démocratie mais aussi les collectivités de base de l’édifice républicain. Ne touchons pas à ce bien précieux. Les communes ont su organiser, par leurs syndicats ou leurs communautés, le regroupement des fonctions mieux assurées à un niveau supérieur. Mais pour le reste, elles demeurent, grâce pour les petites d’entre elles aux figures associées du maire et de l’instituteur‐ secrétaire de mairie, le niveau où, d’une part, chaque individu a la satisfaction d’être clairement identifié et où, d’autre part, chaque citoyen peut présenter aux pouvoirs ses propres revendications. Les communes de France sont une richesse magnifiquement protéiforme. En 1970 encore, les penseurs de l’aménagement du territoire développaient leurs très ambitieux projets de villes nouvelles avec un argument parfaitement technocratique : en deçà de 250.000 habitants, une ville ne « fonctionnait » pas… Auraient‐ils consulté leur

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grand‐mère ou le maire de leur village d’origine qu’ils en auraient reçu la réponse du bon sens : c’est plutôt au‐delà de 25.000 habitants qu’apparaissent les pathologies urbaines. Le bon sens l’a emporté dans les faits et il a bien fallu à Cergy, à St Quentin, à Melun‐Sénart et plus encore à l’Isle d’Abeau réduire la voilure qu’avaient déployée les aménageurs‐ déménageurs. Nous sommes tentés de dresser le même constat pour les départements si vivement décriés dans les débats actuels sur la prétendue complexité excessive de notre organisation territoriale. Nés du souci révolutionnaire et napoléonien d’une administration efficace par sa déconcentration, ils ont acquis avec la loi de 1871 et les lois de décentralisation de 1982‐ 1983, une légitimité politique dépassant l’ancien cadre juridique. Quoi que pensent les populations urbaines d’un découpage cantonal souvent peu visible, le canton, circonscription électorale et niveau de base de l’administration d’Etat, constitue, bien sûr pour le monde rural mais aussi pour les départements moins massivement urbanisés, un étage fort de la solidarité républicaine. Avant les abandons récents de pans entiers de l’administration d’Etat, le canton accueillait le subdivisionnaire de l’équipement, la poste principale, la gare très souvent, la perception, le médecin, le pharmacien, le notaire, tous ces services et métiers de proximité indispensables à la cohésion sociale. Quant aux départements eux‐mêmes, ils demeurent des cadres pertinents quoi qu’en pensent les pseudo‐modernistes. Les Français sont attachés à leur identité départementale même dans ses manifestations les plus anodines et même dans les régions les plus homogènes. En Savoie, française depuis cent cinquante ans seulement et où siégeaient ces comtes qui allaient devenir rois de Piémont Sardaigne, on se juge encore différent selon qu’on est de la Savoie proprement dite tournée vers l’Italie ou de la Haute‐Savoie ouverte sur la Suisse, et dans les communes partagées entre la Savoie et l’Isère, ancien Dauphiné, les vieux savoyards lorsqu’ils traversent un simple pont disent encore : « Je vais en France ». C’est une erreur face à l’Histoire et au regard de la cohésion nationale de vouloir contraindre, comme l’a fait la majorité ces dernières années, à la disparition de départements qui ont su, eux aussi, inventer des coopérations interdépartementales et même transrégionales chaque fois qu’une telle association était utile. L’exemple de la réunion au niveau départemental des missions d’aide sociale montre que ce secteur essentiel a gagné à être animé à une échelle territoriale où la connaissance du terrain et les relations humaines sont capitales. Un dernier argument, qui paraîtra peut‐être anecdotique, en faveur du département. Même en milieu très urbanisé, le département contribue à l’identité. N’importe quel jeune de Seine‐Saint‐Denis ou du Val d’Oise pourtant limitrophes pourra témoigner du fait que le « 9.3 » ou le « 9.5 » sont des entités extrêmement différentes. Si elles sont de création plus récente dans leur configuration politique actuelle, les régions méritent les mêmes égards. Nous estimons certes que les grandes régions telles que l’Ile‐de‐France, Rhône‐Alpes, PACA ou Midi‐Pyrénées ou les régions très homogènes comme l’Alsace, la Bretagne ou la Corse sont mieux armées notamment pour l’accès direct, peu encouragé par l’Etat français, aux instances européennes. Il demeure que d’autres régions plus petites ou apparemment composites sont peuplées de citoyens qui vivent de façon positive leur identité régionale souvent issue de l’ancien maillage provincial. Quand les

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bureaux parisiens menacent de diviser la Picardie entre Nord‐Pas‐de‐Calais, Champagne Ardennes et Ile‐de‐France, on peut assister à une éruption de « patriotisme » picard très farouche et très sympathique. Aujourd’hui, les compétences entre les différents étages de la construction républicaine sont assez clairement réparties. Dans le seul domaine de l’instruction publique, les communes avec leurs écoles, les départements avec leurs collèges et les régions avec leurs lycées ont montré qu’elles étaient mieux à même que l’Etat d’assumer cette responsabilité essentielle, même si les impératifs d’égalité et de cohésion imposent que la gestion des personnels et la dévolution des diplômes demeurent dans la compétence étatique. La décentralisation devra toutefois être approfondie et une nouvelle approche de la fiscalité devra être étudiée au profit des collectivités territoriales et au détriment de l’Etat alors que nous avons assisté récemment à un mouvement inverse. Plus largement, à l’heure où plus aucun danger extérieur ni aucune force locale centrifuge (pas même en Corse, quoi qu’on en dise) ne menace l’unité nationale, il nous paraît vital pour l’identité républicaine que l’Etat laisse respirer les libertés locales et profite de la riche addition des identités singulières de nos collectivités. UNE NATION RÉPUBLICAINE TOUJOURS ACTUELLE Les débats sur l’identité nationale, s’ils sont dévoyés, ne peuvent pas déboucher sur la conclusion que la Nation, cadre forgé par l’Histoire mais également ouvert sur l’avenir, serait devenue sans intérêt collectif. Nous observons que même les organisations internationales mondiales, la Société des Nations, voulue par le radical Léon Bourgeois et l’Américain Woodrow Wilson, ou l’organisation des Nations‐Unies n’ont pas voulu renoncer à ce concept qui permet à leurs membres de s’identifier de façon forte et qui place chaque Etat sur un pied d’égalité en ce que la volonté de se représenter comme une nation est plus importante que les formes de représentation politique empruntées par cette volonté. Quels que soient leurs régimes, les nations sont égales, en théorie du moins, dans le concert international. Il serait donc sans intérêt et même nocif pour la France de jeter en quelque sorte la Nation avec l’eau du bain nationaliste. Les Français sont d’autant plus attachés à leur idée nationale que la construction européenne (v. infra) et la mondialisation (v. infra), si elles apportent de fortes espérances, génèrent de réelles inquiétudes. Dans ce contexte, la Nation apporte un ensemble de repères stables. Elle permet de surcroît de consolider en permanence la cohésion sociale par les comparaisons identifiantes qu’on opère avec les nations voisines. Pour le dire simplement, l’amitié franco‐allemande est d’autant plus forte que la France est plus française et l’Allemagne plus allemande. Dans ces comparaisons, les Français aiment à se reconnaître dans une image collective qu’ils jugent positive, même si ce jugement n’est pas

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dénué de chauvinisme comme le signalent les appréciations un peu différentes de nos voisins. La France est de surcroît un Etat mono‐national puisque la conception française de la nationalité est intégrative et non exclusive. L’exemple, qu’il vienne de la grande querelle des nationalités en Europe centrale au XIXème siècle ou du démembrement de l’Etat yougoslave pluri‐national dans un passé récent, de la désagrégation des pays qui ne sont pas riches de cette identité commune renforce naturellement les Français dans la volonté d’offrir au monde l’image d’une Nation soudée et forte. A nos portes, les citoyens belges, dans leur majorité, montrent, au‐delà des querelles qui opposent leurs factions politiques, leur attachement à un Etat et à une nationalité qui sont pourtant de fraîche extraction pour avoir été créés par des puissances extérieures et de façon artificielle en 1830 seulement. Dédaignant le débat linguistique, puissante résurgence des critères objectifs de nationalité, les Belges souhaitent continuer d’appartenir à la même nation. Le pronostic est réservé. Rapprochée de ces exemples, la France, plus ancienne nation du continent européen est bien fondée à regarder cette ancienneté et cette permanence comme de puissants atouts. Pour avoir évoqué ci‐dessus l’importance des identités individuelles et des solidarités locales, nous pensons cependant que la Nation est plus que l’addition de ses composantes. Elle est, dans le temps, une longue mémoire historique, ainsi qu’un vaste projet d’avenir. Dans l’espace, elle transcende les communautés qui se sont agglomérées pour la former et se trouve, de ce fait identifiée à l’étranger comme une puissance plus considérable que ne le serait la simple juxtaposition de collectivités non cimentées par l’idée nationale. Bref, à nos yeux, lorsque la Nation n’est pas érigée en statue monolithique commandant le respect, lorsqu’elle reste une forme vivante et ouverte, lorsqu’elle n’alimente aucun nationalisme, aucun bellicisme dirigé contre les autres nations, lorsqu’elle honore ses principes et qu’elle tolère les différences, lorsque cette nation‐là demeure républicaine, elle nous paraît susceptible d’assurer longtemps encore l’ancrage des individus dans une belle vision de leur peuple. La Nation ne restera cependant un concept pertinent et fort que si elle assure sa cohésion par une solidarité active et par la justice sociale. Nous pensons qu’il est plus que jamais utile d’actualiser la doctrine radicale solidariste en favorisant le mutualisme et le capitalisme coopératif. La fiscalité devra également traduire cet objectif par une répartition beaucoup plus juste de l’effort civique dans la lignée, radicale elle aussi, de l’invention de l’impôt progressif sur le revenu à une époque, celle de Joseph Caillaux, où l’on ne parlait pas de bouclier pour dissimuler les privilèges. Une question importante reste également posée. Si elle demeure effectivement vivante, la Nation ne peut rester éternellement figée dans les formes autrefois mouvantes que l’Histoire lui a données. Une des caractéristiques essentielles de la nationalité française – beaucoup d’autres nations étant pareillement organisées – réside dans l’association totale entre la nationalité et la citoyenneté. Nous avons pourtant évoqué le cas de ces grandes figures étrangères venues contribuer à l’Histoire de France et ayant ainsi gagné leurs

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« galons » de citoyens de la République. Nous aurions pu, à l’inverse, évoquer la période coloniale où, jusqu’à la constitution de la IVème République et plus complètement jusqu’à la loi‐cadre dite Deferre, la nationalité n’était pas synonyme d’entière citoyenneté. Le mécanisme du double collège électoral a longtemps contribué à déformer la représentation politique. Au Sénégal, seules les cinq anciennes communes colonisées dès le XVIIème siècle connaissaient des droits civiques pleins. En Guyane aujourd’hui encore, les Amérindiens ne bénéficient pas d’une pleine citoyenneté. En Alsace‐Moselle, comme à Wallis‐et‐Futuna, l’enseignement est pour bonne partie placé sous l’autorité des églises. En Nouvelle‐ Calédonie comme à Mayotte, les lois civiles et les statuts personnels ne sont pas ceux de la métropole. Ces exemples ne sont mobilisés que pour démontrer à quel point le principe fondamental d’une équation parfaite entre nationalité et citoyenneté a souffert et souffre encore de très nombreuses exceptions. Nous en avons créé une autre, parfaitement logique au demeurant, en donnant par traité et donc avec réciprocité le droit de vote aux élections locales aux nationaux des Etats membres de l’Union Européenne résidant en France de façon durable. Loin de nous l’idée de critiquer ce progrès évident ; il s’agit seulement de montrer que l’alliance de la nationalité et de la citoyenneté n’est pas en airain. L’exemple des citoyens qui possèdent deux nationalités, voire plus, à l’image d’une des candidates déclarées à l’élection présidentielle, démontre également qu’il n’y a pas entre les deux notions de lien logique indépassable. Il est temps, nous semble‐t‐il, d’aller plus loin. Sans méconnaître la dimension polémique de la question et l’exploitation que la mauvaise foi peut en faire, nous pensons nécessaire et particulièrement utile en ces temps d’interrogation sur l’identité nationale, de répondre de façon clairement positive à l’éternel problème du vote des étrangers résidant durablement et bien sûr légalement dans notre pays. Alors que beaucoup de ces étrangers ressentent comme la preuve d’une hostilité du « corps français traditionnel » (Gérard Longuet dixit) ou même d’une franche agressivité les débats sur l’Islam, sur la laïcité, sur l’identité chrétienne, il y aurait là un signal fort : la nation française reste fidèle à l’idéal républicain. Nous ne sommes pas même certains que le droit de vote des étrangers, Européens et autres, doive être dans l’avenir limité aux scrutins locaux. Le premier jalon de la démocratie moderne a été posé en Angleterre lorsque le Parlement a reçu le pouvoir de délivrer des autorisations budgétaires. Par leurs représentants, les électeurs pouvaient décider de la recette fiscale et de son affectation. Il nous semble donc que toute personne acquittant des impôts même indirects doit être admise à voter pour ceux qui délibèrent sur leur utilisation. Nous n’avons, par cette proposition, aucun souci de provocation, mais la simple volonté d’enregistrer une évolution de la notion de citoyenneté et d’ouvrir, pour l’avenir, un débat dont les termes devront bien sûr être longuement mûris. En montrant qu’elle est toujours capable de s’ouvrir et de tolérer l’altérité, la nation française renforcera sa légitimité. Elle l’affaiblira chaque fois qu’elle s’organisera de façon défensive en se cherchant toujours, à l’extérieur mais aussi à l’intérieur, de nouveaux ennemis.

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LA MAISON COMMUNE EUROPÉENNE Le projet d’une Europe surplombant ou dépassant les nations ou les Etats est ancien. C’était l’orientation du Saint‐Empire et, nous l’avons dit, celle des grands ordres monastiques transnationaux. C’était le rêve des ducs de Bourgogne et de Charles Quint avant d’être celui des Habsbourg. C’était la folie de l’Allemagne Hitlérienne. Mais les Européens n’ont pas que de mauvais souvenirs communs. L’Europe existait déjà lorsque s’établissaient, à la fin du Moyen Age, les réseaux de la connaissance diffusée par les universités de Londres à Milan, de Madrid et Lisbonne jusqu’à Cracovie, en passant toujours par Paris. Elle s’esquissait aussi dans les échanges philosophiques ou scientifiques entre Léonard de Vinci, Erasme ou Copernic et, plus tard, Giordano Bruno et Galilée ; l’Europe pensait alors contre le cléricalisme. L’Europe s’inventait lorsque les découvertes des Nouveaux Mondes se donnaient en partage à Sagres, à Venise, ou à Saint‐Dié‐des‐Vosges. Et l’Europe allait rayonner de toutes ses forces retrouvées et de sa culture ouverte pendant la Renaissance alors même que les marchands génois, pisans, anversois, hollandais ou allemands avaient déjà tracé les chemins européens en inventant le commerce international et le crédit. Le dessein d’une Europe politique devait ensuite s’affaiblir durablement à la mesure du renforcement des Etats‐nations plus préoccupés d’élargir leurs marches par des conquêtes territoriales que de constituer une grande communauté des peuples. Les égoïsmes français, anglais, espagnols, portugais, puis au fil de l’effacement de ces deux derniers, autrichiens, russes et allemands faisaient et défaisaient leurs alliances sans aucun autre souci que celui de leurs guerres incessantes. La parenthèse révolutionnaire française allait certes relancer l’idée de la liberté exportée, proposée aux citoyens européens. Napoléon, à sa manière qui consistait plus à imposer qu’à proposer, a lui aussi concouru à faire vivre cette idée d’une Europe politique et aujourd’hui encore, si les Espagnols gardent la mémoire des horreurs de la guerre d’Espagne, les Napolitains ou les Dalmates conservent le souvenir d’une France émancipatrice. Il faudra cependant deux terribles guerres mondiales et probablement la ponctuation de la seconde par la bombe atomique pour que ressurgisse le projet d’une Europe unifiée, projet puissamment aidé par la menace que la mainmise russe sur l’est européen faisait peser sur tout le continent. Les temps ne voulaient malheureusement pas d’une construction européenne directement politique et c’est la raison de l’échec du projet de CED, auquel il est juste de reconnaitre que les radicaux français ont contribué. Ils ont aussi la fierté qu’un des leurs, Maurice Faure, ait signé pour la France le traité de Rome. On peut valablement déplorer aujourd’hui qu’ait alors prévalu le projet d’un marché commun devenu bien plus tard marché unique. Ce choix, qui était celui du pragmatisme, a

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durablement ancré le projet européen sur des bases où l’économie, le libre‐échange et désormais le rigorisme d’une monnaie unique l’emportent sur la politique et la culture. Même la politique étrangère de l’Europe est invisible et inaudible tandis que la mutualisation des forces militaires n’en est qu’à ses balbutiements. Les radicaux restent résolument fédéralistes. Pour autant, ils n’entendent pas tourner le dos à la Nation ainsi que nous l’avons dit. Ils savent en revanche que l’Europe ne peut accéder à l’existence politique qu’au détriment de l’omnipotence étatique. Ils relèvent d’ailleurs comme un double paradoxe le fait, que dans la tradition de la haute fonction publique française, la conduite des deux grands mouvements, celui de la décentralisation et celui de la construction européenne où se dissout et s’évapore le pouvoir de l’Etat, soit confiée à ceux qui forment le cœur même de l’appareil d’Etat. L’Europe est devenue, à force de spécificité de ses institutions, de complexité de ses réglementations, étrangère à ses citoyens comme l’a montré, dans notre pays, le referendum de 2005. On ne remettra pas l’Europe sur des rails véritablement politiques si l’on ne repasse pas par des schémas éprouvés : états généraux des peuples européens, assemblée constituante représentative, établissement des règles classiques de séparation des pouvoirs et consécration du vote majoritaire simple. Cet effort suppose encore que la prise de conscience d’une citoyenneté européenne soit facilitée, d’une part par la création d’impôts directs communautaires et, d’autre part, par la création de grands services publics européens (eau, énergie, transports ferroviaires, postes, etc.) alors que la logique de libre concurrence a fortement contribué au démantèlement des services publics nationaux. Nombre de grandes questions ne peuvent à l’évidence plus être réglées dans le cadre étatique. L’Europe fédérale s’emparerait de ces grands sujets : diplomatie et défense, économie et monnaie (avec une latitude budgétaire c’est‐à‐dire un contrôle politique de la BCE), politiques industrielles, politique agricole générale, fixation progressiste des minima sociaux et grands problèmes environnementaux. Pour le reste, tout le reste, l’Europe, si elle veut être admise et comprise, a l’obligation de laisser aux Etats et à leurs collectivités locales le soin de régler les problèmes au plus près des citoyens. Nous avons plus besoin d’une Europe qui impose sa voix dans les discussions internationales ou l’euro dans les mécanismes d’arbitrage des échanges internationaux que d’une Europe anonyme dont les bureaux invisibles et par là irresponsables (on se reportera à Alain sur ce « pouvoir des bureaux ») imposent un calibrage des fruits et légumes ou les graisses végétales dans le chocolat. L’Europe doit en un mot s’élever à sa dimension continentale et lui faire honneur. Elle en a l’occasion. Même si elle suscite de nombreuses controverses l’idée de l’émission d’eurobonds, ou pour simplifier de grands emprunts européens, nous paraît appropriée en ce qu’elle applique le meilleur du keynésianisme et réhabilite la volonté politique contre les arguments de la prétendue impossibilité économique. La France et son identité républicaine ne peuvent toutefois pas se contenter d’un sursaut de volonté politique si l’Union Européenne demeure gérée en application d’un

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consensus minimal que l’on pourrait qualifier de « social‐démocrate‐chrétien ». Nous savons évidemment que l’Europe compte un certain nombre de monarchies et que certains pays d’Europe orientale ont de la démocratie une vision éloignée de la nôtre. Il ne s’agit donc pas d’exporter de force la forme républicaine de l’Etat mais d’en proposer l’inspiration au niveau européen. Nous ne prendrons qu’un exemple celui de la laïcité, qui n’est pour nous ni une marotte ni une obsession passéiste mais une préoccupation constante pour l’avenir. On entend souvent dire que la laïcité française n’aurait pas d’équivalent à l’étranger, qu’elle serait incompréhensible et que le mot lui‐même serait impossible à traduire. Cela est faux. Nombre d’Etats fonctionnent selon le principe laïque de séparation des églises et de l’Etat ; c’est le cas, nous l’avons dit, de pays musulmans et l’on trouve des militants laïques jusque dans l’Etat confessionnel d’Israël ou dans le Liban voisin pourtant organisé sur la règle d’équilibre du multiconfessionalisme avec tous ses excès (les chantres de l’identité nationale catholique pourraient d’ailleurs s’interroger sur les alliances de circonstances passées entre des chrétiens libanais et les extrémistes du Hezbollah en application du système multiconfessionnel). Les radicaux, qui avaient constitué leur propre groupe au Parlement européen de 1994 à 1999, ont démontré par la création d’un intergroupe laïque fort de 110 députés venus de dix nations sur quinze et de cinq groupes sur huit que la laïcité n’est pas une idée indifférente aux Européens. Cet effort ponctuel mérite d’être repris car il est certain que la France ne trouverait pas son compte de valeurs dans une Union Européenne où sa singularité républicaine ne serait plus repérable. LA FRANCE, NATION CITOYENNE DU MONDE Depuis son humiliante défaite de 1940, depuis l’échec de l’expédition de Suez en 1956, depuis les indépendances de ses « possessions » entre 1958 et 1962, la France a dû réviser sa vision du monde passablement autocentrée et réviser à la baisse ses ambitions internationales. Ce phénomène d’affaiblissement relatif est aujourd’hui accéléré par l’émergence de nouvelles puissances fortes de leur économie et de leur démographie. Le mythe de la puissance moyenne à vocation mondiale s’est effondré. Autant dire que l’influence française dans le monde a été revue à la baisse, au moins par tous nos partenaires et les injonctions adressées par Nicolas Sarkozy à la communauté internationale n’ont pour résultat que de souligner cette dévaluation. Est‐ce à dire que la France devrait se résigner à la disparition totale de son rayonnement international ? Nous ne le pensons pas. La France a été historiquement la première nation à envoyer un message de liberté et d’universalisme au monde entier. Ce fait lui donne des devoirs mais lui confère aussi une sorte d’autorité morale. Elle a également sauvegardé, malgré bien des accrocs, le lien de solidarité particulière qui l’unissait aux pays de son empire colonial. Là également, il en résulte une double réalité de devoirs et de pouvoirs. La France a encore donné sa langue en partage à de nombreuses

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nations et il y a dans la communauté francophone dont les membres doivent être traités avec égards, une légitimité internationale particulière. Quand elle aura opéré la mesure exacte de ses forces et faiblesses et qu’elle aura renoncé aux gesticulations comminatoires sur la scène internationale, la France devra se persuader que la réévaluation de son influence passe nécessairement par l’Europe. La mise en commun des diplomaties européennes et des moyens militaires qui les concrétisent est une des conditions pour que l’Europe et les nations qui la composent puissent contrebalancer la puissance internationale des USA, de la Russie ou de la Chine. Dans l’actuel débat sur l’immigration que suscitent les révolutions arabes, la France, pays méditerranéen, devra peser pour faire adopter par l’Union Européenne une autre approche que celle d’une fortification se défendant tant bien que mal par les barbacanes de Ceuta, de Lampedusa ou d’Edirne. A Marseille, fondée par les Grecs, en Corse longtemps génoise, dans toute la Tunisie, amie de la France malgré la colonisation, on attend de notre pays autre chose que des discours de rejet au sens littéral du terme. Il n’est bien sûr pas possible d’ouvrir grandes les portes de l’Europe à une immigration que cette politique ne manquerait pas d’alimenter au détriment des équilibres sociaux des pays d’origine et des pays d’accueil. Mais on est en droit d’attendre de la France qu’elle tienne, au sein de l’Europe, un discours fondé sur le meilleur de ses traditions et donc qu’elle rappelle la très ancienne solidarité méditerranéenne, qu’elle milite en faveur de l’accueil transitoire des réfugiés à la recherche de la liberté et qu’elle propose un vigoureux effort de développement susceptible de fixer les candidats à la migration dans leurs pays respectifs. Pour parvenir à cet objectif dans le champ européen, la France doit renoncer au bilatéralisme qui n’est qu’une survivance coloniale et accepter là encore la mutualisation – qui est aussi une optimisation – des moyens d’aide au développement. Ce renoncement s’applique évidemment, au‐delà de la vague d’émancipation des pays arabes, à l’ensemble de la politique de coopération française. Il faut abandonner cette « Françafrique » toujours décriée et toujours renaissante. Les progrès des diplomaties américaine et chinoise en Afrique montrent que nous n’y avons plus d’autre pré carré que celui des petites compromissions avec quelques dictateurs. Notre aide au développement serait autrement efficace si elle était mise en œuvre dans le cadre des accords de Lomé et de Cotonou qui lient l’Union Européenne aux pays des zones Afrique‐Caraïbe‐Pacifique. Cette mise en commun de nos moyens ne ruinerait pas l’influence de la France puisque, même dans un cadre multilatéral, notre pays disposerait encore d’atouts spécifiques. La francophonie en est un, nous l’avons dit ; elle doit être réactivée et alimentée par des moyens matériels et financiers décuplés. Que penserait aujourd’hui le plus parisien des écrivains égyptiens, Albert Cossery, s’il considérait notre promiscuité avec le raïs Moubarak et notre frayeur de la submersion migratoire face au souffle de la liberté ? La francophonie n’est pas le seul vecteur de notre influence dans ces domaines ; le prestige culturel de la France reste grand malgré des cafouillages aussi lamentables que ceux de la grande agence qui devait regrouper nos services culturels ou de la chaîne France 24 si mal engagée. Mais la France ne doit pas non plus renoncer à faire entendre son message spécifiquement laïque dans le champ international. L’Histoire a tracé, grâce aux réseaux de l’humanisme philosophique bien des liens autour de la laïcité, spécialement en Amérique latine et en Afrique. Inlassablement, et pour le coup même dans l’isolement au sein de

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l’Europe, la France doit continuer à porter les principes de laïcité qui forment le socle de solutions dont le monde, déchiré en maints endroits par des guerres confessionnelles, a le plus urgent besoin. La France dispose d’un autre atout, celui de sa vitalité démographique, la plus forte en Europe. Elle est, de ce fait, riche d’une force inemployée, celle de sa jeunesse. Il nous semble qu’au prix très fort d’une large amplification de l’actuel service civique, nombre de jeunes chômeurs ou même de grands adolescents en déshérence scolaire pourraient être affectés, pour leur grand profit mais aussi au bénéfice des pays d’affectation, à des missions de coopération. Pour notre pays, il sera toujours moins coûteux du point de vue budgétaire et surtout du point de vue social de financer l’activité que de payer au prix fort l’inactivité. Ainsi pourrait revivre cet esprit d’aventure qui avait porté depuis le XVIème siècle les Français à toutes les « fins » du monde, un esprit dont nous déplorons l’actuelle anémie. Ainsi la jeunesse française pourrait‐elle aussi comprendre que l’aide au développement, bien loin d’être compassion ou charité, est la traduction concrète des idéaux d’humanisme, d’universalisme, de solidarité et de fraternité. Dans tous les autres grands domaines des relations internationales, les chantiers ouverts sont évidemment nombreux et complexes : désarmement, régulation monétaire, taxation des transactions financières, modernisation des organisations internationales, etc. Répétons que la France ne peut y peser que par son audience forte au sein de l’Union européenne. La présidence tournante du G20 n’y changera rien : seule, la France est impuissante. Il nous apparaît que, parmi ces chantiers, il est un devoir prioritaire pour l’Europe et donc pour notre pays : il faut d’urgence remanier l’Organisation Mondiale du Commerce par la révision du Traité de Marrakech car ce sujet englobe tous les autres. Il est indispensable d’introduire dans les règles de l’OMC de véritables clauses sociales et environnementales et d’imposer à tous les pays exportateurs, d’une part, le respect, au moins dans les productions minières et industrielles, des droits de l’homme et, d’autre part, un système de mise préalable de leurs produits sur leur marché intérieur de façon à accélérer la démocratisation qui suit toujours la hausse du niveau de vie. Il est bien sûr impossible de traiter ici de toutes les orientations qui s’offrent à une France dont le désarroi et les peurs sociales pourraient, par l’alchimie politique des valeurs de la République, se transformer en autant de forces. Nous avons simplement voulu démontrer qu’à tous les étages allant de l’individu libre, responsable et solidaire jusqu’à la scène mondiale, l’identité républicaine demeure une singularité précieuse et forte de tous les horizons où elle peut se manifester. Notre identité n’est ni rabougrie ni peureuse mais elle peut devenir beaucoup plus rayonnante encore.

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CONCLUSION PROVISOIRE

QUE LA FRANCE SE RESSAISISSE ! Au sens habituel, se ressaisir signifie que l’on retrouve son calme et son sang‐froid. Il nous semble que la France ‐ et surtout ceux qui parlent en son nom ‐ trouverait bénéfice aujourd’hui à revenir à un discours moins exalté et à des actions moins agressives tant dans le souci d’assurer la cohésion sociale intérieure que dans la pratique quotidienne de nos relations extérieures. La France est en termes métaphoriques un fleuve large, profond, puissant qui vient de très loin ; ce n’est pas un ruisseau épisodique agité par des sautes d’humeur comme le serait un torrent et tari l’instant d’après par le moindre caprice du temps. Du calme donc, tel était notre premier message. Mais se ressaisir, c’est aussi se rassembler, mobiliser tous ses moyens et ses atouts. La première responsabilité des dirigeants français doit être la mise en œuvre de toutes les politiques de solidarité qui rassembleront la Nation plutôt que d’inciter par des discours extrémistes et par des actes discriminatoires au renforcement de divisions déjà trop visibles. Se rassembler signifie encore que l’on fait appel à toutes les valeurs qui ont contribué à l’édification de la République pour donner à celle‐ci son visage le plus ouvert, le plus tolérant et son image la plus rayonnante. Empruntons à Jean‐Noël Jeanneney sa belle formule, « l’avenir vient de loin », pour signifier que nous croyons aux forces de la mémoire si elles nous aident à prospecter le futur et à peser pour le rendre meilleur dans le mouvement sans fin du progrès et de la justice. * Notre deuxième souhait, manifeste dans l’élaboration de notre contribution, était d’opérer un déminage idéologique des débats en cours autour de l’immigration, de la laïcité et de l’identité nationale. Nous avons clairement dit que nous étions attachés à l’idée de Nation, que nous respections toutes les religions respectueuses de la loi commune et que nous étions conscients du fait que l’immigration doit être régulée de façon responsable et pragmatique plutôt que par des postures candides où la générosité du discours est contredite par les réalités sociales. Cela devait être réaffirmé. Il reste que nous avons eu, comme beaucoup de républicains, le sentiment que des concepts essentiels dans la longue maturation de notre République – identité, nationalité, citoyenneté, laïcité – étaient manipulés, vidés de leur sens ou employés à contre‐sens avec des buts peu honorables. A marauder sur les terres de l’extrême‐droite en instrumentalisant et en déformant les valeurs républicaines, on ne fait que donner un consentement inacceptable des plus hautes autorités de l’Etat à la problématique exposée par les extrémistes et in fine aux solutions

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que l’extrême droite propose. Un peu comme le disait Churchill de Chamberlain et Daladier, en sacrifiant l’honneur pour avoir la paix, on est déshonoré et l’on récolte la guerre. C’est ce qu’indiquent les enquêtes d’opinion parues depuis que nous avons entrepris ce travail. La droite soi‐disant républicaine n’a rien à gagner en se jetant dans les marécages du racisme et de l’islamophobie. La République, elle, a tout à perdre dans cette capitulation où de pauvres masques prétendument républicains ne dissimulent pas le visage trouble, figure d’un futur potentiellement proche, d’une droite réconciliée avec les extrémistes, ce qu’annoncent déjà les discours de certains membres de l’UMP ou les pronostics d’un A. Minc qui voit l’alliance Sarkozy‐Le Pen comme une sorte de CDU‐CSU à la française. Si tel est le chemin que veut emprunter la majorité de la droite, nous le déplorons tout en disant, somme toute, libre à elle ! Mais nous ne tolérons pas que, pour justifier ce cheminement vers le pire, on utilise dans une terrible distorsion les principes républicains qui nous sont les plus chers. * Notre troisième objectif était non pas de provoquer, nous n’avons pas cette vanité, mais d’accompagner l’inévitable sursaut des républicains. Nous avons eu la joie de constater que des voix très éminentes de l’actuelle majorité avaient mis le Président de la République et leur propre parti en garde contre les dangers de dérive, de divisions que portaient inévitablement des discours et des projets qui sont comme un souffle sur les braises jamais totalement éteintes des haines nationales. Et nous avons eu aussi le plaisir d’enregistrer le fait que l’incantation républicaine avait fait reculer de façon significative ceux qui étaient engagés dans cette funeste voie. Le sursaut doit s’amplifier. * C’est pourquoi nous avons comme troisième objectif de réunir pour un vaste échange tous ceux que nous regardons, au‐delà des systèmes d’alliances et du mur de la bipolarisation, comme d’authentiques républicains. Nous souhaitons dialoguer bien sûr car notre vision de notre pays et de son identité n’est pas figée en une forme dogmatique. Nous savons que beaucoup de sujets n’ont pas été évoqués dans ce cahier et que, même sur les questions traitées, les radicaux ont aussi à apprendre de tous les défenseurs de la République. Cependant, cette défense n’est pas une activité de club ou une quelconque halte commémorative. Nous espérons que les rencontres imaginées par les radicaux seront suivies d’effets politiques. Il ne s’agit pas de constituer une sorte de front ou d’arc républicain qui serait en tout état de cause prématuré. Il s’agit moins encore de bouleverser les alliances existantes à l’issue d’un dialogue sur nos valeurs communes. L’identité républicaine ne saurait être prétexte à nous dépouiller de nos identités politiques respectives. Le véritable objectif est donc de parvenir à énoncer les termes – qui peuvent être rassemblés autour de quelques propositions concrètes et susceptibles de produire le plus large consensus – d’un véritable pacte républicain. Si cette définition minimale de notre conception de la République peut être élaborée, elle pourra ensuite être adressée, sous l’autorité des formations politiques participantes mais aussi des personnalités ayant

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contribué à sa mise au point, à tous les partis qui concourent à l’élection présidentielle. Ce ne serait pas une sommation ou une injonction et chacun des destinataires aurait toute liberté pour se prononcer sur les propositions du pacte républicain. Nous dirons, en toute humilité, que ce pacte serait en quelque sorte l’ordre du jour de Valmy adapté à un temps de paix sociale compromise. * Pour organiser les échanges, les rencontres et pour élaborer le pacte, nous avons choisi de rassembler autour de l’identité républicaine. Cette formulation n’est peut être pas la meilleure mais elle nous a paru appropriée en ce qu’elle est débarrassée de toutes les ambiguïtés qui encombrent d’autres notions. L’identité républicaine n’est pas un état, une photographie et pas plus un moment. C’est une exigence forte et vivante par laquelle notre passé trace notre chemin futur. Telle qu’elle est, la formule sera également soumise à la délibération commune lors de nos rencontres du 16 avril. A ce stade, elle nous a paru capable de rassembler les républicains. Nous avons enfin à cœur de préciser ici que les nécessaires mises au point relatives à l’identité républicaine ne doivent aveugler personne sur l’intensité et l’acuité des problèmes sociaux du moment. Ce fut un des graves défauts fondateurs du pseudo‐débat sur l’identité nationale que d’avoir été lancé avec le souci principal de faire diversion. Nous voyons au contraire que la réflexion sur l’identité de notre République, loin d’être pure spéculation philosophique, est le nécessaire préalable à des réflexions sur les politiques à mener pour renforcer la cohésion sociale. Chacun de nos interlocuteurs restera libre d’avancer ses propres solutions dans ce domaine même si notre accord sur la délimitation du socle républicain s’avère solide. Pour leur part, les radicaux, quand ils auront salué les Lumières, la Révolution française, les combattants de juillet 1830, la République de 1848, la Commune ou la Résistance, seront d’autant plus persuadés que les lourdes interrogations de nos concitoyens sur le chômage, le pouvoir d’achat, le logement, la santé, l’éducation, l’affaiblissement des autres services publics et l’évidente iniquité de notre système fiscal sont les véritables priorités de tous les progressistes. La réflexion sur l’identité républicaine n’aura donc pas été une pause ou une évocation nostalgique. Elle fournira des arguments une fois de plus vérifiés pour reprendre le chemin de la justice et du progrès.

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