ÉDITIONS LURLURE
PARUTION OCTOBRE 2023
LETTRES À MADAME
Nathanaëlle QUOIREZ
Genre : Poésie
Collection : Poésie
Prix : 17 euros
Format : 14 x 21 cm
Nombre de pages : 96
ISBN : 979-10-95997-57-3
> LE LIVRE
Recueil alternant lettres et poèmes, Lettres à Madame partage tout à la fois un immense chagrin d’être au monde et une féroce faim de Dieu à la manière des extases mystiques – avec un corps toujours complice.
C’est par l’adresse continuelle et quasi incantatoire à celle qui est nommée «Madame» tout au long du recueil, qu’on pèlerine en langue dans le « dédale de la torpeur », là où les réalités concrètes du quotidien vécu se confrontent aux grandes questions existentielles.

Car s’il s’agit ici d’une Madame, il s’agit surtout de toutes les autres, les voix de de nos polyphonies intimes – de nos ancêtres à nos amantes – mêlées toutes ensemble au grand feu pulsionnel et lyrique du « je » de l’écriture poétique.
> L’AUTRICE
Nathanaëlle Quoirez est née dans les Alpes-de-Haute-Provence en 1992. Elle anime des ateliers de pratiques artistiques à Marseille.
Son premier livre, Kaïros, est publié en 2022 (Polder / Décharge).
Elle est présente dans des revues telles que : La rumeur ou Hors-Sol.
Elle a récemment participé à l’anthologie Ces mots qui traversent les frontières (Le Castor Astral, 2023).
madame,
vous dire évidemment : tout n’est pas vous. mes lettres ont été des destinations pour pouvoir me nommer, visage ne figurait plus. soif et faim avaient cessé, me restait l’invention encore un peu coriace, l’idéation hantée par le grand saut du pantin fixe. tout-à-égout ce crâne, pourtant en moi luttait non plus la poésie madame, mais cette face de chien créditée par ses larmes. les yeux au ciel pleuvant, la couenne au cœur, j’étais malade. secret et vérité, brusque aveu, logique congénitale. de ses alentours, revenir, oui, mais comment ? me souviens de vous sourire de l’autre côté de l’âme, je crois en dieu. pyrobatie chez vous, j’ai le feu acrobate. nuit de chaque mot, je vous ai ramassée avec au sang le battre de la férocité amour. contre dieu ma colère, j’en nourrissais le pacte d’abandon mais j’attendais la paix comme un enfant gigote sa main pour réparer une amitié. je vous ai écrit pour le réel, m’y arrimer, en faire usage. vous fûtes mon pluriel de conservation, étoile polymorphe et anonyme, de la continuité et du grandir. c’était la nuit et ma réponse, corps après jour, sortir de taire. par ouï-dire et déjointée, moi avais froid, figure de moi qui m’échappait. dégradation, pourquoi ? on sait très bien que la montagne de chacune n’est pas de la hauteur de tous. on gravit, on arpente, enfance par devers tout, l’égalité n’existe pas. je suis par où les eaux se figent, heurtée si l’on peut dire depuis que naître est un hasard. me voici dans ma robe de plâtre, coup de lettres tiré, mon nom sans alphabet est en errance. un enfant mort continue de mendier, pouponnière dégueulasse. assomption jour alcoolique, ombre nue et vulgaire qui flaque au ciel du sperme. la liberté, madame, est le passé sorti du bois et ramené à la confiance. cela c’est devant vous, j’exerce un avenir. merci.
huit octobre deux-mille-vingt-et-un
madame,
cauchemar, l’éternité susurre. bête à plusieurs proies, destin s’y résout mal. on panse une cachoterie, les aïeux nous regardent. voudrais vous visiter, on dira prestement. les nuits ne dorment plus. on m’accorde un caillou, c’est un classique du don qui pèse. plaisir de votre vieillesse à regarder me calme. je lis des livres effrayants. les mots violent, esprit se désorganise, menace d’effondrement. vous connaissez votre langage, et moi sans verbe un avis d’extinction. si vous saviez, madame, ce que j’ai connu de pestes et de petites gens racornis aux émotions : des traitres à bouches, des sycophientes. il en faut du vouloir pour encore se faire vivant. j’ai pensé aux autres, aux allures de grand rien, au cœur de grands mages. il y a des bonnes gens, madame, je regarde vers leurs épaules, l’horizon où le rêve nous fait un grand dormir. je m’endors en sachant que le bien est concret. l’usage du monde n’est pas dans la parole.
neuf octobre deux-mille-vingt-et-un madame,
tout le jour une pensée cogne aux barreaux des urgences. hôpital traversé par le jour qui habite, nous ne sommes pas sans exister. mais chute, cendre et source. dire ne rassasie plus, ne déleste de rien. je vous aime. aimer peut, protège, est infaillible. vous êtes souveraine, une idée de monde meilleur, ma taupinière contre l’effondrement. vous êtes un dieu caché dans mon imaginaire, vous ne pouvez rien mais vous m’innocentez. je ne mélange pas l’ordre et l’ivresse, je vis d’extase. sachez-le, j’ai droiture comme gens sérieux et cassés. j’étais comme vous, tendre aux mains, accourant humanité aux sirènes qui nous font peur. généalogie est un arapède pas une abstraction, n’en doutez pas. un mal est entré par voie basse, je suis née, madame, il y a vingt-neuf ans. rien ne peut m’ôter l’idée banale de la très grande déjection. je vous aime parce qu’en terreur le nôtre ciel est à réinventer. je ne tétine plus rien mais me remâche d’inconsistance. je veux de votre odeur pour mon temps à tuer. vous êtes une fable, mon dernier carré de salut. les jours de rendez-vous je vous hais, je rougis dans vos jambes. je vous ris madame et vous rase depuis ma langue. mais vos mains quelque chose quand je dois aller voir le couteau replanté dans chacun de mes morts. j’ai envie, madame, pas comme on le fait mais comme ailleurs existe. baisers prudents qu’on ne peut satisfaire.
dieu me fait des représailles je suis des années de cavale faites-moi venir à vous ce vous que j’invoque me protège quand ma petite chose minuscule prend peur le diable couve au-dessus l’éclosion d’un malheur parfois je négative pour ainsi dire tout mon espoir le christ est médusé néanmoins lumière du ciel me descend droite je ne mendie pas madame vous déguste au feu quotidien même au blason de lait peut-être de votre élan serrez mes deux grandes ailes couvrez-moi de buée j’ai manqué d’enveloppe
je signe : la fille analogue.
Lida Youssoupova Verdicts

Collection « Ouija »
15 x 20 cm
232 pages 978-2-493242-08-2
20 € 3 octobre 2023

Verdicts, dans la lignée de Témoignage de Charles Reznikoff, est un livre de poésie documentaire entièrement construit par le montage de fragments de jugements prononcés par des tribunaux russes entre 2012 et 2017, notamment dans des affaires de féminicides, d’infanticides, de violences domestiques ou de meurtres homophobes. Ces extraits judiciaires constituent une chronique de la vie quotidienne des provinces périphériques russes, marquées par une violence inouïe mais aussi par la misère, l’alcoolisme ou l’arbitraire de l’État.
Lida Youssoupova s’attaque à la langue du pouvoir russe. Les quatorze poèmes qui composent ce livre donnent à lire la rhétorique de défense des « valeurs traditionnelles » au sein des tribunaux, réthorique que l’on retrouve dans les éléments de propagande employés aujourd’hui dans la guerre en Ukraine. Par un travail d’amplification performative, Verdicts montre que l’intime des corps des citoyens est l’un des premiers lieux où un régime autoritaire vient imprimer sa marque.
Parallèlement à cette démonstration, la poésie de Lida Youssoupova opère un « montage de libération » (Galina Rymbu) par lequel les victimes, invisibilisées, acquièrent des traits visibles. La tâche éthique de l’auteur consisterait ainsi à rendre la voix aux victimes, à les rendre audibles dans l’espace de la mémoire individuelle et collective. Malgré son extrême violence, le poème devient ainsi un lieu de réparation.
Lida Youssoupova est née en 1963 à Petrozavodsk, en Karélie (Russie). Après avoir été contrainte d’abandonner des études de journalisme à l’université d’État de Leningrad (accusée d’être à la fois dépravée et antisoviétique), Lida Youssoupova travaille à la poste. En 1996, elle émigre de Russie et se rend en Israël, puis au Canada. Aujourd’hui, elle vit entre Toronto et San Pedro, au Belize.
Elle est l’autrice de plusieurs livres de poésie en russe, parmi lesquels Dead dad, qui paraît en 2016 chez Kolonna Publications – l’éditeur russe de Monique Wittig, Kathy Acker ou Antonin Artaud – et qui fait l’effet d’une déflagration dans la communauté poétique russe. Verdicts est son premier livre traduit en français. Avec cette parution, Zoème entame une série de publication consacrée à des autrices russes contemporaines.
Traduction de Marina Skalova.et aussi la jeune fille rousse qui s’appelait Irina
Jugement de l’affaire pénale n°1-337/2013
VERDICT
Au nom de la Fédération de Russie ville de Krasnogorsk 13 novembre 2013.
A.V. Mordakhov, juge du tribunal municipal de Krasnogork de l’oblast de Moscou, assisté par le procureur d’Etat D.V Kozlov, suppléant le procureur municipal de Krasnogorsk, en présence du prévenu A.A Rodionov, de l’avocat de la défense I.A Bykhanov, a examiné en audience publique le dossier de l’affaire pénale visant Anton Andreïevitch Rodionov, accusé d’avoir commis un crime désigné par l’article 105.1 du code pénal de la Fédération de Russie,
le prévenu est déclaré coupable des faits suivants :
Le prévenu A.A Rodionov a commis un meurtre, c’est-à-dire qu’il a volontairement donné la mort à autrui. Le crime a été perpétré dans les circonstances suivantes :
il était tellement ivre que pendant à ce moment-là il a perdu la notion du temps
Irina lui a proposé d’aller se promener après cela elle s’est levée et est partie dans la rue dans le sens opposé au trafic il s’est levé et l’a suivie
ils ont marché longtemps dans la forêt et ont parcouru quelques kilomètres
Irina portait un jean et un tee-shirt elle avait des chaussons aux pieds
Irina s’est approchée du ruisseau après cela elle l’a appelé il s’est levé et est venu la voir c’est alors qu’il a remarqué qu’elle avait déjà enlevé ses vêtements
elle était debout sur une dalle en béton qui recouvrait le ruisseau et lui demandait si elle lui plaisait et s’il voudrait avoir une relation sexuelle avec elle
il a dit à Irina qu’elle ne lui plaisait pas qu’il ne voulait pas avoir de relation sexuelle avec elle en même temps il a expliqué qu’il était marié et qu’il avait une fille en bas âge
Irina s’est mise en colère car il refusait d’avoir une relation sexuelle avec elle elle a dit qu’il n’était qu’un impuissant elle aurait mieux fait d’aller en forêt avec quelqu’un d’autre
alors il a proposé à Irina de s’habiller et de retourner chercher l’un de ses amis après cela elle s’est fâchée encore plus elle s’est mise à l’insulter elle a dit que sa femme était une prostituée elle l’a traité de tous les noms et a même insulté son enfant il s’est mis en colère il a repoussé Irina avec les mains ce qui lui a fait perdre l’équilibre
elle est tombée dans l’eau tête la première
il est descendu de la dalle vers le ruisseau et alors que le visage d’Irina était déjà dans l’eau il l’a prise par la nuque et l’a serrée jusqu’à ce qu’elle cesse de donner des signes de vie
ensuite il a saisi Irina par les bras et l’a trainée à-peu-près à cinq mètres du ruisseau il a jeté le cadavre dans les buissons ensuite il l’a recouvert d’herbe qu’il a arrachée pas loin
le tribunal tient compte de l’immoralité le tribunal tient compte de l’immoralité du comportement de la victime le tribunal tient compte de l’immoralité et du caractère illégitime du comportement de la victime
le tribunal tient compte du fait que la personnalité du prévenu est caractérisée de façon positive par son entourage tout comme de l’immoralité et du caractère illégitime du comportement de la victime
le tribunal tient compte du fait que la personnalité du prévenu est caractérisée de façon positive par son entourage le prévenu a un enfant en bas âge à sa charge tout comme de l’immoralité et du caractère illégitime du comportement de la victime
ce qui constitue des circonstances atténuantes pour sa condamnation
et aussi la jeune fille rousse qui s’appelait Irina.