Réseau Éducation & Renouvellement Urbain - LES ATELIERS DU RÉSEAU « Prospectives démographique, scolaire et habitat » 20 mai 2021 Depuis 2020, l’ANRU en collaboration avec l’ANCT et la DGESCO, pilotes du programme national des « Cités éducatives », propose un réseau national d’acteurs sur les enjeux de l’éducation et du renouvellement urbain. L’objectif est de capitaliser les expériences sur 4 thématiques clés pour la réussite des stratégies scolaires et éducatives des projets de renouvellement urbain et des cités éducatives, identifiées à la suite des travaux du cahier pratique École et renouvellement urbain, publié en 2018 par l’ANRU, avec le CGET et l’Éducation Nationale : - Mixités sociale et scolaire - Prospective démographique, habitat/ peuplement et scolaire - Programmation et conception d’un équipement scolaire et éducatif en QPV - Pilotage d’une stratégie scolaire et éducative dans un NPRU. Pour chaque thème, trois à quatre sessions d’ateliers auront lieu sur 2021-2022. Sur la prospective, un premier atelier a rassemblé le 20 mai 2021 une centaine de participants en visioconférence. La matinée a été consacrée aux interventions des copilotes, de chercheurs et d’experts et l’après-midi à une table ronde sur l’expérience de Vénissieux / Saint Fons. Ce compte rendu retrace les échanges de la journée.
A retenir : Les enseignements de la première séance
L’enjeu de la prospective pour articuler stratégie de renouvellement urbain et stratégie scolaire et éducative (page 4 et 5).
La prospective vise à projeter à court-moyen terme les composantes d’un territoire, afin d’identifier ses besoins et ses fonctions et proposer une stratégie d’aménagement d’ensemble. Le projet de renouvellement urbain impacte les dynamiques démographiques et les effectifs scolaires. Il doit être pris en compte dans la prospective scolaire et dans la construction d’une stratégie éducative, sur le temps long de la transformation du quartier et le temps court de la phase chantier (page 4). Inversement, la démographie scolaire et les politiques éducatives doivent être intégrées dans le projet de renouvellement urbain. Elles ont en effet une incidence sur l’attractvité et le fonctionnement des équipements scolaires du quartier.
L’exercice de prospective vise autant à mieux répondre aux besoins éducatifs, scolaires et sociaux qu’à rendre possible les évolutions souhaitées pour la transformation du quartier. L’enjeu est double : proposer une offre éducative et scolaire en adéquation avec les évolutions programmées de l’habitat et programmer cette offre éducative et scolaire pour répondre aux transformations et à la vocation attendue du quartier en renouvellement.
Des données de prospective disponibles à l’échelle nationale, académique et infra-académique, moins à l’échelon local
La direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation Nationale propose des statistiques à l’échelle nationale et académique pour piloter la politique éducative à ces deux échelles (page 6). A côté de ces données nationales, les statistiques infra-académiques sont réalisées directement par les académies, qui peuvent construire des outils de prospective à l’échelle fine des territoires.
La DAPEP (Délégation académique à la prospective et à l’évaluation des performances) de l’académie de Versailles produit des données prospectives à l’échelle académique et infra-académique, qui permettent le pilotage et l’allocation des ressources (page 7).
L’académie mène aussi une réflexion sur l’évolution de la carte scolaire, dans les cas où la démographie scolaire impose la construction ou la démolition de collèges et de lycées. Elle souhaite à terme mieux intégrer les grands projets d’aménagement et de renouvellement urbain dans ses projections, dans l’objectif notamment de réduire la ségrégation scolaire pour favoriser la réussite des parcours de tous.
La carte scolaire : un outil de prospective dont la fonction a évolué dans le temps (page 9)
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La carte scolaire est un outil aux contours changeants, conséquence d’un processus historique d’assouplissement et de durcissement Elle est souvent plus un compromis issu du partenariat local que le fruit d’une réelle volonté politique et technique.
La carte scolaire vise initialement à proposer une offre de formation et d’enseignement équitablement répartie sur le territoire. Elle se double d’un outil de sectorisation affectant les élèves dans les établissements. Ce n’est qu’à la fin des années 90’s qu’elle s’est vue dotée d’un objectif de favoriser la mixité sociale et scolaire. Réseau Éducation et Renouvellement Urbain
Des études de prospective scolaire engagées en local pour alimenter les projets de renouvellement urbain (page 11)
Confrontée à une forte hausse des effectifs scolaires combinée à une obsolescence de nombreux équipements, la ville de Saint-Fons (69) a engagé une étude de prospective scolaire pour mieux définir ses besoins dans un contexte de très fortes mutations urbaines. Cette démarche intègre la question de la mixité scolaire, avec plusieurs leviers identifiés : les transports en commun, l’offre éducative, le marketing territorial et la diversification des fonctions du centre de la commune. Les interventions sur le collège Alain visent à renforcer son attractivité et sa mixité. Leur impact est intégré dans les réflexions de prospective. Le travail engagé en 2018 avec le CNESCO, la Ville de Lyon et la Dasen du Rhône vise à objectiver les évolutions de la mixité sociale au collège dans un cadre partenarial et mieux appréhender le phénomène de la ségrégation au collège.
L’articulation entre prospectives scolaire, démographique et habitat : un angle mort des projets de renouvellement urbain Bien que les données statistiques sur les évolutions scolaires soient nombreuses, leur absence de disponibilité aux bonnes échelles, notamment quartier, fait qu’elles sont peu mobilisées dans les réflexions préalables aux projets de renouvellement urbain et les études de programmation habitat. La prospective démographique et scolaire dispose d’outils performants au niveau national, mais est globalement plus délicate au niveau territorial. Par ailleurs, le levier que constitue la stratégie scolaire sur la programmation habitat et le peuplement des quartiers n’est que rarement appréhendé dans les projets de renouvellement urbain. Les acteurs cherchent surtout à mesurer l’impact des projets, notamment des interventions habitat, sur les équipements scolaires. Au-delà, la prise en compte des impacts des projets et de la programmation habitat dans la prospective scolaire pose question. Démolitions, relogements, évolution de l’occupation du parc locatif social, production d’une offre de logements neufs ne sont intégrés au mieux que par des ratios qui pondèrent les projections démographiques. Ces constats sont confirmés par le sondage auprès des participants à l’atelier (page 13), qui dans leur grande majorité souhaiteraient disposer de méthodes, d’outils et de données de prospective croisées entre politiques habitat, renouvellement urbain et scolaires.
Des sujets à approfondir dans les travaux du réseau Les éléments suivants feront l’objet d’approfondissement dans le cadre du réseau : → Méthodes et outils de prospective : Comment accompagne-t-on les études programmatiques en matière d’habitat / d’équipement et de calibrage des besoins sur la démographie scolaire et la stratégie habitat ? Comment intègre-t-on l’impact des démolitions, du relogement, des opérations de diversification et de l’évolution de l’occupation du parc social sur la démographie scolaire ? → Partage des données entre les échelons d’action publique : Comment mobiliser les données qui existent aux différentes échelles, dont le partage est parfois sensible ?
Atelier Prospectives, 20 mai 2021
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LE POINT DE VUE DES COPILOTES DU RÉSEAU La prospective : une dimension essentielle à l’articulation entre stratégie de renouvellement urbain et stratégie scolaire et éducative Mathieu Barthélémy et Suzie Chevée (ANCT), Alice Collet et Damien Kacza (ANRU), & Thibaut Mainville (DGESCO)
Soucieux de l’articulation des projets qu’ils soutiennent dans les quartiers prioritaires, les copilotes affirment l’importance d’un outillage performant de prospective en appui des projets de cités éducatives et de renouvellement urbain. Les réflexions engagées lors l’atelier doivent permettre de poser le cadre et les enjeux de la notion de prospective, avant de préciser les méthodes et outils de sa prise en compte pour la définition et la mise en œuvre des projets. En s’appuyant sur des données statistiques recueillies et produites par plusieurs services, au niveau national et académique, les études de prospective visent à projeter à court-moyen terme les composantes d’un territoire, afin d’en dégager ses besoins et ses fonctions et de proposer in fine une stratégie d’aménagement d’ensemble. Sur le long-terme, la prospective vise à observer les mutations économiques et sociales à l'œuvre et de mesurer les impacts des choix réalisés.
Sur un plan opérationnel, la prospective s’exerce au travers d’outils portés par différents acteurs et échelons d’action publique. Pour être efficace, elle suppose un degré élevé de partenariat et des objectifs communs fixés par une gouvernance claire. Dans les quartiers en renouvellement urbain et sur les questions éducatives, cela nécessite aussi une compréhension des enjeux de prospective par ces deux sphères d’acteurs. En programmant des opérations lourdes d’habitat, en visant une ambition de mixité sociale sur un quartier, le projet de renouvellement urbain impacte les dynamiques démographiques et les paramètres nécessaires à la prospective scolaire et à l’édification d’une stratégie éducative. La prospective scolaire doit anticiper l’impact du renouvellement urbain, que ce soit sur le temps long de la transformation du quartier comme sur le temps court de la phase chantier.
La prospective a un rôle de passerelle entre des différents projets sur un territoire, dont les effets se croisent et entre les politiques publiques successives.
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Présentation de la thématique Prospectives territoriale et démographique, éléments socles des projets urbains Maxence Moréteau, sociologue-urbaniste, l’Adéus L’articulation des stratégies éducative et de peuplement est un enjeu majeur, tant les équipements scolaires et les projets éducatifs jouent un rôle important dans l’attractivité des territoires, dans l’attachement à un quartier et les choix résidentiels des ménages. Si le renouvellement urbain, selon le règlement de l’ANRU, reste avant tout ciblé sur l’habitat (puisqu’un seuil minimum de 50 % des financements de l’ANRU doivent y être consacrés), l’ambition de réussite éducative y est pleinement présente, puisqu’elle a un impact dans les politiques d’habitat : c’est tout l’enjeu de la prospective scolaire et démographique. À l’aune des contributions des sites du réseau ayant rempli leur fiche d’identité, on pose un premier constat :
La prospective peut prendre le sens de prospective territoriale, qui vise à imaginer un futur désirable pour le quartier, pour le territoire, dans le cadre du PRU.
C’est le cas de Créteil, où les acteurs se demandent comment se saisir de manière prospective des enjeux de mixité, afin d’engager une réflexion sur le futur des politiques éducatives.
La prospective peut prendre le sens de prospective démographique pour anticiper les mutations socio-démographiques à partir de projections. C’est la vision de Vénissieux, Saint-Fons ou Angers.
La prospective pour répondre aux besoins sociaux… L’exercice de prospective est nécessaire afin d’appréhender au mieux le territoire de projet. Il impose de se poser des questions sur la démographie générale et scolaire et la composition sociale des ménages pour mieux cibler les réponses en termes d’habitat et d’’équipements scolaires et éducatifs dans le cadre du PRU.
...ou la prospective pour rendre possible les évolutions souhaitées ? Le PRU peut (et doit) à la fois répondre aux besoins observés sur le territoire, mais également, par l’ambition du projet et par ses moyens, être un outil de transformation du territoire de projet. Le PRU ne vise pas seulement à répondre aux besoins liés à la composition socio-démographique des ménages, mais également à faire évoluer cette composition, dans une perspective de mixité sociale par exemple. On parle alors de « prospective territoriale ». Cette dernière pose les questions suivantes : Quelle est la vocation du quartier ? Comment souhaite-t-on le faire évoluer ? Quels sont les leviers d’attractivité à mobiliser pour le transformer ? Comment imagine-t-on le quartier dans 20 ans ? Et comment stratégie éducative et équipements scolaires peuvent être levier pour ce futur désirable ?
In fine, prospective démographique et prospective territoriale doivent s’articuler afin d’appréhender au mieux le territoire tel qu’il est mais aussi le territoire-cible, tel qu’on souhaite le voir évoluer. Cela nécessite donc une actualisation et une intégration des évolutions dans la projection : Comment les impacts de l’évolution de l’offre de logements produits par le renouvellement urbain sontils anticipés dans la gestion des effectifs scolaires ? Comment les évolutions du peuplement du parc de logements réhabilités sont-elles prises en compte et anticipées ? À l’inverse, comment les éléments de prospective scolaire permettent-ils de construire une stratégie de renouvellement urbain intégrant l’enjeu éducatif ? D’un point de vue opérationnel, il s’agit de poser la question des outils et méthodes nécessaires à cette articulation, afin d’identifier, par exemple, la typologie adaptée de logements à construire, mais également de poser la question des moyens (techniques et humains). Cela suppose que ces outils soient efficaces et en mesure de répondre aux adaptations à court-terme liés aux PRU (phases chantier) et à moyen-termes d’évolutions d’effectifs.
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Un acteur au service de la prospective démographique et scolaire à l’échelle nationale : La Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) Philippe Wuillamier, sous-directeur de la performance scolaire à la DEPP, Ministère de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports Par sa double position de direction du ministère de l’Éducation Nationale (chargée de l’évaluation et de la prospective) et de service statistique public ministériel (en charge des statistiques sur l’éducation), la DEPP concentre capacités et outils de recueil, de production et de projection de données sur le système éducatif, au niveau national comme académique. La production d’études et d’indicateurs de performance, à partir de ces données, contribue à aider au pilotage le Ministère et les directions opérationnelles, déclinées dans les services déconcentrés de l’État. Cela contribue également à évaluer globalement le système éducatif, les politiques publiques et, plus finement, les territoires voire les établissements Les missions « prospective » de la DEPP renvoient à des anticipations d’ordre démographique et scolaire. Ces dernières aident à la décision en matière de politiques éducatives, prévisions budgétaires et de recrutement et arbitrages au niveau académique. La DEPP s’appuie sur l’Identifiant national élève (INE) de chaque élève pour recueillir des données sur sa scolarité, jusqu’au supérieur. Cet outil national permet de dresser des projections à cinq ans : effectifs en volume, taux de scolarisation, taux apparents de passage (TAP). Celles-ci permettent d’isoler les impacts des phénomènes conjoncturels (comme la crise sanitaire) et de mettre en lumière des tendances (orientations scolaires, conséquences de politiques éducatives…).
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Des bilans d’effectifs sont réalisés annuellement pour répartir le budget et le capital humain du ministère entre les académies. Les capacités de projection sont en revanche plus limités au niveau académique, malgré des outils produits en partenariat entre l’INSEE et la DEPP. La DEPP n’a que peu de prise sur les statistiques infraacadémiques, produites en interne dans chaque académie. Seules les académies peuvent construire et utiliser des outils de prospective à l’échelle fine des territoires. A ces échelle, les projections de long-terme sont toutefois plus délicates qu’à l’échelle nationale par des biais plus importants (parcours résidentiels, mobilités interrégionales, etc.).
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Une prospective scolaire et démographique partagée et déclinée à l’échelle locale Erwan Coubrun, secrétaire général adjoint du Pôle organisation et performance scolaire (POPS) et Stéphanie Mas, déléguée académique à la prospective et à l’évaluation des performances, cheffe du service statistique académique, Rectorat de l’Académie de Versailles Les projections produites par la DEPP sont suivies et déclinées par les académies. À Versailles, le Pôle organisation et performance scolaire est chargé d’aider à la décision en matière d’aménagement du territoire scolaire de l’académie.
parisien aux amplitudes très contrastées à l’échelle des communes (Hauts-de-Seine, Yvelines). Des volumes scolaires très divers aux évolutions projetées inverses : ◦ Par départements : forte déprise démographique dans les Hauts-de-Seine, dynamique très positive dans le Val d’Oise… ◦ Par tranches d’âges : baisse tendancielle forte de besoin en premier degré, plafond du second degré attendu seulement en 2023…
Son service opérationnel, la DAPEP (Délégation académique à la prospective et à l’évaluation des performances) construit des outils d’aide à la décision et au pilotage via des études statistiques sur l’ensemble des champs de compétences académiques (allocation des moyens privés et publics, délégations de l’académie comme Une mixité scolaire particulièrement faible sur les actions culturelles et l’accompagnement des d'élèves en l’ensemble des établissements de l’Académie, situation de handicap - AESH). corrélée avec l’Indice de Position Sociale (IPS) Le territoire scolaire de l’académie de Versailles moyen de l’établissement : plus celui-ci est extrême présente plusieurs spécificités : (proche de 38 ou à l’inverse de 179), plus l’établissement Un maillage dense de petites et moyennes est ségrégé. communes à la typologie riche : communes périphériques rurales plus ou moins denses, La richesse du territoire académique engendre une grande communes urbaines périphériques fortement complexité pour établir des projections aux échelles plus tournées vers Paris ou présentant une moindre fines des départements, communes et établissements. dépendance vis-à-vis de Paris… À cela s’ajoute le fait que les prospectives produites par Un paysage de la pauvreté réparti de manière l’académie doivent également être entendues par le très hétérogène et selon différentes échelles : ministère de l’Économie et des Finances et l’Éducation des communes au taux de pauvreté supérieur à la Nationale, afin de réaliser les arbitrages et décisions moyenne nationale mais à la composition sociale budgétaires pertinents avec les réalités territoriales. homogène (Seine-Saint-Denis); un immédiat Ouest
Objectifs et difficultés de la prospective scolaire pour les Collectivités territoriales
La prospective scolaire produite par l’académie confronte les modèles de projection annuelle de la DEPP aux modèles de la Région, projetés sur trois ans. En concertation avec les DSDEN, l’académie se charge ensuite de dresser un projet d’allocation des ressources humaines et financières entre territoires et tranches d’âge. Elle mène en
parallèle une réflexion sur la refonte de la carte scolaire dans les cas où la démographie scolaire imposerait la construction ou la démolition de collèges et lycées (dont l’intégration à la carte scolaire se fait généralement par double sectorisation, afin de limiter l’évitement vers le privé).
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La prospective scolaire au niveau académique rencontre de nombreuses difficultés, au rang desquelles on retrouve les limites évoquées par la DEPP : projections de long-terme délicates à penser, capacités moindres au niveau infranational. Ces difficultés se couplent avec les particularités du territoire académique :
L’effet d’attraction-répulsion de Paris : la baisse démographique parisienne ne se vérifie pas chez les populations étudiantes, toujours dynamiques.
La mobilité résidentielle francilienne évolue rapidement, sans que l’on puisse identifier ce qui relève du conjoncturel (crise sanitaire) ou du tendanciel (aspirations à de nouveaux modes de vie, etc.)
De grands projets structurants susceptibles de bouleverser
sont les
prospectives scolaires sans que leurs effets puissent être intégrés : Le Grand Paris Express vat-il entraîner de nouvelles mobilités, améliorer l’attractivité de certains territoires et de fait permettre plus de mixité sociale ? Va-t-il au contraire créer une hausse des mobilités résidentielles structurellement importantes sur ce territoire ? Les difficultés de l’Académie à intégrer les grands projets d’aménagement dans ses projections doivent être surmontés par l’intégration des enjeux du renouvellement urbain dans la prospective scolaire, avec pour horizon l’enjeu de réduire la ségrégation scolaire sur le territoire académique, afin de favoriser la réussite des parcours de tous. Cet objectif s’inscrit dans le nouveau projet académique par l’intégration des projets d’aménagements locaux par les DASEN.
Point de vue de la recherche
La carte scolaire : évolutions, acteurs et enjeux Aude-Line Gervais, doctorante en géographie, Université d’Aix-Marseille, TELEMME
Origine et évolutions
La carte scolaire est une notion aux contours flous et changeants, conséquence d’un processus historique d’assouplissement et de durcissement qu’a connu cet outil de politique publique. Créée en 1963, la carte scolaire vise initialement à proposer une offre de formation et d’enseignement en secondaire (collèges et lycées) équitablement répartie sur le territoire. Elle se double de l’outil de sectorisation affectant les élèves dans les établissements via un processus de recrutement centré sur un découpage du territoire français. Les deux instruments contribuent alors à la mise en place effective d’une « école moyenne pour tous », sans que cela ne découle d’un objectif de mixité sociale. À quel moment la carte scolaire est8
elle donc devenue un objet de politique éducative inscrit dans des enjeux de mixité sociale et de renouvellement urbain ? La mise en place de projets d’établissements, différenciant les matières au sein de ceux-ci, assouplit la carte scolaire en 1984. Un premier rapport en 1987 alerte sur les incidences que cela génère en termes de mixité sociale en leur sein. Le retour d’un gouvernement de gauche au pouvoir en 1997 signe une période de durcissement de la carte scolaire, donnant définitivement à cet instrument un rôle de lutte en faveur de plus de mixité sociale et scolaire. Les critiques de la recherche sur les externalités négatives du durcissement (corrélation forte entre carte scolaire et hausse des prix de l’immobilier, image négative
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de la carte jugée stigmatisante, malgré le faible volume de demandes de dérogations...) favorisent une nouvelle période d’assouplissement, marquée par le plan de refonte de la carte scolaire mené par Xavier Darcos en 2007, ainsi que par la promesse avortée de suppression de la carte scolaire par Nicolas Sarkozy en 2010. Depuis, la carte scolaire subit des stratégies de contournement diverses selon les modus operandi des
Mode de production de l’outil carte scolaire
La carte scolaire est le fruit d'un processus mêlant de nombreux acteurs rendant ainsi sa modification relativement limitée par des effets d’inertie. La responsabilité des périmètres scolaires du premier cycle relève de la municipalité (tout comme le traitement des demandes de dérogations), après avoir mobilisé l’Éducation Nationale et le rectorat pour la prévision des effectifs, le DSDEN, le préfet de département, les élus associés, les représentants du personnel et des usagers ainsi que le Conseil Départemental, dans des instances partenariales de consultation.
ménages (fuites vers le privé, stratégies résidentielles pour les ménages les plus aisés, demandes de dérogations pour les autres) engendrant des processus de ségrégation scolaire. Le poids de la carte scolaire reste néanmoins très fort sur des espaces où la densité d’offre scolaire est faible et ne constitue pas, pour une majorité de parents d’élèves, un véritable problème tant le parcours scolaire monochrome reste un allant de soi.
Au niveau secondaire, le DASEN, seul décisionnaire in fine de l’esquisse de la carte scolaire, lance également un processus consultatif avec les acteurs concernés. En outre, les directeurs d’établissements du secondaire sont mobilisés sur la prévision de leurs effectifs (enseignants et élèves), mission confiée au DSDEN pour le primaire. La carte est donc souvent plus un compromis issu du partenariat que le fruit d’une réelle volonté politique et technique.
Enjeux et limites
Dotée d’objectifs variés tout au long de son évolution et difficilement réformable autrement que par petites touches, la carte scolaire recèle désormais des enjeux en termes de renouvellement urbain. Le premier Programme national de rénovation urbaine (PNRU) instituant les communes (compétentes en matière de carte scolaire) en porteur de projets, celle-ci a pu devenir un outil en faveur d’une mixité sociale « sur le papier », dans des quartiers en renouvellement. Le cas marseillais du quartier d’Arenc révèle ainsi une modification de la carte scolaire favorisant l’arrivée de classes moyennes/supérieures grâce à l’ouverture d’une école privée neuve en 2007 ainsi que l’ouverture d’une école publique en 2017 hors-secteur, empêchant les élèves de l’école REP voisine d’accéder aux nouveaux équipements.
Par sa capacité à sectoriser les effectifs scolaires, la carte scolaire a contribué à rassurer les peurs de déclassement des ménages néo-arrivants, favorisant une situation de ségrégation scolaire, au profit d’une « mixité sociale » en réalité faussée à l’échelle du quartier. Ces constats alimentent les inquiétudes du monde de la recherche sur les possibilités d’usages détournés de la carte scolaire, et ce malgré l’inscription de l’objectif de mixité sociale attribué à cet outil, dans la loi de 2013 sur la « refondation et la programmation de l’école républicaine ». En creux, l’exemple marseillais illustre les principales limites apposées actuellement à la carte scolaire : un facteur d’évitement scolaire, une augmentation de la ségrégation sociale et ethnique à l’école, et une anticipation limitée des flux vers le secteur privé.
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Table ronde : l’expérience de Vénissieux/ Saint-Fons Comment l’étude de prospective scolaire a permis de dessiner un projet urbain ? Anne Lemasson, directrice de projet Politique de la Ville de Saint-Fons, Métropole de Lyon Corinne Achard, chargée d’études renouvellement urbain, Direction Départementale des Territoires du Rhône Agnès Charpin, architecte, en charge de la restructuration du collège Alain Christine Lauer, déléguée du préfet, préfecture du Rhône
La commune de Saint-Fons compte 19000 habitants (dont 45 % vivent en QPV) et trois quartiers prioritaires : Arsenal, Carnot-Parmentier et Clochettes. Limitrophe du quartier des Minguettes à Vénissieux, elle connait comme celle-ci un taux de pauvreté inquiétant, les deux communes présentant un revenu médian en baisse dans une Métropole lyonnaise dynamique. La question de la jeunesse est majeure à Saint-Fons, qui compte une population jeune, un fort taux de natalité et de familles nombreuses. La situation scolaire est tendue : la commune compte sept groupes scolaires dont un privé, tous intégrés au réseau REP+ et connaissant un fort taux d’occupation. Unique collège communal, le collège Alain connait une situation de suroccupation très conséquente, ayant conduit à la création d’une annexe en urgence. L’établissement concentre une population principalement issue des classes défavorisées, a une image très dégradée, essuie un taux d’évitement important et compte un taux de réussite au brevet et de passage en seconde parmi les plus bas de l’académie. En termes de peuplement, le territoire compte un tissu d’habitat majoritairement social au nord, mixte au sud mais parfois indigne sur le quartier des Clochettes. Le taux de mobilité est faible sur le parc communal, peu attractif à l’échelle des QPV de la Métropole. La majorité des ménages sont captifs, précaires et quittent le territoire lorsque leur situation s’améliore. L’enjeu est de faire en sorte que ces ménages restent, une fois qu’ils obtiennent les éléments nécessaires à un parcours résidentiel positif. Plus les ménages resteront, plus les effectifs se stabiliseront dans les écoles, plus la prospective, le
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suivi et la continuité scolaire seront en réussite et créeront un effet levier sur les actions pédagogiques à venir. L’un des enjeux du PRU, au travers de la diversification, est donc de proposer du qualitatif pour inciter les ménages à rester et de travailler à la proportion de logements locatifs (maîtrisé, social ou privé) pour stabiliser une première base d’habitants. D’autres enjeux se greffent à la question scolaire comme la hausse de production de logements aggravant la suroccupation des établissements scolaires, la perte de foncier libre, ou encore la nécessaire requalification du cadre bâti et du climat scolaire. Compte tenu de la tension au plan urbain et scolaire, l’enjeu d’une étude de prospective scolaire a été posé en 2016, alors que l’explosion de la démographie scolaire commençait à être constatée. Certains établissements en préfabriqué n’ayant pas vocation à durer, la réflexion s’est poursuivie dans la lignée des projets de renouvellement urbain et autres opérations d’aménagement. La volonté était aussi de disposer d’un observatoire pour améliorer les capacités d’anticipation des porteurs de projet. Une étude de prospective scolaire est lancée en 2017 et mise à jour en 2021, établissant une prévision à 7 ans au regard des projets immobiliers connus.
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• Leviers identifiés pour l’attractivité du territoire Saint-Fons n’a pas bénéficié d’investissement depuis 15 ans et se paupérise, mais dispose d’un certain potentiel : c’est une ville jeune, dynamique avec des projets à venir, un « esprit village », un centre animé qui peut se développer et une offre de logements abordable. L’objectif du travail sur la mixité scolaire vise à recréer de la valeur à Saint-Fons, en contribuant et en se raccrochant pleinement à la Métropole. Parmi les leviers identifiés : les transports en commun, l’offre éducative, le marketing territorial et la diversification des fonctions du centre de la commune.
À ces leviers s’ajoutent des projets de territoires à l’échelle des CTM, dans le cadre de la déclinaison du Pacte de Cohérence Métropolitain, la labellisation Cité Educative St-Fons/ Vénissieux en 2019 ainsi que la démarche Totem sur les collèges Alain et Elsa Triolet.
Zoom sur la démarche Totem sur le collège Alain
L’expérimentation Totem engagée par la Métropole et l’Éducation Nationale vise à améliorer l’attractivité de l’établissement et du quartier des Clochettes. Elle s’articule autour d’une thématique identifiée de façon partenariale, avec la communauté enseignante, les parents et les élèves : la création d’espaces et de pédagogies innovantes. La démarche a eu des effets positifs et permis une évolution du projet architectural suivant les besoins des usagers. Elle a aussi contribué à faire évoluer le « référentiel collège » de la Métropole.
Les deux projets urbains structurants, contractualisés en 2020 constituent des opportunités et s’alignent avec l’investissement de la Métropole sur deux collèges : l’un existant à Saint-Fons, le collège Alain, qu’il s’agit de restructurer, l’autre qui est en construction à Vénissieux et qui accueillera une partie des jeunes Saint-Fons.
Prenant appui sur cette expérimentation et déclinant la politique éducative de la Métropole, d’autres initiatives sont envisagées, comme la création d’un observatoire local des dynamiques démographiques, de mixité scolaire, de réussite éducative, ou encore la définition d’un plan d’actions partenarial (Métropole, Communes, Éducation nationale) en faveur de l’attractivité scolaire. Ces réflexions portent, de manière concertée et articulée sur les deux collèges de Vénissieux et de Saint Fons, sur les instruments d’attractivité que constituent la carte scolaire, les montées alternées, les filières d’excellence et les options, ainsi que les innovations pédagogiques.
Le PRU et la réflexion sur l’offre éducative
Les PRU doivent servir un objectif métropolitain et éducatif. À ce titre, deux QPV font l’objet d’un PRU à Saint Fons et le centre-ville fait l’objet d’une OPAH-RU et de la création d’une ligne de tramway pour rapprocher les habitants de la Vallée de la Chimie. Il s’agit de travailler sur l’ensemble des secteurs pour contribuer à l’attractivité de la commune, avec la question centrale de la question de réussite éducative. En s’appuyant sur la prospective scolaire, Saint-Fons compte dédoubler ses groupes scolaires, en en construisant de plus petits sur les secteurs Carnot et Cuprofil.
La diminution de la taille des groupes scolaires vise à laisser de la place à des espaces de pédagogie innovante, avec un service de mobilité à proximité et des espaces publics requalifiés et attractifs. Pour les techniciens, l’un des enjeux restant à poser est l’arbitrage entre peuplement/ habitat et effectifs scolaires, qui pourrait être objectivé en graphiques si l’observatoire parvenait à recueillir des données suffisamment pertinentes. A ce stade, la maîtrise des effectifs scolaires reste un défi difficilement réalisable.
• Regard d’architecte sur la restructuration du collège Alain Agnès Charpin souligne la finesse du travail réalisé et le caractère innovant de la démarche Totem, qui va au-delà d’une restructuration uniquement basée sur le référentiel habituel des collèges.
Premier aspect, la démarche était participative. Cela s’est traduit par la rencontre de l’architecte avec l’équipe pédagogique et administrative du collège, des élèves et de leurs parents ; mais également par la réalisation et l’analyse par les élèves d’un questionnaire portant sur leurs attentes de la rénovation
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de leurs lieux de vie scolaire. L’exercice s’est révélé être un dialogue enrichissant pour le concepteur, l’amenant à innover sur la conception et la vocation des espaces même du collège. Cela a consisté aussi à repenser l’occupation du hall d’accueil, comme lieu d’exposition, pour mieux ouvrir le collège sur l’extérieur, ainsi qu’aux acteurs associatifs et professionnels. Second aspect, l’objectif était de revaloriser l’image d’un collège déprécié à travers une revalorisation aussi bien architecturale que pédagogique. La rénovation des salles de classe autour des mobilités et des circulations a ainsi favorisé une nouvelle approche pédagogique. Des choix d’aménagements des espaces potentiellement plus contraignants mais également plus stimulants pour le concepteur, instillant “de nouvelles dynamiques et une nouvelle ouverture”. Un autre paramètre à prendre en compte était la catégorie REP+ de l’établissement. Le souhait d’un foyer, d’un lieu d’accueil et d’un “point d’ancrage” pour les parents ont été exprimé.
La structure du collège ne permettant pas d’extension, ce choix n’a pu être retenu, et n’aurait d’ailleurs pas été opportun, l’enjeu étant de sécuriser les parents et les élèves au sein de l’établissement. Aujourd’hui, une multitude d’espaces au collège Alain sont ouverts et permettent aux élèves et enseignants de venir, et dans lesquels on a recréé un espace pédagogique de qualité. En conclusion, Anne Le Masson souligne le risque de décrochage qu’entraînerait pour le collège Alain la création d’un nouveau collège sur la ville. Une réflexion globale apparaît nécessaire entre la Métropole, la Ville et l’Education Nationale, tout comme le fait de disposer d’un outil partagé pour travailler collectivement autour d’un même objectif, et à petite échelle, de la ville et des quartiers. La vision prospective à la petite échelle n’est à ce stade pas permise par l’Observatoire partenarial de la cohésion sociale, utile surtout à l’échelle de la métropole.
• Penser et articuler prospective démographique, habitat et mixité dans les collèges de la Métropole Christine Lauer présente une étude lancée en 2018 par le CNESCO, en présence de la Ville de Lyon et de la Dasen du Rhône, à partir du constat partagée d’une augmentation forte de la population de la Métropole, doublée d’un déficit de capacité d’accueil des collèges et des écoles et d’une forte ségrégation entre l’Est et l’Ouest de la métropole, notamment lié à une faible mixité dans l’habitat. L’étude vise à objectiver ces évolutions dans un cadre partenarial pour mieux appréhender le phénomène de ségrégation dans les collèges qui accueillent 1000 élèves de plus chaque année. Les premières cartes produites par le CNESCO mobilisent différents indicateurs : composition sociale du collège (CSP et IPS), lien entre mixité résidentielle et établissements, flux de collégiens, taux de captation en collège… La question des instances propices pour évoquer tout cela s’est rapidement posée. Quelle échelle d’action au-delà de la gouvernance immédiate ? Cette réflexion a amené à un redécoupage des secteurs audelà des limites communales, insuffisantes pour redessiner la mixité sociale. Vénissieux, par exemple, ne dispose pas d’appel d’air autour, des périmètres plus larges ont donc été tracés pour agglomérer Lyon est, Lyon 2, Saint-Priest…
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Ont également été identifiés la captation des collèges et les souhaits d’affectation. Ce périmètre a permis d’identifier des flux invisibles, d’entamer des dialogues et de collaborer avec d’autres parties du territoire pour trouver des ressources de mixité. L’étude a permis de poser un diagnostic solide. Une étude similaire a été faite à Vaulx-en-Velin selon le même principe d’élargissement, avec une production de nombreux tableaux permettant de poser plusieurs enjeux. La question est maintenant de savoir quoi faire de ces constats et de partager des actions communes. Parmi les pistes envisagées :
L’intégration de ces enjeux aux Cités éducatives, un processus encore au stade de la connaissance ;
Un observatoire sur la mixité scolaire et sociale à l’échelle de la Métropole de Lyon, avec l’outil que constitue l’agence d’urbanisme. Les partenariats noués ont déjà permis de solidifier la confiance et d’inciter à partager les données ;
Une réforme de l’éducation prioritaire permettant le soutien des écoles accueillant des enfants moins favorisés et sortant du réseau REP+.
Réseau Éducation et Renouvellement Urbain
Le point de vue des participants à l’atelier Sondage en ligne auprès des participants (22 réponses) pour éclairer la suite des travaux
Les réponses mettent en évidence l’importance et le besoin de méthodes, d’outils et de données de prospective et la fragilité des moyens actuels à l’échelon local. Le sondage illustre la faible articulation entre prospective scolaire et stratégie habitat.
Atelier Prospectives, 20 mai 2021
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RÉ SE A U ÉD U CATI ON & RE N OUV E LL E ME N T U RB AI N
Décembre 2021