BAVARDAGES
Je trouve que c’est regrettable que de jeunes juristes, qui sont prêts à faire l’effort parfois difficile de venir à Luxembourg, de s’intégrer, de suivre les cours complémentaires en droit luxembourgeois (CCDL) et qui réussissent leur examen, restent simples juristes parce qu’ils ne parlent pas luxembourgeois et allemand. Ce n’est plus de notre temps. Notre droit se pratique en français, sinon en anglais. Après, on peut bien évidemment par d’autres règles veiller à ce que les avocats qui ne pratiquent pas ces deux langues ne travaillent pas dans les dossiers où elles sont nécessaires. h e n r y d e r o n La problématique des langues est une réalité à laquelle ne sont pas uniquement confrontés les avocats, mais également beaucoup d’autres professions. La profession d’avocat est définie par une interaction souvent très présente avec des justiciables qui ont besoin de conseils, qui ont besoin d’un relais pour communiquer en leur nom avec les autorités et dans certains cas, il peut s’avérer utile et important de maîtriser les langues. Ce n’est pas le cas dans toutes les branches du droit. Et j’estime à titre personnel qu’il ne faut pas créer de barrières. c é d r i c b e l l w a l d Le fait d’imposer des conditions de langues plus contraignantes que celles qu’on peut avoir dans le cadre de l’accès à la nationalité luxembourgeoise n’est plus dans l’air du temps. J’ai pu constater que de nombreux juristes de qualité n’ont pas pu avoir accès à notre profession tout simplement parce qu’ils ne parlaient pas l’allemand et le luxembourgeois, ce qui est vraiment dommage pour notre Barreau. f . p . Finalement, ce qui nous motive à vouloir changer tout cela, c’est que quelque part le système est pervers. La liste IV, la liste « home title », permet aux avocats de l’Union européenne de s’inscrire ici sans qu’on puisse leur demander une quelconque connaissance en luxembourgeois ou en allemand parce que ce sont tout simplement les règles européennes. Au bout de trois ans, ils accèdent tout naturellement à la liste I (avocat à la Cour). Ça mène vers un système totalement discriminatoire.
Quelle est votre proposition concrète pour dissiper cette injustice ? f . p . L’idée est d’ouvrir un accès plus large à la profession à ceux qui ne maîtrisent actuellement que le français, de leur faire passer le CCDL, qu’ils soient inscrits à la liste II et au cours de leur stage, ils verront bien s’ils ont vraiment besoin d’une autre langue. S’ils en ont besoin, ils feront l’effort. Quant aux autres, on les responsabiliserait, comme on le fait pour ceux de la liste IV qui accèdent à la liste I : on leur ferait signer une attestation par laquelle ils s’engageraient à ne pas travailler dans des dossiers dans lesquels des langues autres que celles qu’ils maîtrisent sont utilisées. Tout comme il est sous-entendu de ne pas traiter des dossiers dans des matières qu’on ne maîtrise pas. Si jamais, par après, il s’avère qu’ils ont néanmoins accepté une cause sans en maîtriser la langue, c’est la sanction disciplinaire qui les attend. h . d . r . Est-ce qu’il est nécessaire pour un avocat de connaître toutes les langues à la perfection ? J’estime que non. La seule chose qui devrait être plus encouragée serait d’avoir des formations offertes à prix abordables et par des 144 —
— Novembre 2016
« Si vous voulez vous payer le meilleur jeune avocat, ne vous attendez pas à ce qu’il vous facture le prix de l’assistance judiciaire. » Henry De Ron Président Conférence du Jeune Barreau
instituts qui bénéficient des agréments nécessaires dans le cadre du système européen des critères de compétences de langues. Ce n’est pas une problématique qui peut se résumer au Barreau ou à la justice. C’est une question d’ordre politique. Mine de rien, le Barreau, c’est 2.500 personnes et autant d’expériences personnelles. Le Barreau pourrait probablement contribuer à proposer des pistes de solutions. Que pensez-vous de la pétition 698 qui veut consacrer le luxembourgeois langue administrative ? h . d . r . Je trouve personnellement que c’est une question intéressante qui doit être soumise au débat public. c . b . Je vois plutôt les problèmes pratiques qui en résulteraient. Comment s’imaginer qu’on soit obligés de rédiger nos actes dans la langue luxembourgeoise alors que la grande majorité des Luxembourgeois n’écrivent pas forcément un luxembourgeois grammaticalement correct ! Par ailleurs, la langue luxembourgeoise ne permet pas aux praticiens de s’exprimer adéquatement dans leur jargon juridique dans la mesure où de nombreux termes juridiques n’existent tout simplement pas dans cette langue. h . d . r . À ma connaissance, il existe deux ou trois actes d’asbl rédigés en langue luxembourgeoise. Ils sont plus difficilement compréhensibles. D’expérience, il n’est pas évident non plus d’écrire une lettre juridique en luxembourgeois. f . p . … et on n’est pas sûr non plus d’être bien compris. Je me réjouis de la réaction de Me Vogel (auteur d’une lettre ouverte, ndlr), qui dit que c’est d’un ridicule mortel, sachant que d’un autre côté, il est absolument d’avis que tous les avocats plaideurs doivent nécessairement comprendre les langues du procès. On peut plaider en fait en droit pénal ou devant la justice de paix, mais dès que cela devient
CV EXPRESS
HENRY DE RON 1982 Naissance à Luxembourg 2006 Maîtrise en droit privé (Université Paul Cézanne, Aix-enProvence, et University College, Londres) 2006 Diplôme universitaire en criminologie (Institut des sciences pénales et de criminologie, Aix-en-Provence) 2007 Master of Laws, Cornell Law School, État de New York 2008 Admis aux Barreaux de Luxembourg et de New York 2007-2009 Étudiant juriste puis avocat stagiaire chez Allen & Overy, Luxembourg Depuis 2009 Avocat stagiaire puis avocat à la Cour, Kleyr Grasso Associés 2011 Admis au Barreau de Paris 2016-2017 Président de la Conférence du Jeune Barreau de Luxembourg