Paperjam1 Décembre 2015

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Place financière Le mystère du compte suisse

AB Inbev, premier groupe brassicole mondial) en 2000 par Luka Bailo. 75 % des titres Apal First servirent par ailleurs à financer la constitution en 2005 d’une seconde société, Interpal Holding, dans laquelle siégeaient également Farida Chorfi, un autre avocat de son étude, Patrick Weinacht, ainsi que la vicomtesse, actionnaire à plus de 99 %. La vieille dame a raconté aux enquêteurs que les deux premières structures, puis une troisième, Oldcab Investments Ltd, dans les Îles Vierges britanniques, avaient été créées à l’initiative de l’avocate, sans que sa propriétaire connaisse très bien les buts de ces montages. Il fut aussi question d’une fondation au Liechtenstein.

UN NOTAIRE VIGILANT En janvier 2006, alors que les relations entre les deux femmes s’étaient dégradées, Amicie de Spoelberch était démise de ses fonctions d’administratrice déléguée de Apal et Interpal. Elle mit plus tard en cause l’authenticité des procès verbaux des réunions l’ayant écartée. Et affirma, comme cela ressort du jugement de 2014, avoir été « dépouillée d’une grande partie de ses actions ». Une grosse partie de ses titres Interbrew – 7.280.424 actions – fut transférée le 29 septembre 2004 sur l’offshore Oldcap à Tortola pour un prix de vente de 50.000 euros, en vertu d’un contrat entre les époux Bailo-de Spoelberch. Un courrier à la Natixis demandait de tenir ces titres « à disposition » et de les transférer d’Apal à Oldcap. Le couple, marié sous le régime de la communauté universelle, s’était installé officiellement au Grand-Duché après le mariage en 2001, mais gardait un pied-à-terre dans la banlieue chic de Bruxelles. Les deux fils majeurs de Luka Bailo furent adoptés en 2003 par jugement du tribunal de Luxembourg.

L’enquête à Luxembourg sur la disparition de plus de 800.000 actions a piétiné pendant des années. Au décès du mari, le 19 octobre 2004, Farida Chorfi se serait occupée de tout, payant les notes d’hôtel et les dépenses de la vie courante, selon les informations fournies par le premier jugement du 5 novembre 2014, ayant condamné l’avocate par défaut à 30 mois de prison ferme et 5.000 euros d’amende pour faux et usage de faux et tentative d’escroquerie. Le tribunal, manquant de preuves

– notamment la trace du magot disparu – avait appuyé son jugement sur l’intime conviction. Oldcap fut cédée aux deux fils, 10 jours après le décès de M. Bailo, moyennant 50.000 euros, pour plus de 7 millions de titres Interbrew ! Ce n’est que le 8 février 2006 (plus de 15 mois après le décès) que le document instituant les fils Bailo comme bénéficiaires économiques fut transmis à Natixis. La vicomtesse mit en cause devant le juge d’instruction l’authenticité des documents de transfert à ses enfants adoptifs. Elle affirma être toujours assise sur ses titres Interbrew/Ambev, démentant avoir jamais signé un contrat leur cédant ses biens de son vivant. Les expertises attestèrent cependant de l’authenticité de sa signature. Une autre demande de transfert, de 915.000 actions au porteur, d’Oldcap à Natixis pour les tenir là encore à disposition, constitue le second grief de l’accusation pesant sur Farida Chorfi, qui se serait servie sur la fortune de sa cliente. Elle aurait tenté de se faire reconnaître comme légataire universelle des biens de la vieille dame et vidé un coffre à la banque. Lorsque les deux femmes se rendirent chez le notaire Jean-Joseph Wagner pour faire authentifier un testament manuscrit, celui-ci rendit attentif la riche Belge à la portée de l’acte qu’elle allait signer : « Je lègue tous mes biens à Farida Chorfi, née le 20 janvier 1962, matricule 19620120025, que j’institue ma légataire universelle. Chorfi Farida aura l’obligation d’exécuter les legs particuliers suivants (…) », avait écrit Amicie de Spoelberch. Elle pensait acter une disposition qui aurait permis, à sa mort, de léguer une partie de sa fortune (la part qui n’irait pas à ses fils) à une fondation. Après la séance d’explication avec le notaire, elle se ravisa. Seuls les legs particuliers furent alors actés. Dans un testament ultérieur, qu’elle rédigea deux mois avant sa mort chez un notaire belge, la vieille dame institua légataire universel la fondation Roger de Spoelberch. Elle mourut le 21 mai 2008 à Bruxelles. Trois ans auparavant, Chorfi aurait vidé le coffre no 92 à la Natixis ouvert au nom de Oldcap – elle agissait en qualité de trustee pour les fils Bailo –, contenant les 915.000 actions au porteur ainsi que des bijoux de famille. Les registres de la banque ont fait état de deux visites du coffre : une première de l’avocate le 1er décembre 2004 et une seconde le 8 février 2006, de l’un des fils Bailo. Lors de la perquisition en avril 2006 à la banque, les enquêteurs tomberont sur un coffre vide. Devant le juge d’instruction luxembourgeois qui l’interrogeait, Chorfi assura ne pas avoir retiré « à titre personnel et directement 915.000 actions » et dira être intervenue parce qu’elle avait mandat de le faire. Le directeur de la banque indiqua aux policiers

que le fils Bailo avait retiré des documents du coffre, mais pas des documents correspondant à l’épaisseur du paquet d’actions.

LEVER LE SECRET BANCAIRE SUISSE ? Les premiers juges eurent la conviction que la prise de possession des actions par Farida Chorfi « a dû intervenir lors de sa visite du coffre en date du 1er décembre 2004 ». L’avocate restitua par la suite 100.000 ac– tions aux héritiers de la vicomtesse. Le mystère demeure sur le sort des 815.000 titres restants.

Amicie de Spoelberch avait dans son patrimoine un paquet de 8.179.600 actions valorisées à 320 millions d’euros en 2006. Selon l’avocat de la partie civile Oldcap, Me Fabio Trevisan, la conseillère aurait pu dissimuler le magot en Suisse, avant de se faire rattraper par les SwissLeaks. Le nom de l’exavocate âgée de 53 ans apparaît en effet sur une liste des « clients luxembourgeois » de HSBC à Genève, volée par l’informaticien Hervé Falciani et révélée par Le Jeudi. Elle serait bénéficiaire d’un compte de quelque 40 millions de dollars. L’enquête à Luxembourg sur la disparition de plus de 800.000 actions, pouvant représenter cette somme, a piétiné pendant des années. Oldcab a donc formulé une demande de réouverture de l’instruction, afin de pousser le juge d’instruction luxembourgeois à lancer une commission rogatoire internationale, pour remonter à l’origine des fonds logés chez HSBC. Un fait inconnu des enquêteurs à l’époque de l’instruction ayant mené au premier jugement (novembre 2014) contre lequel Chorfi a fait opposition. D’où un nouveau procès à Luxembourg. Me Lydie Lorang, défendant Farida Chorfi, a indiqué à l’audience que les millions de dollars découverts sur le compte suisse ont été détenus par sa cliente à titre fiduciaire pour le compte des héritiers d’Amicie de Spoelberch. Il serait donc indiqué que les juges renvoient le dossier au cabinet d’instruction pour lever le secret bancaire suisse et, partant, le mystère du compte à la HSBC. ◄ En résumé Le procès d’une ex-avocate du Barreau de Luxembourg s’est ouvert début octobre. Il suit le fil d’un dossier de 10 ans d’âge, où se croisent notamment une vicomtesse belge, son mari tardif, ses deux fils adoptifs, des coffres vidés et un mystérieux magot suisse.

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