ENJEUX IMMOBILIER
Des incitants contre la crise du logement La réforme fiscale pourrait être l’occasion d’instiller les incitants nécessaires au relâchement d’un marché de l’immobilier étranglé par la pénurie de biens. Tour d’horizon des mesures envisagées par des représentants politiques et syndicaux et des experts.
n mars dernier, l’Observatoire de l’habitat jetait un pavé dans la mare en révélant qu’à Luxembourg, 91 % de la valeur du potentiel foncier appartenait aux 10 % des familles possédant les terrains à la plus haute valeur. De quoi relancer le débat sur des mesures contraignantes à adopter par l’État ou les communes. Promettant que « l’immobilier est un des points principaux de la réforme fiscale à venir », le ministre des Finances, Pierre Gramegna (DP), indiquait dans les pages du Luxemburger Wort début septembre son objectif de « prendre des mesures qui accroissent l’offre sur le marché ». Un principe repris aussi par le CSV afin de juguler la « surchauffe de la demande », selon le député Gilles Roth. Mais pour Nora Back, secrétaire générale et probable future présidente de l’OGBL en décembre, « il est à craindre que même une extension du périmètre d’agglomération, forcément limitée, ne pourra établir l’adéquation entre l’offre et la demande et, au contraire, [qu’elle] engendrera une nouvelle vague de spéculation et de rétention de terrains ».
TAXER LE POTENTIEL INOCCUPÉ
Contre ladite rétention de terrains, Déi Lénk est « en faveur d’une taxation des immeubles inoccupés et des terrains à bâtir laissés délibérément en friche ». Cette taxe devrait même être nationale pour l’OGBL et le LCGB, rejoints par la Fondation Idea, « afin de limiter l’influence des relations interpersonnelles, d’une part, et de répondre à la question des moyens de certaines communes, d’autre part (techniques,
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humains...) », selon son cahier thématique dédié au logement, édité en amont des législatives de 2018. D’autant que les rares communes qui ont adopté une telle taxe ne l’appliquent quasiment jamais. Déi Gréng évoque de son côté une « réforme » de cette taxe « dans le cadre de la réforme fiscale et de la refonte des plans d’aménagements généraux ». Mais un de ses deux partenaires de coalition, le DP, y est vigoureusement opposé. Autre angle d’attaque : la taxation de la plus-value réalisée à la vente d’un bien, de 42 % pour un bien cédé moins de deux ans après son acquisition, et 21 % au-delà. Il faut qu’elle soit « beaucoup plus importante », estime David Wagner, député Déi Lénk. « Si le gouvernement relançait un programme d’incitation comme entre 2016 et 2018 avec une imposition de la plus-value au quart du taux global, cela permettrait d’augmenter l’offre de logements et d’intervenir sur le prix », souligne au contraire JeanPaul Scheuren, président de la
AGIR SUR LE LOCATIF
Dans la même veine, la Chambre immobilière regrette l’introduction en 2015 d’un taux de TVA à 17 % pour l’investissement locatif, au lieu de 3 % auparavant, qui a fatalement été répercuté sur les loyers. Les partis et les syndicats évoquent aussi la nécessité d’agir sur le marché locatif. « Afin de garantir à chaque citoyen l’accès à un logement abordable, le gouvernement poursuivra différentes pistes comme […] une création plus importante de logements sociaux et de logements à coût modéré », assure Joëlle Elvinger, députée DP. Le LCGB propose d’ajuster la subvention de loyer introduite en 2016 : différenciation géographique des loyers de référence, adaptation régulière des loyers de référence et des seuils d’éligibilité en fonction du coût de la vie, abolition de la condition minimale de trois mois de revenus pour être éligible… La Chambre immobilière suggère encore la « création d’un amortissement applicable sur le bien en occupation
UN IMPÔT FONCIER AUX REVENUS DÉRISOIRES Parmi les pays de l’OCDE, le Luxembourg est celui dont l’impôt foncier pèse le moins lourd dans le PIB.
propre afin d’aider les propriétaires à faibles revenus à rembourser leur crédit durant les premières années, qui sont souvent les plus difficiles », à l’image du régime d’amortissement accéléré sur six ans existant pour la location.
L’IMPÔT FONCIER SUR LA SELLETTE
Mais c’est bien la réforme de l’impôt foncier qui recueille le plus d’avis favorables parmi les partis et les syndicats. Un impôt calculé sur des bases datant de 1941 et qui ne pèse que 0,1 % du PIB du pays, d’après la Chambre des salariés. « Les recettes au titre de l’impôt foncier […] ne représentent aujour d’hui, en moyenne, plus que 1,5 % des recettes ordinaires des communes, alors qu’elles représentaient 5,5 % en 1970 », notait en 2015 le Conseil économique et social dans son Analyse des données fiscales au Luxembourg. Il faut savoir que les taux diffèrent grandement d’une commune à l’autre. « Ils sont généra lement beaucoup plus élevés dans les communes rurales que dans les centres urbains. Cela tient au fait que les grandes communes peuvent compter sur d’autres sources de revenus, comme ceux issus des zones industrielles et commerciales », explique M. Scheuren. Tous s’accordent pour souhaiter un impôt foncier reflétant la valeur réelle du terrain. Déi Lénk avance une « augmentation considérable » de la base fiscale de cet impôt « sur les immeubles au-delà du logement principal », couplée à un plafonnement légal des loyers.
3,2 % 1,1 %
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Chambre immobilière. Une position partagée par le CSV. « Certains thésaurisent leur propriété foncière en misant sur des prix haussiers avec la certitude de mettre en vente avec une plus-value de parfois 100 % sans faire quoi que ce soit », analyse Me Alain Steichen, associé chez Bonn Steichen & Partners. Le seul moyen est d’imposer la possession d’une manière telle qu’il serait préférable de vendre aujourd’hui plutôt que demain. »
Source OECD Global Revenue Statistics Database
— Septembre / Octobre 2019
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