Novo hors série c'est dans la vallée 2015

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Nicolas Humbert

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Playfulness

C ' est da n s l a va l l ée

Nicolas Humbert vient présenter Step Across The Border, le film qu’il a réalisé avec Werner Penzel sur le guitariste et violoniste anglais Fred Frith. Il montre également Ramper, un film muet de 1927 adapté à partir d’une pièce de théâtre de son grand-père, Max Mohr, et mis en musique par son propre fils.

On se souvient il y a quelques années de cela d’une interview que nous avait donnée Vincent Moon, réalisateur de films musicaux et initiateur des Concerts à emporter avec le succès que l’on sait. Il nous avait précisé les contours de sa création qui s’appuyait sur des principes d’improvisation empruntés au jazz, lesquels lui avaient été suggérés par la vision de Step Across The Border de Nicolas Humbert et Werner Penzel. Il opposait alors le modèle de D.A. Pennebaker, célèbre cinéaste qui avait réalisé Don’t Look Back sur Bob Dylan en 1967 – « un cinéma documentaire qui fige la musique ! » – au film des réalisateurs suisses sur l’artiste Fred Frith : « Je connais très peu d’expérience d’un cinéma, nous expliquait-il alors, qui arrive ainsi à se mettre au niveau de la musique ». On mesurait dès lors l’influence marquante de ce film sur toute une génération de réalisateurs qui cherchaient des solutions quant à la relation entre images et sons. Quel chemin parcouru depuis les premières projections en 1991, dont une mémorable en ouverture du festival des Droits de l’Homme, à Strasbourg. « Tu y as assisté ?, m’interroge Nicolas Humbert. Nous avons fait plein de projections à l’époque, mais celle-là on s’en souvient ! C’était l’une des premières. Il y a des moments qui restent très présents dans la vie

d’un réalisateur ! » Se souvient-il de ces poignées d’invités qui se bousculaient pour sortir dès le générique ou plutôt de la ferveur qui a pu leur être manifestée à l’issue de la projection par un public enthousiaste ? Sans doute un peu des deux. Il doit se souvenir surtout que c’était là le début d’une très belle destinée pour le film. Mais revenons un peu en arrière, le choix de Fred Frith ne pouvait être complètement innocent. Dans ces années-là, il rayonne de mille projets à travers le monde, près de deux décennies après le début de ses premières expériences musicales pop au sein des très avant-gardistes Henry Cow. Pourquoi le choix s’est-il porté sur lui ? Tout simplement parce que sa démarche basée sur l’improvisation est jugée voisine de la leur par les deux réalisateurs. « Nous cherchions, se souvient Nicolas, une forme d’échange, cette formelà n’était possible qu’avec un musicien qui partageait des vues communes. » D’emblée est écartée l’idée de tout portrait. C’était même l’une des conditions à la contribution de Fred Frith au projet. Il leur dit : « Je suis intéressé par un processus, mais surtout pas par l’idée d’un documentaire sur moi ! » Autour d’un plat de spaghetti à Munich, Nicolas et Werner exposent leur point de vue : ils insistent sur l’idée

que cette improvisation constitue en ellemême « un modèle de société parce qu’elle offre de l’espace à l’autre ». L’idée ne peut que séduire le guitariste anglais dont on connaît par ailleurs l’engagement. Tous trois se retrouvent en phase et le dispositif d’un véritable trio se met en place tout en avançant dans l’inconnue par rapport au résultat final. Chacun apprend à se connaître dans le travail, y compris les réalisateurs eux-mêmes dont c’est la première collaboration après de longues années d’amitié. « Nous avions décidé de coréaliser le film, ce qui n’est pas si fréquent. Il nous fallait donc fixer les conditions de cette expérimentation à deux. » Fred Frith devient le partenaire idéal d’un processus qu’ils ont fixé pour eux-mêmes, « comme troisième élément, mais aussi comme focus. Comme point de cristallisation d’une idée », précise Nicolas. Peu de temps après, Nicolas et Werner reçoivent un courrier de Fred qui leur précise qu’il va passer deux mois au Japon – il est alors marié avec la chanteuse japonaise Tenko Ueno –, une occasion pour eux de le rejoindre. « Pour nous, c’était vraiment ‘out of the blue’. Nous nous retrouvions dans la situation concrète », sans pour autant que le financement ne soit assuré, et avec du matériel 16 mm, dont ils n’ont aucune garantie qu’il soit


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