14-18 Parcours de guerre et de vie

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Histoire

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14-18 - PARCOURS DE GUERRE ET DE VIE

NOUVEAU - Voix de l’Ain inaugure en page départementale, une rubrique qui vous invitera, chaque semaine de cet été, à découvrir le parcours de guerre et de vie d’habitants de l’Ain. Des portraits rares et documentés qui vous plongeront dans le quotidien de la Première Guerre mondiale.

B IO E X P R E S S Pierre Aguettant, écrivain, est né le 27 avril 1890 à Guéreins (Ain) - et mourrut le 14 juin 1940 à Orléans (Loiret). Poète et écrivain, auteur de romans sentimentaux, il habita Mâcon (en Saône-et-Loire). Mme Daudet, Anna de Noailles et la duchesse de Rohan lui apportèrent leurs soutiens. Camille Saint-Saëns, le compositeur, fut l’un de ses proches. Il ne se remit jamais de la mort de son frère Charles. Son père, et père de Charles, fut maire d'Ambérieu-en-Bugey pendant 16 ans. Une rue d'Ambérieu porte son nom.

A SUIVRE Le Tour de France 2014 Le service des sports de France Télévisions proposera, tout au long du Tour 2014, des reportages quotidiens sur l’édition 1914 de la Grande Boucle, qui se déroula pendant les trois semaines qui précédèrent la déclaration de guerre qui devait emporter de nombreux champions cyclistes et sportifs. Départ ce samedi 5 juillet.

Pierre Aguettant

La plume et l’épée : Pierre et Charles Aguettant « Dites : ils sont tués ! Mais ne dites pas qu’ils sont morts, car ils vivent plus forts que la vie. Et ils hantent nos journées humaines comme tout ce qui est immortel… ». Pierre ne se remit jamais de la disparition prématurée de son frère cadet. Son chagrin se réfugia dans la poésie, à le noyer dans une interminable prose. Long comme un jour sans pain, Les morts immortels rappelle Ève de Charles Péguy avec ses quelques vers prémonitoires,

« Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre. Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés » , exaltation de l’esprit de sacrifice pour la juste cause de la revanche contre l’Empire allemand. Quand des plumitifs sont des chantres du courage d’autrui, Péguy paya au prix fort ses convictions. Lieutenant de réserve, il partagea le sort de ses hommes dans l’errance des combats de la Marne en septembre 14. Ordre lui fut donné de contreattaquer sans se soucier des pertes, des ombres s’évanouirent sous la mitraille, un bref répit et le lieutenant se dressa pour commander le tir de riposte, son lorgnon vacilla sous le choc d’une balle lui percutant le front, Charles Péguy huma une dernière fois l’avoine fraîchement coupée. Pierre Aguettant prit son relais pour perpétuer le

souvenir des morts dans un mélange d’encre et de larmes séchées.

sa fine moustache, il a dû faire tourner les têtes d’une ribambelle de demoiselles !

Ses poèmes, pièces de théâtre et romans lui valurent une belle renommée couronnée par une distinction de l’Académie française. Il devint à moins de vingt ans le protégé d’une princesse roumaine, Hélène Vacaresco, qui l’introduisit dans les salons artistiques où il se forgea de solides amitiés et en premier lieu d’indéfectibles liens avec le compositeur Camille Saint-Saëns pourtant notoirement connu pour son caractère de cochon. Celui qui fut maire de Lyon durant un demi-siècle, Édouard Herriot, fit partie du cercle de ses amis fidèles, il officia pour son mariage avec Marie-Louise Pascalin. C’était en 1918, année de toutes les victoires, la paix avant tout, ses premiers prix littéraires et Les morts immortels qu’il déclama le 14 juillet à la Comédie française.

En août 14, Charles a près de deux ans de service dans les brodequins. Il entra dans la guerre de manière fulgurante avec le 23e RI et relata notamment dans ses carnets de campagne la retraite de la bataille d’Alsace. Le 10 août, posté en réserve dans le cimetière de Lutterbach, « les obus éclatèrent sur nos têtes et les balles venaient s’écraser contre les croix en pierre avec un bruit formidable ». À 23 heures, sonna le cor allemand du cessez-lefeu avant la nouvelle attaque du lendemain. Dans ce calme précaire, « nous enten-

« Nous entendions les râles des mourants et les cris des blessés appelant à leur secours » La pièce dorée eut aussi son revers, le décès de son père, le souvenir tenace de son unique frère et le sentiment de culpabilité d’en avoir été le survivant. On imagine leur enfance paisible couvée par une cohorte de domestiques dans une confortable maison. Fils du notaire et maire d’Ambérieu, leur destinée n’aurait pas dû trop souffrir des difficultés et aléas de la vie. Tous deux suivirent la voie d’excellence scolaire des familles notabiliaires, en intégrant le lycée Lalande à Bourg. Deux frères, si proches et différents. Quand Pierre était d’une santé fragile et d’un tempérament empreint de mélancolie, Charles pétillait de vitalité. Il présidait l’Avant-Garde du lycée qui participa à la finale du championnat de France de football rugby. Un BG, comme diraient les jeunes d’aujourd’hui, plutôt grand pour l’époque avec son mètre soixante-dix, des yeux d’un bleu profond, des cheveux châtain clair sur un teint pâle, les traits du visage soulignés par son menton à fossette et

dions les râles des mourants et les cris des blessés appelant à leur secours » . Plier et ne pas rompre, l’ordre de repli fut donné. Encore une marche de nuit pendant qu’à l’horizon semblait se refléter sur la terre la lueur de la lune, mais ce n’était que Mulhouse consumée par les flammes, punie par le feu allemand de son éphémère libération de la veille. Le bilan fut lourd, 139 tués, en comptant les disparus, blessés et prisonniers, les pertes étaient estimées à 750 hommes en trois jours. Le JMO du régiment constatait encore un mois plus tard l’état de délabrement des troupes, mal ravitaillées, épuisées moralement et physiquement, malgré l’arrivée du dépôt de Bourg d’un détachement de 500 hommes pour combler les vides dans les rangs. L’armée diligenta une enquête sur l’échec de la bataille d’Alsace, les vieux généraux en prirent pour leur grade et furent poussés à battre définitivement en retraite !

«… l’air se mit à siffler : une balle en plein front, comme Peguy » Changement de têtes mais entêtement de la doctrine militaire consistant à charger baïonnette au canon sous les coups d’assommoir de l’artillerie et la pluie de balles des mitrailleuses. 30 décembre 1914, le 23e RI a été placé en première ligne dans un secteur agité des Vosges. Finies les batailles rangées dans la plaine, mais la mort rôdait et

Voix de l’Ain • 6 • Vendredi 4 juillet 2014

Charles Aguettant frappait quotidiennement à La Fontenelle, au col d’Hermanpère et au Bois d’Ormont. En cinq mois de campagne, le sergent Charles Aguettant avait fait ses preuves de meneur d’hommes. Ses chefs louaient sa belle attitude au feu, son entrain et son sang-froid, ils l’inscrivirent au tableau d’avancement du 1er janvier pour porter les épaulettes de sous-lieutenant. Donner l’exemple n’était pas sans risque. Ayant franchi dans l’après-midi le parapet de sa tranchée et s’appliquant à la renforcer de fils de fer, l’air se mit à siffler : une balle en plein front, comme Péguy. Pour Pierre, un point final malgré l’attribution à titre posthume de la croix de guerre avec palme, maigre consolation. Le grand frère fut exempté de service militaire au motif de « faiblesse générale » à cause de ses palpitations au cœur. Mais les hommes en bonne santé se faisant rares, il fut mobilisé en 1917 pour servir dans une usine mâconnaise de carton bitumé, un revêtement destiné à l’aménagement des baraquements et des tranchées. Pierre Aguettant décéda à son tour sur un pont à Orléans pendant l’exode de juin 1940, une autre guerre mais toujours la même histoire. LUC VOGEL • Sources principales : Rémi Riche « Destins brisés », Journal de Marche et des Opérations du 23e RI

N A DÉCOUVRIR

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19 1 4 - 1 9 1 8 : Lyon, sur tous les fronts Expo à la bibliothèque municipale de Lyon, du 15 septembre au 31 décembre 2014. Cette exposition, accompagnée d’un programme culturel, s’est construite à partir du fonds de la guerre 14-18, constitué à partir de 1915 par Edouard Herriot, maire de Lyon, à l’intention des générations futures à la bibliothèque municipale. Elle met en avant le rôle particulier joué par Lyon : carrefour, lieu d’échanges, de circulation des prisonniers, des réfugiés, des blessés, lieu de production des armes. Elle permet de découvrir la vie sur le front, grâce à une documentation internationale, et de mettre en scène le front arrière, en renouant également avec l’histoire de familles lyonnaises.

& A LIRE « Ce que j’ai vu de la Grande Guerre » est un livre de photographies de Frantz Adam, médecin combattant de la Première Guerre mondiale au sein de 23e régiment d’infanterie. Ces photos sont commentées et mises en perspective par l’historien André Loez, avec une postface d’Alain Navarro sur la photographie de guerre. Médecin psychiatre, Frantz Adam a suivi le 23e régiment sur tous les principaux théâtres de la Grande Guerre, photographiant de manière à la fois saisissante et intimiste la vie et les combats de cette unité. Ces photos, retrouvées récemment, ont été confiées à l’Agence France Presse, qui en assure le stockage et la diffusion. > Ce que j’ai vu de la Grande Guerre, photographies de Frantz Adam, André Loez et Alain Navarro, éd. La Découverte.


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