LA FABRIQUE DE L’AGIR PROFESSORAL ENTRE MÉMOIRE ET INTERACTION SUR LE VIF.
Francine CICUREL, Université Sorbonne nouvelle - Paris 3 Centre de recherches DILTEC
© CLE International - Avec l’autorisation des Éditions CLE International pour usage privé des membres de l’ASDIFLE, Paris
« Retenir ce qui n’est déjà plus, anticiper sur ce qui n’est pas encore, voilà donc la première fonction de la conscience. Il n’y aurait pas pour elle de présent, si le présent se réduisait à l’instant mathématique. Cet instant n’est que la limite, purement théorique, qui sépare le passé de l’avenir ; il peut à la rigueur être conçu, il n’est jamais perçu : quand nous croyons le surprendre, il est déjà loin de nous. » Bergson, L’énergie spirituelle (pp. 5 - 6). Lorsqu’on prend pour objet d’étude les classes de langue et que l’on s’appuie sur l’observation, on s’intéresse de près à ce qui se passe dans l’instant même où l’observation se fait. Il arrive, certes, que des observations plus longues soient entreprises, et que la dimension du temps et l’évolution des pratiques puissent être prises en compte mais, souvent, ce n’est pas le cas. Mon propos est de vouloir montrer de quelle manière ce qui se déroule dans une classe est nourri par la mémoire, l’histoire ; aussi bien l’histoire personnelle que les représentations qu’ont acquis les acteurs sur la manière d’enseigner et sur l’histoire des méthodologies. Pour ce faire, je vais m’appuyer sur des paroles d’enseignants qui sont révélatrices de leur agir professoral. J’entends par agir professoral non seulement ce que le professeur fait et dit dans la classe, mais l’ensemble des intentions et des projets qu’il forme et qu’il a formés préalablement à son action. L’action ou les actions sont la partie émergente et visible. L’agir est plus large car il inclut l’ensemble des éléments qui sous-tendent l’action comme les motifs, les jugements, les émotions. Si je prends à un instant T une classe, que vois-je ? Un dispositif-classe que je reconnais sans peine, quel que soit l’endroit où je me trouve. Un acteur-professeur (acteur c’est-à-dire celui qui agit) se trouve face à un groupe d’acteurs-élèves. Le professeur parle et fait parler, il donne les consignes de travail et indique comment le faire. S’il « fait travailler » c’est dans un but bien particulier qui est celui de « vouloir faire apprendre ». De nombreux travaux – dans le monde anglo-saxon (Classroom Research) et dans le monde francophone –, portent sur la nature et la spécificité de l’interaction didactique. Mais ce n’est pas cette voie que je vais emprunter ici car ce qui relève de l’interaction est du côté de l’instant. Celui qui observe une classe regarde ce qui se passe moment après moment. Or je voudrais poser un regard sur ce qui sous-tend l’interaction en classe. Que sait-on ou que peut-on savoir de la manière dont les impétrants vivent cet instant et comment ils le fabriquent ? Depuis quelques années déjà,13 certains chercheurs tentent d’avoir accès à la « pensée des enseignants » (Teacher Cognition). Nous faisons l’hypothèse que, pour faire leur cours, les enseignants disposent d’un répertoire didactique, entendu comme l’ensemble des ressources acquises au cours de l’ expérience professionnelle, de la formation, et tout au long de la vie, et qu’ils mettent au service de leur profession. La recherche dont nous allons exposer certains aspects, part de « verbalisations » de l’action enseignante par les enseignants eux-mêmes.
13 Voir les travaux anglo saxons de Borg 2003, Breen 2001, Woods 1996, canadiens de Tochon 1993, suisses de Plazaola Giger, Stroumza 2007 et français du groupe IDAP-Diltec, Université Paris 3.
La fabrique de l’AGIR…
19