Mayotte Hebdo n°878

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Andre Benz


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LE MOT DE LA RÉDACTION D'un monde à l'autre

Après 19 ans de papier, vous lisez là le premier numéro de Mayotte Hebdo en version 100 % numérique et 100 % gratuite. Une évolution logique pour le magazine référence de l'île aux parfums. Fidèle à notre doctrine – "Participer au développement harmonieux de Mayotte" –, nous avons en effet décidé d'engager cet important tournant pour rendre l'information et la compréhension des grands enjeux de l'île accessibles non seulement à tous, mais également de partout. Et quoi de mieux qu'internet pour cela ? Chaque semaine, vous retrouverez donc dans nos pages ce qui a fait le succès et la renommée de Mayotte Hebdo : des entretiens avec les acteurs du territoire, des portraits, des reportages, des découvertes, des dossiers, etc. En somme : non seulement Mayotte Hebdo continue de vous informer, mais il tisse également du lien social entre nous tous. C'est là la mission première d'un journal local, que cette nouvelle formule va nous permettre d'accomplir encore mieux. Un lien social qui, justement, à notre époque de mondialisation, ne peut plus se limiter aux simples frontières de l'île. Les Mahorais voyagent, les jeunes partent faire leurs études à La Réunion ou en métropole. Certains reviennent, d'autres non, et

d'autres encore quittent la France. Mayotte évolue, Mayotte s'expatrie… parfois même jusqu'au bout du monde. Alors, quoi de plus logique pour ce premier numéro numérique, accessible de partout à travers la planète, que de s'intéresser à ceux-là justement ? Dans notre dossier de la semaine, nous vous présentons donc quelques-uns de ces expatriés qui ont fait le grand saut vers l'inconnu. Kassim aux États-Unis, Fanindat en Suède, Twalal et Hassanati au Canada, Youssouf à Maurice, ou encore Rouwaida en Côte d’Ivoire : tous sont partis au-delà de l'horizon pour vivre l'aventure et la réussite. Ils nous racontent leurs vies là-bas, leurs choix, leurs attentes, et livrent leurs regards sur leur île. Retrouvez également dans ce numéro Lavie Maturafi, doctorante et future linguiste, dans notre rubrique "À la rencontre de", qui met à l'honneur cette nouvelle génération qui réussit ; le sénateur Thani Mohamed Soilihi qui s'exprime dans un entretien sur l'évolution institutionnelle du territoire ; et partez à la découverte de la kizomba, de la bachata, et de la salsa, ces danses sensuelles qui connaissent un réel succès chez nous. Bonne lecture à tous.

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Photos non contractuelles

NOUVEL ARRIVAGE !

ORIGINE FRANCE

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COUP D’ŒIL DANS CE QUE J'EN PENSE

Laurent Canavate

Mayotte Hebdo n°431, vendredi 5 juin 2009

Élu : une noble mission qui nécessite quelques qualités Il y a énormément de dossiers en souffrance, de projets en attente (parfois de pas grand chose…), de constructions à sortir de terre, d'infrastructures dont il faut doter l'île en urgence. La liste est longue et bien trop connue. Il y a face à ça des jeunes exclus du système scolaire dans la rue, des diplômés et futurs diplômés en attente de retour sur l'île ou déjà à la recherche d'un emploi, d'une place pour participer au développement de Mayotte. Et là il y a urgence. Il y a des centaines, des milliers d'emplois à créer, de services à faire émerger, de directions à activer, de services publics à sortir de leur torpeur, de salariés à réveiller, à encadrer, à qui il faut confier un travail, une mission, des objectifs, les moyens de travailler. Il y a de l'argent, des fonds publics locaux, nationaux, européens à chercher, à mobiliser, à utiliser, au mieux, sans gaspillage, sans abus. Et il y a, pour donner le "la", pour impulser la dynamique, pour mettre tout le monde dans le sens de la marche, des élus. Heureusement qu'on ne les attend pas pour tout, et il ne faudrait pas tout attendre d'eux, mais il y a des administrations, des services publics, une force publique, qui est là pour mettre du lubrifiant dans les rouages, pour faciliter, orienter, financer les grands travaux, dynamiser l'activité. Les enjeux économiques, sociaux ou institutionnels auxquels fait face Mayotte et la crise mondiale ne rendent ce rôle d'élu que plus important. Très souvent, lors de discussions avec de jeunes cadres ou de jeunes diplômés, avec des chefs d'entreprises, avec des "anciens", la faute est renvoyée sur les élus en place… Certains se débattent, prennent des dossiers en main et les font avancer, lisent les rapports qu'on leur soumet, s'impliquent, sont actifs, efficaces. Mais ils sont encore trop peu nombreux. Et nous avons les élus que nous méritons. Quand on met un Esquimau au milieu du Sahara, on ne peut pas lui reprocher d'avoir chaud… Les partis, les personnalités, les forces vives ont soutenu des candidats aux élections. Ils se sont battus, débattus, ils ont mis toute leur énergie pour qu'ils se fassent élire… Et maintenant certains déplorent, regrettent. C'est trop facile. Les partis politiques ont une responsabilité énorme dans la situation actuelle avec le chômage qui gonfle, la crise sociale qui couve, les anciens étudiants, de plus en plus nombreux à revenir, sans perspective d'emploi, des ordures qui recouvrent le sol, des services publics à l'abandon pour certains, du personnel pléthorique et incapable de remplir ses missions, des agents dont l'intégration dans une fonction publique est parfois à peine évoquée. Les partis politiques sont la porte d'entrée des hommes et des femmes qui veulent s'engager dans la gestion de nos collectivités. C'est une noble mission. Un engagement fort pour la population que l'on souhaite représenter. Cela nécessite beaucoup de courage, d'énergie, de temps. Mais il faut pour cela un minimum de qualités, de compétences,

d'honnêteté, de sérieux, d'intelligence. Et quand un élu important se gausse de ne lire le journal que quand on le lui donne dans l'avion, ça m'inquiète. Comment peutil avoir conscience des enjeux actuels, des perspectives envisageables dans différents domaines, des possibilités qu'offrent les dernières avancées technologiques, scientifiques ? Comment peut-il orienter une politique, des services ? Quelles ambitions peut-il nourrir pour l'île s'il ne s'intéresse pas à ce qui se fait ici et ailleurs, s'il ne lit pas des journaux ? La crise sociale qui menace Mayotte actuellement se nourrit de quantités de détails qu'il aurait fallu régler. Certains sont importants, très importants. Un logement digne. Une éducation correcte pour assurer un espoir, un avenir pour les enfants. Un travail, un pouvoir d'achat permettant d'assurer honnêtement des conditions de vie correctes à sa famille. Les besoins ne manquent pas. Mais sur ce dernier point, il faut bien voir le cercle vicieux dans lequel nous nous engageons avec la hausse des salaires attendue et annoncée. Les salaires augmentent fortement depuis quelques années, il faut déjà le reconnaître. Et ils continueront d'augmenter. Mais toute hausse de salaire s'accompagnera d'une hausse des prix des produits et services. Pour payer les agents du conseil général, des communes, il faudra augmenter les impôts, les taxes sur les produits à l'entrée sur le territoire, ou baisser les investissements… Pour aider ceux qui par dizaines de milliers ne travaillent pas, il faudra en plus prélever une part des salaires de ceux qui travaillent, dans le cadre de la solidarité, de la sécurité sociale. S'engager dans ce cercle vicieux d'une hausse des salaires et des prix, mettra encore plus sur le côté ceux qui survivent de la solidarité, les exclus, et éliminera toute idée de production locale concurrentielle. Tout sera importé et il ne restera qu'à tendre la main. C'est en partie ce qui a causé les explosions sociales aux Antilles récemment. Pour baisser les prix sur certains produits, pour faire diminuer la pression des prélèvements et autres cotisations, il convient de créer des emplois. C'est là que doit se situer l'action des élus. C'est la soupape de sécurité de la cocote minute qu'il convient d'activer en grande urgence. Mais cette fois-ci ce ne doit pas être des emplois de complaisance qui plombent les administrations et nous coûtent très cher chaque mois, sans aucun résultat souvent, sinon de désorganiser des services, les empêcher d'avancer, de se moderniser. Il s'agit d'emplois productifs, créateurs de richesses. Cela passe par les grands chantiers tant attendus, par l'ouverture du marché, du port, par la construction des écoles, collèges et lycées indispensables pour accueillir correctement la jeunesse. Cela passe par des rencontres entre les élus et les acteurs économiques. Cela passe par un respect mutuel et des efforts de compréhension entre les élus, les employeurs et les salariés.

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Consultation du 29 mars 2009 : rendez-vous avec l'histoire

La France entière a les yeux rivés sur Mayotte. Et pour cause : le territoire s'apprête à voter pour la consultation sur la départementalisation du 29 mars 2009. Médias ou hommes politiques nationaux, nombreux sont ceux qui ont fait le déplacement pour couvrir l'évènement ou y être présents. Parmi eux, le député Jean Lassalle, qui déclarera : "L'Histoire que j'ai apprise, c'est qu'il y a toujours eu des problèmes dans l'archipel, bien avant les années 1960. Les Mahorais sont les plus libres, ceux qui ont choisi la voie la plus singulière. Ils ont vu très longtemps avant les autres qu'il y aurait un monde avec une République qui élèverait ses enfants les plus méritants."

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Mayotte Hebdo n°421, vendredi 27 mars 2009.

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Municipales 2014 : jamais sans mon sorcier

Alors que la date des élections municipales approche, Mayotte Hebdo enquête sur ces candidats qui consultent des sorciers pour mettre toutes les chances de leur côté. Et c'est bien de sorciers, et non de fundis, qu'il s'agit. "De très nombreux candidats viennent me voir et me proposent énormément d’argent, jusqu’à 10 000 euros pour que je fasse de la magie noire et leur permette de gagner les élections, mais je refuse toujours. Cet argent-là est haram (interdit par Allah)", témoigne ainsi un fundi en poursuivant : "Le jour du jugement dernier, tu vas devoir rendre des comptes à Dieu et moi, je tiens à sauver mon âme", explique-t-il.

IL Y A 5 ANS

IL Y A 10 ANS

C'ÉTAIT DANS MH

SANS Z RENDE S U O V

Mayotte Hebdo n°652, vendredi 28 mars 2014.

GRAND CHOIX DE LEURRES

LA PHOTO D'ARCHIVE

George Pau-Langevin annonce la création de l'EPFAM Mai 2015 : Georges Pau-Langevin, alors ministre des Outre-mer, fait une rapide escale à Mayotte. Durant deux jours, elle effectue quelques visites et rencontres, notamment, avec le nouveau président du Conseil départemental : Soibahadine Ibrahim Ramadani, élu le mois précédent, faisant ainsi basculer la majorité départementale vers l'Union pour un mouvement populaire (UMP). Lors de ce séjour, la ministre annonce la création de l'Établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte, effectif depuis 2017. "Cet établissement public de l’État disposera à la fois de compétences foncières et d’aménagement. À Mayotte, il permettra de valoriser les ressources foncières disponibles de l’île, principalement en faveur du logement, afin de faire face à une démographie en forte hausse avec un doublement de la population attendu à l’horizon 2040", détaillaitelle alors.

PALMES AQUAGYM

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TCHAKS L'ACTION Un "Trashtag" pour Mayotte

Voilà une initiative qui prouve qu'à Mayotte, on sait parfois se bouger ! Des internautes citoyens ont en effet décidé de lancer un défi aux habitants de l'île. Lequel ? Cibler un endroit envahi de détritus, y faire un grand ménage, et poster une photo "avant-après" en l'identifiant avec #TrashtagchallengeMayotte sur la page Facebook du même nom. La première action du mouvement s’est déroulée samedi 23 mars à Mamoudzou, rue du commerce, en contrebas entre les magasins Sodifram et Sodicash.

LA PHRASE

LE CHIFFRE 680

C'est, en kilos, la quantité de poissons "impropres à la consommation" saisie à Mamoudzou par le Comité o p é ra t i o n n e l d ép a r t e m e n t a l antifraude (Codaf) lors d'un contrôle de revendeurs illégaux de poissons et de produits de la mer à Tsoundzou et Mtsapéré, le vendredi 22 et le samedi 23 mars. "Pour la revente de ces produits de la mer en dehors des lieux déterminés, achetés en grande partie à des pêcheurs illégaux, sans respect des règles sanitaires et sans pesée des produits, l’ensemble de ces revendeurs seront poursuivis", a par ailleurs indiqué le Comité.

"Ces coupures ne sont en aucun cas dues à un problème de sous-effectif"

Contacté par nos collègues de Flash Infos, le délégué syndical à Sogéa, Anli Soumaila dément la rumeur selon laquelle les coupures d'eau qui ont lieu dans le nord de l'île en milieu de semaine seraient la cause du mouvement de grève au sein de l'entreprise. "Ça n’a rien à voir avec le mouvement social, notre objectif n’est pas d’impacter la population", a-t-il ainsi assuré. La cause de ces interruptions d'alimentation en eau ? Les fortes pluies qui ont entraîné "une dégradation de l'eau brute" et une réduction de "la production des usines de l'Ourovénie et de Bouyouni." Plus simplement : l'apport trop important de boue a bouché les filtres des bassins où elle est censée être séparée de l'eau claire, provoquant de fait la suspension de la production.

LA PHOTO DE LA SEMAINE Le Tonnerre dans le lagon

Lundi 25 mars, Le Tonnerre, portehélicoptère amphibie de la Marine nationale fait escale dans le lagon. Il a pour mission de récupérer 25 tonnes de matériel de première nécessité fourni par la Croix-Rouge à destination du Mozambique, durement touché par le cyclone Idai la semaine précédente.

INSOLITE

Un slip pour Mayotte Sympathique initiative de la très franchouillarde entreprise de sousvêtements Le Slip Français. Elle relance en effet son concours "Le Slip des régions", qui propose 18 imprimés différents correspondant aux régions françaises, outre-mer compris. Pour une fois, Mayotte n'est pas oubliée. Il vous est donc possible de voter pour le slip de Mayotte jusqu'au 15 avril sur le site internet www.leslipfrancais.fr. À l'issue du concours, les trois régions ayant recueilli le plus de votes verront leurs motifs produits et distribués sur des slips, boxers et culottes.

DÉCÈS

Le gérant du restaurant Paris 13, Alexis Matokwong, (dit Mato) est décédé lundi 25 mars à l’hôpital de Mamoudzou, des suites d’une infection pulmonaire. Celui qui venait de fêter ses 57 ans vivait à Mayotte depuis près de 20 ans. Il a d’abord travaillé dans l’import-export avant de tenir, depuis quelques années avec son épouse Nadine, le restaurant Paris 13, à Kawéni. Une messe en son honneur est célébrée samedi 30 mars, à 10 heures, en l’église Notre-Dame de Fatima à Mamoudzou.

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LE FLOP LE TOP Si les oiseaux s'y mettent…

Acoua : premier prix des Trophées outre-mer durables

Comme si les nombreux problèmes techniques qu'elle a connu ces dernières semaines, provoquant retards et annulation de vols, ne suffisaient pas, la compagnie aérienne Air Austral a été cette semaine victime… d'un oiseau. Lundi 25 mars en effet, le Boeing 787 effectuant la liaison Paris-Mayotte en passant par La Réunion a heurté un volatile en atterrissant à l'aéroport Roland Garros, immobilisant ainsi l'appareil, et provoquant un retard de plus. Pour y remédier et permettre aux passagers de finir leur périple, la compagnie a tout de même pu mettre en place deux rotations vers Mayotte avec un Boeing 737.

Coup double pour Acoua : après le prix "Coup de cœur" reçu l'année dernière, c'est le premier prix des Trophées outre-mer durables que la commune s'est vu remettre, via son maire Ahmed Darouechi, à l'Assemblée nationale le 12 mars dernier, pour son projet de sentier sousmarin. "Cette initiative vise à faire découvrir aux Mahorais, et notamment aux plus jeunes, la beauté et la grande fragilité de notre biodiversité marine pour mieux la protéger", a expliqué Soula Saïd Souffou, directeur général des services de la municipalité.

ILS FONT L'ACTU Olivier Noblecourt

Marine Le Pen

Venue à Mayotte du délégué interministériel en charge de la prévention et de la lutte contre la pauvreté. Objectif : mettre en place la Stratégie de lutte nationale contre la pauvreté. Du mercredi 20 au vendredi 22 mars, il aura visité le bidonville de Mangatélé et rencontré différents acteurs du social et de l'insertion professionnelle. Parmi les annonces faites : la nomination d'un "référent pauvreté" à la préfecture, mais aussi "près d'un million d'euros de crédits supplémentaires" dans les prochaines semaines pour permettre aux "acteurs locaux de définir euxmêmes les priorités et les solutions les plus efficaces."

La présidente du Rassemblement national fait escale à Mayotte avant de se rendre à La Réunion dans le cadre de sa campagne pour les élections européennes. Objectif : soutenir sa jeune tête de liste et porte-parole du parti, Jordan Bardella. Une visite durant laquelle elle s'est rendue au CHM, au Centre de rétention administrative, a rencontré le Comité de défense des intérêts de Mayotte, et à l'issue de laquelle elle a rencontré les sympathisants de son parti autour "d'un pot convivial". Elle a, à l'occasion, plaidé pour un "bras de fer" avec les Comores : "Si demain j'étais au pouvoir, je leur dirais les visas c'est fini, y compris pour les dirigeants comoriens parce que là on fait des suspensions de visas, mais pas pour les dirigeants comoriens", a-t-elle notamment soutenu.

SONDAGE

BE R E V O R P LE

ajao ka Maji y kidziwa la e la n hu kayas au monte, on l'e e. Quand as en pirogu dp descen

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À LA RENCONTRE DE...

Houdah Madjid

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LAVIE MATURAFI

DOCTORANTE EN SCIENCES DU LANGAGE ORIGINAIRE DE BARAKANI DANS LA COMMUNE DE OUANGANI, LA JEUNE TRENTENAIRE LAVIE MATURAFI EST SPÉCIALISTE DU LANGAGE. ELLE TRAVAILLE NOTAMMENT SUR LA LANGUE MAHORAISE ET CE CONCEPT QU'ELLE APPELLE LE "SHIMAHOZUNGU". La linguistique n'était pas le choix initial de Lavie Maturafi. Après un baccalauréat littéraire obtenu au lycée de Sada en 2007, la Mahoraise originaire de Barakani s'envole pour l'Hexagone où elle entame une licence de psychologie à l'université Paul Valéry de Montpellier (34). "Je ne m'étais pas assez renseignée sur le parcours", reconnaît la jeune femme qui décide de se réorienter à la fin de la première année. "Le changement a été brutal", se rappelle-t-elle. "Je n'avais jamais été à la fac, jamais pris de cours en amphithéâtre. Je ne m'y retrouvais pas du tout". Une fois en licence Sciences du langage, Lavie Maturafi est "dans son élément". L'étudiante de l'époque, ravie de cette "continuité", donne enfin un sens à ses études postbac. Le cursus propose notamment d'intéressantes options pour la jeune femme, tels que des cours de communication et de lettres modernes. Une fois sa licence en poche, Lavie Maturafi poursuit avec un master 1, puis un master 2 dans le même domaine. Son premier mémoire s'intitulera "Analyse des discours médiatiques, institutionnels et politiques". Un thème choisi avec l'objectif d'analyser les discours radiophoniques et les textes de presse, entre autres. En master 1, l'étudiante de l'époque se penche sur la gestualité et la mimogestualité de Nicolas Sarkozy. Elle lui accordera son mémoire entier. "Je ne savais pas où j'allais avec Nicolas Sarkozy", confie Lavie Maturafi qui préfère traiter de sa langue maternelle en master 2. Un projet sur lequel elle avait déjà entamé une première ébauche en licence, lors d'un sujet sur les langues du monde où elle avait abordé celles de Mayotte. "Les questionnements ont commencé à se bousculer dans ma tête. Je n'avais pas pris conscience que le shimaoré pouvait s'écrire", déclare Lavie Maturafi. Son deuxième mémoire

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doctorante et future linguiste

À tout juste 30 ans, Lavie Maturafi est doctorante et future linguiste. Ses travaux portent sur le shimaoré, qu'elle souhaite contribuer à formaliser dans sa forme écrite.

CE QU'ILS EN DISENT Djaoulati, sœur de Lavie Maturafi

"Une lionne" "C'est une femme battante qui sait ce qu'elle veut, prête à faire des sacrifices pour y parvenir. Pour arriver à ce stade, elle a beaucoup souffert. Elle a dû se battre, même maintenant, pour faire reconnaître son travail. Lavie est une lionne. Une femme de caractère qui arrive à s'imposer. Elle est un exemple".

s'intitule "Étude prosodique du français et du shimaoré dans le parler quotidien et celui des médias". Elle y confronte les discours de la chroniqueuse radio de Mayotte 1ère, Saandati Sorribas à sa belle-sœur Fostin. "Je voulais comparer le parler radiophonique et le parler du quotidien", commente Lavie Maturafi. Avec une amie de la faculté, elle met également en parallèle le discours de Flavie Flament, animatrice de télévision et de radio française afin de "dégager les spécificités des différents discours", explique-t-elle. Pour le cas de Mayotte, Lavie Maturafi remarque que dans les deux discours, le français et le shimaoré s'entremêlent. Constatation qu'elle déploiera dans sa thèse une fois son master 2 en poche.

SHIMAORÉ VS LANGUE FRANÇAISE "Le français et le shimaoré à Mayotte : influences réciproques", tel est le nom de la thèse de Lavie Maturafi, sur laquelle elle travaille actuellement. En effet, dans un discours censé être tenu en shimaoré, les interlocuteurs insèrent très souvent des termes français. Un mélange des deux langues que la linguiste appelle "le shimahozungu". Sous la direction d'Agnès Steuckardt de l'université de Montpellier 3, Paul Valéry, le projet de thèse a été motivé par son professeur Fabrice Hirsch. "Durant mon master 2, j'avais eu du mal à trouver de la documentation sur le shimaoré", déplore Lavie Maturafi. Encouragée par son professeur, elle décide de "creuser" et de récolter un

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"APPRENDRE QUI NOUS SOMMES RÉELLEMENT" maximum d'informations sur la langue mahoraise et cet emboîtement du français et du shimaoré.

UNIFORMISER LE SHIMAORÉ À L'ÉCRIT Le shimaoré est une langue de tradition orale qui ne connaît aucune transcription écrite officielle. Épaulée par divers chercheurs issus de divers horizons, la première étape a été de définir un alphabet mahorais. "C'est important de voir comment on allait écrire les sons de la langue", explique la linguiste. "Il faut différencier absence d'écriture et absence d'alphabet fixe. Le shimaoré et le kibushi sont certes de tradition orale, mais les langues s'écrivent depuis de nombreuses années. Tant à travers les caractères arabes que les caractères latins", fait remarquer Lavie Maturafi qui souligne tout de même que "les locuteurs non-avertis se calquent généralement sur le système du français". L'écrit reste une des difficultés majeures de la langue locale. En prenant l'exemple de la danse traditionnelle "deba", nous pouvons constater plusieurs écritures différentes : "debaa" ou encore avec l'accent aigu "déba", si on francise le mot. Dans son travail de recherche, Lavie Maturafi s'est concentrée sur trois alphabets : celui de l'association mahoraise de promotion des langues locales Shimé, celui du linguiste mahorais Haladi Madi et celui du Groupe de recherche sur

le plurilinguisme à Mayotte (GRPM) dirigé par le professeur Foued Laroussi. Un choix scientifique s'impose, elle se focalise sur l'alphabet de Haladi Madi. "Tous les trois avaient raison, mais j'ai fait le choix de suivre l'alphabet du linguiste Haladi Madi et de l'associer à celui de Foued Laroussi sur un seul son, car je n'étais pas totalement d'accord avec tous ses choix", explique la jeune linguiste. En effet, les trois étaient en concordance sur la transcription des consonnes. Un bémol, les voyelles sont quant à elles plus difficiles à retranscrire. Lavie Maturafi est notamment dubitative sur la "nasalité de la langue", accent circonflexe ou tilde ? "Haladi Madi propose un accent circonflexe, l'association Shimé un tilde, couramment utilisé dans l'alphabet international", explique-t-elle. Tant de questions pour faciliter l'apprentissage et l'écriture du shimaoré. "Chaque graphie doit se rapprocher au maximum du son entendu pour établir l'alphabet mahorais". À titre de rappel, afin d'être reconnue en tant que langue régionale et qu'elle soit enseignée dans les écoles, la langue mahoraise doit être formalisée à l'écrit.

UNE HISTOIRE AVANT 1841 À l'initiative du Conseil départemental, un projet de création d'un Institut des langues et des civilisations serait en cours d'élaboration. Un moyen "d'apprendre qui nous sommes réellement", explique Lavie Maturafi qui ajoute qu'une ouverture vers la région serait également de mise. "L'idée est d'arrêter d'insulariser tout ce qui passe ici. En se basant sur ce que les autres font à l'extérieur du territoire, on pourrait mieux se comprendre". Par le biais de cet institut, les responsables souhaiteraient procéder à de la recherche, de l'information "et travailler sur la civilisation, l'histoire de Mayotte avant 1841 parce qu'on a eu une histoire avant cette date", indique la jeune linguiste qui participera au projet via ses travaux de recherche. n

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CE QU'ILS EN DISENT Salami, compagnon de Lavie Maturafi

"Une femme engagée" "Lavie est passionnée par ce qu'elle fait. Je dirai carrément qu'elle est perfectionniste. C'est une femme engagée et très passionnée par son domaine".

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S I A R O H A M Geoffroy Vauthier

D N O M U

LE DOSSIER

S E L

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. anati s s a ore H ont c n e s im ou s, mais il temps s s a ina, K ais, certe our long oin a Z , i s p l, Fan nt Mahor ou pas, et be a l e i a v s w n ent T un ? Ils so Étudiant out par e rs mots l l e p . p , r rt eu Ils s'a int comm 'expatrie , mais su rizons. L is, Suède e po i de s é parfois autres ho . États-Un it leur vi s i Leur o h ace ssit s d' stru ut c surto , par néce partis ver nté et aud ls ont con nt. t n :i lo nte ou no rs, ils son ation, vo erre, etc. s la raco in ou eu let d'aill ? Déterm rice, Ang r île. Et n u re eu d'ord Ivoire, Ma loin de l d' en Côte avenir bi r et leu


TWALAL ABASSE HAROUNA

LE DOSSIER

Geoffroy Vauthier

"Soit nous rentrions à Mayotte avec tout le confort habituel – voulés, maison future, mariage à venir, etc. –, soit nous partions au Canada. Après la fin de nos études, restés sans aucune perspective professionnelle en métropole malgré les recherches d'emploi, la décision a été prise rapidement. En octobre 2011, nous arrivions au Québec." Twalal Abasse Harouna a 26 ans lorsqu'il choisit avec sa femme de poser ses valises en Amérique du Nord. Le choix d'une vie qu'il ne regrette pas aujourd'hui. Ce n'était pourtant pas une franche évidence. Au contraire d'autres Mahorais en effet, expatriés mais qui avaient déjà quitté l'île très jeune pour la métropole, ce n'est qu'à 18 ans que notre homme découvre d'autres horizons. Il vient alors d'obtenir son baccalauréat. "Je quittais Mayotte pour la première fois pour aller à Toulouse suivre un cursus universitaire en Administration économique et sociale. Il a fallu que je m'acclimate à cet ailleurs que je ne connaissais pas", explique-t-il. Exigeant et déjà déterminé, l'étudiant d'alors

s'oriente ensuite vers la finance, et engage un premier tournant : "J'avais commencé à côtoyer le monde professionnel, mais je sentais qu'il me manquait encore quelque chose. Je voulais rentrer à Mayotte avec les expertises dont elle a besoin, rendre service au territoire. Alors j'ai quitté Toulouse pour Paris, où j'ai intégré l'École de guerre économique, spécialisation Intelligence économique." Lorsqu'arrive le moment d'envisager la suite, le moment du retour prochain sur l'île aux parfums, les choses basculent. Twalal s'en souvient : "J'ai réalisé que je n'étais pas prêt à revenir. Je voulais découvrir le monde, j'avais besoin d'aventure et d'adrénaline. Rentrer, c'était trop confortable. La plage, les voulés, c'est bien, mais je cherchais autre chose." Une envie à laquelle s'ajoute un constat : "Je n'avais pas encore les épaules pour faire ce que je voulais professionnellement. Sans compter que c'était la

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MONTRÉAL

CANADA "Rentrer à Mayotte, c'était trop confortable" ENVIE D'AVENTURE, DE REMISE EN QUESTION, DE DÉCOUVRIR LE MONDE : C'EST CE QUI A POUSSÉ TWALAL ABASSE HAROUNA À S'EXPATRIER EN MÉTROPOLE AVEC SA COMPAGNE À L'ISSUE DE LEURS ÉTUDES. UN CHOIX QUE LE MAHORAIS NE REGRETTE PAS. 15

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période de la grève contre la vie chère à Mayotte. Elle était légitime, mais je ne voulais pas user mes forces ainsi."

Rien, juste la volonté Avec sa femme, leur décision est prise : il est temps de s'expatrier. Langue, visa vacances-travail pour débuter, et opportunités professionnelles nombreuses en Amérique du Nord : le Québec, au Canada, s'impose rapidement. Quelques mois après, ils y débarquent portés par leur seule détermination à y rester. "Nous ne disposions ni d'un logement, ni de contacts sur place. Nous n'avions qu'un petit pécule pour tenir le coup le temps de trouver du travail et notre volonté. Mais nous étions tellement résolus que rien ne pouvait nous arrêter", se souvient Twalal. Une volonté qui, comme bien souvent, facilite les choses. En trois semaines en effet, ils décrochent un emploi et trouvent un logement à Montréal, capitale de la province. Twalal se rappelle : "J'ai intégré une compagnie d'assurance comme travailleur autonome. Il m'a fallu comprendre les habitants, leurs habitudes de vie, les méthodes de travail, etc. C'est une des expériences les plus intéressantes de ma vie. Rentrer dans ces maisons pour parler d'assurance et de finance était un vrai défi pour moi." Trois ans plus tard, il rejoint la coopérative financière pour laquelle il travaille toujours en tant que conseiller financier : le Mouvement des caisses Desjardins, le plus grand groupe financier coopératif au Canada. Nous sommes en 2014 et la motivation du couple a bel et bien payée. "Le système québécois est ainsi, assure-t-il. Nous avions montré que nous voulions travailler et il récompense l'effort et l'envie." Réussite professionnelle donc, mais aussi personnelle : le couple a aujourd'hui deux jeunes enfants, et a réussi son intégration au Canada. Un sujet pour lequel l'expatrié ne tarit pas d'éloges : "Le Québec est une terre d'accueil, qui a l'habitude d'accueillir des étrangers. Cela a donc été très simple, car tout est clair et transparent dans le processus. Si on fait en sorte de réussir, alors l'intégration réussit elle aussi. Il n'y a qu'à voir Montréal, c'est un melting-pot extraordinaire." Et puis, "Il y a énormément d'activités possibles dès que le beau temps revient." Le plus dur, finalement ? "L'hiver qui est très froid - "Il fait fret", comme disent les Québécois. Parfois on se demande ce qu'on fait ici et nous sommes heureux quand la température atteint un degré, cela veut dire que l'on peut mettre une doudoune plus légère", rigole-t-il. Ça, mais aussi la difficulté à se faire des amis québécois, bien que "Nous ne soyons jamais seuls, mais la plupart sont des immigrés, comme nous."

Mayotte, méconnue au Canada Une sorte de terre promise, donc, mais qui connaît bien peu Mayotte. "En neuf ans, je n'ai jamais rencontré un Canadien qui savait situer Mayotte sur une carte, explique Twalal. Ils connaissent parfois l'île par rapport à La Réunion, plus connue, mais pas plus." Il faut dire que la communauté mahoraise du Québec n'est que peu nombreuse, "une dizaine tout au plus." Et de se rappeler en plaisantant : "Quand nous sommes arrivés, nous avons cherché des compatriotes, mais au bout de six mois nous avons laissé tomber car il n'y en avait pas."

Alors, quel lien garde-t-il aujourd'hui avec son île ? Hormis un paréo avec la carte de Mayotte – "un incontournable souvenir" – et quelques objets du quotidien, Twalal suit à distance les actualités de son île : "Je ne peux pas délaisser ce qui m'a construit alors je suis à distance ce qu'il s'y passe, notamment via ma mère et mes sœurs. Cela dit, même si cela me manque, ma vie est désormais ici et je ne peux pas me focaliser sur Mayotte. Nous sommes désormais propriétaires et bien installés, avons deux enfants qui sont canadiens, et nous voulons leur donner des ailes. En l'état actuel des choses, Mayotte ne le permet pas. Il ne faut pas être égoïste. Pourquoi ne pas revenir un jour, mais pas dans l'immédiat. Je voudrais faire quelque chose pour l'île, mais au moment opportun. Je me laisse le temps de cultiver cette idée, qui peut aussi se faire d'ici."

Un nouveau regard Si l'audace de Twalal et de sa femme leur ont permis de mener à bien leur projet d'expatriation, elle aura aussi permis à notre homme de faire évoluer son regard sur l'île. En termes d'immigration notamment – car être dans la position de l'immigré l'a "éloigné de ce qu'on peut penser sur ce sujet à Mayotte. Il faut savoir regarder ce qu'il peut y avoir de positif dedans, plus que de négatif" –, mais aussi en termes de mentalités. "Nous avons trop tendance à attendre que le travail frappe à notre porte et à croire que tout nous est acquis parce qu'on est Français, achève-t-il. Si c'est ce que l'on croit, alors il vaut en effet mieux rester à Mayotte ou en métropole. Mais la vérité est qu'il faut se bouger, faire l'effort, et aller chercher l'expertise ailleurs. C'est de cela dont Mayotte a besoin pour se développer, bien plus que de ceux qui ne rêvent que de faire de la politique." n

Ses conseils aux jeunes de l'île "Vas, vis, et deviens car dans la vie il n'y a pas de hasard, que des rencontres et des réalisations. J'encourage tout d'abord vivement les Mahorais à regarder vers l'Amérique du Nord où les opportunités sont nombreuses. Et je dirai qu'il ne faut pas avoir peur de se lancer. La pire chose est de revenir en arrière. Il faut se projeter plus loin que le baccalauréat et une licence en métropole. Cela ne doit pas être une finalité, mais un début. Il s'agit de se donner les moyens et une chance de réussir plutôt que de tout attendre du Conseil départemental. Rien ne doit être considéré comme acquis. Mayotte fait ce qu'elle peut, mais elle ne peut pas tout vous donner. Il faut accepter le consensus et l'effort. Si nous faisons tous ça, alors dans 10 ou 15 ans, il y aura de l'espoir. Qu'on se bouge !"

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R O U WA I D A A B D O U

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Geoffroy Vauthier

ABIDJAN

CÔTE D'IVOIRE "Mon île ne me manque pas"

EN STAGE AU SEIN D'UN CABINET D'AVOCATS INTERNATIONAL À ABIDJAN, EN CÔTE D'IVOIRE, ROUWAIDA N'HÉSITE PAS À LE DIRE : MAYOTTE NE LUI MANQUE PAS. EN CAUSE : LE MANQUE D'OPPORTUNITÉS PROFESSIONNELLES SUR L'ÎLE, ET UN CERTAIN GOÛT DU VOYAGE ATTRAPÉ LORS DE SES PÉRÉGRINATIONS. Entre Mayotte et ailleurs, Rouwaida Abdou a choisi. Âgée de 26 ans, la jeune femme est actuellement en stage au sein d'un cabinet d'avocats international à Abidjan, en Côte d'Ivoire et prépare, en parallèle, l'examen d'entrée au Centre régional de formation professionnelle d'avocats (CRFPA) pour devenir avocate en droit international. Autant dire que "l'ailleurs" est sans doute inscrit quelque part dans ses gènes. Il l'est en tout cas dans son parcours : "Je suis née à Toulon et suis retournée à Mayotte pour y passer mon baccalauréat. J'y suis restée 11 ans avec ma famille, avant de poursuivre mes études en métropole, à Toulon. Puis, par la suite en Égypte, au Qatar et en Suisse." C'est dans le cadre de ce cursus qu'elle postule à des stages à l'étranger et que le cabinet ivoirien CLKA la contacte. "Le coût de la vie et la possibilité d’enrichir mon CV d’une expérience en Afrique de l’Ouest m’ont poussé à quitter la métropole. J’ai eu la chance de voyager auparavant et je compte exercer à l’étranger si je décroche le barreau. Chaque destination a été l’occasion d’apprendre. J'ai la chance de pouvoir découvrir de nouveaux secteurs et d'être au contact d'une clientèle internationale. Le cabinet qui m'accueille me confie des tâches diverses qui me permettent d'engranger de l'expérience et de toucher a des domaines auxquels je n'aurais pas eu accès si j'étais restée a Paris tel que le droit minier, la médiation de la Cour d'arbitrage de Côte d'Ivoire (Caci), l'Organisation pour l'harmonisation du droit en Afrique, etc. J'ai également la possibilité de développer mon réseau professionnel en Afrique de l'Ouest." Des opportunités professionnelles qui convainquent Rouwaida de s'établir, à terme, à l'étranger : "Je pense que le secteur en France est très compétitif, justifie-t-elle. Nous sommes trop nombreux, c'est la raison pour laquelle on souhaite limiter l'accès à la profession d'avocat en France. Contrairement aux idées reçues, certains avocats galèrent en début de carrière. Ayant voyagé très tôt, je ne pense pouvoir m'épanouir qu'à l'étranger. J'y trouve certains

avantages, comme le niveau de vie et le dépaysement, que je n'ai pas en France."

"Une vie plus sereine" Une vie, justement, qu'elle qualifie de "plus sereine", malgré quelques points "négatifs" comme "Les commerçants qui essayent de vous soutirer plus que le prix réel, ou les taxis qui doublent la course. Mais on s'y habitue." Mais, au-delà de ça, "les locaux sont agréables et serviables, la population est accueillante et chaleureuse. J'ai été touchée par leur gentillesse et leur amabilité, cela change parfois de certains comportements que j ai pu observer ailleurs." Mais, elle qui vient justement d'ailleurs, comment est-elle perçue en Côte d'Ivoire ? "En dépit de ma couleur de peau, les Ivoiriens devinent à mon accent que je ne suis pas d'ici." Savent-ils d'où alors ? "Je sais que certains Ivoiriens savent où se situent les Comores, mais je ne pense pas qu'ils connaissent Mayotte." "J’ai dû attraper le virus du voyage, car mon île ne me manque pas", conclue-t-elle en complétant : "Et puis je ne pense pas non plus qu’il y ait des opportunités professionnelles dans la branche du droit que j’ai choisi." La France en général ne lui manque pas non plus. Elle le dit ainsi sans fard : "J'élabore des projets et je ne me vois pas y revenir, sauf si je n'ai pas d'autres options." n

Ses conseils aux jeunes de l'île " Je constate avec plaisir que beaucoup de jeunes mahorais font le choix de poursuivre leurs études ailleurs qu'en métropole ou dans les DOM. Je les y encourage fortement. C'est une expérience valorisante sur un CV et qui permet de gagner en maturité. Je suis impressionnée par mes camarades qui partent en Chine, en Inde, au Canada, etc. Pour ceux qui choisissent ensuite de rentrer à Mayotte, c est un atout pour l'île."

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Geoffroy Vauthier

KASSIM ABDOUL ANZIZ

LE DOSSIER

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INDIANAPOLIS

ÉTATS-UNIS

"La vie aux US est encore mieux que dans les films"

SUCCESS STORY POUR KASSIM ABDOUL ANZIZ. LE PAMANDZIEN VIT DÉSORMAIS À INDIANAPOLIS, AUX ÉTATS-UNIS, OÙ IL MÈNE SA CARRIÈRE AVEC AMBITION ET PLAISIR. MAYOTTE, IL Y PENSE RÉGULIÈREMENT, MAIS N'A PAS ENCORE PRÉVU D'Y REVENIR. À MOINS QUE… "J'ai eu une enfance tout à fait correcte à Pamandzi, ne vivant ni dans le besoin ni dans l'opulence totale. Depuis tout petit j'ai intégré des valeurs telles que le travail, la prise de risques, la détermination à faire mieux que les autres, l’humilité, mais avec la volonté de viser haut et très vite", attaque Kassim Abdoul Anziz, comme pour rappeler que rien n'est impossible. Et de citer le chanteur américain Frank Ocean, avec une devise qu'il a fait sienne : "Work Hard in silence, let the success be your noise" ("Travaille en silence, laisse le succès être ton bruit", ndlr). Né à la maternité de Dzaoudzi en 1991, parti à l'âge de 11 ans en métropole avec ses parents, le Mahorais vit depuis octobre 2018 à Indianapolis, aux États-Unis, où il met toute sa détermination au service de sa carrière au sein de Faurecia, une compagnie qui œuvre dans le secteur de l'équipement automobile, spécialisée dans la fabrication de systèmes d’échappements, de sièges automobiles et de systèmes d’intérieur (tableaux de bord). La suite logique d'un parcours déterminé. "J'ai obtenu mon baccalauréat Économique et social en 2009", expliquet-il en se rappelant : "J'ai suivi un parcours sans accrocs, mais sans notes extraordinaires non plus. Il faut voir l'école comme un moyen de réussir en ayant conscience de ses points forts et de ses points faibles. Dès le lycée, j'ai ainsi su que j'étais bon dans les matières économiques et politiques. J'ai joué avec les coefficients pour y arriver. Il n'y a pas de honte à cela. J'ai pleinement exploité le système scolaire et sa manière de sanctionner le succès ou l'échec." S'en suit la période universitaire, "très formatrice" : "J'ai hésité entre devenir homme politique ou économiste. J'ai donc fait une double licence Sciences économiques et, en parallèle, Science politique, à Lyon. C'était très dur, mais j'ai joué là aussi avec les coefficients et mes points forts. Quand on veut, on peut !" C'est là que ses plans changent. "Ayant obtenu mes deux licences, je suis tombé amoureux d'un métier en pleine croissance : les

achats", se rappelle Kassim. Il s'oriente alors vers un Master dans ce domaine, "obtenu haut la main" et débute sa vie professionnelle en intégrant la société pour laquelle il travaille encore aujourd'hui. Numéro un mondial du secteur, Faurecia est présente dans 34 pays : "Pour faire simple, trois voitures sur quatre dans le monde sont équipées d'un produit de la compagnie, et même à Mayotte", rigole-t-il. Une implantation dans de multiples pays qui lui permet de s'envoler vers les States en octobre 2018 : "Mon entreprise me fait confiance et me donne plus de responsabilités. Je suis en charge d'une famille de produits dans toute la zone Amérique du Nord – États-Unis, Canada et Mexique. C’est une reconnaissance de mon travail, car c’est normalement un métier qui demande de la séniorité."

"Mieux que dans les films" Un mode de vie qui sied parfaitement à Kassim : "La vie aux États-Unis est encore mieux que dans les films, elle y est assez agréable." Le tout malgré les différences avec la France, et plus encore avec Mayotte. Parmi elles, "L'hiver rude à certains endroits. La vague de froid récente laissait constatait des températures entre -30 et 60 degrés !" ; mais aussi des habitudes quotidiennes autres : "Les Américains mangent à des heures différentes de ce que l'on peut observer en Europe ou même à Mayotte. Le déjeuner par exemple débute à partir de 11h. Le dîner à partir de 17h. Vers 21h la plupart des restaurants sont fermés, sauf les chaînes qui ouvrent 24h/24h. On peut aussi faire ses courses toute la nuit, car de nombreuses enseignes restent ouvertes. Le code de la route y est aussi plus simpliste. Le dépassement par la droite y est toléré, il n'y a que peu de panneaux stop, plutôt des "cédez le passage". On peut aussi franchir un feu rouge si on tourne à droite." Contrairement à la France, la voiture a encore de beaux jours devant elle aux States : " Le train ici est peu développé,

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ou plutôt délaissé. L'automobile est le moyen de transport par excellence. Les Américains peuvent rouler des heures et des heures par habitude, ils aiment les road-trips. Le carburant, lui, ne vaut pas grand-chose. Je fais le plein pour environ 25 euros. Voilà pourquoi il y d’énormes voitures qui circulent ici. " Et puis, il y a les avantages à vivre de l'autre côté de l'Atlantique, comme on dit. Un exemple ? "Les Américains adorent le cinéma. Les films peuvent sortir ici facilement trois à six mois avant l'Europe, sauf s'il s'agit de gros blockbusters mondiaux." En somme : le rêve américain, mais éveillé. Enfin, il y a cette possibilité de réussite. En ce sens, "Je dirai que le pays me correspond mieux. Les ambitions sont affichées sans filtre, l'argent n'est pas un tabou et je gagne très bien ma vie. Je garde mon humilité et cet objectif de réussite car je veux être un de ceux qui influencent leur métier, un point de référence." Et pour convaincre : "À tous les jeunes, j'aimerais dire qu'il n'y a plus de frontières ni de barrières quand on est déterminé. D'autant qu'en tant que Français, il y a des accords et des visas qui facilitent la poursuite d'un carrière ici."

Mayotte ? Connue aux États-Unis Mais être Mahorais aux États-Unis, n'est-ce pas faire l'objet de nombreuses questions ? Au fond, qu'est-ce qu'une petite île du canal du Mozambique peut-elle représenter pour ce pays immense de l'autre côté du globe ? Et bien, l'île n'est pas si méconnue que cela là-bas. L'expatrié l'explique : "Les Américains connaissent Mayotte car il y a une forte présence de leur communauté au Kenya. Beaucoup de professeurs et d’éducateurs vont dans les îles voisines de l’archipel des Comores. Il n'est d'ailleurs pas étonnant de croiser

des Américains parler couramment le grand comorien ou swahili en général. Par extension, ils connaissent donc Mayotte." Mayotte, sa lointaine île de naissance, témoin de ses 11 premières années, avec laquelle il garde tout de même un lien. "Je l'ai quitté très jeune. Le lien le plus important que j'ai avec, c'est la famille qui y vit encore. Je leur parle très souvent. La nourriture me manque aussi. Lorsque j'étais en métropole je passais d'ailleurs souvent des commandes de fruits, de légumes, et même de poissons. Mayotte, elle ne quitte jamais vraiment l'esprit des gens, car la diaspora est d'une grande importance. J'y retournerai quand j'aurai une offre d'emploi assez attractive. Mais pour le moment c'est n'est pas le cas." n

Ses conseils aux jeunes de l'île "Ne choisissez pas vos études au hasard. Commencez par analyser dans le fond. Les métiers évoluent sans cesse. Regardez s'il y a beaucoup d'offres de travail dans le secteur visé et si dans cinq années, ce métier va stagner ou être au contraire en plein boum. On anticipe pas assez l’avenir à cinq ans, voir plus. Dans ce monde mondialisé, vous êtes en concurrence avec la planète entière. Trois critères doivent compter pour avoir un bon équilibre personnel et professionnel : un bon salaire – car il ne faut pas se mentir c’est primordial, visez la lune si vous sentez que vous le méritez –, une opportunité de progresser dans son secteur ou son entreprise, et être passionné. Si un seul des trois critères et là, il faut changer de métier ou d'entreprise. Si deux sont remplis, alors il faut aspirer à obtenir le troisième à moyen terme. S'il y a les trois, alors vous êtes dans le vrai. Ne bougez plus, la réussite vous tend les bras !"

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Houdah Madjid

H A S S A N AT I A N L I

MONTRÉAL

CANADA "Le choc culturel était très fort"

ÉTUDIANTE EN DEUXIÈME ANNÉE DE TOURISME À MONTRÉAL. LA JEUNE FEMME Y DÉCOUVRE UN NOUVEL ENVIRONNEMENT ET SE FORGE À CETTE NOUVELLE VIE.

Nouvel environnement et températures radicalement différentes : le choc culturel était bien présent à l'arrivée de Hassanati Anli à Montréal le 28 décembre dernier. Originaire de Ouangani et de Sada, la jeune étudiante est en deuxième année de Bachelor de management du tourisme et d'hôtellerie à l'Université du Québec, à Montréal, dans le cadre d'un échange – le temps d'un semestre – avec son école de commerce Excelia Group, sise à La Rochelle. Le 4 janvier, la jeune femme a démarré "la session d'hiver", comme ils disent si bien à Montréal. Les premiers jours ont été difficiles pour Hassanati Anli. "Le choc culturel était très fort, je ne sortais pas, ne mangeais pas et j'avais perdu du poids", se rappelle-t-elle. Des difficultés rencontrées également au niveau des expressions idiomatiques et de l'accent propre à la province canadienne. Au fur et à mesure, Hassanati Anli tâte le terrain et s'adapte. Elle se fait des amis d'origines québécoise, comorienne et nigériane avec lesquels elle peut s'aventurer dans sa nouvelle ville d'accueil. Au bout de deux semaines, la jeune étudiante prend goût à la vie québécoise. "Je suis très épanouie malgré les rudes températures. Je suis comme un poisson dans l'eau maintenant", déclare-t-elle. "J'ai l'impression de vraiment recevoir un enseignement de qualité", se réjouit Hassanati Anli avant d'ajouter : "Ce qui change avec Mayotte et la France, c'est que les

professeurs sont vraiment disponibles. Les cours sont décontractés, il n'y a pas tous ces usages, ces codes, qu'on retrouve en France où on doit rentrer dans des cases. Ici, les professeurs veulent vraiment voir le meilleur de nous-mêmes. Ils essayent de dégager le meilleur de nous, même si ce qu'on a fait n'est pas parfait".

M'biwi et coquillages "J'ai ramené des m'biwi et des objets de décoration que je me suis achetée au marché de Mamoudzou", raconte la jeune femme. Aussi, une carte géographique, des coquillages, une petite boîte artisanale à bijoux, de l'huile essentielle d'ylang-ylang et un poisson sculpté en bois offert par son frère. Une certaine façon de se rappeler la chaleur de son île et surtout d'avoir sa famille près d'elle malgré les milliers de kilomètres qui les séparent. "J'ai beaucoup de mal à joindre ma mamie à Mayotte", déplore Hassanati Anli qui doit souvent acheter des cartes téléphoniques pour l'appeler. L'étudiante utilise également les réseaux sociaux – notamment pour les appels vidéos – à travers lesquels elle communique avec ses petites sœurs et les autres membres de la famille. Hassanati Anli est "tombée sous le charme", de cette "culture accueillante qui mérite qu'on la découvre". Elle s'est promis de revenir pour découvrir d'autres régions anglophones comme cela a été le cas avec la Grosse Pomme – New York – où elle a pu séjourner pendant une semaine. n

Ses conseils aux jeunes de l'île "Pour partir et profiter au maximum de leurs aventures, ils devront dans un premier temps bien préparer le voyage", conseille Hassanati Anli qui fait référence aux étapes administratives. Aussi, s'informer sur la culture du pays d'accueil est primordial souligne -t-elle. "L'erreur à ne pas faire est de se recroqueviller sur soi en espérant que quelqu'un viendra nous parler en premier. Commencez toujours par un compliment, ça détend l'atmosphère et l'approche est plus facile".

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Geoffroy Vauthier

FA N I N D AT V I TA

STOCKHOLM

SUÈDE

"Je trouve ici des points communs avec Mayotte"

ILS SONT BIEN PEU NOMBREUX À S'ÊTRE EXPATRIÉS EN SCANDINAVIE. C'EST POURTANT LE CAS DE FANINDAT VITA, NATIVE DE MAMOUDZOU, QUI VIT AUJOURD'HUI À STOCKHOLM AVEC SON COMPAGNON, APRÈS UN RETOUR À MAYOTTE DE DEUX ANS. UN PAYS DONT ELLE VANTE LES MÉRITES, ET AUQUEL ELLE TROUVE QUELQUES POINTS COMMUNS AVEC SON ÎLE NATALE.

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"Cela peut paraître étrange, mais j'adore la neige" : d'un ton enjoué et d'un rire communicatif, Fanindat Vita – "mais je préfère qu'on m'appelle Fani Mwéndrézi, qui veut dire "vagabonde" en shimaoré", précise-t-elle comme un clin d'œil à ses voyages – sait faire passer toute l'affection qu'elle a pour son pays d'accueil. À 33 ans, la Mahoraise a en effet choisi, avec son compagnon, de s'installer à Stockholm, la capitale suédoise. Un pays dans lequel elle avait déjà vécu et qui trouve grâce à ses yeux. C'est à 18 ans que Fani quitte Mayotte, comme beaucoup de jeunes qui, pour poursuivre leurs études, doivent s'envoler vers la métropole. À Nîmes, dans le sud du pays elle débutera un cursus en gestion et administration des entreprises, avant de finalement rejoindre… Edimbourg, en Écosse, où elle officie comme assistante de langue dans un établissement scolaire. De retour en France pour achever son cursus de management en alternance, en se spécialisant cette fois dans les ressources humaines, elle

sait qu'elle repartira à terme à la découverte de nouveaux endroits. Ce qui se produit, malgré une proposition alléchante : "On me proposait un contrat de travail en CDD avec une perspective de CDI à la clé, un projet très confortable et intéressant. Mais j'ai préféré le refuser car cela me paraissait être une cage dorée. Je me suis dit que si j'acceptais, je ne partirai plus." Dans ses rêves, trois destinations possibles : la Nouvelle-Zélande, San Francisco et la Suède. Souvent cité comme un modèle en matière de ressources humaines et de management, c'est ce dernier pays qui obtient les faveurs de la jeune femme. Elle en rigole : "J'avais 25 ans, je me suis dit aussi que j'étais encore assez forte pour supporter le froid, mais que ça ne serait peut-être plus le cas quelques années après !" Bilingue en anglais, déterminée, elle part avec seulement son sac à dos mais avec confiance. "Mais j'ai été un peu présomptueuse, se rappelle-t-elle. Si tout le monde ici parle anglais, la langue d'usage est bel et bien le suédois. J'ai bien galéré les premiers temps surtout pour trouver du travail." Cela finit toutefois par arriver au bout de huit mois. Assistante administrative, elle reste un an en Suède avant de prendre la mer avec son compagnon, rencontré en métropole. "Il avait ce projet de voyager en voilier et voulait que nous le fassions ensemble. Je savais désormais que j'étais capable de repartir de zéro toute seule, alors nous l'avons fait", se réjouit-elle. Ils parcourent d'abord le nord de la Norvège, puis reviennent un temps vivre à Mayotte, avant de repartir pour traverser l'Atlantique et arriver en Guyane où ils s'installent deux ans, le temps de "refaire la caisse de bord." C'est là qu'une bonne nouvelle intervient : "Je suis tombée enceinte, et j'avais toujours dit que je retournerai en Suède pour élever un enfant. Tout y est fait pour, c'est très confortable."

Un pays moderne, mais fier de ses traditions Un confort de vie, certes, mais aussi un beau pays. "Le sud de la France était joli, c'est vrai, mais les paysages ne m'avaient pas ému. Arrivant de Mayotte à cette époque-là, je comparais à ce que j'avais connu. Ici, en Suède, rien n'est comparable", s'amuse Fani qui détaille : "J'aime avoir quatre saisons, être dépaysée, j'aime aussi la langue et le système du pays qui est très différent." Une contrée différente oui, mais à entendre la Mahoraise, pas forcément toujours très éloignée de Mayotte. "Beaucoup de choses me font penser à mon île", explique-t-elle. Hormis le fait que Stockholm soit un archipel et que "comme à Mayotte, on peut voir l'eau quasiment tout le temps", "La famille compte beaucoup en Suède, et on retrouve une forme de vie en communauté. De même, le pays plonge dans la modernité, un peu comme Mayotte, mais en restant fier d'être ce qu'il est, avec ses traditions. Un peu comme nous !" Même la cuisine lui rappelle les goûts locaux : "Du poisson, mais aussi des préparations à base de cannelle et de cardamome, des épices que l'on utilise beaucoup sur l'île." Sans oublier… un certain turn-over. "Les Français de Suède pensent que les Suédois sont peu accessibles, défend-elle. Mais

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ils voient ici beaucoup de gens venir et repartir. C'est difficile de s'attacher dans ce contexte, de s'investir dans des relations de passage. J'ai connu ça à Mayotte, alors je les comprends et me suis fait pour ma part de nombreux amis ainsi." En somme : bien qu'à quelque 8 500 kilomètres du 101ème département, "Je ne me sens pas perdue ici. Paradoxalement, je me sens même assez proche, d'autant que les Suédois voyagent beaucoup et ont une vraie culture de l'accueil. Ils sont peu nombreux (10 millions pour 445 000 m2), et ont donc conscience d'avoir besoin d'autres personnes."

Des Suédois curieux Ce n'est pas pour autant que les Suédois connaissent l'île aux parfums. "Certains oui, remarque l'expatriée, mais ce n'est généralement pas le cas. En revanche, ils sont très curieux et vont souvent regarder où se trouve l'île. Et d'une manière générale, ils ne sont pas surpris de voir débarquer une Mahoraise en Suède. La seule chose qu'ils se demandent, c'est pourquoi nous avons voulu rester français, car ils s'imaginent que c'est un système colonial." D'ailleurs, la même interrogation se présentait déjà lorsque Fani exerçait en Écosse. "Mes élèves avaient du

mal à comprendre comment je pouvais être à la fois Française et de Mayotte", s'amuse-t-elle. Pour y remédier et faire connaître le territoire, elle avait alors récupéré quelquesuns des livres grâce auxquels elle avait appris à lire, enfant, dont Bao, l'enfant heureux, "un manuel avec lequel presque tous les enfants de ma génération ont appris à lire." Elle le confie : "Je me suis rendue compte que j'avais besoin de ce genre de choses avec moi. J'ai également des ouvrages de Nassur Attoumani et de nombreuses photos de Mayotte !" Le début d'une nostalgie ? Pas vraiment, mais le besoin de garder un lien : "Je n'ai pas quitté Mayotte pour marquer une rupture avec le territoire, l'île est une part de moi. Elle représente la moitié de ma vie." Pour autant, si la petite famille vient régulièrement en vacances, il n'est pour l'heure pas envisagé de revenir s'y installer. Même si son compagnon est "tombé amoureux du 101ème département", Fani ne retrouve plus vraiment l'île qu'elle a laissée. "Ce avec quoi j'ai grandi change, constate-t-elle. Je ne retrouve plus la bienveillance qu'il pouvait y avoir autrefois entre les gens. Le respect de l'autre disparait aussi. Mayotte perd ses valeurs, préférant rouler avec de gros 4x4 et manger des produits importés que cultiver sa façon d'être." De toute façon, "En l'état actuel des choses, je ne vois pas comment je pourrais revenir. Structurellement, l'île est comme en crise d'adolescence, plongeant dans la modernité rapidement. Tout va trop vite, rien que d'y penser c'est fatiguant." Et de conclure : "Certains Mahorais essayent de faire bouger les lignes, mais très honnêtement, ceux qui prennent les décisions aujourd'hui sont pour la plupart très obtus dans leur façon de voir les choses. Moi, je n'ai pas la force de me battre tous les jours avec des gens comme ça pour que les choses avancent." n

Ses conseils aux jeunes de l'île " Le système français le permet, alors voyagez si vous le pouvez. C'est très important de ne pas vivre seulement dans la communauté mahoraise et d'aller voir ailleurs comment sont les gens et les choses. Cela permet de s'ouvrir, de se créer une réelle fenêtre sur le monde. Pouvoir voir autre chose est la plus grande des richesses à mes yeux."

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LE DOSSIER

Houdah Madjid

YOUSSOUF MADI

BEAU BASSIN-ROSE HILL

MAURICE

"La culture mauricienne me rappelle Mayotte"

JEUNE ÉTUDIANT EN TOURISME À L'ÎLE MAURICE, YOUSSOUF MADI A QUITTÉ MAYOTTE EN OCTOBRE DERNIER AFIN DE SE PERFECTIONNER. UNE NOUVELLE EXPÉRIENCE QU'IL NOURRIT D'EFFORTS AFIN DE REVENIR SUR LE TERRITOIRE AVEC DE NOUVEAUX PROJETS. "La famille me manque", confie Yousouf Madi, étudiant sadois parti étudier à Maurice en octobre dernier. Établi en plein Beau BassinRose Hill, une des plus grandes villes de Maurice, le jeune homme de 23 ans est en troisième année de licence Tourisme et Culture. Après avoir obtenu son baccalauréat à Mayotte, Youssouf Madi prend d'abord la direction de l'île intense pour suivre un cursus de comptabilité. En fin de première année il se réoriente, "la comptabilité était un peu compliquée", explique ce dernier. Il fait ses valises et prend cette fois la direction de l'Hexagone en 2018, optant pour un BTS Tourisme. Très vite, une autre opportunité s'offre à lui : reprendre la direction de l'océan Indien, mais cette fois poser ses bagages à Maurice. C'est ainsi que Youssouf Madi intègre la deuxième promotion de la licence 3 Tourisme et Culture portée par la Chambre de commerce et d'industrie de Mayotte en partenariat avec l'école de commerce de la Chambre de commerce de Maurice, MCCI Business School. Un projet qui lui permet de suivre une formation dispensée par des professeurs du pôle Études supérieures de Tourisme et d'hôtellerie de l'université d'Angers (ESTHUA). Une expérience que le jeune homme apprécie pour toutes ses ouvertures à l'international, mais aussi pour ses similitudes avec son île natale. "Maurice est une île comme Mayotte, ce qui me permet d'avoir une meilleure approche du territoire", dixit le Sadois. "Je voulais quelque chose qui corresponde à notre territoire à nous".

Un manque de Mayotte Même si Mayotte ne se situe qu'à 1 560 km de Maurice, l'île au lagon manque au jeune homme. L'île mais aussi ses activités, ses ambiances chaleureuses à tout moment de la journée, ou encore ses voulés nocturnes. À Maurice, Youssouf Madi déplore le manque de desserte de l'île – les bus s'arrêtant à 20h – qui le contraint à restreindre ses escapades.

Cela étant, certains points lui rappellent tout de même son île natale comme "la verdure et la culture mauricienne. Les Mauriciens sont très accueillants, chaleureux comme à Mayotte. Ils sont là quand tu as besoin d'eux". Bien qu'établi à Beau Bassin-Rose Hill, Youssouf Madi n'a pas réellement quitté son île et ceux qu'il aime. Le contact avec les proches est vital. "Aujourd'hui, tout le monde est connecté", se réjouit celui qui arrive à maintenir un lien permanent avec sa famille et ses amis par le biais de Whatsapp, application mobile pourvue d'un système de messagerie.

Manger à la mahoraise Youssouf Madi confie ne pas avoir ramené "grand-chose de Mayotte". Pas de tenue traditionnelle ni d'objets spécifiques à l'île aux parfums, en revanche le jeune homme n'a pas lésiné sur les plats traditionnels congelés comme le mataba et le féléki. S'ajoutent le tamarin et le piment, élément essentiel aux repas de l'étudiant. "Ici, on ne trouve pas les mêmes variétés de piments qu'à Mayotte", préciset-il. Idem pour les samoussas : "À Maurice, il n'y a pas de samoussas de viande, c'est plus végétarien, du coup j'avais tout ça dans ma valise". n

Ses conseils aux jeunes de l'île Youssouf Madi conseille aux jeunes mahorais de ne pas hésiter à séjourner à l'Île Maurice. "On est à côté de Mayotte, on peut donc faire des allersretours facilement", souligne-t-il. L'éducation est également un bon motif : "On est plus encadrés à Maurice. Le système nous pousse à mieux réussir qu'en métropole". Et d'ajouter au sujet des voyages : "Il ne faut pas avoir peur de l’étranger, oser parler aux gens, poser des questions et se dire que ça ne sera pas dur. Il faut vouloir sortir de sa zone de confort et se surpasser. Choisir une destination où ils se sentiront dépaysés afin d'avoir une expérience enrichissante".

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LE DOSSIER

Houdah Madjid

ZAINA IBRAHIM

LONDRES

ANGLETERRE

"Je me suis fait la promesse de venir passer plus de temps à Mayotte"

ZAINA IBRAHIM A QUITTÉ SON ÎLE NATALE POUR POURSUIVRE SES ÉTUDES DANS L'HEXAGONE À L'ÂGE DE 18 ANS. INTRÉPIDE, L'ÉTUDIANTE MAHORAISE DE L'ÉPOQUE S'ENVOLE TRÈS VITE EN DIRECTION DE LONDRES POUR UN PREMIER STAGE. IL MARQUERA LE DÉBUT DE SON AVENTURE OUTRE-MANCHE. "Je connais bien d'autres villes du RoyaumeUni comme Brighton, Manchester, Glasgow, Cardiff, mais j'ai toujours habité à Londres", confie Zaina Ibrahim. Native de Mayotte, la directrice adjointe des ventes de l'entreprise spécialisée dans les jouets éducatifs destinés aux filles, Smartgurlz, a vécu plus de la moitié de sa vie à Mayotte. L'autre partie, c'est en Europe qu'elle l'a comblera en s'établissant à Londres en 2008. "J'aime les pays anglophones", indique celle qui a obtenu une licence en langues étrangères appliquées anglais, espagnol et portugais à Montpellier. Un plus indéniable qui pouvait présager une vie future extérieure à un territoire francophone. En effet, après un stage dans la "ville monde", Zaina Ibrahim décide de s'y installer définitivement. L'amour l'y aidera. Si en quittant l'île aux parfums, elle avait emmené avec elle "plein de choses", dont une carte géographique et des salouva en rappel à son île, Zaina Ibrahim ne s'est pas pour autant sentie dépaysée : "Londres est une ville multiculturelle, on trouve tout ce que l'on veut dans les magasins chinois, indiens ou encore africains", explique cette dernière. Le contact avec la famille est quant à lui permanent, notamment par le biais des réseaux sociaux et la méthode traditionnelle, le téléphone.

S'émanciper à l'étranger Sa force ? Son éducation "coranique et républicaine", qui a influé sur ses décisions dans la vie. En effet, la jeune femme s'estime heureuse de pouvoir voler de ses propres ailes et d'être libre, notamment dans ses choix de vie, comme celui de s'installer

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outre-Manche, à l'opposé de l'océan Indien. Zaina Ibrahim le reconnaît, elle n'a pas reçu d'éducation stricte basée sur la tradition mahoraise : "Mes parents préféraient que je lise Candide de Voltaire à l’âge de douze ans, au lieu de m’apprendre à porter un salouva". Avec leur soutien, dès son plus jeune âge, elle a été préparée à l'accession à une carrière professionnelle épanouie. Zaina Ibrahim avait en elle ce profil de femme mahoraise indépendante et baroudeuse. Et même si sa mère aurait préféré que sa fille poursuive ses études à quelques centaines de kilomètres de Mayotte, sur l'île voisine de La Réunion, son père l'exhortait à faire des études supérieures dans l'Hexagone, connaissant "sa bonne étoile et son potentiel". "Il me voyait leader, libre de prendre mes décisions et capable de faire avancer les choses à Mayotte", se rappelle la jeune femme avant d'ajouter : "Il m’a dit mama (ma fille, ndlr), je sais ce que ta mère veut. Elle veut que tu te maries et que tu fasses des enfants et elle n’a pas tout à fait tort, mais tu as une chance inouïe, ne la gâche pas et ne rentre pas à Mayotte, en tout cas pas maintenant". Conseil qu'elle suivra à la lettre. On lui a parfois reproché de ne pas être "assez Mahoraise". On l'a par moments aussi surnommée "mzungu", mais Zaina Ibrahim est fière de la femme qu'elle est devenue aujourd'hui grâce aux différentes expériences qu'elle emporte avec elle dans son bagage quotidien. Fière également d'être le fruit de ce mélange africain, mahorais, musulman, français et européen, et ce peu importe l'endroit où elle prendra ses quartiers. Habiter Londres, loin des coutumes de l'île ne font pas de Zaina Ibrahim une femme "moins mahoraise" que celles vivant à même le territoire ou dans des villes à fortes communautés. Aussi, elle condamne les propos définissants "des Mahoraises types". La Maho-londonienne comprend qu'elle "bouleverse les mœurs" en ne suivant aucun code traditionnel, mais refuse qu'on la qualifie de "fausse Mahoraise" : "cela serait insulter l’éducation de mes parents !", commente-t-elle.

Un pied à Londres, un pied à Mayotte Aujourd'hui, Zaina Ibrahim est directrice adjointe des ventes chez Smartgurlz à Londres et gère parallèlement l'association Émanciper Mayotte conjointement avec Houssaini Tafara. Dédiée à la jeunesse, cette dernière ambitionne de déployer davantage la mobilité des jeunes mahorais dans le monde tout en incluant un volet identitaire. Toujours dans la même optique et avec le même collaborateur, Zaina Ibrahim a récemment mis en place la structure ZI Consultancy basée à Londres. Elle propose aux étudiants mahorais de rejoindre le programme Erasmus + avec un lot de destinations proposées par le biais de stages en partenariat avec le centre de formation Daesa, basé lui à Mayotte. Une façon de garder un pied dans le 101ème département quand l'autre à Londres, et surtout une manière de contribuer à l'évolution de l'île comme le souhaitait ses parents. Depuis la mort de son père en 2017, la jeune femme s'est promis de venir passer plus de temps sur son île natale où une grande partie de sa famille réside."Je me suis fait la promesse de venir passer plus de temps à Mayotte. J'ai beaucoup d'attache là-bas", conclut-elle. Son dernier séjour sur le territoire remonte à l'année dernière, la Maho-londonienne sera de retour en mai prochain, sûrement pour y apporter sa touche "so british" à l'île aux parfums tout en retournant aux sources. n

Ses conseils aux jeunes de l'île Zaina Ibrahim encourage la jeunesse mahoraise à s'affirmer et à avoir confiance en elle. Alimenter la curiosité et oser poser des questions "pour éviter d'être dupée", sont des notions primordiales pour la baroudeuse. L'ouverture à la différence est également importante, mais surtout "être bien entourée".

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ENTRETIEN

Geoffroy Vauthier

"JE TRAVAILLE POUR LES GÉNÉRATIONS FUTURES" SÉNATEUR THANI MOHAMED SOILIHI

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Évolution institutionnelle, amendement en faveur de la lutte contre l'immigration clandestine, élections présidentielles en Union des Comores, mais aussi coopération régionale ou travail de la Justice, le sénateur Thani Mohamed Soilihi répond à nos questions.

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qui sont des projets qui coûtent plusieurs millions, voire des milliards d'euros. Nous, pour une malheureuse piste longue ou un malheureux contournement de Mamoudzou, on n'arrive pas à mettre en place les projets. Mais la différence est que les grands projets de La Réunion sont portés par la région. Elle a plus de moyens qu'un département. Cela me semble aller de soi.

SUR LE DÉPARTEMENT

MH : La grande crainte qui émane de ce projet est d'amener Mayotte, à terme, vers l'autonomie. Puisque ce n'est pas le cas, qu’est-ce qui vous parait mal compris ?

Mayotte Hebdo : Vous portez avec le Conseil départemental le projet d'évolution institutionnelle, qui tend à transformer le département en département-région. Non sans inquiétudes. Où en est le processus ? Thani Mohamed Soihili : Il serait vraiment opportun que les gens se calment sur ce sujet. C'est une proposition d'évolution institutionnelle émanant d'un groupe de travail du Conseil départemental que j'ai transformé en proposition de loi. J'ai mis la proposition sur la table pour que chacun puisse justement y apporter des suggestions de modifications, d'ajouts, ou de retraits de certains points. Au lieu de ça, on entend des commentaires complètement ubuesques, provenant soit de gens qui n'ont pas lu le projet, soit qui l'ont lu, mais qui n'ont manifestement pas compris. Il y a une chose très simple à comprendre : en votant il y a 10 ans pour la départementalisation, il s'agissait déjà d'un projet de département exerçant les compétences d'une région. C'est donc une suite logique. Aujourd'hui, pourquoi y a-til besoin d'évoluer ? Parce qu'au bout de 10 ans, on se rend compte de deux choses : non seulement la compétence départementale n'est pas aboutie, avec le volet social qui reste à parfaire ; mais les compétences régionales qui sont déjà sur le papier n'ont pas non plus les dotations qui vont avec. Leur exercice n'est donc pas clair. Les Mahorais ne cessent de comparer le développement de Mayotte avec celui de La Réunion. Ils citent notamment la route du Littoral et celle des Tamarins,

TMS : On ne peut pas aller vers plus d'autonomie, ou vers l'article 74 de la Constitution, sans passer par un référendum. Il faut être clair làdessus. Je pense que la confusion vient du fait que la collectivité unique – le département-région, dont nous avons été les premiers à bénéficier – a depuis été copiée par la Guyane et la Martinique, qui sont département depuis 70 ans. Or, il est vrai que les Guyanais pourraient peut-être être intéressés par un statut plus autonome. Je dis bien "peut-être», car en discutant avec certains collègues guyanais, ils ne sont pas du tout encore dans cette démarche-là. Mais quand bien même, aujourd'hui, s'ils avaient l'idée d'évoluer, il faudrait que cela soit validé au niveau constitutionnel. Cela doit partir d'une volonté, et nous n'avons pas cette volonté-là à Mayotte. Dans ce texte, je mets au défi quiconque de me dire quel article ou quelle disposition du texte pourrait y mener. Ce qui se trouve dedans, c'est l'exercice clair et entier des compétences régionales et des compétences départementales. Les Mahorais n'ont jamais aspiré à un statut qui tendrait vers l'autonomie, je ne vois pas ce que ça vient faire dans la discussion. Par les temps qui courent, cela fait bien de suspecter tout le monde de tout et n'importe quoi, mais encore une fois, dans ces travaux, il n'y a rien qui puisse permettre d'avoir ces suspicions. Autre explication possible : lorsque le Conseil départemental a parlé de ces

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ENTRETIEN

"NOUS VIVONS AVEC DES VOISINS, QU'ON LE VEUILLE OU NON"

travaux, il a été question de supprimer le terme "département". Mais j'ai été parfaitement clair : j'ai demandé que le nom soit celui de "département-région" pour éviter toute ambigüité. Il s'agit d'un département pleinement et entièrement, et d'une région pleinement et entièrement. MH : Nous parlons de compétences, mais le Département a encore du mal à assumer celles qui sont les siennes. N'est-il pas trop tôt pour lui demander d'assumer celles d'une région ?

TMS : Ce n'est pas trop tôt, et j'ai même envie de dire que c'est déjà trop tard. C'est en effet prévu dans le texte : normalement, le Conseil départemental d'aujourd'hui devrait, dans les faits et sans que l'on ait quoi que ce soit à changer, exercer les compétences d'une région. C'est d'ailleurs ce qu'il se passe en matière de formation. Ce que nous souhaitons, c'est de la clarification. Les missions incombant à la région et qui doivent être exercées par la collectivité de Mayotte doivent être claires, et avec les budgets correspondants. Par ailleurs, moi je ne travaille pas pour les gens qui sont en place, mais pour les générations futures. Préparons donc les choses pour elles. On parle des générations en place, mais qui vous dit que le président Soibahadine sera candidat à sa propre succession ? Et si c'est le cas, qui vous dit qu'il sera réélu ? Ceux qui ont des doutes sur la capacité du Conseil départemental à se gérer à l'heure actuelle, alors qu'ils soient candidats pour prendre les reines derrière. Qui sont ces défaitistes qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez ? Au lieu d'être courageux et candidats pour influer sur les évènements, ils préfèrent dire "On ne change rien", tout en disant "Cela ne va pas en ce moment." J'ai un métier, la politique n'est pas ma profession, alors je ne fais pas ça pour la génération actuelle. Moi, j'espère sincèrement que nos enfants et petits-enfants seront mieux que nous, et ferons mieux que nous. MH : La fenêtre est assez courte pour ce projet de loi puisque c'est cette année qu'il doit être inscrit… TMS : C'est en quelque sorte l'année de la dernière chance, oui, car un tel projet ne sort pas d'un chapeau, cela date de la précédente mandature. Si on veut rattraper le calendrier des prochaines élections régionales en 2021 donc, c'est maintenant ou jamais. Cette proposition, je ne souhaite pas qu'elle soit autonome : je l'ai concocté à l'issue des travaux du Conseil départemental et j'espère qu'elle pourra se greffer en totalité ou en partie au projet gouvernemental du Plan Mayotte qui, dans sa mesure 48, aborde cette évolution institutionnelle. Je tâche de nous raccrocher au wagon, mais il faut arrêter de faire du surplace. Le danger de ces discussions stériles est-ce que le gouvernement ne voient pas de consensus ni accord. MH : Le Conseil départemental est dans la tourmente, avec la mise en examen du président Ramadani et de cinq de ses collaborateurs. Si la présomption d'innocence prévaut, cela ne porte-t-il pas tout de même un coup de plus à la crédibilité des élus locaux ? TMS : J'ai l'habitude de ne jamais commenter ces affaires au nom de la séparation des pouvoirs judiciaires, législatifs et exécutifs. Je ne le ferai donc ni pour la procédure ni pour les faits présumés. Toutefois, dans une démocratie, il est important que chacun fasse son travail et que chaque compétence soit exercée. Aujourd'hui, si la Justice s'intéresse à des faits considérés comme litigieux, nous avons le devoir de lui faire confiance. Elle doit aller jusqu'au bout.

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Pour les personnes concernées, cela n'est jamais agréable, et humainement elles ont tout mon soutien, quel que soit le bord politique. Mais démocratiquement, cela ne doit pas nous inquiéter, car la Justice est l'un de ces opérateurs de régulation. Il faut que l'on sache s'il y a ou non des choses répréhensibles. Si ce n'est pas le cas, alors tant mieux. Si la culpabilité de ces personnes devait être retenue, alors la Justice sera passée conformément à ce qu'il se passe dans une démocratie.

INTERNATIONAL MH : Votre amendement portant adaptation du droit du sol à Mayotte est désormais effectif. On sait qu'il va nécessiter un temps de mise en place puisque les officiers d'état civil doivent y être formés, notamment. Mais a-t-on déjà des premiers retours ? TMS : La mise en route est complètement d'actualité puisque le 27 mars, je dois intervenir avec le Procureur de la République* lors de la formation des officiers d'état civil pour qu'ils sachent comment procéder. Il est donc encore trop tôt pour avoir des résultats et tirer les premières conclusions. Je le répète : ce n'est pas la potion magique pour lutter contre l'immigration clandestine, mais c'est un élément de plus dans l'arsenal législatif. Il faut également lutter contre le travail illégal, contre les marchands de sommeil, contre les reconnaissances de paternité de complaisance, contre les faux documents, etc. Quand tout ça sera fait de manière concomitante, alors on pourra espérer voir des résultats. Toutefois, sans dire qu'il y a un lien de cause à effet, depuis que l'on parle de ces amendements, avec la "campagne de sensibilisation" qui est menée autour, il semblerait que les reconnaissances frauduleuses aient chuté de 30 %. J'espère que cela a un lien avec ces amendements, car cela tendrait à démontrer que oui, l'immigration clandestine n'est pas un problème insoluble et qu'avec des moyens et de l'énergie on peut arriver à des résultats. MH : Ce n'est pas un problème insoluble, non, mais c'est un problème qui se fait pressant. Les derniers chiffres du recensement montrent en effet que près de la moitié de la population est étrangère. Bien que l'on perçoive une prise de conscience de l'État de la situation de Mayotte, notamment avec les rapports récents de la commission des Affaires étrangères et de la commission des Lois**, le chantier demeure immense. Quelles seront les prochaines étapes pour accélérer la régulation de la question migratoire ? TMS : Je vois trois étapes pour ma part, avec en premier lieu l'accentuation de la lutte contre l'immigration clandestine afin que les personnes en situation irrégulière présentes sur le territoire puissent repartir. Si on veut construire un territoire comme Mayotte, on ne peut pas faire l'économie de cela. Il faut ensuite aller plus loin, l'intensifier. En ce sens, les propos tenus par le président de la République lors du Grand débat avec les maires ultramarins, évoquaient l'équivalent du plan Harpie mis

en place en Guyane. J'attends avec impatience que cela puisse avoir lieu avec une grande campagne incluant possiblement les militaires, pour donner un coup de fouet à cette lutte. Enfin, il y a un troisième élément dont personne ne semble parler. Il s'agit de la fixation ou du retour des Mahorais partis de chez eux. Le solde migratoire est négatif : il y a plus de départs que d'arrivées malgré l'immigration clandestine. C'est quand même une tragédie ! On ne va pas fixer les Mahorais avec des paroles, mais avec une meilleure attractivité : baisse de l'insécurité, création d'emplois, etc. C'est aussi important, voire plus important, que le reste que les Mahorais puissent rester et s'épanouir sur leur territoire. MH : Dimanche 24 se déroulait le premier tour de l'élection présidentielle de l'Union des Comores, à l'issue duquel Azali Assoumani a été réélu. On sait le contexte sur place tendu avec les accusations de coup d'État constitutionnel portées contre le président, mais aussi un climat insurrectionnel à Anjouan il y a quelques mois. Sensibilisez-vous le gouvernement aux conséquences que cela peut avoir sur Mayotte ? TMS : Le gouvernement est évidemment conscient des répercussions possibles sur Mayotte. Il faut être réaliste : ce sont des voisins immédiats et malheureusement, tout ce qui se passe chez eux peut avoir des conséquences chez nous. Le gouvernement a anticipé ce moment très sensible en suspendant les discussions menées avec les Comores sur l'accord-cadre à conclure. C'est tout à fait normal que l'on ne mélange pas les choses dans ces moments et que l'on attende. Mais il faut être réaliste : on voit bien qu'une partie de la solution se trouve dans notre capacité à dialoguer avec nos voisins – pas seulement les Comoriens, mais tous nos voisins – et à coopérer en vue de ce qu'on appelle aujourd'hui la coopération régionale. Il est important de participer à des actions de codéveloppement afin de fixer chez elles les populations qui sont attirées par notre territoire, et d'apaiser nos relations. Nous devons nous engager dans cette démarche sérieuse, car nous pouvons aussi avoir à gagner. Le Mozambique, par exemple, est un pays à fort potentiel avec qui nous avons le swahili en commun. C'est cette vision globale que j'aimerais qu'on ait à l'esprit plutôt que de rester obnubilé par ce qu'il se passe aux Comores. MH : Les négociations autour de l'accord-cadre reprendront donc après ? TMS : Nous n'avons pas le choix. Nous sommes français et européens, mais nous vivons avec des voisins, qu'on le veuille ou non. Une entente intelligente est préférable à des relations uniquement fondées sur la menace et la peur. Il faut arrêter avec ces visions du chaos. On doit continuer à lutter contre l'immigration clandestine, mais continuer à prôner des rapports apaisés avec notre voisinage. n * Entretien réalisé le lundi 25 mars. **Mayotte Hebdo n°868 et 871.

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MAGAZINE

Solène Peillard

LES DANSES DE COUPLE À LA CONQUÈTE DE MAYOTTE DEPUIS DES SIÈCLES, LA DANSE RYTHME, SOUVENT PLUS QU'AILLEURS, LE QUOTIDIEN DE MAYOTTE ET DE SES HABITANTS. LORS DES MANZARAKA, DES FÊTES DE VILLAGE, DES CÉRÉMONIES RELIGIEUSES ET MÊME POUR ACCUEILLIR UNE PERSONNALITÉ, LE CORPS DES MAHORAIS(E)S S'ANIMENT SUR DES MÉLODIES TRADITIONNELLES AUX BATTEMENTS DES M'BIWI. CETTE CULTURE DE LA DANSE PERDURE AUJOURD'HUI ENCORE, MAIS S'OUVRE PETIT À PETIT À DES DISCIPLINES PLUS CONTEMPORAINES, VENUES D'AUTRES LIEUX, D'AUTRES ÉPOQUES. EN TÊTE DE FILE, LES DANSES DE COUPLE SENSUELLES COMME LA SALSA, LA BACHATA ET LA KIZOMBA, QUI FONT DE PLUS EN PLUS D'ADEPTES SUR L'ÎLE AUX PARFUMS, AU POINT D'Y ÊTRE DEVENUES PARMI LES PLUS PLÉBISCITÉES. Mayotte danse le m'godro, le wadaha, ou encore le m'biwi. Et désormais, elle danse aussi la salsa, la bachata et la kizomba, appelées "SBK" par leurs adeptes. Venues des États-Unis, de République dominicaine et d'Angola, rien ne prédestinait ces disciplines à prendre le large jusqu'à la petite île hippocampe. Mais aujourd'hui, pas deux jours ne passent sans que n'y soit dispensé un cours dédié. À La Croisette, la piscine Koropa, au restaurant Al-pajoe, au Nord, au Sud et en Petite-Terre, les danseurs affluent par dizaines, parfois chaque soir, laissant les couples se faire et se défaire au rythme des sonorités faussement latines, dont la popularité grandit partout ailleurs depuis plus d'une décennie. S'il y a peu de temps encore, presque aucun cours de SBK n'existait à Mayotte, une demi-douzaine de professeurs l'enseignent désormais. "Quand je suis arrivé ici, il n'y avait rien du tout à part un professeur d'école (scolaire et non de danse, ndlr) qui donnait quelques cours", se souvient Soilihi

Mohamed Ali, fondateur de Cordanse, la première entreprise locale dédiée à l'apprentissage de la SBK. Passionné de longue date, il décide de se lancer il y a trois ans. Seul, Soilihi sollicite les entreprises, les écoles, les restaurants, pour y dispenser des cours et organiser des soirées autour de sa pratique. "Beaucoup de gens disaient qu'il ne se passait rien à Mayotte, alors ça a plu", sourit-il. Des curieux viennent, puis reviennent. Certains pour la pratique, d'autres pour les rencontres. Quoi qu'il en soit, l'histoire dure : Cordanse compte aujourd'hui près de 120 élèves à l'année répartis à travers tout Mayotte. Chaque semaine, Soilihi arpente l'île : les lundis et mardis, il reçoit ses danseurs au Koropa, à Majicavo ; les mercredis et jeudis, il se rend en Petite-Terre ; les vendredis à Bambo-Est et le samedis à M'tsamboro. Ce dynamisme, partagé par tous les ambassadeurs de la SBK à Mayotte, est l'une des raisons de son succès particulièrement marqué depuis un an.

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"LES GENS ONT COMMENCÉ À SE PROJETER DANS CES DANSES-LÀ" S'ajoute à cela une dimension générationnelle. "Nous sommes dans un contexte de mondialisation, d'échanges intenses, notamment à travers Internet", analyse Victor Randrianary, chercheur en procédé de modernisation et de popularisation des musiques traditionnelles. "Je vois beaucoup de danseurs de hip-hop, par exemple, qui apprennent à danser via leur téléphone portable". C'est ainsi qu'est née la passion de Mahery

pour la kizomba, qu'il a d'abord découverte sur les réseaux sociaux. Sur une vidéo, "J'ai vu un couple danser du semba, l'ancêtre de la kiz (sic), et j'ai voulu m'y mettre". Depuis La Réunion où il vivait alors, il commence à suivre des cours avant de rejoindre un collectif local. Arrivé à Mayotte, il participe à l'essor de sa discipline qu'il enseigne bénévolement en tant qu'indépendant. "Depuis quasiment deux ans non-stop, on (les professeurs, ndlr) essaie de mettre en avant la SBK. Lorsqu'on a eu de la visibilité, les gens ont commencé à se projeter dans ces danses-là", se réjouit Mahery, également bien connu sous son nom de scène MisterM Kiz Heart Dance. Chacun des cours qu'il dispense attire, chaque mardi à Koropa, une vingtaine d'élèves.

Des élèves, justement, aux profils variés, hétérogènes. Des étudiants, des salariés, de tous les milieux sociaux, de tous les âges. Mais tout de même une majorité de mzungus, et plus particulièrement de "mzunguettes". "On voit peu de Mahorais dans les cours de salsa et bachata, un peu plus en kizomba", relèvent de concert Mahery et Soilihi de Cordanse, qui s'accordent également sur la raison : ses rythmes plus urbains aux percussions plus marquées font écho aux danses afro et à la musique traditionnelle locale. "Ici, les gens sont encore très attachés à cet aspect traditionnel", constate

MisterM Kiz Heart Dance. Une tradition qui, toujours, s'est façonnée et perpétuée au gré de la danse.

UN BIAIS CULTUREL, SOCIAL ET PLUS SI AFFINITÉS... À Mayotte particulièrement, la danse se fait en effet relai de la vie sociale. Elle l'incarne pour toutes les générations. Soilihi Mohamed Ali en sait quelque chose, puisqu'il enseigne la SBK dans les écoles primaires, les collèges, les lycées, et même au centre universitaire. "Je voulais que les nouvelles générations (mahoraises, ndlr) découvrent ces danses qu'elles ne connaissent pas puisqu'elles ne font pas partie de leur culture, et

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souvent, on a peur d'aller vers ce qu'on ne connaît pas", analyse-t-il en constatant : "Finalement, c'est un véritable biais social". Aujourd'hui, cet apprentissage en milieu scolaire n'a plus rien de marginal. Professeure d'espagnol au lycée de Petite-Terre, Lola y donne chaque mercredi des cours de kizomba aux élèves de terminale, avec qui elle prépare même un spectacle de fin d'année. Aussi vrai que cette danse de couple semble bien loin que celles pratiquées par leurs parents ultramarins, les jeunes sont réceptifs. Et pour cause : ce sont eux qui ont demandé à leur enseignante de leur donner des cours de danse. "Ils savaient que je donnais des cours pour adultes (les jeudis soir au restaurant le Tour du monde en Petite-Terre, nldr), alors ils m'ont demandé d'en faire au lycée", se souvient la gérante de Full Kiz Mayotte. Depuis deux ans, elle observe, séance après séance, la rigueur et la concentration de ses élèves évoluer. Et pas seulement. "Des jeunes provenant de milieux et de filières différentes collaborent autour d’un projet de spectacle qui demande de la cohésion, de l’assiduité aux répétitions et une bonne dynamique de groupe. La danse de couple permet aussi de travailler son rapport à l’autre et au corps. Je remarque une plus grande confiance en soi chez les élèves et une complicité est née entre eux."

La danse fédère... et elle séduit aussi. Entre Lola et la kizomba, c'est littéralement une grande histoire d'amour. "C’est avec cette danse que mon conjoint m’a conquise. J’ai donc eu envie de la maîtriser, c'est lui qui m'a tout appris", racontet-elle. Car la danse est un atout de séduction, particulièrement lorsqu'elle se pratique en couple. À 32 ans, Abdelrazak en sait quelque chose. Arrivé à Mayotte il y a un an, il s'essaie alors à la kiz. L'expérience lui plaît, les femmes aussi. Avec la danse, "Je pécho ! (sic)" lâche-t-il sans gêne dans un rire sonore. Mais si la salsa, la bachatta et la kizomba transpirent la sensualité, les mains baladeuses semblent y demeurer rares. "On est là dans une ambiance sérieuse, c'est un peu comme à l'école", raconte Youssouf alors qu'il s'octroie une pause à l'air frais, pendant son cours au Koropa. "Et puis on devient comme une grande famille", lance le jeune homme qui a cofondé le groupe May'Danse pour partager sa passion dans une ambiance conviviale. Près de lui, ses camarades regagnent la salle, boissons et paquets de chips dans les bras. Ce mardi-là en effet, c'est le dernier cours de la session de trois mois, débutée en janvier. Alors, tous les apprentis, à l'issue de leurs efforts, partageront ensemble un grand repas le soir même, avant de se retrouver le weekend suivant pour quatre heures de stage, avant une grande soirée afro-latino.

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LA FEMME, CETTE ŒUVRE D'ART Un dernier soir pour lequel les danseurs de tous niveaux affluent. "Un, deux et trois", les passes s'enchaînent et "changez de partenaires". Évidemment, la kiz, mélange de salsa et de tango, se danse en couple. "Lorsqu'on débute, le plus dur c'est de se laisser guider", explique Sarah, la partenaire du professeur. Ici, c'est l'homme qui dirige la femme. "Il ne faut surtout pas essayer d'apprendre les pas, au risque de ne pas se laisser faire !", commente la danseuse qui a commencé la kizomba deux ans plus tôt à Mayotte. Son conseil : fermer les yeux pour se focaliser plus facilement sur l'impulsion de son partenaire. Sarah danse depuis quinze ans, mais avec cette discipline, elle a trouvé une "connexion plus forte" qu'avec les autres. Cette connexion, Ibrahim la retrouve également au fil de ses danses et de ses cavalières. Lui aussi, danse depuis longtemps. Hiphop, break dance, danses africaines, etc. Pour lui, c'est incomparable. "Les autres danses que je pratiquais s'exécutent en solo, avec la SBK, il faut faire briller sa partenaire, la mettre en valeur. L'homme est le cadre et la femme l'œuvre d'art", développe le jeune homme avec passion. "D'ailleurs, on voit souvent que les spectateurs ont le regard tourné vers la cavalière !" Plusieurs fois déjà, Ibrahim s'est entraîné avec des femmes qui avaient quelques difficultés à se laisser guider. Mais finalement, "ça n'empêche pas le corps de s'exprimer ! Lorsqu'on ressent le bonheur de sa partenaire, le temps s'arrête." n

LORSQU'ON RESSENT LE BONHEUR DE SA PARTENAIRE, LE TEMPS S'ARRÊTE.

UNE HISTOIRE PAS À PAS

Loin des danses traditionnelles mahoraises, majoritairement bantoues et issues de la tradition arabo-musulmane, les différentes disciplines de la SBK sont apparues bien plus récemment. La bachata est l'une premières à voir le jour. Dans les années 60, ce mélange de boléro, de merengue et de tango rythmé par des influences africaines, émerge et se répand parmi les classes populaires de la République dominicaine. Longtemps considérée comme vulgaire du fait de ses origines, elle finit par se démocratiser dans les années 80 à 90. Initialement jouée par trois instruments, sa musicalité s'étoffe. Côté paroles, les textes, eux aussi, évoluent. Exit les histoires d'amertume, de misère, de débauche et d'adultère, la place est maintenant faite à l'amour romantique. Plus moderne, elle se commercialise enfin, s'écoute sur les ondes et s'exporte à travers le monde. Si elle se décline aujourd'hui sous plusieurs formes (sensuelle, urbaine ou fusion), la base de cette danse reste la même : l'ondulation du bassin. À l'aube des 60's, naît la salsa à... New York, où s'exilent nombre d'artistes cubains et portoricains. Lors des "jam-sessions", rencontres entre musiciens, les artistes étrangers apportent leurs influences aux sonorités du jazz, alors très en vogue. Timbales, cuivres, piano et basse commencent à résonner et animent les corps. Si le nom "salsa" (traduction de "sauce" dans les langues hispaniques) avait déjà été utilisé à Cuba quelques décennies plus tôt, il est "dépoussiéré" pour permettre à ce nouveau genre musical d'être commercialisé. À la croisée du Mambo et du Cha-cha-cha notamment, la salsa gagne rapidement l'Europe, puis le reste du globe où elle s'impose encore aujourd'hui comme l'une des danses latines les plus connues. Dans les années 80, la kizomba est la dernière à émerger. Celle-ci se danse en trois temps, contrairement à la salsa et à la bachata. Elle trouve ses racines en Angola, au sud-ouest du continent africain. Dans l'une des langues parlées localement, "kizomba" signifie "fête". Là-bas, on danse le zouk et le traditionnel semba. Influencées par la colonisation occidentale, les rythmiques africaines voient naître une nouvelle conception de la danse qui se pratique désormais en couple. Langueur, lenteur et sensualité sont maintenant de mise, les mouvements puisés dans le samba se simplifient. Le tronc reste fixe, le bas du corps marque le rythme. Le phénomène s'étend rapidement à toute l'Afrique. Aujourd'hui, la "kiz" est enseignée à Paris comme aux États-Unis.

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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayotte.hebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” soldat@mayottehebdo.com 0269 61 20 04 - 69 13 38 Rédacteur en chef Geoffroy Vauthier Rédactrice en chef adjointe Houdah Madjid

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Couverture :

Voyagez avec les mahorais du monde.

Journalistes Ichirac Mahafidhou Lyse Le Runigo Hugo Coeff Romain Guille Solène Peillard Ornella Lamberti Correspondants HZK - (Moroni) Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Comptabilité Catherine Chiggiato comptabilite@mayottehebdo.com Secretariat Annabelle Mouhamadi Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site Internet www.mayottehebdo.com

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Pour en savoir plus : www.enactionpourlelogement.fr Chaque année, Action Logement, c’est : • 30 000 logements construits, • 120 000 salariés logés, • 500 000 aides et services alloués.

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