LILA

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30 MUE-MAGAZINE.FR NUMÉRO 4 LILA

BILLET / « MES PETITES FILLES »

”Mes petites filles” ON A FINI DE DIRE CE QU’ON AVAIT À DIRE, IL

EST TEMPS DE LAISSER LA PAROLE À MÉLANIE, 84 ANS, ANCIENNE JOURNALISTE, QUI NOUS PARLE DE SA VISION DES GÉNÉRATIONS.

Elles sont marrantes, mes petites filles, Marine et Sandra. Je dis « petites », mais, à force, elles ont grandi. Elles vont passer leur bac. Moi, le bac, je ne l’ai jamais eu. Chez moi, les filles allaient à l’école, c’est vrai. Mais on ne leur demandait pas grand-chose, juste d’aller à l’école. Marine et Sandra, elles iront à l’Université. Elles parlent de trucs terribles, très techniques, je fais semblant de m’y intéresser, mais je n’y comprends rien. Alors… Je les entends, là-haut, avec leurs copains-copines, entassés dans le fouillis de leurs chambres. Ça sent parfois le tabac, ou pire, mais ça rigole et ça parle fort. L’autre jour, elles parlaient de la mode. La mode pour moi, ça sert à mettre les femmes en valeur. Pour elles, il faut que la mode soit « éthique ». Qu’elle soit faite par et pour gens qui se sentent solidaires, qui sont contre les inégalités, qui ne pillent pas les ressources de la planète et qui imaginent mal que le rôle d’un enfant né au Bangladesh soit de travailler pendant des heures pour quelques roupies. Pour moi, la mode c’est esthétique, pas forcément « éthique ». Quand j’allais danser avec Albert-Jean, mon fiancé, au Vamping, aux Catalans, au Club, rue Grignan ou à l’Annabelle, je mettais ma grande jupe rouge à volants et un bustier en dentelle noire ; et tourne que je tourne dans les bras d’Albert-Jean. Il dansait bien, il essayait parfois d’en profiter un peu trop, mais je ne voulais pas. Aujourd’hui, les filles elles ont des trucs précieux, des pilules et je ne sais pas quoi. Ne craignent plus rien. Nous, on avait bien envie, comme les autres, mais on avait peur. Les parents savaient qu’on allait danser, Albert-Jean et moi, mais ils faisaient confiance à mon fiancé, le fils du pharmacien. J’avais 16 ans et lui 17. La vie était belle. Les autres filles étaient sages aussi. Je ne sais pas si elles étaient éthiques ou pas, mais quand elles dansaient, c’était pas comme aujourd’hui. Aujourd’hui, elle dansent de drôles de trucs, des zumbas ou je sais pas quoi. C’est éthique, une zumba ? Après la danse, on allait souvent promener au Vieux Port, les lumières du soir avec la Bonne Mère là-haut, c’était magique. Albert-Jean me tenait la main et on faisait des projets. Chez nous, mes parents l’avaient bien accueilli, mais il ne dormait pas à la maison. Aujourd’hui, les filles ont quasiment des fiancés officiels, et leur Albert-Jean à elles dorment dans leur lit. C’est éthique ça ? En tout cas, ça paraît normal. Vive l’amour ! Aujourd’hui, Marine et Sandra me demandent comment c’était le Vieux Port, plein de gros bateaux qui faisaient des tonnes de fumées noires. Quand je leur raconte, au moins, elles sont pas là à téléphoner dans tous les sens sur leur portable. A la maison, on avait un téléphone, c’était pas rien, il fallait tourner des manivelles ou je ne sais pas quoi. Mais ce n’était pas rien. Et maintenant, les copains-copines sont partis. Je les entends encore dans les escaliers se disputer leurs vêtements. L’éthique, ça semble leur plaire. Et moi, je n’ai toujours pas bien compris. Peu importe. Je vais reprendre mon tricot, une écharpe à grosse mailles pour Anna, ma fille, la mère de nos deux peronnelles. De mon fauteuil, je peux voir la mer, là-bas au fond. Des pas dans l’escalier. « Dis Méli (je m’appelle Mélanie, mais bof…), comment tu trouves ? » Elle porte une mini-jupe courte, fort jolie ma foi. - Alors tu aimes ? - C’est pas un peu court ? « Eh Meli, les temps ont changé, on porte ce qu’on veut ; c’est fini les jupes à froufrous. » dit-elle en souriant. Albert-Jean, si tu me voyais…

Mélanie


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